La Prière Exaucée - Myréna Lee - E-Book

La Prière Exaucée E-Book

Myréna Lee

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Beschreibung

France, 1811. Le curé Carenvert, homme sensible et amoureux de la nature, se rend dans son lieu de prédilection lorsque des pleurs le détournent de son chemin. Il fait la connaissance de la petite Clairine, et alors qu'il envisage pour elle de meilleures conditions de vie, une tragédie survient. Le curé s'interroge face à cette injustice et tente dans le même temps de se libérer de sa culpabilité et de son effroi. Lorsqu'il commence à se remettre, d'étranges visions le submergent... La Prière Exaucée est un récit éro-poétique sombre et fantastique où le réel et l'irréel, le passé et le présent se mêlent de façon étrange et parfois brutale. À travers le regard du curé Carenvert face à la mort, sa relation particulière à l'Homme, à la flore et à Dieu, l'auteur invite le lecteur à se questionner sur la complexité de la vie et de l'être, et à un voyage de ses sens. Réservé à un public averti.

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Seitenzahl: 99

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Aux amoureux des fleurs,

Au plaisir des sens,

À toi, lecteur.

TABLE DES MATIÈRES

LA PRIÈRE EXAUCÉE

PÉNITENCE

PARDON

ACCEPTATION

LIBÉRATION

APOTHÉOSE

Le curé Carenvert aimait à flâner, chaque fin d'après-midi, dans les champs surplombant sa petite paroisse. Il traversait un bosquet charmant, et poursuivait sa balade jusqu’aux prairies avoisinantes, humant les effluves particuliers des débuts de soirée prenant la place du jour. Ce faisant, il apercevait des parents rentrant de l'ouvrage, des enfants riants, heureux de quitter l’étude et ses bancs, ou récalcitrants à la pensée des corvées à achever… Il surprenait tantôt quelque amant transi, pressant son aimée contre lui et l’abreuvant de la promesse d'une vie riche et pleine d'amour.

Ce jour-là, les pas du curé le menèrent à l’orée de la forêt. Il y pénétra et inspira profondément ; l’air y était frais. Les mains derrière le dos, il se dirigea comme à son habitude vers le champ de pâquerettes et de pissenlits, tout en emplissant ses poumons d’oxygène. Il arriva sur un petit chemin caillouteux, qu'il suivit, et qui menait à une petite barrière.

Le curé avait hâte d'arriver à cette barrière ; il savait qu’après cela, de l'herbe grasse et parfumée remplirait sa vision et son odorat à n’en plus finir. Il aimait ce spectacle qui était pour lui un des plaisirs divins sur cette terre, et qu'il nommait sa mer verte aux graminées. Il en avait fait son rendez-vous secret avec le Père, le moment où il se livrait corps et âme à Dieu. Lorsqu'il se couchait sur ce lit aromal et moelleux, il ressentait un enchantement au-delà de l’imaginable. Plus particulièrement, il aimait les pâquerettes, et se plaisait à les assembler en petits bouquets, ou à les tresser en diverses couronnes et bracelets. Il la respirerait aujourd’hui encore à pleins poumons, sa belle mer, puis il rentrerait ragaillardi, son être repu et comblé.

À ce moment donc, il s'apprêtait à tirer sur la barrière, lorsque de petits bruits le firent se retourner. Il prêta l’oreille ; il s’agissait, à n’en pas douter, de pleurs étouffés. Il abandonna son doux rêve pour voir de quoi il retournait. Curieux et un peu inquiet, il guetta et tenta de repérer les sons qui lui parvenaient. Il se laissa guider dans leur direction et se prépara à faire l’aumône à quelque infortuné.

Après une vingtaine de pas, il aperçut une forme cachée par le tronc d’un arbre. Il avança un peu et découvrit une petite fille. Elle était à terre, vêtue d’une robe de coton un peu usée. Ses pieds étaient nus, et sa tête posée contre ses genoux. Son corps frêle était secoué par de petits tremblements ; elle semblait avoir le plus grand chagrin.

Le curé s’avança encore. Des bouts de bois craquèrent sous ses pas et surprirent l'enfant, qui leva vers lui son visage baigné de larmes.

« Elle ne doit pas avoir plus de huit ans », pensa-t-il.

Il se rapprocha d'elle et lui rendit un regard le plus doux possible.

« Qu'y a-t-il donc, ma belle enfant ? Que fais-tu seule dans la forêt ? T’es-tu perdue ?

— Non… Je ne sais pas…, balbutia-t-elle. Et elle pleura de plus belle.

— Allons, allons, ma mignonne, fit le curé en tapotant le dessus de la tête de l'enfant. Je suis le curé Carenvert. Ne t'ai-je aperçu tantôt, à la messe du dimanche ?

— Oui, monsieur le curé. Et nous prions les vêpres à la maison !

— Bien, très bien ! approuva le curé en souriant. Tu me reconnais, alors ? Allons, confie-toi à moi sans crainte, et nous pourrons peut-être sécher ces larmes. »

L’enfant renifla, et regarda l’homme de ses yeux innocents. Le curé avait le visage vieilli et creusé par les années, mais son air était si doux, sa voix si bienveillante, et ses visites de charité si pleines de consolation, que ses paroissiens lui accordaient leur plus totale confiance. La fillette ne fit pas exception.

« C'est que, dit-elle en hoquetant et en essuyant ses larmes, papa s'est bien blessé en menant la vache au marché. Il a le pied tout gonflé. Maman dit qu'à cause de cela, il ne pourra plus gagner la pièce, et que nous mangerons du pain sec fort longtemps. Papa et maman ont parlé de me placer. Mais moi je ne veux pas les quitter ! Alors j'ai couru bien longtemps, et me voici bien en peine. »

En disant ces mots, elle fut reprise de chagrin et les larmes coulèrent à nouveau le long de ses joues.

« Ma bonne fille, très chère enfant, dit le curé en écrasant une des larmes avec son pouce. Ton père est Durancourt, c'est bien cela ? — Oui, monsieur le curé. Maman dit que dans trois jours elle me mènera en ville pour que j'entre en serre-vis ! Je ne veux pas qu'on me visse ! »

Le curé, surpris, ouvrit de grands yeux. Puis il éclata d'un rire si soudain, que la petite cessa de pleurer. La bouche ouverte, elle le regarda sans comprendre. Le curé sourit, lui caressa la joue et prit la parole doucement :

« Quelle sottise ! Personne ne te réserve un tel sort, rassure-toi. Ta maman parlait de te mettre en service, c'est-à-dire qu'elle cherche à te placer chez des gens. N'aies crainte, ma mignonne, c'est là une bonne chose. Tu gagneras la pièce, et tu rendras service à tes parents.

— Mais je ne veux pas être placée, dit-elle, ses sanglots reprenant. Je sais ce qui est arrivé à Annette... Ce seront de méchantes gens ! »

Le visage du curé s'assombrit. Il savait qu’il était rare d’être placé chez des maîtres honnêtes. Les enfants étaient la plupart du temps exploités, et souvent battus. Il avait lui aussi appris la triste histoire d’Annette, jeune fille docile de douze ans, retournée depuis peu chez ses parents.

Elle avait été placée dans une auberge de la ville comme aide de cuisine, mais ses maîtres la chargèrent également du service de nuit. Un soir, se trouvant molestée par quatre hommes ivres, elle résista, ce qui fit son malheur : elle reçut de l’un d’eux un coup de machette qui l’attrapa au talon. Blessée et profondément choquée, la jeune fille fut sauvée par un brave soldat logeant à l'auberge. Les maîtres demeurèrent indifférents, et elle ne reçut point ses gages... Elle conserve depuis lors un boitement, et une peur terrible à se trouver nouvelle condition.

« Et en ville on prie peu, songea encore le curé. Cela ne favorise pas la droiture, et peu d’enfants ont la volonté de rester bons sujets... »

Il demeura dans ses pensées un moment, puis il s’agenouilla et pria en silence. Il réclama, dans son esprit et en son coeur, l'aide du Seigneur. La fillette le regarda faire avec intérêt. Tout à coup, le visage du curé s'éclaira.

« Merci mon Dieu, cher Esprit Saint, Père ! » dit-il avec un accent pénétré par l’émotion.

Il se releva et tendit sa main à l’enfant.

« Il m'a été soufflé une idée, dit-il. Mon enfant, relève-toi. »

Il prit le petit visage entre ses mains et se rapprocha de lui.

« Écoute-moi attentivement. Tu vas rentrer chez toi, en prenant garde à ne pas te blesser. Ceci fait, demande pardon à tes parents de leur avoir fait grand peur, puis, dis-leur ceci : « Le curé Carenvert va venir dans deux jours, pour me prendre à son service ». As-tu compris ? C'est Dieu, notre Seigneur, qui m’a mis sur ton chemin. Désormais, la maison des Durancourt est protégée ! »

La petite, étonnée, ouvrit de grands yeux.

« As-tu compris ? » demanda-t-il encore.

Elle n'avait pas tout compris, mais elle acquiesça.

« Où se situe ta maison ?

— Tout droit au vieux puits, puis à droite, derrière la mère Lambert ! » indiqua-t-elle de sa petite voix.

Le curé hocha la tête. Il avait déjà visité la mère Lambert, et connaissait l’emplacement de sa maison. Il vérifia que l'enfant n’eut pas quelque coupure aux pieds, puis il mit dans sa main six sous en lui disant :

« Va à présent, et donne l’argent à tes parents. Je viendrais dans deux jours pour parler avec eux des détails de ton service. Et n'oublie pas : le Seigneur protège ta maison. »

Le visage illuminé, la petite épousseta sa robe et se précipita à reprendre le chemin de son foyer. Elle se retourna et fit avec ses petits bras de grands gestes.

« Je m’appelle Clairine, monsieur le curé !

Il répondit en lui rendant son salut :

— Va, mon enfant ! Et n’aie plus peur ! À dans deux jours ! »

La petite eut un cri de joie. Elle fit un dernier signe et rentra chez elle en courant. Le curé remit son rendez-vous quotidien au lendemain, et prit lui aussi le chemin du retour. Il sentait son coeur bondir dans sa poitrine. Il ne lui restait qu’à avertir sa vieille servante de son projet. Bien sûr, elle grognerait un peu, et le gronderait sans doute, mais il la ramènerait comme toujours à de meilleurs sentiments.

Il se sentait fier et avait hâte de visiter les Durancourt. Il avait là l'occasion d’alléger la peine d’une famille pieuse, qu'il voyait régulièrement à la messe, et qui célébrait les vêpres. Il ferait de plus le bonheur d'une petite fille, cela tout en contribuant au sien. Elle grandirait et deviendrait une belle et bonne jeune fille, ayant bénéficié auprès de lui d’une éducation religieuse solide. Elle serait charitable, et dans sa reconnaissance prendrait soin de lui, lorsque surviendraient ses vieux jours.

« Elle sera un bon parti, se plut-il à penser, et lorsque viendra l’heure du mariage, elle et son futur ne m’oublieront pas. »

Il arriva à la paroisse bercé de rêveries agréables et, avant de s’endormir il répéta :

« Seigneur, oh mon Seigneur, protège la maison des Durancourt… »

***

Il ne connaissait pas de vert plus brillant que celui de sa mer. Il avait vu du pays, dans sa jeunesse, mais rien pour lui n’égalait le tableau magnifique s’étendant devant lui. Il prenait part, lors de ses visites, à des voyages inédits. De ses oreilles, il percevait le cri-cri des grillons et, au loin, les compositions suaves d’oiseaux accompagnaient le doux bruissement des herbes hautes. De ses narines, il inspirait le parfum de mille fleurs sauvages, qui lui donnait l'impression de fouler des contrées encore inconnues de l’homme. Sa vue se remplissait d’une multitude de couleurs s’entremêlant dans des flashs endiablés et battant contre ses paupières lorsqu’il fermait les yeux. Et ce vert... C’est ce qu’il aimait le plus, ce qui l’émouvait au plus haut point, tout ce vert, piqué du jaune des boutons d’or et du rose des fumeterres.

Le curé Carenvert tira de sa poche un herbier à la couverture de cuir sculpté ; il l’ouvrit et en tourna les pages qui craquèrent un peu. Il s’assit et effleura le plumeau d’un Miscanthus zébré de jaune placé entre deux pages dans une section nommée Roseaux. Il fit de même avec la Goldschleier trônant à ses côtés.

Il resta ainsi longtemps, contemplant sa collection et profitant de la caresse du soleil sur sa peau, et enfin il se leva et regarda autour de lui. Les couronnes translucides des canches étincelaient sous les rayons ardents. Il caressa leurs touffes et y enfouit le visage en riant. Il plongea dans les fleurs et dansa parmi les centaurées, les mauves et les coquelicots. Un vent tiède le rejoignit et prit l’anthémis et l’achillée comme cavalières, virevoltant de l’une à l'autre, infidèle et désinvolte... Ils soufflèrent tous deux sur les pissenlits et firent s’envoler au loin leurs aigrettes.

Le curé se pencha sur les amourettes et en admira les inflorescences pailletées de vert argenté. Il frôla du bout des doigts les grelots, qui frémirent à peine. Il crut distinguer un tintement alors il recommença, tendant l’oreille et guettant un murmure, un signe peut-être. Ici et là, les bourdons et les abeilles se posaient et s’envolaient, inlassablement. Il s’émerveilla une