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Là où meurent les papillons met en scène un jeune garçon qui raconte son quotidien à l’école et dans son village, sa rencontre avec celle qui sera sa seule amie, sa complice et son amour d’enfance inavoué. Il exprime avec humour, autodérision et tristesse les moqueries et le harcèlement dont il est victime. Loin d’être comparé à une critique ou une dénonciation, ce livre est une ode à l’amitié et à tous les enfants que nous devrions savoir rester.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Au cours d’une conversation entre
David Branco et sa fille, portant sur les moqueries dont certains enfants sont victimes à l’école, l’idée d’écrire cet ouvrage lui vient à l’esprit. Dans ce livre, il met en avant la beauté, la pureté et la vie éphémère des papillons autour des thèmes tels que l’enfance, l’amitié et l’amour.
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Seitenzahl: 200
Veröffentlichungsjahr: 2023
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David Branco
Là où meurent les papillons
Roman
© Lys Bleu Éditions – David Branco
ISBN : 979-10-377-9143-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes poussières d’étoiles,
Les lumières dans mon ciel sombre…
La musique adoucit les mœurs, dit-on.
Elle permet également de s’imprégner d’une ambiance, d’une atmosphère, de se laisser transporter, transpercer et d’entrevoir les choses différemment.
Assez loin de mon univers rock de prédilection, voici quelques titres, dont le thème peut être en lien ou non avec l’histoire, et qui, je pense, pourront favoriser cette immersion et vous aider à aller plus loin que les mots.
Bonne lecture…
Prologue
Aussi loin que remontent mes souvenirs, elle a toujours été là, près de moi. Assise à mes côtés dans les bons comme dans les mauvais moments. À me soutenir ou me contredire. À m’épauler, me tendre la main, à m’encourager et me pousser à aller de l’avant, envers et contre tout. À donner du sens à ma vie, tout simplement.
Les souvenirs d’enfance les plus chers ramènent généralement à la famille. Pour moi, les moments cruciaux de ma vie s’arrêtent à elle. Aux trésors du temps passé avec elle. Nos moments uniques et précieux, dans les barricades du monde que nous avions créé rien que pour nous, regorgeant de nos secrets, et où nul ne pouvait pénétrer. Exclusif et unique. Rien qu’à nous. Je me souviens de nos balades, nos bêtises, nos fous rires. Nos heures passées à ne rien dire. Et cette complicité. Dès les premiers instants.
Et je me retrouve là, aujourd’hui, assis dans l’herbe à une trentaine de mètres des falaises. À cet endroit même où nous aimions passer du temps, elle et moi, à toute heure du jour et de la nuit, loin du reste du monde. Loin de tout, loin de la vie qui nous pousse à grandir. À rêver. Assis ou allongés, l’un à côté de l’autre ou dos à dos, un brin d’herbe au coin de la bouche, nous regardions l’océan se confondre dans le lointain avec le ciel, nous regardions le jour décroître et disparaître à l’horizon, là où nous ne pouvions fuir et où le soleil lui-même se cachait du théâtre de nos vies, rougissant de honte dans sa fuite.
Ici comme nulle part ailleurs, sur ces hauteurs abruptes surplombant un rivage parsemé de rochers, on ressentait le vent, souvent frais, mais tellement vivifiant. Purifiant. Qui nous débarrassait des souillures de la vie hors de nos frontières. On lui faisait face et on se sentait vivants et libres, insaisissables. On se tenait souvent debout, les yeux fermés et les bras en croix, face aux bourrasques qui nous donnaient l’impression de chavirer, de chuter. Ou de voler. Nous avions alors la sensation de pouvoir nous enfuir, loin, très loin de nos vies que nous détestions. Que nous avions toujours détestées.
Et on riait malgré tout comme les enfants que nous étions. Des enfants qui voulaient figer le temps dans ces moments de bonheur et qui ne voulaient pas grandir. Des Peter Pan qui ne voulaient pas voir s’éteindre la lumière de ces instants magiques. De vrais moments d’enfance, purs comme des cristaux d’innocence contre les parois desquels se heurtaient et résonnaient nos rires.
Je sais ce que tu penses. Tu dois te demander ce que ces enfants avaient de si différent. Qu’est-ce qui pouvait rendre cette vie qu’ils détestaient si rude ou pire que celle de n’importe qui d’autre ?
Si tu as un peu de temps et si tu veux tout savoir, assieds-toi, toi aussi, sur cette herbe verte et fraîche parsemée de pâquerettes.
Je vais te raconter…
Jusqu’à cette période de ma jeune existence, mes souvenirs sont plutôt confus. Décousus et désordonnés. Comme si je n’arrivais pas à mettre les pièces d’un puzzle dans le bon ordre. Mais ce jour-là marque une sorte de nouveau point de départ. Une renaissance comme une lumière qui m’aurait montré une nouvelle voie, un nouveau chemin à emprunter dans la route vers mon destin.
C’était la rentrée des classes. Pas le premier jour de l’année scolaire après les grandes vacances, non. La rentrée après les vacances de la Toussaint. À cette époque, je ne sais pas si tu l’as connue, les vacances de la Toussaint ne duraient qu’une semaine. Pas beaucoup de temps pour se reposer après un début d’année chargé. Une nouvelle institutrice et de nouvelles méthodes de travail, un niveau plus élevé, beaucoup de choses à apprendre. Et forcément ce qui va avec, beaucoup de devoirs à faire.
Bref, ma mère nous avait déposés, mon cartable de vingt kilos et moi, en retard. J’ai sonné à la grille d’entrée de l’école et c’est la directrice, madame Gilbert, qui est venue m’ouvrir. Elle s’est postée devant moi, bras croisés, comme si elle m’avait surpris à faire une bêtise, alors que non, puisque j’ai sonné comme pour me dénoncer. Il ne manquait qu’à lever les mains et agiter un drapeau blanc en signe de reddition et montrer à quel point j’avais fauté et me rendais. Elle avait toujours le même air fâché, madame Gilbert, même pour dire bonjour. Une directrice, quoi ! Si je ferme les yeux et que j’essaie de me souvenir d’une seule chose qui la caractérise, ce serait une couleur. Le gris. Gris souris. Des pieds à la tête, elle avait toujours du gris. Ses cheveux, poivre et sel (mélangés ça fait du gris), ramenés en chignon derrière sa tête ronde et son visage à l’air sévère. Visage large, mais bizarrement proportionné. Elle ne louchait pas ni rien, mais on avait l’impression que tous les éléments sur sa figure étaient trop petits pour son visage et avaient été concentrés au milieu, laissant de la place pour encore ajouter des éléments autour. De petits yeux noirs, un petit nez, fin et très droit comme pour souligner la rigidité de son caractère, une petite bouche et autour, un grand front, de grosses joues, un menton long et proéminent. Elle portait toujours le même type de vêtements, un chemisier blanc dont on ne voyait que le col sous son gilet gris, et des jupes en tissus épais comme des soutanes, gris aussi et parfois avec des carreaux. Bref, une image plutôt grise, comme ternie par le temps ou délavée.
Évidemment donc, ma mère était déjà partie, elle n’a pas eu droit à l’explication de texte sur l’importance de respecter les horaires. J’ai pris un savon, une leçon de morale, avant de l’entendre crier de me dépêcher d’aller en classe. Je me suis mis à courir et elle a crié à nouveau qu’on ne court pas dans les couloirs. Faudrait savoir ! Je me dépêche ou pas ?
Passé la porte du bâtiment et hors de son champ de vision, je me remets à courir. J’arrive enfin devant la porte de ma classe. J’entre comme une furie, essoufflé et le visage cramoisi, en sueur après seulement deux minutes d’une course effrénée. Je manque de tomber en entrant et me retiens à la poignée de la porte en bois que j’emmène claquer contre le mur. Les carreaux vitrés ne se brisent pas que par chance. Ma maîtresse me toise alors de son regard accusateur, debout devant son bureau, sa grande règle en bois à la main, coupée en plein discours sur Charlemagne si j’en crois ce qui est écrit au tableau.
Mon entrée a plongé la classe dans le silence, mais passé quelques secondes et dès que tout le monde a compris que ce n’est que moi et non un pachyderme qui vient d’entrer, de petits rires et des moqueries commencent à se faire entendre. « Tomate ! » « C’est Tomate ! » « Tomate pourrie ! » Voilà quelques exemples de ce qui fuse alors que je bafouille des excuses en m’engageant tête basse dans une allée pour m’asseoir à ma place.
Pourquoi Tomate ? Ah oui, je ne t’ai pas encore dit : je m’appelle Thomas et je suis gros. Voilà qui en deux mots résume assez bien ma personne. Et comme je suis gros, pas du tout sportif et qu’au moindre effort je deviens tout rouge, on m’a surnommé Tomate. Pas très philosophique, tu me diras, mais diablement efficace pour enterrer encore un peu plus profondément le peu de confiance en soi que l’on peut avoir à mon âge, sept ans, un âge ou les enfants peuvent être extrêmement cruels entre eux et où débutent les jugements sur les apparences.
Je m’installe aussi vite que je peux, en me disant qu’on va vite m’oublier dans mon coin. J’ouvre mon cartable, j’attrape un cahier. Je fais tomber ma trousse au passage, ce qui fait rire à nouveau la joyeuse assemblée et déclenche encore un concert de « Tomate, Tomate… » (je ne vois pas le rapport, mais bon, c’est comme ça). Je ramasse ma trousse et la fais glisser sur ma table. Évidemment en glissant, elle pousse mon cahier qui s’empresse de tomber de l’autre côté. Je soupire. Éclats de rire de l’assistance – ça n’en finira donc jamais – je me penche de l’autre côté pour le ramasser, ce joli cahier avec sa protection plastique jaune transparente et une jolie étiquette portant mon nom et ma classe, CE1 B. Je fais mon possible cette fois pour le poser délicatement et j’ose un regard en coin vers ma maîtresse, madame Le Floch, qui, il faut bien le reconnaître, m’aurait criblé de balles si par magie ses yeux s’étaient transformés en mitraillettes. Elle est assez grande, a les cheveux blonds gras – non, blond gras n’est pas une couleur, mais un état de fait, ses cheveux sont blonds et gras. Elle a un visage tout en longueur, un nez très long et fin surplombant une petite bouche aux lèvres fines, quasi inexistantes, constamment pincées, comme si elle cherchait à tout prix à éviter que sa langue fourchue de serpent n’en sorte. Ses petits yeux bleus se cachent derrière des lunettes à la monture fine et dorée. Une vraie tête de fouine.
Une fois la folle ambiance retombée, elle prend la parole.
— Comme je vous le disais, Océane vient d’arriver et je compte sur vous pour lui réserver le meilleur accueil possible pour qu’elle se sente bien avec nous et se fasse des amis rapidement.
Mes sourcils se froncent. Océane ? Et Charlemagne alors ? Il n’était pas question de lui avant mon arrivée ?
Je chausse mes lunettes. Et oui, porter des lunettes n’est pas le privilège unique de madame Le Floch. Moi aussi j’en porte, avec de belles montures en plastique bleu. Mes parents pensent que ça illumine mon visage ! Des lunettes bleues sur un visage rouge. De quoi rendre Superman jaloux ! Il ne me manque plus que ses beaux cheveux noirs et gominés. Les miens sont courts et châtain foncé, sans rien dessus, même pas une noisette de gel.
Une fois mes lunettes ajustées sur mon petit nez rond et mignon, je lève les yeux et là… miracle ! À côté de ma maîtresse se tient ce qu’il m’a été donné de plus beau à voir. Océane !
Une robe bleue avec de petits motifs blancs, des chaussures… je ne me souviens plus de ses chaussures et on s’en fiche. Des cheveux longs ondulés, châtains, un visage rond et beau, de grands yeux dont je ne pouvais distinguer la couleur. Elle respirait, aah ! La tristesse ? Bah oui, elle avait l’air triste. Mais elle était tellement belle. Je me sens rougir. Le retour de la tomate.
Je reste là, comme un idiot, à la regarder jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elle a bougé et se dirige vers moi, au ralenti, comme dans les films. Le destin ? L’amour ? Non, la salle de classe. Elle vient s’asseoir à côté de moi, la seule place qui restait libre, personne ne voulant avoir la honte d’être à côté de la tomate de l’école. Je fais un effort surhumain pour essayer d’avoir de la contenance et je regroupe mes affaires devant moi, sans rien faire tomber, pour qu’elle puisse s’installer. Elle s’assied avec un mouvement de rotation d’une élégance qui… bref, elle s’est assise. Une fois installée et que madame Le Floch nous a ordonné de prendre notre livre d’histoire à la page quatre-vingt-douze, chapitre dix-huit, sur le thème de Charlemagne – le retour, je savais bien – elle se tourne vers moi et dans un demi-sourire qui restera gravé dans mon âme pour l’éternité, elle me dit les paroles les plus belles et les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné d’entendre jusqu’à ce jour.
— Bonjour, moi c’est Océane.
Bien entendu, je deviens tout rouge. Et tu sais quoi ? Elle rit. Au lieu de se moquer de moi comme n’importe qui dans l’école l’aurait fait et le faisait toujours, eh bien Océane rit. Je sens mon cœur battre à tout rompre, je crois bien que ma poitrine va exploser. Je balbutie un charabia qui veut dire « Bonjour, moi c’est Thomas », dans des onomatopées approximatives et je crois qu’elle ne comprend que mon prénom. C’est déjà pas si mal.
Le cours d’histoire continue avec la voix de crécelle de maîtresse et pour la première depuis très très longtemps, je me sens bien en cours. À seize heures trente, je quitte l’école en sifflotant et en rentrant chez moi, je me surprends même à remercier Charlemagne d’avoir inventé l’école !
Le lendemain, je suis content d’aller à l’école. Mieux que ça ! Heureux d’y aller. Pour voir Océane. Océane et ses jolies boucles dans les cheveux.
J’arrive à l’angle de la rue Victor Hugo, l’artère principale de notre charmant village de Grève-La-Forêt (qui s’appelle en breton, si je ne dis pas de bêtises, Traezh-ar-C’houad), au cent dix-huit de laquelle se trouve l’école Auguste Renoir, point central de ma petite vie jusqu’ici triste et moribonde, et qui d’un coup, comme ça, sans crier gare, a été traversée hier par un éclair de beauté, la quintessence de ce que le Bon Dieu pouvait créer de plus doux à regarder. Et là, malheur, juste derrière moi déboulent Franck, Jérôme et Miro – diminutif de Miroslav, le fils d’un immigré yougoslave qui a atterri dans ce patelin, probablement par accident parce que je ne vois pas comment on peut vouloir faire deux mille cinq cents kilomètres pour s’installer durablement dans ce trou. Et comme souvent le matin à cette même heure, leur petit plaisir est de trouver un souffre-douleur pour se défouler et rigoler un peu avant d’aller à l’école. Et le plus souvent, c’est pour ma pomme.
— Alors Tomate ! s’écrie Franck, le chef de la bande, qui m’a contourné pour se poster devant moi, les mains sur les hanches comme un douanier au poste-frontière.
Derrière moi ses deux sbires, et les mots « alors tomate » qui résonnent en écho. Il faut croire qu’un règlement stipule que quand un chef crétin parle, les abrutis qui lui servent de bande doivent répéter.
Franck, le chef parce que le plus fort et pas seulement en gueule, se met à me pousser par à-coups sur l’épaule, me faisant dangereusement reculer dans un renfoncement menant vers la grille d’entrée de la maison de mademoiselle Janvier, une octogénaire sourde comme un pot qui vit seule avec sa multitude de chats – dont un grand nombre qui ne sont pas à elle, mais qui viennent y trouver refuge, car la gamelle est bonne et toujours pleine.
Je ne fais pas attention aux insultes qui fusent de la part du gang du quartier, comme si mon cerveau était déjà en veille, en protection ou dans le déni, connaissant par avance l’issue funeste de mon début de journée. Jusqu’au premier coup de pied, dans le genou, qui m’arrache un cri de douleur et me fait trébucher. S’ensuivent des claques portées sur le crâne, les joues, les oreilles – les pires de toutes puisqu’elles font comme une caisse de résonance dans ma tête qui démultiplie et brouille les rires de ces crétins. Ça dure un petit moment, je ne saurai dire combien de temps exactement, et je me retrouve finalement seul, la figure rouge et en feu, marqué de traces de paumes et de doigts, le front couvert de sueur, dans la poubelle de mademoiselle Janvier. Et s’il y a bien une poubelle dans le bourg au fond de laquelle il vaut mieux ne pas finir (mis à part celle du réfectoire de l’école), c’est bien celle de mademoiselle Janvier. L’odeur y est infecte, âcre et tenace. Un remugle de litière souillée par je ne sais combien de chats, mélangé aux restes de pâtées et autres fleurs qui ont fané à croupir dans leurs vases. À vomir.
Je m’extirpe tant bien que mal, je lisse mes vêtements du plat de la main, comme si cela allait arranger quelque chose et me rendre présentable, et je récupère mon cartable à quelques mètres de moi, ouvert et mon matériel scolaire éparpillé au sol. Heureusement, il n’a pas plu, mes cahiers sont secs. Mon équerre, quant à elle, a morflé. Il faudra encore trouver une excuse pour que ma mère m’en achète une nouvelle. Elle va être ravie.
Je reprends le chemin de l’école, le cartable sur le dos, les bras ballants, dépité et seul. Affreusement seul. Si seulement j’avais des potes. Pas beaucoup, juste trois ou quatre, assez courageux et costauds. On leur mettrait une branlée à ces trois cons. Pour le bien de la communauté et de tous les souffre-douleur de ce patelin et du monde. Moi principalement et quasi exclusivement. Une raclée pour l’exemple.
J’arrive juste avant la fermeture de la grille. J’évite ainsi trop de regards pesants et écœurés de la part de ceux qui croiseraient mon chemin dans la cour. J’entre en bout de file dans le rang pour entrer en classe, puis une fois dans la salle, je file m’asseoir au fond, dans mon coin, sans regarder personne, en pensant sûrement au fond de moi que cela évitera aux autres de sentir la pestilence qui exhale de ma personne.
Je m’installe rapidement et je sors ma trousse et mon cahier de maths – le mardi matin on commence la journée avec les maths, ma matière préférée, car les maths sont égales pour tout le monde avec des règles strictes et précises, pas d’exception ni de passe-droits – et je finis par lever la tête. À côté de moi, Océane s’est installée elle aussi. Son magnifique visage de poupée est tourné vers moi, un sourire aux lèvres, mais pas un sourire moqueur, comme ceux que j’ai l’habitude de voir sur la tronche de ceux qui croisent ma route. Un sourire bienveillant, chaleureux et sincère. Je sens mes joues s’empourprer, ce qui accentue son sourire. Mon cœur chavire. Et bizarrement, comme mis en confiance pour la première fois de ma courte existence, je lève une main timide et lui adresse un geste un peu gauche en une sorte de salut. Geste qu’elle me renvoie à son tour, et je lis sur ses lèvres un « bonjour » sans qu’elle émette le moindre son. La plus belle fille du monde me dit bonjour à moi, Thomas le gros, Thomas la tomate. Et pour la première fois de ma vie, Thomas le fier !
La matinée continue, merveilleuse. Des maths et Océane. Je la regarde participer au cours, lever le doigt lorsque la fouine pose une question, faire ses exercices, le nez penché sur son cahier, la tête légèrement penchée sur la droite, laissant ses boucles recouvrir son épaule. Se dépêcher de faire ses exercices et relever la tête en arquant à chaque fois les sourcils, comme étonnée elle-même d’avoir réussi. Ça la rend encore plus craquante. Et moi, gros nanard, je la regarde sans arrêt.
À la récré, je reste seul, assis dans un coin, avec une vue panoramique sur toute la cour. Je vois Franck embêter des enfants, comme d’hab, entouré de ses deux toutous, Miro et Jérôme. Et ça tape et ça insulte, je le devine rien qu’à leur attitude. Et comme toujours, pas une seule maîtresse qui ne voit ce qu’il se passe. Il y a des garçons qui jouent au foot, d’autres aux billes, et encore d’autres, une dizaine, qui se courent après, bras tendus sur les côtés comme des ailes et font des bruits d’avion. Toute une escadrille. Je regarde aussi un groupe de filles qui papotent – ça aime papoter les filles – et d’autres qui sautent à la corde, à l’élastique, ou encore qui jouent à la marelle.
Mais pas d’Océane.
J’ai beau regarder de tous les côtés, je ne la trouve pas. Non pas que je serais allé la rejoindre, non, je suis bien trop timide pour ça, même si j’ai osé lui faire un signe de la main en classe tout à l’heure. J’aurais simplement aimé la voir de loin, peut-être en train de discuter ou rire avec de nouvelles copines qu’elle pourrait s’être faites depuis hier. Scruter sa démarche ou la regarder jouer, jolie, rayonnante.
Mais non. Pas d’Océane.
La sonnerie retentit et je rejoins le troupeau qui s’agglutine devant la grande porte de préau, pour ensuite former des rangs deux par deux avant d’entrer et de regagner nos classes. Et enfin je la découvre. À quelques rangs devant moi, à côté d’une autre fille que je ne reconnais même pas, tant je suis accaparé par le soulagement et la joie de voir Océane.
Nous entrons en classe et nous nous installons à nos places sans un bruit, à l’exception de Miro, le seul des trois futurs pensionnaires de prison qui est dans ma classe, et qui fait son intéressant à faire des bruits de pet quand nous nous asseyons. Hilarant, n’est-ce pas ?
Je m’installe tout en regardant Océane qui en fait autant, sans un regard vers moi, comme si je n’étais pas là. Thomas l’invisible. Je suis triste de la voir si indifférente, mais en même temps, qu’est-ce que je croyais ? Qu’elle venait d’arriver et qu’elle était tombée follement amoureuse de moi, de mon corps d’athlète des cours de récré, de ma belle gueule et de ma popularité ? Arrête de rêver Thomas, on est en 1986, mais pas dans les Goonies ou Mickey embrasse Andy – bon c’était par accident, mais quand même, il a eu cette chance. Je suis plus Choco que Mickey, d’ailleurs. Mon héros, ce Choco, l’image du petit gros qui peut devenir quelqu’un. Bah oui, c’est tout de même lui qui devient pote avec Sinok, le monstre gentil.
La matinée se termine, sans intérêt et sans saveur, puis c’est l’heure d’aller déjeuner à la cantine. Je mange seul, à un bout du réfectoire. J’ai échappé aux trois terreurs qui ne savent pas s’arrêter, même pour manger. Parmi leurs gentillesses de la mi-journée, j’ai parfois droit à ce qu’ils me piquent mon pain, mon entrée ou mon dessert (voire les trois) quand on nous sert quelque chose de mangeable. Parfois, ils renversent mon plateau, et quand la bouffe est dégueulasse, ils ne volent rien. Non, ils ne me volent rien, mais me font suer quand même en crachant dans mon assiette et en se marrant comme des gorets. Mais aujourd’hui, c’est mon jour de chance, ils ont jeté leur dévolu sur un petit de CP. Quel courage ces trois héros de toujours trouver des victimes de leur âge !