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En une quarantaine d’articles empruntés à l’Encyclopædia Universalis, ce Dossier Universalis consacré à la Nouvelle Vague fait le tour d’une certaine idée du 7e art. Ce mouvement, né en France « de la rencontre du baby-boom et des Trente Glorieuses », a marqué durablement le cinéma mondial et en a renouvelé en profondeur les codes et les usages. Les principaux protagonistes de cette histoire (réalisateurs, actrices et acteurs, producteurs…) ainsi que les techniques qu’ils ont mises en œuvre sont passés en revue par les meilleurs spécialistes (Joël Magny, Alain Garel, Jean Collet, entre autres).
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Seitenzahl: 182
Veröffentlichungsjahr: 2015
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ISBN : 9782852291355
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En 1959, lors du 12e Festival international de Cannes, sont présentés simultanément Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais etLes 400Coups de François Truffaut, qui obtient le prix de la mise en scène. En février et mars étaient sortis avec succès les deux premiers films de Claude Chabrol, Le Beau Serge et Les Cousins. Deux ans plus tôt, Et Dieu créa la femme, de Roger Vadim, avec Brigitte Bardot dans le rôle principal, avait fait scandale. Le jeune critique François Truffaut jugeait le film « typique de notre génération, d’une grande franchise », à la fois amoral et puritain. En 1958, Truffaut saluait également Les Amants, de Louis Malle, avec Jeanne Moreau, comme « la première nuit d’amour du cinéma », « d’une pudeur absolue ». Pendant ce temps, dans des films moins ambitieux, le public s’habituait à de nouveaux visages, de nouveaux gestes et de nouveaux comportements : ceux d’Alain Delon, de Mylène Demongeot, de Jean-Paul Belmondo, de Sami Frey, de Pascale Petit... Leur jeu spontané et décontracté ne s’inspirait plus de Gérard Philipe ou Martine Carol, mais de Marlon Brando, James Dean, Cary Grant ou Marilyn Monroe.
« Il s’agissait avant tout d’une relève de génération », expliquera Éric Rohmer quelques années plus tard. La nouvelle vague est en effet née de la rencontre du baby-boom et des Trente Glorieuses, à la charnière de deux Républiques. L’année même du triomphe d’Alain Resnais et de François Truffaut à Cannes, le sociologue et démographe Alfred Sauvy publie La Montée des jeunes : une montée qu’il estime « irrépressible » parce que, biologiquement, « la matière vivante l’emporte [toujours] sur la matière morte ». C’est d’ailleurs un slogan journalistique, sans rapport avec le cinéma, qui a suscité le terme de « nouvelle vague ». Le 3 octobre 1957, L’Express titre : « La Nouvelle Vague arrive ! » Françoise Giroud y commente les résultats d’une enquête sociologique effectuée auprès de jeunes de 18 à 30 ans. Le terme passe l’année suivante de la sociologie au cinéma sous la plume du critique Pierre Billard.
« Nouvelle vague » désigne alors tout ce qui relève de la « jeunesse » au cinéma. On y mêle indistinctement nouveaux réalisateurs novateurs ou académiques, anciens assistants déjà usés et jeunes critiques ambitieux. C’est la « nouvelle vague » au sens le plus large. En 1959, un colloque organisé à La Napoule près de Cannes conclut que ce qui caractérise ce jeune cinéma français, c’est « la diversité » !
À l’intérieur de cette ruche, on repère trois groupes. Le premier, souvent appelé groupe Rive gauche, est constitué de cinéastes venus du court-métrage, politisés et proches des auteurs du Nouveau Roman : Alain Resnais, Agnès Varda, Chris Marker, Henri Colpi... Le second groupe est constitué de cinéastes venus de la critique et particulièrement des Cahiers du cinéma et de l’hebdomadaire Arts. Ce sont Maurice Schérer (qui prend le pseudonyme d’Éric Rohmer), Jacques Rivette, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Jean Douchet, Luc Moullet, et leurs proches, Jean-Daniel Pollet, Jacques Demy, Jacques Rozier, le cinéaste-ethnologue Jean Rouch... Leurs conceptions théoriques, publiées dans les Cahiers du cinéma et dans l’hebdomadaire Arts, les rendent plus soudés, plus visibles et aussi plus critiquables.
À ces deux principaux ensembles, il faut ajouter un certain nombre d’indépendants inclassables, tels que Jean-Pierre Mocky, Michel Deville, Claude Lelouch, François Reichenbach, sans oublier les précurseurs, Roger Vadim, Alexandre Astruc (Le Rideau cramoisi, 1952 ; Les Mauvaises Rencontres, 1955), Louis Malle...
« Ils voulaient nos places », ne cessera de protester Claude Autant-Lara, réalisateur de films aussi prestigieux que Le Diable au corps (1947) ou Le Rouge et le Noir (1954). Et il est exact que le corporatisme de la profession cinématographique des années d’après-guerre constitue un élément essentiel de l’éclosion de la nouvelle vague. Le cinéma français a vécu en vase clos sous l’Occupation, période faste pour le cinéma du point de vue économique. À la Libération, la profession ne souhaite que poursuivre dans la même voie, avec les mêmes méthodes et le même personnel : adaptations littéraires de prestige (Stendhal, voire un Zola aseptisé...), costumes et décors somptueux, dialogues brillants, personnages soumis à une pesanteur moralisante... C’est ce que l’on nomme avec fierté la « tradition de la qualité ». Des règles draconiennes édictées sous le régime de Vichy limitent l’accès à la profession. Le postulant à la mise en scène, en particulier, n’y parvient qu’après avoir longuement travaillé comme assistant, après avoir le plus souvent renoncé à ses ambitions artistiques premières et s’être fondu dans le moule de la tradition de la qualité. En outre, celle-ci pousse à des films de plus en plus chers, d’où toute innovation est bannie. Tandis que nombre de cinéastes en exercice ont débuté dans les années 1930, voire 1920, il ne se tourne en moyenne, entre 1950 et 1958, qu’une quinzaine de premiers films sur environ 116 réalisations par an.
En effet, et même si la situation économique globale du cinéma français est saine, malgré la baisse des entrées qui affecte l’ensemble des cinématographies européennes, beaucoup s’inquiètent de l’absence de renouvellement des sujets, des méthodes et des hommes. En 1956, une prime à la qualité pour les longs-métrages est attribuée à des œuvres « de nature à ouvrir des perspectives nouvelles à l’art cinématographique ». Elle va bénéficier, entre autres, aux premiers films de Louis Malle et de Claude Chabrol et permettre la réalisation de nombreux films de la nouvelle vague.
La nouvelle vague ne se résume pas à une nouvelle donne économique. La découverte, après la Libération, du cinéma américain, interdit durant la guerre et que les plus jeunes n’avaient jamais connu, est celle d’un cinéma fondé sur l’action, le geste, le mouvement des corps, échappant à la dictature du scénario, du dialogue, du mot d’auteur à la façon de la tradition de la qualité française. À quoi il faut ajouter pour les futurs cinéastes, dont l’équipe des Cahiers du cinéma, et grâce à Henri Langlois et à la Cinémathèque française, la connaissance de presque toute l’histoire du cinéma, surtout le muet, alors quasi invisible. Devant ces films doublés ou sous-titrés dans des langues inconnues, il fallait déchiffrer l’image, par la seule mise en scène, ce qui faisait dire à Jacques Rivette : « Un film de Mizoguchi ou Kurosawa ne parle pas le japonais mais tout simplement le “cinéma”. » Une nouvelle conception du cinéma se constitue, rejetant dans l’oubli, à tort ou à raison, nombre de gloires anciennes (René Clair, Jacques Feyder, Vsevolod Poudovkine...) au profit d’Hitchcock, Hawks, Welles, Murnau, Lang, Cukor ou Minnelli...
Cette expérience trouve un écho dans un article décisif d’Alexandre Astruc, « Naissance d’une nouvelle avant-garde, la caméra-stylo », paru en 1948 dans l’hebdomadaire L’Écran français. Astruc y affirme que le cinéma est devenu, à l’égal de l’essai et du roman, « une forme dans laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle ». C’est dans cet esprit que sont fondés, en 1951, les Cahiers du cinéma, dirigés essentiellement par André Bazin et Jacques Doniol-Valcroze. Progressivement les plus jeunes cinéastes déjà cités – baptisés parfois « hitchcocko-hawksiens » ou « Jeunes Turcs » –, prennent le pouvoir à l’intérieur de la revue. Ils fondent leur réflexion sur la prépondérance de la mise en scène : « Faire un film, c’est [...] montrer certaines choses, c’est en même temps et par la même opération les montrer par un certain biais ; ces deux actes étant rigoureusement indissociables » (J. Rivette). Le second axe par lequel les Jeunes Turcs vont secouer le vieux cinéma français est la politique des auteurs, résumée en 1954 avec clarté, toujours par Astruc, à propos d’Hitchcock : « Quand un homme, depuis trente ans et cinquante films, raconte à peu près toujours la même histoire [...] et maintient le long de cette ligne unique le même style [...], il me paraît difficile de ne pas admettre que l’on se trouve pour une fois en face de ce qu’il y a après tout de plus rare dans cette industrie : un auteur de films. » C’est la conception même du cinéma qui est ici en jeu. Un film n’est pas une addition de « qualités » – un bon sujet, plus un bon scénario, de bons dialogues, de bons techniciens, et un bon budget –, mais l’œuvre d’un auteur, un homme qui a un univers personnel, dont le modèle serait tout autant Hitchcock qu’Orson Welles ou Jean Renoir, et qui s’exprime par les moyens propres à son art, la mise en scène. Dans un pamphlet que publient les Cahiers du cinéma en janvier 1954, « Une certaine tendance du cinéma français », Truffaut va jusqu’à dire qu’il ne saurait exister de « coexistence pacifique » entre cinéma d’auteurs et cinéma dans la tradition de la qualité (celui de cinéastes comme Autant-Lara, Jean Delannoy, René Clément, Yves Allégret, et de scénaristes tels que Jean Aurenche et Pierre Bost).
Sur le plan de la pratique, la nouvelle vague s’inspire de deux exemples. Le premier est celui de Jean-Pierre Melville qui produit et réalise en 1947, hors de toute règle professionnelle ou syndicale et sans vedettes, une adaptation du Silence de la mer, de Vercors, pour moins de 9 millions de francs alors qu’un film revient alors en moyenne entre 50 et 60 millions. En 1954, Agnès Varda tourne La Pointe courte pour 7 millions. Elle-même, les techniciens et les acteurs ont accepté de ne toucher leur salaire qu’une fois le film rentabilisé (en fait treize ans plus tard !).
L’essentiel, pour les cinéastes de la nouvelle vague, est de garder leur liberté d’auteur face aux financiers. D’où le choix d’un cinéma à très faible budget et le plus souvent, au moins au départ, autofinancé. Chabrol utilise un héritage dont a bénéficié son épouse, le beau-père de Truffaut, important distributeur (Cocinor) produit Les 400Coups. Alors que le coût moyen d’un film français en 1959 est d’environ 150 millions de francs, et qu’un quart de la production dépasse les 200 millions, Le Beau Serge coûte 42 millions, somme pratiquement remboursée par la prime à la qualité, que Chabrol réinvestit immédiatement dans Les Cousins dont le budget est de quelque 65 millions. Les 400Coups coûtent 47 millions. Les Cousins et Les 400Coups font tous deux environ 260 000 entrées en exclusivité. Comparativement, Notre-Dame de Paris, de Jean Delannoy, en 1956, avec un peu moins de 500 000 entrées est considérée comme un succès, pour un investissement au moins quatre fois plus élevé. Quelques succès de la nouvelle génération – outre Chabrol et Truffaut, Godard (À bout de souffle), Louis Malle (Les Amants), Vadim (Les Liaisons dangereuses, Le Repos du guerrier) – prouvent que non seulement le producteur d’un film de la nouvelle vague peut être gagnant, mais qu’il peut en outre compter sur la prime à la qualité.
Le colloque de La Napoule disait vrai : la nouvelle vague, c’est bien la diversité, et la liberté de création. Quelques thèmes semblent réunir au début les nouveaux cinéastes : la drague (Jean-Pierre Mocky, Jacques Rozier), le marivaudage (Jacques Doniol-Valcroze), le libertinage (Pierre Kast, Éric Rohmer), le recherche d’une nouvelle morale amoureuse (Truffaut)... Mais ils relèvent beaucoup de l’air du temps, qui est aussi celui des romans de Françoise Sagan (Bonjour tristesse), dont se rapproche Vadim. En revanche, les choix économiques constituent le ciment de la nouvelle vague, surtout celle qui est issue des Cahiers du cinéma. Si Rivette prône un « cinéma pauvre », Rohmer n’a cessé de répéter qu’un film ne doit jamais coûter plus que ce qu’il est susceptible de rapporter. Cet axiome définit en effet l’esthétique initiale de la nouvelle vague. Ainsi, le tournage, moment clé plus que le scénario, doit utiliser un minimum de moyens techniques : équipe réduite, pas de matériel coûteux, donc pas de prises de vues en studio... L’évolution de la technique facilite ces choix : les nouvelles pellicules ultrasensibles permettent de tourner à la lumière du jour, souvent sans éclairage d’appoint, ou la nuit avec le seul éclairage public. Dès que possible (avec le magnétophone Nagra 3), le son direct remplace la postsynchronisation en studio. Ce qui conduit à une image et un son considérés comme « sales » par les techniciens de la vieille école. En particulier une image de faible définition, au grain très visible, mais qui rapproche ces films de fiction du reportage télévisé. En effet, la nouvelle vague comprend très vite que, sur le plan esthétique, elle doit non pas concurrencer les cinéastes français de la tradition, mais reproduire l’effet de vérité que crée la télévision, de plus en plus présente. Il s’agit donc de favoriser la confusion entre réalité documentaire et vérité de la fiction. Godard définissait en effet À bout de souffle comme un reportage de son opérateur Raoul Coutard sur Jean Seberg et Belmondo jouant des personnages de film noir.
Quant au scénario, il n’a pas à être issu d’un auteur unique. Le metteur en scène, selon une charte virtuelle non écrite mais logique, peut en être le coauteur et l’instigateur principal.
On a annoncé la mort de la nouvelle vague dès 1961, avec les échecs que connurent de nombreux films des nouveaux cinéastes : Chabrol (L’Œil du Malin, 1962), Demy (Lola, 1961), Godard (LesCarabiniers, 1963), Jacques Rozier (Adieu Philippine, 1963), voire Resnais (Muriel, 1963), Truffaut (LaPeaudouce, 1964)... Il est plus logique de la situer en 1965 avec Paris vu par..., film à sketches produit par Barbet Schroeder et les Films du Losange (Éric Rohmer) en suivant les principes économico-esthétiques de la nouvelle vague, sorte de manifeste collectif après la bataille réalisé par Jean Douchet, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Jean-Daniel Pollet, Rohmer, Jean Rouch. Mais on y constate déjà l’absence de Truffaut et Rivette, à la suite de conflits internes aux Cahiers du cinéma. À partir de là, chacun va suivre sa voie personnelle. Et la plupart d’entre eux, sauf disparition précoce, marqueront le cinéma.
La nouvelle vague n’a pas enrayé la baisse de fréquentation du cinéma, qui déborde largement le cas de la France. Elle a connu peu de descendants directs, même si on peut citer Jean Eustache, Philippe Garrel, André Téchiné, Olivier Assayas, Leos Carax, qui ne formeront pas un groupe. Dans les années 1990, nombre de jeunes cinéastes, souvent issus de la Fémis, se réclament de la nouvelle vague : Xavier Beauvois, Lucas Belvaux, Arnaud Desplechin, Philippe Faucon, Pascale Ferran, Cédric Kahn, Noémie Lvosky... Une filiation qui passe par Maurice Pialat, proche de la nouvelle vague par les méthodes et l’esprit, mais qui reste en marge d’un mouvement dont il a toujours refusé l’étiquette,
Sur l’ensemble du cinéma mondial, outre l’influence directe de chaque personnalité, en particulier Godard et Truffaut, sur certains cinéastes, l’influence de la nouvelle vague tient avant tout à ses principes économiques et à ses méthodes de tournage. Elles touchent particulièrement les pays en voie de développement, comme le « cinema nôvo » brésilien (Glauber Rocha). En revanche, il faut se garder de surévaluer l’apport de la nouvelle vague française aux multiples mouvements des années 1960, qui souvent la précédèrent (Grande-Bretagne, Pologne, États-Unis), ou en furent contemporains (Japon). La nouvelle vague a pourtant touché la génération du nouvel Hollywood : Arthur Penn, Dennis Hopper, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Brian De Palma, plus tard James Gray et Quentin Tarentino, entre autres.
La nouvelle vague, c’est aussi l’idée d’un cinéma d’auteur, parfois bénéfique, mais dont les effets peuvent être aussi pervers. « Les jeunes cinéastes [de demain], prophétisait Truffaut en 1957, s’exprimeront à la première personne et nous raconteront ce qui leur est arrivé [...] et cela plaira presque forcément parce que ce sera vrai et neuf. » Cinq ans plus tard, il nuance : « C’est devenu à tel point des poncifs que maintenant j’ai envie de voir une histoire bien racontée. » Pas question pour autant de rejeter ce qui fut la quête essentielle de la nouvelle vague : le retour à la sincérité du cinéma.
Joël MAGNY
La plus ancienne et la plus connue des revues de cinéma paraissant en France. Son ancienneté même et la diversité des tendances critiques qui s’y sont succédé rendent difficile toute description (et a fortiori tout jugement) synthétique. La caractéristique la plus constante de la revue est peut-être précisément de s’être toujours située en rupture par rapport à l’ensemble de la critique de cinéma (même si les bases, politiques et théoriques, de cette rupture n’ont cessé d’évoluer). C’est pourtant sous le signe de la continuité que les Cahiers du cinéma, fondés en avril 1951 par Lo Duca (plus tard remplacé par Éric Rohmer), Jacques Doniol-Valcroze et Léonide Keigel, se définissent d’abord comme les successeurs fidèles de Jean-Georges Auriol et de sa Revue du cinéma, disparue en 1948. Jusque dans le détail de la présentation, avec la célèbre couverture jaune (seule nouveauté : la photo de couverture), les différences, d’une revue à l’autre, sont imperceptibles. Du moins dans les premiers numéros. Car, dès 1952, et de plus en plus jusqu’à la fin des années 1950, les Cahiers deviennent le support d’une ligne critique, la « politique des auteurs », qui influencera plus ou moins toute une partie de la théorie et de la pratique du cinéma en France. Aujourd’hui encore, l’idée d’auteur, passée dans les mœurs critiques, continue d’être le concept de base de la plupart des critiques.
La politique des auteurs, quant à elle, se fondait d’abord, bien sûr, sur la notion d’auteur, donc de mise en scène, « organisation des êtres et des choses qui est à elle-même son sens, je veux dire aussi bien morale qu’esthétique », pour reprendre la formule d’André Bazin. Mais, pour l’équipe des Cahiers de l’époque (les Rivette, Truffaut, Godard, Douchet), l’auteur n’existe qu’en référence à la politique en question, qui est justement le choix de tels réalisateurs déclarés auteurs contre tels autres : disons, Hitchcock et Hawks contre Brooks ou Zinnemann. À côté de quelques cinéastes universellement reconnus, comme Welles, Renoir ou Rossellini, que les Cahiers admiraient, à la suite de Bazin, pour leur « respect du réel », leur « authenticité », la liste des auteurs comportait surtout, et en petit nombre, des cinéastes discutés, comme le dernier Lang, ou considérés comme mineurs (Hawks). Défendus sur un mode souvent métaphysique (« Le génie de Howard Hawks procède de l’évidence », écrit par exemple Rivette), au nom d’un aristocratisme à peine dissimulé, ces choix se révéleront esthétiquement payants. Par rapport à une critique qui défendait, au mieux, un cinéma engagé, d’ailleurs bien mal représenté, la ligne des Cahiers, aussi indéfendable soit-elle sur le plan politique, a bien été l’un des principaux moteurs de la vague de jeunes cinéastes français des années 1958-1962 (la nouvelle vague, où la plupart des rédacteurs des Cahiers, et ce n’est pas un hasard, jouent un rôle prépondérant), en prêchant (d’exemple) une saine réaction contre l’académisme figé où flottait alors le cinéma français.
Le contrecoup du départ des principaux rédacteurs, devenus cinéastes (et de la mort d’André Bazin en 1958), coïncidant avec le début du déclin du cinéma hollywoodien classique, met à mal la politique des auteurs, qui devient tantôt un fourre-tout (de Minnelli à Cottafavi), tantôt le dernier atout de fanatiques purs et durs de la mystique hollywoodienne (le Mac-Mahon et son « carré d’as » : Preminger, Lang, Losey, Walsh). Dans le contexte morose du gaullisme finissant, les Cahiers, dont l’équipe se renouvelle entièrement au cours des années 1960, se politisent lentement. D’abord, et pendant un assez long moment, par le biais du cinéma : c’est l’époque, vers 1965, de la floraison des jeunes cinémas nationaux, des cinémas nouveaux, et les Cahiers (économiquement renfloués par Daniel Filipacchi) y trouvent la matière d’un second souffle esthétique en même temps qu’ils y découvrent la politique.
Cette évolution, qui reflète au fond celle de bien des intellectuels européens, s’accentue après les événements de mai 1968. En mars 1970, les associés minoritaires – Jacques Doniol-Valcroze et François Truffaut – rachètent ses parts à Daniel Filipacchi et transforment le contenu de la revue. Elle subordonne désormais son travail spécifique dans le champ du cinéma à la formulation d’une ligne politique d’ensemble par laquelle les Cahiers se définissent comme partie prenante de l’extrême gauche en France sur le front de la culture. Leur position par rapport au Parti communiste français, qui fut un temps le compagnon de route, s’est modifiée ; la revue s’en démarque très nettement, bien que s’appuyant sur des bases marxistes-léninistes, sur la place des intellectuels dans la lutte des classes, la tactique et la stratégie de la révolution en France, et aussi le rôle spécifique du cinéma dans cette révolution. Ils subissent durant cette période une perte d’audience importante. Mais, en décembre 1973, Serge Daney, épaulé par Serge Toubiana, prend les commandes des Cahiers