La pierre d'Onyx - Bruno Houin - E-Book

La pierre d'Onyx E-Book

Bruno Houin

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Beschreibung

Un roman destiné aux enfants à partir de 9 ans.À la mort de ses parents, Jérémie emménage chez son oncle, M. Hollbrook. Entre Chelsea, sa jeune cousine, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de ce nouvel habitant, et Prudence, la vieille gouvernante, aussi acariâtre que bourrue, Jérémie se sent plus seul que jamais. Pour arranger le tout, sa nouvelle maison semble receler d’étranges secrets. Un piano qui vole, un vieillard qui apparaît et disparaît sans explication. Alors qu’Halloween bat son plein et que les phénomènes bizarroïdes se multiplient, Jérémie, Chelsea et leurs nouveaux amis découvrent l’existence d’un monde fantastique. Là-bas, Jérémie apprend qu’il est l’Élu, chargé de venir en aide aux Phoronuus qui combattent contre les Baalamites, des anges déchus qui ont juré de détruire l’humanité. Des sommets des Montagnes sans neige aux confins de la mer Ténébreuse, Jérémie et ses amis s’embarquent alors dans une quête épique, à la recherche de la mystérieuse pierre d’Onyx.Le premier épisode d'une trilogie fantastique pour faire le plein d'aventures !EXTRAITÉtienne et Alex tiraient Jérémie par la manche.– Viens, le suppliait Alex, on s’arrache d’ici, c’est un piège !Jérémie repoussa ses amis et relança l’homme à la moustache :– Que lui voulez-vous à Hogmanay ?L’orchestre jouait toujours du Bach et dans ce climat de peur, cela sonnait faux. Une lueur étrange traversa les prunelles de l’homme, un sourire cruel retroussa ses lèvres.– Nous voulons l’occire.– L’occire ?– Lui faire passer l’arme à gauche.Jérémie ouvrait de grands yeux.– Lui tordre le cou !– Vous êtes fous, hurla l’enfant, pourquoi ?!À PROPOS DE L'AUTEURBruno Houin est déjà auteur d'une pièce de théâtre à succès, "Les rats", jouée au Festival d'Avignon mais il aime plus que tout écrire pour les enfants et les adolescents. Il signe ici le premier opus d'une trilogie fantastique qui emmène un enfant solitaire dans un monde parallèle. Ce livre est un roman initiatique où l'auteur valorise l'intelligence, l'imagination et le courage présents, pour lui, chez les enfants comme d'indiscutables ressources gravées au plus profond de leur être intérieur… et parie qu'ils sauront prendre les bonnes décisions pour forger leur destinée dans le monde futur.

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Bruno Houin

LES AVENTURES FANTASTIQUES

DU PRINCE JÉRÉMIE

LA PIERRE D’ONYX

I L’ORPHELIN

Beaucoup de monde se bousculait dans le grand salon. Il n’y avait pas tellement d’enfants, que des grandes personnes. M. Hollbrook, le maître des lieux, avait fait les choses en grand. Sa gouvernante, Prudence Malaimmer, une vieille fille de 45 ans, l’avait largement secondé.

Inutile de préciser que Chelsea, la fille unique de M. Hollbrook âgée de 10 ans, n’avait rien fait pour les aider. Elle ne faisait jamais rien à la maison et surtout, la venue dans la famille de son cousin Jérémie, un intrus de deux ans son aîné, avait matière à renforcer son mauvais caractère. Elle détestait ce garçon avant même son arrivée. Elle ne supportait pas de voir son père embrasser l’enfant, le montrer fièrement aux hôtes, ce petit prince avec un nœud papillon, et parler de lui comme de son « fils adoptif », ce qui faisait son petit effet sur les invités.

M. Hollbrook s’éclaircissait la voix et réclamait le silence parmi les invités trop occupés à dévorer les petits fours et à vider les coupes de champagne.

« Mesdames, messieurs, s’il vous plaît, je demande votre attention.

Quel brouhaha ! Il insista. C’était un homme de 50 ans aux cheveux dégarnis et portant une paire de lunettes rondes.

–Je suis heureux de vous annoncer la venue de mon neveu Jérémie dans la famille…

Il s’interrompit pour boire un verre d’eau.

–Je ne remplacerai pas hélas ses pauvres parents, snif… Ma sœur Clémence…

Il sortit un mouchoir et se moucha bruyamment, à la grande gêne des invités. Il embrassa Jérémie.

–Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il se sente ici chez lui, que ma chère fille l’aime autant que moi et qu’ils deviennent dès lors inséparables, comme frère et sœur… »

Il se moucha à nouveau mais ce faisant, d’un geste maladroit il renversa son verre d’eau sur le parquet ciré. Il se pencha vivement pour le récupérer mais trébucha sur Jérémie… Il exécuta un impressionnant grand écart qui fit craquer son pantalon, puis, ayant réussi à se redresser, il glissa cette fois-ci sur le verre et s’agrippa, affolé, à un tableau accroché au mur.

« Aaah ! cria l’assistance.

–Que Dieu vous bénisse » eut-il le temps de crier avant de disparaître derrière le buffet renversant plusieurs coupes de champagne et plats de petits fours…

Plusieurs invités se précipitèrent à son secours. M. Hollbrook avait perdu ses lunettes et un grand trou dans son pantalon laissait entrevoir son caleçon. Rouge de confusion il s’excusa et prit congé accompagné d’une amie afin de changer de vêtements. Chelsea, honteuse de son père, haussa les épaules et regarda son cousin, qui fut très peiné.

Jérémie connaissait peu sa cousine mais il se souvenait l’avoir rencontrée à l’occasion de quelques fêtes. Il était de la ville et elle de la campagne. Aussi adorait-il venir avec ses parents chez cet oncle un peu excentrique qui habitait cette immense maison lugubre dont on disait qu’elle possédait des passages secrets et des oubliettes datant du Moyen-Âge.

La mère de Chelsea était partie vivre aux États-Unis avec un autre homme. Une ou deux fois par an la fillette partait à Boston pour la retrouver. Sa mère l’adorait et la gâtait beaucoup mais l’enfant aimait revenir chez son père.

Chelsea avait des taches de rousseur sur sa frimousse et de grands yeux malicieux. Elle coiffait ses longs cheveux roux en nattes et s’habillait comme les poupées Barbie. Elle avait du sang écossais du côté de son père tout comme Jérémie en avait lui aussi du côté de sa mère. Cela risquait de provoquer quelques étincelles…

Depuis la mort de ses parents, le garçonnet demeurait très seul. Sans la bonté de son oncle, il se serait retrouvé dans un orphelinat. Cependant, il avait le sentiment de n’être qu’un paquet balloté dans le monde des adultes. La main de son oncle le fit sursauter. Jérémie constata qu’il avait changé de pantalon et il le trouva aussi laid que le précédent.

« Mon garçon je vais te montrer à quelques amis. Certains sont venus d’Écosse spécialement pour te connaître. »

Jérémie n’en fut pas très heureux mais avait-il le choix ? M. Hollbrook le présenta ainsi à sa sœur aînée, Miss Sheila Janet Susan Hollbrook, célibataire, très distinguée et fort riche de surcroît. Il le présenta aussi à des artistes peintres qui, comme lui, dirigeaient des galeries de peinture, des musées, des théâtres…

L’allure dégingandée de son oncle contrastait nettement avec celle de ses invités, cependant il dominait tout son monde d’une tête. L’enfant reçut nombre de caresses et de baisers. Puis son oncle l’emmena au buffet et lui fit servir ce qu’il voulait par le maître d’hôtel. Chelsea vint le rejoindre.

« Sois gentille avec lui Chelsea, ne vous disputez pas.

–Mais papa, répondit Chelsea en lançant un regard à son père trop innocent pour être honnête. Je l’adooorre cet enfant !

–Bien dit-il. Je vais rejoindre mes invités.

Il partit et se prenant les pieds dans le tapis, et faillit s’étaler de tout son long. Jérémie n’osa pas rire.

–Il est toujours là pour se ridiculiser, murmura la fillette.

La gouvernante la sermonna sévèrement :

–Vous devriez avoir honte mademoiselle et vous aussi monsieur Jérémie. Je vous ai vu sourire, vous moquer d’un homme qui vous accueille chez lui, ce n’est pas bien.

–Moi ? s’exclama le petit garçon.

–Oui vous, que cela ne se reproduise plus.

Elle tourna les talons.

Chelsea lui tira la langue.

–Espèce de vieille chouette à carreaux ! Passe-boules ! Passe-boules ! Passe-boules ! »

Jérémie s’étonna du surnom donné à la gouvernante. Chelsea lui répondit qu’elle avait une bouche énorme en forme de passe-boules. Il était vrai que la gouvernante avait une bouche vraiment grande, mais Jérémie était surtout peiné par l’attitude de sa cousine envers lui. Il n’était pas dupe.

« Pourquoi me détestes-tu ?

–Tu n’auras pas mon père ! Il est à moi, à moi seule ! Tu m’entends sale mioche ?! Tu me le prendras pas. »

Jérémie baissa les yeux. Que pouvait-il y faire ? Il ne cherchait pas à lui « prendre son père », elle était vraiment stupide. Le cœur gros, il prit son assiette remplie de desserts et s’assit seul à une table. Les parents de la maman de Jérémie vinrent le rejoindre et l’enfant se jeta dans les bras de sa grand-mère.

« Mon pauvre petit, tu seras heureux chez ton oncle. Nous sommes trop vieux et à ton âge, un enfant c’est turbulent, mais tu viendras chez nous pour les vacances… »

Sa grand-mère maternelle était une petite femme rondelette qui avait tenu pendant des années une boutique de vêtements. Son mari était un médecin à la retraite. À présent ils habitaient une jolie maison avec jardin et tentaient de se consoler de la disparition de leur fille.

« Mamie, je t’aime tellement… »

Jérémie pleurait. Chelsea observait la scène sans sourciller, froide. Prudence Malaimmer lui demanda de laisser Jérémie seul avec ses grands-parents et c’est à regret qu’elle suivit la gouvernante.

Prudence Malaimmer connaissait Chelsea depuis l’âge de deux ans et M. et Mme Hollbrook lui avaient toujours témoigné leur confiance. Quand la maman de Chelsea quitta la maison pour un autre homme, la petite fille avait huit ans. Durant cette épreuve, une forte complicité était née entre la fillette et son père que seule la gouvernante pouvait troubler. Or voici qu’un intrus venait chez elle lui « voler » son père ! Cela sonnait comme une immense injustice à ses yeux. Son père était l’unique être avec qui elle partageait son amour (tant pis pour sa mère) et cet amour-là, ce bonheur, elle ne voulait le partager avec personne.

Tout en suivant sa gouvernante, Chelsea pestait de partir au lit de si bonne heure.

« Votre cousin gagnera sa chambre aussi vite que possible » tenta de la rassurer Mlle Malaimmer. Toutes deux traversaient le grand couloir ciré en équilibre sur des patins, sous une lumière blafarde. La fillette se coucha rapidement, mais aussitôt la gouvernante partie, elle se releva pour guetter la venue de son « frère ».

Ce soir-là, Jérémie rentra très tard, étant un peu « le roi de la fête ». Arrivé près de la porte de sa chambre, il aperçut de la lumière sous celle de sa cousine, sa « sœur » maintenant. Elle s’éteignit et la porte s’entrouvrit. Les deux enfants s’observèrent à la dérobée…

« Bonne nuit Chelsea… » murmura Jérémie.

Elle n’avait plus ses nattes et il la trouva moins jolie. Elle ne répondit pas et ferma brusquement la porte.

Jérémie aimait bien sa nouvelle chambre. Son oncle l’avait meublée « pour plaire à un garçon ». Il y avait nombre de maquettes de Formule 1, d’avions, de motos qui étaient posées sur des étagères ou suspendues au plafond. Toutes ses BD étaient là. Près du bureau se trouvait une mappemonde des temps anciens et accrochée au mur juste derrière, une immense carte. Certains de ces objets venaient de chez lui, il retrouvait ici son petit espace familier. Jérémie se déshabilla et enfila son pyjama « Harry Potter » dont il adorait les aventures. Enfin il se glissa sous la couette et éteignit la lumière. Il frissonna de joie et de peur mélangées. Sa nouvelle chambre ressemblait vraiment à celle d’Harry, et même mieux qu’au cinéma. Il s’attendait à voir jaillir Harry sur son balai modèle 2000 ! En fait c’était la maison entière qui ressemblait à celle d’Harry, comme si on y fêtait Halloween en permanence. Elle était sombre et assez lugubre, et il adorait ça. Elle était surtout très vaste, dotée de quinze pièces et de plusieurs salons sur trois étages.

Jérémie et Chelsea occupaient le troisième étage, presque sous les toits, avec une salle de bains rien que pour eux et de la moquette partout. La gouvernante habitait en dessous dans un petit appartement meublé avec cuisine et salle de bains, le grand luxe, qui occupait entièrement le deuxième étage. Le premier étage était réservé aux réceptions, il était spacieux et superbement meublé. M. Hollbrook dormait dans une petite chambre au rez-de-chaussée.

Jérémie glissait lentement dans le sommeil quand des bruits insolites lui firent ouvrir les yeux. Venaient-ils du plafond ? Non, plutôt du grenier où se trouvait la salle de jeux. Il entendait des bruits bizarres et se redressa brusquement. Était-ce Chelsea qui jouait ? C’était peu probable. Il entendit des cavalcades, des cris, des frôlements… Il y avait des bêtes là-haut ! Au bout d’un moment ces bruits cessèrent et il retomba sur son oreiller, épuisé.

Jérémie était légèrement grippé et était tenu de demeurer à la maison. Étant donné que son oncle et Chelsea ne rentreraient que dans la soirée, il avait pour lui seul une longue journée à passer en solitaire, et il en fut assez content. Mais que faire ? Le circuit électrique et l’ordinateur ne suffiraient pas à occuper toutes ces heures interminables.

En l’absence de son oncle, toutes les pièces où il travaillait et où il entreposait ses toiles et ses tableaux étaient fermées à clé. Or Jérémie adorait passer des heures à les admirer… Son oncle les exposait même au Japon et aux États-Unis. Mais l’enfant désirait surtout explorer la fameuse salle de jeux au grenier, à cause des bruits entendus la veille. Il se leva tout excité, prit sa douche dans la salle de bains à l’étage et remit son pyjama Harry Potter. De toute façon il n’avait pas le droit de sortir, et dehors le temps était affreux. Il descendit prendre son petit déjeuner à l’anglaise : œufs, bacon, toast, pancakes, sirop d’érable et jus d’orange avec chocolat chaud.

Jérémie s’approcha de la gouvernante et comme ça, froidement, posa la question fatidique :

« Dites Prudence, y a-t-il des rats au grenier ?

La gouvernante laissa tomber un verre.

–Tout d’abord ne m’appelez pas par mon prénom, mais appelez-moi mademoiselle. Ça fait mille fois que je vous le dis ! Vous êtes têtu comme un Écossais. Et puis comment pouvez-vous poser une question pareille ! Des rats, ici ?! Ce n’est plus un grenier là-haut mais une salle de jeux, tout a été refait à neuf.

Jérémie la regardait, fasciné. C’est vrai qu’elle avait une grande bouche…

–Mais… Hier j’ai entendu des bruits, comme des craquements…

Prudence Malaimmer n’était pas femme à se laisser embêter par les enfants. Elle était gouvernante diplômée certes, mais de là à prêter une oreille à leurs divagations, non ! Il y avait des limites.

–Mon pauvre enfant ! C’est la charpente en bois qui travaille. Rien de plus normal.

Voyant le petit garçon hésiter sur une éventuelle réplique, la gouvernante ajouta :

–Vous n’allez pas rester dans mes jambes toute la journée ! Allez, du vent. »

Jérémie termina son jus d’orange et ne se le fit pas répéter deux fois. Il partit au grenier. Tout en tremblant de peur et d’excitation, il se demanda si la gouvernante avait raison ou pas. À l’instant où il posa la main sur la poignée en fer forgé noir, un bruit de cavalcade le fit battre en retraite dans l’escalier.

Il était proche de minuit. Jérémie entendait toujours des brouhahas. Il alluma sa lampe électrique et éclaira le plafond de la chambre. C’était un réflexe idiot, vu que tout se passait au grenier. Il quitta son lit chaud sur la pointe des pieds. Le couloir était sombre. Chelsea devait dormir et la réveiller à cette heure de la nuit la ferait sûrement rouspéter mais tant pis. Il avait trop peur. Il frappa à la porte de la chambre de sa cousine.

« Chelsea !

–Jérémie ?

–Oui, fais-moi entrer !

–Que veux-tu ?

–Il se passe quelque chose de grave.

Jérémie perçut quelques rires.

–Entre, c’est ouvert.

Elle se tenait assise sur son lit, vêtue en chemise de nuit.

–Tu ne dors pas poltron ?

Le garçonnet s’énerva. Il détestait qu’une fille le traite de poltron.

–J’entends des bruits au plafond dans ma chambre, je veux aller voir ce que c’est.

Chelsea eut un sourire malicieux.

–Et tu veux que je vienne avec toi ?

–Oui, et tout de suite !

–Ok.

Elle sauta du lit et enfila sa robe de chambre.

–Ces bruits, je les ai entendus aussi, ajouta-t-elle, j’espère que ça vaut le coup ! »

Elle se passa un coup de peigne dans ses longs cheveux soyeux et brillants. Elle était vraiment jolie et il adorait la regarder. Ils montèrent l’escalier en bois, Jérémie en tête. Il réussit même, malgré sa trouille, à ouvrir la très vieille porte en chêne armée de grosses ferrures noires. Il y eut un long grincement. Comme il hésitait à entrer, Chelsea le poussa, puis entra à son tour et fronça les sourcils. Il faisait froid car le chauffage électrique était coupé la nuit.

« Eh bien ?! Il n’y a rien crapaud.

–Je te le jure, j’ai entendu du bruit !

–Mais tu es complètement idiot mon pauvre cousin !

–Mais tu m’as dit que toi aussi tu les avais entendus.

Un éclair malicieux traversa les jolis yeux de sa cousine.

–Je t’ai menti, je suis venue pour ça !

Elle lui sauta au cou et l’embrassa sur la bouche. Jérémie se débattit et il réussit à la repousser.

–Tu es folle ?! »

Elle allait répondre quand des bruits sourds retentirent derrière eux. Un brouillard froid envahissait la pièce. On aurait cru du givre et les deux enfants claquèrent des dents. Chelsea poussa un cri. Il y avait un piano dans la salle de jeux or celui-ci volait et flottait dans la pièce ! Il tournoya sur lui-même et s’écrasa sur la moquette. Des éclats volèrent partout, il était en miettes, et pourtant il n’était pas tombé de haut, de deux mètres pas plus ! Chelsea poussa Jérémie pour qu’il sorte de la pièce.

« Bravo pour ton tour de magie !

–Je n’y suis pour rien, protesta le garçon en claquant la lourde porte. Moi aussi j’ai eu peur.

–Menteur ! J’en parlerai à mon père. Quand il saura que tu es un sorcier il te chassera.

–Tu me prends pour Harry Potter !?

Elle regagna sa chambre et s’assit sur son lit.

–Jure-moi que tu n’es pas un sorcier !

–Je le jure !

–Si tu mens tu vas en enfer.

À cet instant Jérémie la détestait, mais qu’est-ce qu’elle était jolie…

–Le piano que m’a offert maman est foutu !

–De plus ça a fait un boucan terrible et personne n’a été réveillé…

Chelsea ricana :

–Les vieux c’est à moitié sourd, ne t’inquiète pas. Mais comment vais-je expliquer à papa que mon piano est en miettes ? se lamenta la petite fille.

Son regard s’éclaircit soudain d’un air de défi.

–Je dirai que c’est toi, c’est toi qui as cassé le piano par jalousie !

–Sale menteuse ! »

Il se jeta sur elle. Tous deux roulèrent sur le lit mais sa cousine était la plus forte. Prenant appui sur le mur, elle expulsa son cousin avec ses jambes, ce qui la fit éclater de rire. Fortement vexé, Jérémie se releva quand une rumeur retentit d’en bas. C’était la voix caractéristique de la gouvernante.

« Sauve qui peut, voici la passe-boules ! Fiche le camp !

Jérémie hésita puis partit à regret.

« Les enfants, vous ne dormez pas ?!

–Si si, répondit Chelsea en se glissant sous sa couette.

La gouvernante montait l’escalier. Elle était en robe de chambre rose.

–J’ai entendu du bruit dans la salle de jeux.

–Je n’ai rien entendu mademoiselle, se risqua Chelsea qui venait d’éteindre la lumière in extremis.

La gouvernante entra dans la chambre de Jérémie. Apparemment, il dormait. C’était bizarre. Elle revint alors vers Chelsea.

–Dormez Chelsea, il est très tard.

La gouvernante étouffa un bâillement et fit le tour de la chambre :

–Vous me cachez quelque chose.

–Oh non mademoiselle, répondit Chelsea le visage presque enfoui sous la couette.

–Si ! Vous étiez dans la salle de jeux et quelque chose de lourd est tombé.

Chelsea inclina ses longs cils. Que répondre à ça ? La gouvernante alla sortir Jérémie du lit.

–Je sais que vous ne dormez pas, vous avez cassé un objet là-haut !?

–Non mademoiselle, mentit ouvertement Jérémie en se frottant les yeux, il n’y a rien de cassé là-haut.

La gouvernante observait le garçon d’un air soupçonneux.

–Votre nez s’allonge comme celui de Pinocchio jeune homme !

À cet instant Chelsea trépigna.

–Si, il a cassé mon piano quart de queue ! Il l’a cassé par jalousie par un tour de magie car c’est un sorcier !

Là-dessus elle éclata en sanglots. Aah, elle savait s’y prendre… Jérémie en resta pétrifié. Puis il contre-attaqua :

–Sale menteuse ! Elle ment !

La gouvernante intervint.

–Il suffit. Je monte voir au grenier ! Si l’un de vous a menti il sera puni. »

Sans perdre de temps elle monta l’escalier en bois de chêne ciré. Ils l’entendirent ouvrir la lourde porte et pénétrer dans la salle de jeux.

« La passe-boules va trouver mon piano neuf foutu, ricana Chelsea, mon père te chassera car tu n’es qu’un sorcier ! »

Jérémie ne répondit pas. La petite peste pourrait bien avoir raison. En ce cas il partirait loin, très loin. Il volerait de l’argent et il prendrait l’avion pour l’Afrique. Oui c’est ça, il partira en Afrique… À ces pensées, sa peur s’envola aussitôt. La gouvernante redescendit au bout de quelques minutes. Son expression était sombre et elle dévisageait Chelsea, l’air en colère. Debout dans un coin Jérémie respirait mieux. Adieu l’Afrique !

« J’ignore à quel jeu vous jouez en accusant votre frère, mais je n’aime pas ça…

Jérémie buvait du petit-lait !

–Comment est le piano ? bredouilla Chelsea.

–Il est intact. Oui, vous m’avez menti. Vous serez privée de télé pendant quinze jours ! »

La fillette pâlit, sa frimousse se décomposa et elle trembla nerveusement. Elle se cacha sous ses deux couettes, rouge de confusion. Quant à Jérémie, partagé entre fou rire et peur intense il se recoucha, anéanti…

Toute cette affaire l’avait épuisé. En dehors de l’école Jérémie passait des heures entières enfermé dans sa chambre. Chelsea, privée de télé et d’ordinateur, purgeait sa peine – que son père avait ramené à huit jours – en se rabattant sur sa musique « de fille » qu’elle écoutait à fond la caisse pour l’embêter. Jérémie s’ennuyait ferme mais il préférait se pendre plutôt que de frapper à la porte de Chelsea. Quelle solitude quand même…

Une chose énorme le turlupinait. Lui et Chelsea avaient vu et bien vu le piano voler et se fracasser en mille morceaux sur la moquette… Or la « passe-boules » avait clairement affirmé que le piano était intact. Quel était ce mystère ? Depuis huit jours il ne pensait qu’à ça, il fallait l’éclaircir à tout prix. Était-ce un rêve, une hallucination ? Quittant son bureau, il regarda par la fenêtre. Par un temps pareil, aucun de ses copains ne viendrait. Il pleuvait dru et les arbres du parc, bouleaux et saules pleureurs, pliaient sous les rafales de vent. La balançoire avait effectué le tour du portique. Il soufflait une sacrée tempête.

La nuit tombait. Il n’était pas descendu goûter aujourd’hui et bientôt Passe-Boules les appellerait pour le bain, le pyjama et le dîner. Il pensa à ses parents, morts dans un naufrage en mer Egée et surtout à sa mère, Clémence, dont il avait hérité les immenses yeux bleu clair. Il rêva encore longtemps. Orphelin : il comprenait la signification de ce mot à présent. Certes, son oncle l’aimait sincèrement mais il n’était pas son père. En fait M. Hollbrook, « maître Hollbrook » comme l’appelaient ses étudiants, n’aimait pas grand-chose dans la vie si ce n’était son métier : il avait obtenu le prix de Rome de peinture, un master à Harvard, et il enseignait l’histoire de l’art à l’université ainsi que dans des écoles et des lycées.

Jérémie repensait sans cesse à cette histoire de piano. Si seulement il pouvait retourner dans la salle de jeux mais voilà, la gouvernante avait fermé le grenier à double-tours. Chose curieuse, les bruits avaient cessé. Sur la pointe des pieds il tendit l’oreille derrière la porte de la chambre de sa cousine. Il n’y avait pas de musique ce soir. Il soupira :

« Pourquoi me déteste-t-elle ?! Ce n’est pas de ma faute si elle a été punie… »

Allongé dans son lit, Jérémie ne dormait pas. Le dîner avait été pesant. Seul son oncle, enthousiaste car annonçant de nouvelles idées de tableaux, avait parlé à en saouler son monde. Cette histoire de piano le hantait toujours. Il aurait payé cher pour voir au grenier le piano intact.

Jérémie sentait ses yeux se fermer et son corps s’alourdir. Il avait bien chaud sous la couette, et oubliait le mauvais temps à l’extérieur. À quelques jours d’Halloween, les éléments se déchaînaient. Finalement il s’endormit, il ronflait même. Oui, il ronflait vraiment. Ça alors ! C’était risible, il n’avait jamais ronflé. Il se réveilla en sursaut. Son cœur s’emballa. Ses sens se tendaient à l’extrême. Un frisson glacial le parcourut, le même qu’il avait ressenti dans le grenier il y a quelques jours. Il sentait une présence, comme si un homme dormait à ses côtés… Il percevait, non sans effroi, sa lente respiration. Dans l’obscurité absolue il ne voyait rien. Qui dormait à côté de lui ? Mais dormait-il vraiment ? Tétanisé, il demeura paralysé.

Un long moment s’écoula et il essaya à tâtons de « toucher la créature ». Rien, du vide. N’y tenant plus il tourna à nouveau la tête en tentant d’attraper quelque chose. La respiration avait cessé, et il n’y avait rien naturellement. Ouf ! Mais, si « la chose » était cachée dans la chambre ? Allait-elle l’assassiner ? Il n’osait ni allumer la lumière ni bouger ni appeler. La terreur totale. Ciel, il était seulement 1 heure du matin ! C’était affreux. Mais le sommeil arriva malgré tout. Un sommeil qui fut anormal…

Jérémie voyait un long tunnel noir s’ouvrir devant lui, puis s’illuminer en son centre. Il distinguait nettement des anges tournoyer à présent… Ils étaient beaux. Des dizaines de soleils éclatants et d’arcs-en-ciel multicolores entraînaient les angelots dans une ronde spectaculaire. Ils riaient en tapant dans leurs mains. Un trône majestueux couleur or et orné de jaspes, de rubis, de diamants, d’émeraudes et de topazes s’approcha de lui. Un vieillard trônait dessus. Son visage creusé de rides semblait apaisé, confiant. Ses cheveux rappelaient la neige des sommets montagneux, sa barbe ressemblait à une chute de glacier et ses yeux à des flammes brûlantes. Il tendit la main vers Jérémie qui, trempé de sueur, tremblait dans son lit. La voix du vieil homme roulait en grondant, comme grondent et roulent les rochers à flanc de montagne.

« Viens, petit d’homme… Tu es l’Élu. »

Jérémie cria en tombant de son lit.

Depuis plusieurs jours, Jérémie avait repris sa vie routinière à l’école. L’histoire du « piano volant » lui semblait lointaine. La punition avait été levée et effectivement le piano qu’il avait vu se fracasser devant lui était bel et bien intact. Mystère et boule de gomme !

En attendant il s’était fait de nouveaux amis. Son meilleur ami s’appelait Étienne, il avait 12 ans comme lui et était débrouillard comme pas deux, inventif, et heureux de vivre. C’était exactement le camarade dont il avait besoin. Sa tignasse, châtain, n’était jamais coiffée et ses vêtements étaient souvent d’aspect douteux, mais cela importait peu à Jérémie et ils devinrent inséparables. Avec Alex, c’était autre chose. Il s’affichait ouvertement comme étant le copain de Chelsea et à ce titre, Jérémie s’en méfiait. Un peu « bouboule », il ne parlait que de foot et de gâteaux. Un mec nul.

Jérémie n’avait jamais parlé à Étienne de ses cauchemars, bien qu’il y pensait toujours. Qui était ce vieux fou ? Que voulait-il entendre par « tu es l’élu » ? Devenait-il fou lui aussi ?

Une nuit, alors qu’il dormait profondément, un « truc » le réveilla en sursaut et il se dressa dans son lit. La lassitude commençait sérieusement à lui peser, il en avait marre ! Il devait pourtant se lever. Oui, il ressentait en lui l’impérative obligation de se rendre à la salle de jeux. Une force le poussait dans ce sens. Le problème c’est qu’il était minuit et à cette heure-ci le grenier était fermé à clé. Il enfila sa robe de chambre et s’empara de sa lampe de poche. Pas question de jouer à Indiana Jones ou à Harry Potter avec des bougies. Cette fois-ci, Chelsea dormait vraiment, il l’entendait respirer calmement. Veinarde, elle n’avait donc rien entendu.

Le vieil escalier en bois craquait malgré le poids léger de Jérémie. Mince, la porte était ouverte, ça alors ! Il éclaira l’intérieur de la pièce. Plusieurs cartons remplis de BD gisaient empilés dans un coin. C’était le désordre habituel. On y trouvait la vieille mappemonde, les longues-vues, les cartes et les livres de pirates. Le piano était à sa place, à côté du baby-foot. Un coffre attira l’attention de Jérémie. Il lui semblait ne l’avoir jamais vu. Il l’ouvrit. Surprise ! À l’intérieur reposait sur un coussinet rouge brodé de fil d’or une imposante boule de cristal opaque, couleur bleu nuit. Elle était superbe. Ses yeux s’agrandirent comme des soucoupes. La boule paraissait prendre vie. Elle s’illumina d’une clarté semblable à celle du soleil. Jérémie, ébloui, poussa une exclamation et tomba sur le dos. Mais voici qu’une sorte de flash en jaillit…

« Oh non, se lamenta l’enfant, pas lui ! L’homme barbu !

C’était le vieillard à barbe blanche ! Il commença à tournoyer autour du garçonnet, riant et clignant de l’œil.

–Ah ah ah ! Je savais que je te retrouverais petit garçon !

–Allez-vous-en, cria Jérémie. Vous ne me faites pas peur !

–Ah ? Je ne te fais pas peur ?! Sache enfant que désormais on ne se quittera plus.

Jérémie éteignit sa lampe.

–Que me voulez-vous ?!

–Je souhaite me mesurer à toi. »

Le spectre de l’homme tournoyait autour du garçonnet, le frôlant, se faufilant entre ses jambes, traversant sa robe de chambre, l’entourant comme une ceinture… Jérémie tapait avec ses poings en vain. Le spectre riait, riait !

« Tu te fiches de moi vieux machin !?

–Insolence et courage vont bien ensemble et apprends ceci : je ne suis pas un spectre mais un ange chérubin…

–Je m’en fiche ! Va-t’en !

–Tu oses me tutoyer ? Magnifique… Nous ferons de grandes choses ! »

L’ange chérubin souleva Jérémie du sol et le fit tournoyer, sautiller sur la tête, puis chevaucher le piano, couché sur le ventre et les jambes écartelées. Il perdit sa robe de chambre et se retrouva en pyjama. Il s’agrippait au clavier de l’instrument qui effectuait… Des loopings ! L’enfant fut désarçonné et partit en roulé-boulé sur la moquette où il percuta une pile de vieux cartons remplis de tissus, de livres, de vaisselle et autres poupées Barbie. Il se releva aussitôt, couvert de poussière mais le cœur rempli d’un ardent désir. Debout, solide sur ses jambes, il lança un ultime défi :

« Eh bien ! battons-nous ! Bats-toi chérubin ! Bats-toi, viens !

–Ô enfant merveilleux, petit garçon de sucre et de miel, je savais que je pourrais compter sur toi.

Un choc terrible le catapulta sur le dos. Un peu groggy, il se releva en hurlant :

–Tu as gagné une manche mais tu ne les gagneras pas toutes ! »

Il s’empara d’une queue de billard et frappa à chaque fois que l’ange se matérialisait à ses côtés. La plupart du temps, Jérémie brassait de l’air. C’était un combat trop inégal, perdu d’avance, mais l’ange testait la détermination du garçonnet. Celui-ci d’ailleurs lui décocha quelques coups très forts. L’ange comprit qu’il avait face à lui un rude adversaire. La lutte serait sans merci.

« Souviens-toi bien de ceci, avertit l’ange, il te faudra vaincre… 42 + 42 + 42 font combien ?

–126, vieil imbécile !

Le chérubin ne releva pas l’insulte car il connaissait l’insolence naturelle chez les enfants, il répéta d’autres nombres :

–1 x 2 x 6 ?

–12 ! criait Jérémie tout en combattant, se surprenant lui-même sur ses facultés en calcul mental.

–12 x 3 ? poursuivit l’ange.

–36 ! répondit l’enfant, je me fiche de tes chiffres, je n’y comprends rien !

–Tu comprendras bientôt », répondit l’ange.

Du même coup il assomma Jérémie qui s’écroula sur la moquette. Quand il se réveilla, il se frotta le crâne et, s’emparant de son « bâton », exécuta des moulinets au-dessus de sa tête.

« Tu m’as mis KO vieux machin, mais tu ne perds rien pour attendre !

–De ma vie entière je n’ai jamais connu un garçon aussi valeureux… 3 x 3 ?

–9 !

–x 3 ?

–27 vieux débris !

–27, 27, 27 ! jura l’ange. 27, 27, 27 ! Le nombre que tout humain se doit de ne jamais oublier…

–Je m’en fiche », hurla Jérémie tout en repoussant les assauts du chérubin.

Jérémie se battit toute la nuit, démontrant un courage hors du commun. Aux premières lueurs de l’aube, qui colorièrent d’un beau rose-orangé les carreaux du chien-assis, Jérémie s’effondra de fatigue. Le dos et la tête appuyés contre un mur, sa queue de billard reposant sur ses cuisses, il ferma les yeux, totalement anéanti certes, mais non vaincu. Fortement ému, l’ange s’agenouilla face à l’enfant endormi. Il n’avait encore jamais eu l’occasion de l’admirer. Son physique était aussi pur que son âme, et quel visage ! Il était d’une telle perfection, d’une grâce presque divine…

« Oh enfant merveilleux ! Tu as combattu l’ange chérubin toute la nuit ! Dors à présent et que le sommeil ne te fasse point défaut. Rappelle-toi, 27, 27, 27 ; 42, 42, 42… Grande sera ta mission. Désormais, “Hogmanay” sera ton nom ; Hogmanay, qui veut dire “la fête de celui sur qui on peut compter”. Ce que tu as vécu cette nuit, jamais tu n’en parleras. »

Il disparut et dans la même seconde, Jérémie se retrouva dans son lit, dormant paisiblement. Son réveille-matin indiquait toujours minuit…

II L’INVITATION

Le lendemain matin, Jérémie ressentit une forte pression sur son bras suivie d’une solide claque sur les fesses.

« Il est l’heure faignant !

–Chelsea ?! Tu es folle !? Je te déteste ! »

Elle partit en riant et lui se réveilla totalement surpris. Ça alors, dans son lit, il était dans son lit ! Et il ne se souvenait pas de s’être couché… Donc il n’avait pas rêvé ! Mais qui l’avait mis dans son lit ?! Le vieux fou ? S’il l’avait combattu la nuit entière cela avait dû créer un sacré ramdam !

« Chelsea ?

–Oui ?

La fillette se coiffait.

–As-tu entendu du bruit cette nuit dans le grenier ?

Elle s’énerva.

–Non et tu vas être en retard ! »

Jérémie bondit de son lit et commença à s’habiller. Incroyable ! Il était à présent certain d’avoir combattu le vieux fou toute la nuit et il ne ressentait pourtant aucune fatigue. C’était à n’y rien comprendre mais Jérémie décida que dorénavant, il ne chercherait plus à comprendre quoi que ce soit. Il enfila son vieux jean délavé et troué aux genoux qui lui prêtait un air d’aventurier tout à fait d’actualité, car il savait qu’une mystérieuse aventure pointait à l’horizon…

Durant le petit déjeuner, Jérémie demeura silencieux, plongé dans ses pensées. De temps à autre Chelsea lui adressait un regard moqueur mais il ne pouvait, et surtout ne désirait rien dire à personne. Il se pourrait que le vieux le punisse durement et Jérémie connaissait l’étendue de ses pouvoirs. Il savait qu’il ne pesait pas lourd face à un type de ce genre, qui aurait pu le tuer… Il en frissonna. Cependant le secret lui pesait trop lourdement. L’envie d’en parler à quelqu’un le dévorait intérieurement. Mais en parler à qui ? Surtout pas à Chelsea ni à son oncle. Impensable aussi de se confier à la gouvernante qui rapidement et croyant bien faire, avertirait son oncle, qui lui-même faible comme il était, alerterait sa fille…

« Vous êtes bien silencieux ce matin, constata, amusé, l’oncle Hollbrook. Demain soir c’est Halloween… Vos costumes sont terminés.

–Chic ! Je veux inviter Alex, dit Chelsea.

–Et moi Étienne, ajouta Jérémie.

–Il te protégera des fantômes !

–Idiote !

–Vous inviterez qui vous voudrez. J’ai pris la décision de vendre le petit piano d’en haut pour le remplacer par un demi-queue qui sera dans le grand salon…

–Papa !

Chelsea se jeta au cou de son père.

–Tu apprendras à jouer sur un instrument digne de toi, avec Mme Mangeasafin, une ancienne concertiste.

–Il ne manquait plus que ça, dit la gouvernante en levant les bras au ciel.

Jérémie brisa le bel enthousiasme général en questionnant son oncle :

–Et où allons-nous fêter Halloween ?

–Ici ! s’écria Chelsea d’un ton autoritaire.

–Exact, ma chérie.

La gouvernante se racla légèrement la gorge.

–Monsieur a-t-il oublié que cela était impossible ?

L’oncle piqua un fard et changea aussitôt d’avis.

–Non mon poussin rose ! Ce ne sera pas possible…

–Papa ? Tu oses dire non ?

Elle n’avait pas l’habitude d’essuyer un refus.

–Vous irez chez Alex, sa maman Valérie organise une fête dès 19 heures.

–Génial ! Chez mon copain ! dit-elle en embrassant son père.

–Mlle Malaimmer part pour quelques jours, reprit l’oncle Hollbrook, et moi je passerai toute la journée à Paris, mais je reviendrai vous chercher à mon retour, chez Valérie.

–Justement papa, il n’y aura personne à la maison et on l’aurait eue pour nous tout seuls…

–C’est impossible ! Des adultes doivent être présents.

Jérémie se moquait royalement de l’endroit où ils fêteraient Halloween. Le faire chez Alex ne l’enchantait pas mais c’était à son oncle qu’il en voulait. Il voulait toujours faire plaisir à sa fille, la sainte chérie, le bel ange, la poupée adorée. Elle avait priorité sur tout : le piano, la fête d’Halloween, le ski à Noël dans la station de son choix et même la marque de voiture de son père ! Et puis quoi encore ?! C’en était trop et il fulminait de rage.

« Je n’irai pas, cria-t-il subitement.

–Et pourquoi donc ?

–Je déteste Alex et on ne m’a pas demandé mon avis !

–On s’en fiche de ton avis, tu comptes pour du beurre ici ! »

Chelsea savait appuyer là où ça faisait mal. L’attaque était percutante. Maintenant qu’il était son fils adoptif, comment son oncle allait-il réagir, allait-il le défendre ? Il ne dit rien, laissant lâchement sa fille triompher. Jérémie explosa face à tant d’injustice :

« Je te déteste espèce de grue ! Je vous déteste tous !

–Surveillez votre langage Jérémie, ordonna la gouvernante.

L’oncle esquissa un sourire gêné.

–Allons les enfants, c’est la maman d’Alex qui a voulu inviter cette année, rien de plus naturel. »

La mère de Jérémie lui manquait tellement… Une sourde angoisse lui comprima soudain la poitrine. Privé d’air il inspirait avidement tandis que son cœur lui faisait mal. Oh ! Ce soir à Halloween, il se passera quelque chose d’important…

Affalée sur les sièges en cuir de la Skoda, Chelsea ravalait sa colère car « cet imbécile » (le papa d’Alex) était venu les prendre chez eux avec beaucoup de retard. Le parcours leur sembla bien long. Quinze kilomètres sur des routes de campagne boueuses et brillantes de pluie, en passant par Ermenonville. La lune brillait dans un ciel sans nuages et curieusement cette image rassurait Jérémie qui continuait de brasser quelques idées noires. Au bout d’un quart d’heure ils s’arrêtèrent devant une grande maison totalement illuminée. La maman d’Alex, une belle et grande femme distinguée, brune et portant des lunettes à monture noire, les attendait sur le palier.

« Enfin, mes petits ! On n’attendait que vous. Entrez. »

La fête battait son plein. Chelsea cherchait déjà Alexandre des yeux. On les débarrassa de leurs manteaux. Un buffet géant les attendait, la salle était décorée de toiles d’araignées géantes, et de balais suspendus un peu partout, et même au plafond. Une grande quantité de citrouilles baignaient le salon et la salle à manger d’une clarté féérique et mystérieuse. Plusieurs mamans semblaient affairées. Une bonne quinzaine d’enfants dansaient et s’amusaient. Des princesses, des Barbies et des sorcières formaient des couples avec des Peter Pan, des pirates des mers et des Draculas. L’éclairage tamisé imprimait des ombres sur les murs et les plafonds, donnant vie à autant de silhouettes mystérieuses.

Chelsea, habillée en « Pretty Woman », faisait son petit effet sur les garçons. Ce n’était pas là un déguisement pour Halloween mais elle avait décidé que cette soirée serait celle de sa grande déclaration d’amour à son chéri et qu’il fallait mettre le paquet : jupe rouge, bottines blanches, collants noirs, sac à main blanc, gants mi-longs noirs… Sa tenue tranchait nettement par rapport à celles des autres fillettes et c’est ce qu’elle voulait. Ses nattes étaient bien arrangées et son maquillage était parfait. Une véritable poupée de vitrine. Alex en resta bouche bée…

Jérémie était déguisé en Harry Potter et il constata qu’il n’était pas le seul. Ce grand benêt d’Alex avait eu la même idée que lui. Les petites lunettes rondes lui prêtaient un air intello qui ne lui allait pas. En observant Alex on pouvait déjà l’imaginer vieux, 40 ans, avec un gros ventre, chauve, en complet cravate dans un grand restaurant, entouré de jolies filles, fumant un immense cigare tandis que son chauffeur attendait dans une somptueuse berline noire !

« Hé ! Tu as eu la même idée que moi !

–Crâne d’œuf, répliqua Jérémie qui avait prévu l’attaque. C’est toi qui as eu la même idée que moi !

N’ayant pas l’habitude qu’on lui réponde, Alex devint livide.

–Je ne répondrai pas à un orphelin… Et c’est ma mère qui t’a invité, pas moi !

Il allait ajouter « toi tu ne peux plus en dire autant » mais Jérémie le coupa.

–Fiche-moi la paix Alex !

Jérémie se dirigea vers le buffet où discutaient plein de garçons qu’il ne pouvait reconnaître. Certains étaient dans sa classe, mais ils venaient surtout des classes d’Alex et de Chelsea.

–Que veux-tu boire mon lapin ? lui demanda la grand-mère d’Alex, une dame très distinguée avec des cheveux blancs et des lunettes de soleil.

–Euh, du Champomy, hésita Jérémie, s’interrogeant sur le fait de porter des lunettes noires dans une maison aussi sombre…

–Tu trinques ?

Il sursauta.

–Vise un peu Harry ?! T’en penses quoi ?

Le visage de Jérémie s’éclaira. Il reconnut Étienne à sa voix haut perchée.

–Ouaah », cria-t-il dans un élan de sincère admiration.

Étienne était déguisé en Rahan. Il ne portait qu’un short blanc et deux « peaux de bêtes » confectionnées par sa sœur aînée. Son père lui avait prêté son couteau corse dans son étui en cuir bleu épais. Il le portait fièrement autour de la taille. Ses cuisses et ses jambes étaient peintes l’une en jaune et l’autre en rouge. Un maquillage carmin lui colorait le visage, du front jusqu’au nez, le reste de sa frimousse étant jaune vif. Ses yeux, soulignés de noir, vous scrutaient de façon intimidante. Il portait une perruque d’Indien avec des nattes et quelques plumes.

« Tu es un drôle de Rahan ! » s’exclama Jérémie en riant.

Étienne se mit à bondir en poussant des cris de Sioux. On leur servit du Champomy et ils trinquèrent.

On sonna à la porte d’entrée. Quelques rares enfants l’entendirent malgré le tapage et ils avertirent Valérie.

« Je n’attends personne…, » s’étonna la maman d’Alex.

Se frayant difficilement un chemin, elle ouvrit la porte. Ce fut comme une apparition. Un enfant d’une sublime beauté se tenait dans l’encadrement. Il était revêtu d’un costume blanc lumineux avec des bottines rouges qui scintillaient de mille feux et portait des gants d’hermine brodés de fil d’or. Mais ce qui captivait surtout, c’était son visage : la perfection dans la grâce. Ses cheveux dorés mi-longs existaient comme pour mieux, protéger cette frimousse miraculeuse, tel un écrin. Cependant il était impossible de définir si « cette frimousse » était celle d’une fille ou d’un garçon. À y regarder attentivement, les traits du visage, véritablement radieux, possédaient la délicatesse et la pureté de la petite fille mais aussi la sévérité virile mais tendre du petit garçon. Son teint blanc faisait ressortir le rouge délicieusement rosé de sa bouche. Ses yeux resplendissaient comme deux émeraudes. Plusieurs fillettes trépignaient : « Qu’il est beau ! » Nombre d’entre elles enlevaient leurs masques pour mieux l’admirer.

La maman d’Alexandre, longtemps abasourdie, recouvra ses esprits.

« Mon petit ange (elle ne pensait pas si bien dire !), entre, tu dois avoir froid.

–C’est peut-être une fille ! dit un Peter Pan.

–Ah non ! C’est un garçon, répondit une princesse Aurore, et je l’épouserai !

L’enfant tenait un magnifique bouquet de fleurs sur lequel se cristallisa l’intérêt.

–Quelles fleurs magnifiques mon chéri, tu remercieras ta maman, c’est trop ! complimenta Valérie.

–Elle a fait une folie ! s’étonna la maman d’Étienne.

–Tu me le donnes ? lui demanda tendrement Valérie. »

L’enfant sembla hésiter, mais il le lui tendit et elle le saisit. Surprise ! Dans sa main, le bouquet devint rouge incandescent ! Elle le lâcha en poussant un cri.

« Mais !? Je me suis brûlée ! Tu n’as pas honte ?! 

L’enfant ramassa le bouquet et le tendit devant lui. Tous opérèrent un mouvement de recul.

–Ce bouquet est pour Hogmanay, affirma-t-il très sérieusement.

Les filles exprimèrent leur déception. Valérie éclata de rire.

–Il fallait le dire, c’est pour ton fiancé !? C’est trop’gnon, trop’gnon !

–Vachement trop trop’gnon », se moqua Chelsea.

On rechercha un petit Hogmanay. Il n’y en avait bien évidemment pas. Le cœur de Jérémie battait follement… Il s’approcha, suivi par Étienne et Alex.

« Hé poupée ! l’interpella Rahan en bombant le torse. Vise un peu l’homme !

–Tu t’appelles comment ma chérie ? Je connais tes parents ? s’inquiéta Valérie.

–Qui t’a conduit ici ? Ta maman ? On t’attend dehors ? s’inquiéta la maman d’Étienne.

–C’est vraiment étrange, » ajouta Valérie.

Brusquement le visage de l’angelot s’illumina… à la vue de Jérémie !

Les enfants poussèrent des exclamations, éberlués.

« Hogmanay ! Vous avez combattu mon grand-père toute une nuit… »

Ce fut la stupéfaction. Certains se retinrent de rire, mais pas Jérémie qui poussa un long soupir et se retint de pleurer. Depuis le début, il savait que le bouquet lui était adressé. À présent, le sort en était jeté. L’angelot se fraya un passage dans le petit groupe de garçons. Valérie commenta en riant :

« Elle va offrir son bouquet à son amoureux… Vite mon appareil photo !

Et elle se précipita dans sa chambre.

–Hé, murmura Étienne à l’oreille de Jérémie, tu as combattu son grand-père toute une nuit ? La vache !

Il pouffa de rire.

–Zut, ce n’est pas un jeu, s’énerva Jérémie en tapant du pied.

L’angelot se tenait face aux sept garçons qui ne riaient plus. Il mit un genou à terre et tendit le bouquet à Jérémie.

–Hogmanay…

–Pourquoi elle l’appelle Hogmanay ?! » demanda Étienne tout haut.

Jérémie prit le bouquet, et celui-ci devint flamboyant. Les enfants, admiratifs, crièrent et applaudirent. Valérie mitraillait la scène de dizaines de clichés.

« C’est ta copine ?! questionna Chelsea. Elle t’appelle Hogmanay ?

–Arrêtez, tempêtait le garçonnet. Je n’y comprends rien.

Valérie et sa mère intervinrent pour calmer le jeu.

–Allons les enfants, c’est un excellent tour de magie, conclut la grand-mère d’Alex, il faut mettre le bouquet dans l’eau à présent. »

Elle s’empara du bouquet qui se transforma en bouquet d’épines et d’orties ! La vieille dame le lâcha, horrifiée, à la stupéfaction générale. Cette fois-ci, une certaine crainte s’installa.

–N’y touchez plus, ordonna Jérémie, moi seul peux le prendre…

Sous les regards mi-apeurés mi-émerveillés, il toucha du bout des doigts les orties et les épines et en une seconde il redevint le plus magnifique bouquet du monde. Ce fut l’enchantement général, l’enthousiasme atteignit son point culminant. On apporta un vase et Jérémie y déposa le bouquet rouge et or. C’était surprenant, il régnait une incroyable cohue autour de Jérémie. Valérie lui déposa un gros bisou sur les deux joues. Fatigué, Jérémie ne disait plus rien…

« La créature a disparu, cria soudainement un enfant.

–Disparu où ?! Elle est partie sans rien dire ?

Tous s’étonnèrent. Où était passée la petite (ou le petit) au bouquet ?

–Elle était à côté de moi et hop, elle a disparu, témoignait un jeune sorcier visiblement choqué.

Éclat de rire général. Jérémie savait qu’il devait réagir vite.

–Je ne connais pas cette gamine ! affirma-t-il tout en se rendant compte qu’il valait mieux ne plus rien ajouter. De toute façon ils ne comprendraient rien.

–Tu te fiches de moi ? fustigeait Alex, où est ta copine ?!

–Elle a dû rentrer chez elle, dit la grand-mère d’Alex.

–C’est ça, elle est rentrée ! » affirma Jérémie qui décida de couper court à la discussion.

Il savait que cet enfant était un messager qui l’avait suivi jusqu’ici, mais pour quelles raisons ? Il n’en savait rien. Il était impossible de raconter ça à ses amis, ils l’enfermeraient chez les fous.

« Hé mec, s’amusa Étienne, tu fais quoi maintenant ?! Tu vas me faire disparaître, comme ta copine ?

–Imbécile, » lui rétorqua Jérémie.

Beaucoup d’enfants ne s’intéressaient déjà plus à l’incident et ils repartirent danser. D’autres, tels que Kevin, Alex et Chelsea, observaient de près ce mystérieux bouquet étincelant et encore lumineux, placé dans un vase.

« Il fait encore son effet, » dit Chelsea à la mère d’Alex.

La fête reprenait ses droits. La hache de guerre semblait enterrée entre Jérémie et Alex. Ce dernier s’approcha de lui. Son expression avait changé, se voulant plus amicale.

« Tu sais (il lui posa une main sur l’épaule), jusqu’à ce soir je te prenais pour un abruti, mais à présent c’est fini. »

Il lui tapa dans la main mais Jérémie ne lui rendit pas son geste et Alex repartit, vexé. Quant à Chelsea, sa chère cousine, trop orgueilleuse pour lui reconnaître une certaine supériorité et voyant l’affront fait à son amoureux, ne desserra pas les dents et lui lança un regard féroce. Une seule question : qu’allait-il se passer maintenant ? Brusquement Kevin l’appela :

« Jérémie, viens voir ça ! »

Kevin scrutait depuis longtemps le bouquet, et cela valait le coup d’œil. Jérémie se précipita, Alex et Étienne sur ses talons.

« Observez les pétales des tulipes et des roses. 

–Ils se fanent à une vitesse folle, constata Étienne une sourde angoisse dans la voix.

–C’est une nouvelle diablerie, murmura Chelsea.

–Boucle-la, hurla Jérémie.

Les pétales se tordaient comme pris de douleurs puis ils changèrent de couleurs, même ceux des roses devenaient noirs…

–Ils tombent !

Tous ouvrirent les yeux comme des soucoupes.

–Ne les touchez pas, prévint Jérémie.

Étienne retira ses mains. Chelsea se blottit dans les bras d’Alex. Les pétales, sous leurs regards ébahis prenaient des formes géométriques. Kevin, le fort en maths, fronça les sourcils.

« Chiffres inversés.

–Qu’est ce que c’est ? questionna Étienne.

–Ce sont des chiffres, vus à l’envers dans une glace ! s’écria Kevin. Vite un stylo !

Les autres, éberlués, ne répondaient rien. Kevin revint avec un stylo et un papier, et Chelsea avec un miroir de poupée !

–13, 67, 6, et… 74, nota Jérémie.

Les pétales continuaient à tomber sur le guéridon.

–Ce n’est pas un autre tour de magie, constata Kevin.

–C’est plus sérieux, conclut Chelsea.

–Un message… extraterrestre ? interrogea Alex.

–Pourquoi pas, répondit Étienne dont l’excitation commençait à le gagner.

–Regardez, coupa Jérémie, d’autres chiffres ! »

Une ultime exclamation s’échappa de leurs poitrines. C’était stupéfiant. Les pétales et les tiges mutaient, prenaient la forme d’un chiffre puis se désagrégeaient… Il fallait noter rapidement. Certains chiffres se confondaient avec d’autres, il ne fallait pas faire d’erreur car le message se promettait d’être important. Jérémie avait retiré ses lunettes d’Harry et Kevin, son masque de Dark Vador. Quant à Alex il avait tout jeté dans la pièce. C’était fantastique, un pur moment de frénésie.

« 28, 6, 4,… criait Alex.

–Non non ! Pas 28, 22.

–C’est ça 22 et ici… 13.

–13 ok… et 14 et 16… Non 6 ! J’ai dit 6 pas 16.

–Ok 6, pas de lézard !

–N’oublie pas le 1 Kevin… Encore 1, dit Chelsea.

–Combien ?

–1 + 1, deux fois 1.

–Ça fait 2…

–Non ! 1 et 1, chaque chiffre compte, martelait Jérémie.

–Ok noté.

–15 ? Ils sont à l’envers… Non non c’est 15, hésitait Étienne.

–15, confirma Chelsea.

–Parlez pas tous en même temps. »

Ils devenaient tous nerveux. Ce fut un moment historique et même hystérique. Un message venu d’ailleurs… Peu à peu un groupe se formait autour d’eux mais Jérémie exigea qu’ils soient seuls. Étienne s’en chargea de façon musclée provoquant de vives protestations chez les plus petits.

« Un peu moins de bruit les enfants, » alertèrent les mamans.

Kevin nota la liste définitive ! 5, 9, 14, 9, 20, 3, 8, 5, 22, 15, 1, 1, 19, 9, encore, 21, 18, 3, 20, 14, 13, 26, 20, 15, et 9 !

« Quel charabia, » se lamenta Jérémie.

Isadora Bellebranche était venue avec ses enfants, Aubépine 10 ans et Parfait 11 ans. Sa majesté Aubépine était déguisée en marquise et son Excellence Parfait naturellement en marquis, rien que ça. Ici pas de vêtements récupérés à Emmaüs ou au Secours Catholique mais des tissus brochés, fins, lamés, accompagnant les meilleurs velours, perruques poudrées, fichu en mousseline de soie, quelques bijoux de famille provenant de leur grand-mère, gants en peau et cuir luxueux, mocassins vernis et souliers en fourrure de vair… Quel goût raffiné dans cette famille et par-dessus tout, quelle modestie, quelle simplicité. À l’origine, Aubépine ne voulait pas venir à cette soirée « où il n’y avait que des pauvres ». Pauvres ? Ce fut vite dit. Cependant sa maman l’y força ainsi que son frère qui lui aussi avait traîné la jambe pour venir.

Chelsea et Jérémie n’aimaient ni Aubépine ni Parfait, qu’ils trouvaient snobs. Mais rendons hommage à Mme Bellebranche et surtout à sa charmante fille, car grâce à elle, la vie de Jérémie sera à jamais bouleversée…

« Est-ce que ça va les onfonts ? (Elle prononçait les « an » en « on ».)

–Oui madame Bellebranche, répondit Jérémie.

–Que faites-vous ici présontemont ?

–On essaye de décortiquer un casse-tête, lança Étienne énervé.

–Ma fille ce doux trésor va vous aider, il n’est pas un problème qu’elle ne puisse résoudre.

–Manquait plus que ça », ragea Jérémie, hors de lui.

La fillette s’approcha, jetant au passage un regard méprisant sur Étienne, le « sauvage », le « croc-magnon arriéré » et se faufila entre Kevin et Alexandre.

« Voilà, exposa Kevin, dans tous ces nombres, il y a un message. D’après moi ce sont des signes zodiacaux ou des positions d’étoiles, il nous faudrait une carte du ciel pour les interpréter.

Jérémie hurla :

–Mais ça ne la regarde pas ! »

Il savait que l’ange lui avait envoyé un message codé et il lui sembla que lui seul devait le déchiffrer mais cela s’annonçait long et complexe. Étienne fut le premier à renoncer, suivi d’Alex et de Chelsea. Ils repartirent faire la fête.

« Le total fait 301, constata Jérémie.

–Il est indivisible, dit Aubépine, mais d’où viennent ces chiffres ?

–C’est top secret, trancha Jérémie.

–Oh. Bien… répondit la fillette vexée en foudroyant le garçon du regard.

–Ne te crois surtout pas indispensable, ajouta Kevin.

–Je resterai tant que je le veux ! »

Kevin commençait à bouillir. Il éjecta Parfait qui défendait sa sœur en le menaçant « d’en faire de la chair à canon » s’il la ramenait. Le petit garçon partit en courant vers sa mère.

« Cours peureux ! » siffla Kevin entre ses dents.

Les enfants avançaient bien dans le travail de décryptage. Ils avaient divisé les chiffres par 2, par 3, les multipliaient à l’infini… Ce code ne pouvait provenir que d’une autre galaxie. Kevin se plongeait dans des livres d’astronomie et faisait des recherches sur Google : position héliocentrique, déclinaison, écliptique… Il passa tout en revue, c’était à s’arracher les cheveux ! Mais le résultat fut néant, rien n’aboutissait.

« Ces chiffres indiquent une longitude et une latitude ici, sur Terre, » dit Jérémie.

Pourquoi pas, au point où ils en étaient. Ils ramenèrent un globe terrestre et recommencèrent leurs calculs. 22 heures 40. Dans une heure, la nuit d’Halloween prendrait fin. Il fallait faire vite.

« Je veux moi aussi un stylo et un cahier », exigea soudainement Aubépine d’un ton hautain.

Aubépine se tourna vers Jérémie et le toisa :

« Va me chercher un carnet pour écrire !

–Mais non, de quel droit tu me donnes des ordres ?!

–La galanterie monsieur… la simple galanterie qu’un garçon se doit d’avoir envers une fille !

–Bon, j’y vais ! »

Kevin riait sous cape. Jérémie apporta à Aubépine ce qu’elle avait demandé. Elle le remercia du bout des lèvres et ils reprirent leurs travaux sur les longitudes et les latitudes. De son côté, la petite fille écrivait en abondance. 23 heures 30. La fête arrivait à son terme.

« Que fais-tu ? lui demanda Kevin.

Il n’obtint pas de réponse. Ils étaient à cran. Enfin elle s’arrêta d’écrire et les toisa d’un regard méprisant.

–Vous n’êtes que deux niais ! Les deux nigauds de la comtesse de Ségur…

Son frère éclata de rire. Satisfaite de son petit effet, elle enfonça le clou.

–Considérez ces chiffres comme une lettre de l’alphabet, vous avez donc T, C, H, N, I, E, M, U, I, A, E, Z, O, C, T, I, S, O, I, R, V, T, A et N. À vous de trouver un message avec ces 24 lettres, moi, ces gamineries m’indiffèrent. »

Elle déposa le cahier et le stylo sur le guéridon avant de rejoindre ses copines. Un nuage flotta au-dessus des têtes des deux garçons… Jérémie réagit le premier.

« Génial ! Elle a raison.

–C’est une piste parmi d’autres, se méfia Kevin.

–Non ! Il y a un message. Il faut le trouver. »

Ils s’attelèrent aussitôt à la tâche.

« On peut écrire ‘‘invitez’’, lança Jérémie.

–Oui et aussi “toi”, “ce soir”…

–Je note les chiffres et toi les lettres.

–Ok Kevin.

–On peut écrire “vient avec soi”.

–Ça ne veut rien dire, Jérémie, et fais gaffe aux fautes !

–Ou “viens avec moi ce soir” !

–Je déteste les mots croisés, se lamenta Jérémie.

Ils n’entendaient plus la musique ni le bruit ambiant. Ils alignaient des chiffres et des lettres. Soudain Jérémie lança un cri de victoire.

–J’ai trouvé ! Regardez : 3, 5, 19, 15, 9, 18, 1, 22, 1, 14, 20, 21, 9, 14, 9, 20, 3, 8, 5, 26, 20, 15, 9, 13 ! Toutes les 24 lettres y sont. Jérémie respira un grand coup :

–Le message est : “Ce soir chez toi avant minuit.”

Alexandre et Étienne venaient aux nouvelles.

–Vous avez trouvé ? »

Jérémie allait leur répondre quand il s’arrêta net. Ne s’agissait-il pas d’un secret ? Kevin détruisait déjà les papiers. Mieux valait que personne ne sache.

« Comment sais-tu que le message t’est adressé ?!

–Je le sais ! C’est tout.

–Alors ? s’impatientait Alex.

–Je dois rentrer chez moi tout de suite, décida Jérémie.

–Et Chelsea ?! questionna Étienne.

–Comment vas-tu rentrer ? À pied ? » s’inquiétait Kevin.