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Dans un monde où règne la magie, Ambroise est une jeune fille amnésique au pouvoir perturbant. Son destin bascule lorsqu’elle se retrouve admise à la célèbre académie Aubépine, réservée à l’élite. Essayant de comprendre cette étrange destinée, elle va désormais suivre son enseignement dans un cadre enchanteur et vivre ses premières amitiés. Cependant, derrière l’apparence dorée de cette école se cache une tout autre réalité, plus sombre, celle où les élèves ne sont pas ce qu’ils semblent être, et où les forces du mal rôdent aux alentours. Face au danger, Ambroise découvre la véritable nature de ses pouvoirs et lève le voile sur le secret des anges.
A PROPOS DE L'AUTEURE
Joséphine Galley transmet sa magie dans
La prophétie des étoiles - Tome I - Le secret des anges et invite les lecteurs à une aventure fantastique dans son monde féérique.
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Seitenzahl: 390
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Joséphine Galley
La prophétie des étoiles
Tome I
Le secret des anges
Roman
© Lys Bleu Éditions – Joséphine Galley
ISBN : 979-10-377-5551-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Un cœur qui bat. J’entends un cœur qui bat.
Boum boum… boum boum… boum boum…
Les paupières se lèvent sur deux grands yeux noirs.
— C’est un miracle !
À l’aube des temps, lorsque la Terre n’était qu’une boule de magma en fusion, naquit en son centre le premier être. Sa peau était de roche et son sang de lave. Sa taille était immense. Puis lentement, la Terre refroidit, formant les premières couches de roches. Lentement, le premier être nagea à travers le magma pour rejoindre la surface. Il faisait noir, il ne savait pas où il allait. Il se contenta d’avancer tout droit. Lorsqu’enfin il rencontra quelque chose de solide, il brisa la roche comme la coquille d’un œuf. Il prit sa première inspiration chargée de soufre et ouvrit ses yeux rouges. La première chose qu’il vit fut un ciel gris sombre ; la seconde, une étendue infinie de roche déserte.
Un rayon de soleil caressa un instant le visage d’une petite fille aux joues rosies par le froid et un sourire éclaira aussitôt son visage. Mais le rayon avait déjà disparu, masqué par l’un des imposants bâtiments qui lévitaient au-dessus d’elle et des habitants des baraques. Ambroise reprit sa marche sans perdre son sourire, et sans se soucier du vide sous la passerelle de bois qu’elle était en train de traverser. Tout autour d’elle, des habitations aux allures disparates s’empilaient et se croisaient sans ordre ni logique. Un réseau inextricable d’escaliers sommaires reliait le tout, alors qu’un élégant ensemble de ponts et d’escaliers de pierre blanche s’étalait entre les larges bâtiments du dessus.
Au milieu du niveau chaotique des baraques, Ambroise continuait de se déplacer avec une facilité déconcertante entre les passages étroits et tortueux, traversant même quelques toits en guise de raccourcis. Son cartable sur les épaules, elle finit par déboucher sur une plate-forme ronde autour de laquelle patientaient de petites montgolfières aux couleurs vives. Des enfants s’y installaient et Ambroise les imita sans hésiter. Lorsque tout le monde fut à bord, le ballon orange et violet d’Ambroise s’éleva en même temps que les autres et se déplaça lentement entre les habitations.
L’air hivernal fit trembler Ambroise malgré son épais manteau bleu et décoiffa ses longs cheveux noirs. Elle les replaça avec peine puis se pencha au-dessus de la nacelle pour voir jusqu’où plongeait son regard. La lumière du jour rendait visible les habitations plusieurs dizaines de mètres en dessous d’elle, mais malgré les rayons qui traversaient parfois les bâtiments, la lumière ne parvenait jamais tout en bas. Là-bas, plongés dans la pénombre, des blocs de béton reposaient lourdement sur le sol. De minuscules boules de lumière grésillaient entre les masses sombres et Ambroise se remémora les histoires terrifiantes qu’on lui racontait sur cet endroit. Des histoires de monstres dévorant les enfants peu obéissants, de voleurs invisibles, d’ombres aspirant la magie et tant d’autres… Avec un frisson, elle se redressa et observa les montgolfières dont le nombre avait gonflé, telle une nuée d’oiseaux. Toutes convergeaient vers un grand bâtiment de briques jaunes. Surgissant au milieu de maisons beaucoup plus petites et écrasées, il semblait avoir été installé là par un géant capricieux voulant se débarrasser de cette construction imposante sans en avoir la place. Des balcons carrés recouvraient sa façade de tous les côtés, comme des tiroirs laissés ouverts. Les montgolfières s’y posèrent et les enfants entrèrent dans leur école, heureux de retrouver un endroit chaud.
Ambroise traversa un immense couloir et entra dans sa salle de classe peinte en vert pomme, recouverte d’images de créatures et de lieux splendides.
Sa baguette de sorcière pointée vers lui convainquit vite le petit garçon aux lourdes boucles brunes et il rangea sa boîte dans son cartable qui émit un grognement de satisfaction. Sa voisine, dont les longs cheveux blonds s’agitaient dans tous les sens, leva la main.
Ravie, l’écolière s’avança jusqu’au-devant de la salle de classe. Une de ses mèches de cheveux s’enroula autour d’une craie et traça maladroitement : « 7 ecnoél* 11 411 de l’ère de Créator ».
Mademoiselle Jelly lança un regard un brin exaspéré sur les cheveux de son élève tout en s’asseyant elle-même. Ambroise la vit agiter discrètement sa baguette sur sa chaise avant de basculer en équilibre sur les deux pieds arrière. Sa robe bleue à volants tournoya lorsqu’elle posa ses pieds chaussés d’énormes bottes noires sur son bureau. Malgré son maquillage soigné, ses épais cheveux roux étaient toujours décoiffés comme après une rafale de vent. Ses yeux verts à peine visibles sous sa frange ébouriffée étaient empreints de malice et ses élèves évitaient souvent, et à juste titre, de la contrarier.
Lorsque Edvardine se fut rassise, la jeune institutrice agita sa baguette magique d’un geste négligé et la craie alla écrire seule la leçon du jour.
Une élève aux cheveux noirs et lisses leva timidement la main.
Celle-ci baissa la main qu’elle venait de lever et répondit avec application :
La maîtresse leva les yeux au ciel.
La classe se mit à rire, ce qui ne perturba pas le garçon qui poursuivit.
Un silence prudent étouffa les rires. Beaucoup se demandaient quel était exactement le don de Jordan, mis à part son manque d’intelligence et même d’instinct de survie. Il soutint sans sourciller le regard de l’institutrice qui s’était mis à lancer des éclairs. Mais après quelques secondes, elle se contenta de lâcher un soupir avant de répondre d’un air détaché.
Il avait dit cela en lançant un regard appuyé à Jordan mais celui-ci ne le remarqua pas. Mademoiselle Jelly prit un air grave.
Le garçon sourit, satisfait. Ambroise, elle, se demanda pour la millième fois quel serait son don lorsqu’elle le découvrirait. Elle avait hâte que ce moment arrive et elle n’était pas la seule à en juger par les chuchotements excités de ses camarades.
Après avoir provoqué une petite détonation avec sa baguette pour obtenir de nouveau l’attention de tous, l’institutrice commença la leçon du jour.
Plusieurs doigts se levèrent, impatients. La maîtresse désigna les élèves au hasard.
Les élèves acquiescèrent sagement et la maîtresse poursuivit son cours.
Le soleil se couchait déjà quand Ambroise rentra enfin chez elle, fatiguée, mais satisfaite de sa journée de classe. Après une dernière volée de marches le long de petites maisons empilées, elle arriva sur une place familière aux larges pierres grises.
Concentré au milieu de la place, un adolescent avait réussi à faire léviter une simple planche en bois sur laquelle il tenait debout en équilibre, sous les encouragements de ses amis. Il avançait maladroitement au-dessus des pierres et Ambroise l’évita avec précaution, non sans une pointe d’envie envers son don.
Au fond de la place se trouvait une maison à la façade bleue et au toit à moitié englouti par une autre habitation qui s’élevait juste au-dessus. Sans hésiter, Ambroise poussa la porte d’entrée de la maison bleue, contente de retrouver la chaleur de son foyer. Une douce odeur sucrée lui chatouilla aussitôt les narines et elle se débarrassa vite de son cartable et de son manteau.
Son père et sa mère l’attendaient au milieu du salon exceptionnellement paré de guirlandes et de ballons multicolores.
Un grand sourire aux lèvres, elle se jeta dans les bras de ses parents puis s’approcha sans plus attendre de la table où trônait un énorme gâteau au chocolat orné de sept bougies. Avec un air émerveillé, elle regarda impatiemment son père qui alluma les mèches à l’aide d’allumettes. Lorsqu’il eut fini, elle prit quelques instants de réflexion, ferma les yeux pour faire un vœu, puis souffla très fort.
Sa maman et son papa applaudirent avec enthousiasme, comme si elle venait de remporter le premier prix d’un championnat.
Avec son aide, elle coupa le gâteau en trois parts très inégales et se servit la plus grande. Le goût du chocolat allié au croquant de la noisette ravit la petite fille, sous le regard amusé de ses parents.
Quand tout le monde eut fini de déguster sa part, elle s’écria comme une enfant :
Le papa d’Ambroise sortit de la salle sous l’œil attentif de sa fille et revint les bras chargés de paquets colorés.
La table étant trop encombrée, elle déballa les cadeaux à même le sol, débarrassant en quelques secondes les présents de leur papier. Elle découvrit ainsi une jolie petite danseuse qui tournoyait grâce au don de sa mère, des peluches adorables et un livre, Le conte de Tetrus.
Celle-ci fit un grand sourire, serrant dans ses bras sa danseuse et ses peluches.
Il y eut un flash, puis un bruit semblable à un coup de tonnerre qui fit trembler les murs. Ambroise comprit avec un léger retard que ce n’était pas de l’orage mais la porte d’entrée qui venait de s’ouvrir à la volée, au fond de la pièce. En se tournant, elle découvrit qu’un homme se tenait dans l’encadrement, immobile et silencieux. Après quelques secondes de flottement, son père se dressa devant lui.
L’homme ne répondit pas, mais il tendit le bras et le saisit brutalement à la gorge. Il eut un rire horrible, terrifiant, et jeta sa proie sur le sol comme une poupée de chiffon. Un craquement sinistre retentit lorsque la tête heurta le plancher.
La mère d’Ambroise hurla et tenta de prendre sa petite fille dans ses bras, mais l’inconnu s’approcha à une vitesse stupéfiante et la saisit par-derrière. D’un geste vif, il prit le couteau posé sur la table et l’enfonça dans son cœur. La femme murmura le nom de sa fille avant de s’écrouler sur le sol. L’inconnu se tourna alors vers Ambroise qui s’était figée, bien trop stupéfaite pour avoir la moindre réaction. Il s’approcha lentement. Le rictus sur ses lèvres déformait ses traits et le rendait inhumain.
Sa voix donna la chair de poule à sa future victime. Elle était aiguë, dénaturée par la folie qui l’habitait.
Il brandit son couteau. Sans en avoir vraiment conscience, Ambroise leva la main vers lui.
Il y eut comme un grondement sourd. Un étrange fourmillement parcourut le bras de l’enfant puis un éclair bleu électrique jaillit de sa petite paume et percuta l’homme en pleine poitrine. L’air se souleva tout autour, faisant voler les longs cheveux noirs d’Ambroise. L’homme ouvrit la bouche pour hurler mais il disparut, tout comme l’éclair, brusquement réduit à néant.
Un lourd silence s’installa. Lentement la petite fille regarda autour d’elle. Ses parents étaient étendus sur le sol, baignant dans un liquide rouge.
Le premier être marcha longtemps sur la Terre. Mais partout, c’était le même paysage, la même désolation. Il eut alors un souhait : qu’il y ait quelque chose.
Il attendit longtemps mais rien ne vint. Le temps passa, jour après jour, nuit après nuit. Tetrus s’ennuyait.
Mais surtout, il se sentait seul.
La nuit, il apercevait parfois à travers les lourds nuages de petites lumières dans le ciel. Il aurait aimé pouvoir s’en approcher mais une force inconnue le retenait prisonnier du sol. Alors souvent, il s’allongeait et se contentait d’admirer ces petites lumières si lointaines. Il aurait aimé les toucher. Surtout, il aurait aimé qu’elles lui tiennent compagnie. Mais très vite, les nuages les cachaient de nouveau. Plus que tout, il aurait aimé disparaître avec elles.
Ambroise se réveilla en sursaut. Elle tremblait de tous ses membres et son corps était recouvert de sueur. Elle inspira à fond et cligna plusieurs fois des yeux pour chasser l’image de ses parents étendus par terre. En vain. Elle sortit alors une vieille photo de sa poche de manteau, où son père et sa mère la regardaient, souriant. Elle leur sourit en retour. C’était ainsi qu’elle voulait se les rappeler, et non comme lors de ce terrible anniversaire, il y avait de ça exactement huit ans. Mais elle savait que ce souvenir la hanterait toujours. Une fois de plus, elle se demanda si l’éclair bleu avait été bien réel ou si elle n’avait pas eu une sorte d’hallucination liée à la panique, ou encore à un choc que lui aurait donné l’agresseur. C’était en tout cas ce qu’avaient affirmé les professionnels car il était impossible qu’un tel pouvoir de destruction fût à la portée d’une simple spécimen. Mais c’était toujours le même souvenir qui était gravé dans sa mémoire. L’éclair bleu, l’homme anéanti. Qui était-il ? Qui était donc son maître ? Ça aussi elle l’ignorait toujours.
Ambroise frissonna dans son manteau élimé. Les policiers n’avaient rien trouvé malgré leurs recherches. Même si la jeune fille affirmait que l’arme du crime avait été anéantie en même temps que l’assassin, la police avait conclu qu’il s’était enfui en l’emportant. Ils avaient mis sa conviction sur le compte du choc et elle-même en serait venue à douter si son cauchemar n’avait pas toujours été le même. Elle passa distraitement sa main dans ses cheveux noirs où se trouvait une curieuse mèche bleu électrique, qui ne partait jamais, et qui elle non plus n’avait aucune explication logique. Que s’était-il réellement passé ce jour-là ?
Un léger bruit retentit, interrompant sa rêverie. Elle regarda autour d’elle, scrutant la pénombre.
Elle se trouvait au fond d’une impasse, il faisait nuit et l’air était froid. Malgré l’insécurité des lieux, elle avait dormi à même le sol au pied d’une porte de service d’un restaurant miteux. Elle tendit prudemment l’oreille, aux aguets. Elle entendit des chuchotements se rapprocher et une lumière tremblotante apparut devant la ruelle. En silence, elle se leva, mis son sac sur son épaule et recula dans l’ombre. La lumière de la rue principale découpa soudainement deux silhouettes qui s’avançaient vers elle. Ambroise voulut reculer encore, mais elle était contre le mur du fond, trop haut pour qu’elle puisse espérer l’escalader. Un faisceau de lumière éclaira son visage et l’éblouit.
Elle acquiesça, sachant parfaitement qu’il n’y avait plus d’issue pour elle.
Elle leur emboîta le pas, résignée. Il était tard et les rues étaient désertes. Ambroise avait marché un bon moment avant de s’arrêter dans cette ruelle, épuisée. Mais son cauchemar l’avait réveillée au bout de quelques heures seulement, et à présent elle suivait les policiers d’un pas d’automate.
Elle monta à l’intérieur de la bulle d’intervention des forces de l’ordre, dont les parois circulaires permettaient de voir l’extérieur sans être vu.
Sans entrain, elle prit place sur la banquette en demi-cercle, exactement comme le jour où ils l’avaient retrouvée, il y a un peu plus d’un an. Les policiers ignoraient alors son nom et où elle vivait et elle-même avait été incapable de répondre à ces simples questions. À ce moment-là, son amnésie était totale. Une enquête rapide avait permis de retrouver son identité, ainsi que son terrible passé. On lui avait appris comment un homme avait tué ses parents avant de l’enlever. Comment on avait cherché sa trace pendant six ans avant de la retrouver miraculeusement ce jour-là dans la forêt de Fanz, vers l’est de Lutèce. Petit à petit, ses souvenirs d’enfance étaient revenus, une enfance heureuse et tout à fait normale. Le jour tragique revenait régulièrement dans ses cauchemars, avec cet étrange éclair bleu. Puis plus rien. Juste du noir, comme si un mur invisible l’empêchait de voir au-delà de cet événement. Elle se souvenait à peine de la forêt où on l’avait retrouvée, une mèche bleue dans les cheveux.
Très vite, on l’avait placée dans un hôpital psychiatrique, où elle avait mis plusieurs mois à retrouver l’usage de la parole, et un an entier à supporter la présence d’autres personnes. Cette isolation n’était pas due à la crainte, mais depuis qu’on l’avait retrouvée dans la forêt, son don de spécimen s’était manifesté et pour Ambroise ce pouvoir ressemblait davantage à une malédiction. En effet, chaque fois qu’elle se trouvait près de quelqu’un, si cette personne ressentait de la tristesse ou une douleur intérieure, celle-ci se superposait à ses propres émotions. Elle avait ainsi remarqué que presque tout le monde souffrait, plus ou moins, et cela s’ajoutait à sa propre tristesse, ce qui était loin d’être facile à supporter.
Être sans cesse assaillie par des élans de douleur émotionnelle aux motifs inconnus était plus qu’épuisant et à la longue, déprimant. Sa condition l’avait pendant de longs mois empêchée de se confronter au monde extérieur mais elle refusait de passer sa vie dans un hôpital. Elle avait donc été installée dans le seul établissement qui l’avait acceptée au vu de sa situation, et qui était situé au fin fond des blocs.
Très vite, elle avait appris que le meilleur moyen de s’en sortir dans cet espace redouté était de ne croiser le regard de personne et de faire profil bas. Depuis qu’elle était dans cet orphelinat, elle se tenait soigneusement à l’écart des autres pour éviter de trop souffrir mais il arrivait que certains soirs comme celui-ci, leurs simples présences deviennent insupportables. Elle partait alors se perdre au milieu des blocs pour retrouver un peu de tranquillité, et se retrouver seule avec ses sentiments. Malgré ses inquiétudes à l’idée de s’y promener, le véritable danger, elle le savait à présent, se trouvait sous les blocs eux-mêmes. Il existait de nombreux passages menant aux souterrains et elle les évitait tous. Cela ne voulait pas dire que les rues n’étaient pas dangereuses, loin de là, mais elle s’enfuyait au moindre bruit et n’avait pas encore eu d’ennuis. De plus, la police ne mettait jamais très longtemps pour la retrouver et la ramener à l’orphelinat.
Ils l’accompagnèrent jusqu’à l’intérieur du bâtiment qui n’était qu’un rectangle grisâtre aux minuscules fenêtres. De toute manière, il faisait toujours trop sombre pour qu’elles servent vraiment à quelque chose. Même lorsqu’il s’agissait de renouveler l’air, une odeur nauséabonde subsistait toujours, comme un parfum propre aux blocs. Devant la porte grillagée, la directrice les attendait d’un pied ferme. C’était une femme sévère, toujours coiffée avec un chignon gris, même au milieu de la nuit, comme à ce moment-là. Elle remercia sèchement les policiers et emmena Ambroise dans son bureau.
Ambroise l’écoutait à peine. La directrice répétait toujours la même chose, surtout furieuse d’avoir été réveillée en pleine nuit à cause d’un énième jeune récalcitrant. Si elle avait accepté Ambroise en toute connaissance de cause, aujourd’hui elle aurait été bien incapable de dire la nature du don d’Ambroise et ainsi de comprendre la raison de ses fugues. Cette dernière se gardait bien de le lui rappeler, de peur qu’elle ne se serve de cette information pour la renvoyer à l’hôpital au plus vite.
Tout le monde savait que son mari était reparti pour travailler aux mines. Or la directrice était toujours plus détendue lorsqu’il était là. En général, l’évoquer suffisait à lui faire oublier sa colère.
Raté.
Mais elle s’interrompit soudain et prit une grande inspiration.
Ambroise se hâta de sortir. Finalement sa diversion avait fonctionné. Mais à peine avait-elle relâché la poignée qu’elle sentit un grand désespoir l’envahir, mêlé de tristesse et d’inquiétude. Apparemment, il y avait un problème qu’elle ignorait. Elle repoussa l’envie de s’effondrer qui n’était pas la sienne et s’éloigna, plus épuisée que jamais.
Elle entra discrètement dans le dortoir des filles, composé d’une trentaine de lits alignés contre les murs de gauche et de droite. Essayant de faire le moins de bruit possible pour ne réveiller personne, elle rejoignit le sien, tout au fond, et s’allongea sur le matelas qui grinça sous son poids. Avec un soupir, elle posa sa tête sur l’oreiller et s’endormit aussitôt.
Elle eut l’impression qu’elle venait de fermer les yeux lorsqu’on tambourina à la porte.
Des grognements s’élevèrent, ainsi que quelques bâillements. Parmi les surveillantes, Marie était la moins douce au réveil. Elle ouvrit les volets dans un immense fracas et sortit en trombe de la pièce. La trentaine de filles présente se leva et s’habilla, l’esprit encore embrumé par le sommeil. Ambroise les imita puis alla dans la salle de bain commune pour se coiffer. Dans le miroir ébréché, elle observa ses yeux, dont le bleu était beaucoup plus clair que dans ses souvenirs.
Sans attendre qu’elle s’exécute, une jeune fille la poussa d’un coup d’épaule et prit sa place devant le miroir. Ambroise l’ignora et alla prendre son petit-déjeuner.
Un immense brouhaha régnait dans le réfectoire, surpeuplé à cette heure. L’établissement était bondé de jeunes, uniquement des krevers et quelques spécimens, au don suffisamment passif pour ne pas représenter un danger pour les autres. Les jeunes krevers se chargeaient bien de le leur rappeler et dissuadaient tous les spécimens de se faire trop remarquer à leur goût. Ambroise n’était ici que depuis six mois et pour le moment, elle avait réussi à se montrer suffisamment discrète pour ne pas trop attirer l’attention. Le plus dur était de ne pas s’écrouler lorsque leurs souffrances devenaient trop présentes. Même si peu à peu elle arrivait à supporter davantage les douleurs qui n’étaient pas les siennes, elle ne pouvait pas les ignorer.
Calmement, elle s’assit au bout d’une grande table à quelques chaises d’un groupe plutôt bruyant. Elle avala son bol de céréales sans se presser et retourna au dortoir pour prendre ses affaires de cours, dans son sac déjà usé alors qu’elle n’était en classe que depuis trois mois. Dans les blocs, rien n’était assez solide pour rester en bon état très longtemps, à part les bâtiments qui, malgré leur état délabré, semblaient éternels. Cela avait quelque chose de plus déprimant encore.
Le lycée était situé à deux rues de l’orphelinat seulement et les adolescents y allaient à pied. Ambroise était fatiguée après cette courte nuit, mais marcher dans l’air frais lui fit du bien.
Rien ne distinguait le lycée des autres structures de béton, si ce n’était qu’un flot d’élèves s’y engouffrait sans aucune motivation. Ambroise se mêla à eux et traversa les étroits couloirs au plâtre décrépi, se faisant bousculer au passage. On était jeudi et la journée s’annonçait semblable aux autres. Elle n’avait pas d’ami à rejoindre aussi elle resta seule devant la salle de classe jusqu’à ce que ce fut l’heure. Elle eut une pensée pour ses quinze ans et se demanda ce qu’elle aurait aimé avoir si elle avait pu recevoir quelque chose de quelqu’un. Des vêtements neufs ? Des livres d’aventures ? Un voyage loin d’ici ?
Lorsque la cloche sonna enfin, elle ne s’était pas encore décidée et se dit que de toute manière, cela ne servait à rien de se poser la question. Un groupe d’élèves s’entassa derrière elle et lorsque le professeur ouvrit la porte, elle fut projetée à l’intérieur par ceux qui voulaient avoir les places les plus au fond. Elle se contenta de s’asseoir à deux rangées du bureau, près de la fenêtre. La table était couverte d’écritures obscènes, tout comme la chaise un peu bancale, mais elle n’y prêta pas attention. Elle sortit un cahier, un crayon, et se perdit dans la contemplation du mur à la couleur indéfinissable, tandis que le professeur tentait d’expliquer les équations du second degré par-dessus les bavardages des élèves.
Ambroise n’écouta que distraitement. Elle n’avait pas besoin d’en faire plus pour avoir d’excellents résultats ; et si elle ne se souvenait pas d’être allée à l’école depuis ses sept ans, elle avait curieusement beaucoup de facilités en classe. Cependant, pour ce qui était des rapports aux autres, c’était autre chose… Lors de son arrivée au lycée, quelqu’un avait laissé échapper qu’elle venait d’un hôpital psychiatrique et la rumeur s’était vite répandue. Pourquoi quelqu’un irait discuter avec une folle, si ce n’était par curiosité malsaine ? Elle les avait ignorés, eux et leurs questions stupides, leurs remarques blessantes, leurs foutues douleurs… À présent, tout ce qu’elle voulait, c’était qu’on la laisse tranquille. À ce niveau-là, elle ne s’en sortait pas trop mal, plus personne ne lui adressait la parole et elle avait même parfois l’impression d’avoir en réalité le don d’être invisible. Elle aurait préféré d’ailleurs. Elle passa l’heure à dresser la liste de tous les dons qu’elle aurait voulus à la place du sien, et finit même par envier les krevers. Un court instant seulement, car toute leur existence était restreinte aux blocs et même si la situation d’Ambroise n’était guère mieux, elle pouvait se souvenir de moments plus heureux et même espérer sortir de là un jour. Les plus à plaindre, toutefois, étaient ceux qui se retrouvaient en-dessous. Ceux-là avaient perdu tout espoir de voir la lumière du jour de plus près et Ambroise préférait ne pas savoir ce qui se trouvait réellement dans les profondeurs aveugles de la ville, là où l’espoir n’existait pas.
La cloche stridente sonna de nouveau et le professeur n’avait pas encore fini de donner les devoirs que la moitié de la classe était déjà sortie.
La journée parut durer une éternité à Ambroise, qui retrouva l’extérieur avec soulagement, sous la pluie qui parvenait avec peine jusqu’aux blocs. Elle hâta le pas dans la rue, une étrange impression sur la nuque, comme si quelqu’un l’observait, à moins que ce ne fût la sensation des gouttes glacées sur sa peau.
Les jours suivants furent semblables aux autres, lents et monotones. La pluie fit place à quelques flocons grisâtres et les vacances d’hiver furent enfin là, mais ce n’était pas un événement particulièrement joyeux pour Ambroise. Elle n’avait nulle part où se rendre et son seul réconfort était de ne pas avoir à supporter une trentaine de personnes dans une salle de classe confinée. À la place, elle passait son temps à lire les antiques livres de la bibliothèque de l’orphelinat, qui n’était en réalité qu’une petite pièce quasiment déserte. C’était de loin son endroit préféré quand un groupe ne décidait pas de s’y installer pour préparer un mauvais coup.
Un soir, elle grimpa jusqu’au toit par un escalier normalement interdit et s’allongea sur le béton givré avec précaution. Elle scruta le dessus jusqu’à apercevoir un minuscule carré de ciel étoilé ou du moins aimait-elle se l’imaginer. Il faisait si froid dehors que les rues étaient blanches. Soudain, elle vit une lueur passer, furtivement. Comme face à une étoile filante, elle fit aussitôt un vœu, presque sans y penser.
« Faites que je parte d’ici », chuchota-t-elle.
Évidemment, les vacances passèrent sans que son souhait ne se soit réalisé. Son moral diminuait au fur et à mesure que la rentrée approchait. Les nuits ne lui laissèrent plus aucun repos. Lorsqu’elle n’était pas réveillée par ses cauchemars, c’étaient ses voisines qui, profitant du noir, s’abandonnaient à leurs tristesses.
… abandon… déchirement… trahison… perte…
Ambroise percevait chacun de ces sentiments comme autant de flèches à travers son cœur, et malgré ses efforts pour les ignorer, leurs poids devinrent encore une fois trop lourds à porter. Les larmes qu’Ambroise refoulait habituellement s’échappaient malgré tout et n’en finissaient plus de couler. Une fois de plus, elle songea à partir de l’orphelinat, tout en espérant ne pas finir au centre correctionnel. Cette fois, elle serait de retour avant que les policiers ne la retrouvent et personne ne remarquerait son absence.
Elle attendit la veille de la rentrée que le soleil soit levé avant de sortir de l’orphelinat. Même la journée, les jeunes n’étaient pas autorisés à sortir, sauf pour aller au lycée ou si un parent venait les chercher. Seule une cour intérieure aux murs aveugles, aussi vaste qu’accueillante, permettait de prendre l’air.
Profitant du sommeil de ses camarades, Ambroise sortit telle une ombre par une fenêtre cassée du rez-de-chaussée, et qui aurait empêché la plupart des fugues si on avait pris la peine de la réparer.
Une fois dehors, elle marcha au hasard dans la pénombre, évitant machinalement les déchets abandonnés, à peine éclairés par les boules de lumières vacillantes. De la buée se formait lorsqu’elle respirait, mais elle ignorait le froid pour savourer la quiétude des lieux, trop vite interrompu par un vrombissement d’air. Elle leva la tête et vit avec stupéfaction un véritable ballon dirigeable se poser en plein milieu de la rue encore déserte. La manière dont il avait pu traverser le capharnaüm que représentait la ville était un mystère. La jeune fille s’approcha en se demandant quel problème avait pu obliger le pilote à s’arrêter à un tel endroit. En même temps, elle admira l’engin qu’elle n’avait vu que de loin ou en croquis dans des livres, particulièrement impressionnée par la taille du ballon à la forme allongée.
Elle contournait la nacelle opaque en cherchant l’entrée lorsqu’elle entendit une portière s’ouvrir juste derrière elle. Avant qu’elle n’ait pu se retourner, elle sentit quelqu’un l’attraper par les épaules, l’entraînant à l’intérieur.
Parfois, il arrive que les souhaits se réalisent. Mais il est rare qu’ils se produisent comme on l’aurait cru.
C’est ainsi qu’un soir, le souhait de Tetrus se réalisa.
La nuit, lorsqu’il regardait les étoiles à travers les sombres nuages, il en voyait parfois tomber vers le sol, en laissant une traînée d’argent ou d’or derrière elles. Il adorait ce spectacle, pensant qu’une lumière, répondant à son appel, essayait de venir vers lui. Mais lorsqu’elle parvenait à toucher le sol, il ne restait d’elle qu’une pierre de plus, encore chaude, mais privée de sa lumière : éteinte.
Un soir, cependant, l’étoile qui tomba du ciel était beaucoup, beaucoup plus grosse. Le ciel fut soudain rempli d’une lumière blanche aveuglante, et une explosion retentit lorsqu’elle percuta Tetrus de plein fouet.
La portière de la nacelle se referma d’un coup sec et le dirigeable reprit de l’altitude. L’homme qui avait saisi Ambroise la fit s’asseoir sur une banquette en velours et s’installa en face d’elle. Il rajusta le nœud de cravate de son costume impeccable et s’éclaircit la voix, comme si ce qu’il venait de faire était la chose la plus normale au monde.
Il s’interrompit, attendant une réaction de la part d’Ambroise. Celle-ci essayait de comprendre ce qu’il venait de se passer, tandis qu’elle sentait l’engin prendre de la hauteur. Elle venait de se faire enlever, non ?
Il lui tendit une petite bouteille en verre qu’elle saisit d’un air méfiant. Contenait-elle du somnifère ? Allait-elle se réveiller dans une pièce sombre ? Elle regarda par la vitre les baraques qui défilaient de plus en plus rapidement. Elle se rappela la lenteur des montgolfières et vu la taille de l’engin, c’était un miracle qu’il ne soit pas déjà rentré en collision avec des marches ou un toit.
Elle avait bien entendu mais venant de la part d’un ravisseur, elle s’attendait à tout sauf à ça. Était-ce une ruse pour endormir sa méfiance ? Mais de toute façon, comment pourrait-elle croire un truc pareil ? La célèbre académie Aubépine était le seul établissement scolaire réservé aux élèves outrageusement riches, très intelligents et possédants d’énormes pouvoirs magiques. Elle, admise ? Impossible. Elle n’était qu’une spécimen sans le moindre bien, au don trop passif pour être utile.
Elle en resta bouche bée. Monsieur Nunticus paraissait vraiment sincère mais c’était tellement ridicule ! Si vraiment l’académie accordait des bourses aux plus méritants, il devait exister des centaines de jeunes dans son cas alors pourquoi elle ? Elle n’avait jamais rien demandé et personne ne l’avait avertie !
La vue fut brusquement dégagée et pour la première fois, Ambroise put voir les hauteurs de la ville. Fascinée, elle vit de somptueux jardins qui s’étalaient sur les larges bâtiments dont elle n’avait toujours vu que le dessous. Leurs façades blanches étaient finement sculptées et abondamment éclairées par le soleil, à peine gênées par les tours légères qui s’élevaient au-dessus. Façonnées dans le marbre et le cristal le plus pur, chacune d’elles était une véritable œuvre d’art. De fines arches transparentes les reliaient entre elles avec grâce et élégance et renvoyaient de doux chatoiements arc-en-ciel.
Après tout, elle ne savait pas si ce qu’il disait était vrai ou si c’était juste un riche complètement taré. Il rit d’un air franc.
Il lui montra une petite fiole posée sur la table entre eux. Ambroise saisit le flacon en cristal finement ciselé.
Avait-elle bien entendu ? Il avait dit cette dernière phrase avec beaucoup de sérieux. Toute trace de sourire avait disparu, laissant place à un regard concentré, intense.
Ambroise serra la bouteille dans sa main, hésitante. Ses souvenirs allaient-ils réellement revenir grâce à ça ? Essayait-il un autre moyen pour lui faire boire un somnifère ? Mais comment savait-il pour sa perte de mémoire ?
Elle respira un grand coup. Cet homme disait-il la vérité ? Elle le regarda et il lui adressa un sourire encourageant. C’était risqué, mais elle ne supportait pas de rester dans l’ignorance. Et si elle avait une chance, même infime, de retrouver la mémoire, elle voulait la tenter. Elle retira le bouchon en liège en tremblant légèrement. Le liquide dégageait une légère odeur de rose. Elle porta le flacon à ses lèvres. S’il disait vrai, elle redoutait ce qu’elle allait découvrir. Elle prit une grande inspiration et vida le contenu dans sa bouche. Elle sentit le liquide couler le long de sa gorge, laissant un arrière-goût de miel, puis perdit connaissance.
On raconte que le choc fut tellement violent que l’âme de Tetrus se sépara de son corps. Libéré de son enveloppe corporelle, l’âme de Tetrus quitta la Terre et alla rejoindre les étoiles qui lui étaient si chères. Son corps, lui, resta sur Terre, encore vivant, mais dénué de toute émotion. Il se voua entièrement à la destruction, au chaos, à tel point qu’on l’appela Eversor.
Ambroise reste un long moment assise sur le sol, tenant toujours ses jouets entre ses bras, hébétée. Elle ne comprend pas ce qu’il vient de se passer. Où est passé cet homme ? Pourquoi ses parents ne se relèvent-ils pas ? Ils sont blessés, elle doit faire quelque chose, mais quoi ? Elle appelle, d’une toute petite voix :
Pas de réponse. Elle appelle plus fort. Toujours rien. Rien qu’un épais silence juste déchiré par sa voix qui appelle :
Elle se tait soudain. Elle vient de comprendre. Ça ne sert à rien d’appeler, ils ne répondraient pas. Ils sont morts.
Elle est assise dans une automobile. Un homme conduit à l’avant. Il ne dit rien. Elle a le sentiment qu’on tire sur un fil invisible qui la relie à ses parents allongés sur le sol. Morts.
Dans la pénombre, une maison en bois entourée d’arbres, comme une immense cabane.
L’homme la porte dans ses bras et l’amène à l’intérieur. Il la couche dans un petit lit en bois.
Une immense pièce occupe le rez-de-chaussée. Au centre se trouve une grande table en chêne, entourée d’étagères remplies de livres du sol au plafond. Tout au fond, l’homme s’affaire devant une cheminée. Il s’approche d’elle et pose un bol de lait fumant sur la table.
Ambroise obéit, affamée. Elle dévisage l’homme par-dessus son bol. Il a des cheveux blancs coiffés en arrière qui cachent à peine son crâne dégarni, et des yeux gris et perçants.
À ces mots, Ambroise sent les larmes lui monter aux yeux. Elle revoit ses parents allongés sur le sol et ne peut s’empêcher de pleurer, encore et encore. Monsieur Cumulus contourne la table et lui tapote maladroitement la tête. Elle se jette dans ses bras.
La neige commence à fondre lorsqu’elle voit son reflet pour la première fois depuis son arrivée. Il n’y a pas de miroir dans la maison, ainsi, c’est dans une flaque de neige fondue que son reflet apparaît. Elle remarque que ses yeux ont encore tiré sur le bleu. Mais surtout, il y a une mèche bleue dans ses longs cheveux noirs, sur le côté. Elle observe l’étrange phénomène puis court voir Léon.
Ambroise passe sa main dans ses cheveux, là où se trouve sa mèche.
Il a un air alarmé qui inquiète l’enfant.
Léon abat sa hache sur la bûche posée devant lui, qui se sépare net en deux. Il lâche le manche et s’essuie le front.
Léon lui sourit.
Un soir, Ambroise ressent une étrange douleur. Un sentiment qui remplit son cœur mais qui ne vient pas d’elle. Elle suit la trace invisible laissée par cette sensation pour en trouver la source et s’arrête devant Léon, assis devant la cheminée.
Elle pose une main sur son cœur.
Il lève un sourcil.
Il la regarde de ses yeux perçants. Ambroise fronce les sourcils.