La Rom et la commissaire - Jacques Dompnier - E-Book

La Rom et la commissaire E-Book

Jacques Dompnier

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Beschreibung

C'est le meurtre sanglant d'une famille qui conduit deux jeunes femmes à se rencontrer chez Natacha, leur amie commune, Illéana mêlée malgré elle à cet évènement, Phylis menant l'enquête. Tout juste arrivée à Grenoble, habituée à prendre des risques, la jeune Rom n'hésite pas à se mettre dans des situations hasardeuses pour rechercher les coupables. Elle fait trembler Phylis qui lui gardera cependant sa confiance tout au long de l'enquête. Une Rom au fort tempérament et qui ne lâche rien, une commissaire coriace et tolérante résolvent l'affaire enfouie dans un maquis qui paraissait inextricable.

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Seitenzahl: 109

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

1

Elle remontait la rue, les mains croisées derrière le dos, les yeux rivés sur le bitume cassé par les camions et l’hiver rigoureux. La robe bleu ciel parsemée de grandes fleurs roses et rehaussée de fils d’or flottait autour de ses jambes et accompagnait sa haute silhouette.

Sa cambrure aérienne jaillissait de sa ceinture mauve et s’évasait vers les larges épaules arrondies couvertes d’un flot de chevelure noire. Aucun des regards envieux ne l’accrocha et elle ignora superbement le jeune homme étonné, à l’arrêt au bord du trottoir et roulant dans sa tête des questions inachevées.

Elle traversa le pont qui enjambe l’Isère et laissa à sa droite la rue St Laurent étroite et sombre entre des petits immeubles rapprochés pris dans une réhabilitation qui n’en finissait pas. Une petite pièce jaune éclaira alors son œil. Elle se courba comme une liane et ses doigts la recueillirent, rapides. « Vingt centimes, le sol est généreux ce matin, se dit-elle, ma collection s’étoffe ! » Le soleil se préparait pour sa sortie, attendu avec impatience après des journées maussades et les façades se réveillaient. Un grand peuplier sur la rive droite de l’Isère frémissait d’indignation, comme tous les matins, en surplombant une eau si boueuse et si grise. Des tours d’habitation neuves, à peine achevées, se devinaient au loin, toujours construites sous la contrainte d’une époque et décriées lorsque la raison reprenait le dessus après bien des déboires.

Le silence était encore le maître à cette heure là. Les pieds d’Illéana chaussés de sandales abordaient le sol avec souplesse et l’effleuraient. Ils chassèrent un petit objet noir. Sa main le caressa, son œil examina l’objectif rétractable. Elle l’enfouit sous sa robe et rejoignit son appartement dans un vieil immeuble du quai Perrière. Elle vivait seule. Ses parents et sa petite sœur étaient morts. Elle était partie chercher de l’eau lorsqu’elle entendit les cris. De derrière un arbre, elle vit ces hommes se ruer vers sa mère et sa sœur puis les violer. Son père était déjà à terre la tête fracassée par une énorme pierre. Un viol brutal, haineux, achevé par les gorges tranchées. Ils venaient juste de quitter la Roumanie et abordaient la Hongrie. Elle patienta un bon moment et, sûre d’être seule, courut, angoissée, les larmes ravageant son visage. Sa mère, le regard figé, fixait un horizon qu’elle n’atteindrait jamais et la petite sœur, encore crispée de douleur, ravalait sa vie à peine commencée. Le père, méconnaissable, tendait un bras impuissant, incapable d’empêcher l’inévitable. Elle caressa les cheveux de sa mère et embrassa la petite sœur. Ils avaient suivi le père dans les bois, trois jours auparavant, un matin très tôt, échappant aux délateurs, à la police et aux passeurs qui les harcelaient. « Nous nous en sortirons seuls, avait dit le père et ne confierons pas nos vies à ces rapaces. » « Avaient-ils été repérés ? Peu importait, se dit-elle, je dois fuir et ne parler à personne. » Elle récupéra les papiers et l’argent que les violeurs pressés n’avaient pas trouvés. Une excavation toute proche attendait, déjà prête, l’affreux cadeau. Elle les tira et les fit basculer en fermant les yeux. Des feuilles les recouvrirent bientôt entièrement. « Gardez-les, dit-elle, je vais accomplir leur souhait. » Plus rien n’évoquait le drame. Elle rejoignit la forêt, sans se retourner, de peur de s’effondrer, le couteau de son père à la ceinture.

À une exposition de photos, peu après son arrivée en France, une femme fut fascinée par l’intensité de son regard.

– Vous aimez ?

– Oui, répondit-elle dans un français approximatif, sans esquisser le moindre sourire.

– Je suis la photographe, vous faites de la photo ?

– Non.

– Vous avez l’œil pour ça. Mais restez, prenez votre temps.

– Je dois rentrer, j’habite loin.

– Où ?

– Au bord de l’Isère.

– À la fermeture de l’exposition, je vous ramènerai.

Elles continuèrent à pied par un chemin surplombant une bande de terrain à la végétation sauvage qui cachait la rivière en contrebas. Quelques toits de taule et des constructions en planches se devinaient ici et là. Des coups d’œil discrets, jamais insistants, laissaient percevoir l’abîme qui séparait le passant de cette partie de l’humanité cachée là, avec ses frustrations, ses besoins, ses soumissions, ses désirs.

Natacha suivit Illéana d’arbre en arbre vers une petite cabane dissimulée derrière un fourré à l’écart du groupe. Une couverture rouge obstruait l’entrée et un bouquet de fleurs posé sur une petite table branlante, dénichée dans une décharge, affirmait la présence de la vie dans ce trou noir. Natacha, en silence, pénétra dans un autre monde comme un voyageur découvrant tout à coup un univers ignoré.

L’odeur fadasse de l’eau et de la végétation pourrissante s’enhardissait la nuit et rampait sur la rive. Illéana dormait mal ce soir-là.

Des brindilles crissaient, quelqu’un approchait avec prudence. Elle saisit son couteau et attendit. Elle savait que de nombreux hommes la convoitaient, sans résultat jusque là.

Une main écarta la tenture et une ombre se détacha sur fond de lune.

– Illéana ?

– Tu n’abandonnes jamais.

– Je t’aurai.

– Non.

– Dans notre clan, une femme est prise par un homme, de gré ou de force.

– Je resterai libre.

– La tribu te rejettera.

– Elle ne l’a pas fait jusqu’à maintenant.

– Elle n’aura pas à le faire.

Son couteau pointé vers Razvan qui avançait, les bras écartés, elle lui lança : « N’approche pas, je ne te veux pas. »

Il recula, connaissant sa dextérité et sa détermination.

– Tu auras besoin de moi un jour.

– Sûrement pas de quelqu’un qui fait travailler des gosses. Tu nous déshonores.

Il décampa furieux.

2

Elle avait quitté sa paillasse du bord de l’Isère lorsque Natacha lui avait proposé un appartement. « J’exposerai tes photos et te payerai. »

Assise sur le plancher, au milieu de la plus grande pièce, les genoux entre les bras, elle regarda le ciel, les étoiles qui, ce soir là, se réjouissaient aussi. La chance et son fort caractère s’étaient donné la main pour lui éviter le sort de tant de ses congénères.

Dans la petite chambre noire aménagée dans un coin de sa chambre, Illéana déroula le rouleau de pellicule. Dans le bain, des contours s’assemblaient, des figures émergeaient comme sorties d’un autre monde. Après séchage, elle déposa délicatement les photos sur un tissu et se pencha pour voir : des maisons, cinq en fait, précédées d’un parc, grandes, cossues, respirant le bien-être, fenêtres ouvertes, sauf une, close, oubliée. Avec sa loupe elle examina chaque détail. Devant l’une des maisons, une femme, debout sur le perron, s’apprêtait manifestement à sortir. Devant une autre, un homme, une femme et trois enfants. « Des photos en vue d’un achat ? se demanda-t-elle. » Elle fouilla, de nouveau, le moindre taillis, chaque fenêtre, le feuillage des arbres, les visages, et cet espace se révéla si tranquille et si beau qu’elle souhaita l’habiter un jour. Elle rangea alors les photos dans une cache secrète, par réflexe, pour les soustraire à la curiosité de ses voisins, puis reprit son livre et décortiqua les mots jusqu’à épuisement. La nuit, les clichés dansèrent devant ses yeux et son intuition affûtée, venue à son secours, la conduisit derrière les paisibles façades qui enfermaient si souvent la guerre.

Le lendemain matin, les photos dans la poche d’une robe discrète, les cheveux attachés avec un clip noir, un léger rouge sur les lèvres, elle quitta l’appartement. Dans quelle direction aller ? Les maisons se trouvaient aux abords des villes, comme repoussées là dans leur espace de verdure. L’Île Verte la conduirait vers l’est et la vallée du Grésivaudan. Espérant, elle ne savait quoi, Illéana tourna du bout des doigts le présentoir à journaux. Elle s’agrippa, d’un coup, à l’un des journaux. Une photo en première page et ce titre : « une famille massacrée. » Elle lut encore : « À La Tronche, route du Sappey, des parents et leurs trois enfants ! C’est incompréhensible, ils étaient unanimement respectés, responsables d’associations, l’horreur à notre porte. » La maison sur le journal lui parut familière. Elle sortit fébrilement ses photos et, effectivement, il s’agissait bien de l’une d’elles, celle où les parents parlaient avec leurs enfants devant l’entrée. Bouleversée, elle se rua sur le banc le plus proche et s’écroula. La photo lui brûla subitement les doigts et la peur lui serra l’estomac.

Mais elle voulut voir. Un bus la déposa au pied de la route du Sappey. Elle monta doucement aux abords des belles maisons, comme une promeneuse attirée par la verdure des lieux. Elle n’eut pas à chercher longtemps. Des policiers tenaient à distance les curieux venus faire leur provision de sensations morbides. Elle se mêla à eux le plus naturellement possible et demanda ce qui se passait. Soudain sa nuque se crispa et elle se sentit observée. Elle avait connu cette sensation en Bulgarie et en Autriche, être suivie à la dérobée par des regards suspicieux. Si elle avait égaré un appareil aussi compromettant, elle serait venue là, elle aussi, certaine que celui ou celle qui l’avait en sa possession ne pourrait résister au besoin de voir. Surtout ne pas se retourner, compatir, hocher la tête. Puis elle continua sa route comme si de rien n’était et dévala un petit chemin qui partait sur sa droite vers le château de Bouquéron surplombant la vallée du Grésivaudan. Son air aérien capta son regard et elle s’assit un court instant pour admirer la finesse de l’arête de ce navire effilé posé sur un nuage. Elle se retourna, cherchant des yeux cachés sautant d’arbre en arbre, comme ceux de la lune qui la fixaient, petite, surgissant, d’un coup, d’un pic de la chaîne des Carpates avant de s’enfuir à nouveau. Et elle jouait à cache-cache tentant de la surprendre.

La pente était rude, la vallée, en contrebas, se dérobait, ses chaussures étaient trop légères pour ce sentier, mais elle courut sans se retourner. La panique la saisit d’un coup comme au pied du Transtein en Autriche lorsqu’elle vit au bord du lac un groupe de policiers. Elle redoubla d’efforts, puisa dans son courage et la course effrénée canalisa sa peur. La fuite prit une allure de conquête.

Un bus, au village plus bas, attrapé au vol, la rapprocha de Natacha : « elle saura me tranquilliser, pensa-t-elle en reprenant son souffle. » Il était presque vide : une vieille dame, un homme à casquette, mais pas d’inquisiteur à la tête butée. Elle se laissa porter par le bus bien certaine de n’être pas suivie. La vallée se rapprochait et la ville embrumée.

Dans la vitrine de la galerie, une incroyable photo en noir et blanc d’un enfant courant dans la nuit la fascina. « Elle a un œil envoûtant, se dit Illéana en poussant la porte. »

Une robe mauve flottante frôlant ses sandales, Natacha guidait une femme qui, le cou tendu, cherchait à percer le mystère des joueurs de boules : « vous avez su capter la précision des gestes, et, surtout, l’intensité des regards », disait-elle. Illéana se planta devant un camp de Roms. Natacha avait choisi la lumière du soleil couchant, celle qui vient de côté et fait sortir des êtres leur ombre cachée qui se dépose près d’eux et plaque au sol les déboires et la fatigue de la journée. Des hommes, debout, parlaient et retrouvaient un moment leur fierté, ou faisaient le bilan d’un trafic, tandis que deux femmes, un bébé contre leurs seins, agitaient un récipient placé sur le feu, les yeux baissés. Trois enfants s’étaient arrêtés de courir et projetaient des yeux malins et pleins d’espoir. « Roms, mes frères, murmura-t-elle, où irez-vous lorsque les flics débarqueront. Vous avez ramassé pour survivre toute la boue du chemin, mais aussi combien de fleurs qu’une jeune fille, dans l’angle gauche, apportait. »

« Je le prends, dit la dame, le doigt tendu vers le tableau des joueurs de boules. J’adore le noir et blanc, il sera en bonne place dans mon salon, face au canapé. » « Je vous le ferai porter. » Natacha raccompagna cette dame jusqu’au trottoir, car elle avait rencontré une vraie amoureuse de la photo et, avec un grand sourire, rejoignit Iléana.

– Tu as l’air bouleversée ? lui dit-elle en la prenant par les épaules.

– J’ai trouvé un appareil dans la rue, à quelques pas de chez moi, et développé les photos. Tiens, regarde.