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"La louve" est un conte métaphorique qui plonge dans les profondeurs de l’âme humaine, révélant ses ombres et contradictions. À travers Zina, une mère veuve, se dessine une société disloquée par l’injustice, où les êtres s’entre-déchirent. Pourtant, certains s’efforcent de bâtir, d’embellir, de donner du sens à la vie. Entre les justes et les imparfaits, la tension est palpable : ils se guettent, se protègent, et parfois s’allient pour alléger les souffrances. Mais ces efforts suffiront-ils à sauver un monde sur le fil, prêt à basculer dans la violence ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Imprégné par la littérature classique,
Amor Saadaoui embrasse avec conviction la voie de l’écriture. Ses œuvres, nourries par l’héritage des grands auteurs des XIXᵉ et XXᵉ siècles, révèlent un style à la fois riche et intemporel, invitant le lecteur à redécouvrir la profondeur et l’élégance de ces périodes marquantes.
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Seitenzahl: 171
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Amor Saadaoui
La louve
Conte
© Lys Bleu Éditions – Amor Saadaoui
ISBN : 979-10-422-4724-9
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Aux jeunes de ma ville Fériana la rose
Le renouveau renaîtra aux pieds de la Roche-Noire.
Une foule s’amassa autour de la tombe. On y plaça délicatement la vieille dépouille. On la ferma avec trois grandes pierres plates taillées, tenues par les bords des murs de la tombe construits ce matin même. Avec de la boue et des cailloux, on boucha les petites ouvertures qui restaient. Trois pelles passèrent d’une personne à une autre et rendirent le tas de terre sur la tombe en formant un monticule de deux mètres de long environ avec deux pierres blanches plantées à ses bouts. On finit de réciter les versets coraniques consacrés à cette occasion et tout le monde leva les mains et récita la « Fatiha » d’une voix commune, lente et grave, qui se termina par un « Amen » suppliant. Toutes ces paroles montèrent vers les cieux, vers le créateur de la vie et de la mort.
La foule se dispersa et prit le chemin du retour. Les uns relataient la vie du défunt et ses qualités. Les autres parlaient de leurs occupations. Ils demandaient des nouvelles les uns des autres, des enfants, de l’école et de la crise du chômage.
Tous s’éloignaient du cimetière et le souvenir du mort s’éloignait de leur esprit. Le voilà qui logeait sous le sol dans un repos éternel et voici les vivants qui s’occupaient de leur quotidien pénible et fatigant.
Hadi, ce petit homme de quarante ans, était vêtu modestement, avec un voile de poussière sur les cheveux et le visage. Le regard triste et les yeux encore humides, il demeura debout près de la tombe de son oncle et, à la fois, son beau-père. Il voyait les gens s’éloigner et disparaître dans les ruelles étroites et insalubres du « Douar ». Ce nom « Douar » indique le lieu où campaient provisoirement les nomades. Ils installèrent leurs tentes et formèrent une cour circulaire où se ramassaient leurs biens et se groupaient leurs animaux sous le regard vigilant des chiens gardiens.
L’homme contempla le sol où on avait enfoui pour toujours le corps du vieil oncle. Il se demanda :
« Lequel de ces gens qui s’en vont reviendra le premier, accompagné d’une autre foule et réside définitivement parmi les dormeurs du cimetière ? Ne serait-ce pas moi ? »
Un léger frisson l’effleura et il pensa : « Oh, ce n’est pas encore le moment pour moi. Mes enfants sont encore jeunes et ont fortement besoin de moi. Zina, ma pauvre femme, ne pourra pas faire un seul pas toute seule. Je suis en bonne santé et cela ne se fera probablement qu’un peu plus tard. J’ai sans doute de longues années à vivre devant moi. »
Orphelin, l’oncle l’avait adopté et l’avait élevé avec ses enfants. Il l’avait toujours traité en vrai fils et plus tard, il était devenu son beau-fils en épousant sa fille Zina. Le vieux était son seul soutien.
À l’aube de l’indépendance, une partie de la famille a immigré vers la ville de Tunis. Ces hommes, ces femmes et ces enfants s’étaient installés à quelques kilomètres à l’ouest de la banlieue de la capitale. Ils habitaient des tentes, gardaient leurs petits troupeaux et travaillaient dans les champs fertiles de la région. Quelques-uns osaient timidement s’engloutir dans le bain trouble de la grande ville et cherchaient du travail. Sur le marché du gros, ils vidaient et chargeaient les longues et basses charrettes à quatre roues. Ils s’inscrivaient parmi les ouvriers de la voirie ou exécutaient les lourdes corvées des dockers au port de Tunis-Marine.
Un petit village avait lentement et discrètement poussé. Il gardait le nom de l’attroupement initial qui avait, illégalement, conquis cette terre.
Le Douar demeurait longtemps en contraste flagrant avec son entourage. Il se confondait au sol par ses couleurs fades et fanées. Il sombrait dans l’obscurité pendant la nuit et puisait son eau dans les puits des champs voisins. Les enfants s’inscrivaient dans les écoles des agglomérations environnantes. Mal chaussés et pauvrement habillés, ils battaient de longues distances pendant les bonnes et les méchantes journées. Les hommes et les femmes se perdaient dans toutes les directions à la recherche d’un boulot et ne revenaient que la nuit. Pendant que le voisinage scintillait et les sommets de la grande ville de Tunis s’embrasaient de lumière, le Douar s’effaçait dans l’épaisse obscurité et ses habitants reposaient dans les ténèbres en attendant la naissance de la douce lumière de l’aurore.
Les écoliers étudiaient et préparaient leurs devoirs à la faible lumière des bougies ou des lampes à pétrole. Le temps révolu, des poteaux étaient levés et une toile de fil s’était étendue par-dessus les toits et s’était accrochée à toutes les constructions, elle éclairait les rues et illuminait l’intérieur des maisons. Accrochées au mur, quelques lampes à pétrole gardaient leurs places. Elles défiaient ces ampoules, qui pendaient aux plafonds, au moment des pannes électriques qui demeuraient fréquentes.
Hadi fut orienté au lycée Khaznadar, à quelques kilomètres de chez lui. Il arrêta ses études à cause de l’indisponibilité des moyens de transport. Il ne put supporter les longues journées qu’il passait devant le lycée ou dans la salle d’étude. Il partait tous les jours avant le lever du soleil et rentrait quand il faisait nuit. Il cessa d’aller au lycée et s’engagea avec les membres de la famille dans les travaux aux champs chez les grands agriculteurs. Zina était plus grande que son âge, elle était haute et bien dégagée. On avait vainement prié l’oncle pour la scolariser. Elle s’était suffi de quelques leçons hâtives divulguées par le petit Hadi : il lui apprit à déchiffrer des mots ou à lire difficilement une ou deux lignes dans un livre ou sur un journal.
À la fin de sa sixième année, Hadi fut admis au concours d’entrée en première année de l’enseignement secondaire. C’était la joie chez le vieil oncle, on distribua aux voisins de la grenadine à la menthe avec du biscuit gaufrette à la crème. Zina et les petites filles du quartier dansèrent au tapage d’une bruyante musique populaire. Les hommes et les femmes venaient féliciter le lauréat et lui souhaiter un avenir radieux.
Hadi dépassait Zina de quatre ans. Ils grandissaient côte à côte dans le même foyer. Ils s’aimaient et se querellaient comme un frère et une sœur. Le garçon gardait une taille d’un mètre soixante-douze centimètres alors que Zina continua à croître et le dépassa d’une dizaine de centimètres environ. Elle le regardait d’en haut, mais elle lui obéissait et se soumettait à ses ordres. Il était son aîné et cela lui procurait des droits que Zina devait prendre en compte et considérer.
Hadi acheva son service militaire et rentra chez lui au Douar. Zina avait dix-sept ans quand son père décida de la marier à son neveu et fils adoptif. La cérémonie fut très simple et les mariés demeurèrent avec le reste de la famille dans la même maison, vivant dans une chambre à l’écart. Ils menaient leur train de vie ordinaire, partageaient tout avec tout le monde. Ils ne se rencontraient seuls que la nuit pour rêver un peu d’un avenir qui s’annonçait difficile. Un avenir qui exigeait beaucoup de labeurs, de l’ambition et énormément d’efforts.
Hadi travaillait dans les champs. Il s’occupait aussi des chevaux d’un grand propriétaire de la région. Il nettoyait les écuries et veillait à la propreté des bêtes. Il appliquait convenablement et fidèlement les recommandations du médecin vétérinaire et de l’ingénieur zootechnicien. Une affection douce naissait entre Hadi et ces animaux de race. Cela augmentait l’estime de ses patrons envers lui et le rendait très utile. On lui fournit un logement tout près des chevaux. Il y résida avec sa famille. Il était, à mi-chemin, entre le Douar et l’hippodrome de Kassar Saïd où il menait les chevaux pour les entraînements et à l’occasion des courses.
Plus tard, le propriétaire lui légua un terrain à bâtir à l’extrémité de la ferme et à proximité des écuries. Cette offre augmenta l’enthousiasme du jeune ouvrier. Il entama la construction d’une maison modeste avec l’aide et le concours du généreux patron. Pendant les grandes occasions, lorsqu’un cheval gagnait une course, au comble du bonheur, Hadi touchait une prime qui dépassait de deux à trois fois son salaire. Il versait ces sommes dans un carnet d’épargne postal au nom de sa femme Zina qui s’était collée à lui pour toute la vie et dans toutes les circonstances. Grâce à son endurance et sa patience, la bonne Zina fit de son mari un homme heureux, affectueux et admirable. Il adorait sa femme et aimait ses enfants à la folie. Au bout de dix-sept ans de mariage, Hadi et Zina se trouvèrent avec sept enfants : quatre filles et trois garçons qui vivaient heureux dans la chaleur et l’entente qui régnaient entre les deux parents.
Hadi se réveilla subitement de ses songes. Il se tourna vers la tombe du vieil oncle, leva les mains, baissa les yeux et récita lentement les trois dernières sourates du coran et la Fatiha. Il pleura chaudement, ses larmes refusaient de s’arrêter, elles débordèrent puis coulèrent sur ses joues en laissant des traits sur la poussière qui les couvrait.
Hadi rentra au Douar en s’essuyant les yeux et le visage à l’aide de la manche de son vieux veston en velours beige.
***
Hadi entra dans la cour de la maison, l’ambiance avait totalement changé. Les femmes, affairées, allaient et venaient, préparaient du couscous, le mettaient dans de grands plats avec de gros morceaux de viande, des pois chiches et du raisin sec. Des hommes servaient les « Tolbas » qui venaient de lire tout le coran. Cela se faisait pour le calme et la quiétude de l’âme du défunt dans l’au-delà, témoin de la bonne foi des vivants et leurs vœux de béatitude et de félicité pour le cher disparu. Les enfants couraient, jouaient et criaient avec des éclats de rire et une joie innocente. On parlait un peu de tout. Des amis se préparaient à partir et des proches qui venaient de loin s’excusaient et quittaient avant de rater le train ou l’autocar.
Hadi prit une chaise pour s’asseoir lorsque sa fille aînée lui fit signe, il la suivit jusqu’à la fameuse chambre où il habitait avec sa petite famille après le mariage. Il rentra derrière sa fille. Il vit sur un lit à une place, sa femme étendue. Elle tremblait comme quelqu’un qui avait terriblement froid. Son visage était pâle et ses yeux entrouverts montraient le blanc et dissimulaient le noir sous les paupières supérieures. Elle frissonnait légèrement. Une femme lui tenait les mains et les massait en l’appelant d’une voix très basse.
Zina ne répondait pas. Elle poussait de légers gémissements comme si elle avait mal. De temps en temps, on croyait qu’elle allait pleurer, mais elle s’arrêtait et poussait des soupirs.
Hadi sortit hâtivement en disant : « Il faut l’emmener à l’hôpital, cela ne peut pas attendre ! »
Sa fille lui dit que Zina venait d’arriver du dispensaire. On lui avait appliqué une piqûre et on lui avait prescrit des médicaments. Le médecin de service a affirmé que cela était dû au choc et à la triste circonstance qu’elle avait vécue ce jour-là. Cela passera et bientôt elle se rétablira. Le malheureux mari se calma, prit l’ordonnance, sauta dans la camionnette que son patron avait mise à sa disposition et partit.
Hadi était nerveux, ses idées se brouillaient de plus en plus. Il sentait qu’il allait chuter. Il accéléra dans le but de revenir très rapidement. Il arriva près de l’hippodrome de Kassar Saïd puis tourna à gauche pour gagner la première avenue. Après le passage à niveau, à l’entrée de la ville de Manouba, Hadi ne marqua pas le stop. Un monstrueux camion à semi-remorque, transportant une lourde charge de ciment et roulant à toute allure, accrocha la petite camionnette et la traîna devant lui sur une interminable vingtaine de mètres. Tout s’arrêta après un bruit terrible de fonte et d’acier qui se frottaient et dégageaient une nuée d’étincelles avec une grosse boule de fumée puis s’écrasaient et se déchiraient contre la chaussée.
Du monde accourut et regarda avec effroi cette masse mélangée à la chair et aux os du pauvre chauffeur. Du sang gouttait à travers le métal et formait une tache qui grandissait et se coagulait sur la route goudronnée. Les autorités furent rapidement avisées et la catastrophe fut portée dans un procès-verbal sur un grand registre à feuilles jaunes. Les pompiers s’attaquèrent à la boule de métal qui jonchait la route et à l’aide d’un chalumeau, ils forcèrent la porte et dégagèrent le corps affreusement mutilé de la victime. Les gens qui assistaient à la manœuvre tournèrent leurs regards de frayeur. Ils ne supportaient pas la vue de ce corps devenu méconnaissable sans traits ni identité. On le transporta à l’hôpital et on fit disparaître ce qui restait de la camionnette. Au bout de quelques minutes, la route fut ouverte à la circulation. Tout rentra dans l’ordre et ce qui s’était passé resta un triste souvenir dans la mémoire des personnes qui avaient eu la fâcheuse occasion d’y assister et un fait divers dans le coin d’une page de quelques journaux.
La nouvelle tomba comme une foudre sur la famille déjà endeuillée par la mort du vieil oncle. Un autre mal, plus atroce, a fini par les anéantir. La pauvre mère et ses enfants sentirent que le monde se vidait autour d’eux et que le sort les broyait sauvagement et sans pitié. On pleurait, on criait, on se lamentait, on se battait. On se griffait et on se cognait contre le sol comme hanté par le diable. Le malheur était très grand et rien ne pouvait l’alléger. Zina ne bougeait plus de sa place, elle n’avait plus la force de souffrir encore plus. La douleur traversa la matière, la dépassa et s’infiltra au plus profond de son âme. Une grave blessure fit saigner son cœur. Son esprit stagna et ses sens s’engourdirent. Elle était revenue à l’état bestial. Elle avait perdu tout pouvoir sur ses facultés. Hébétée, elle s’éloignait de la triste réalité et regardait tout ce qui se passait comme une étrangère. Un cauchemar que Dieu seul savait quand il finirait. Une semaine après les funérailles, Zina et ses enfants retournèrent chez eux. Dans leur maison, la vie reprenait tant bien que mal. Les enfants revenaient à leurs études. La fille aînée et sa sœur cadette s’occupaient de la famille et surtout de leur mère. Zina demeurait tout à fait absente. Elle regardait étrangement ce qui se faisait sans la moindre réaction. Ses filles et ses garçons l’entouraient, lui parlaient et lui disaient qu’ils avaient besoin d’elle. Zina les regardait souffrir avec une pénible indifférence. Le tout petit garçon, Manoubi, cet enfant de trois ans, s’enfuyait et se cachait en la voyant. Plusieurs fois, on le trouvait accroupi ou étendu dans un coin de la basse-cour ou camouflé, sous un arbre, par les hautes herbes. On l’amenait et on le mettait entre les mains de la pauvre mère qui regardait très loin sans voir personne autour d’elle. Cela augmentait la frayeur du petit qui se débattait et allait s’embusquer sous le lit dans la chambre de ses sœurs.
Cet air bizarre de la mère se reflétait petit à petit sur les enfants. Ils ne communiquaient plus avec elle comme auparavant. Ils doutaient de ses facultés et une sorte d’angoisse régnait. La fille aînée Halima et sa sœur cadette Safa se chargeaient du lourd fardeau de la famille. Elles s’occupaient de tout le monde. Elles les nourrissaient, les blanchissaient, les assistaient et leur prodiguaient toute leur affection. Cela ne pouvait pas combler le grand vide que laissaient Hadi avec sa disparition définitive et Zina avec l’occlusion de ses facultés mentales et affectives.
Un soutien sans réserve leur parvenait des cousins, des proches du Douar et aussi des voisins. La femme du patron de la ferme et des champs où travaillait jadis leur père Hadi venait assister la pauvre maman. Elle aidait les fillettes et leur procurait des provisions. Elle parlait avec les enfants, les encourageait et rebâtissait en eux l’espoir et l’amour de la vie. Elle était vraiment une main bienfaisante. Elle soulageait leurs souffrances et pansait leurs profondes blessures.
Le cours de la vie se faisait généralement en fonction des circonstances, de l’enthousiasme et de la vivacité des sentiments qui animent les personnes.
« Le temps arrange bien les choses ! » dit-on.
Ce même temps laissait ternir les belles couleurs, faner la fraîcheur des créatures, déformer les allures et arrêter l’emportement des enthousiasmés. Au bout de quelques semaines, les visites des proches qui venaient du Douar diminuaient puis devenaient rares. L’intérêt des voisins décroissait. La femme du patron se trouvait retenue par ses occupations et ses activités quotidiennes. Elle demandait des nouvelles de la mère et des petits quand une rencontre hâtive la croisa avec l’une des deux grandes sœurs. La pauvre famille était alors livrée à son sort, un sort qui s’annonçait pénible et difficile.
***
Depuis deux ou trois jours, les enfants de Hadi ne sont pas allés à l’école. On ne les voyait plus. Un silence régnait sur leur maison. Des écoliers venaient frapper à la porte. Quelques voisins se demandaient :
« Où cette pauvre famille est-elle allée ?
Quand ont-ils quitté le quartier ? »
Des enfants affirmaient avoir entendu des cris venant de l’intérieur. On mettait vainement les oreilles sur la porte et regardait à travers le trou de la serrure et par la vitre de l’unique fenêtre qui ouvrait sur la rue. Le seul indice de vie qui se manifestait était ce fil de lumière qui apparaissait la nuit au fond du couloir.
Des gens disaient que cette famille, frappée par le mal et la misère, était partie au Douar chez leurs proches où ils cherchaient secours et refuge. D’autres pensaient que la maman était gravement déséquilibrée. Elle ne mangeait plus depuis quelque temps, elle agonisait silencieusement entre ses enfants qui ne la quittaient plus. Un gardien des étables avoisinant la maison des sinistrés prétendait entendre des cris la nuit et voir des ombres circuler dans la petite cour arrière de la demeure. Il avait même vu un animal étrange avec des yeux qui brillaient comme des flammes, sauter par-dessus le mur et s’envoler dans l’obscurité. Le ton se haussait et les voisins interdisaient aux enfants de sortir pendant la nuit et quelques adultes se retenaient chez eux jusqu’au lever du jour. Tout le monde prenait ses précautions et la maison du défunt Hadi devenait une hantise qui effrayait les voisins. Une terrible histoire prenait le dessus sur toutes les autres. Une vieille dame racontait que dans son rêve, elle avait vu Zina enlaidie par la maladie, un museau poussait au milieu de son visage avec de terribles crocs longs comme les doigts d’une main, pointus et très blancs. Subitement, Zina se transforma en une louve sauvage et farouche, aussi grande qu’un ânon. Elle dévora ses enfants, l’un après l’autre, puis elle défonça la porte arrière et sauta comme un éclair et s’évapora dans les ténèbres. Cette histoire compléta celle du gardien de nuit et les voisins y crurent. Une peur mêlée de crainte et de stupeur gagna tous les foyers. On ne parlait que de la mystérieuse louve qui avait dévoré ses enfants.
En réalité, personne ne connaissait la vérité. Avant que les habitants ne constatent la disparition mystérieuse de Zina la louve et ses enfants, un incident s’était produit : au milieu de la nuit, Zina qui ne dormait que très peu et ne mangeait que rarement avait parlé. Elle disait en tremblant, les dents serrées et le visage crispé :
« Non, non, tu ne les prends pas ! Va-t’en ! Va-t’en, je te dis ! »