La Main gauche - Guy de Maupassant - E-Book

La Main gauche E-Book

Guy de Maupassant

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Beschreibung

La Main gauche est le quatorzième recueil de nouvelles de l'écrivain Guy de Maupassant |1889|.

Guy de Maupassant était un maître de la nouvelle. Cette collection affiche sa diversité vivante, avec des contes qui varient en thème et en ton, allant de la tragédie et de la satire à la comédie et à la farce. Dans un style lucidement direct, il offre un réalisme sans faille et une ironie sceptique. Il dépeint les tromperies, les hypocrisies et les vanités à différents niveaux de la société. La prostitution est décrite avec franchise, tandis que la dureté de la guerre est habilement exposée.
Ses contes ont été télévisés et ont influencé les films, les opéras et la musique rock. Sans illusion mais humain, Maupassant reste notre contemporain.
| Source Introduction par Cedric Watts, M.A., Ph.D. |

Histoires courtes :
Allouma
Hautot père et fils
Boitelle
L’Ordonnance
Le Lapin
Un soir
Les Épingles
Duchoux
Le Rendez-vous
Le Port
La Morte

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SOMMMAIRE

RECUEIL |14| - LA MAIN GAUCHE (1899)

ALLOUMA

HAUTOT PÈRE ET FILS

BOITELLE

L’ORDONNANCE

LE LAPIN

UN SOIR

LES ÉPINGLES

DUCHOUX

LE RENDEZ-VOUS

LE PORT

LA MORTE

GUY DE MAUPASSANT

LA MAIN GAUCHE

RECUEIL |14|

COLLECTION COMPLÈTENOUVELLES

GUY DE MAUPASSANT

P. Ollendorff, 1899

Raanan Editeur

Livre 831 | édition 1

RECUEIL |14| - LA MAIN GAUCHE(1899)

Allouma

Hautot père et fils

Boitelle

L’Ordonnance

Le Lapin

Un soir

Les Épingles

Duchoux

Le Rendez-vous

Le Port

La Morte

ALLOUMA

I

Un de mes amis m’avait dit : Si tu passes par hasard aux environs de Bordj-Ebbaba, pendant ton voyage, en Algérie, va donc voir mon ancien camarade Auballe, qui est colon là-bas.

J’avais oublié le nom d’Auballe et le nom d’Ebbaba, et je ne songeais guère à ce colon, quand j’arrivai chez lui, par pur hasard.  

Depuis un mois, je rôdais à pied par toute cette région magnifique qui s’étend d’Alger à Cherchell, Orléansville et Tiaret. Elle est en même temps boisée et nue, grande et intime. On rencontre, entre deux monts, des forêts de pins profondes en des vallées étroites où roulent des torrents en hiver. Des arbres énormes tombés sur le ravin servent de pont aux Arabes, et aussi aux lianes qui s’enroulent aux troncs morts et les parent d’une vie nouvelle. Il y a des creux, en des plis inconnus de montagne, d’une beauté terrifiante, et des bords de ruisselets, plats et couverts de lauriers-roses, d’une inimaginable grâce.

Mais ce qui m’a laissé au cœur les plus chers souvenirs en cette excursion, ce sont les marches de l’après-midi le long des chemins un peu boisés sur ces ondulations de côtes d’où l’on domine un immense pays onduleux et roux depuis la mer bleuâtre jusqu’à la chaîne de l’Ouarsenis qui porte sur ses faîtes la forêt de cèdres de Teniet-el-Haad.

Ce jour-là je m’égarai. Je venais de gravir un sommet, d’où j’avais aperçu, au-dessus d’une série de collines, la longue plaine de la Mitidja, puis par-derrière, sur la crête d’une autre chaîne, dans un lointain presque invisible, l’étrange monument qu’on nomme le Tombeau de la Chrétienne, sépulture d’une famille de rois de Mauritanie, dit-on. Je redescendais, allant vers le Sud, découvrant devant moi jusqu’aux cimes dressées sur le ciel clair, au seuil du désert, une contrée bosselée, soulevée et fauve, fauve comme si toutes ces collines étaient recouvertes de peaux de lion cousues ensemble. Quelquefois, au milieu d’elles, une bosse plus haute se dressait, pointue et jaune, pareille au dos broussailleux d’un chameau.

J’allais à pas rapides, léger comme on l’est en suivant les sentiers tortueux sur les pentes d’une montagne. Rien ne pèse, en ces courses alertes dans l’air vif des hauteurs, rien ne pèse, ni le corps, ni le cœur, ni les pensées, ni même les soucis. Je n’avais plus rien en moi, ce jour-là, de tout ce qui écrase et torture notre vie, rien que la joie de cette descente. Au loin, j’apercevais des campements arabes, tentes brunes, pointues, accrochées au sol comme les coquilles de mer sur les rochers, ou bien des gourbis, huttes de branches d’où sortait une fumée grise. Des formes blanches, hommes ou femmes, erraient autour à pas lents ; et les clochettes des troupeaux tintaient vaguement dans l’air du soir.  

Les arbousiers sur ma route se penchaient, étrangement chargés de leurs fruits de pourpre qu’ils répandaient dans le chemin. Ils avaient l’air d’arbres martyrs d’où coulait une sueur sanglante, car au bout de chaque branchette pendait une graine rouge comme une goutte de sang.

Le sol, autour d’eux, était couvert de cette pluie suppliciale, et le pied écrasant les arbouses laissait par terre des traces de meurtre. Parfois, d’un bond, en passant, je cueillais les plus mûres pour les manger.

Tous les vallons à présent se remplissaient d’une vapeur blonde qui s’élevait lentement comme la buée des flancs d’un bœuf ; et sur la chaîne des monts qui fermaient l’horizon, à la frontière du Sahara, flamboyait un ciel de Missel. De longues traînées d’or alternaient avec des traînées de sang – encore du sang ! du sang et de l’or, toute l’histoire humaine – et parfois entre elles s’ouvrait une trouée mince sur un azur verdâtre, infiniment lointain comme le rêve.

Oh ! que j’étais loin, que j’étais loin de toutes les choses et de toutes les gens dont on s’occupe autour des boulevards, loin de moi-même aussi, devenu une sorte d’être errant, sans conscience et sans pensée, un œil qui passe, qui voit, qui aime voir, loin encore de ma route à laquelle je ne songeais plus, car aux approches de la nuit je m’aperçus que j’étais perdu.

L’ombre tombait sur la terre comme une averse de ténèbres, et je ne découvrais rien devant moi que la montagne à perte de vue. Des tentes apparurent dans un vallon, j’y descendis et j’essayai de faire comprendre au premier Arabe rencontré la direction que je cherchais.  

M’a-t-il deviné ? je l’ignore ; mais il me répondit longtemps, et moi je ne compris rien. J’allais, par désespoir, me décider à passer la nuit, roulé dans un tapis, auprès du campement, quand je crus reconnaître, parmi les mots bizarres qui sortaient de sa bouche, celui de Bordj-Ebbaba.

Je répétai : – Bordj-Ebbaba. – Oui, oui.

Et je lui montrai deux francs, une fortune. Il se mit à marcher, je le suivis. Oh ! je suivis longtemps, dans la nuit profonde, ce fantôme pâle qui courait pieds nus devant moi par les sentiers pierreux où je trébuchais sans cesse.

Soudain une lumière brilla. Nous arrivions devant la porte d’une maison blanche, sorte de fortin aux murs droits et sans fenêtres extérieures. Je frappai, des chiens hurlèrent au-dedans. Une voix française demanda : « Qui est là ? »  

Je répondis :

— Est-ce ici que demeure M. Auballe ?

— Oui.

On m’ouvrit, j’étais en face de M. Auballe lui-même, un grand garçon blond, en savates, pipe à la bouche, avec l’air d’un hercule bon enfant.

Je me nommai ; il tendit ses deux mains en disant : « Vous êtes chez vous, monsieur. »

Un quart d’heure plus tard je dînais avidement en face de mon hôte qui continuait à fumer.

Je savais son histoire. Après avoir mangé beaucoup d’argent avec les femmes, il avait placé son reste en terres algériennes, et planté des vignes.

Les vignes marchaient bien ; il était heureux, et il avait en effet l’air calme d’un homme satisfait. Je ne pouvais comprendre comment ce Parisien, ce fêteur, avait pu s’accoutumer à cette vie monotone, dans cette solitude, et je l’interrogeai.

— Depuis combien de temps êtes-vous ici ?

— Depuis neuf ans.

— Et vous n’avez pas d’atroces tristesses ?

— Non, on se fait à ce pays, et puis on finit par l’aimer. Vous ne sauriez croire comme il prend les gens par un tas de petits instincts animaux que nous ignorons en nous. Nous nous y attachons d’abord par nos organes à qui il donne des satisfactions secrètes que nous ne raisonnons pas. L’air et le climat font la conquête de notre chair, malgré nous, et la lumière gaie dont il est inondé tient l’esprit clair et content, à peu de frais. Elle entre en nous à flots, sans cesse, par les yeux, et on dirait vraiment qu’elle lave tous les coins sombres de l’âme.  

— Mais les femmes ?

— Ah !… ça manque un peu !

— Un peu seulement ?

— Mon Dieu, oui… un peu. Car on trouve toujours, même dans les tribus, des indigènes complaisants qui pensent aux nuits du Roumi.

Il se tourna vers l’Arabe qui me servait, un grand garçon brun dont l’œil noir luisait sous le turban, et il lui dit :

— Va-t’en, Mohammed, je t’appellerai quand j’aurai besoin de toi.

Puis, à moi :

— Il comprend le français et je vais vous conter une histoire où il joue un grand rôle.

L’homme étant parti, il commença :

— J’étais ici depuis quatre ans environ, encore peu installé, à tous égards, dans ce pays dont je commençais à balbutier la langue, et obligé pour ne pas rompre tout à fait avec des passions qui m’ont été fatales d’ailleurs, de faire à Alger un voyage de quelques jours, de temps en temps.

J’avais acheté cette ferme, ce bordj, ancien poste fortifié, à quelques centaines de mètres du campement indigène dont j’emploie les hommes à mes cultures. Dans cette tribu, fraction des Oulad-Taadja, je choisis en arrivant, pour mon service particulier, un grand garçon, celui que vous venez de voir, Mohammed ben Lam’har, qui me fut bientôt extrêmement dévoué. Comme il ne voulait pas coucher dans une maison dont il n’avait point l’habitude, il dressa sa tente à quelques pas de la porte, afin que je pusse l’appeler de ma fenêtre.

Ma vie, vous la devinez ? Tout le jour, je suivais les défrichements et les plantations, je chassais un peu, j’allais dîner avec les officiers des postes voisins, ou bien ils venaient dîner chez moi.

Quant aux… plaisirs – je vous les ai dits. Alger m’offrait les plus raffinés ; et de temps en temps, un Arabe complaisant et compatissant m’arrêtait au milieu d’une promenade pour me proposer d’amener chez moi, à la nuit, une femme de tribu. J’acceptais quelquefois, mais, le plus souvent, je refusais, par crainte des ennuis que cela pouvait me créer.

Et, un soir, en rentrant d’une tournée dans les terres, au commencement de l’été, ayant besoin de Mohammed, j’entrai dans sa tente sans l’appeler. Cela m’arrivait à tout moment.

Sur un de ces grands tapis rouges en haute laine du Djebel-Amour, épais et doux comme des matelas, une femme, une fille, presque nue, dormait, les bras croisés sur ses yeux. Son corps blanc, d’une blancheur luisante sous le jet de lumière de la toile soulevée, m’apparut comme un des plus parfaits échantillons de la race humaine que j’eusse vus. Les femmes sont belles par ici, grandes, et d’une rare harmonie de traits et de lignes.

Un peu confus, je laissai retomber le bord de la tente et je rentrai chez moi.

J’aime les femmes ! L’éclair de cette vision m’avait traversé et brûlé, ranimant en mes veines la vieille ardeur redoutable à qui je dois d’être ici. Il faisait chaud, c’était en juillet, et je passai presque toute la nuit à ma fenêtre, les yeux sur la tache sombre que faisait à terre la tente de Mohammed.

Quand il entra dans ma chambre, le lendemain, je le regardai bien en face, et il baissa la tête comme un homme confus, coupable. Devinait-il ce que je savais ?  

Je lui demandai brusquement :

— Tu es donc marié, Mohammed ?

Je le vis rougir et il balbutia :

— Non, moussié !

Je le forçais à parler français et à me donner des leçons d’arabe, ce qui produisait souvent une langue intermédiaire des plus incohérentes.

Je repris :

— Alors, pourquoi y a-t-il une femme chez toi ?

Il murmura :

— Il est du Sud.

— Ah ! elle est du Sud. Cela ne m’explique pas comment elle se trouve sous ta tente.

Sans répondre à ma question, il reprit :

— Il est très joli.

— Ah ! vraiment. Eh bien, une autre fois, quand tu recevras comme ça une très jolie femme du Sud, tu auras soin de la faire entrer dans mon gourbi et non dans le tien. Tu entends, Mohammed ?

Il répondit avec un grand sérieux :

— Oui, moussié.

J’avoue que pendant toute la journée je demeurai sous l’émotion agressive du souvenir de cette fille arabe étendue sur un tapis rouge ; et, en rentrant, à l’heure du dîner, j’eus une forte envie de traverser de nouveau la tente de Mohammed. Durant la soirée, il fit son service comme toujours, tournant autour de moi avec sa figure impassible, et je faillis plusieurs fois lui demander s’il allait garder longtemps sous son toit de poil de chameau cette demoiselle du Sud, qui était très jolie.

Vers neuf heures, toujours hanté par ce goût de la femme, qui est tenace comme l’instinct de chasse chez les chiens, je sortis pour prendre l’air et pour rôder un peu dans les environs du cône de toile brune à travers laquelle j’apercevais le point brillant d’une lumière.

Puis je m’éloignai, pour n’être pas surpris par Mohammed dans les environs de son logis.

En rentrant, une heure plus tard, je vis nettement son profil à lui, sous sa tente. Puis ayant tiré ma clef de ma poche, je pénétrai dans le bordj où couchaient, comme moi, mon intendant, deux laboureurs de France et une vieille cuisinière cueillie à Alger.

Je montai mon escalier et je fus surpris en remarquant un filet de clarté sous ma porte. Je l’ouvris, et j’aperçus en face de moi, assise sur une chaise de paille à côté de la table où brûlait une bougie, une fille au visage d’idole, qui semblait m’attendre avec tranquillité, parée de tous les bibelots d’argent que les femmes du Sud portent aux jambes, aux bras, sur la gorge et jusque sur le ventre. Ses yeux agrandis par le khôl jetaient sur moi un large regard ; et quatre petits signes bleus finement tatoués sur la chair étoilaient son front, ses joues et son menton. Ses bras, chargés d’anneaux, reposaient sur ses cuisses que recouvrait, tombant des épaules, une sorte de gebba de soie rouge dont elle était vêtue.

En me voyant entrer, elle se leva et resta devant moi debout, couverte de ses bijoux sauvages, dans une attitude de fière soumission.

— Que fais-tu ici ? lui dis-je en arabe.

— J’y suis parce qu’on m’a ordonné de venir.

— Qui te l’a ordonné ?

— Mohammed.  

— C’est bon. Assieds-toi.

Elle s’assit, baissa les yeux, et je demeurai devant elle, l’examinant.

La figure était étrange, régulière, fine et un peu bestiale, mais mystique comme celle d’un Bouddha. Les lèvres, fortes et colorées d’une sorte de floraison rouge qu’on retrouvait ailleurs sur son corps, indiquaient un léger mélange de sang noir, bien que les mains et les bras fussent d’une blancheur irréprochable.

J’hésitais sur ce que je devais faire, troublé, tenté et confus. Pour gagner du temps et me donner le loisir de la réflexion, je lui posai d’autres questions, sur son origine, son arrivée dans ce pays et ses rapports avec Mohammed. Mais elle ne répondit qu’à celles qui m’intéressaient le moins et il me fut impossible de savoir pourquoi elle était venue, dans quelle intention, sur quel ordre, depuis quand, ni ce qui s’était passé entre elle et mon serviteur.

Comme j’allais lui dire : « Retourne sous la tente de Mohammed », elle me devina peut-être, se dressa brusquement et levant ses deux bras découverts dont tous les bracelets sonores glissèrent ensemble vers ses épaules, elle croisa ses mains derrière mon cou en m’attirant avec un air de volonté suppliante et irrésistible.

Ses yeux, allumés par le désir de séduire, par ce besoin de vaincre l’homme qui rend fascinant comme celui des félins le regard impur des femmes, m’appelaient, m’enchaînaient, m’ôtaient toute force de résistance, me soulevaient d’une ardeur impétueuse. Ce fut une lutte courte, sans paroles, violente, entre les prunelles seules, l’éternelle lutte entre les deux brutes humaines, le mâle et la femelle, où le mâle est toujours vaincu.

Ses mains, derrière ma tête, m’attiraient d’une pression lente, grandissante, irrésistible comme une force mécanique, vers le sourire animal de ses lèvres rouges où je collai soudain les miennes en enlaçant ce corps presque nu et chargé d’anneaux d’argent qui tintèrent, de la gorge aux pieds, sous mon étreinte.

Elle était nerveuse, souple et saine comme une bête, avec des airs, des mouvements, des grâces et une sorte d’odeur de gazelle, qui me firent trouver à ses baisers une rare saveur inconnue, étrangère à mes sens comme un goût de fruit des tropiques.

Bientôt… je dis bientôt, ce fut peut-être aux approches du matin, je la voulus renvoyer, pensant qu’elle s’en irait ainsi qu’elle était venue, et ne me demandant pas encore ce que je ferais d’elle, ou ce qu’elle ferait de moi.

Mais dès qu’elle eut compris mon intention, elle murmura :

— Si tu me chasses, où veux-tu que j’aille maintenant ? Il faudra que je dorme sur la terre, dans la nuit. Laisse-moi me coucher sur le tapis, au pied de ton lit.