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Au coeur de l'Egypte antique, Isis affronte son frère Seth pour le contrôle d'une pierre aux pouvoirs insoupçonnés. Cet évènement étendra sa sombre empreinte sur l'avenir... France, 1910. Avanélia, seize ans, élevée par sa tante depuis son troisième anniversaire, essaye de se familiariser avec son père, Georges, et de rattraper le temps perdu. Bientôt, des évènements étranges bousculent le quotidien de la jeune femme. Ils semblent en lien avec Wilfried, l'énigmatique ami de son père. Méfiante, Avanélia fera tout pour percer les mystères qui l'entourent. Au même moment, dans l'ombre, des êtres ancestraux se rassemblent pour se défendre contre une Confrérie implacable qui ébranle le fragile équilibre de cette nouvelle vie, et bien plus encore... Alors que les ténèbres menacent de tout engloutir, nos protagonistes seront mis à rude épreuve pour préserver un avenir incertain. Plongez dans le premier volet de cette saga envoûtante et découvrez ce qui se cache derrière le secret des dieux anciens.
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Seitenzahl: 347
Veröffentlichungsjahr: 2024
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À toi qui tiens ce livre entre tes mains : Merci !
PROLOGUE
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17
CHAPITRE 18
CHAPITRE 19
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
CHAPITRE 23
CHAPITRE 24
CHAPITRE 25
CHAPITRE 26
CHAPITRE 27
CHAPITRE 28
CHAPITRE 29
CHAPITRE 30
CHAPITRE 31
CHAPITRE 32
CHAPITRE 33
CHAPITRE 34
CHAPITRE 35
CHAPITRE 36
CHAPITRE 37
CHAPITRE 38
CHAPITRE 39
CHAPITRE 40
CHAPITRE 41
CHAPITRE 42
CHAPITRE 43
CHAPITRE 44
ÉPILOGUE
ÉGYPTE, 2030 AVANT J.C.,
Des bruits de pas résonnaient sur le sol du temple dédié au dieu Seth. Une trentaine de personnes vêtues de pagnes en lin de couleur ivoire et parées d’or se pressait jusqu’aux portes de la salle des offrandes, dans laquelle des milliers de présents en tous genres s’entassaient. Des esclaves à moitié nus formaient une chaîne humaine pour tout acheminer jusqu’à la chambre du dieu.
La lueur des torches offrait des reflets crépusculaires aux hiéroglyphes sculptés à même les pierres. Les fresques apparaissaient ainsi plus sombres qu’en plein jour, gâchant quelque peu la magnificence des lieux.
La troupe bifurqua sur la gauche, grimpa un grand escalier pour se trouver face à une lourde porte en or massif. La jeune femme qui se trouvait en tête du cortège la poussa sans réserve. Les battants claquèrent contre les murs.
Le bruit sourd fit sursauter les filles de joie qui encerclaient un homme de taille imposante. Il ne mesurait pas loin de deux mètres. Ses épaules carrées et sa musculature impressionnante sculptaient la moindre parcelle de son corps. Sa peau basanée, comme celle de tous ceux présents, scintillait sous l’effet d’un onguent que ses compagnes lui appliquaient en massages sensuels. Les traits sévères de son visage pouvaient certes effrayer quiconque le croisait, mais une beauté certaine et mystérieuse s’en dégageait. Son regard hypnotique aux reflets argentés se porta sur les intrus qui venaient de faire leur apparition.
— Isis, ma reine ! Mes frères ! Quel manque de politesse de votre part ! Vous auriez au moins pu frapper, lança-t-il d’une voix grave et puissante.
Les femmes éclatèrent de rire avec lui, leurs seins nus se balançant en rythme à chaque sursaut de poitrine. Lorsqu’il s’aperçut du manque de réaction qu’il provoquait envers ceux qui le dérangeaient, il se leva d’un bond, soudain hors de lui, poussant au sol la courtisane qui lui caressait le torse.
— Que signifie tout ceci ? Allez-vous parler ?
— Mon frère, tu nous as tous trahis, répondit Isis, le regard acéré.
— De quoi parles-tu ?
— Ne fais pas l’innocent, Seth. Tu connais très bien la raison de cette réunion de famille.
Seth congédia les femmes qui l’entouraient d’un signe de la main. Elles sortirent toutes sans se faire prier en refermant les portes derrière elles. Il lança un œil encore plus noir à sa sœur, un rictus sournois aux lèvres.
Isis, à l’allure svelte et gracieuse, aurait pu plier sous le poids du colosse. Une grimace de contrariété restait figée sur son visage depuis qu’elle avait traversé tout le temple pour venir à sa rencontre, marquant sa force immuable. Elle possédait la même beauté étrange que Seth, pareille à celle de leurs frères et sœurs, air de famille distinguable, tout comme leur haute stature. Ses bras nus et chétifs n’avaient que la peau sur les os. Malgré cela, on sentait en elle une puissance surhumaine, et sa détermination actuelle s’avérait sans faille. Ses longs cheveux noirs, tressés en fines mèches maintenues par une tiare d’or, descendaient en cascade sur ses épaules et le long de son dos pour finir leur chute au creux de ses reins.
— Je vois que les nouvelles vont vite dans ce temple. Qui a osé vous avouer la vérité ? A-t-il au moins parlé sous la torture, ce qui pourrait me rendre clément envers lui si…
— Arrête cela sur le champ, scanda Isis avant de marquer une courte pause. Où est-elle ?
— Pourquoi la vouloir ? Que t’apporterait-elle ?
— Ne sois pas idiot, Seth. Nous savons tous quelle utilité tu en auras. Il est évident qu’elle a déjà servi : preuves en sont les mystérieuses disparitions en pleine journée !
Il y eut un murmure parmi la fratrie jusque-là silencieuse. Isis soutint le regard perfide de Seth. Celui-ci descendit du piédestal sur lequel trônait son siège en or et s’approcha d’elle, un air autoritaire dessiné sur son visage.
Il jeta un œil sur la petite assemblée avant de faire marche arrière et appuya sur le hiéroglyphe du piédestal représentant un scarabée, devenu le symbole de son frère Khépri, le plus solaire d’entre eux. Le bruit d’un mécanisme se répercuta en écho contre les murs de la pièce. Il ne quittait pas ses frères et sœurs des yeux.
— Que ferais-tu si cela s’avérait exact ? tonna-t-il, le visage fermé. Oseriez-vous tous me tuer pour cela ? Depuis quand est-ce un crime de posséder cette pierre ?
Enfin, le siège se recula petit à petit, et dévoila une niche. Seth s’en approcha, tendit la main et en sortit une pierre rouge sang de forme rectangulaire, taillée de vingt-six facettes identiques. Elle paraissait légère malgré sa grosseur qui tenait à peine dans la grande paume vigoureuse. Il la contempla quelques instants avant de se retourner vers sa famille.
— N’est-elle pas magnifique ? murmura-t-il, hypnotisé par l’objet qu’il tenait fièrement dans sa main.
Isis ne répondit pas, bouche bée devant tant de beauté. La pierre scintillait de mille feux, reflétant sa luminosité dans toute la pièce, elle dégageait une atmosphère chaude et apaisa les esprits.
— Cela ressemble à du sang humain solidifié, lança un des frères, émerveillé.
— En effet, répondit Seth, l’air absent. Que dois-je en faire, ma sœur ? Puisque tu as toujours réponse à tout…
— Tout ce que je sais, c’est que tu ne devrais pas la posséder. Nous devrions la détruire.
Un nouvel émoi parcourut la famille. Les voix s’élevèrent toutes en même temps, certaines de mécontentement, d’autres d’approbation.
— Pourquoi ne pas en faire usage ? Nous l’avons, alors autant nous en servir, lança l’un d’eux.
Cette interruption eut un effet libérateur. Isis reprit ses esprits et s’insurgea contre cette idée :
— Mes frères ! Cette pierre a été créée par l’un des nôtres, toutefois son usage est proscrit ! Je sais que cela peut être tentant d’aller à l’encontre de notre propre nature, mais qui sommes-nous pour décider de cela ? Seth s’en est lui-même servi à des fins malsaines.
Isis pointa du doigt l’accusé.
— Tu as tué des innocents, mon frère !
Les murmures s’évanouirent aussitôt. Isis reprit alors, sûre d’être suivie par ses frères et sœurs.
— À cause de toi, les hommes et les femmes de ce pays se révoltent peu à peu contre nous. Bientôt, nous finirons tous au bûcher, brûlés comme le sont les hérétiques ! Notre espèce survit grâce à notre discrétion. Toi, tu n’as jamais caché ton désir de mettre à feu et à sang le monde entier ! Comment crois-tu que les humains réagiraient s’ils connaissaient notre vraie nature ?
— Ils se prosterneraient devant notre supériorité ! hurla-t-il sans hésitation.
Un grand silence s’installa. Isis fut peinée de constater qu’il était bel et bien devenu fou.
— Tu te fourvoies.
Seth toisa les membres de sa fratrie, les foudroyant du regard les uns après les autres. La détermination se lisait dans leurs yeux. Il comprit alors ce qu’ils étaient venus faire ici. Dans un accès de rage, il bondit sur le plus proche, Sobek, enfonçant une main dans la poitrine pour lui arracher le cœur de la cage thoracique dans un sinistre craquement d’os. Sobek tomba lourdement à terre. Le sang se répandit rapidement sur le sol doré avant que son corps s’évapore en poussière d’or. La réaction ne se fit pas attendre. Les autres, furieux, se jetèrent sur Seth pour le maîtriser.
Lorsque Seth fut enfin immobilisé, Isis s’avança vers lui, saisit la pierre et la donna à l’une de ses sœurs qui l’enferma à double tour dans un coffre en or garni d’un tissu soyeux. Après un dernier regard meurtri vers son frère, la porteuse de la boîte emporta l’objet de cette sanglante confrontation hors de la pièce.
— Non, Nephtys ! cria Seth.
Isis prit le visage du traître entre ses mains :
— Mon frère, je suis désolée…. Nous ne pouvons craindre d’être démasqués. Tu comprendras un jour.
Elle se releva et lui tourna le dos pour s’éloigner.
— Toi qui es la plus âgée d’entre nous, pourquoi ne fais-tu pas preuve de clémence envers mon ignorance ? tenta-t-il pour se disculper.
Isis se retourna et vit la défaite marquer le visage de Seth. Lui qui semblait invincible quelques minutes plus tôt perdait de sa superbe, maintenu à genoux par ses frères, tête basse et dos courbé devant sa reine.
— Tu n’es pas ignare, Seth. Tu as toujours été différent de nous depuis ta naissance. Que diraient Père et Mère, s’ils te voyaient maintenant ? N’as-tu pas compris pour quelle raison ils s’étaient sacrifiés ?
Seth se débattit autant qu’il le put. Ses frères et sœurs le retenaient solidement. Deux autres femmes entrèrent dans la pièce, munies d’épaisses et lourdes chaînes en argent qu’elles portaient à l’aide de gants noirs cousus dans une matière inconnue à l’époque que les dieux possédaient pourtant depuis des milliers d’années. Il se raidit et lutta un peu plus encore à cette vue.
— Non ! Vous n’oseriez pas m’enchaîner à ces engins de torture ! lança-t-il, tout à coup apeuré comme un enfant.
— Excuse-nous mon frère, lancèrent ceux qui avaient encore le courage de le regarder en face.
— Nous… Je ne peux pas me résoudre à te tuer, reprit Isis. Cela serait au-dessus de mes forces. Il nous faut cependant agir face aux atrocités que tu as commises.
— Qu’allez-vous faire ?
La peur se lisait sur le visage du géant, suppliant ses frères et sœurs de l’épargner.
— Nous allons t’enfermer pour une durée que nous ne pouvons déterminer pour le moment. Cela dépendra de ta façon de te comporter lorsque nous viendrons te rendre visite, au fil des années à venir. Si tu n’évolues pas, nous ne pourrons te délivrer. Dis-toi que c’est une façon de t’aider à réfléchir aux conséquences de tes actes.
Aucun n’entendit la voix d’Isis s’érailler sur ses derniers mots.
— Non ! Non ! Je promets de ne plus jamais m’en servir ! Je t’en supplie ! Isis ! Isiiiis !
Cette dernière s’éloigna tandis qu’il continuait à la supplier. Ses autres frères et sœurs obéiraient à ses ordres et scellerait le sort du dissident.
En refermant derrière elle, ne pouvant retenir ses larmes plus longtemps, Isis se laissa glisser en tremblant contre l’imposante porte en or. Elle avait tenu tête à celui qui la terrorisait depuis des années. Loin d’en être fière, ce qu’elle lui faisait subir la rendait terriblement amère. Elle sentit la nausée monter. Sa gorge se serra, comme un appel à ne pas faiblir.
Dans la pièce, les deux sœurs s’avancèrent vers Seth et posèrent délicatement les chaînes autour de ses poignets, ses chevilles et son cou. Des cris de douleur retentirent au sein du temple, faisant redoubler les sanglots d’Isis. La reine enfonça sa tête entre ses genoux. Ses sanglots se répercutèrent aux alentours pendant plusieurs minutes, avant de s’éteindre progressivement dans la nuit.
FRANCE, DEBUT DU XXEME SIECLE,
Avanélia Élisabeth Marie De La Tour était née en 1894, dans une belle et grande demeure, proche des falaises de la ville d'Étretat. Sa mère, Élisabeth De La Tour, née Lacroix, décéda en la mettant au monde. Ce genre de choses arrivait encore fréquemment à l'époque, aux dires de son entourage. Son père, Georges, deuxième du nom, était l’héritier d’une grande lignée d’aristocrates français quelque peu malmenée pendant la Révolution de 1789. Avanélia n'avait aucun frère ni aucune sœur. Georges ayant fui ses responsabilités de père quelques temps après la mort brutale de sa femme, dès son troisième anniversaire elle fut élevée par sa marraine et tante, Gisèle, et son mari Jacques Des Hormons. Ils ne pouvaient pas avoir d'enfants, son arrivée chez eux fut donc tout à fait la bienvenue.
Gisèle et Georges étaient les derniers rescapés de leur famille. La plupart de leurs frères et sœurs n’avaient pas survécu à leur enfance, emportés par la maladie. Les autres s’étaient laissé corrompre par une autre morbidité : l’addiction aux jeux. Après avoir endetté un peu plus la famille, ils avaient disparu dans des circonstances funestes. Gisèle parlait de malédiction.
Bien entendu, Avanélia n’y croyait pas une seule seconde. Elle pensait que sa tante disait cela uniquement par superstition. Gisèle, ellemême, angoissait à la simple pensée que cela puisse être vrai, et, comme elle ne pouvait avoir d’enfant, que la lignée des De La Tour ne s’éteigne avec elle.
Avanélia habitait avec eux dans une charmante maison de maître que Jacques avait acquise quelques jours avant le mariage pour l’offrir en cadeau de noces à sa femme.
Les journées paisibles se ressemblaient toutes auprès de sa tante et de son oncle. Cela avait un effet rassurant sur Avanélia qui en connaissait le déroulé à la minute près.
Le matin, Gisèle suivait Odette, la vieille bourrique qui servait de femme de chambre, pour le lever d’Avanélia. Personne n’aimait cette Odette, pas même Gisèle. La domestique voulait toujours tout gérer. Compte tenu de son ancienneté au service de la famille Des Hormons, elle pensait avoir le monopole sur tout ce qui se tramait chez eux. Elle ouvrait tous les rideaux de la demeure le matin, une heure à peine après le chant du coq. Elle aimait se parer comme une dame, bien qu’elle ne puisse tout accomplir dans cet accoutrement. Elle était considérée comme une réelle excentrique.
Des rumeurs couraient à son sujet parmi les domestiques, comme celle prétendant qu’elle était l'ancienne maîtresse de feu Jean Des Hormons et que sa fille Madeleine était une bâtarde ; ou encore, une autre affirmant qu'elle était la première femme de Monsieur Des Hormons et qu'il l'avait condamnée à devenir servante après l'avoir trouvée à fricoter avec un paysan du voisinage. Ces divagations faisaient beaucoup rire Jacques qui savait pertinemment que tout était faux. Pour Avanélia, qui ne croyait à aucun de ces ragots, rien ne changeait pour autant : Odette était détestable. Néanmoins, la jeune fille était toujours heureuse lorsque cette dernière apparaissait dans sa chambre pour ouvrir les rideaux à la volée.
Avanélia peinait à ouvrir les yeux à une heure aussi matinale, mais elle savait que sa tante Gisèle serait assise à ses pieds sur le lit à baldaquin quand elle se réveillerait enfin.
Sa tante possédait cet incroyable sourire, constamment pendu à ses lèvres, qui mettait tout le monde de bonne humeur pour la journée à venir.
Avanélia considérait Gisèle comme sa propre mère tant elle était attentionnée envers elle, et la jeune fille ne manquait jamais de rien. Certains auraient pu la considérer comme gâtée, c’était pourtant loin d’être le cas. Il arrivait souvent à Avanélia de se faire disputer pour les nombreuses bêtises qu’elle commettait. Gisèle ne restait cependant jamais longtemps fâchée contre sa filleule. Elle avait ce besoin vital de materner qu'ont les femmes qui souhaitent procréer sans avoir la possibilité de le faire.
Pendant treize ans, Avanélia apprit auprès de sa tante tout ce que devait connaître une fille de bonne famille. Jacques avait fait appel aux services d’un précepteur qui l'initiait à la lecture, les sciences et la géographie le matin. Gisèle et Avanélia se retrouvaient ensuite pour déjeuner. Après cela, elles effectuaient une promenade digestive avec les chiens avant de continuer les préparatifs que Gisèle prenait ellemême en main pour aider sa nièce à devenir une grande dame. Ainsi lui enseignait-elle la politesse, les révérences, la manière dont elle devait se mouvoir, s'exprimer, boire. En somme, elle lui inculquait la façon dont elle devrait se comporter une fois présentée dans le grand monde, ainsi le voulait l’usage. Ce qui n’était pas toujours chose aisée.
Après avoir passé une matinée à se voir enseigner l’algèbre et avoir copieusement déjeuner, Gisèle et Avanélia se trouvaient dans la bibliothèque pour détendre leurs jambes, mises à mal par une balade plus longue qu’à l’ordinaire. La tante demanda à sa filleule de bien vouloir lui lire quelques pages d’un roman qu’elle avait commencé. Cela n’enchantait guère la jeune fille, qui avait quelque problème de concentration lorsqu’il s’agissait des romans philosophiques indigestes que sa tante lisait, et auxquels elle ne comprenait pas grand-chose.
Gisèle tricotait un nouveau chandail pour les fraîches soirées lorsque Avanélia commença sa lecture. Assisse sur un fauteuil douillet, la jeune femme se penchait en avant dans une position peu pratique, livre ouvert à plat sur les genoux, nuque baissée vers l’ouvrage.
— Redresse-toi, Avanélia !
Surprise, l’adolescente sursauta. Elle retint un soupir. Cette histoire l’ennuyait déjà, elle n’avait pas envie d’entendre sa tante la réprimer de surcroit !
— Ne pourrions-nous pas prendre le thé, à la place ? tenta-t-elle.
Gisèle lui sourit.
— Il n’y a que les dames qui prennent le thé, ma chère. Et une dame se tient droite !
Avanélia serra les dents, fronça les sourcils, et se redressa en tenant son livre devant elle pour continuer sa lecture tout en cachant à sa tante sa mine déconfite.
Les fins de journée se ressemblaient également. Lorsque Jacques revenait à la maison, ils dînaient ensemble. Le mari discutait surtout avec sa femme, considérant qu’Avanélia ne pouvait comprendre les « choses d’adultes » qu’il évoquait : la politique, les affaires qui le préoccupaient, les guerres étrangères, etc.
Avanélia pouvait donc quitter la table plus rapidement que sa tante, pas plus enthousiasmée que sa filleule aux monologues de son époux. Elle savait cependant que le mariage nécessitait des compromis tel que celui d’écouter Jacques tergiverser sur des sujets dont elle n’avait cure.
Lorsqu’elle était enfin libérée de la corvée de discussion, sa tante venait tous les soirs embrasser Avanélia avant qu’elle s'endorme. Gisèle avait les cheveux très longs et laissait parfois sa nièce les lui coiffer, avant le coucher. Avanélia admirait sa chevelure brune qui tombait telle une cascade sur son dos, elle qui possédait une crinière de feu quasi indomptable à cause des frisottis de ses boucles. Un charme certain se dégageait de Gisèle, peut-être dû au grain de beauté qui se trouvait juste sous son œil droit. Légèrement plus ronds que ceux de sa nièce, ses yeux se teintaient toutefois la même couleur noisette. Au soleil, les pépites vertes réparties dans ses prunelles paraissaient plus vives et lui donnait un air malicieux. Gisèle supportait mal le temps frais de la Normandie. Selon les saisons, elle portait toujours un châle de dentelle ou de laine sur les épaules.
Parfois, il arrivait à la tante de lire des contes de fées à sa filleule. À chaque veillée, Gisèle se rendait compte tardivement que la jeune femme dormait depuis un moment déjà lorsqu’elle refermait l’ouvrage.
Un matin de l’année 1910, en sentant les rayons du soleil percer à travers les fenêtres, Avanélia ouvrit les yeux sur le visage attristé de sa tante. Ne posant aucune question, la jeune femme laissa Gisèle lui choisir une toilette, comme de coutume. Sa marraine ne prononça pas un mot de toute la matinée. L’aphasie de Gisèle angoissait Avanélia, qui n’appréciait guère mieux son air morose.
Elles allèrent se promener dans le jardin. L’adolescente étudia ensuite sur la terrasse, puis fit la lecture à sa tante pendant qu’elle brodait des initiales sur un mouchoir de poche. Cette dernière ne la reprit pas lorsqu’Avanélia buta sur les mots compliqués, contrairement à son habitude. Dans l’incompréhension la plus totale, Avanélia se renfrogna, inquiète d’être la cause de l’état de sa tante. Elle sentait sa gorge se serrer et les larmes monter à ses yeux. Elle secoua la tête pour se reprendre, dans le but de ne pas montrer ses émotions, et continua sa lecture d’une voix légèrement chevrotante.
Lorsque vint l'heure du déjeuner, Avanélia trouva avec surprise son oncle déjà attablé. Jacques était un homme robuste avec un léger embonpoint situé autour de la taille. Sa petite tête ronde ressemblait à celle d’un bébé joufflu pourvu d’une barbe grisonnante et touffue. À l'inverse de cette pilosité généreuse, sa chevelure commençait à se dégarnir, ainsi la blancheur de sa peau apparaissait-elle sur le haut de sa tête. Ses yeux ronds, globuleux, enfoncés dans son crâne, surplombaient un nez proéminent. Il n’était pas bel homme mais il aimait profondément sa femme. Tombé amoureux au premier regard, il avait attendu patiemment qu’elle finisse par céder à ses incessantes demandes en mariage. Orpheline à l’époque de leur rencontre, Gisèle n’avait pas eu le choix. Jacques héritait tout juste de son père et elle n’avait pas un sou en poche. Georges la convainquit d’accepter les avances de Jacques.
Après plusieurs années de mariage heureux, ils perdirent l’espoir d’engendrer un jour une descendance lorsque Gisèle souffla ses quarante bougies. Jacques se lança alors à corps perdu dans le travail, délaissant quelque peu sa femme, malgré les petites attentions toujours présentes.
— Bonjour mesdames ! lança-t-il, tout sourire.
— Quel plaisir de vous voir vous joindre à nous, mon oncle, répondit Avanélia sans réussir à masquer son étonnement.
D'ordinaire trop occupé par ses affaires pour venir prendre son repas avec elles le midi, il était cependant présent à chaque souper et les emmenait parfois dîner chez des connaissances ou au restaurant, avant une soirée à l’opéra ou au théâtre. Ils menaient ensemble une vie agréable.
Qu’il soit présent si tôt dans la journée ne pouvait augurer que deux choses : une excellente ou une terrible nouvelle. Au vu du comportement de sa tante, Avanélia penchait plutôt vers la seconde option. Elle chercha des réponses dans le regard de Jacques, en vain : ce dernier avait déjà détourné son attention d’elle pour s’asseoir au bout de la table. Il suivit des yeux ses deux petites femmes, comme il se plaisait à les appeler, alors qu’elles prenaient place.
Avanélia mangea à peine, en prise avec un sentiment de culpabilité mêlé à l'angoisse de ne pas savoir pourquoi les choses se déroulaient ainsi ce jour-là. Son oncle, agacé par le silence oppressant qui régnait dans la pièce, prit la parole tandis que Madeleine, vêtue de son tablier de cuisine, débarrassait les couverts pour qu’ils puissent manger le dessert dans de petites assiettes de porcelaine.
— Eh bien, Mesdames, à quoi vous êtes-vous occupées ce matin ?
Avanélia regarda sa tante qui paraissait perdue dans la contemplation de son verre de vin rouge.
— Nous avons fait une promenade dans le jardin avec les chiens, répondit la fillette. Edgar était absurde et se roulait dans l'herbe. Puis nous sommes revenues, j'ai étudié pendant que ma chère tante brodait un mouchoir. Ensuite…
À peine eut-elle prononcé ces mots que Gisèle éclata en sanglots. Jacques et sa nièce se tournèrent vers elle, lui le regard empli de compassion, l’adolescente agitée de questionnements, dépitée de voir sa tante dans un tel état.
— Allons, allons, très chère, lui murmura alors Jacques.
Voyant qu'elle ne cessait de pleurer à chaudes larmes, il se leva et alla se tenir à ses côtés pour lui offrir la serviette qu'il tenait dans sa main. Il jeta un regard éploré vers Avanélia et fronça les sourcils en lisant sur le visage de sa nièce l'incrédulité dont elle faisait preuve. Il se retourna alors vers sa femme qui gémissait bruyamment.
— Ne lui avez-vous donc rien dit ? s'exclama-t-il.
Celle-ci secoua la tête. Jacques soupira. Il reprit sa place en jetant sa serviette sur la table. Ses deux mains se joignirent devant lui et il s'adressa à la jeune fille avec un ton sérieux, l’air peiné.
— Nous avons reçu un message de votre père, hier, tard dans la soirée.
— Oh ! s'étonna-t-elle. Nous avions très peu de nouvelle de sa part… Je ne pense pas l’avoir déjà rencontré, à mon souvenir.
— Je sais que cela vous est très soudain. Cependant, il a demandé que sa demeure soit à sa disposition pour son arrivée en fin de semaine.
Avanélia fit tomber ses couverts. Personne n’avait revu son père depuis qu’il l’avait déposée ici ; elle-même n’avait aucune idée de qui il était vraiment. Jacques marqua une pause, comme si la suite était plus difficile à dévoiler.
— Il souhaiterait vous revoir.
— Je me souviens à peine de lui… Que pourrais-je bien lui raconter ? Irons-nous dîner ou déjeuner chez lui ? À moins que nous nous rencontrions autour d’un thé ?
— Ce serait définitif, ma chère enfant, la coupa Jacques.
Personne ne dit mot pendant des secondes qui parurent durer une éternité.
— Définitif ? murmura-t-elle pour elle-même.
— Il est votre père, après tout. Nous savions que ce jour arriverait tôt ou tard. Son plus grand droit est de pouvoir vivre avec vous et de vous élever selon ses désirs.
— L'éducation que je reçois ici me convient ! Je ne veux pas !
L’adolescente était totalement abasourdie par cette nouvelle inopinée. Au fond, elle ne connaissait pas son père, et ne l'avait pas vu une seule fois en seize années de vie.
Avanélia n’était pas d’accord avec son oncle : son père était absent depuis trop longtemps de sa vie pour avoir droit sur elle ! Cependant, elle connaissait la loi : elle n’avait pas son mot à dire. Son côté rebelle s’élevait tout à coup, lui intimant de ne pas manquer de faire savoir à son géniteur ce qu’elle pensait de tout cela.
— Je vous en prie, Avanélia, soyez raisonnable ! Votre père sera un très bon tuteur, c'est son rôle et c'est un homme admirable, respecté et aimé de tous ici. Vous devriez être heureuse qu'il vous accorde de son temps, de le retrouver et d'avoir la chance de grandir à ses côtés.
Gisèle ne maîtrisait plus ses sanglots qui redoublèrent d'intensité en entendant son mari hausser ainsi le ton. Cela eut pour effet d’agacer un peu plus Jacques qui maudissait les comportements de sa nièce qu’il considérait capricieux.
— De toutes les manières, vous n'avez pas le choix, ma chère, continua d’asséner son oncle, sans faire cas du désespoir de sa femme. Votre père en a décidé ainsi et sa volonté ne saurait être contestée !
Sur ces mots, Jacques se leva d'un bond et se retira dans son cabinet de travail. Avanélia fixa alors l'assiette pleine devant elle, remuée dans ses pensées par les sanglots de sa tante qui arrivait finalement à se contrôler petit à petit.
Les questions se bousculaient en elle : comment leurs retrouvailles pouvaient-elles se passer sereinement dans ses conditions ? Était-ce quelqu’un de bon ? Saura-t-il être à la hauteur de son rôle de père, ou se volatiliserait-il à la moindre contrariété ?
Bien qu’elle n’en ait aucun souvenir, l’abandon auquel elle avait dû faire face la marquait profondément.
Soudain, Avanélia se leva sans demander l’avis de qui que ce soit. Elle gravit les marches quatre à quatre avant de courir se blottir la tête sous les oreillers de son lit afin d’étouffer ses pleurs de consternation.
Georges arriva chez sa sœur et son beau-frère un samedi en fin d'après-midi. Il paraissait fatigué du voyage. Des cernes creusaient ses yeux, de nombreuses rides parsemaient ses paupières et le coin de sa bouche. Ses cheveux, plus blancs que gris, se décoiffèrent lorsqu'il ôta son chapeau haut-de-forme pour les saluer. Gisèle avait dit à Avanélia que son père allait bientôt fêter ses quarante ans, elle pensait d'ailleurs que l’opportunité de son retour promettait une belle réception à l’horizon. Sa tante précisa que ce serait une occasion de se revoir. La jeune femme n’avait rien répondu à cela. Elle ne voulait pas qu’il y ait besoin d’un événement particulier pour voir sa tante. Elle aurait préféré que son père ne revienne jamais.
Un sourire lumineux éclaira le visage de l’homme et produisit une étincelle dans ses yeux lorsqu'il vit sa fille. Celle-ci portait sa plus belle tenue. Elle était d'un beige nacré et des rubans formaient de gros et élégants nœuds sur les épaules. L'encolure laissait entrevoir le haut du buste de la jeune femme, mais les manches cachaient ses avant-bras. Gisèle avait fait raccourcir la jupe, car le tailleur l'avait confectionnée quelques centimètres trop longs. Elle s'arrêtait donc un peu au-dessus des chevilles, de façon que l’on puisse voir les souliers vernis, neufs eux aussi. Avanélia n’aimait pas ces toilettes, toutes choisies par sa tante qui gardait le goût du siècle passé. Elle espérait pouvoir un jour décider seule de ce qu’elle pourrait porter.
— C'est fou ! s’exclama son père, la voix tremblante. Tu lui ressembles tellement…
Avanélia ne releva pas la remarque de Georges. Hormis les yeux qu’ils partageaient, elle ne se trouvait aucune ressemblance avec cet étranger qui se présentait comme étant son géniteur. Un père abandonnait-il son enfant comme il l’avait fait ?
— Bonjour père. Avez-vous fait bon voyage ?
— Ce fut éreintant ! lâcha-t-il en embrassant le front de la jeune femme qui se raidit sous la spontanéité de ce geste.
Il posa une main fébrile sur les cheveux roux, tressés pour l'occasion, son autre main resta posée sur le pommeau à tête de lion de sa canne.
— La même chevelure que mon épouse, reprit-il dans un souffle, le regard perdu.
Sa main retomba et s’abattit contre son flanc dans un froissement distinct.
— Entrez donc, mon cher frère, invita Gisèle.
Perturbée, elle racla sa gorge qui commençait à se serrer de tristesse.
Ils pénétrèrent les uns après les autres dans le grand salon où le thé était servi.
— Je suis si heureuse de vous revoir enfin, Georges. Nous avions si peur ! Comme nous ne savions pas où vous étiez passé, nous nous étions préparés au pire.
— Moi de même, ma chère Gisèle, répondit-il en esquissant un sourire.
Gisèle ne comprit pas la signification de ces mots, pas plus qu’Avanélia. Avait-il connu des mésaventures dont il ne souhaitait leur faire part ? Ce retour soudain répondait-il à un besoin de repos par suite d’une maladie dont il leur aurait caché la teneur ?
— Nous avons tant de choses à nous dire, continua-t-il. Beaucoup d’années se sont écoulées depuis...
Il n’eut pas à finir sa phrase pour que tous comprennent à quel événement il faisait allusion. Son regard se perdit dans le vide, il secoua la tête avant de reprendre :
— Auriez-vous fait changer la tapisserie ?
— Oui ! Comme cela me fait plaisir que vous le remarquiez... Jacques n'aimait pas beaucoup l'ancienne, quant à moi, je la trouvais démodée. Nous avons donc...
Avanélia n'écoutait pas leur conversation. Elle observait son père, fatigué du voyage, et de bien des choses encore dont il ne voulait leur faire part. Elle était stupéfaite de son aspect renfermé. Il ne ressemblait guère au portrait de l’homme qui se trouvait dans sa chambre. Peut-être s’était-il tassé avec l’âge, mais cela lui parut surprenant car il n’était pas aussi vieux que cela. Les rides formées autour de ses yeux noisette, dont la jeune fille avait hérité, ainsi que sur son front intriguaient Avanélia plus que tout autre chose. Il paraissait recroquevillé sur lui-même, comme si un lourd poids pesait sur ses larges épaules. La blancheur prématurée de ses cheveux, de sa moustache taillée en pointe et de sa barbe de trois jours faisait peur à l’adolescente qui s’imagina que son père devait être malade, ce qui, selon elle, expliquerait les propos qu’il avait tenu. Ses joues étaient creuses, comme s'il n'avait pas mangé à sa faim depuis plusieurs semaines. Sa peau était pâle et son visage reflétait une tristesse palpable.
Il n'accorda pas un seul regard à sa fille pendant le goûter. Cette dernière repensa alors à ses paroles. Hormis la couleur de ses cheveux, elle ne se trouvait aucune ressemblance physique avec sa mère. Pourtant, tout le monde le lui certifiait. Peut-être son père n'arrivait-il pas encore à se résoudre à la perte qu'il avait connue, à cause de sa venue au monde ? La considérait-il comme fautive de la mort de sa mère ? Cela pouvait expliquer sa réaction envers elle, se disait-elle. Il ne devait sûrement pas se rendre compte du mal qu'il lui faisait en cet instant, alors qu’il ne lui accordait aucun mot ni aucun regard.
Il arrivait souvent à Avanélia de contempler le portrait de ses parents contenu dans le médaillon que sa tante avait fait fabriquer pour elle. Elle le gardait autour de son cou, tel un talisman. Quoi qu'on puisse en dire, elle aimait l’image de son père, tout autant que de sa mère, même si elle ne les connaissait pas. On ne saurait combattre les liens du sang. Il se dégageait de ce portrait un sentiment de bonheur respectueux, sincère, unique et indescriptible. Ses parents s'aimaient, cela se lisait dans leurs regards. Aussi, son père ne pouvait pas lui accorder d’attention : ce serait revoir sa femme.
Avanélia comprit cela bien des années plus tard, néanmoins, à l’époque, elle interpréta le comportement de son père comme de l'indifférence à son égard.
Lors du souper, le silence qui régnait entre Georges et Avanélia oppressa cette dernière, mais elle fit comme si de rien n'était afin de n'alarmer personne. Elle ne put cependant rien avaler.
Son père échangea bien peu avec Gisèle et Jacques. Son front s'était plissé en de légères crevasses qui lui donnaient un air plus déclinant encore. Il paraissait réfléchir à quelque chose d’important. Avanélia n'était pas la seule qui se minait de l'intérieur avec ses pensées, lui aussi était rongé par quelque secret qu'il ne pouvait pas révéler autour de cette table.
Lorsqu’il eut fini le plat de résistance, il s'excusa auprès de ses hôtes et s’enquit de savoir quelle était sa chambre pour la nuit. Jacques demanda à Odette de lui montrer ses appartements, et ils s'éclipsèrent tous deux dans le couloir. Leurs pas résonnèrent durant l'ascension de l'escalier principal.
Gisèle, Jacques et Avanélia expirèrent tous trois en même temps lorsqu’ils n'entendirent plus le bruit de la canne marteler le plancher. L’oncle rompit le silence :
— Depuis quand a-t-il besoin de l’aide d’une canne pour marcher ?!
— Il ne semble pourtant pas en avoir l’utilité, lui répondit Gisèle. Je ne l’ai pas vu s’y appuyer. Encore une de ses excentricités !
— Je le trouve très fatigué, n'est-il pas ?
— Et si vieilli ! renchérit Gisèle.
— Certes, réussit à murmurer la fillette.
— Ma pauvre enfant, lui lança alors sa tante, pleine de compassion. J'ai remarqué qu'il ne vous a accordé aucun mot durant la soirée. Je suis certaine que tout ira mieux une fois la nuit passée.
— Oui, répondit Avanélia sans conviction.
— C'est certain, intervint Jacques. Tout ira au mieux une fois installés chez vous.
Ils parlèrent ensuite de la semaine qui venait de s'écouler, cependant, Avanélia ne pouvait chasser la triste mine de son père de son esprit.
Son oncle avait pour habitude de boire un café dans le petit salon après le souper, tandis que sa tante et elle se faisaient servir une camomille. Avanélia profita de quelques instants afin de demander à son père s'il acceptait de se joindre à eux. Cela ne se faisait pas, cependant, elle ne pensait pas que l’homme qui avait lui-même manqué aux convenances lors de son arrivée lui en tiendrait rigueur.
Elle gravit le grand escalier principal, s'introduisit dans l'un des nombreux couloirs et s'arrêta devant la porte derrière laquelle se trouvaient les appartements réservés aux invités qui venaient séjourner ici. La jeune fille leva le poing pour frapper. Elle immobilisa son geste en entendant la voix de son père s'élever à l'intérieur de la pièce. Elle ne lui parvint pas de manière distincte, aussi ne perçut-elle pas toute la phrase qu'il prononça.
— … ne t'approche pas d'elle... Je ne veux pas la mêler à ça !
Un silence suivit. Personne ne paraissait lui répondre. Avanélia resta figée comme une statue, le souffle coupé, l’oreille contre la porte. Puis il y eut des bruits de pas, le grincement d'une fenêtre que l'on ferme, et de nouveaux pas. La porte s'ouvrit à la volée. Surprise, la jeune femme sursauta.
— Avanélia ?
— Euh... Je... Désirez-vous vous joindre à nous pour le thé ?
Georges plongea un regard à la fois noir et anxieux dans celui de sa fille, comme s'il cherchait à lire en elle. Un silence gênant s'installa entre eux.
— Je suis très fatigué, ma chère enfant, répondit-il d’un air dur. Une autre fois peut-être.
— Bien. Bonne nuit, père, répondit-elle.
— Bonne nuit.
La porte se referma d'un coup sec. Avanélia eut néanmoins le temps de s'apercevoir qu'il n'y avait personne d'autre que son père dans la pièce. Elle resta devant la porte quelques instants, l'oreille tendue. Elle perçut Georges faire les cent pas, puis la porte qui menait à la chambre claqua bruyamment.
Bien qu’ayant avalé des litres de camomille, Avanélia dormit très mal cette nuit-là. Avoir été confrontée à cette scène si particulière lui fit se poser des questions sur son père. Elle pensa alors qu'il était peut-être un peu fou. Cependant, ce n'était pas tant cela qui la préoccupait, plutôt la désagréable sensation d'être observée au cours de son sommeil. Elle se réveilla ainsi à de nombreuses reprises, en proie à une angoisse palpable, bien qu’il n'y eût personne d'autre qu’elle dans l'obscurité de la chambre. Avanélia s'emmitoufla alors sous les couvertures, sa tête dépassait de temps à autre pour voir si elle était seule, puis elle s’endormait de nouveau, se réveillait une heure plus tard, et recommençait ainsi de suite toute la nuit durant. Elle était en sueur sous les draps, aussi, au bout de quelques heures à somnoler, la jeune femme prit la décision d'allumer la bougie qui se trouvait sur la table de chevet. Elle fit cependant de nombreux cauchemars qui l’imaginaient mener une vie exécrable en compagnie de son père. Elle réussit ainsi à sombrer dans un sommeil agité jusqu'à ce que Madeleine vienne la lever le lendemain matin.
Le fait de quitter sa tante et son oncle si soudainement la déboussolait. Les laisser entre eux lui brisait le cœur, toutefois on ne lui avait pas demandé son avis. Elle craignait de se retrouver seule avec l’homme qui l’avait abandonnée peu de temps après son premier anniversaire. Avanélia ne savait pas comment elle devait appréhender la situation et comment lui faire confiance après qu’il l’ait délaissée.
Certes, elle avait eu une enfance heureuse, et ne s’était jamais posé la question de savoir qui était son père ni ce qu’il faisait de sa vie car elle s’en moquait. Tout comme il devait n’en avoir cure d’elle, sinon pourquoi s’en serait-il aller sans donner de nouvelles pendant des années ? La jeune femme ne savait pas à quoi s’attendre avec lui et n’en revenait pas que sa tante ait cédé si aisément comme s’il s’agissait d’échanger un simple objet. Pourtant, elle n’en voulait à personne d’autre qu’à son père, et paradoxalement elle aspirait à mieux percer à jour la carapace de cet homme.
Avanélia finit par quitter son lit avec plus de peine qu’à son habitude. L’angoisse lui rongeait le ventre.
— Odette n'est pas là ?
Madeleine jeta un bref coup d’œil à Gisèle avant de répondre :
— Elle est occupée à d'autres tâches ce matin, Mademoiselle.
— Votre père dort encore, intervint Gisèle. Je vous ai fait lever un peu plus tôt pour que nous profitions du lever du soleil ensemble.
Elle manqua de terminer sa phrase par une dernière fois, mais se retint. Avanélia sourit néanmoins à cette idée. Sa tante avait déjà fait cela plusieurs fois auparavant. Elles partageaient l’idée que les levers et les couchers du soleil étaient le spectacle le plus magnifique au monde. Ils différaient chaque jour, ce qui ajoutait plus encore au charme de l’instant. La jeune femme en oublia son inquiétude de la nuit passée, excitée à la simple pensée d'assister au prélude d'une nouvelle journée aux côtés de sa tante.
Le spectacle se révéla plus beau aux yeux d’Avanélia que dans ses souvenirs. Probablement à cause de la peine qu’elle ressentait à l’idée de quitter le seul endroit qu’elle ait toujours connu.
Elles auraient aimé que cet instant se prolonge sans fin, que le temps s'arrête pour profiter plus longuement de ce dernier moment, qu'il se fige sur ce soleil levant qui les éclairait d'une lumière rosâtre. Ce fut pourtant le contraire qui se produisit : le soleil semblait pressé en ce triste jour, et se percha bien trop rapidement dans le ciel.
Sans dire un mot, consciente que leur dernier moment de grâce touchait à sa fin, la tante et sa filleule marchèrent ensuite lentement vers la maison, comme pour retarder l'évidence du départ. Le fiacre était attelé et le cocher, caché sous un chapeau melon trop grand pour son crâne, chargeait les bagages préparés la veille. Trop obnubilée par les larmes qui coulaient sur ses joues, Avanélia ne prêta pas attention à l'aspect élégant de sa toilette, ni à la force qu’il dégageait. De grande taille, les épaules plutôt carrées, il portait avec aisance une lourde valise sous chaque bras comme si elles ne pesaient rien.
Lorsque les deux femmes entrèrent dans la salle à manger, Jacques et Georges riaient ensemble autour d'un copieux petit déjeuner.
— Bonjour Mesdames, salua Jacques. Georges m’indiquait qu’il songeait à acheter une automobile ! Vous rendez-vous compte, ma chère ?!
— Vous n’y pensez pas sérieusement ?! tonna cette dernière à l’intention de son frère. Ces machines du diable nous tueront tous !
Les rires de Jacques et Georges se firent plus intenses.