La Tour de Nesle - Alexandre Dumas - E-Book

La Tour de Nesle E-Book

Dumas Alexandre

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Beschreibung

Extrait : "RICHARD, se levant : Ohé ! maître Orsini, notre hôte, tavernier du diable, double empoisonneur ! il paraît qu'il faut te donner tous tes noms avant que tu répondes. ORSINI : Que voulez-vous ? du vin ? SIMON, se levant : Merci, nous en avons encore ; c'est Richard le savetier qui veut savoir combien ton patron Satan a reçu d'âmes ce matin."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

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EAN : 9782335054750

©Ligaran 2015

Acte premier

Philippe d’Aulnay

Premier tableau

La taverne d’Orsini à la porte Saint-Honoré, vue à l’intérieur. Une douzaine de Manants et d’Ouvriers à des tables à droite du spectateur ; à une table isolée, Philippe d’Aulnay, écrivant sur un parchemin ; il a près de lui un pot de vin et un gobelet.

Distribution

BURIDAN.

GAULTIER D’AULNAY.

PHILIPPE D’AULNAY.

ORSINI.

SAVOISY.

LOUIS X.

DE PIERREFONDS.

RICHARD.

ENGUERRAND DE MARIGNY.

LANDRY.

SIMON.

SIRE RAOUL.

JEHAN.

UN ARBALÉTRIER.

UN GARDE.

UN PAGE.

MARGUERITE DE BOURGOGNE.

CHARLOTTE.

UNE FEMME VOILÉE.

PAGES, GARDES.

Paris 1314.

Scène première

Philippe d’Aulnay, Richard, Simon, Jehan, manants, puis Orsini, puis Landry.

RICHARD,se levant

Ohé ! maître Orsini, notre hôte, tavernier du diable, double empoisonneur ! il paraît qu’il faut te donner tous tes noms avant que tu répondes.

ORSINI

Que voulez-vous ? du vin ?

SIMON,se levant

Merci, nous en avons encore ; c’est Richard le savetier qui veut savoir combien ton patron Satan a reçu d’âmes ce matin.

RICHARD

Ou, pour parler plus chrétiennement, combien on a relevé de cadavres sur le bord de la Seine, de la tour de Nesle aux Bons-Hommes.

ORSINI

Trois.

RICHARD

C’est le compte ! Et tous trois, sans doute, nobles, jeunes et beaux ?

ORSINI

Tous trois nobles, jeunes et beaux.

RICHARD

C’est l’habitude… Étrangers tous trois à la bonne ville de Paris ?…

ORSINI

Arrivés tous trois depuis la huitaine.

RICHARD

C’est la règle… Du moins, ce fléau-là a cela de bon, qu’il est tout le contraire de la peste et de la royauté : il tombe sur les gentilshommes et épargne les manants. Cela console de la taxe et de la corvée. – Merci, tavernier ; c’est tout ce qu’on voulait de toi, à moins qu’en ta qualité d’Italien et de sorcier, tu ne veuilles nous dire quel est le vampire qui a besoin de tant de sang jeune et chaud pour empêcher le sien de vieillir et de se figer…

ORSINI

Je n’en sais rien.

SIMON

Et pourquoi c’est toujours au-dessous de la tour de Nesle, et jamais au-dessus, qu’on retrouve les noyés…

ORSINI

Je n’en sais rien.

PHILIPPE,appelant Orsini

Maître !

SIMON

Tu n’en sais rien ? Eh bien, laisse-nous tranquilles, et réponds à ce jeune seigneur, qui te fait l’honneur de t’appeler.

PHILIPPE

Maître !

ORSINI

Messire ?

PHILIPPE

Un de tes garçons taverniers peut-il, moyennant ces deux sous parisis, porter ce billet ?

ORSINI

Landry !… Landry !

LANDRY,s’avançant

Voici.

(Il se tient debout devant Philippe, tandis que celui-ci scelle la lettre et met l’adresse.)

ORSINI

Fais ce que te dira ce jeune seigneur.

(Il s’éloigne.)

RICHARD,retenant Orsini par le bras

C’est égal, maître ; si je m’appelais Orsini, ce dont Dieu me garde ! si j’étais maître de cette taverne, ce que Dieu veuille ! et si mes fenêtres donnaient, comme les tiennes, sur cette vieille tour de Nesle, que Dieu foudroie ! je voudrais passer une de mes nuits, une seule, à regarder et à écouter, et je te garantis que, le lendemain, je saurais que répondre à ceux qui me demanderaient des nouvelles.

ORSINI

Ce n’est pas mon état, Voulez-vous du vin ? Je suis tavernier et non veilleur de nuit.

RICHARD

Va-t’en au diable !

ORSINI

Lâchez-moi, alors.

RICHARD

C’est juste.

(Orsini sort.)

PHILIPPE,à Landry

Écoute, gars : prends ces deux sous parisis et va-t’en au Louvre ; tu demanderas le capitaine Gaultier d’Aulnay, et tu lui remettras ce billet.

LANDRY

Ce sera fait, messire.

(Il sort.)

RICHARD

Dis donc, Jehan de Montlhéry, as-tu vu le cortège de la reine Marguerite et de ses deux sœurs, les princesses Blanche et Jeanne ?

JEHAN

Je crois bien !

RICHARD

Il ne faut pas demander maintenant où a passé la taxe que le roi Philippe le Bel, de glorieuse mémoire, a levée le jour où il a fait chevalier son fils aîné, Louis le Hutin ; j’ai reconnu mes trente sous parisis sur le dos du favori de la reine ; seulement, de monnaie de billon, ils étaient devenus drap d’or frisé et épinglé, As-tu vu le Gaultier d’Aulnay, toi, Simon ?

(Philippe lève la tête et écoute.)

SIMON

Sainte Vierge, si je l’ai vu !… Son cheval du démon caracolait si bien, qu’il a mis une de ses pattes sur la mienne, aussi d’aplomb que s’il jouait au pied de bœuf ; et, comme je criais miséricorde, son maître, pour me faire taire, m’a donné…

JEHAN

Un écu d’or ?

SIMON

Oui ! un coup du pommeau de son épée sur la tête en m’appelant cagou.

JEHAN

Et tu n’as rien fait au cheval et rien dit au maître ?

SIMON

Au cheval, je lui ai vertueusement enfoncé trois pouces de ce couteau dans la culotte, et il s’est en allé saignant ; quant au maître, je l’ai appelé bâtard, et il s’est en allé jurant.

PHILIPPE,de sa place

Qui dit que Gaultier d’Aulnay est un bâtard ?

SIMON

Moi.

PHILIPPE,lui jetant son gobelet à la tête

Tu en as menti par la gorge, truand !

SIMON

À moi, les enfants !

LES MANANTS,se jetant sur leurs couteaux

Mort au mignon !… au gentilhomme !… au pimpant !

PHILIPPE,tirant son épée

Holà, mes maîtres ! faites attention que mon épée est plus longue et de meilleur acier que vos couteaux.

SIMON

Oui ; mais nous avons dix couteaux contre ton épée.

PHILIPPE

Arrière !

TOUS

À mort ! à mort !

(Ils forment un cercle autour de Philippe, qui pare avec son épée.)

Scène II

Les mêmes, Buridan.

Il entre, dépose tranquillement son manteau ; puis, s’apercevant que c’est un gentilhomme qui se défend contre des gens du peuple, il tire vivement son épée.

BURIDAN

Dix contre un !… Dix manants contre un gentilhomme, c’est cinq de trop.

(Il les frappe par derrière.)

LES MANANTS

Au meurtre !… au guet !

(Ils veulent se sauver ; Orsini paraît.)

BURIDAN

Hôtelier du diable, ferme ta porte, que pas un de ces truands ne sorte pour donner l’alarme : ils ont eu tort… (Aux Manants.) Vous avez eu tort.

LES MANANTS

Oui, monseigneur, oui.

BURIDAN

Tu le vois, nous leur pardonnons. Restez à vos tables ; voici la nôtre… Fais apporter du vin par mon ami Landry.

ORSINI

Il est en course pour ce jeune seigneur ; j’aurai l’honneur de vous servir moi-même.

BURIDAN

Comme tu le voudras ; mais dépêche. (Se retournant vers les Manants.) Est-ce qu’il y en a un qui parle là-bas ?

LES MANANTS

Non, monseigneur.

PHILIPPE

Par mon patron, messire, vous venez de me tirer d’un mauvais pas, et je m’en souviendrai en pareille occasion si je vous y trouve.

BURIDAN

Votre main ?

PHILIPPE

De grand cœur.

BURIDAN

Tout est dit. (Orsini apporte du vin dans des pots.) À votre santé !… Porte deux pots de celui-là à ces drôles, afin qu’ils boivent à la nôtre… Bien. (À Philippe.) C’est la première fois, mon jeune soldat, que je vous vois dans la vénérable taverne de maître Orsini ; êtes-vous nouveau venu dans la bonne ville de Paris ?

PHILIPPE

J’y suis arrivé il y a deux heures, justement pour voir passer le cortège de la reine Marguerite.

BURIDAN

Reine ? Pas encore.

PHILIPPE

Reine après-demain ; c’est après-demain qu’arrive de Navarre, pour succéder à Philippe le Bel, son père, monseigneur le roi Louis X, et j’ai profité de son avènement au trône pour revenir de Flandre, où j’étais en guerre.

BURIDAN

Et moi, d’Italie, où je me battais aussi. Il paraît que la même cause nous amène, mon maître ?

PHILIPPE

Je cherche fortune.

BURIDAN

C’est comme moi. Et vos moyens de réussite ?

PHILIPPE

Mon frère est, depuis six mois, capitaine près de la reine Marguerite.

BURIDAN

Son nom ?

PHILIPPE

Gaultier d’Aulnay.

BURIDAN

Vous réussirez, mon cavalier ; car la reine n’a rien à refuser à votre frère.

PHILIPPE

On le dit : et je viens de lui écrire pour lui annoncer mon arrivée et lui dire de me joindre ici.

BURIDAN

Ici, au milieu de cette foule ?

PHILIPPE

Regardez.

BURIDAN

Ah ! tous nos gaillards ont disparu.

PHILIPPE

Continuons, puisqu’ils nous laissent libres. Et vous, puis-ne vous demander votre nom ?

BURIDAN

Mon nom ?… Dites mes noms ; j’en ai deux : un de naissance, qui est le mien, et que je ne porte pas ; un de guerre, qui n’est pas le mien, et que je porte.

PHILIPPE

Et lequel me direz-vous ?

BURIDAN

Mon nom de guerre, Buridan.

PHILIPPE

Buridan… Avez-vous quelqu’un en cour ?

BURIDAN

Personne.

PHILIPPE

Vos ressources ?

BURIDAN

Sont là (il frappe son front) et là (il frappe sa poitrine), dans la tête et dans le cœur.

PHILIPPE

Vous comptez sur votre bonne mine et sur l’amour ; vous avez raison, mon cavalier.

BURIDAN

Je compte sur autre chose encore ; je suis du même âge, du même pays que la reine… J’ai été page du duc Robert II, son père, lequel est mort assassiné… La reine et moi n’avions pas alors, à nous deux, l’âge que chacun de nous a seul maintenant.

PHILIPPE

Quel est votre âge ?

BURIDAN

Trente-cinq ans.

PHILIPPE

Eh bien ?

BURIDAN

Eh bien, il y a, depuis cette époque, un secret entre Marguerite de Bourgogne et moi… un secret qui me tuera, jeune homme, ou qui fera ma fortune.

PHILIPPE,lui présentant son gobelet pour trinquer

Bonne chance !

BURIDAN

Dieu vous le rende, mon soldat !

PHILIPPE

Mais cela ne commence pas mal.

BURIDAN

Ah !

PHILIPPE

Oui ; aujourd’hui, comme je revenais de voir passer le cortège de la reine, je me suis aperçu que j’étais suivi par une femme. J’ai ralenti le pas, et elle l’a doublé… Le temps de retourner un sablier, elle était près de moi. « Mon jeune seigneur, m’a-t-elle dit, une dame qui aime l’épée vous trouve bonne mine ; êtes-vous aussi brave que joli garçon ? êtes-vous aussi confiant que brave ? – S’il ne faut à votre dame, ai-je répondu, qu’un cœur qui passe sans battre à travers un danger pour arriver à un amour… je suis son homme, pourvu toutefois qu’elle soit jeune et jolie ; sinon, qu’elle se recommande à sainte Catherine et qu’elle entre dans un couvent. – Elle est jeune et elle est belle. – C’est bien. – Elle vous attend ce soir. – Où ? – Trouvez-vous, à l’heure du couvre-feu, au coin de la rue Froid-Mantel ; un homme s’approchera de vous, et dira : "Votre main ?" Vous lui montrerez cette bague et vous le suivrez. Adieu, mon soldat, plaisir et courage !… » Alors elle m’a mis au doigt cet anneau, et a disparu.

BURIDAN

Vous irez, à ce rendez-vous ?

PHILIPPE

Par mon saint patron, je n’ai garde d’y manquer !

BURIDAN

Mon cher ami, je vous en félicite… Il y a quatre jours de plus que vous que je suis à Paris, et, excepté Landry, qui est une vieille connaissance de guerre, je n’ai pas rencontré un visage sur lequel je pusse appliquer un nom… Sang-Dieu ! je ne suis cependant pas d’âge ni de mine à n’avoir plus d’aventures.

Scène III

Les mêmes, une femme voilée.

LA FEMME VOILÉE,entrant et touchant de la main l’épaule de Buridan

Seigneur capitaine…

BURIDAN,se retournant sans se déranger

Qu’y a-t-il, ma gracieuse ?

LA FEMME

Deux mots tout bas.

BURIDAN

Pourquoi pas tout haut ?

LA FEMME

Parce qu’il n’y a que deux mots à dire, et qu’il y a quatre oreilles pour entendre.

BURIDAN,se levant

C’est bien… Prenez mon bras, mon inconnue, et dites-moi ces deux mots… (À Philippe.) Vous permettez ?…

PHILIPPE

Faites !

LA FEMME

Une dame qui aime l’épée vous trouve bonne mine ; êtes-vous aussi brave que joli garçon ? êtes-vous aussi confiant que brave ?

BURIDAN

J’ai fait vingt ans la guerre aux Italiens, les plus mauvais coquins que je connaisse ; j’ai fait vingt ans l’amour aux Italiennes, les plus rusées ribaudes que je sache… et je n’ai jamais refusé ni combat ni rendez-vous, pourvu que l’homme eût droit de porter des éperons et une chaine d’or… pourvu que la femme fût jeune et jolie.

LA FEMME

Elle est jeune, elle est belle.

BURIDAN

C’est bien.

LA FEMME

Et elle vous attend ce soir.

BURIDAN

Où, et à quelle heure ?

LA FEMME

Devant la seconde tour du Louvre… à l’heure du couvre-feu.

BURIDAN

J’y serai.

LA FEMME

Un homme viendra à vous, et dira : « Votre main ? » Vous lui montrerez cette bague, et vous le suivrez… Adieu, mon capitaine ; courage et plaisir !

(Elle sort. La nuit commence à venir doucement.)

BURIDAN

Ah çà ! c’est un rêve ou une gageure.

PHILIPPE

Quoi donc ?

BURIDAN

Cette femme voilée…

PHILIPPE

Eh bien ?

BURIDAN

Elle vient de me répéter les paroles qu’une femme voilée vous a dites.

PHILIPPE

Un rendez-vous ?

BURIDAN

Comme le vôtre.

PHILIPPE

L’heure ?

BURIDAN

La même que la vôtre.

PHILIPPE

Et une bague ?

BURIDAN

Pareille à la vôtre.

PHILIPPE

Voyons.

BURIDAN

Voyez.

PHILIPPE

Il y a magie… Et vous irez ?

BURIDAN

J’irai.

PHILIPPE

Ce sont les deux sœurs.

BURIDAN

Tant mieux ! nous serons beaux-frères.

LANDRY,à la porte

Par ici, mon maître.

(Après avoir introduit Gaultier d’Aulnay, il passe chez Orsini. – Nuit.)

Scène IV

Buridan, Philippe et Gaultier d’Aulnay.

PHILIPPE

Chut ! voici Gaultier… À moi, frère, à moi !

(Il lui tend les bras.)

GAULTIER,s’y jetant

Ta main, frère… Ah ! te voilà donc ! c’est toi et bien toi ?

PHILIPPE

Eh ! oui.

GAULTIER

M’aimes-tu toujours ?

PHILIPPE

Comme la moitié de moi-même.

GAULTIER

Et tu as raison, frère. Embrasse-moi encore… Quel est cet homme ?

PHILIPPE