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Après avoir connu de grands succès littéraires, un écrivain, désireux de retrouver un sens plus profond à son existence, intègre une cellule monacale au sein du sanctuaire italien d’Oropa, dominant la vallée de Biella. Reclus volontaire, un enneigement sans pareil coupe son lieu de récollection du reste du monde pendant trois semaines. Une nuit, par la fenêtre ouverte, l’homme de lettres voit un jour nouveau se lever sur sa vie, sur son âme. À l’image d’une nuit américaine de cinéma, Oropa lui révèle alors la substantifique moelle de la vie, entre le chant de la nature sans cesse refaite et le langage singulier d’une entité supérieure universelle.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pour Olivier Clynckemaillie, écrire c’est rencontrer puis embrasser les rêves d’absolu de l’univers tout entier. Par sa plume, il partage avec son public ses émotions ainsi que les scènes que lui chuchotent ses personnages, lesquels évoluent dans un décor créé avec tact.
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Seitenzahl: 209
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Olivier Clynckemaillie
La nuit américaine d’Oropa
Roman
© Lys Bleu Éditions – Olivier Clynckemaillie
ISBN :979-10-422-0638-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Romans
Le cœur qui chatouille… Amalthée, 2020 ;
Îles d’idylles, Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
Loto-portrait ! Le Lys Bleu Éditions, 2022.
Poèmes (livres d’artistes)
Vagues à lames (sous le pseudonyme de Jean Plume, avec illustrations de Roger Coppe), MBAM, 2000 ;
Ciels de lie… (avec illustrations de Michel Degand), Ateliergaleriéditions, 2005 ;
Roncq, Terre de Ciel(avec Michel Degand et ses amis du Septentrion), Roncq, 2010.
Beaux livres (partim)
Jean-Marie Planque. In arte veritas, Fondation Planque, 1999 ;
Les Courtens. Deux générations d’artistes (dir.), MBAM, 1999 ;
André Sprumont, MBAM, 2000 ;
Dali (avec Myriam Watthee-Delmotte), MBAM, 2000 ;
Gloria sic transit Dali, MBAM, 2001 ;
Pol Mara. In stella mea, MBAM, 2001 ;
Jacques Courtens. Et in Arcadia ego, Dandoy-MBAM, 2001 ;
Joël De Rore (avec Hugo Brutin), De Rore, 2003 ;
Figures… MBAM, 2006 ;
Des fibres et des hommes (dir.), La Voix, 2015 ;
La Rubanerie… sans masque(s) ! La Rubanerie, 2020.
Catalogues d’exposition (partim)
Curt Stenvert. Vanitas vanitatum et omnia vanitas ! MBAM, 2002.
Expressions… Coppe-Léger-Vanthournout, MBAM, 2002.
Deux siècles d’art en Flandre wallonne, MBAM, 2003.
Eaux fortes… Coppe-De Rore-Fabry, MBAM, 2005.
À Pascale, ma pierre d’angle,
À Madeline, notre enfant-phare,
À ceux qui m’ont fait naître et renaître,
À tatie Yvette, en souvenir du bois de La Cambre,
À la Vie et à ses merveilles,
À la nuit américaine vécue à Oropa…
Il fallait que la planète ferme pour que les cœurs s’ouvrent…
Didier Van Cauwelaert, L’inconnue du 17 mars, 2 020
J’arpentais en seigneur le parvis de ma gloire
Je larguais mes erreurs, canonnais mes victoires
J’étais en quelque sorte le seul maître à mon bord
Et Dieu n’existait pas, n’existait pas encore…
Jean Vallée, Je croyais en moi, 1 967
Je n’ai pas succombé au syndrome de Stendhal sur le parvis florentin de Santa-Croce, encore moins à la crise de Foi d’un Paul Claudel dans l’église Notre-Dame-des-Victoires, place du Sablon, à Bruxelles. Je ne suis pas façonné d’ésotérisme ni de religiosité. Je suis un être baigné par les temps de l’homme. Un fétu de paille né de blés en herbe. J’ai conscience de n’être que de passage sur une terre empruntée à ceux qui m’ont précédé. Un des nombreux rouages d’une machine à transmissions complexes. Une courroie de distribution de rêves éveillés.
Je ne suis qu’un petit grain de sable que le vent porte aux quatre coins d’une planète. En quête d’identité profonde, en recherche de sens. J’erre au gré de mes envies, porté par mes espoirs, quitte à laisser quelquefois des lambeaux de désillusion sur les récifs des désirs.
Un mois d’hiver, au hasard de mes obligations professionnelles, j’ai découvert un lieu chargé d’encore. Un endroit à la fois somptueux en apparence, mais rude à vivre. Une place où éprouver sert à exister, à emmagasiner pour mieux redistribuer, mais toujours sans imposer. Le site est un sanctuaire chrétien, mais cette appellation s’avère des plus réductrices. Qu’importent les croyances quand la vie de l’Homme croît dans un jardin gorgé de fruits à cueillir ?
Le destin a voulu que je côtoie un espace à nul autre pareil, à la fois fabuleux décor de cinéma, place touristique et spirituelle de premier plan, mais aussi havre de récollection. Le Grand Tout m’y a révélé des lumières intérieures et extérieures que je n’imaginais pas. Mais le legs le plus précieux s’est incarné aux heures où la dormition stérile des uns est la caverne aux songes des autres… Une irradiation laïque. Fraternelle, libre et universelle. Accessible au plus grand nombre. Gratuitement. Pour la saisir, il suffit de se déshabiller l’âme.
Alors triomphe la nuit américaine d’Oropa…
Pris d’une inextinguible soif, ma plume s’est abondamment gorgée d’encre pour tenter d’immortaliser en mots – quand bien même l’indicible n’a pas de vocabulaire adéquat – ce que le cœur archéologise de facto.
Les pages qui suivent ne sont en rien un parcours mystique, encore moins l’histoire d’une conversion. Elles ne sont que la cristallisation des mille souffles d’un monde à des lieues des contingences matérielles. C’est cela ! Oropa m’a permis de trouver la clef pour dématérialiser une enveloppe charnelle par trop chargée de futilités. Sa nuit américaine m’a rendu visibles toutes les beautés des jours et des lunes… À jamais !
Oui, j’invente des livres pour qu’on entende mieux la musique.
Eric-Emmanuel Schmitt, Plus tard, je serai un enfant, 2 017
Depuis un grain de neige étoilé. Mouvement ascendant pour toucher un ciel opaque. Ma bouteille d’encre semble s’être déversée en apesanteur pour couvrir la quasi-entièreté de mon champ visuel. Musique du silence. Repos de mon âme. Tranquillité bienfaisante. Il est deux heures du matin. J’ouvre la croisée de ma cellule. Je respire un air pur, sec, dénué de sanies. L’enveloppe de mon corps semble se libérer des scories qui la tatouaient jusque-là. C’en est fini de mes angoisses. Mes névroses paraissent d’anciens souvenirs improbables. Je tends la joue, le menton, le visage, les yeux au-dessus du vide. Deux étages plus bas, le second cloître dort encore. Les arêtes vives des bâtiments conventuels me remémorent les lavis à l’encre de Victor Hugo, entre symphonie fantastique et moments suspendus de quiétude. Révélation du vrai intime, celui que l’homme cherche à masquer de vanités et de faux ors tout au long de sa vie.
Me débarrasser du paraître. Revenir à la vraie vie. Naître une seconde fois en ayant choisi – en tout état de cause – le lieu de cette régénérescence. Le sanctuaire d’Oropa est frappé de léthargie. Mais cet endormissement infécond n’est qu’illusion. Le cœur d’Oropa demeure sans cesse en éveil. Pour l’humanité. Pour la Vie. Sa vocation religieuse n’est que façade. Le clinquant de ses constructions les plus emphatiques, décor de théâtre(s). Pendrillons de pierres tendus à tout rompre pour éprouver la soif d’absolu. Découpes scéniques régissant les ombres et les lumières pour révéler la beauté d’un univers concentré autour d’une plaine de remembrance. Fontaine de sèves ardentes honorant les leçons du mythe de la caverne.
Depuis un mois, j’ai décidé de vivre en ermite. En ascète laïc, agnostique. J’en avais un besoin fou. Vital. Une soif inextinguible. Ma vie ne pouvant se limiter à une thérapie de groupe de dédicaces en émissions littéraires, de séminaires en ateliers d’écritures. Depuis le succès de mes derniers livres, l’adresse de ma thébaïde a été éventée. Je n’en puis plus d’être continuellement assailli par des prétendus amis qui me veulent du bien – leur nombre a décuplé bizarrement depuis que mes romans ont dépassé les cent mille exemplaires vendus –, par des journalistes qui, hier, me vouaient aux gémonies et qui, aujourd’hui, s’arrogent la découverte de mon talent ! Il me fallait mettre fin à ce brouhaha plus terrible que les plus ravageurs acouphènes.
Comme un cadeau du destin, j’avais animé un atelier d’écriture dans un coin du Piémont méconnu des masses. Le tourisme n’y occupait qu’une place marginale, les intellectuels préférant des centres plus cosmopolites comme Milan, Venise, Rome ou Florence. Au sein d’une cité laborieuse en quête d’une identité nouvelle, Biella, ma plume avait croisé des gens sans artifices, vrais, rudes autant que lyriques, exigeants autant que généreux. La rugosité de la montagne y tutoyait la chaleur de la vallée se baignant dans une rivière d’or.
Tout avait débuté par un repas avec mon hôtesse dans un bar-restaurant-librairie perché sur les hauteurs d’une acropole oubliée des sentiers battus. La magie s’était prolongée dans un ancien couvent, cent mètres plus bas. Là, dans un édifice historique perdu au milieu d’une cité industrielle en souffrance. Un artiste peintre y exposait ses toiles abstraites contant en signes et en couleurs, le monde dont il rêvait. Synthèse étrange et prenante entre le visible et l’invisible. Pétrification de non-dits chantants derrière une rigueur qui aurait pu en rebuter plus d’un. Images d’une réalité d’un monde en attente de moyens de communication à hauteur d’hommes… Ces ailleurs m’avaient transporté comme ils avaient suscité des productions littéraires aux amis qui venaient de m’entourer pour la toute première fois. Mon porte-plume s’était ressourcé à merci à leur gisement d’encres sympathiques ! Et mon envie d’écrire y avait trouvé une nouvelle orientation. Plus fruste. Plus vraie. Plus concise et concrète aussi. C’était le premier pas. La première pierre. Le premier souffle de nouveaux battements de cœur.
Si le monde est un théâtre, le site d’Oropa est un fabuleux studio de cinéma qui s’ignore. La caméra-œil des gens qui y vivent, s’y baladent, y prient, y cherchent un sens à leur vie, lui offre des scenarii improbables. Jamais immortalisés sur pellicule argentique ou numérique. Mais qu’importe la dimension matérielle des choses quand les vingt-quatre images par seconde défilent perpétuellement au fond du cœur des hommes.
De ma fenêtre nocturne, j’entends les témoignages quiets de ceux qui ont cheminé ici, dépouillés de leurs oripeaux factices. Libérés des carcans d’aujourd’hui : ici, pas de connexion internet, pas de réseaux sociaux – mais qui diable a un jour dénommé ces miroirs aux alouettes d’un tel nom ronflant, pourvoyeur de solitudes et de réalités mortifères ? –, pas de fausses espérances ! Rien que de la réalité augmentée par les échos intérieurs d’une quête humaine.
Il gèle à pierre fendre. Pourtant, derrière la barrière de mon pyjama en flanelle, mon corps prend chaque once de degré négatif comme une chance, un catalyseur d’encore, un appel à éprouver la rigueur du dépouillement. Cet obscur objet d’un désir laissant au vestiaire de l’oubli ce qui n’est pas fécondant. Mes problèmes d’asthme ne sont plus que broutilles. Mes poumons s’ouvrent pour récolter les particules fines d’un air vivifiant, aux vertus presque mystiques !
Crevant l’infinie noirceur d’un ciel uni, une lune rousse mousse de rouille sur le sanctuaire enneigé. Moment intense de récollection. Besoin de sentir les vibrations essentielles de l’âme dans un endroit entièrement coupé du monde – les intempéries l’ayant rendu inaccessible pour quelques semaines – sous le bruissement des ailes mortes d’arbres battus par un vent coulis devenu glacial.
Ma tête opère une rotation à la recherche de chaque pépite visuelle. Émerveillé, je viens de découvrir le secret de la nuit américaine d’Oropa ! La différence est qu’ici, nul artifice cinématographique ne permet de restituer, en plein jour, la plus dense des atmosphères nocturnes. Nul chef opérateur pour crier « action » ou « coupez ! » Nulle scripte, nul artiste autre que la nature et cette entité supérieure que d’aucuns appellent Dieu, Rien, Allah… Oropa est le seul opérateur de son long métrage. Il ne se projette que sur l’écran des êtres débarrassés du futile…
Chanceux, ce soir, je suis aux premières loges !
Le sanctuaire semble dormir, tout encore empesé, voire engourdi, sous le manteau blanc – si ce n’est le plus doux des édredons – qui le recouvre. Petite fleur d’homme déposée précautionneusement dans la montagne, entre terre et ciel.
À nouveau la nuit et son cortège d’encore, de mystères révélés en colloque singulier. J’aime cette ambiance à nulle autre pareille. Les incrédules me prennent pour fou, se moquent de ma prétendue solitude. Ils ne savent seulement pas entendre les souffles du monde – encore moins les écouter ni les ressentir !
Bien protégé par ma doudoune en plume de canard, mes gants et un bonnet de laine vierge, je quitte ma cellule. Non, je n’ai pas décidé de vivre reclus. Ni carmélite ni anachorète, encore moins à la cistercienne – même si mon admiration pour les disciples de saint Bernard est sincère –, simplement la volonté de m’abstraire du bruit, de la foule, des éléments connectés en permanence. Un retour aux sources. Des vacances intérieures à la recherche d’un souffle vicié par des artères trop souvent bouchées !
J’aime le côté fruste de ma chambre. Le confort y est limité au strict nécessaire, même si je dispose de ma salle de bain privative. Aux murs blancs, seules deux gravures – l’une colorisée, l’autre, totalement nue – me ramènent à la dimension spirituelle du sanctuaire. Mais sans ostentation. Sans volonté appuyée de conversion. Juste deux repères célébrant la beauté de la nature intacte et un quelconque bienheureux ayant voué son existence à la contemplation et à l’amour des siens. Des autres aussi. Sans aucune attente de réciprocité. Moment d’œcuménisme réel, de fusion à l’univers… Je souscris pleinement – même si j’ai bien conscience de la difficulté d’y parvenir – à cet état d’abnégation, voire de félicité totale. Les montants de fer de mon lit s’y rapportent : de simples volutes traduisant avec joie le germe en passe de devenir arbrisseau. Ses ramifications sombres tranchent avec la blancheur quasi sacrale des draps qui le jouxtent. Comme une nuit américaine des plus réussies. Décidément, Oropa s’en accommode au présent comme au virtuel, son image quittant sa consistance réelle pour se prolonger dans les tréfonds de l’âme, là où la noirceur de l’oubli se sauve par la Lumière…
La porte de chêne sombre refermée – elle n’est animée que de frêles ondulations vaguement rocaille soulignant une imposte carrée traversée d’un échiquier de grilles –, je pérégrine dans l’obscurité, me repérant aux lueurs diaphanes percolant de larges baies sans tentures. Dehors, la neige devient miroir de lune. Réservoir de prismes oscillant au gré des fontes d’étoiles. Un rayon discret vagabonde, sautant de toit en tuiles, de doucines en allèges. Crevant la vitre dépolie d’une fenêtre d’un autre temps. Ricochant sur les parois chaulées des corridors. Animant les voûtes d’arrêtes barrées de leurs tirants métalliques. Décuplant les espaces en les nimbant d’un théâtre d’ombres. La voie est libre, son itinéraire se trace de lui-même devant mes yeux ébahis.
Lentement, comme si j’entrais moi-même en procession, j’arpente les degrés frappés des lueurs nocturnes. Mon pas suit la cadence monacale propice à l’introspection. Chaque section franchie me rend plus léger. Je ne crains plus le froid ni la nuit. Aucune peur. Juste un enchantement. Une paix irradiante, communicative. Comme il fait bon s’y baigner ! À l’étage inférieur, je retrouve la théorie de portes, de fenêtres, de pilastres et de coiffes classiques. Au bout de ce volume pur, sans fioritures ni marques de foi – le grand voyage mystique est une question d’intériorité, son affirmation n’est ni ostentatoire ni obligée – deux simples vantaux donnent sur le cloître. Dans chaque section de celui-ci, à présent ouvert à tous vents, mêmes rythmes solennels et pourtant si discrets, même jeu de répétition sérielle de travées frustes, même fenêtre ouverte sur un ciel en miroir de terre… Dans la nuit, les pierres de taille gagnent la même valeur que les murs simplement chaulés. Sentiment d’unité dans la face cachée de la lumière. Synthèse philosophale jamais égalée. Oropa est alchimique. Sa nuit américaine, un grand œuvre !
Un tunnel de lumière jaillit dans mes yeux. Comme au sein des plus beaux extérieurs jour… À son extrémité, une pyramide aux pentes inégales s’impose. Elle n’a pas la rotondité bancale de celle de Meidoum ni la perfection formelle de ses sœurs de Gizeh, encore moins leur importance démesurée. Sur trois mètres de haut, elle incline son faîte imparfait vers l’orient. Avec humilité. Déférence. Rappel de là d’où tout procède jour après jour, depuis la nuit des temps. Symbolique universelle de la course d’un astre qui, après avoir goûté au repos des braves, n’en scintille que davantage. C’est sur ce point précis que des hommes sont venus eux aussi bâtir leur demeure de lumière, sans détruire ce qui les avait précédés. Image simple, mais efficace d’harmonie. Affirmation de la symbiose prévalant aux différences. Sublime ode à la fraternité de toute chose. Socle presque subliminal vers l’infini.
Comme pour mieux respecter sa singularité, nulle couverture blanche ne s’y fixe alors que ses aspérités multiples sont propices à la recevoir. Comme un désir pétrifié, isolé, rendu au plus grand nombre une fois celui-ci dépouillé de tout ce qui entrave la vie. Belle image d’un cosmos unissant le noir jais aux teintes les plus lyriques. Un résumé de l’histoire des hommes et du monde.
Je m’agenouille devant ce tertre bénit, dégante mes mains pour les y plaquer. Sensation de brûlure mesurée, d’infinie chaleur, de flux sanguin sans rhésus ni groupe affiché. La pierre angulaire d’Oropa est à l’image du ventre du monde : naturellement accueillante, fécondante, réparatrice, vivifiante, ravigotante. Elle panse et fait penser. Elle donne du fruit en toute saison, même au cœur de l’hiver le plus hostile. Derrière elle, tout en l’incluant dans la paroi la moins directement visible – le chemin du sacré se mérite tout comme les temps de l’homme forgent pas à pas l’ossature d’un être de chair et d’os – une petite église dévoile le squelette de ses nefs. Tandis que ses combles en encorbellement accueillent des chambres riches des échos d’infini… Aucune perte d’espace. Tout est sens. Du morceau de roche initial aux lauzes losangiques recouvrant l’ensemble. L’unifiant. Malgré son importante emprise au sol, Oropa demeure un exemple d’unité. Dans la Foi, dans la Vie, à travers l’Être…
Le pyramidion naturel gît au nord. Comme un défi au monde des ténèbres et du froid, fonts baptismaux désacralisés, mais accessibles à toute forme de croyance comme d’agnosticisme ou d’athéisme. Et c’est bien là la force attractive d’Oropa. Être un aimant naturel pour âmes déboussolées ou en quête de recharge concrète. Porter en son sein la lumière du juste, celle qui désembastille l’ignorance pour ensemencer tous les possibles. Pourvu que ceux-ci soient édifiés dans un jardin bichonné, là où les racines n’ont pas besoin d’artifices et de substances artificielles pour croître en liberté puis transmettre leurs trésors.
Image stable, forte. Gros plan appuyé. Sans commentaires. Nudité devant l’ineffable. Silence pétri d’éloquence, mais sans verbiages, sans digressions, sans discours moralisateur ou prosélytisme. Juste le sourire apaisant d’un des centres vitaux de l’univers. Comme un défi au racisme, elle cumule les genres. Occidentale et nègre, lisse et hâlée. La Vierge noire porte dans les bras tout l’or de l’univers. Depuis presque mille ans… Avec l’humilité propre aux mères aimantes, la Madonna di Oropa veille sur les âmes… Bientôt, elle marquera à jamais la mienne tout en me laissant libre de mes orientations philosophiques. Comme un socle philosophal.
***
L’aube s’est à peine levée sur Oropa. Moment charnière où le jour semble recourir encore timidement au triomphe sur la nuit. Là où une horde de décorateurs, d’éclairagistes, de chefs opérateurs et de directeurs de la photographie peinent à s’entendre sur la bonne luminosité, le contraste qui fera mouche, l’objet du décor qui portera sens, la colline sacrée n’a pas besoin d’artifices pour rayonner urbi et orbi. Son cœur régulier bat les secondes comme pour rappeler que son balancier n’a pas besoin de mécanisme compliqué pour être remonté. La vie y coule sereine, défiant un monde hyperconnecté, appelant à retrouver les véritables temps de l’homme.
La nuit américaine vécue il y a quelques heures m’a nourri de promesses : de celles de l’aube à celles du couchant. Mektoub, comme disent les Arabes : tout est écrit. Le grand livre de l’univers s’est mis au diapason de dame Nature. Les êtres de chair et de sang ne font qu’y passer quelques jours, quelques années, quelques décennies, au mieux un peu plus d’un siècle. Un oiseau-lyre pépie d’aise face au renouveau qui s’opère. Immuablement. Quotidiennement. Il supplée le chant saccadé d’un quelconque coq en quête de triomphe. Ici, mis à part la grandiloquence de certaines constructions, tout invite à écouter les trilles d’un rouge-gorge symbolique, cet oiseau de liberté portant sur lui les stigmates de toutes les Passions terrestres.
Communion totale des éléments : le ciel, la terre, les êtres animés et les pierres vivantes en apparente léthargie. Oropa est à l’image de la paix, de celle qui envahit les corps.
Je n’ai pas encore porté mes pas au sein même de la petite église, m’étant réservé pour un moment que je trouverai plus propice. Je ne suis qu’au début du chemin. Je dois encore éprouver bien des expériences avant d’oser faire tourner le paneton de la clef que l’on me réserve. Depuis ma « rencontre » avec la pierre de saint Eusèbe, je me sens prêt. L’énergie accumulée, le soupçon d’absolu révélé, la quiétude gagnée par le thanatophobe que j’étais m’ont ouvert la voie. Je peux passer dès à présent à l’épreuve suivante. Mais en solitaire. Presque dans le plus grand secret – je devrais plutôt dire avec la plus grande réserve.
Fébrilement, je chemine le long du mur nord. Mes pas dans la neige dévirginisent un manteau de lumière à présent tatoué de présences, unions du réel et du virtuel. Partages non équivoques entre Ciel et Terre. Le sol est parfaitement plat, pourtant, j’ai l’impression de gravir un à un les degrés de la pyramide de Djoser. Oropa/Saqqarah. Mont sacré perdu dans la montagne, miroir d’une colline artificielle gagnée sur les sables du désert. Je n’en avais pas conscience, mais, en regardant derrière moi, je vois les traces de mes pieds. Ils ont laissé, au sein du manteau blanc, comme un parcours en forme de méridienne. Ses sinusoïdes parfaites – comme si elles étaient totalement maîtrisées – composent une croix ansée semblable à l’ankh des Égyptiens. Pluralité des sources. Universalité du message. Révélation de l’universalité des choses. Seule l’âme libérée des charbons viciés des passions délétères peut y parvenir. Il faut croire que j’ai modestement acquis ce niveau de sagesse. Mais je suis pleinement conscient qu’il ne s’agit que d’un palier.
Le clocher sonne six heures trente. La matinée continue de se lever. Un rai de lumière balbutiant dessine sur le sol la suite de mon itinéraire. Je le suis. Tacite. Enjoué. Totalement sous la coupe de ce nouveau matin du monde.
Le portail occidental joue avec les codes du Baroque sans pour autant en accepter toutes les règles. Il garde son devoir de réserve tout en soulignant la solennité du lieu. De fait, le massif de pierres grises s’avère aguiché. Ouverture symbolique vers l’accomplissement de soi, le tout constellé de référents cachés dans un décor au rythme sévère. L’obélisque altier s’y pose – antenne d’airain aux pieds d’argile – sur quatre menues sphères. La fenêtre centrale campe un tabernacle stylisé, le fronton retenu par deux pilastres rappelle le modèle antique, les volutes latérales rendent écho aux inflexions des lignes de crête naturelles posées à l’arrière-plan… Puis, pour rompre l’apparente unicité harmonique, un portail arc de triomphe modeste d’essence plus sombre, mâtiné d’inclusions blanches : quelques fleurs épanouies, un ange-colombe, deux guirlandes d’abondance et un cartouche ovale ceint d’une nouvelle Toison d’Or et couronné. Théâtre assumé d’une transition quittant la rêverie pour retrouver le concret. Pour souligner l’intensité du moment aussi : celui où le pèlerin – tout comme l’agnostique ou le croyant d’une autre foi – s’apprête à connaître l’ultime étape de son initiation spirituelle. Celle qui posera à jamais sa pierre de fondation au sein de son âme, de son corps, de son cœur.
Mon muscle cardiaque se met au diapason de cette découverte à portée de mains. Sa cadence s’accélère, comme pour mieux se fondre dans la fièvre qui me prend. Je me retrouve adolescent, au moment précis où la sensualité de l’amour laisse poindre sur l’épiderme les premiers frissons essentiels, moteurs d’émotions indicibles. Mon être tout entier se voit perché entre crédulité totale et mystère à percer. Mon bras droit s’avance. En porte-à-faux par rapport au reste de mon enveloppe charnelle. Rappel subtil du contrapposto, ce moment sculptural où l’artiste se joue des lois de la pesanteur pour donner plus de vie – plus de vérité aussi – à son figurant, qu’il soit sacré ou profane. Ma main se pose sur le battant de bois vernis, éprouve les reliefs sculptés à même son derme. Le premier acte de ma nouvelle vie peut débuter. La lourde porte s’ouvre… Moment de recueillement d’où mon paganisme se met – à mon corps défendant – en veille. Sur la mer calmée, le vaisseau pétrifié flotte en toute quiétude. Mieux, il s’offre à mes yeux comme la récompense d’un élève méritant. Le silence est d’or. Pourtant, je le sens habité de cadences harmoniques précises.