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Bienvenue dans la collection Les Fiches de lecture d’Universalis
En janvier 1948 paraît simultanément à New York et à Paris
La Recherche de l’absolu de Sartre (1905-1980). Cet essai a valeur de manifeste et illustre magistralement la position de l’écrivain-philosophe vis-à-vis des artistes.
Une fiche de lecture spécialement conçue pour le numérique, pour tout savoir sur La Recherche de l'absolu, Situations III de Jean-Paul Sartre
Chaque fiche de lecture présente une œuvre clé de la littérature ou de la pensée. Cette présentation est couplée avec un article de synthèse sur l’auteur de l’œuvre.
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Seitenzahl: 52
Veröffentlichungsjahr: 2015
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ISBN : 9782852296268
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Photo de couverture : © Dirk Ercken/Shutterstock
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Ce volume présente des notices sur des œuvres clés de la littérature ou de la pensée autour d’un thème, ici La Recherche de l'absolu, Situations III, Jean-Paul Sartre (Les Fiches de lecture d'Universalis).
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En janvier 1948 paraît simultanément à New York et à Paris La Recherche de l’absolu de Sartre (1905-1980). Cet essai a valeur de manifeste et illustre magistralement la position de l’écrivain-philosophe vis-à-vis des artistes. À New York, le texte de Sartre figure dans le catalogue de l’exposition organisée à la Pierre Matisse Gallery : Alberto Giacometti, Sculptures, Paintings, Drawings. À Paris, il est publié dans la revue Les Temps modernes, créée en 1945, repris sans variante dans Situations III en 1949.
L’intérêt de Sartre pour la création artistique s’était déjà manifesté par des articles publiés dans la prestigieuse revue Verve, mais à partir de l’immédiate après-guerre il se tourne vers la sculpture : les Mobiles de Calder et les sculptures de Giacometti. Comment Sartre connaissait-il les œuvres de Giacometti, qui avait refusé d’exposer à Paris entre 1935 et 1951 ? C’est d’abord à travers des conversations avec l’artiste lui-même, dans le cadre de la brasserie Lipp, que Sartre découvre, en 1941, le travail de Giacometti – des sculptures de petites dimensions en plâtre – qu’il n’a encore jamais vu directement à cette date. Sartre est alors occupé à la rédaction de l’Être et le Néant. Ils partagent immédiatement des affinités de pensée sur de nombreux sujets : la quête des origines, l’importance du corps – « ancrage dans le monde » de l’être humain –, ou encore la dimension « indécomposable et indivisible » du visage. Ces préoccupations communes expliquent pourquoi Sartre n’hésite pas à enrôler Giacometti dans la sphère existentialiste grâce à ce texte.
On peut proposer plusieurs lectures du texte sartrien. La mise en scène du personnage physique de Giacometti en est une. Le ton est donné dès la première phrase par l’apparition d’un « visage antédiluvien » qui se situe « au commencement du monde ». Avant même de parler des œuvres de Giacometti, Sartre amène son lecteur à regarder le visage du sculpteur comme une œuvre d’art échappant à toute influence culturelle : un homme qui « se moque de la Culture et ne croit pas au progrès ». L’auteur déploie une rhétorique du mythe des origines, condamne la sculpture « depuis trois mille ans », et martèle les noms de personnages mythiques ou réels : l’homme des Eyzies, l’homme d’Altamira, Diogène, Parménide, Zénon, Ganymède, Jupiter, Praxitèle, la Vierge. Cette mise en perspective historique révèle l’étendue des connaissances artistiques du philosophe qui n’hésite pas à s’en servir pour convaincre le lecteur de la nouveauté radicale qu’introduit Giacometti dans la sculpture. Fin des temps et érudition savante constituent donc la toile de fond sur laquelle surgit la figure du sculpteur : « une longue silhouette indistincte qui marche à l’horizon ».
Une autre lecture du texte met en lumière la démonstration à laquelle Sartre se livre pour expliquer comment Giacometti est parvenu à trouver des solutions plastiques selon d’autres voies que ses prédécesseurs. L’enjeu est de représenter l’homme tel qu’on le voit, à la distance juste. Dans une peinture, la distance entre le spectateur et les personnages représentés est imaginaire, de sorte que si l’on avance on se rapproche de la toile et non des personnages. Au contraire, la situation du spectateur vis-à-vis d’une sculpture est paradoxale : il a des rapports réels avec une illusion en trois dimensions. Le sculpteur classique était soumis quant à lui à une double contrainte : figurer certains détails afin de les rendre visibles de loin et en éliminer d’autres dans la mesure où ils ne seraient plus distincts de près (on pense en lisant Sartre au célèbre texte de Diderot décrivant La Raie de Chardin dans le Salon de 1763 : « Approchez-vous, tout se brouille, s’aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se recrée et se reproduit »). Giacometti, lui, est parvenu à résoudre la difficulté de l’infinité d’apparences par ce que le philosophe conceptualise comme la « distance absolue ». Distance qui a pour caractéristique de faire apparaître nécessairement et immédiatement la forme comme totalité. Que l’on avance ou que l’on recule, ses personnages de plâtre restent « à dix pas » ; ils restent lointains même si on les touche du bout des doigts ; ils sont indivisibles car ils s’imposent instantanément et entièrement à la vision comme une idée à l’esprit.
Les raisons qui poussent Sartre à choisir Giacometti comme l’incarnation de l’existentialisme autorisent une troisième lecture de son texte. Giacometti existe parce qu’il sculpte, inlassablement, l’homme « à distance », tel qu’on le voit. Il parvient à créer sans le pétrifier un être avec du plâtre ou du bronze, réalisant un surgissement instantané d’« esquisses mouvantes ». Pour Sartre, les œuvres de Giacometti illustrent le point de vue flottant pratiqué par des romanciers américains comme Dos Passos ou Faulkner, qu’il a lus attentivement. Le vertige, la perte d’équilibre (une sculpture s’intitule L’Homme qui chavire) ont pour contre-pied la concentration de la vision, l’instant de netteté. Cette dialectique est aussi constitutive du seul autre texte, Derrière le miroir, consacré par Sartre à Giacometti lors d’une exposition de peintures à la Galerie Maeght en 1954 : « L’homme qui est parvenu à peindre le vide » est un prestidigitateur qui « travaille au jugé, d’après ce qu’il voit, mais surtout d’après ce qu’il pense que nous verrons ». Ses simulacres réussissent à générer des sentiments que seule la rencontre avec des personnes réelles autorise habituellement.
Il serait passionnant de pouvoir confronter la pertinence et la finesse des analyses sartriennes aux écrits de Giacometti, encore très méconnus de nos jours.
Marianne JAKOBI