Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
RÉSUMÉ : "La Puissance des ténèbres" de Léon Tolstoï est une pièce de théâtre poignante qui explore les profondeurs de l'âme humaine et les conséquences dévastatrices de l'immoralité. Écrite en 1886, cette oeuvre se déroule dans un village rural russe et raconte l'histoire tragique de Nikita, un jeune homme entraîné dans une spirale de corruption et de désespoir. Manipulé par sa maîtresse, Anissia, Nikita devient complice d'un meurtre pour hériter d'une propriété. La pièce dévoile les luttes internes de Nikita alors qu'il est hanté par la culpabilité et la peur, illustrant la lutte entre le bien et le mal. Tolstoï, à travers des dialogues puissants et une mise en scène réaliste, met en lumière les tensions sociales et morales de la Russie du XIXe siècle. La pièce interroge les notions de responsabilité personnelle et de rédemption, tout en offrant une critique acerbe des structures sociales qui alimentent l'injustice. "La Puissance des ténèbres" est une réflexion intense sur la nature humaine, où les ténèbres symbolisent non seulement le mal mais aussi l'ignorance et la misère qui peuvent engloutir l'esprit humain. Cette oeuvre reste un témoignage intemporel de la capacité de l'homme à choisir entre la lumière et l'ombre. __________________________________________ BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR : Léon Tolstoï, né le 9 septembre 1828 à Yasnaya Polyana, en Russie, est l'un des écrivains les plus influents de la littérature mondiale. Issu d'une famille aristocratique, Tolstoï a d'abord mené une vie de dilettante avant de s'engager dans l'armée. Ses expériences militaires, notamment pendant la guerre de Crimée, ont profondément influencé son oeuvre. Après avoir quitté l'armée, il s'est consacré à l'écriture et à la réforme sociale. Tolstoï est surtout connu pour ses romans épiques "Guerre et Paix" et "Anna Karénine", qui explorent les complexités de la société russe et les dilemmes moraux de l'individu. Cependant, sa carrière littéraire est également marquée par ses pièces de théâtre et ses essais philosophiques. Dans les années 1870, Tolstoï a connu une crise spirituelle qui l'a conduit à rejeter sa vie aristocratique et à adopter une forme de christianisme ascétique. Il a fondé une école pour les enfants paysans et a prôné des idées de non-violence et de résistance passive qui ont inspiré des figures comme Gandhi. Tolstoï est décédé le 20 novembre 1910, laissant derrière lui un héritage littéraire et philosophique inestimable.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 140
Veröffentlichungsjahr: 2019
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ce tout récent drame du comte Léon Tolstoï offre un double intérêt : action serrée et poignante, description étonnamment exacte des mœurs des moujiks dans leur propre langue, si originale et si pittoresque. Cette fois, plus encore que dans ses récits bibliques1, le grand romancier russe a voulu mettre à la portée des paysans la morale qu'il continue à prêcher avec la constance, on peut dire, d'un apôtre.
La Puissance des Ténèbres n'est déjà plus une œuvre nationale, ni même populaire, au sens le plus général du mot : c'est un drame paysan, dont la langue spéciale ne saurait être comprise par les « citadins », comme dit Tolstoï, confondant dans le même dédain artisans et bourgeois.
La littérature russe possédait déjà, dans ce genre, divers chefsd'œuvre, tels que Les Récits d'un chasseur de Tourguénef, des contes rustiques de Glieb Ouspensky, de Dostoïevsky et de Léon Tolstoï lui-même, où la vie des paysans russes est étudiée avec une simplicité véridique et saisissante. Quant au drame populaire proprement dit, il est dignement représenté par les pièces d'Ostrovsky, La Triste destinée de Pissemsky, Autour de l'argent de Potiékhine, etc. ; mais nul, jusqu'ici, de l'aveu de la critique russe presque tout entière, ne nous avait donné une impression aussi intense et aussi juste des ténèbres qui pèsent l'esprit d'une partie des moujiks.
1À la Recherche du Bonheur, du comte Léon Tolstoï, traduit par E. Halpérine.
— Perrin et Cie, Éditeurs.
Dans la Puissance des Ténèbres, le comte Tolstoï, faisant abstraction de toute velléité d'art, n'a eu d'autre but que la moralisation des masses ; et, par une heureuse contradiction, heureuse surtout pour ces « citadins » qu'il ignore délibérément, tandis que sa morale a porté faux, ce drame édifiant s'est trouvé être avant tout une merveilleuse œuvre d'art.
Les journaux russes ont conté, à ce propos, une anecdote caractéristique. Comme Tolstoï venait de lire son drame à des moujiks, l'un d'eux fit observer que Nikita était bien niais de se dénoncer ainsi lui-même, juste au moment où il allait tranquillement recueillir le fruit de ses crimes : ce n'était certes point là le but que recherchait le moraliste. Les autorités russes ont-elles redouté que cette œuvre, loin d'amender les moujiks, ne fît que les endurcir ? Toujours estil qu'elles viennent d'en interdire la vente en librairie et la représentation au théâtre.
Mais quel art, en revanche, quelle science des plus obscurs replis de l'âme humaine, quelle émotion, quel souci du vrai poussé jusqu'à l'horreur ! Aucune autre littérature dramatique peutêtre n'offre l'exemple d'une tentative aussi neuve et aussi hardie.
ACTE PREMIER
PERSONNAGES :
PETR IGNATITCH, riche moujik, quarante-deux ans, marié en secondes noces ; maladif.
ANISSIA, sa femme, trente-deux ans ; coquettement habillée.
AKOULINA, fille de Petr, du premier lit, seize ans ; un peu dure d'oreille, un peu idiote.
ANIOUTKA2, seconde fille de Petr, dix ans.
NIKITA, valet de ferme de Petr, vingt-cinq ans ; coq de village.
AKIM, père de Nikita, cinquante ans, moujik d'assez pauvre apparence ; très pieux.
MATRENA, sa femme, cinquante ans.
MARINA, orpheline, vingt-deux ans.
(L'action se passe en automne, dans un grand village. La scène r eprésente l'intérieur d'une isba spacieuse, celle de Petr. PETR est assis sur un banc, et occupé à réparer des harnais. ANISSIA et AKOULINA tissent.)
2 Diminutif d'Anna.
SCÈNE PREMIÈRE
PETR, ANISSIA, AKOULINA
(Cellesci chantent à l'unisson.)
PETR (en regardant par la fenêtre).
Les chevaux se sont encore sauvés. Si on allait tuer le poulain !... Mikita3 ! Hé ! Mikita ! Es-tu sourd ?
(Il tend l'oreille ; puis s'adressant aux babas) :
Assez chanté vous autres : on n'entend rien.
LA VOIX DE NIKITA (de la cour). Quoi ?
PETR Rentre les chevaux ! LA VOIX DE NIKITA Je vais les rentrer. Laissem'en le
temps.
PETR (hochant la tête). Ah ! ces ouvriers !... Si j'avais ma santé, jamais je n'en prendrais ! Avec eux, rien que le péché !...
(Il se lève, puis se rassied.)
Mikita ! Impossible de le faire venir. Allez-y donc, quelqu'une de vous ; Akoulina, va les rentrer, toi.
AKOULINA Quoi ? les chevaux ?
3 Prononciation populaire du mot Nikita.
PETR Que veux-tu que ce soit ?
AKOULINA J'y vais.
(Elle sort.)
SCÈNE II
PETR, ANISSIA
PETR
Quel propre-à-rien, le petit !... Il ne sait pas se rendre utile dans un ménage. Quoi qu'il entreprenne...
ANISSIA
Avec ça que tu es dégourdi, toi ! Toujours à te traîner du poêle4 au banc... Tu ne sais que bourrer les autres !...
PETR
Si l'on ne vous bourrait pas, il ne resterait plus une pierre de la maison au bout d'un an ! Ô vous autres !...
ANISSIA
4 Les poêles des isbas russes sont assez larges et d'une chaleur assez modérée pour servir de lits aux moujiks.
Tu veux qu'on fasse dix choses à la fois, et tu grognes encore ! C'est facile de donner des ordres, quand on est commodément étendu sur le poêle !
PETR (soupirant).
Ah !... Sans cette maladie qui a jeté son grappin sur moi, je ne le garderais pas un jour de plus.
LA VOIX D'AKOULINA (derrière la scène). Psè ! psè ! psè !...
(On entend le poulain hennir, les chevaux rentrer en galopant par la porte cochère, et la porte cochère grincer sur ses gonds.)
PETR
Bavarder, c'est tout ce qu'il sait faire. Ma foi, non ! je ne le garderai pas.
ANISSIA (le contrefaisant).
Je ne le garderai pas ! Je ne le garderai pas !... Commence par mettre toi-même la main à la pâte, et tu pourras parler, alors.
SCÈNE III
LES MÊMES, plus AKOULINA
AKOULINA (en entrant).
On a eu toutes les peines du monde à les faire rentrer. C'est toujours le pommelé...
PETR Et Nikita, où est-il ?
AKOULINA
Nikita ?... Mais il s'est arrêté dans la rue.
PETR Pourquoi s'est-il arrêté ?
AKOULINA
Pourquoi s'est-il arrêté ? Il est en train de causer là-bas derrière.
PETR
Impossible de rien tirer d'elle ! Mais avec qui cause-til ?
AKOULINA(n'ayant pas entendu).
Quoi?
(PETR, d'un geste désespéré, étend la main vers AKOULINA, qui va s'asseoir à son métier.)
SCÈNE IV
LES MÊMES, plus ANIOUTKA
ANIOUTKA
(Elle entre en courant, et, s'adressant à sa mère.)
Le père et la mère de Mikita sont venus le voir. Ils le retirent chez eux... Vrai comme je respire !
ANISSIA Tu mens !
ANIOUTKA
Parole ! Que je meure de suite !... (Elle rit.)
Je passe à côté de Mikita et voilà qu'il me dit :
« Adieu maintenant, qu'il dit, Anna Petrovna. Viens donc chez moi t'amuser à ma noce... Moi, qu'il dit, je vous quitte... » Et il s'est mis à rire.
ANISSIA (à son mari).
Il se passe de toi ; voilà qu'il se disposait à te quitter... « Je le chasserai ! » qu'il disait...
PETR
Eh ! Qu'il s'en aille ! Estce que je n'en trouverai pas d'autre !
ANISSIA
Et l'argent que tu lui as avancé !
(Anioutka marche vers la porte, écoute un moment ce qu'on dit, et s'en va.)
SCÈNE V
ANISSIA, PETR, AKOULINA
PETR (fronçant les sourcils).
L'argent ? Eh bien ! il lui servira l'été prochain.
ANISSIA
Ah oui ! cela t'arrange, de le laisser partir. Ce sera pour toi une bouche de moins à nourrir. Et moi, l'hiver, je resterai seule à peiner comme un cheval ! Ta fille n'a pas grande envie de travailler, et toi, tu ne bougeras pas de ton poêle : je te connais.
PETR
Qu'est-ce qui te prend, avant de rien savoir, de faire ainsi aller ta langue pour rien ?
ANISSIA
La cour est pleine de bétail, tu n'as pas vendu la vache ; tous les moutons, tu les as gardés pour l'hiver, il n'y aura jamais assez de fourrage et d'eau : et tu veux laisser partir l'ouvrier ?... Moi je n'en ferai point, du travail de moujik. Je m'étendrai comme toi sur le poêle, et que tout aille au diable ! Tu t'arrangeras comme tu voudras !
PETR (à AKOULINA).
Va donc au fourrage : c'est l'heure.
AKOULINA
Au fourrage ?... Soit !
(Elle passe son caftan et se munit d'une corde.)
ANISSIA
Je ne travaillerai plus ; j'en ai assez. Je ne veux plus rien faire. Travaille tout seul.
PETR
Assez ! Quelle enragée ! On dirait un mouton pris de tournoiement !
ANISSIA
C'est toi-même qui es un chien enragé ! On ne peut rien attendre de toi, ni travail ni plaisir. Tu ne sais que tourmenter les gens. Failli chien, va !
PETR (crachant et s'habillant).
Pfou !... Dieu me pardonne ! Je vais voir ce qui se passe.
(Il sort.)
ANISSIA (lui criant après).
Diable pourri ! Gros nez !
SCÈNE VI
ANISSIA, AKOULINA
AKOULINA Pourquoi injuries-tu père ?
ANISSIA Va donc, sotte, tais-toi !
AKOULINA(s'approchant de la porte).
Je sais bien pourquoi tu l'injuries... C'est toi la sotte, chienne que tu es !.. Je n'ai pas peur de toi !
ANISSIA (se levant vivement et cherchant quelque chose pour la battre).
Prends garde que je ne t'assène un coup de rogatch5 !
AKOULINA (ouvrant la porte).
Chienne, diablesse, voilà ce que tu es ! Chienne ! Chienne ! Diablesse !
(Elle sort en courant.)
SCÊNE VII
ANISSIA, seule. ANISSIA (songeant).
5 Longue fourche à pousser et à prendre les marmites dans le poêle.
« Tu viendras à mes noces », qu'il a dit. Qu'est-ce qu'ils sont allés imaginer... le marier ? Prends garde, Mikitka6! Si c'est là de tes manigances, je ferai... Je ne puis vivre sans lui ; je ne puis le laisser partir !
SCÈNE VIII
ANISSIA, NIKITA
(NIKITA entre en promenant ses regarda autour de lui ; en voyant qu'ANISSIA est seule, il s'approche vivement d'elle et lui dit à voix basse) :
NIKITA
Quoi, mon frère7 !... Un malheur !... Mon père est arrivé ; il veut me ramener à la maison. « Nous allons enfin le marier, qu'il dit, et te garder chez nous. »
ANISSIA
Eh bien ! marie-toi ; qu'est-ce que cela me fait ?
NIKITA
6 Diminutif de Mikita.
7 Traduction littérale.
Ah ! c'est comme ça ! Moi qui cherchais à arranger l'affaire au mieux, et voilà qu'elle m'ordonne de me marier. Et pourquoi ?...
(Avec un clignement d'œil.)
Tu as donc oublié ?...
ANISSIA
Hé ! marie-toi donc ! Qu'ai-je à faire de toi ?
NIKITA
Pourquoi donc cette mine hargneuse ? Vois-tu ? Elle ne veut même pas que je la caresse ! Qu'as-tu donc ?
ANISSIA
Ce que j'ai ?... C'est que tu veux m'abandonner... Et si tu veux m'abandonner, je n'ai que faire de toi. Voilà tout ce que j'ai à te dire.
NIKITA
Assez, Anissia ! Estce que je veux t'oublier ? Jamais de la vie ! Absolument non, pour ainsi dire, je ne t'abandonnerai pas... Je cherche, je cherche. Même si l'on me marie, je reviendrai ici, comme si on ne m'avait pas ramené à la maison.
ANISSIA
Et que ferais-je de toi, si tu étais marié ?
NIKITA
Mais comment, mon frère ?... On ne peut pourtant pas aller contre la volonté de son père.
Tu rejettes cela sur ton père, et c'est toi le coupable. Depuis longtemps tu manigançais l'affaire avec ta noiraude de Marinka8. C'est elle qui t'a monté la tête : ce n'est pas pour rien qu'elle est venue ici hier.
NIKITA
Marinka ! J'en ai bien besoin, vraiment ! Assez d'autres se pendent à votre cou !!..
ANISSIA
Alors pourquoi ton père est-il venu ? C'est toi qui le lui as suggéré. Tu m'as trompée.
(Elle fond en larmes.)
NIKITA
Anissia, crois-tu en Dieu, ou non ?... Mais, je ne l'ai pas même rêvé ! Absolument non, je ne sais rien, je ne connais rien. C'est mon vieux, seul, qui a pris cela sous son bonnet.
ANISSIA
Si tu ne veux pas, qui te contraindra ?
NIKITA
Mais je songe aussi à l'impossibilité de braver l'autorité de mon père. Et cependant, non, je ne le souhaite pas.
ANISSIA
8 Diminutif de Marina.
Entête-toi, voilà tout.
NIKITA
Eh bien ! il y en avait un qui s'est entêté. Alors on l'a fouetté au bailliage... Tout simplement. Moi, ça ne me sourit guère. Un dit que ça chatouille.
ANISSIA
Assez plaisanté. Écoute, Nikita. Si tu épouses Marinka, je ne réponds pas de moi... Je me tuerai. J'ai péché, j'ai violé la loi ; mais, à présent, impossible d'y revenir... Et si toi tu t'en vas, encore, je ferai...
NIKITA
Pourquoi m'en irais-je ? Si je voulais m'en aller, il y a longtemps que je serais parti. Naguère encore, Ivan Semenitch m'offrait chez lui la place de cocher... Et quelle vie !.. Mais je n'ai pas voulu, car je calcule, pour ainsi dire, que je suis beau pour tout le monde... Si tu ne m'aimais pas, alors ce serait autre chose.
ANISSIA
Fort bien. Alors mets-toi bien ça dans la tête. Le vieux, — si ce n'est pas aujourd'hui, ce sera demain, — mourra ; alors, pensais-je, nous effacerons nos péchés, conformément à la loi, et tu deviendras maître à ton tour.
NIKITA
Pourquoi s'inquiéter de l'avenir ? Qu'est-ce que ça me fait, à moi ? Je travaille comme pour moi. Le patron m'aime, et sa baba aussi. Et si la baba m'aime, ce n'est pas ma faute... Tout simplement.
M'aimeras-tu ?
NIKITA (I'étreignant).
Voilà comment... Comme si tu étais dans mon âme...
SCÈNE IX
LES MÊMES, plus MATRENA
(MATRENA entre en faisant force signe de croix devant les icônes ; NIKITA et ANISSIA s'écartent vivement l'un de l'autre.)
MATRENA
Et moi, ce que j'ai vu, je ne l'ai pas vu ; ce que j'ai entendu, je ne l'ai pas entendu. Il s'amusait avec une petite baba ? Eh bien ! Un petit veau, ça s'amuse aussi. Pourquoi ne pas s'amuser : c'est l'affaire de la jeunesse... Toi, mon petit fils, ton patron te demande dans la cour.
NIKITA J'étais entré pour chercher la hache.
Je sais, je sais, mon ami, de quelle hache il s'agit. Cette hachelà, c'est auprès des babas qu'on la cherche d'habitude.
NIKITA (se baissant et prenant la hache).
Eh bien ! ma petite mère, on est donc tout à fait décidé à me marier ? Moi, je trouve ça inutile. Et puis, ça ne me tente pas trop.
MATRENA
Ih ! ih ! Mon beau galant, pourquoi te marier ?... C'est le vieux qui le veut. Va donc, mon fils, nous arrangerons tout sans toi.
NIKITA
Étranges paroles ! Tantôt on veut me marier, tantôt non. Absolument non, je n'y comprends rien du tout.
(Il sort.)
SCÈNE X
ANISSIA, MATRENA
ANISSIA
Eh bien ! tante Matrena, c'est donc vrai que vous voulez le marier ?
Et avec quoi le marierait-on, ma petite baie ? Tu sais bien quel est notre avoir. C'est mon petit vieux qui bavarde à tort et à travers. « Le marier ! Eh ! le marier ! » Mais ce n'est point son affaire. Les chevaux ne fuient pas l'avoine. On ne cherche pas le bonheur quand on l'a. De même ici. Est-ce que je ne vois pas de quoi il retourne ?
ANISSIA
Eh bien ! ma tante Matrena, pourquoi me cacherais-je de toi ? Tu sais tout. J'ai péché : j'ai aimé ton fils.
MATRENA
Ah ! quelle nouvelle m'annonces-tu là ? Et la tante Matrena qui l'ignorait !... Hé ! ma fille, la tante Matrena est rusée, rusée, archirusée ! La tante Matrena, je te dirai, ma petite baie, voit sous la terre à un archine de profondeur. Je connais tout, ma petite baie. Je sais pourquoi les jeunes babas ont besoin de paquets de poudre à faire dormir... J'en ai apporté.
(Elle dénoue un coin de son châle et en tire de petits paquets de papier.)
Ce qu'il faut, je le vois, et ce qu'il ne faut pas, je ne le sais pas, je ne le connais pas. Voilà... La tante Matrena a été jeune, elle aussi. Il m'a fallu vivre aussi avec mon imbécile ! Les 77 tours, je les connais tous... Je vois, ma petite baie, que ton vieux va tourner l'œil : et comment vivrait-il ? Si on lui donnait un coup de fourche, il ne sortirait pas de sang. Et voilà qu'au printemps tu l'enterreras, sans doute. Il te faudra bien, alors, prendre quelqu'un dans ta cour. Et mon fils, pourquoi ne serait-il pas un moujik ? Il n'est pas pire que les autres... Alors, quel intérêt auraisje à retirer mon fils d'un endroit où il se trouve si bien ? Suisje donc l'ennemie de mon propre enfant ?
ANISSIA
Pourvu qu'il ne s'en aille point de chez nous !
MATRENA
Et il ne s'en ira point, ma petite hirondelle. Tout ça, c'est des bêtises. Tu connais mon vieux. Il n'a pas la tête bien solide ; mais lorsqu'il s'est une fois mis quelque chose dans la caboche, c'est comme bâti sur la pierre : impossible de l'arracher.
ANISSIA
Mais comment l'affaire s'est-elle emmanchée ?
MATRENA
Vois-tu, ma petite baie, le petit... tu sais toi-même comme il aime les petites babas... Et puis, il est beau, il n'y a pas à dire... Eh bien ! il vivait au chemin de fer. Là vivait aussi une jeune fille comme cuisinière. Eh bien ! elle s'amouracha de lui, cette petite fille.
ANISSIA Marinka ?
MATRENA
Elle... qu'une paralysie la frappe !... S'est-il passé entre eux quelque chose, ou non ?... Mais le vieux en eut vent. L'avait-il appris des gens, ou d'elle-même ?...
ANISSIA
Est-elle osée, la sale !
MATRENA