Tel le phénix - Guy Ramond - E-Book

Tel le phénix E-Book

Guy Ramond

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Beschreibung

Au réveil d’un très long coma, un jeune champion de ski doit tout réapprendre de la vie. Son seul but est de revenir au sommet de sa gloire d’avant. Malheureusement, son handicap physique, associé à l’amnésie irrémédiable dont il souffre, contrarie fortement ses projets. Pour entraver sa tâche, l’amour va s’immiscer dans l’équation. Il devra alors faire face à des obstacles insolites et tenter de les comprendre. Arrivera-t-il à mener ce douloureux combat pour renaître de ses cendres ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Guy Ramond s’est exilé au Canada pour y passer une retraite paisible. Afin d’occuper ce temps libre, il s’est pris au jeu de l’écriture transmis par sa mère enseignante. Après "La lionne", son premier roman paru aux éditions Le Lys Bleu en 2023, une suite logique s’imposait pour terminer ce cycle. "Tel le phénix" boucle une aventure extraordinaire faite de péripéties et de rebondissements.

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Seitenzahl: 411

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Guy Ramond

Tel le phénix

Roman

© Lys Bleu Éditions – Guy Ramond

ISBN : 979-10-422-5795-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Remerciements à Monick et à Raphaël

Chapitre 1

Un épais brouillard recouvrait entièrement le grand plateau du haut Bugey en ce milieu de novembre. L’humidité dans l’air et le froid s’installaient en cette fin d’automne et annonçaient déjà un hiver précoce.

Idéalement situé au centre de la grande région Rhône-Alpes, on pouvait y accéder que l’on vienne de Lyon, Genève, Bourg-en-Bresse, Annecy ou même de plus loin encore. Toutes ces destinations étaient à moins de cent kilomètres en voiture. C’était vraiment le moyen le plus pratique pour un temps de conduite tout à fait acceptable, les autres transports étant nettement moins favorables.

Bien évidemment, il fallait avoir une bonne raison pour venir se perdre dans la région où se trouvait la petite cité d’Hauteville-Lompnes. Même si elle était entourée par une nature sauvage presque hostile, ce n’était pas le tourisme qui était la destination première. On pouvait venir respirer à pleins poumons un bon air frais à plus de 800 m d’altitude, loin de la pollution des grandes villes ou même se promener dans les vastes forêts alentour.

Dans cet univers aussi calme, il n’y avait pas vraiment grand-chose à faire.

Pourtant la réputation de cette toute petite ville d’un peu plus de 3000 habitants, était faite depuis longtemps : on venait spécialement ici pour se soigner.

Plus exactement réapprendre ou reprendre une vie normale pour l’ensemble des personnes qui en avaient véritablement bien besoin. La majorité des patients présents étaient surtout là pour de longues et parfois de lourdes rééducations, il y avait de nombreux cas.

Beaucoup venaient pour des soins post-opératoires qu’ils soient accidentels ou volontaires.

Parmi tous ces quidams, on pouvait croiser quelques sportifs de très haut niveau qui revenaient de graves blessures. Les excellents résultats rencontrés dans ces installations très bien adaptées étaient largement reconnus. Le bouche-à-oreille fonctionnait à merveille et entretenait une parfaite publicité auprès des praticiens et autres kinésithérapeutes.

C’est dans cet endroit que le tout jeune sportif médaillé d’or aux derniers Jeux olympiques à ski, Pierre-Louis Perrillat a finalement atterri.

Ayant été la victime d’un attentat terroriste, il avait subi un terrible accident lors d’une descente en compétition, dont il n’était évidemment pas responsable. Après avoir passé de longs mois dans le coma, sa situation n’était toujours pas reluisante.

D’abord placé dans un hôpital neurologique après son réveil, on avait évalué les dégâts subis de l’importante lésion au cerveau.

Après une très délicate opération réussie avec succès, rien dans son système ne semblait être affecté. Pourtant les résultats étaient plus que catastrophiques. Après trois mois de retour à la vie, rien n’avait vraiment évolué et aucune amélioration ne semblait survenir. Il entendait bien, bougeait les mains et les bras et c’était à peu près tout. Dépourvu de la parole, il n’avait toujours pas de mouvement des membres inférieurs. Chaque scanner qu’il passait très périodiquement ne décelait strictement aucun signe inquiétant. Sa colonne vertébrale avait été scrutée avec beaucoup d’attention, à cause des énormes chocs éprouvés.

Une légère fracture avait été diagnostiquée très tardivement. Elle était en cours de consolidation grâce à sa longue immobilisation, mais ne mettait pas en cause son incapacité à vouloir marcher ni à se tenir debout.

De sa musculature d’athlète, il ne restait plus grand-chose, très amaigri avec le temps, le regard vide, il restait de longues heures soit au lit ou dans une chaise roulante. Errant le plus souvent dans les couloirs de l’établissement en train d’attendre qu’un soigneur vienne le pousser et enfin s’occuper de lui.

Le traitement qu’on lui administrait pour ses violents maux de tête avait un effet néfaste sur la repousse de ses cheveux.

Autrefois flamboyant avec sa longue et belle chevelure blonde, aujourd’hui il déambulait difficilement avec son petit bonnet en coton noir, siglé du S de son fidèle sponsor.

Un minuscule duvet blond tentait de sortir tant bien que mal, mais il ne masquait pas du tout l’immense cicatrice sur le haut de son crâne.

Il fallait absolument trouver une solution pour lui remonter le moral. Du fait qu’il ne pouvait communiquer verbalement, il se sentait totalement coupé du monde. Heureusement pour changer un peu sa routine, chaque fin de semaine quelques visites venaient égayer un peu son quotidien.

Le seul et unique problème était que tous ces gens lui paraissaient complètement étrangers… Et pour cause, il souffrait d’amnésie totale, sa précédente vie avait été totalement effacée !

Robert Faramaz que l’on appelait sous le plus souvent Bob venait évidemment dès qu’il le pouvait. Il avait été son mentor depuis le départ de sa carrière et c’est grâce à lui qu’il avait atteint les sommets. Mais à chaque fois, c’était pour lui un crève-cœur de le voir dans cet état. Son protégé et presque « fiston » comme il aimait l’appeler ne semblait guère évoluer.

Pourtant, même si on avait l’impression qu’il ne le reconnaissait pas, il était charmé par sa voix joviale. Avec attention, il fixait son visage rondouillard orné de sa célèbre et grosse moustache à la gauloise. Était-ce la sonorité grave qui l’attirait ? On aurait dit que cela le faisait sourire, car il suivait le mouvement de sa bouche avec attention, comme s’il buvait ses paroles. Au moins, il y avait une visite qui l’intéressait.

Pour Pierre-Louis, cet homme venait seulement de rentrer dans sa vie depuis peu de temps. Il le trouvait sympathique et très compatissant.

C’est ainsi qu’Annie, sa maman, et sa meilleure amie, Émilie, son amoureuse venaient à son chevet. Elles revivaient les mêmes scènes alors qu’il était immobile sur son lit dans le coma. Pour meubler la conversation, elles lui parlaient pendant des heures, mais lui semblait à peine les connaître, et avait peu d’intérêt.

Annie avait apporté des albums photos pour stimuler sa mémoire et c’est par signe qu’il essayait de répondre. À part quelques sons rauques, rien d’autre ne sortait de sa bouche.

Ce qu’il essayait de leur faire comprendre c’est qu’il ne se souvenait absolument de rien.

Il voyait bien que ces deux femmes lui voulaient du bien, mais il n’avait aucun ressenti à leur égard. On lui avait volé son passé et là était peut-être bien son véritable problème.

Dès son hospitalisation suite à la terrible chute, puis son admission dans un hôpital spécialisé après son éveil, il s’était passé de nombreux mois. On lui avait parlé maintes fois de son accident, rien ne semblait l’affecter, se sentant étranger à cette bataille. Les conclusions de l’enquête puis les nombreuses arrestations des protagonistes de l’affaire ne le concernaient pas. On remontait la filière, mais c’est une affaire d’État, bien trop nébuleuse pour lui et très loin de ses préoccupations actuelles.

Après avoir survécu in extremis à la mort, son principal combat était de pouvoir revivre au mieux, retrouver tous ces mouvements et s’exprimer enfin.

S’il devait y avoir une suite ou même un procès plus tard, ce n’était pas vraiment de son ressort, son cerveau n’était pas encore apte à ce type de pensées.

Émilie, follement amoureuse, revenait chaque fois dévastée de sa visite. Après avoir vécu une histoire passionnelle et sulfureuse, elle devait désormais s’occuper en priorité de Lydia, sa fille, et d’un magnifique petit garçon, né du fruit de leur amour. Elle l’avait prénommé Tommy, et choisit seule le prénom. Elle aurait tant aimé pouvoir le faire avec son père, mais le destin avait bouleversé le calendrier.

Il grandissait lentement, bien entouré, mais n’aurait pas demandé mieux que de connaître ce papa qui l’avait conçu et qui le désirait. Alors qu’il vivait une incroyable romance ensemble, pleine de projets, leur situation avait brusquement et tragiquement viré au cauchemar.

Même si elle aimait au plus profond son « Pierre », elle ne pouvait plus continuer de vivre dans cette position inconfortable, et ne pas se sentir désirée.

Pourtant, lorsqu’elle était venue quelquefois avec le bébé, cela se passait plutôt bien. Dès qu’il était devant son père, l’enfant était calme et très souriant, ne pleurant jamais. On voyait qu’ils essayaient de communiquer simplement par le regard, mais cela semblait manquer de connexion. Il n’avait pas assimilé toutes les nouveautés et relations qu’il découvrait.

Pour Émilie, c’est avant tout le médecin qui résonnait en elle, plus que la mère. Dans l’intérêt général de ses deux enfants, elle ne voulait pas qu’ils ressentent le stress de cette période qu’elle subissait.

Elle avait prévenu Annie qu’elle ne viendrait plus pour l’instant, préférant attendre un peu, qu’une amélioration lui soit plus bénéfique.

À quoi aurait-elle servi devant l’homme qu’elle aimait et qui semblait complètement ailleurs ? Elle devait se reconstruire avant de sombrer, se préserver pour elle et les enfants inéluctablement.

Annie avait bien compris tout ça. C’est grâce à son caractère de battante qu’on l’avait surnommé depuis longtemps « la lionne ». Elle allait à nouveau se battre pour son enfant chéri, un combat extrêmement difficile, car elle était touchée dans son amour-propre. Par tous les moyens, il devait retrouver au moins une partie de sa mémoire…

Les semaines suivantes furent décisives. Une très lente progression commençait à se faire ressentir. Un déclic s’était produit comme si un miracle l’avait frappé. D’abord, il avait commencé à bouger les doigts de pieds de sa jambe gauche, puis perceptiblement les jambes sur son fauteuil. Ce simple fait encourageant l’avait stimulé pour aller plus loin.

Cette fois, il voulait que ça aille plus vite, et bien évidemment il voulait absolument marcher. Pour cela, on avait essayé de le mettre debout pour tester.

Malgré le maintien de deux personnes, il était encore trop faible pour se tenir seul, mais un large sourire s’était affiché. La motivation le gagnait enfin, il avait repris de l’appétit et retrouvé un peu de force.

Les quelques sons qui sortaient de sa gorge commençaient à vouloir ressembler à des mots. Cela se passait de mieux en mieux avec le personnel médical, il commençait à bien les reconnaître, et se sentait plus en confiance. Une impression nouvelle qu’il enregistrait dans sa mémoire, un visage plus radieux semblait s’exprimer à la place de son regard sombre.

Lorsque Annie venait les week-ends, cela lui apportait un peu de douceur et de réconfort, il commençait à s’acclimater et admirait cette jolie femme. Mais il restait sur ses gardes comme un animal blessé, très méfiant. Les liens tissés pendant toutes ces années étaient réduits à néant. Pourtant il y avait ceux du sang, elle comptait bien les lui faire entendre.

Elle aurait encore un combat de plus à mener, mais celui-ci s’avérait épuisant.

L’absence d’Émilie ne devait pas l’affecter plus que ça. Il ne manifestait aucun signe de manque, comme si elle était inexistante. Il ne l’avait pas vraiment encore intégré dans sa nouvelle vie, pas plus qu’il se sentait le père de cet adorable petit garçon…

Maintes semaines passèrent et les nombreuses séances de rééducation commencèrent à payer, au prix d’efforts surhumains.

Entre des barres parallèles, Pierre-Louis, soutenu par ses kinés, tentait de réapprendre à marcher et se tenir debout. Malgré son pied droit lourdement handicapé, cela semblait efficace.

Progressivement, la vie revenait dans sa musculature. Après les efforts physiques, il prenait des cours avec un orthophoniste trop pressé de pouvoir enfin s’exprimer. Faire repartir la machine lui demandait une importante énergie qu’il n’avait plus. Le soir, totalement épuisé, il s’endormait aussitôt qu’on l’avait déposé dans son lit.

Tout doucement, il reprenait goût à la vie, avec ses deux béquilles, il était à peu près capable maintenant de se mouvoir seul. L’équilibre n’était pas parfait, mais un important virage avait été pris. On arrivait à plus ou moins à comprendre les quelques mots et phrases qu’ils connaissaient par cœur.

Il restait un travail énorme à accomplir, mais il ne se plaignait jamais. Pourtant tous ses membres le faisaient souffrir, en particulier le pied droit, dont une partie avait été détruite dans l’explosion de sa chaussure.

Les visites régulières d’Annie commençaient à payer, une habitude s’était créée. Pour l’instant, même si les discussions étaient très difficiles, on sentait de l’intérêt.

Il n’avait pas vraiment intégré qu’Annie était sa mère et la regardait comme une belle femme, désirable de surcroît…

Le peu de différence d’âge qu’ils avaient n’arrangeait rien. Annie l’avait rapidement recadré pour lui rappeler qu’elle était sa mère, et lui le père d’un enfant. Puis elle n’avait pas manqué d’insister qu’une femme était folle de lui. Elle était sa meilleure amie depuis toujours et elle l’attendait…

Après un long silence, Annie s’excusa de s’être emportée de la sorte, mais elle avait du mal à admettre que son fils avait complètement occulté un pan entier de sa vie. Pourtant il n’était en rien responsable, elle aussi devait l’intégrer dans l’équation. Elle ne devait pas rompre le dialogue, cela prouvait qu’il reprenait goût à la vie. Il était temps de faire revenir Émilie pour essayer de rattraper le passé. Les visites ultérieures n’apportent guère de changement. Pierre-Louis trouvait ses deux femmes très gentilles et charmantes, mais ne se projetait pas dans l’avenir. Son passé perdu l’empêchait d’avancer malgré les photos qui témoignaient de tout ce qu’il avait réalisé. Lui vivait une autre réalité, une dualité entre le présent et son histoire.

Perturbé, son caractère autrefois docile faisait place à une rapide irritation. Annie avait dû battre en retraite, ne cherchant pas l’affrontement. C’était extrêmement difficile, elle qui avait tellement donné à son enfant…

Enfin, après de nombreux mois de travail acharné, il put enfin sortir de cet établissement. Pour marquer cette sortie officielle, Annie était venue le chercher et lui avait offert une magnifique canne afin de pouvoir se déplacer avec plus d’aisance et de sécurité. Son équilibre était encore précaire.

Chez les Perrillat, une bonne partie de la famille attendait ce jour avec impatience. Si pour eux cela semblait naturel de le revoir, Pierre-Louis découvrait un autre monde, un autre lieu et surtout un nouvel entourage à assimiler. Annie avait longuement briefé chaque membre, tous devaient éviter d’insister sur ce qu’il avait été… avant.

Les questions et interrogations devraient venir de lui.

C’est à cette occasion qu’Émilie avait pu l’approcher un peu plus, le sentant moins crispé et nettement moins sauvage. Elle avait été très pudique, lui faisant simplement de longues et délicates bises et un rapide et léger baiser en coin.

Puis gentiment, elle lui avait caressé les deux joues pour ne pas l’effrayer. Lydia, sa fille, dont il était le parrain, semblait bien maîtriser la situation. Il lui accorda beaucoup plus de temps, la petite retrouvait enfin avec plaisir ce qu’il lui avait tant manqué. Elle lui corrigeait avec humour sa diction qui n’était pas toujours très compréhensible, au moins il en riait.

Finalement, cela apportait une note positive dans cet univers implacable.

À leurs contacts, il ressentait beaucoup d’amour et ne pouvait être indifférent, malgré la méconnaissance des gens qui l’entouraient.

Pour l’instant, il allait habiter chez Annie, encore trop dépendant et pas suffisamment familiarisé de son nouvel environnement.

Avec Émilie, cela semblait se passer un peu mieux, mais le regard qu’il portait sur elle n’avait plus rien de vraiment amoureux. Le temps allait-il vraiment changer les apparences ?

Chapitre 2

Annie voulait le reprendre en main, elle se sentait blessée. Depuis tout bébé, il ne l’avait pas appelé autrement que par le seul nom de « Mam », ses tout premiers mots. Ils avaient tenu à conserver ce terme seulement pour eux.

Depuis son retour à la parole et malgré son élocution parfois laborieuse, il l’appelait maman ou même Annie. Si pour la majorité des mères entendre le mot maman est un mot significatif et tout à fait normal, pour Annie c’était au contraire une fracture. Elle tenait absolument à son « Mam » afin de ne pas perdre ce qu’il restait de sa vie d’avant.

Son prénom devrait être réservé uniquement pour les autres.

Elle avait été très directe, peut-être même un peu trop…

Ses paroles avaient été plus vite que ses pensées, comme si elle s’adressait à un jeune enfant pour le gronder. Malgré le ton qui n’était pas franchement agréable, il avait promis de faire l’effort de bien le prononcer et de se corriger. Heureusement, il ne s’était pas senti offusqué. Plus tard, Annie se mordit les lèvres de remords. Après y avoir réfléchi, elle se dit qu’elle avait été vraiment trop loin dans sa quête de l’absolu.

Leur tête-à-tête était productif et la relation commençait à se stabiliser. Curieux de tout, il posait des questions intéressantes et essayait d’absorber le maximum de ce qu’il avait pourtant déjà vécu.

Annie était aux petits soins pour lui. Elle avait aménagé son emploi du temps en fonction de « Lou » comme elle aimait le nommer. Plusieurs fois par semaine, il se rendait chez le kiné pour de longues séances. Il lui fallait aussi prendre clairement des cours de diction pour retrouver un langage plus correct.

On devrait trouver également une solution pour son pied droit. Alors que l’amputation pure et simple d’une partie avait été envisagée, des soins spécifiques lui avaient permis de sauver ce qu’il en restait.

Désormais, il était dans l’obligation de vivre avec. Impossible de faire une greffe à cet endroit seule possibilité ; une prothèse pour tenter de compenser son manque de stabilité.

Les meilleurs spécialistes s’étaient penchés sur son cas, mais pour l’instant une chaussure construite sur mesure pour son pied semblait le meilleur compromis. Sa démarche ne sera jamais normale, il devrait faire face à ce handicap jusqu’à la fin de ses jours.

Annie passait beaucoup de temps avec lui, évitant qu’il soit trop seul. Elle l’avait emmené dans son appartement, qu’il découvrait à nouveau pour la première fois. Il visualisait une partie de ses nombreux trophées disposés dans une vitrine, s’étonnant lui-même devant tout ce cérémonial.

Bien évidemment, une personne en particulier était très heureuse de le revoir. La vieille dame, voisine de son logement ayant entendu les verrous de la porte, s’était empressée de regarder au travers de son judas et avait littéralement accouru.

Bizarrement, Lou avait accueilli Marinette, la voisine, très naturellement. Elle avait fait la bise à Annie et prit la main de Lou avec beaucoup de précautions sans vouloir la lui rendre. Un long regard s’était échangé entre eux sans aucune parole. Il était heureux de voir cette dame âgée sans en comprendre la raison.

Rapidement, Marinette prit la parole, ne pas parler lui était extrêmement difficile, voire impossible.

— Comme je suis contente de vous voir Pierre-Louis, j’ai tellement prié pour vous. Le seigneur m’a quand même écouté et il m’a exaucé. J’aurais tellement aimé qu’il vous remette comme vous étiez, mais enfin vous êtes là bien vivant et c’est déjà beaucoup. Je vais pouvoir vous faire à nouveau des petits plaisirs.

— Pour l’instant, il habite avec moi, trancha Annie avec un petit sourire en coin. Il lui faut encore un peu de temps pour s’habituer à tout ce qu’il découvre. Mais ne vous inquiétez pas, Marinette, très bientôt il va vous battre au scrabble, c’est certain.

Lou regarda avec étonnement sa mère, cela signifiait qu’il avait passé pas mal de temps avec cette dame. Elle avait l’air très dynamique et surtout bien bavarde, mais il la trouvait plutôt sympathique.

Après la visite de son appartement et de la charmante voisine, Annie tenait à lui présenter une autre personne qui avait eu une importance plus que particulière.

Elle prit la direction du quartier de Novel, c’était un retour en arrière, énorme dans le temps. Elle n’avait jamais oublié l’itinéraire, depuis la toute première fois où elle était arrivée sous la contrainte.

Peu de changement depuis toutes ces années dans le secteur, seules les façades des immeubles avaient été ravivées pour permettre une meilleure isolation. C’était bien le minimum que l’on pouvait faire pour rendre leurs aspects moins austères. Elle avait l’impression d’être venue hier… c’était hier effectivement, mais il y avait bien longtemps.

Elle se stationna au plus près, pratiquement devant la large porte, une impression de déjà-vu. Le hall d’entrée était toujours aussi peu sympathique. Elle approcha de la porte du rez-de-chaussée et appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur. Une fois arrivés, ils pénétrèrent dans l’étroite cabine, les portes se refermèrent. Lui non plus n’avait pas évolué, il était toujours aussi asthmatique.

Enfin arrivés sur le palier, après un bref coup de sonnette, comme une signature qu’elle pratiquait couramment, la porte s’ouvrit promptement. Une autre vieille dame apparut et sourit immédiatement, reconnaissant Annie accompagnée d’un jeune homme. Même si elle avait bien vieilli, Madame Lebrun avait toujours son sourire radieux. Très heureuse de les revoir tous deux, ils se firent toute une série de bises et de franches accolades, et regagnèrent rapidement le salon.

Rien n’avait changé, tout était exactement à la même place, les meubles, les tableaux, tous les nombreux bibelots et autres accessoires. Les canapés étaient toujours là avec les plaids pour les protéger. En un coup d’œil, Annie repéra une seule chose qui était en plus dans ce décor figé dans le temps. Sur la bibliothèque, une photo en couleur d’Annie tenant son petit garçon, ainsi qu’une autre de Pierre-Louis avec sa médaille d’or, qu’il avait signée pour Madame Lebrun. Deux cadeaux qu’elle conservait précieusement comme s’il venait de ses propres enfants.

Très heureuse enfin d’avoir de la visite, elle proposa le thé et le servit rapidement avec ses petits biscuits préférés.

Pierre-Louis regarda les photos et comprit d’instinct que cette dame avait un lien avec eux. Mam en avait parlé longuement, mais là il baignait dans les lieux. Enfin, il pouvait mettre un visage sur le nom et sur la voix qu’il entendait. Pourtant elle avait été son professeur, voire même un peu plus.

Au cours de la discussion, Gisèle Lebrun comprit rapidement que Pierre-Louis aura besoin d’une remise à niveau et lui proposa ses services. Ce serait tellement formidable de s’occuper à nouveau de son petit chouchou. Il avait été tellement bon élève comme sa maman et en avait gardé un excellent souvenir. À la plus grande des surprises, il accepta volontiers, se disant que si cela pouvait aider sa mémoire, il ferait tous les efforts. Annie était vraiment enchantée coup sur coup, les deux vieilles dames l’avaient séduit. Un sentiment de calme intérieur semblait naître en lui, il ne comprenait pas bien encore pourquoi, mais le courant passait très bien, ce ne serait que bénéfique…

Dans les semaines qui suivirent, les progrès de langage commencèrent à payer. Madame Lebrun prenait le plus grand soin de son unique élève et ne le brusquait surtout pas. Une douce méthode qui commençait à porter ses fruits.

Annie profitait des moments de répit pour partager son temps de travail, avec lui à la maison. Elle avait apporté certains dossiers avec elle ; afin qu’il se sente moins seul, préparant un recueil dans lequel elle classait et assemblait les photos de certaines de ses clientes maltraitées.

Le tout lui servirait à argumenter une fois de plus le combat pour lequel elle guerroyait depuis plusieurs années. La maltraitance féminine avait malheureusement besoin de nombreuses preuves pour se prévaloir du bien-fondé de cette incessante et inexorable lutte.

Alors qu’elle débutait son classement, Lou regarda instinctivement les nombreuses et terribles photos étalées sur la grande table. Elles étaient éparses autant à l’endroit qu’à l’envers, il commença à en prendre quelques-unes, retournant celles qu’il ne visionnait pas. Annie le voyant faire lui dit :

— Je ne pense pas que ce soit pour toi, ce genre de photos, ce n’est pas très agréable à regarder et puis c’est un peu intime ! De toute façon, à quoi bon ! Tu ne connais pas ces personnes !

Lou continua à les contempler, faisant comme s’il n’avait pas entendu, déplaçant toutes les images les regardant spontanément et rapidement sans aucune attention particulière.

— Arrête de me les mélanger toutes ! Je t’ai déjà dit, tu ne connais pas ces personnes ! dit Annie.

D’un seul coup, il arrêta de les éparpiller et se fixa sur plusieurs clichés… Il les rassembla et les mit devant lui comme s’il se sentait subitement un intérêt.

Machinalement, elle suivit son regard sur des vues qui semblaient le captiver. Elle vit enfin les images en question sur lesquelles son attention s’était soudainement fixée. À l’instant, son sang ne fit qu’un tour… Pourquoi regardait-il précisément celles-là ? Avait-il franchement reconnu cette personne ?

— Qui est cette belle femme, je la connais ? demanda Lou aussitôt.

En une fraction de seconde, au lieu de lui donner la réponse, elle prit la décision de lui poser une question à son tour.

Devait-elle lui mentir pour son bien ?

— Pourquoi as-tu choisi spécialement celle-là ? répondit Annie, quelque peu inquisitrice.

Le ton de sa voix avait subitement changé.

— Je ne sais pas réellement pourquoi, mais j’ai été attiré comme un aimant. Est-ce parce qu’elle est différente des autres, très belle, ou alors peut être la couleur de sa peau qui m’a sauté au visage, je ne saurais pas dire !

Il se tourna vers elle et aperçut le regard plus que troublé de sa mère, voyant une larme qui venait de sortir au coin de son œil. Annie avait la gorge nouée, il lui fallut plusieurs longues secondes avant de pouvoir reprendre la parole :

— Oui ! Tu la connais… Et même très bien ! lâcha Annie à contrecœur. Elle s’appelle Monica ! son expression n’était assurément pas de la joie, mais plus de la tristesse teintée de déception.

— Qu’est-ce qui se passe, Mam ? Pourquoi tu es comme ça, explique-moi… dit Lou, inquiet.

À cet instant, Annie laissa sortir plusieurs larmes, avant de pouvoir commenter avec des sanglots :

— C’est très dur de t’expliquer ça, mon chéri ! reprenant les mots qu’elle utilisait lorsqu’ils étaient seulement tous deux.

Puis elle reprit :

— Tu ne nous as pas reconnu Émilie et moi alors qu’on était là sans cesse pour toi. Et « elle » tu la reconnais du premier coup, c’est vraiment injuste ; je ne comprends pas pourquoi !

Lou se rendit compte qu’il faisait du mal, mais c’était tout à fait involontaire.

— Non, je ne t’ai pas dit que je l’avais reconnu. Mais je ne sais pas comment l’expliquer, comme si j’avais une sorte d’intuition, enfin je ne sais pas quoi !

À peine fini la phrase, Annie répliqua en colère…

— Et pour nous, tu n’avais aucune intuition ! À peine un regard, tout juste si tu ne cherchais pas à me draguer il n’y a pas si longtemps… Émilie en est malade de te voir comme tu agis. On a l’impression de n’être rien pour toi, on est à tes petits soins, et puis rien… rien ne vient !

Annie venait de vider son sac, c’était trop d’un seul coup. Lou ne voulait blesser personne et surtout pas sa mère. Il vint la prendre dans ses bras pour la réconforter, la calmer et la rassurer.

— Écoute, Mam, je suis vraiment désolé, je ne sais pas par quel bout le prendre. C’est très compliqué pour moi, c’est beaucoup d’un coup. J’essaie d’assimiler plein d’informations toute la journée. Il faut que je parle mieux, faire de la rééducation, du sport, rencontrer des gens qui me connaissent, et moi pas ! Il faudrait que je sache tout et tout de suite, ce n’est pas possible ! Je fais de mon mieux, tu sais, il faut me le dire. Que s’est-il passé avec cette femme, qu’est-ce qui te choque ?

Annie comprit le désarroi de son fils, c’est vrai, on lui en demandait pas mal d’un seul coup. Après lui avoir essuyé ses larmes, Lou la reprit dans ses bras et l’embrassa pour apaiser sa colère et la consoler. Il voulait du détail et bien il allait l’avoir, mais avec parcimonie.

Annie fut obligée de lui expliquer comment il avait rencontré la belle femme noire des photos… Elle s’appelait Monica et par un curieux hasard, elle s’était retrouvée sous ses fenêtres, un soir de violentes pluies, comme hagarde et perdue. Il l’avait recueillie, hébergée et protégée chez lui alors qu’elle venait d’être rouée de coups par son ancien amant. Ensuite, Émilie était intervenue sur place pour lui porter des soins, et ça jusqu’à ce qu’elle aille beaucoup mieux.

Quant à Marinette, la voisine, elle avait géré et agrémenté le quotidien de l’infortunée. Son ami policier, David Lombard, avait retrouvé et fait arrêter le coupable. Annie s’était occupée de son dossier pour la défendre. Puis, grâce à son intervention, elle avait pu lui trouver un logement ainsi qu’un excellent travail qui lui avait permis de rentrer à l’ONU.

Enfin, Lou avait passé beaucoup de temps avec elle… peut-être un peu trop, comme elle le lui fit comprendre et sous-entendre, voulant éviter d’aborder le sujet beaucoup trop chaud, voire brûlant…

La boucle était bouclée. Loup réfléchi d’un coup, tous les protagonistes dans cette affaire avaient un lien. Toutes ces personnes avaient pris grand soin de la mystérieuse Monica. Il commençait à comprendre pourquoi il avait trouvé aussi sympathique Marinette, la vieille dame et voisine, alors qu’il ne se souvenait pas d’elle. Annie finit le récit pour lui dire qu’elle habitait désormais à Annemasse.

Lou sauta sur l’occasion et dit à Annie :

— Je vais rendre une visite à cette Monica, peut-être que cela peut m’aider. En tout cas, je ne risque rien à essayer.

Annie saisit à son tour la balle au bond :

— Dans ce cas, je vais venir avec toi, pas question de te laisser y aller tout seul. Tu es assez vite fatigué, tu n’as pas conduit depuis longtemps et tu ne t’exprimes pas très bien encore, tu comprends !

Lou avait déjà son raisonnement en tête.

— Maman !! Pardon, Mam, je vais y aller seul. S’il doit se passer quelque chose d’inattendu, je veux pouvoir l’assumer. Et puis peut-être ce déclic que j’attends arrivera. Je comprends très bien pour Émilie, tu sais, je l’aime bien, mais si les choses se replacent, je vais redevenir moi-même et tout rentrera dans l’ordre. Il me faut un peu de temps pour espérer tout retrouver.

— Mais tu ne peux pas conduire avec ton pied, je vais t’emmener au moins !

— Oui, c’est vrai Mam, je ne t’en ai pas parlé, mais le concessionnaire m’a appelé il y a déjà quelques jours pour me dire qu’il me mettait à nouveau une voiture à disposition… D’ailleurs, je ne sais pas comment il a su que j’étais sorti. Enfin bref, il va m’en préparer une autre, il avait récupéré l’ancienne, pendant que j’étais à l’hôpital. Il était très heureux de pouvoir me revoir. Pour la nouvelle, il a fait modifier la pédale d’accélérateur et mise à gauche pour mon pied. De toute façon, c’est une automatique… T’inquiète pas, je ne pars pas dans la minute, j’aurai le temps de l’essayer. Et puis j’irai seulement en fin de semaine, tout se passera bien, je vais gérer, et je serai extrêmement prudent.

Pour l’instant, il était urgent de faire redescendre la pression, mais surtout la température, car il était sûr d’avoir très bien compris que le sujet Monica semblait très chaud, peut-être même un peu trop chaud.

Chapitre 3

On était dans la dernière semaine de mars et si la météo avait été très clémente jusqu’à présent, le froid était revenu subitement. La neige avait refait son apparition et ce n’est pas pour rien que l’on parlait toujours des giboulées de mars.

Monica regardait par la fenêtre de son bureau. Une neige abondante tombait à gros flocons. Elle sut instantanément que le mauvais temps s’installerait pour plusieurs jours. Elle consulta alors son téléphone, les prévisions ne firent que confirmer ce qu’elles pensaient déjà. Ne manquait plus que de faire appliquer le dicton d’avril : ne pas se découvrir d’un fil…

L’invitation qu’elle avait lancée pour la fin de semaine lui donna envie de changer son menu. Les conditions s’apparentaient plus à un bon repas d’hiver régional. Elle se dit que ce qu’elle avait en tête serait idéal et de plus très convivial.

Depuis que Monica travaillait à l’ONU de Genève, elle avait fait de nombreuses rencontres et lié pas mal d’amitiés, en partie grâce à ce bon poste. Elle avait rapidement pu trouver un autre appartement dans l’immeuble voisin où elle s’était installée précédemment. Plus spacieux, elle l’avait décoré avec soin. Ses moyens le lui permettaient et sa vie était bien plus confortable et tranquille.

N’ayant plus la nécessité de se faire entretenir, elle n’avait plus l’exigence de payer de son corps comme elle avait dû le faire antérieurement. Au moins, cela lui permettait de sélectionner ses aventures amoureuses, car elle ne voulait plus pour l’instant de relations trop sérieuses et surtout trop contraignantes.

Attirée par les volumineux flocons qui tombaient en s’écrasant au sol, elle essayait de suivre leurs parcours avant leurs chutes finales, totalement hypnotisée par ce balai infini. Elle lâcha prise, ses pensées se rejoignirent pour lui démontrer l’évidence. Sur sa route, elle avait eu l’incroyable chance de croiser la meilleure personne qui lui soit donnée. Sans cela, elle n’en serait certainement pas là, enfin délivrée de la pauvreté. Jamais elle ne pourrait l’oublier cet ange qui avait veillé sur elle. Mais où était-il, et surtout que devenait-il ?

On était samedi, le jour J. Comme une bonne maîtresse de maison, Monica avait dressé une belle table dans la salle à manger, tout était prêt, il ne manquait rien. Se disant devenue savoyarde d’adoption, elle adorait tous ses plats typiquement régionaux. Alors que ses origines africaines ne la prédestinaient pas à manger du fromage, elle avait rapidement intégré fondue et autres tartiflettes dans sa culture. Mais cette fois, ce serait une soirée raclette. Tous les ingrédients étaient déjà réunis, la charcuterie était déjà prête et oignons et cornichons n’attendaient plus qu’à se faire croquer.

Pour profiter pleinement de la soirée, elle avait convié ses invités à venir de bonne heure.

Il était pratiquement 18 h 45 quand le timbre de la sonnette retentit…

Monica se regarda dans le miroir de l’entrée et passa machinalement sa main dans les cheveux, comme si elle allait les recoiffer. La porte s’ouvrit sur seulement quatre personnes qui attendaient, sourires aux lèvres. Chacun à leur tour s’embrassèrent, trois bises, la coutume locale, cela prit du temps. Une fois délestés de leurs manteaux, ils la suivirent dans le salon où elle avait préparé l’apéritif. Tous se connaissaient, ayant déjà fait d’autres repas ensemble. De plus, ils étaient venus dans une seule voiture, habitant proche les uns des autres.

Monica les installa dans les canapés et interrogea immédiatement son amie Magali. Elle lui demanda où était passé Bertrand, alors qu’ils devaient arriver tous en même temps.

C’est Sébastien, son conjoint, qui répondit. Il avait été prévenu un peu plus tôt qu’il ne pourrait pas être à l’heure, car il avait un important travail en retard à finir et avait promis de les rejoindre plus tard. Il s’en excusait d’avance.

Le jeune couple était ses anciens voisins de palier et ils avaient scellé une belle amitié qu’ils entretenaient, s’invitant régulièrement les uns chez les autres.

Assis au plus près de Monica, Ibrahim essayait de ne rater aucun de ses mouvements. Ce bel homme, grand et distingué, était secrètement amoureux, mais pas vraiment le plus discret. Il la dévorait des yeux et fantasmait sur elle depuis longtemps, espérant un jour réaliser ses secrètes pensées, très certainement osées.

Le jeune homme l’avait rencontré dans les couloirs onusiens. Lui-même faisait partie de la délégation du Sénégal, et originaire de Dakar. Au moins ils avaient la couleur de leur peau semblable et venaient de la même partie de l’Afrique.

Cela faisait un point de plus pour un éventuel rapprochement…

Plus en retrait, assise sur l’autre canapé, Julie était la collègue de travail, avec qui elle avait une réelle complicité. Chacune se faisant des confidences, elles avaient beaucoup de points en commun. Une belle amitié et une immense confiance l’une envers l’autre.

Le champagne était sur la table, les verres à côté… Plop ! fit le bouchon bien maîtrisé.

— On ne va pas attendre le retardataire, tant pis pour lui ! dit Monica.

Elle servit les verres et tout ce petit monde trinqua joyeusement…

L’apéritif était bien avancé et les 4 invités discutaient allègrement. Voyant alors que tous les verres étaient vides, Monica Sophie se fit un devoir d’ouvrir la seconde bouteille. Il fallait bien finir les quelques amuse-gueules qui restaient et peut-être que cela ferait venir Bertrand certainement plus rapidement…

Vers les 20 h, Monica, ne voyant toujours pas arriver son invité, décida de les faire passer à table pour un bon moment de plaisir.

L’appareil à raclette était fonctionnel et on sentit tout de suite une bonne odeur de fromage fondu. Chacun mangeait à sa faim, Monica avait prévu large, de quoi nourrir tout un bataillon… Les grandes discussions étaient au programme, il est vrai que les sujets d’actualité ne manquaient pas et les opinions étaient diverses et variées.

Il était un peu plus de 20 h 45 lorsque la sonnette se fit entendre à nouveau.

— Ah quand même ! dit Magali. Il est quand même un peu gonflé d’arriver aussi tard !

— Attends, tu vas voir, il va être bien reçu ! Continuez de manger, je reviens, je vais l’accueillir comme il se doit, renchérit Monica, d’un air plus que mécontent.

Elle se leva pour se diriger vers l’entrée. Après avoir déverrouillé la porte, elle l’ouvrit sans ménagement, et plutôt contrariée…

Devant elle lui apparut un beau bouquet de fleurs qui masquait le retardataire. Monica ne se gêna pas pour l’invectiver.

— Non, mais tu as vu quelle heure il est, c’est inadmissible… Et tu penses que ce sont tes fleurs qui vont pardonner ton retard ?

D’un seul coup, le bouquet s’abaissa et Monica découvrit alors son nouvel arrivant…

— Waouh ! quel accueil ! lui répondit alors l’homme aux fleurs.

Malgré son petit bonnet qu’il n’enlevait plus, elle n’eut absolument aucun mal à le reconnaître. En une fraction de seconde, le visage de Monica changea totalement d’expression, elle se décomposa.

Alors qu’elle arrivait agacée, elle fut complètement abasourdie et porta les deux mains sur ses joues. Des larmes intenses se mirent à couler. Ébranlée par l’émotion de celui qui se tenait devant elle.

— Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! tu es vivant !

Elle se jeta aussitôt dans ses bras, secouée de spasme, le serrant de toutes ses forces, et pleurant abondamment.

Après quelques longues secondes, elle se recula. Trop pressée de le faire pénétrer, elle lui prit la main qui était libre, mais surprise… Il résista.

Lui lâchant la main, elle le vit prendre un objet qu’il avait laissé contre le mur de l’entrée. Cette chose désormais ne le quittait plus et lui était indispensable ; une canne !

Avec sa démarche, elle comprit instantanément toutes les difficultés qu’il subissait.

Sans ménagement, elle lui enleva les belles fleurs et les posa sur le petit meuble qui était à côté. Les fleurs attendraient, ce n’était pas la priorité…

Avec ses mains, elle lui prit le visage et l’embrassa avec fougue… Mais rien ne se passa, enfin si… Elle ressentit un effet bizarre, un peu électrique… Elle recula la tête, le regardant intensément dans les yeux et recommença son baiser là où elle en était restée. Cette fois, elle y parvint, une langue insidieuse réussit à pénétrer dans sa cavité buccale, mais quelque chose la dérangea sans qu’elle puisse le définir. Elle le délesta de son beau manteau en cuir avant qu’il n’ait eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

Puis les yeux toujours très humides, elle le tira vers la salle à manger.

— Ah comme je suis heureuse ! Allez, viens, je vais te présenter à mes amis… Et puis tu as vraiment besoin de reprendre des forces. Tu t’es vu, t’es tout maigre !

Il n’avait pas encore eu le temps de s’exprimer depuis son arrivée.

— Je suis venu voir vous ! Pour apprendre un peu plus sur moi, pour parler, pas manger !

Monica ne releva pas, continua jusqu’à l’entrée de la salle, lui tenant toujours la main.

Elle lui fit signe de ne rien dire et pénétra dans la pièce d’abord seule.

Elle ne pouvait pas cacher qu’elle avait pleuré, lorsqu’elle s’adressa à ses invités, son maquillage avait largement coulé et ils s’en rendirent compte. Le silence s’installa immédiatement, et elle annonça d’une voix hésitante :

— Mes amis, ce n’est pas Bertrand qui est arrivé, mais c’est tant mieux ! La visite de ce retardataire est totalement inattendue. C’est une surprise magnifique… C’est vraiment merveilleux… Grâce à cette personne qui se trouve derrière moi, toute ma vie a changé… Je lui dois absolument tout… Vous la connaissez tous d’une manière ou d’une autre… La presse a suffisamment parlé de lui… Il revient dans notre monde après une longue bataille, « Tel le Phénix »… Accueillez mes amis, mon sauveur, mon protecteur, celui qui a une place très importante dans mon cœur… voici Pierre-Louis Perrillat.

Elle le tira définitivement dans la pièce et tous se levèrent pour l’applaudir longuement.

Très gêné et intimidé, il ne savait pas où se mettre, elle le guida à la seule place libre de la table. Il était à côté d’elle, fort heureusement ! Son cœur battait la chamade comme une collégienne. S’adressant aux invités, il leur dit :

— Désolé de déranger vous, pendant votre dîner, j’étais venu discuter avec Madame, pas vouloir couper votre soirée !

Monica comprit tout de suite qu’il se passait quelque chose d’anormal.

Son élocution était inhabituelle alors qu’il s’était toujours exprimé dans un parfait langage, de plus l’avoir entendu dire « Madame » en parlant d’elle, cela l’avait grandement choqué.

Sa réflexion fut pratiquement instantanée. Le baiser qu’il avait d’abord refusé était un signe ; il ne l’avait pas reconnue. C’était un coup terrible à encaisser, il avait perdu tous ses souvenirs. Elle fit comme si elle n’avait rien entendu, et posa discrètement sa main sur sa cuisse en le faisant glisser sur son pantalon. Il lui fallait reprendre contact au plus vite, pour ça elle allait devoir le travailler au corps, et ce dans tous les sens du terme…

La suite du repas se déroula assez bien, tous les convives voulaient en savoir un peu plus. Bien évidemment, Pierre-Louis ne pouvait pas répondre aux multiples interrogations, expliquant qu’il ne savait plus rien de sa vie d’avant, répétant ce qu’on lui avait appris. Les questions s’orientèrent et se concentrèrent plus sur son état de santé actuel avant d’aborder des sujets plus futiles, pour le mettre à l’aise.

Il était pratiquement 23 h quand Magali donna le signal du départ pour abréger la soirée, prétextant une fatigue. Après avoir discrètement regardé sa montre, elle avait très bien remarqué que Monica s’impatientait et voulait passer du temps en tête à tête avec son prince charmant. À la façon dont elle semblait le dévorer des yeux, ce ne serait assurément pas une simple discussion. Toutes deux s’étaient déjà fait des confidences très intimes et Magali connaissait bien ses goûts pour la chose. Ensemble, elles avaient déjà évoqué plusieurs fois la relation qu’elle avait eue avec Pierre-Louis, sa grande bonté et son dévouement pour l’avoir ainsi bien protégé, voire même bien plus…

Ibrahim, par contre, n’était pas forcément très heureux du déroulement de cette veillée, il avait un tout autre plan en tête. Ce n’était pas ce soir qu’il allait assouvir son fantasme avec l’Ivoirienne, mais il n’était pas de taille pour lutter avec un revenant qui avait sauvé la vie de la belle Monica.

Il réalisa qu’il avait beaucoup à faire avant d’arriver à ses fins.

Cela allait surtout prendre infiniment plus de temps, avec l’apparition soudaine de son miraculé sauveteur. Qu’importe, il attendrait, il sentait une certaine alchimie entre eux, alors patience…

Un à un, les invités s’effacèrent, faisant la bise, et félicitèrent la maîtresse de maison ; puis ils saluèrent chaudement Pierre-Louis, le calme revint enfin… Monica ne perdit pas de temps et alla directement embrasser Pierre-Louis resté assis à la table.

— Installe-toi sur le canapé, ce sera plus confortable ! Donne-moi quelques minutes pour débarrasser la table et faire tourner le lave-vaisselle.

— Voulez-vous un peu d’aide ? demanda poliment Pierre-Louis.

— Non, je te remercie, et arrête donc de me vouvoyer, s’il te plaît enfin ! Tu dois comprendre que l’on se connaît bien et je dirais même très bien !

Avec ses deux mains, elle lui enserra le visage doucement, déposant un rapide baiser qui la picota à nouveau et se mit à agiter ses faux cils comme une invitation coquine… Puis elle débarrassa sommairement la table, se dépêcha de mettre le tout dans le lave-vaisselle. Ensuite, elle passa rapidement dans la salle de bain se rafraîchir, et revint illico dans le salon jouant avec sa démarche chaloupée pour mettre en valeur ses formes.

— Excuse-moi pour ne pas t’avoir laissé parler comme tu le voulais, mais mon cœur débordait de bonheur en te voyant. Je suis tellement heureuse de te voir… Il faut que tu comprennes certaines choses… Alors je vais résumer… Je conçois ton amnésie totale, c’est très difficile pour toi, mais aussi pour tous tes proches et donc pour moi aussi…

Peut-être que j’aurais voulu éviter de te revoir avant ton accident, mais pour tout autre chose !

Tu as bien compris que tu as complètement bouleversé ma vie, mais dans le meilleur des sens. Vous avez tellement pris soin de moi, ta mère, ton amie Émilie et surtout toi. J’ai essayé de te remercier à ma manière, mais je ne voulais pas que tu tombes amoureux de moi. Ç’a été très difficile pour toi, et pour moi aussi… Ensuite avec ton accident, j’ai passé une période extrêmement laborieuse, ne sachant pas réellement ce qu’il advenait de toi. Toutes les nouvelles, je les ai eues par Marinette, ta voisine que j’avais missionnée, qui appelait sans cesse ta mère. Moi je n’osais pas le faire, elle savait très bien que nous avions eu une relation intense, cela aurait été malvenu. Je savais que tu allais un peu mieux ces derniers temps, mais je n’aurais jamais pensé que tu viennes jusqu’à moi. Je ne comprends pas très bien. Si tu ne te souviens pas de moi, comment as-tu fait pour me retrouver ?

— Eh bien voilà, Mam, enfin ma mère, triait diverses photos pour un album, et les vôtres… Pardon, les tiennes, me sont apparues. J’ai été immédiatement attiré par toi, mais je ne sais pas dire pourquoi vraiment. C’est aussi pour ça que je suis venu, j’ai besoin de réponse, mais je ne voulais pas m’annoncer avant, pour voir ce qui allait se passer. Et puis après l’accueil surprenant que j’ai eu, je ne savais plus quoi dire, et je n’ai pas eu le temps en fait… Mam, en réalité, ne m’a pas trop donné de détails et n’était pas du tout emballée à l’idée que je vienne ici !

Monica sourit à ce moment-là, décidément « la Lionne » surveillait toujours autant son petit.

Ce n’était pas le moment de se la mettre du mauvais bord, mais après tout elle ne voulait que son bien. Cette réflexion l’inspira. Subitement, Monica lui prit la main pour l’aider à se relever et le tira énergiquement.

— Viens avec moi, je vais t’aider à retrouver tes souvenirs, suis-moi !!

— Où vas-tu ? demanda Pierre.

Monica se retourna, et en réponse agita à nouveau plusieurs fois ses longs faux cils, mettant un doigt sur la bouche. Mystère ! Puis elle le tira par la main en direction de sa chambre.

Arrivée dans la pièce, Monica alluma instantanément une lumière d’ambiance. Elle positionna ensuite Pierre devant le lit, resté planté. En un clin d’œil avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, elle l’avait débarrassée de sa chemise. Elle vit tout de suite les cicatrices qui balafraient son ventre et passa doucement les doigts dessus. Elle comprenait toutes les souffrances qu’il avait subies. Puis le regardant dans les yeux, elle défit calmement l’ouverture de son pantalon, baissa lentement la fermeture à glissière de la braguette et tira légèrement de façon que le pantalon tombe sur les chevilles. Avec la main posée sur son torse, elle n’eut pas à faire d’effort pour le faire tomber sur le lit. Le regard de Pierre s’était affolé, pas du tout préparé à ses avances, il paniquait.

Puis avec beaucoup de délicatesse, elle lui retira ses chaussures, prenant grand soin du pied droit meurtri. Elle retira alors le pantalon et l’envoya promener en l’air tout en riant. À ce moment, elle se mit au-dessus de lui et l’embrassa avec passion, malgré cette sensation électrique. Pierre était toujours aussi stressé, ne se sentait pas à l’aise. Un homme violé, pensa-t-il ? Les rôles étaient inversés. Son corps tremblait et des frissons le parcouraient, de sa voix chevrotante, il lui avoua :

— Euh ! Je n’ai pas fait l’amour depuis mon accident et je n’ai pas eu encore l’envie. Je ne sais pas si je suis encore… alors…

Monica lui mit un doigt sur la bouche et lui dit :