La trace d'un inconnu - Véronique Laval - E-Book

La trace d'un inconnu E-Book

Véronique Laval

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Beschreibung

Gabriel, brillant étudiant en médecine suit ses études à Paris. Lors d'une fête de fin d'année, sa vie bascule lorsqu'il apprend le décès de sa mère Flore qui vit à Antibes. Dès le lendemain, de retour dans sa ville natale il retrouve Patrick, le frère de Flore. Encore sous le choc, il décide de poster un mémorial sur la page facebook de sa mère et tombe par hasard sur une conversation malveillante qu'elle entretenait avec un certain Alex dont il n'a jamais entendu parler. Curieux, Gabriel mène une enquête aux fins de retrouver Alex. Qui est cet homme ? Parviendra t-il à son but ?

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Seitenzahl: 164

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Ähnliche


On gagne plus à connaître les bonnes qualités de son ennemi qu'à être instruit de ses fautes

Proverbe chinois

Sommaire

CHAPITRE 1

FLORE ET ROMAIN

CHAPITRE 2

GABRIEL

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

ALEX

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 1

Aucun homme n’aime se réveiller en pleine nuit, de surcroît dans un bond à cause d’un cauchemar. Les battements du coeur de Gabriel s’accé-lèrent. Il croit que l’heure de son dernier souffle est imminente. Mais non, son pouls ralentit, le voilà vaguement rassuré, la vie continue. Puis la frayeur s’évanouit à son tour, l’univers des songes se réduit, s’efface à l’image de la craie blanche sur un tableau noir. Blotti sous la couette, les yeux fermés, il attend le retour de l’endormissement. Quelle heure peut-il être ? Le courage lui manque, il garde les paupières closes, ignore l’heure qui s'affiche sur le réveil posé à ses côtés. Il tourne son corps vers le mur où pas la moindre fissure de lumière ne filtre jusqu’à ce qu’une nouvelle vague de sommeil l’emporte jusqu'au lendemain. Au matin, il affronte la tragique réalité. Hier encore, il menait une vie heureuse jusqu’à cette fête.

Dans la cuisine, pendant que la cafetière crachote les derniers râles de café, il cherche ses lunettes, l’antidote à sa myopie. Debout devant la carafe bouillante, il la saisit par l’anse, et déverse le liquide brun dans un bol. Dès la première gorgée, le café lui semble aussi amer que la soirée de la veille.

Gabriel vient de terminer sa sixième année d'études de médecine à la faculté de Paris. Il est doué. Nul doute que sa ténacité demeure son fer de lance. Et le temps insaisissable a passé sans qu’il ne décroche. Maintenant, qu’il a obtenu un classement après les épreuves de fin de cycle, il peut choisir sa spécialité et la région où il effectuera son internat. Son souhait : être chirurgien. Les trois dernières années, il a partagé sa vie entre les cours à la faculté, les stages et les gardes rémunérés à l’hôpital. C’est là qu’il a découvert la réalité du métier. Depuis six ans, il participe à la soirée débridée qui clôture l’année, l’occasion d’évacuer sans vergogne les tensions accumulées tout au long de l'année. La veille, tout s’était déroulé comme les années précédentes, à une exception faite, et son destin a basculé.

*

* *

La fête de fin d’année.

A fortiori, c’est le moment d’abandonner son sérieux au vestiaire, de lâcher-prise pour la communauté étudiante. Au sein de la faculté, une poignée de volontaires avait collé des affiches dans l’amphithéâtre, distribués des flyers avant la date fatidique. Les médecins de l’avenir, friands de la circonstance comme d’une sucrerie défendue vivaient ce moment comme une grande récréation. Un DJ, chargé de la diffusion de la musique, animait la fête. La plupart des étudiants présentaient leur billet d’entrée vers 22 h 00, alors que certains venus sur place bien à l'avance, buvaient une bière ou un mélange de rhum et d’oranges préparé sur place.

Les étudiants n’avaient pas mis le nez dehors depuis trois mois. À cette occasion, l’abus de la consommation d'alcool modifiait les comportements plus que de raison. Gabriel optait pour la modération. Il avait appris de ses expériences passées.

La piste de danse s'animait avec un groupe de filles délurées qui ondulaient, un verre à la main, quand il arriva accompagné de ses amis : Joël, Rémi, Nathalie, Clémence et Pierre. L’une d’elles, hilare, donnait des coups de bassin sur les fesses de sa camarade tandis qu’une seconde s’écroulait sur un canapé, loin dans les délires d'une surconsommation d'alcool. Les trois-quarts des élèves, agglutinés derrière le bar, tendaient leurs tickets pour se désaltérer. Une jeune femme au timbre de voix oscillant entre les graves et les aiguës, le corps chancelant, articulait tant bien que mal : « Il n’y a rien de pire que de se retrouver dans une soirée sans avaler une goutte d’alcool ! Allez, venez vous détendre ».

Ces soirées empruntaient de nombreux codes du bizutage. Une réputation collait aux plus vieux, la sobriété. Les cadets, plus délurés, avançaient que leurs aînés n’avaient plus besoin de prouver leur intégration au groupe. Puis, passant à côté d’un élève de troisième année Gabriel l’entendit philosopher d’une drôle de manière : « C’est mort, il n’y a que des étudiants en sixième année. Ils ne savent pas boire. C’est déprimant. » À ses côtés, son amie disait : « C’est une soirée banale. D’ordinaire, les gars se déshabillent. »

Vers 2 h du matin, accoudé au bar, Mathieu portait la faluche, un béret de velours rouge, recouvert de pin’s, de rubans colorés, d’un mousqueton, d’une petite corde d’escalade… Comme tous ses camarades faluchards, il faisait partie de la corporation de la faculté, du cercle très fermé des « durs ». « Chaque soirée, nous honorons les quatre piliers de la vie : la fête, la bouffe, l’alcool, le sexe », expliquait-il, imbibé comme une éponge. La faluche, réservée à une poignée d’individus ubuesques, qui avait pour seul but l’entre-jambes des femmes et l’ivresse frôlait le mensonge. Derrière une idée forte, une autre réalité existait.

Combien étaient-ils à ne pas appartenir à cette catégorie, à se ruer dans les plaisirs charnels et à tomber dans l'ivresse, alors qu'à contrario, un bon nombre de faluchards n’étaient motivés par aucun des deux ? Mais le mérite des porteurs de cette coiffe revenait sans doute à assumer leurs pulsions pour ceux qui répondaient à l’archétype avancé, quand d’autres n’avaient que des personnalités refoulées.

Plus tard encore, une horde de zombies remuait au ralenti chacun prenant appui sur autrui pour tenir debout et se frayer un chemin avec des gestes maladroits, des peaux moites. L’un d’eux bouscula Gabriel. Il posa sa main sur son épaule et prononça péniblement, les yeux fermés, trop injectés : « Pardon, je ne t’avais pas vu ». Là-bas, installés à une table, quatre étudiants préparaient discrètement des lignes de cocaïne. À l’écart, une jeune femme luttait contre le trou noir de l’alcool. Assise face au mur, les bras sur les cuisses, la tête en chute libre, elle attendait que ses hallucinations passent. Dans les coins sombres se faufilaient des corps tous occupés à se caresser. Sur la piste de danse, les derniers résistants dégoulinaient de sueur. Gabriel et ses amis étaient rodés à tous ces débordements.

L’apparition des forces de l’ordre à l’embrasure de la salle glaça l’ambiance. Nathalie assigna un coup de coude à Gabriel puis approcha la bouche de son oreille dans laquelle elle dut crier afin de triompher sur les décibels environnants :

« Qu’est-ce qu’ils veulent ? »

Il fit la moue. Et puis il s'éloigna pour rejoindre l’organisateur de la fête afin de le prévenir puis revint auprès de Nathalie. Après l’échec d'une tentative de séduction, il considérait Nathalie à l’égale d’une soeur. Tout un visage en rondeur, une lune. Sur ce satellite, ses prunelles noisette jetaient des feux de sa vivacité intérieure. Les cheveux coupés courts, blond doré, épousaient l’arrondi de son crâne et sa bouche possédait la fraîcheur d’un fruit. De la malice dans son sourire. « Dommage, pensait Gabriel que je n’aie pas eu le privilège - réservé à son ami Rémi - d’embrasser ses lèvres couleur abricot, à l’aspect doux et pulpeux ». Le succès rencontré par son meilleur ami auprès d’elle n’avait pas eu lieu avec lui. Avec Rémi, elle faisait l’amour. L’affection que Gabriel réservait à Nathalie avait suscité un temps la jalousie de Rémi qui croyait qu’il tentait de lui voler sa petite amie. L'amitié du trio s’était renforcé une fois le malentendu dissous.

Les gendarmes réapparurent devant Gabriel. La panique l’envahit. Que lui voulaient-ils ? Il faisait partie des étudiants les plus sobres de la soirée ! Pourquoi lui ? Le plus âgé des trois gendarmes s’adressa à Gabriel, l’invitant à se mettre à l’écart. Dès qu’il prit la parole, sa moustache se souleva à la cadence des mots articulés. Sa voix intègre, digne de sa fonction demanda : « C’est vous Gabriel Moreno ? »

La tête du jeune homme oscilla de haut en bas en guise d’approbation. Il n’aimait pas son ton formel. C’était donc lui qu'il visait. Lui et personne d’autre au milieu de tout ce relâchement. Il avait peur. Une angoisse qui tomba dans ses jambes devenues flageolantes. Trois uniformes venus exprès pour lui, trois tenues militaires représentant la gravité de leur présence.

— Mme Flore Moreno qui vit à Antibes, c’est votre mère ?

— En effet, c’est ma mère. Que se passe-t-il ?

Tout à coup, il décela l'air de circonstance sur le visage du gendarme qui prédisait le pire :

— Elle est morte.

À ce mot, un gouffre à ses pieds s’ouvrit.

— Quand ? Comment est-ce arrivé ?

Stupéfait, Gabriel enchaînait les questions. L’adjudant-chef ajouta :

— Il faut vous rendre sur place. Nous ne détenons pas d’autres éléments à vous communiquer. Le dossier se trouve entre les mains de la gendarmerie d’Antibes qui vous renseignera. C’est le frère de Mme Moreno qui nous a transmis vos coordonnées.

Son oncle Patrick, un homme sensible, dont le courage avait fait défaut pour annoncer le drame à son neveu, pressentant qu’il n’aurait pas les mots appropriés, que la maladresse régnerait dans un moment où justement chaque parole devait être pesée. Il valait mieux une intervention officielle comme celle des forces de l’ordre.

Après l’avoir salué, les trois gendarmes en avaient profité pour mettre un terme à l’orgie qui se déroulait sous leurs yeux et avaient obligé tous les étudiants à quitter les lieux.

À l’âge de vingt-cinq ans, à l’annonce du décès de sa mère, il vit s'effondrer la relation fusionnelle et la complicité qu'il entretenait avec elle.

FLORE ET ROMAIN

CHAPITRE 2

Flore était une adolescente mal dans sa peau, insatisfaite de son allure générale. Dans la liste des parties de son corps qu’elle estimait disgracieuses, il y avait ses fesses trop grosses, ses seins minuscules pour ainsi dire inexistants qui lui donnaient d’après elle un côté androgyne, la couleur banale de ses cheveux châtains, autant de critères qui ne la rangeaient pas, toujours de son point de vue, dans la catégorie des beautés irrésistibles.

En effet, elle était persuadée qu’elle ne suscitait l’intérêt d’aucun garçon. Son passage, pour elle, demeurait inaperçu. Donc, l’idée de plaire ne s’inscrivait pas dans son esprit. Pourtant, contre sa volonté et loin de ses croyances, les regards masculins qu’elle ne prenait pas au sérieux s’accrochaient à son passage sur sa silhouette. Séduire devenait une surprise, un jeu qu’elle acceptait sans prétention. Avec un naturel déconcertant, elle n’y accordait pas d’importance. C’était sa force. Dès lors, une question se posait. Les garçons, la trouvaient-ils attrayante parce qu’elle possédait la beauté qu’elle ne reconnaissait pas en elle ou bien était-ce l’adoption de son attitude détachée qui la rendait assez énigmatique à leurs yeux ? Cela dit, une cour de jeunes individus papillonnait autour d'elle, dont Romain qui se tenait à l’écart de la concurrence et la regardait de loin. Elle s'entêtait avec une inconscience insolente et déconcertante face à son succès, Romain ne pouvait s’affranchir de sa timidité et excluait l’idée du premier pas vers elle. Des bruits couraient qu’elle n’honorait pas ses rendez-vous amoureux quand elle en acceptait un, ou encore qu’elle rompît immédiatement après un flirt, répondant à son coeur glacé, désintéressé, dépourvu de sentiment. Aucun, cependant, ne la traitait d’allumeuse, elle ne provoquait pas les avances, elles parvenaient à elle sans effort. Son sourire aimantait les regards. Elle s’en moquait. Aucun jugement n’agrippait sa réputation ni ne la noircissait.

Par hasard, ils se retrouvèrent, loin du lycée. De Romain, elle tomba amoureuse. Un coup de foudre. Une passion dévorante. La surprise fut de taille pour elle qui ne s’attachait à personne. Elle ne l’avait pas remarqué au collège, il restait caché en arrière-plan, un figurant parmi les acteurs sur le devant de la scène. Leur rencontre se produisit pendant un travail saisonnier. Dans un champ de pommes. Ils ramassaient celles déjà mûres, tombées sur la terre ou les détachaient des arbres en les faisant tourner sur elles-mêmes. Ils se croisèrent à travers les sillons, heureux de se retrouver au milieu d’inconnus. Le soir, après leur labeur, ils bavardèrent, découvrirent leurs points communs jusque-là sous-estimés. Tous les deux adoraient les sports aquatiques. La timidité de Romain diminua, il prit de l’assurance, il n’avait plus d’adversaires à combattre à la campagne, le lieu se prêtait à aller au bout de ce qu’il n’avait pas encore osé avec elle, lui dire qu’elle lui plaisait. « Tu vois cette pomme, quand j’aurai fini de la manger, je t’embrasserai ». Elle avait ri, à la fois amusée et séduite pour la première fois. Et il avait déposé un baiser sucré, un élixir d’amour sur ses lèvres. Depuis, ils ne se quittaient plus.

Lui, fou de plongée, elle, de sport à voile, ils rêvaient de vivre de leur passion. Romain s’immergea dès l’âge de six ans. Pour Noël, sa mère lui avait fait cadeau à l’époque d’un équipement approprié. Il effectua son apprentissage en milieu marin, puis ses premiers exploits. Tout ce qui le reliait à la mer l’enchantait. Il raffolait aussi d’apnée et de pêche. Le dimanche, il partait avec son père muni du matériel pour récolter des poissons. Tous deux s’installaient au bord des rochers, la tête recouverte d’une casquette. Ils restaient des heures debout en silence face à l’immense masse d’eau. Son père lui inculquait cet art avec recueillement.

Romain devint entraîneur de plongée et Flore, monitrice de voile. Il travailla tout d’abord comme saisonnier. Flore, quant à elle, transmettait son savoir sur les techniques fondamentales de navigation au sein d’un centre nautique. L’école enseignait plusieurs pratiques : la planche à voile, le funboard ou le kitesurf. Elle formait ses élèves à la confection des noeuds marins, à l’art de gréer un bateau, de dresser un mât, de manier les cordages, sans oublier les manoeuvres : barrer, virer de bord, affaler une voile, hisser un foc ou un spi. Et bien sûr, en priorité, les règles de sécurité dont la première reposait sur l’utilisation d’un gilet de sauvetage. Elle apprenait aux néophytes à s’orienter sur un plan d’eau et à se placer en fonction des vents et des courants.

Tout alla très vite. Une fois en ménage, Flore donna naissance à un fils, Gabriel. La mère de Gabriel vantait la condition physique de son mari engagé dans une profession qui bannissait de toute façon l’idée même de l’exercer différemment. Pendant l’effervescence touristique, la période estivale garantissait un travail dans la région. En revanche, l’hiver il se raréfiait, seule l’aide des allocations de chômage permettait de patienter jusqu’au retour du printemps. Pour remédier et mettre un terme aux épisodes répétitifs alternant emploi et inactivité, Romain reprit le magasin d’un homme retraité qui vendait des équipements de plongée. Il tira profit des conseils et de l’expérience du propriétaire et conserva une partie de sa clientèle, fournisseurs et volume de ventes. Le reste du temps, il donnait des cours de plongée en milieu naturel et en piscine. Flore, de son côté, dotée d’un brevet professionnel travaillait dans un centre nautique à Juan-les-Pins où elle exerçait toujours sa passion d’éducatrice de voile. Ils achetèrent une maison. Ce fut dans la villa de ses parents à Antibes que grandit Gabriel.

Durant ses heures de loisir, Romain plongeait seul. Il s’accordait cette détente coutumière et cette liberté retrouvée pendant les heures de fermeture de son magasin, un moment idéal et propice pour pratiquer son sport favori. Mais de temps à autre, il cédait l’heure du déjeuner à sa passion et se restaurait ensuite d’un sandwich avalé sur le pouce acheté dans un commerce proche de sa boutique.

Les grands-parents gardaient parfois leur petit-fils dans leur villa à Cagnes-sur-Mer située à une dizaine de kilomètres d’Antibes. Or, pour des raisons de commodité, bien souvent, Flore employait une étudiante chargée de veiller sur Gabriel pendant leur absence. L'enfant jouait dans le jardin avec Juliette, la baby-sitter. Quand il voyait la silhouette de sa mère au loin, juchée sur son vélo qu'elle enfourchait quotidiennement pour se rendre au travail, il courait vers elle et se jetait dans ses bras. Flore soulevait Gabriel pour l’embrasser, il sentait l’odeur de la mer et le goût du sel sur sa peau hâlée tandis qu’il lui rendait son baiser et que ses longs cheveux blonds mouillés humectaient son tee-shirt d'eau salée. Les yeux bleus de Flore, dont l’intensité s’amplifiait avec l’été sur sa carnation dorée, impressionnaient l’enfant. Elle lui souriait, heureuse. Il lui racontait ses jeux de l’après-midi avec Juliette.

Puis, le drame se produisit. Le très jeune Gabriel de l’époque ne comptait désormais plus le nombre de fois où après l'accident sa mère lui relata cette histoire. Fidèle à son habitude, Romain était parti plonger. L’enfant n’évalua pas le temps qui s’écoula ensuite, un délai sans importance qui ne représentait pas une quantité mesurable à son âge. Quand sa mère réapparut longtemps après le déclin du jour, le visage transformé par l’inquié-tude qui lui ôtait le bonheur qu'elle exhibait plut tôt, elle dit : « Ton père n’est pas encore rentré ! »

Un constat s'entendait dans l'intonation de sa voix qui ressemblait autant à une interrogation qu'à l’affolement d’une mère habituée à ce que son mari rentre toujours à l’heure. L'enfant demeurait en dehors de tout soupçon, pendant qu'elle était hantée par l'idée d’une trahison, qu’elle accumulait ses incertitudes comme un fouillis qui s’affichait sur sa face dépitée.

Puis le noir de la nuit s’intensifia et l’agitation de Flore aussi. Gabriel dormait déjà quand un bruit de voix étouffée, à la limite de la clandestinité se faufila jusqu’à sa chambre et le réveilla. Même s’il entendait des paroles qui lui parvenaient, proche d’une chuchoterie, qu’il comprenait peu de choses à la conversation éloignée, il discernait un danger. Il demeura blotti sous les draps. Flore ne ferma pas l’oeil de la nuit soucieuse de recevoir des nouvelles de son mari. Durant cette attente interminable, elle imaginait Romain dans les bras d’une femme sans y croire. Non, impossible. Dès qu’elle songeait à un malheur, elle préférait revenir à l’hypothèse d’une maîtresse pour lui bien qu’aucune version ne soit en mesure de lui ôter sa souffrance. À l'aurore, les traits tirés de fatigue due au manque de sommeil et à un espoir trop long, elle sursauta à la sonnerie du téléphone. Les secours lui annoncèrent que Romain avait été victime d’un accident de décompression. Remonté trop vite à la surface de l’eau, l’azote s’était dilaté dans le sang, il avait succombé.

Gabriel côtoya donc la mort pour la première fois dès son plus jeune âge. Celle de son père ne le marqua pas outre mesure. Voilà l’avantage de l’insouciance, de l’inconscience de la petite enfance où la mémoire n’imprègne pas les événements comme celle d’un adolescent ou d’un adulte.

Plus tard, à l’âge de six ans, ce fut au tour du papy de quitter le monde des vivants à la suite d’un cancer de la prostate qui s’était généralisé à l’ensemble de son corps. De ce décès, il gardait en souvenir un être étendu dans le cercueil installé au bout du lit dans la chambre où le couple avait coutume de dormir. La peur l’avait envahi à la vue du visage froid, gris, immobile. Sa mère Flore l’avait