La prophétie des étoiles - Tome 2 - Joséphine Galley - E-Book

La prophétie des étoiles - Tome 2 E-Book

Joséphine Galley

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Beschreibung

Après avoir découvert la vérité sur ses origines, Ambroise retourne à l’académie Aubépine où elle espère terminer son année scolaire paisiblement. Cependant, étudier n’est plus suffisant ; son pouvoir immense attire les forces obscures qui essayent de la rallier à leur camp. Aussi, elle devra le maîtriser tout en surmontant de nombreux défis. Entre manipulation, enlèvement et trahison, parviendra-t-elle à rester dans la lumière ou cédera-t-elle à la tentation des ténèbres ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Joséphine Galley, captivée par la lecture dès son enfance, s’est tournée vers la fantasy jeunesse à l’adolescence, lançant ainsi son écriture de poèmes et de débuts de romans. La saga "La prophétie des étoiles" représente le résultat de nombreuses années de travail acharné, mais aussi un refuge précieux dans les moments difficiles. Elle invite une fois de plus les lecteurs à une aventure fantastique dans son monde féérique.

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Seitenzahl: 382

Veröffentlichungsjahr: 2024

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La prophétie des étoiles

Tome II

L’appel des ténèbres

Roman

© Lys Bleu Éditions – Joséphine Galley

ISBN : 979-10-422-1342-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Partie 1

L’envoyé du cercle

… Ambroise…

… ne résiste pas…

… tuer… tuer…

1

Inscription

— Ainsi, jeune homme, vous souhaitez intégrer la prestigieuse académie Aubépine ?
— Oui, Monsieur.

Le directeur se tut, scrutant l’éventuel élève de son regard troublant. Gabriel fit de son mieux pour ne rien laisser paraître, mais le mélange de couleurs et l’effusion de mouvements présents dans le bureau l’empêchaient de se concentrer.

Remarquant une légère hésitation de la part du directeur, il se reprit très vite. Dans son regard, il exprima toute sa détermination : il devait être accepté. Le directeur eut un sourire qui à la fois le rassura et lui fit froid dans le dos.

— C’est d’accord, accepta monsieur Tihtétus. Bienvenue à l’académie Aubépine.

2

Portrait et piano

— Tais-toi !
— Ambroise…
— Laisse-moi tranquille !
— Réveille-toi !
— Non, je ne veux pas…

Ambroise se débâtit encore un instant dans son lit avant d’ouvrir les yeux, déboussolée.

— Excuse-moi de t’avoir réveillée, lui dit Pensée. Tu faisais un cauchemar.

Ambroise regarda autour d’elle, retrouvant peu à peu ses esprits. Il lui semblait que quelqu’un d’autre l’appelait dans son rêve mais plus elle essayait de se rappeler, plus ses souvenirs s’effaçaient.

— Le petit-déjeuner a déjà été servi, tu ferais mieux de te lever sinon Bastien ne va rien te laisser.
— J’arrive tout de suite.

Pensée sortit de la chambre d’amis, laissant Ambroise revêtir une belle robe violette. Il y a encore six mois, elle aurait préféré un vieux jean troué mais beaucoup de choses avaient changé depuis et elle avait dû s’adapter. Elle ne savait pas ce qui avait été le plus incroyable : le fait de retrouver sa mémoire qui avait laissé dans l’ombre six ans de sa vie, le fait d’intégrer l’académie Aubépine, réservée aux élèves les plus riches, puissants et intelligents, ou encore le fait de s’être fait des amis, et même un petit ami.

Mais il était possible que tout cela ne soit rien comparé au moment où elle avait appris qu’elle était la fille de Layna et Maleck, les deux derniers Anges de Créator, celui qui avait tout crée sur Terre.

En dehors de ces deux figures mythiques, Ambroise était à présent la personne la plus puissante au monde, et elle aurait pu s’en réjouir si Maleck n’avait pas eu des penchants démoniaques et régnait depuis des siècles sur les Enfers.

Mais pour le moment, elle était chez Pensée et passait les plus belles vacances de sa vie.

Le domaine Ducerreta était magnifique. Perché en haut d’une colline recouverte de bois et de vignes, il offrait une belle vue sur la région à des kilomètres à la ronde.

La demeure en pierre disparaissait sous le lierre par endroits, et tout autour, une multitude de fleurs formaient un jardin sauvage et enchanteur. D’une certaine manière, il avait plus de charme que le parc de l’académie pourtant merveilleux avec ses petites fées et ses fontaines.

Une fois habillée, Ambroise traversa d’interminables couloirs et emprunta de nombreux escaliers, avant de se perdre. Le sens de l’orientation n’était pas son fort, et au bout d’un moment, elle ne sut même plus à quel étage elle était. Elle finit par s’arrêter dans un couloir qu’elle n’avait jamais vu avant et qui était recouvert de portraits.

Devant elle, peinte sur un tableau grandeur nature, une femme d’une beauté surnaturelle lui souriait. Elle avait une longue chevelure rousse et des yeux aussi verts que les feuilles de vigne qui l’entouraient. Elle tenait dans ses bras un panier rempli de grappes de raisin, peintes de manière si réaliste qu’Ambroise avait l’impression qu’il lui suffisait de tendre le bras pour pouvoir en prendre une.

— Elle était très belle, n’est-ce pas ?

Ambroise sursauta. Elle n’avait pas entendu, ni même senti la mère de Pensée s’approcher. Or, son don lui permettait de ressentir les émotions négatives de ceux qui l’entouraient et par conséquent, l’informait lorsqu’une personne était à proximité. D’ailleurs, une légère tristesse ne tarda pas à s’installer dans le cœur de la jeune fille.

— Qui est-ce ? demanda-t-elle avec curiosité.
— Ma mère, lorsqu’elle était jeune. Mon père, qui aimait peindre, a fait ce portrait juste après l’avoir rencontrée. Pensée t’a-t-elle raconté leur histoire ?

Ambroise fit non de la tête.

— Ils se sont connus lors des vendanges. Ma mère en tant que simple cueilleuse, mon père en tant que fils du patron. Ce n’était pas très bien vu, mais ce n’était pas leur véritable problème.

Elle prit le temps d’effleurer le tableau du bout des doigts avant de reprendre.

— Ma mère était une nymphe. Mon père n’était qu’un spécimen et il accepta sa nature sans savoir ce que cela impliquait. Ce n’est qu’après leur mariage qu’elle lui révéla la triste vérité. Tu dois savoir de quoi il s’agit.
— Une nymphe ne peut garder une apparence humaine très longtemps, récita Ambroise qui avait appris cela à l’académie. Elle a besoin de rester dans son élément naturel pour vivre.
— Par amour pour mon père, elle a quitté sa chère vigne pour l’épouser et mener une vie d’humaine. Cela a considérablement réduit son espérance de vie.

Madame Ducerreta eut un triste sourire.

— Elle est morte après avoir donné naissance à deux petites filles. Je ne l’ai pas beaucoup connue, mais les souvenirs que je garde d’elle sont doux et heureux.

Ayant perdu ses parents adoptifs lorsqu’elle avait sept ans, Ambroise comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire.

— Je suis désolée.
— Non, c’est moi qui m’excuse. Je ne voulais pas t’attrister avec mes souvenirs. Va donc retrouver tes amis, il suffit de descendre les escaliers au bout du couloir.

La jeune fille s’exécuta et atteignit enfin son but. En ressortant de la salle à manger quelques minutes plus tard, après avoir englouti une pâtisserie et un fond de chocolat chaud, Ambroise entendit des notes de musiques qui provenaient d’une pièce donnant sur le jardin.

Poussée par la curiosité, elle entra et découvrit à l’intérieur un magnifique piano à queue éclairé par le soleil matinal.

Assis devant le clavier, Bastien jouait une mélodie douce qui emplissait la pièce de sons clairs. Ambroise associa très vite les notes aux sentiments que son ami éprouvait en ce moment même.

Émue, elle s’approcha discrètement d’Anthelme qui la serra dans ses bras. Assise sur un fauteuil, Pensée était absorbée par la musique.

Avec beaucoup d’admiration, Ambroise regarda les mains de Bastien danser au-dessus des touches avec dextérité. Décidément, pensa-t-elle, son ami l’étonnerait toujours. La musique s’affaiblit et il termina son morceau par une note à peine jouée. Son public applaudit avec enthousiasme.

— C’était très beau, complimenta Pensée. Pourquoi tu ne nous as jamais dit que tu jouais aussi bien ?

Celui-ci haussa les épaules.

— Tu sais très bien que ce n’est pas mon genre de me vanter.

Pensée leva les yeux au ciel.

— Évidemment, pour quelqu’un qui s’est présenté comme étant le plus grand, le plus fort, le plus intelligent…
— Ça, c’est juste la vérité, coupa-t-il avec un grand sourire.
— Viens, souffla Anthelme à Ambroise alors que sa petite sœur ouvrait la bouche pour répliquer.

Enfin, sa sœur adoptive, se rappela Ambroise. Il avait été recueilli par madame Ducerreta après que celle-ci eut trouvé sa mère qui venait de se faire attaquer par un vampire. De ce fait, si Ambroise n’avait pas pu aider le jeune homme grâce à son don, en affaiblissant sa soif de sang, il n’aurait jamais pu sortir avec elle sans risquer de la tuer.

Ils sortirent dans le jardin et s’installèrent sur un banc à moitié dissimulé par la végétation. Le temps était paisible et Ambroise savoura à sa juste valeur cet instant.

Pour le déjeuner, le père de Pensée invita tout le monde dans un grand restaurant de la région. Possédant une grande chaîne hospitalière, il consacrait beaucoup de temps à son travail et c’était la première fois qu’il se joignait à eux pour le repas.

— Heureusement que ma femme a un vignoble à s’occuper, plaisanta-t-il. La pauvre s’ennuierait à mourir.

Celle-ci eut un petit rire.

— Depuis que ma petite Pensée est à l’académie, la maison paraît bien vide.
— Je ne suis plus une petite fille, maman.
— Les enfants grandissent si vite ! s’exclama monsieur Ducerreta. Mais tu es encore trop jeune pour avoir un petit ami ! ajouta-t-il en lançant un regard appuyé à Bastien.
— J’ai presque seizeans, papa. Et c’est juste un ami…
— Allons, intervint madame Ducerreta. Ce n’est pas le moment de discuter de ça. Trinquons plutôt à la réussite de vos examens de premier semestre !

Elle leva son verre sans toutefois être imitée.

— Mais maman, objecta Pensée, on n’a pas encore reçu nos résultats.
— Ah oui ? demanda celle-ci en sortant des enveloppes de son sac à main avec un grand sourire.
— Tu les as reçus ! s’exclama sa fille. Tu les avais et tu ne nous l’as pas dit ! On ne sait même pas s’ils sont bons !
— Je suis sûre que tu auras de très bons résultats, coupa sa mère avec confiance en distribuant les enveloppes.

Elle avait également reçu les résultats de Bastien et Ambroise. Celle-ci découvrit avec soulagement que ses résultats étaient plutôt bons.

— J’ai seize de moyenne, se réjouit Pensée. Et toi, Bastien ? Tu as réussi à avoir la moyenne ?
— Oui, c’est bon…

Il essaya de ranger sa lettre mais Pensée fut plus rapide et lui arracha des mains.

— Quoi ! hurla-t-elle. Tu as atteint 90 % !
— Pensée, pas si fort, gronda son père.
— Mais il n’a pas travaillé une seule fois du semestre…
— Bien sûr que si, se défendit Bastien. Tu l’as noté dans ton agenda…
— Ne te moque pas de moi !
— Et vous deux ? demanda madame Ducerreta à Ambroise et Anthelme.
— J’ai eu 65 %, répondirent-ils d’une même voix.

Ils échangèrent un regard mi-surpris, mi-amusé.

— Comme je le disais, reprit la mère de Pensée, trinquons à la réussite de vos examens !

Leurs résultats n’étaient pas la seule réjouissance qui se présenta à eux. La fin des vacances n’allait pas tarder, et avec elle venait l’anniversaire de Pensée.

— Tu ne veux vraiment pas nous dire ce que tu veux pour ton anniversaire ?
— Votre présence me suffit.

Ce n’était pas la première fois qu’Ambroise entendait Bastien lui poser la question, ni Pensée répondre sur le même ton serein. Elle savait que son amie était sincère mais elle aurait bien aimé pouvoir lui offrir quelque chose qui lui fasse vraiment plaisir.

Les trois amis continuèrent leur promenade en longeant les vignes dont les larges feuilles dissimulaient de petites grappes encore vertes. Elles mûrissaient tranquillement sous le ciel entièrement bleu. Ambroise tenta d’ignorer la frustration du jeune homme en se concentrant sur le chant des oiseaux, mais ses techniques pour éviter de ressentir les sentiments des autres étaient encore loin d’être efficaces.

Un croassement de corbeau trancha avec les gazouillements qui l’entouraient. La jeune fille leva la tête et vit l’oiseau noir voler droit vers eux et se poser sur le sol après avoir pris une forme humaine.

— Anthelme ! s’exclama Ambroise avec stupéfaction.
— Oui ?
— Tu ne savais pas qu’il pouvait se transformer en corbeau ? releva Pensée avec surprise.
— Non !
— Je me suis pourtant transformé plusieurs fois devant toi, fit remarquer Anthelme.
— Ah bon ?

Bastien éclata de rire. Ambroise l’ignora. Elle venait enfin de comprendre comment il faisait pour arriver tout près d’elle sans qu’elle perçoive sa présence.

— C’est une aptitude propre aux vampires, expliqua Pensée. Je pensais que tu le savais.
— Non… Et pour toi ? lui demanda Ambroise. Tu es une enchanteresse et tu peux te transformer aussi…
— Quoi ? s’étonna Bastien. Tu ne m’as jamais dit…

Pour toute réponse, elle se transforma en lapin blanc aux yeux rouges, la couleur naturelle de ses cheveux et de ses yeux.

— Oooooh, s’attendrit Bastien. Elle est trop mignonne comme ça…

Il voulut la caresser mais Pensée reprit sa forme humaine et lui lança un regard noir.

— C’est parce que ma grand-mère était une nymphe, expliqua-t-elle. Ma mère aussi peut se transformer…

Malgré l’insistance de Bastien, Pensée ne reprit pas sa forme animale, à l’inverse d’Anthelme qui se posa sur l’épaule et la tête d’Ambroise, pour son plus grand amusement.

3

Soirée d’anniversaire

Pour l’anniversaire de Pensée, ses parents avaient organisé une somptueuse soirée. Une centaine d’invités étaient attendus dans une grande salle d’un château de la région. Tout le monde avait revêtu ses plus beaux atouts et le personnel s’agitait pour les préparatifs de dernière minute.

Dans une automobile luxueuse, Pensée vérifiait une dernière fois son reflet dans un petit miroir en or. Sa robe, de couleur assortie, était une pure merveille.

— C’est bon, P’tite Fleur, tu es parfaite.

Anthelme essaya de lui sourire, mais ses traits restaient légèrement crispés. Ambroise comprenait parfaitement pourquoi. Pour un vampire, rester dans une salle au milieu de tant de monde n’aurait rien d’agréable. Avec son don d’empathie, ce ne serait pas facile pour elle non plus. Cependant, ce n’était pas eux les plus à plaindre.

— N’oublie pas, Bastien, lui répéta une énième fois Pensée. Tu dois être rentré avant le coucher du soleil.

Celui-ci leva les yeux au ciel.

— Je sais Poupée, pas la peine de paniquer.
— N’est-ce pas ? ne put s’empêcher de faire remarquer Ambroise.
— Ça va, Princesse, je fais ce que je peux.

Il ferma les yeux.

— Ce n’est pas toi qui as rêvé que tu dévorais la moitié des invités.
— Seulement la moitié ? le taquina Anthelme.

Pensée lui lança un regard sévère, puis prit la main de Bastien entre les siennes.

— Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle en souriant. Tout se passera bien.

Bastien ne réussit à émettre qu’un vague grognement, puis il se tourna vers la vitre, les joues rouges.

Quelques minutes plus tard, l’automobile s’arrêta dans une vaste cour, devant un escalier de pierre qui menait aux portes du château.

Un homme en livrée ouvrit la portière. Pensée descendit avec une telle grâce qu’Ambroise s’attendait presque à voir des photographes l’accueillir. Elle-même portait une robe bleue plutôt discrète, mais qui mettait ses yeux en valeur. Aux côtés d’Anthelme, elle suivit Pensée en essayant de faire bonne figure. C’était la première fois qu’elle se rendait à ce genre de fête en dehors de l’académie, et elle se sentait un peu nerveuse. Mais elle se consola en se disant qu’au moins, ce n’était pas elle le centre de la soirée.

Dès que Pensée fit son entrée, tous les invités se turent. Elle était la représentation même de leur monde : la richesse, la puissance et l’élégance. De plus, elle était jeune et belle, et de nombreux regards étaient admiratifs. Il y eut quelques secondes de flottement, puis toutes les conversations reprirent en même temps et une foule vint se former autour de la jeune fille.

Le teint encore un peu rouge d’avoir été sous le feu de l’attention, Pensée souriait à chacun et faisait les présentations avec simplicité et gentillesse. Dans sa robe dorée, elle était semblable à un rayon de soleil illuminant la soirée. Même ses cheveux blancs et ses yeux rouges ne parvenaient pas à troubler son apparence.

Ambroise était impressionnée par l’aisance de son amie et elle-même avait du mal à se sentir à l’aise parmi tous ces inconnus. Elle avait une sensation étrange lorsqu’elle se disait que tous, ici, appartenaient à un des sept Ordres de la magie et par conséquent étaient des lointains descendants des Anges de Créator. En observant ces adultes imposants, elle ne pouvait croire qu’elle possédait en réalité beaucoup plus de pouvoirs qu’eux, et fut ravie qu’aucun ne sache son secret.

Ambroise remarqua que Pensée ne cessait de jeter des regards furtifs autour d’elle, mais les convives qui se pressaient pour la saluer lui masquaient la vue. Ce n’est qu’au bout d’un long moment que son amie put se frayer un chemin parmi la foule et aller rejoindre quelqu’un près du buffet.

Pour une fois, ce n’était pas une personne inconnue d’Ambroise et elle sourit en le reconnaissant, bien qu’un peu surprise.

— Paul ! s’exclama Pensée. Je suis contente que tu aies pu venir.

Paul Sìni était un élève de leur classe qui appartenait à l’Ordre des anges gardiens. Blond aux yeux bleus, il était discret mais travailleur. Il l’accueillit avec un sourire.

— Bon anniversaire, Pensée.
— Nos pères travaillent ensemble, expliqua Pensée à Ambroise et Bastien. Je suppose qu’ils sont en train de discuter quelque part.
— Évidemment, confirma Paul. Ils ne perdent jamais une seconde pour parler affaires.
— Et comment vont tes sœurs ?

Ils discutèrent quelques instants, et c’est ainsi qu’Ambroise apprit qu’il avait cinq sœurs plus âgées, mais qu’il était le seul à avoir hérité des pouvoirs de son père, ses sœurs ne possédant qu’un don qui faisait d’elles des spécimens. Ils avaient commencé à parler de l’académie lorsqu’une autre élève, qu’Ambroise ne connaissait que de vue, vint à leur rencontre.

— Bonsoir, Meg, la salua Pensée. Comment vas-tu ?
— Très bien.

La jeune fille, une grande brune aux yeux verts, lui adressa un sourire aussi chaleureux qu’un bloc de glace.

— Je vous présente Marguerite Vermeil, poursuivit Pensée à l’attention de ses amis. Meg, je te présente Bastien et Ambroise. Et tu connais déjà Paul et mon frère.

Meg pinça les lèvres en voyant ce dernier. Puis elle tua Ambroise du regard et accorda à peine un regard à Bastien et Paul.

— Je suis ravie de vous rencontrer, énonça-t-elle, mais la froideur de sa voix contredisait ses paroles. Excusez-moi mais je dois rejoindre quelqu’un. Bon anniversaire, Pensée.
— Merci.

Elle s’éloigna. L’atmosphère semblait avoir chuté de plusieurs degrés.

— C’est moi ou elle a le même don que toi ? demanda Bastien à Anthelme avec un sourire moqueur mais celui-ci l’ignora.
— J’ai besoin de prendre l’air. Tu viens, Ambroise ?

Cette dernière, qui commençait à ressentir un trop-plein d’émotions, acquiesça avec soulagement.

L’espace de réception s’ouvrait sur un jardin agrémenté de parterres de fleurs. Quelques convives s’étaient réunis là pour profiter de la douceur de début de soirée.

Anthelme entraîna Ambroise à l’écart et celle-ci profita de cette occasion pour l’interroger.

— Cette fille… commença-t-elle.
— Ne t’occupe pas d’elle, coupa-t-il. Elle m’a fait des avances il y a deux ou trois ans mais je l’ai repoussée.

Ambroise sentit une étrange boule se former dans sa gorge.

— Ça n’a pas dû être facile pour toi. À cause de ta soif, tu n’as pas pu te lier avec les autres pendant tout ce temps.
— Ce n’est pas à cause de la soif que je l’ai repoussée, précisa-t-il.

Ambroise se sentit étrangement soulagée. Elle se demanda un instant d’où venait ce sentiment avant de se rendre compte qu’il venait d’elle-même.

— Tu es jalouse ? remarqua Anthelme.
— Peut-être.

Il sourit. Ambroise sentit une vague de chaleur l’envahir et elle regarda ailleurs pour masquer son trouble. Le silence s’installa, doux et paisible. Ils n’avaient pas besoin de plus pour être heureux.

— Comment tu fais pour supporter ça ? demanda soudain Anthelme.

Surprise, Ambroise détacha son regard du papillon qui s’était posé sur une rose tout près d’elle.

— Supporter quoi ?
— La douleur de ceux qui t’entourent. Un seul être humain ne peut pas encaisser tout ça.
— Tu oublies que je ne suis pas une humaine ordinaire…
— Au départ, les Anges de Créator étaient de simples spécimens à qui il a octroyé beaucoup de pouvoirs. Je doute que leurs émotions aient changé à ce moment-là.
— Lorsque j’ai vu Layna, je n’ai ressenti aucune émotion venant d’elle.
— Ça ne veut pas dire qu’elle n’en avait pas. Tu es sa fille, alors peut-être que tu as hérité du même don et qu’elle le contrôle mieux que toi.

Ambroise réfléchit à cette possibilité. Elle n’avait vu sa mère qu’une seule fois, lorsqu’elle lui avait révélé la vérité sur sa naissance. Ambroise avait grandi dans une famille ordinaire et pensait l’être aussi. Mais lorsqu’elle avait libéré son pouvoir le jour où les démons avaient attaqué l’académie, l’Ange de Créator n’avait pas pu garder le secret de ses origines plus longtemps. Mais le pire avait été la découverte de l’identité de son père. Maleck, l’Ange des Enfers… Elle avait une sensation de nausée à chaque fois qu’elle y pensait. Et elle craignait toujours qu’il décide de la rencontrer à son tour.

— Tu as peut-être raison, répondit-elle enfin. Après tout, j’ai hérité du rayon destructeur de Maleck.

Elle soupira.

— Je me demande bien pourquoi tu me demandes ça, alors que tu souffres tout le temps à cause de ta soif de sang.
— Justement, tu la ressens aussi. Je n’ai pas envie que tu souffres à cause de moi.

Elle lui sourit.

— Si en plus tu te sens coupable, on ne va pas s’en sortir. Et puis moi aussi je te fais souffrir à cause de l’odeur de mon sang. Tu sais quoi, on a qu’à dire qu’on est quitte.
— Tu as raison, concéda-t-il, amusé.

Et il souligna son accord en l’embrassant.

4

Jalousie et dispute

De retour à l’intérieur, le couple découvrit une nouvelle personne en compagnie de Pensée. C’était un homme jeune, bien que trop âgé pour être encore à l’académie. Il avait de très beaux yeux, bleu clair, et des cheveux châtains coupés court. À la manière dont Pensée le regardait, Ambroise comprit que c’était la personne que son amie cherchait depuis le début.

— Ambroise ! s’exclama cette dernière. Tu tombes bien, je voulais te présenter Cyrian Belfort, futur membre du Conseil. Cyrian, je te présente Ambroise Grisâme, une amie de l’académie.
— Je suis ravi de te rencontrer, assura le jeune homme en souriant à Ambroise. Mais Pensée a exagéré, je ne suis qu’un membre de l’Ordre des magistes. Je suis encore loin d’entrer au Conseil !
— J’ai entendu dire que tu serais le successeur de Mahau, la présidente du Conseil, insista Pensée. C’est impressionnant !
— Tu peux parler. Il paraît que tu es la meilleure enchanteresse de ta génération, et je ne dis pas ça parce que c’est ton anniversaire, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

À côté d’elle, Ambroise ressentit comme une tension. En tournant la tête, elle vit que Bastien avait les dents serrées.

— En tout cas, ça me fait plaisir de te revoir, continuait Cyrian. Mais je suis surpris.
— Pourquoi ?
— À chaque fois qu’on se rencontre, tu arrives à devenir encore plus belle que la fois d’avant.

Cette fois, Ambroise sentit un élan dans sa poitrine. C’était la même sensation qu’elle avait ressentie face à Meg, mais en beaucoup plus forte. Elle fronça les sourcils. C’était la première fois qu’elle percevait ce sentiment chez les autres. Son don évoluait-il ?

Pensée, de son côté, faisait de son mieux pour garder contenance. Ses joues avaient rougi et elle se contenta de sourire. Un domestique choisit ce moment de silence pour s’approcher de Bastien.

— Veuillez m’excuser, Monsieur. L’automobile est prête pour vous reconduire.
— Merci, j’arrive dans un instant.

Il avait parlé calmement, mais Ambroise comprit qu’il n’avait pas l’intention de partir maintenant.

— Tu rentres déjà ? s’étonna Cyrian qui n’avait rien perdu de l’échange. Une urgence ?
— C’est ça.
— Comme c’est dommage. Je n’aimerais pas devoir laisser cette demoiselle en plein milieu de la fête en son honneur.
— Ce n’est pas grave, intervint Pensée. Tu ferais mieux d’y aller, ajouta-t-elle à Bastien.
— Elle a raison, reprit Cyrian. Les affaires urgentes n’attendent pas. Mais ne t’inquiète pas, je ferais en sorte qu’elle ne soit pas trop indisposée par ton départ et que ton absence ne se fasse pas trop sentir.

Rouge. Ambroise avait l’impression que le monde s’était teinté de rouge. Son cœur battait furieusement contre sa poitrine et elle sentit quelque chose remuer au fond d’elle. C’était un monstre, et il lui réclamait du sang. Celui de l’homme qui lui faisait face.

— Ambroise, tu vas bien ? murmura quelqu’un à son oreille.

Elle sursauta et comprit brusquement que tout cela n’avait rien à voir avec elle. Les sentiments de Bastien étaient tellement forts qu’ils l’avaient envahie.

Elle rassura Anthelme d’un hochement de tête.

Ce que ressentait Bastien était toujours puissant et il regardait à présent Cyrian d’un air menaçant.

— Bastien ! s’écria Pensée. Qu’est-ce que tu fais ? Va à l’auto !

Mais il ne semblait pas l’entendre. Face à lui, Cyrian n’avait pas esquissé un seul geste, mais de tout son être émanait une puissance incroyable.

— Bastien !

Ses poings étaient tellement serrés que les jointures devenaient blanches. Ambroise sut alors exactement ce qui allait se passer.

— Pensée, emmène Bastien ! ordonna-t-elle avec empressement.

Elle la regarda avec surprise. Puis, comprenant où Ambroise voulait en venir, elle saisit le bras de Bastien et leva son sceptre.

— Astra !

Il y eut une lumière blanche aveuglante, puis ils disparurent tous les deux.

Un silence de plomb régnait dans la salle. Tous les regards étaient à présent dirigés vers Cyrian et les amis de Pensée.

— Par Créator, que s’est-il passé ? s’enquit madame Ducerreta.
— Veuillez m’excuser, intervint Cyrian. Je ferai mieux d’y aller. Vous présenterez toutes mes excuses à Pensée pour ce désagrément.

Et il disparut à son tour dans une lumière bleutée.

— Anthelme, lança alors monsieur Ducerreta. Dis-moi ce qu’il s’est passé.

Mais avant qu’il ne puisse répondre, un homme s’avança parmi la foule et prit la parole.

— Si je puis me permettre, j’ai l’impression que votre fille a de drôles de fréquentations. Alors que ces jeunes gens discutaient tranquillement, ce monsieur… comment déjà ? Chênoir ? a montré des signes évidents de violence. Si votre fille n’était pas intervenue, qui sait ce qu’il se serait passé ? D’ailleurs, à votre place, je m’inquiéterais de ce qu’il peut lui arriver en ce moment m…
— Merci, monsieur Grandor, coupa le père de Pensée. Mais c’est à Anthelme que j’ai posé la question, et de plus, vous n’êtes ni à ma place ni à même de juger les fréquentations de ma fille. Il se trouve que moi, je lui fais confiance.

Monsieur Grandor s’empourpra.

— Comment osez-vous ?
— Il suffit, messieurs, s’interposa alors la mère de Pensée. Nous sommes en train de célébrer un anniversaire et il y a eu suffisamment d’agitation comme cela. Je pris tous nos invités de bien vouloir nous pardonner pour ce regrettable incident et de profiter de la fin de la soirée. Pour l’heure, ajouta-t-elle en voyant son mari ouvrir la bouche, l’incident est clos. Monsieur Grandor, je vous remercie de votre sollicitude, mais je suis sûre que Pensée ne va pas tarder à revenir. À ce propos, je remarque que la vôtre ne nous a pas honorés de sa présence.
— Rosalie n’a pas jugé bon de venir, et après une telle scène, je ne peux que l’approuver. Si vous voulez bien m’excuser, je vais de ce pas la rejoindre.

Il fit mine de sortir, mais une fois devant la porte, il se tourna vers monsieur Ducerreta et lui lança :

— Ah, et je vous prierais à l’avenir de ne rien faire qui puisse faire honte à l’Ordre des enchanteurs.

Et il sortit avant que celui-ci ne puisse répliquer.

Cette fois, la salle se remplit de chuchotements et de murmures. La mère de Pensée sermonna son mari, puis passa entre les invités pour présenter une nouvelle fois ses excuses et s’assurer que personne ne manque de rien.

— Je savais que Pensée et Rosalie ne s’entendaient pas, murmura Ambroise à Anthelme une fois que les regards s’étaient détournés d’eux. Mais j’ignorais que c’était aussi le cas pour leurs pères.
— Ils n’ont jamais pu s’entendre, lui apprit-il. Ça date de l’époque de l’académie, je crois. Lorsque Rosalie et Pensée sont devenues amies, tout le monde pensait qu’ils allaient enfin enterrer la hache de guerre. Ils se sont tenus pendant quelque temps, mais lorsque Pensée a tourné le dos à Rosalie, ils ont repris leurs querelles de plus belle.
— Dans ce cas, pourquoi monsieur Grandor est-il venu ?

Anthelme soupira.

— Parce que les règles de bienséances l’exigent. Et puis je suppose qu’il n’aurait pas manqué une occasion comme celle-là pour pouvoir surveiller son vieil ennemi, et dans ce cas présent, le provoquer.

Ambroise soupira. Toutes ces histoires l’ennuyaient et elle ne comprenait pas pourquoi on ne pouvait pas inviter seulement les personnes qu’on appréciait pour une occasion comme celle-ci.

Lorsque Pensée fut enfin de retour, la soirée avait repris un cours normal. La jeune fille fit de son mieux pour paraître détendue et agréable, mais Ambroise devinait qu’elle était toujours furieuse. Avec Anthelme, ils prirent soin de ne pas en parler jusqu’à ce que l’automobile les ramène à la maison.

— Je suis épuisée, souffla Pensée en prenant place sur la banquette.
— Ça ne doit pas être facile de devoir parler à autant de monde, compatit Ambroise.
— Oh ça, j’ai l’habitude. C’est juste l’enchantement qui m’a demandé pas mal d’énergie.
— Tu as pu le ramener à temps ? demanda son frère.
— Oui. Mais dès qu’il aura repris sa forme normale, je le tue.
— Au fait, ajouta Anthelme en se tournant vers Ambroise. Tu n’avais pas l’air bien à ce moment-là, que s’est-il passé ?
— Les sentiments de Bastien étaient forts et je me suis mise à les ressentir. C’est pour ça que j’ai su qu’il valait mieux l’éloigner.
— Heureusement que tu étais là.
— Heureusement que Pensée est la meilleure enchanteresse de sa génération, rétorqua Ambroise avec un sourire.

Celle-ci se mit à rougir, et se tut pour le reste du trajet.

Les parents de Pensée étaient déjà rentrés et se trouvaient dans une certaine agitation. Ambroise craignait que Bastien en fût la cause, mais le sujet de la dispute était tout autre.

— « … faire honte à l’Ordre des enchanteurs » ! s’exclamait monsieur Ducerreta. Non mais pour qui il se prend celui-là ?
— Parce que tu ne me fais pas honte, avec vos enfantillages ? rétorqua sa femme.

Elle sembla sur le point d’ajouter quelque chose mais son mari profita de leur arrivée pour détourner l’attention.

— Vous êtes là, les enfants ! Vous avez besoin de quelque chose avant d’aller dormir ?
— Monsieur, intervint Ambroise. Est-ce que Bastien…
— Ne t’inquiète pas, coupa-t-il. Comme convenu, je l’ai emmené dans des caves abandonnées depuis des lustres. J’ai vérifié moi-même et il n’y a qu’une entrée qui permet d’y accéder. De plus, j’ai posé un sceau sur la porte et il n’y a que moi qui puisse l’ouvrir. Même s’il poussait de toutes ses forces, il ne pourrait pas l’abîmer. Être enfermé sous cette forme ne sera pas agréable pour lui mais c’est la meilleure solution que j’ai trouvée.
— C’est sa matinée qui risque de ne pas être agréable, souffla Pensée avec mauvaise humeur.
— Ne sois pas si dure, ma chérie. Il est sur les nerfs depuis ce matin, je ne pense pas que ce soit de sa faute.
— Il a raison, soutint Ambroise. Lorsqu’il s’est énervé, je crois qu’il avait déjà commencé à se transformer. J’ai senti comme une bête à l’intérieur de lui.
— Vous pouvez prendre sa défense, mais il a quand même gâché ma soirée.

Et elle alla s’enfermer dans sa chambre avant que quiconque ne puisse ajouter quelque chose. Ambroise voulut la rejoindre mais sa mère l’arrêta.

— Il vaut mieux que tu la laisses.
— Mais…
— Je ne pense pas qu’elle soit en colère à cause de Bastien, mais parce qu’elle a eu très peur. Tout ce dont elle a besoin, c’est de repos. Demain, elle n’y pensera plus.

Ambroise n’insista pas. Elle se contenta d’exprimer une fois de plus sa reconnaissance envers les parents de Pensée. Cette dernière avait insisté pour les mettre dans la confidence afin que Bastien puisse profiter de ses vacances sans la crainte de se faire démasquer. Après tout, Anthelme aussi devait cacher sa nature, et ils s’étaient montrés très compréhensifs, à son grand soulagement. Seule l’attitude très protectrice du père de Pensée envers cette dernière trahissait son inquiétude.

Malgré ce qu’avait affirmé la mère de Pensée, cette dernière ne pardonna pas si facilement à Bastien, qui s’était pourtant excusé. Peu avant midi, cette tension tourna en une violente dispute. Ambroise, qui se trouvait à l’autre bout du château, fut quand même alertée par les cris et accourut, prête à intervenir. Mais le temps qu’elle arrive, elle eut une surprise de taille.

Bastien et Pensée s’étaient tous les deux endormis sur le canapé. Pensée avait la tête posée sur l’épaule de Bastien. Sur ses joues, il y avait encore des traces de larmes.

Lorsqu’il les vit, Anthelme les réveilla sans ménagement. Personne ne fit de commentaire et l’incident de la veille fut vite oublié.

5

Entrevue

Gabriel arpenta Lénocie tout en réfléchissant à la manière dont il allait exécuter son plan. Si tout se passait bien, Ambroise ne tarderait pas à se tourner du côté des ténèbres.

Il s’arrêta au milieu d’une sombre ruelle et souleva une plaque d’égout d’où s’échappait une lueur bleutée. Il descendit l’échelle de métal et se dirigea vers le marché bleu, lieu qui échappait à la loi et extrêmement dangereux. Pour les faibles en tout cas. Il couvrit sa tête avec sa capuche pour ne pas attirer l’attention, inutile de perdre du temps, et alla rejoindre monsieur R. qui l’attendait à l’écart des passants.

— Les élèves arrivent cet après-midi, je dois faire vite, prévint Gabriel.
— Hâte d’aller à l’école ? rétorqua Monsieur R. avec un clin d’œil. Ne t’en fais pas, je suis juste chargé de te rappeler de nous tenir au courant régulièrement. Les moyens de communication sont sans doute surveillés à l’académie, mais tu peux utiliser la boîte.
— Très bien. C’est tout ?
— En gros, oui. Inutile de te rappeler que tu dois savoir qui est cette fille exactement, que tu dois la rallier à notre cause et, si tu échoues, la tuer.
— En effet, c’est inutile. C’est uniquement pour ça que tu es venu ?

Monsieur R. poussa un grognement.

— En fait, je voulais te prévenir que cette mission sera peut-être plus difficile que prévu. Tu es peut-être à l’abri des autres membres du Cercle de l’Ombre, mais le Maître ne te lâchera pas et ne te laissera pas faire le moindre faux pas.
— Dis au Maître que j’exécuterai ses ordres, comme toujours.

« Si toutefois le directeur ne contrarie pas mes plans », pensa-t-il. D’une certaine manière, il semblait aussi dangereux que le Maître des Ombres en personne.

Il se dirigeait vers la sortie lorsque Monsieur R. marmonna dans son dos :

— Bonne chance, petit.

Gabriel fit un infime mouvement de tête avant de sortir.

6

Rentrée et rencontre

Le jour de la rentrée arriva en laissant un sentiment mitigé à Ambroise. Elle avait hâte de retourner à l’académie, mais elle se sentait si bien dans ce magnifique domaine avec les personnes qui lui étaient chères, qu’elle aurait aimé que ces vacances ne finissent jamais.

— Bastien, dépêche-toi ! hurla une Pensée excédée.

Le jeune homme descendit tranquillement les marches de l’entrée, une énorme valise à la main.

— Ça va, Poupée, arrête de stresser.
— Tu aurais pu éviter de m’appeler comme ça au moins devant mon père. Après il ne faut pas s’étonner s’il ne t’apprécie pas. Allez, mets ça dans le coffre qu’on puisse partir !
— Pourquoi tu es aussi pressée, d’abord ? On n’est qu’en début d’après-midi…
— J’aimerais faire un tour à Lénocie pour acheter deux ou trois choses.
— Tu peux commander ce dont tu as besoin, non ?
— Il y a des choses qu’on ne trouve qu’à Lénocie. Et puis si je te dis que j’ai envie d’aller en ville ?
— Avant même la rentrée ? C’est inutile, non ?

Déjà installée dans l’automobile, Ambroise les regardait se disputer, partagée entre l’amusement et l’exaspération. Depuis le début des vacances, ils s’étaient chamaillés au moins deux fois par jour…

Assis à côté d’elle, une sucette au sang dans la bouche, Anthelme avait l’air ennuyé.

— S’ils ont le malheur de me donner la migraine, je leur gèle la bouche.

Ambroise éclata de rire. Bastien et Pensée entrèrent au même moment.

— On peut savoir ce qu’il y a de si amusant ? demanda Pensée.
— Rien du tout, répondit Anthelme. Elle a cru que je plaisantais.

Personne n’insista et l’automobile survola le paysage rendu flou par la vitesse. Les vignes s’effacèrent pour laisser place aux terrains boisés, avant de longer la mer et de finalement, déboucher sur les montagnes qui abritaient l’académie.

Le trajet s’était relativement bien passé, dans le sens où Pensée avait fait l’essentiel de la conversation. À côté d’elle, Bastien s’était contenté de ronfler et de grogner de temps en temps.

— Bastien, réveille-toi ! lança Pensée en lui secouant l’épaule. On est arrivés.
— Attends encore un peu, maman… marmonna-t-il.

Un coup de sceptre sur le crâne le réveilla tout à fait.

— Aïe ! Non mais ça va pas ?
— Demande donc à ta maman de te soigner, le taquina Pensée.
— Pourquoi tu me parles de ma mère ?

Anthelme soupira.

— Et c’est reparti…

Ils sortirent de l’automobile et laissèrent leurs bagages aux employés de l’académie chargés de les accueillir. Mais au lieu de leur emboîter le pas, les amis empruntèrent un petit sentier jusqu’à la petite ville nichée dans la montagne, tout près de l’école. Ils firent plusieurs magasins spécialisés dans les articles de magie. Pensée acheta également un livre écrit dans le langage des enchanteurs, dont le titre était, d’après ce que put lire Ambroise : « Lès Caïbis tot Shamir ».

— Cela signifie « Le livre secret des Charmes », leur apprit Pensée.
— Et ça parle de quoi ? demanda Bastien.
— Comme le titre l’indique, c’est secret.
— Dans ce cas, donne un indice.
— Pas question. Et puis c’est l’heure de rentrer.
— On a le temps ! Le banquet est dans deux heures !
— Je tiens à pouvoir ranger mes affaires tranquillement avant le banquet. Si tu es aussi lent, on risque même de le rater !
— N’importe quoi ! Et puis il te suffit de lancer un sort pour tout ranger, non ?
— D’abord, ce n’est pas un sort, c’est un enchantement. Ensuite…

Anthelme prit la main d’Ambroise et l’entraîna à l’écart, dans une ruelle.

— Laissons-les tous les deux, lui souffla-t-il. Je n’en peux plus de les entendre se chamailler. Et puis j’ai une course un peu spéciale à faire.

Il montra une bouche d’égout derrière lui d’où s’échappait une lueur bleutée. La dernière fois qu’elle s’y était aventurée, sans savoir ce qu’il s’y trouvait, Ambroise avait failli se faire tuer. Anthelme lui avait alors sauvé la vie. Si elle avait eu peur à l’époque, ça ne l’effrayait pas d’y retourner avec lui.

— Tu veux que je vienne avec toi ?
— Je préfère que tu m’attendes ici. Tuer des Chasseurs n’est pas mon sport favori.
— J’ai libéré mes pouvoirs, fit-elle remarquer, je peux me défendre toute seule.
— Je croyais que tu voulais garder ta nature secrète ? Ne t’inquiète pas, je ne serais pas long.

Et il disparut dans les égouts, laissant Ambroise seule dans la ruelle.

Gabriel se dépêcha de rejoindre l’académie, après avoir revêtu l’uniforme scolaire. Il devait mettre son plan à exécution dès à présent. Ayant un très bon sens de l’orientation, il prit plusieurs raccourcis pour sortir au plus vite de la ville. Mais dans une ruelle étroite, il fut bloqué par une jeune fille plantée en plein milieu. Il s’apprêtait à lui dire de dégager mais se retint juste à temps alors qu’elle se tournait vers lui.

C’était elle.

Brune, les cheveux mi-longs, les yeux bleus comme l’océan, elle était encore plus belle que dans ses souvenirs.

Maudissant son impatience qui avait failli tout gâcher, il se força à prendre un air innocent.

— Amb’ ? feignit-il de s’étonner.

Celle-ci mit quelques secondes à se souvenir. Puis son visage s’éclaira comme un rayon de soleil qui réchauffa le cœur du jeune homme. Si elle se souvenait de lui, le plan sera beaucoup plus simple.

— Gaby ?
— Tu te souviens de moi ?

Elle fit un large sourire.

— Bien sûr ! Je n’en reviens pas, ça fait si longtemps !
— Tu peux le dire ! On devait avoir quoi, six ans ?
— À peu près ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je viens de m’inscrire à l’académie Aubépine. Ne me dis pas que tu y es aussi ?
— Si ! Je suis arrivée en début d’année.
— Ça alors, je n’arrive pas à y croire ! Mais je suis content que tu sois là. Je craignais un peu d’arriver dans une école où je ne connais personne.
— Ne t’inquiète pas, je serais là pour toi.

Gabriel lui rendit son sourire, ravi. Tout se déroulait à merveille. Pris d’une soudaine inspiration, il décida de pousser les choses encore plus loin.

— Merci, reprit-il. Je suis rassuré maintenant.

Il avança d’un pas, à un souffle de la jeune fille.

— Je suis vraiment heureux de te revoir.

Il passa une main dans ses cheveux noirs, à l’endroit où se trouvait une curieuse mèche bleue.

— Tu es devenue encore plus belle.

Il se pencha vers elle avec un air séducteur mais un froid intense le figea.

Ambroise regarda par-dessus l’épaule de Gabriel.

— Anthelme ?

Le froid disparut et il put se retourner.

Le dénommé Anthelme était un type brun qui le dévisageait d’un air glacial. Il dégageait une aura que Gabriel avait appris à reconnaître chez les personnes dangereuses.

— Il y a un problème ?

Ils avaient parlé en même temps. Ambroise se plaça entre eux.

— Mais non, pas du tout ! Anthelme, je te présente Gabriel, un ami d’enfance. Gaby, je te présente Anthelme. C’est mon petit ami.

Et elle mit sa main dans la sienne.

7

Présentation et tension

Ambroise serra la main d’Anthelme. Elle n’arrivait pas à y croire ! Jamais elle n’aurait pensé retrouver son ami d’enfance à un tel endroit, après tout ce temps… Décidément, la chance lui souriait et elle s’en réjouissait pleinement.

— Allons à l’académie ! s’exclama-t-elle. J’ai hâte de te présenter à mes amis !

Ils firent le chemin du retour ensemble, Anthelme d’un côté, Gabriel de l’autre. Elle pouvait sentir la tension entre les deux garçons mais elle était trop heureuse pour y prêter attention.

— Tu as fini par avoir ton don, Gaby ?
— Oui, mais ce n’était pas gagné.

Il se gratta la tête.

— J’ai découvert mon don il y a seulement un mois. Rémi m’a dit que c’était très rare qu’il apparaisse aussi tardivement.
— Qui est Rémi ?
— Mon précepteur. Il y a quelques années, mon père a eu une excellente promotion, depuis on déménage souvent pour son travail alors c’est plus simple pour moi d’étudier avec quelqu’un qui nous suit. Rémi est un spécimen aussi et quand il a découvert mon don, il a réussi à convaincre mon père de m’inscrire ici. Il faut dire que cette académie jouit d’une excellente réputation ! Et toi, Amb’ ? Comment es-tu arrivée ici ?
— J’ai obtenu une bourse, mais c’est une longue histoire. Je te raconterai tout plus tard.

Le banquet allait presque commencer lorsqu’ils arrivèrent au château. Ils se dépêchèrent d’aller mettre leurs uniformes avant de retrouver Bastien et Pensée au réfectoire.

Ambroise rapprocha une deuxième table de quatre pour qu’ils puissent manger tous ensemble et fit les présentations.

— Je suis ravie de te rencontrer, salua Pensée.

Cela n’avait pas l’air d’être le cas de Bastien qui se contenta d’un signe de tête.

Gabriel regarda Ambroise avec un sourire gêné.

— Tu as toujours réussi à te faire des amis facilement, contrairement à moi…
— Les amis d’Ambroise sont nos amis, lui assura gentiment Pensée.

Bastien poussa un grognement indéfinissable.

— Merci, dit Gabriel. Je suis vraiment content que tu sois là, Amb’.
— Amb’, répéta Bastien comme s’il évaluait ce mot.
— On était vraiment petits quand on est devenus amis, expliqua Ambroise. Il n’arrivait pas à dire mon prénom en entier. Si tu ne m’avais pas appelée comme ça tout à l’heure, je ne t’aurais jamais reconnu !
— Désolé, je devrais arrêter de t’appeler comme ça maintenant.
— Mais non, au contraire ! Ça me rappelle de bons souvenirs.
— Vous étiez à l’école ensemble ? interrogea Pensée.
—