Le Buste de Bronze - Myréna Lee - E-Book

Le Buste de Bronze E-Book

Myréna Lee

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Beschreibung

Des éclats de Beau Bronze et un paquet de Gelée, Un soupçon d'Anarchie et une dose d'Amitié, Un zeste de Violon, un Bâton, et pas mal de Boulangerie, Du Chocolat, des « Hou ! Hou ! » et un gros grain de Folie. = La recette détonante du Buste de Bronze servi par Myréna Lee ! Un domestique chargé d'aller chercher de la gélatine se retrouva au cachot... Ainsi commence l'histoire de José Duval, majordome surprenant (et non conventionnel !) de M. Tréfort depuis trente ans. Lorsqu'il part ce matin-là, José est loin de se douter de ce qui l'attend. Un petit incident, un buste de bronze, et voici sa vie qui prend un tout autre tournant ! Face à lui : un jeune cuisinier déterminé à le faire enfermer ? Un sous-brigadier prêt à l'aider ? Un maître égoïste et superficiel ? Et si c'était tout le contraire... Entre scènes loufoques et situations périlleuses se dévoilera son passé, révélant bien plus qu'un simple serviteur. C'est qu'il a un projet, José... Le Buste de Bronze, c'est la France de 1889, une aventure originale et déjantée ! Jeux de mots malins, rires assurés, suspense et émotion... Diable ! Et avec à peine quelques fausses notes !

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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TABLE DES MATIÈRES

PARTIE I

PARTIE II

PARTIE III

PARTIE IV

PARTIE V

PARTIE VI

PARTIE I

Un domestique chargé d’aller chercher de la gélatine se retrouva au cachot.

Voici comment…

CHAPITRE I

Comme tous les dimanches matin, José Duval, bon vieux domestique de M. Tréfort depuis trente ans, traversait la rue des Fleurs pour se rendre chez le confiseur. Il était chargé de ramener à son maître cinq cents grammes de gélatine emballée et enrubannée. Ce rituel durait depuis plusieurs années, sans que José ne sache l’usage que pouvait faire M. Tréfort de cette substance abjecte et gluante.

Alors que José tirait la sonnette de la confiserie, une douleur lancinante lui déchira le ventre. Il fut heureux qu’il n’eût pas à prononcer le moindre mot lorsque M. Rocher vint lui ouvrir. Comme chaque semaine, José sonnait, Rocher ouvrait et le précédait jusqu’à une petite salle à l'arrière du comptoir, où un joli paquet était préparé à son attention.

Le rituel se déroulait donc à merveille, lorsque M. Rocher s'adressa à José en ces termes : « Duval, je suis fort marri1 de vous apprendre que votre maître sera mal servi aujourd'hui. Je ne puis lui remettre que trois cents grammes de gélatine. »

José ne dit mot, prit la commande et sortit. À peine eut-il tourné à droite de la rue des Paons que les douleurs le saisirent à nouveau ; des gouttes de sueur perlèrent sur son front et coulèrent le long de ses joues. Des spasmes affreux lui tordirent le ventre et il se raidit, une mimique affreuse au visage, contractant son sphincter avec force.

Il déglutit avec peine et laissa échapper un grognement plaintif.

Ne pouvant plus se retenir, José fut pris de panique et se mit à gesticuler. La nature lui sommait de se délester au plus vite du paquet qui l’alourdissait. Il se mit à réfléchir où il pouvait déposer ce trop-plein qui l'encombrait, et vit avec effroi qu'aucun endroit convenable n'était assez proche pour accomplir sa pressante besogne.

Il poussa un « Hou ! Hou ! » terrible et, n’y tenant plus, défit sa culotte de pantalon en pleine rue – déserte, fort heureusement –, et se sépara de son paquet dans le paquet que lui avait remis M. Rocher et qu'il venait d'ouvrir rageusement pour l'occasion.

La masse chaude et puante recouvrit la gélatine blanchâtre et luisante si précieuse à son maître. Il s’essuya le front.

Bien que José fût soulagé, un autre poids vint le hanter : qu'allait-il pouvoir inventer ? Quoi donc raconter à son maître adoré ? Il se sentait l'air fin, sa boîte odorante à la main !

Sans se démonter, il farfouilla du côté des poubelles, y trouva un buste de bronze. En l’observant plus attentivement, il découvrit sur le sommet du crâne une ouverture qui tombait à point : l'objet était creux.

« Ceci fera mon affaire », se réjouit José en se frottant les mains.

Il ôta le plus gros de l’étron, gratta délicatement la gélatine – afin d'enlever la selle qui s'était imprégnée – puis fit glisser le douteux mélange à l’intérieur de la cavité. Il se débarrassa du ruban, du paquet, et entreprit de secouer légèrement le buste d'Apollon afin d’unifier la texture de son contenu. Ainsi satisfait, il se dirigea allègrement vers la maison de son maître.

* * *

1 Fâché, triste, contrarié.

CHAPITRE II

José se tenait debout sur une chaise placée au milieu du salon, raide comme un piquet. Ses bras, tendus à l’extrême, présentaient un objet scintillant. Le maître des lieux, l'œil hagard et impatient, s’évertuait à se saisir du buste – car il s'agissait bien de lui – et sautillait autour du risible ensemble comme un cabri.

Le jeu, comme M. Tréfort se plaisait à le nommer, avait lieu chaque dimanche, et consistait à ce que José trouve le moyen de titiller les sens de son maître, en tendant le paquet de gélatine afin que celui-ci essaie de s'en emparer.

M. Tréfort, d'un ordinaire calme et posé, se montrait dans ces moments-là extraordinairement excité.

Il, pour ainsi dire, frétillait !

Tréfort tentait d'attraper l'objet, que Duval mettait rapidement hors de sa portée – et qui ne manquait pas de produire un ploc douteux –, et le maître essayait à nouveau de l'atteindre pour l’accaparer. Mis à mal, on l'entendait alors se lamenter :

« Mon bon Duval ! Je vous en prie ! » gémissait-il.

Ou bien :

« Oh, vous me faites bien souffrir ! »

Ou encore :

« Il suffit, mon bon ami, il suffit ! »

Ce manège se poursuivait jusqu'à ce que M. Tréfort, agacé, lui indiquât par un coup dans les côtes, ou un pincement au mollet, qu'il était temps de le laisser attraper sa gélatine.

Sitôt, José s'exécutait en lui disputant mollement l'objet de convoitise, et M. Tréfort affichait son « trophée » d'un geste triomphal. Le bon domestique feignait alors la déception, et pouvait partir vaquer à ses occupations, pendant que son maître frétillait de plus belle et trottait en direction de sa chambre, pour un usage de la substance des plus secrets.

Aujourd’hui, il en fut de même, mais le buste avait pris la place de l'habituel paquet. Que pouvait donc faire son maître de cette chose flasque peu ragoûtante ? José continuait de se poser la question.

La réponse allait lui être fournie très bientôt.

Adossé contre un des murs de la cour, José aspirait de longues bouffées de tabac avec satisfaction. Parfaitement détendu, il se remémorait les événements de la journée, le visage illuminé d’un sourire espiègle. Il se trouvait du « génie ».

Sur le chemin du retour, buste en main, il avait concocté à la hâte un plan de maître et avait présenté l'objet à son hôte, en lui contant que M. Rocher, pour se faire pardonner de la gélatine manquante, compensait la perte en offrant à Monsieur sa commande dans un buste d'Apollon. « Ceci amplifiera les effets », vous fait-il dire. L’âme emplie d’audace, José avait continué sur sa lancée : « Il m'a chuchoté à l'oreille que vous comprendriez ! » avait-il alors ajouté, faisant mine d'être étonné. Surpris par ces paroles, M. Tréfort avait hoché la tête, les yeux brillants et l'air intéressé.

« Hmm, hmm…, avait-il alors marmonné. Hmm, hmm… »

Et, les yeux plissés, il s’était retiré, pensif, le buste de bronze tout contre lui serré. José allait se régaler à nouveau de sa sublime intelligence, lorsque survint André, le garçon de cuisine. Celui-ci, narquois, lui lança :

— Eh bien l'ami, encore aux bons ordres du maître ? Dieu du ciel, est-il singulier, avec ses mises en scène ? C'est-y possible que vous soyez complice de cette comédie ?

José leva les yeux en l’air. Il avait peine à assumer certains aspects de ses étranges fonctions, et il savait être la risée des autres gens de la maison ; cependant, le supplément que M. Tréfort lui remettait était assez conséquent pour le convaincre de continuer. Il tira sur sa cigarette sans répliquer.

André le regarda faire avec envie. Il reprit donc, changeant de ton :

— C'est que Monsieur a du bon tabac ! C'est pas avec nous autres qu'il le partagerait ! Pas la moindre petite pièce pour nous faire plaisir ! Toujours aux fourneaux, du matin au soir, et du soir au matin ! Mais vous, qui êtes un doux, un bon, un honnête homme… C'est que le maître place toute sa confiance en vous. Et il a bien raison !

José demeurant impassible, il reprit :

— Vous partageriez bien un peu de votre tabac…

— Ciel ! l'interrompit José. Jamais aucune piécette ?

André, ouvrant grand les bras :

— Pas la moindre, parole !

— Pas le plus petit centime ?

— Juré, mon capitaine ! fit André, imitant le salut militaire.

— Diable ! Si je glisse ma main dans cette petite poche que tu as là, je n'y trouverai pas la pièce de deux francs que Monsieur m’a demandé de remettre au livreur ? minauda José, ouvrant deux grands yeux innocents.

Embarrassé, André coupa court sa comédie et tenta de l’amadouer.

— Allons ! Mon bon ami, vous savez ce que c'est ! Oublions cela. Voyez ! Je vais tout de suite remettre la pièce, bien sûr ! Ou bien… poursuivit-il avec hésitation, je peux peut-être la partager avec vous…

D'un air suffisant, José jeta son mégot aux pieds d'André, et se rapprocha de lui, jusqu'à presque le toucher. Il ne faisait pas bon se frotter à José – tout le monde savait cela. C'est pourquoi André, rouge de colère et de honte, dut se contenir et faire profil bas.

Il se força à rire, ce qui manqua l’étrangler, et mit à contrecœur la pièce dans la main ouverte de José, qui la glissa dans la poche intérieure de son veston et s'éloigna en sifflotant en direction de la maison. Le garçon de cuisine, humilié d'avoir perdu ainsi son butin, et de s'être fait bien attraper, agita son poing en l’air, et jura de se venger.

* * *

CHAPITRE III

José se demandait s'il devait remettre la pièce dans le tiroir prévu à cet effet, ou la garder sur lui par sécurité, lorsque retentit la sonnette d'entrée. Il ouvrit la porte et découvrit un homme d'une cinquantaine d’années, grand et droit comme un I, moustachu, flanqué d'un uniforme de gendarme et d'un képi.

— Puis-je vous aider, monsieur... ?

— Quiflanche ! s'exclama l'homme d'une voix tonitruante en saluant.

— Mais personne, monsieur…, répondit José, interloqué.

Le gendarme fronça ses sourcils et regarda le majordome d'un air suspicieux. Toussant pour s’éclaircir la voix, il reprit :

— Sous-brigadier Quiflanche ! Sieur Tréfort est-il présent ?

— Il l'est, monsieur.

— Pouvez-vous le faire mander ?

— Je crains que non, monsieur.

— Et pourquoi non ?

— Nous sommes dimanche, monsieur, et voyez-vous, le dimanche…

José reprit, l’air mystérieux :

— Le dimanche, Monsieur a ses habitudes du dimanche !

Le gendarme marqua un temps d'arrêt, plissa les yeux – signe qu'il était en pleine réflexion –, puis hocha la tête en lançant quelques mimiques et clins d'œil à José.

— J’entends cela, mon brave, j'entends cela ! Il s'agit, hélas, d'une affaire de la plus haute importance ! Je ne saurais faillir à une mission confiée par M. le maire en personne !

— En ce cas, veuillez me suivre, monsieur.

José conduisit le sous-brigadier dans le vestibule d'entrée, le pria de patienter, et son maître alla chercher.

Des éclats de voix se firent bientôt entendre, puis un bruit sourd suivi d’un cri strident. Quiflanche se décidait à intervenir, lorsque M. Tréfort apparut, la face rouge et luisante, le cheveu hirsute et gras. Il était vêtu d'un peignoir laissant entrevoir son corps velu, qu’une étrange substance recouvrait par endroits.

Accoutré de la sorte, il se dirigea en hurlant vers le sous-brigadier :

— Mon masque ! C'est un scandale ! Qui ose me déranger un dimanche ?!

— Quiflanche ! clama le sous-brigadier en saluant.

— Mais enfin, personne, monsieur… répondit M. Tréfort outré. Monsieur... ?

Le gendarme plissa les yeux et toussota :

— Sous-brigadier Quiflanche, pour vous servir !

Le sourcil froncé, il observa de plus près le visage de l'hôte :

— Allons, allons, singulière figure que vous avez là ! Quelle est donc cette étrange mixture ?

Irrité, M. Tréfort recula. Le sous-brigadier le rassura :

— Ceci ne me concerne pas ! N’ayez crainte, je saurai rester discret !

Il poursuivit, avec force mimiques et clins d'œil :

— Que ne ferait-on pas pour plaire à ces dames !...

M. Tréfort étant sur le point d'exploser, il se reprit aussitôt :

— Veuillez pardonner mon intrusion ! Je viens, sur directive du maire en personne, faire mon devoir auprès des bonnes gens. Je me dois de tenir informé Monsieur de larcins, commis dans le quartier, ces deux derniers jours, par de fieffés coquins, des intrigants, des malotrus, des fripons, des bons à rien… !

(Il devient rouge à mesure qu'il parle et manque de s’étouffer)

Recouvrant son calme, il continua :

— Des larcins, commis par des gredins, donc. Les voleurs, vous l'avez compris, sont peut-être déjà passés chez vous.

— Juste ciel !

— Tout juste, Monsieur ! Je suis là pour rétablir l'ordre, dresser la liste des objets manquants, interroger vos gens, et arrêter ces brigands.

— Quel programme affreux !

— En effet, Monsieur. Vous êtes la quatrième maison que je visite. Peut-être vous a-t-on dérobé de beaux objets ? Ou vous en a-t-on proposé à acheter ?

— Manque-t-il des choses de valeur dans ces trois maisons ? demanda M. Tréfort.

Le sous-brigadier consulta sa liste et répondit :

— Voyons, ont disparu tantôt… Maison Suchard : deux montres de col et une à gousset, deux chaînes en or, et une d'argent ; une marmite et sa dinde auraient également disparu (d’après la cuisinière)… Monsieur le maire : un buste de bronze (transmis de génération en génération), quelques bijoux de famille, une épingle à nourrice et deux pelotes de laine (d’après la couturière)…

— M. le maire s'est fait voler son buste de bronze ? s’exclama M. Tréfort. Comme je le plains ! Que deviendrais-je, si on me volait le mien ?!

— Vous possédez un buste de bronze, Monsieur ?

— Et comment ! Il m’a été offert ce jour par M. Rocher, confiseur réputé de la rue des Fleurs.

— Hmm, intéressant… fit le sous-brigadier les yeux plissés. J'aimerais voir ce buste, Monsieur !

— Mais certainement, je vous l’apporte immédiatement !

M. Tréfort, ravi de faire admirer son bel objet, retourna dans sa chambre pour le chercher. Il regarda et fouilla partout, puis se rendit à l'évidence : le buste avait disparu ! Affolé, il hurla au voleur et appela José.

Prise de panique, la femme de chambre laissa tout tomber et poussa des cris aigus de cochon qu'on égorge.

La cuisinière surgit, sa poêle à la main, et cria à l'assassin. Quiflanche arriva à la rescousse et appela la garde – alors qu'il était venu tout seul.

Au milieu de cet effroyable tintamarre, André, hilare, se dandina et annonça, la bouche en cœur : « Je sais qui est le voleur ! » Le silence revint comme par magie, et tout le monde se tourna vers lui.

— J'ai vu José filer, dit-il.

Et, montrant une direction avec son doigt :

— Je l'ai vu aller par là. Par la porte de derrière, avec un buste dans les bras !

* * *

CHAPITRE IV

José Duval se dirigea vers les appartements de M. Tréfort ; il prit son courage à deux mains, et se décida à frapper.

— Qu'est-ce que c'est ?!! hurla le maître d’une voix suraiguë. Je ne veux pas être dérangé !

— Un brigadier Quiflanche vous fait mander !

— Un brigadier qui flanche ? Renvoyez-le !

— C'est qu'il ne saurait faillir, Monsieur !

— Que bavez-vous donc, mon pauvre ami ? Il flanche, il ne flanche pas ? Que me chantez-vous là ?

— C'est un brigadier Quiflanche pour M. le maire, Monsieur !

Exaspéré, M. Tréfort marmonna des jurons fort inconvenants pour quelqu'un de sa position. Il renversa sa chaise et se jeta sur la porte brusquement. Ses mains gluantes laissèrent échapper la poignée et la porte s’ouvrit en claquant contre le mur violemment. Perdant l'équilibre, il agrippa de justesse son majordome.

La surprise passée, José se trouvant face à son maître, resta la bouche ouverte, effaré.

José n'était pas homme à s’émouvoir d'un rien, mais ce qu’il vit à cet instant-ci faillit avoir raison de lui.

Son maître nu sous un peignoir mal refermé, gesticulait comme un enragé, et sa face écarlate et luisante lui donnait l'air d'un possédé. Son corps était couvert d'une substance visqueuse, et son visage tartiné d'un cataplasme épais, dont la couleur blanc marronnasse manqua l’achever.

L’affreuse couche recouvrait les yeux et la bouche et formait de petits amas granuleux qui tombaient par morceaux sur le parquet.

Mortifié, José recula d'un pas. Il fit appel à toute sa force et s'accrocha au chambranle pour ne pas s’écrouler. Suffoquant, il roula des yeux épouvantés et poussa un « Hou ! Hou ! » perçant. Joignant les mains, il lâcha dans un souffle terrible : « Ah !! Diable !! »

— Pour l'amour du ciel, remettez-vous ! gronda M. Tréfort, impatienté.

D'une bourrade, il écarta José et se précipita vers le vestibule en hurlant : « Mon masque ! C'est un scandale ! Qui ose me déranger un dimanche ?! »

José, étourdi par la scène à laquelle il venait d'assister, entendit la grosse voix du sous-brigadier résonner.

Il se tâta le front et avança dans le couloir pour écouter.

Des bribes de conversation lui parvinrent : « … ont disparu tantôt… deux montres de ceci… deux chaînes de cela… une dinde… un buste de bronze… ».

Les mots « buste de bronze » firent écho dans son cerveau embrumé, sans qu'il ne comprît pourquoi. Groggy par la vision gélatineuse de son maître, il allait avoir besoin de temps pour s’en remettre totalement. D'un coup, il réalisa.

Les yeux exorbités, il s’écria : « Un buste de bronze ?? Diable !! Se pourrait-il que… ? »

Il se tordit les mains, écrasa son visage, s’ébouriffa les cheveux.

« Ce buste appartiendrait à M. le maire ? Impossible, je l'ai trouvé dans la ruelle, près des poubelles ! Mais c’est égal : ce sous-brigadier risque d'interroger M. Rocher ! Sacrebleu ! Que faire ? »

José continuait d’aplatir et de pétrir son visage, et il se mordait les poings tout en réfléchissant à l’attitude à adopter.

Il allait et venait, et sans s'en rendre compte parlait à haute voix : « Malheur ! Gare à moi si je me fais prendre ! Dans le doute, débarrassons-nous de la chose ! »

Il se frappa le front, pour en faire jaillir une idée : toc, toc, toc, toc !

« Le donner ? Non. Le vendre ? Non plus ! »

Il redoubla de « toc-toc », en priant pour que sorte à nouveau son « génie ».

« J'y suis ! Pas de buste, pas de preuve ! Allons vite le chercher, et jetons-le dans quelque endroit ! À la rivière, ça, c'est une idée ! »

Il se rua jusqu'à la chambre de M. Tréfort, s’empara du buste et se carapata aussi vite que ses jambes le lui permirent.

Il ne vit pas André qui, caché, était en train de l'espionner.

« Quelle veine ! ricana ce dernier. Je vais pouvoir lui faire payer cet affront. Duval, ton compte est bon ! »

Ainsi, André fit sa croustillante annonce devant ce beau monde, et M. Tréfort eut besoin de sels et d'un remontant.

Le choc passé, les cancans allèrent bon train du côté des domestiques. Des cris d’indignation contre José, on passa aux cris d’admiration pour André. Le sous-brigadier l’interrogea plus avant et le félicita en lui donnant une bonne poignée de main. Il déclara être désormais à la recherche de deux bustes de bronze, et décida de se rendre à la rivière sans plus attendre, pour y appréhender José. M. Tréfort calma ses gens, qui voulurent en être également, et donna à André seul l’autorisation de l’accompagner. Il pria le sous-brigadier de tirer cette affaire au clair et de récupérer son buste sans tarder, puis il renvoya tout le monde de ses appartements afin de se reposer.

Les deux hommes sortirent et prirent la direction de la rivière.

Quiflanche avançait d'un pas vif et décidé. André, le suivant joyeusement, riait sous cape, amusé.

Pendant ce temps, José…

José Duval, bon vieux domestique de M. Tréfort depuis trente ans, bondissait, pirouettait et détalait comme un lapin à travers champs. Le buste lui échappait des mains tant il était gluant, mais qu'importe, il continuait sa course effrénée en poussant des « Hou ! Hou ! » dignes d'un dément.

Il savait son attitude déraisonnée, et pourtant il courait, courait sans s'arrêter.

Son instinct lui sommait de se délester au plus vite de cette chose qui l’incommodait.

Il ne pensait qu'à la rivière, et à y jeter cet objet !

***

CHAPITRE V

José était adossé contre un arbre devant le cours d'eau. Il avait pris le temps de souffler, le buste posé à ses côtés, et songeait à la situation dans laquelle il s'était malgré lui retrouvé.

Il se leva en inspirant et se décida : il était temps de s'en débarrasser.

Dans un geste solennel, il tendit le buste devant lui et s’apprêtait à le lâcher lorsqu’un épouvantable son grinçant le fit s’immobiliser.

L’objet de bronze glissa et tomba dans l’herbe lourdement, suivi de José qui se retrouva à genoux, se sentant d'un coup complètement vidé…

Quiflanche aperçut José. Il souffla de toutes ses forces dans son sifflet qui émit un horrible grincement assourdissant.

— Halte !! Je vous arrête !

— Je vous assure que… commença José, complètement affalé.

— Je vous prends en flagrant délit !

— Laissez-moi vous… continua José, sans grande volonté.

— Vol du maître et tentative de dissimulation de preuves ! Mon garçon, ton compte est bon !

— Grâce ! Pitié ! cria le majordome, se roulant et joignant les mains. Ce n'est pas ce que vous croyez !

— Ah non ? s’étonna Quiflanche.

— Je vais tout vous expliquer ! s’exclama José, retrouvant l’énergie de se lever.

Le gendarme allait céder, lorsqu'une voix retentit avec force :

— Quiflanche !!

— Personne, Monsieur ! clama le susnommé, se redressant d'un bond et saluant. Oh, c'est vous, monsieur le Maire !

— Voyez-vous, je m'en allais pêcher la truite avec un ami. J'étais en chemin, lorsque j'ai reconnu votre affreux coup de sifflet !

— C'est que j’appréhende à l’instant un drôle de pinson !

— Est-ce possible ? Mais c’est notre bon vieux José ! De quoi est-il accusé ?

— Il a tenté de couler un bronze, Monsieur !

— Où donc ?

— Ici même, dans la rivière !

Le maire, sidéré :

— À la vue du monde ?

André, levant le doigt :

— Nous l'avons surpris en pleine action !

Le maire, indigné, s'adressa à José :

— N'y a-t-il point de water dans votre office, mon cher ?

André, plié en deux, se tenait les côtes et croquait ses poings, luttant pour ne pas s’esclaffer. Quiflanche, se rendant compte du quiproquo, garda le silence.

Le maire, scandalisé, s'écria :

— Qu'on l'emmène, qu'on l'emporte ! J'ai une sainte horreur de l’exhibition ! Je plains ce pauvre Paul ; il va être bien en peine. C'est honteux, après de loyales et nombreuses années de service, de tout gâcher ainsi.

André ne tint plus ; il explosa d'un rire qui augmenta selon qu'il voyait tantôt l'air ahuri de l'un, tantôt l'air exaspéré de l'autre. Il devint vite incontrôlable et fut pris d'une pulsion proche de l'hystérie. Le sous-brigadier, craignant un emportement, s’efforça de le calmer. Le maire soupira et allait prendre congé, lorsqu’un point brillant attira son attention.

— Grands dieux ! Ça, par exemple, mais c'est mon buste !

— Il y a méprise, s’empressa Quiflanche, se redressant de tout son long. Sachez que je recherche activement le vôtre, Monsieur !

— Comment donc ?! Je vous dis que ce buste est le mien ! Croyez-vous que je ne sache reconnaître mon buste de famille, véritable objet de valeur, transmis de génération en génération ? Je le reconnaîtrais entre mille !

— Je vous assure que non, monsieur le Maire ! Ce buste a été offert au sieur Tréfort par M. Rocher le confiseur.

Le maire, se penchant pour le ramasser :

— Ah ! mais… qu'est-ce donc ? C'est tout collant, tout poisseux ! (Il retourne le buste dans tous les sens et le renifle d'un air dégoûté)

— Vous avez raison, mon ami, le mien n'est pas si gras ! Et il émane de celui-ci un étrange fumet… C'est singulier tout de même. Sans aucun doute une contrefaçon...

Le maire remit le buste au gendarme, s’essuya les mains, et le pria de le tenir informé au plus vite de la cause et de l'issue de ce remue-ménage. Quiflanche lui assura régler cette affaire rapidement, ainsi que l'enquête des vols récents. Le maire ne souhaitant pas perdre son après-midi davantage, prit vivement congé afin de rejoindre son ami, en espérant que celui-ci n'ait pas eu le temps de faire de belles prises en son absence.

André essuya ses joues mouillées. Il était beaucoup plus calme, quoiqu’il fût de temps à autre secoué d'un rire nerveux.

Quiflanche quant à lui, regardait le buste et José d'un air méfiant. Il le donna à André, qui se remit à rire soudainement, puis entreprit de fouiller l’homme à tout faire de M. Tréfort.

— Je vais convoquer votre maître et M. Rocher, annonça-t-il. Ceci afin d’y voir plus clair dans cette affaire !

José prit peur et commença à avouer :

— J'ai menti à M. Tréfort ! J'ai trouvé ce buste ce matin, aux poubelles de la rue des Paons !

— Je m'en vais d'abord te fouiller, puis nous verrons ce que tu as à conter !

Quiflanche mit ses mains dans les poches du pantalon et les retourna ; il y trouva du tabac et un trousseau de clés. Il examina celles du veston et en sortit une pièce qu'il allait remettre en place, lorsque André s'écria :

— La pièce de deux francs destinée au livreur ! Oh, le voleur !

— C'en est assez ! Tu l’auras bien mérité !

Et voici José sautant sur André pour le rosser. Ce dernier tendit le buste devant lui et s'en servit comme bouclier. Quiflanche les saisit tous les deux et les cogna l'un contre l'autre.

— Allons, allons, mes tout doux ! Voici de quoi vous calmer !

Les deux étant à demi étourdis, il en profita pour mettre les menottes aux poignets de José.

André chanta à tue-tête : « Voleur, voleur ! »

José enrageait et hurlait des choses incompréhensibles où il était question d'une envie pressante et d'une boîte de gélatine.

C'est dans ce tohu-bohu qu’un homme en uniforme fit son entrée :

— Chef Quiflanche, je vous trouve enfin !

— Latruffe ! Mais comment… ?

— Les gens de la maison Tréfort m’ont indiqué que je vous trouverais ici. J'ai du nouveau, et pas des moindres, sur l'affaire des vols du quartier.

— Vous tombez bien ! Vous allez déjà m'aider pour cette affaire-ci.

Et il montra du menton les deux hommes qui se chamaillaient.

« Chef Quiflanche ! Écoutez-moi ! » hurlait José.

« Chef Quiflanche, ne l’écoutez pas ! » criait André.

— Chef Quiflanche, qui sont ces deux hurluberlus ?

— Latruffe, c'est à en devenir fou ! Rentrons au poste et je vous raconterai tout. Quant à toi, le pinson, tu nous conteras ton histoire plus tard, mais avant, au cachot mon garçon, au cachot !

— Grâce ! Ce serait la fin de mes avantages ! Et de ma réputation !

André continuait de se moquer, et grimaçait en sautillant.

— Ha ! Ha ! Ce sera la fin de tes avantages ! Et de ta réputation !

Quiflanche, la main contre le front, se mit à souffler.

— Latruffe, je vous confie ce buste et cette pièce. Quant à toi André, il est temps de rentrer. Mais je compte bien te convoquer ; je tiendrais M. Tréfort informé dès que tout sera démêlé. En avant !

Il saisit José par la manche de son veston et ils prirent tous les quatre le chemin du retour.

José était consterné de la tournure que prenaient les événements.

Il craignait pour son avenir et se demandait quel sort allait lui être réservé. André se sentait honteux ; il commençait à prendre conscience de la gravité de ses accusations.

Il rentra tête baissée à la maison Tréfort, et les deux gendarmes continuèrent leur route avec le majordome.

Par chance, ils ne croisèrent personne en ce bel après-midi ensoleillé. C'est donc discrètement que José traversa la rue principale menotté. Ceci eut pour effet de le consoler un peu.

***

Voici comment un domestique chargé d'aller chercher de la gélatine se retrouva au cachot. Cette intrigue étant levée, ce livre vous pouvez fermer. Cependant, si vos poils se hérissent à cette seule pensée, continuez votre lecture : l’histoire n’est pas achevée. Elle vous apprendra sûrement si José, de cette situation peut s'extirper !

PARTIE II

CHAPITRE VI

Lundi, 14 h.

José était vêtu de sa nouvelle tenue de circonstance, et il avait pris place sur un siège composé de quelques planches entassées. Au sol se trouvait une paillasse, sur laquelle se disputaient deux cancrelats frétillants. Avec crainte et impatience il attendait la venue du sous-brigadier, mais depuis son interrogatoire les heures défilaient lentement…

Notre majordome n'avait pas fière allure, après une nuit passée dans cette cage sombre et humide, et il aurait volontiers échangé son tabac – s'il l'avait eu en sa possession –, contre une couverture douillette de la maison Tréfort ! En guise de repas on lui avait apporté une gamelle d’eau chaude dans laquelle trempait un morceau de lard et du pain dur, et lorsqu'il avait poliment demandé des légumes, on lui avait apporté une feuille de chou.

« Ah ! Ce cuistot de malheur ne perd rien pour attendre ! » fulmina-t-il. Et il s’imagina poursuivre André en lui caressant les reins à coups de bâton. Cette pensée l’ayant un peu requinqué, il mangea presque de bon appétit.

Alors qu'il reposait la gamelle sur le sol, une imposante silhouette apparue à travers les barreaux de la geôle.

José trouva face à lui un homme droit comme un I, moustachu et flanqué d’un képi. Il tenait dans une main un trousseau de clés, et dans l’autre une chose recouverte d’un linge.

Quelques questions furent posées, auxquelles José, interdit, répondit en bredouillant. La porte s'ouvrit dans un grincement et l’homme entra. Il fit claquer plusieurs fois l’objet entre ses mains puis le lança avec force en direction de José.

« Bien, gronda-t-il. Voyons maintenant comment crie un pinson2... »

Afin d’éviter de nous ronger les sangs pour José, faisons un petit saut dans le temps et reprenons un à un les événements de la journée.

Lundi, 8 h.

Le sous-brigadier Quiflanche et son adjoint Latruffe se tenaient debout dans une petite salle du poste de garde. Ils se servirent deux cafés fumants.

— Latruffe, lecture du rapport !

— Bien, chef ! Jean Dézégout, trente-huit ans, bien connu de nos services : pickpocket vingt fois récidiviste, déjà condamné pour vols divers et bagarres en tout genre. Son comportement a paru suspect aux passants : il est dit qu'il sortait constamment une montre à chaîne de sa poche, ceci afin d'y lire l’heure. Montre en or de toute beauté, si je puis me permettre.

— Permettez-vous, Latruffe. Ensuite.

— Il a donc été appréhendé hier, non loin de la rue des Paons, farfouillant dans les poubelles. Quelques montres et chaînes, une cuisse de dinde et deux pelotes de laine ont été retrouvées dans ses poches par nos hommes.

— Sacrebleu ! Quel coquin !

— Il a été trouvé en état de choc et tremblant ; il s'est laissé prendre et a avoué sans résistance. Ont été indiquées : la cachette et la teneur de son butin, butin correspondant non seulement aux vols commis dans les maisons Suchard, Ferreror et Crème, mais aussi à d'autres cambriolages antérieurs.

— Donc tous les objets de valeur volés ces derniers jours ont été retrouvés ?

— À une exception près, chef.

— Laquelle ?

— Où se trouve le buste de M. Crème demeure un mystère. Dézégout confirme pourtant l’avoir eu en sa possession, ainsi que son intention de le mettre en sûreté, le temps de trouver quelque preneur plus ou moins honnête.

— Où se situait la cachette de ce gredin ?

— À la rue des Paons même, dans un renfoncement du mur caché par des planches. Nos hommes sur place ont fait appel à du renfort, et ont tout réquisitionné ; seul le buste demeure introuvable. J'ai là sa déposition à ce sujet, chef.

— Bien. Lisez, je vous prie.

— Voici : « J’allais mettre le buste en sûreté avec le reste, lorsque, ayant entendu du bruit, je remis en place les planches rapidement et allai me cacher derrière un tas d’ordures. Malheureusement, j’oubliai de prendre le buste avec moi. De ma cachette, je vis et entendis un démon effrayant, hurlant et grimaçant, comme sorti tout droit des Enfers ! Il poussa un rugissement qui n'avait rien d'humain et je me terrai en priant pour ma vie. Lorsque je fus certain que tout danger était écarté, je sortis, tremblant de peur, et trouvai à la place du buste une boîte emplie d'excréments et un ruban ! ». Voilà, chef. C'est quelques instants après qu'il a été appréhendé, à la recherche du buste selon ses dires, les poches pleines de bijoux et d'une cuisse de dinde. Qu'en pensez-vous, chef ?

— J'en pense que M. Suchard devrait récupérer très vite ses montres et ses chaînes, mais je crains le courroux de sa cuisinière.

— Croyez-vous à cette histoire de démon ? Il n'est pas une fois qu'il n'en parle sans rouler des yeux terrifiés !

— Nous allons déjà convoquer M. Crème afin qu'il vienne récupérer bijoux et pelotes de laine.

— Et concernant les deux zouaves de l’autre affaire, chef ?

— J'entends notre pinson tout à l'heure. Voyons le premier aperçu… José Duval, quarante-huit ans, majordome à tout faire, au service de M. Tréfort depuis une trentaine d’années. Apprécié du maître, respecté de la maison. Inconnu de nos services, très bien vu dans le quartier... Un bon bougre, en somme. Latruffe ?

— André Pédard, vingt-quatre ans, placé il y a douze ans comme aide-cuisinier. Son chef ne m'en a dit que du bien, quoiqu'il ait tendance à picorer dans les assiettes et à se servir dans les tiroirs. Les autres employés ont confirmé.

— Rien de plus à dire sur ces deux-là, donc. Aucun délit, aucun casier. S’entendent comme chien et chat… Bon, préparez Duval, mais avant cela, faites venir André.

— Et pour les bustes ?

— Les bustes ? dit joyeusement Quiflanche en se frottant les mains. J'en fais mon affaire, Latruffe, j'en fais mon affaire !

Et, mi-sérieux mi-riant, il remplit de nouveau sa tasse de café.

Lundi, 9 h 15.

INTERROGATOIRE EN COURS D'ANDRÉ.

C’est un André très différent de la veille qui se trouvait face au sous-brigadier. Il se tenait dans une attitude de repentir, mais une ardeur particulière animait son regard. Il répondait sans se faire prier et le gendarme fut surpris de son changement d’attitude envers son collègue majordome.

— Parle-moi de ce José. On le dit bagarreur…

— Il se défend bien. C'est très utile pour une maison comme la nôtre !

— Fait-il du bon travail ? Tout porte à croire qu’il profite de la bonté de votre maître...

— Au contraire, il n’y a pas plus droit que lui !

— Tu l'as bien accusé, pourtant ? Et voici que tu fais son éloge.

— Je voulais juste lui jouer un tour… ou deux !

— Tu avais pourtant l'air de le détester ?

— Pas vraiment… répondit André en rougissant. Je le jalouse peut-être un peu… C’est qu’il a des avantages : aller partout quand bon lui semble, de l’argent et du tabac… Et je n'aime pas être aux ordres de ce cornichon !

— Selon toi, qu’est-ce qui justifie ces avantages ?

— Disons… qu’il accomplit certaines missions !

— Quel genre de missions ?

— Chaque dimanche il part quelque part, puis revient et « joue » avec M. Tréfort.

— Il « joue » ? Qui joue ?

— José. Il doit faire le pitre pour M. Tréfort.

— Hmm… Et concernant la pièce de deux francs ?

— C'est moi qui l'ai prise. Il n’a fait que me la reprendre. Je présume qu'il l’aura gardé sur lui pour éviter que je… Ce n’est pas la première fois que...

— As-tu peur de lui ? T’a-t-il menacé ?

— De sa cellule ? Certainement non. Je ne vois pas comment !

Le sous-brigadier plissa les yeux.

— Si je comprends bien, ton babillage d’hier n'est plus d'actualité ? Que maintiens-tu dans ta version ? Ton collègue risque gros. Toi également, en cas de faux témoignage.

— Pour le buste, je ne sais pas vraiment ce qu’il en est. Pour le reste, peu importe les conséquences pour moi, je ne laisserai pas condamner un innocent !

— Tu avoues bien facilement… D’où vient ce changement ?

— Je veux rendre ma mère fière et la regarder sans rougir ; pourrais-je y arriver, si je ne dis la vérité ?

Lundi, 10 h 30.

INTERROGATOIRE DE JOSÉ PAR CHARLES QUIFLANCHE3.

— Vous êtes de toute évidence un homme très élégant, M. Duval. Si j’en crois André, c'est en faisant les fonds de tiroirs que vous arrondissez vos fins de mois !

— Mais pas du tout ! J'ai de nombreux avantages, en tant que majordome et confident de M. Tréfort !

— Une belle poule aux œufs d'or, le sieur Tréfort ! Qui vous accorde sa totale confiance. En quoi consiste votre rôle, exactement ? L’on m'a parlé de drôles de missions…

— Mon statut de majordome n’a rien de conventionnel. Vous en dire plus serait trahir mon maître, monsieur.

— Nous y reviendrons… En parlant de poule et d’œuf, quelque chose aurait été pondu dans un paquet laissé à la rue des Paons. Qu'avez-vous à en dire ?

— Ab… absolument rien, bafouilla José. Je ne vois pas de quoi vous parlez. Comme je l'ai déjà mentionné, je revenais d'une course habituelle chez M. Rocher, et d'un coup… d’un coup j'ai trouvé ce buste et j'ai décidé de l'offrir à mon plus grand bienfaiteur !

— Racontez-moi cela.