La veuve noire tisse sa toile - Marcel Procureur - E-Book

La veuve noire tisse sa toile E-Book

Marcel Procureur

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Beschreibung

Un projet de grands travaux cristallise les tensions à Huy, la ville aux quatre merveilles. Au milieu de ces rivalités, des meurtres énigmatiques surgissent. Une inspectrice qui se fait appeler la « veuve noire » se lance dans une enquête trépidante. L’intrigue se dévoile dans un mélange subtil d’émotions, entre tension, romance et humour.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Pendant sa carrière dans l’enseignement, Marcel Procureur s’est exprimé à travers de nombreux articles pédagogiques. Sa plume est restée active, guidée par une passion pour les mots justes, précis et non vulgaires qui « habillent la pensée ».

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Marcel Procureur

La veuve noire tisse sa toile

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marcel Procureur

ISBN :979-10-422-1732-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À l’attention de Liliane et Christian,

de Joëlle et Thierry.

Chapitre I

Au « Papier libre »

Mercredi 3 juillet 1963

Bernard Delattre marchait d’un pas vif et pressé. Un entretien d’embauche occupait son esprit. Pas un regard pour les citadins et les villageois fidèles au marché matinal du mercredi. Chaque semaine, la ville de Huy s’éveillait dans le brouillard rampant sur la Meuse, puis s’étirait paresseusement entre ses rues animées d’une foule colorée et bavarde. La matinée entière bruissait, sous les échoppes, de la voix des clients et des boniments des marchands. Mais Bernard n’entendait rien de cette joyeuse animation. Il ressassait les recommandations de maman : sois correct, n’interromps pas ton interlocuteur, ne montre aucun signe d’impatience…

— Après tout, pensa-t-il, j’ai terminé et réussi mes examens, je suis diplômé depuis huit jours, et je vais solliciter un emploi. Courage donc !

Et, trébuchant tantôt sur une perfide angoisse, tantôt sur un pavé rugueux de la rue Mounie, notre courageux arriva bientôt devant la façade décrépie d’une ancienne maison de maître. Une plaque de cuivre, lustrée par les ans, le renseigna : Journal Le « Papier libre ». En dessous : un carton écorné, rabougri, honteux peut-être d’offrir ce laconique message : entrez sans sonner ! Bernard s’engagea dans un long couloir sombre, faiblement éclairé par une lampe à suspension pendue à une cordelière torsadée. Une misérable ampoule jetait une diffuse clarté sur le curieux visage d’un miroir ébréché, appendu au-dessus d’une commode encombrée de revues et de publicités. Le visiteur eut un œil compatissant envers le miroir ; celui-ci, pas ingrat pour un sou, lui renvoya l’image d’un jeune homme bien rasé, bien coiffé, bien habillé. Il ajusta son nœud de cravate, lissa la pochette de soie qui sentait bon encore la rosée du jardin et la main de maman, et, résolu, il tapota à une porte vitrée, gardée par un haut portemanteau. Le crépitement d’une machine à écrire s’effaça poliment, et une voix chantonna : donnez-vous la peine d’entrer, s’il vous plaît !

Elle semblait toute petite derrière un bureau trop grand pour elle. Elle, c’était Rose Dony, la secrétaire de l’illustre patron du quotidien, Jules Lamineur dont le portrait trônait à même le manteau de marbre d’une cheminée rustique. La rosace jaunie d’un immense plafond surveillait la vaste pièce tapissée d’un papier peint à lignes, défraîchi, décollé par endroits et mettant à nu les morsures du temps. Jules, lui, dans son cadre de verre, à l’abri du vieillissement, surveillait Melle Rose à qui Bernard accorda un sourire poli.

— Monsieur Delattre, je suppose…

— Oui, Mademoiselle.

— Parfait, vous êtes ponctuel ! Jules ou plutôt notre Directeur, monsieur Lamineur, aime l’exactitude. Je vous introduis.

Rose se leva, trottina, annonça le visiteur. Les effluves d’un parfum subtil accompagnaient son joli minois. Se dégageaient-ils du bouquet de mimosas posé à côté de son téléphone ? Bernard vérifierait plus tard, peut-être…

— Soyez le bienvenu, monsieur Delattre, prenez un siège !

— Merci de me recevoir, Monsieur le Directeur.

Un court instant, Bernard le dévisagea. Jules devait approcher la soixantaine. Des touffes de cheveux blancs, hirsutes se chamaillaient de part et d’autre d’une raie tracée sur un crâne menu et des oreilles larges et velues semblaient ventiler un visage couperosé. De grosses lunettes anthracite à verres épais chaussaient un nez aquilin planté à la lisière d’une moustache roussie par l’abus de tabac.

Monsieur Lamineur s’enquit :

— Vous répondez à l’annonce, je suppose…

— Effectivement, Monsieur. Voici une copie de mon diplôme. Le patron du journal examina le document, hocha la tête et, dubitatif, lui servit :

— Vous n’avez pas suivi une formation de journaliste ?

— Non, Monsieur, je viens d’obtenir mon diplôme d’instituteur à l’École normale de Huy.

— Excellente institution, mon garçon ! Je dispute souvent avec le chef de cet établissement et quelques enseignants une partie de cartes le vendredi après-midi. Vous voyez le café au coin de la rue Delloye-Matthieu, près de l’École normale…

— Je vois très bien, Monsieur.

L’ancien élève songea : mince alors… le vendredi après-midi, je subissais le cours de mathématique. Une horreur ! Je séchais sur des équations à plusieurs inconnues tandis que, face à ma classe, dans un tripot enfumé, mon chef d’école et ses pédagogues comptaient, avec une étonnante facilité, leurs points à la belote. Incroyable !

Monsieur Lamineur, d’un ton assez conciliant, questionna :

— Puis-je savoir ce qui motive votre demande d’embauche, jeune homme ?

— À vrai dire, la région souffre d’une pléthore d’instituteurs ; soutien de veuve, j’aide maman à trouver de l’argent afin de payer le reliquat de mes études.

— Noble cause certes, mais de là à remplir la fonction de rédacteur…

— J’aime écrire, Monsieur.

— Et quoi particulièrement ?

— Mon remarquable professeur de français, peu porté sur le jeu, nous proposait toujours deux sujets de dissertation : un proverbe et une évocation poétique.

Bernard pâlit. Quelle maladresse !

Monsieur Lamineur ironisa :

— À mon humble avis, cet homme de lettres a dû aussi vous suggérer des écrits… humoristiques.

Le maladroit, interdit, se sut. Une certitude : Jules allait indiquer la porte !

La porte, en effet, s’ouvrit sans qu’on frappât, livrant passage à un habitué des lieux, apparemment de mauvaise humeur. Mlle Dony derrière l’individu gesticulait. Le patron du « Papier libre » s’exclama :

— Enfin, Rose, combien de fois vous ai-je demandé de ne pas me déranger pendant un entretien ?

— Excusez-moi, Monsieur le Directeur, Serge, désireux de vous joindre, était résolu à me passer sur le corps !

Et Mlle Rose et son parfum s’évaporèrent.

Serge Demaret, un robuste gaillard, carré de front et d’épaules, grogna :

— La séance du conseil communal se tiendra-t-elle demain, Monsieur ? Je dois gérer mon emploi du temps et planifier mon travail, moi !

— J’allais vous convoquer, cher ami ; un pli du bourgmestre me confirme la tenue de la réunion, ce jeudi, à 19 heures. Je me soucie comme vous de la planification et la politesse exigeait que j’accueille, en ce moment, monsieur Delattre, votre futur collaborateur.

Le futur collaborateur ébaucha un timide sourire : Jules l’avait engagé !

Demaret fixa « le nouveau », le salua sèchement, grinça :

— Quand débute notre collaboration, monsieur Lamineur ?

— Demain soir, à l’hôtel de ville. Serge souffla :

— Je crains, hélas, que le sujet des prochains débats n’inspire guère votre… recrue !

Le patron intervint :

— Rassurez-vous, mon ami, notre nouvel élément disserte aisément et excelle dans les évocations poétiques.

Un rire acariâtre écorcha les lèvres de Demaret :

— Ha ! ha ! ha ! Un soupçon de poésie à l’hôtel de ville, ce cloaque d’incompétence et d’hypocrisie, on croit rêver ! Peu importe… notre poète jugera de lui-même…

Jules, agacé déjà par l’irruption de son irascible journaliste et davantage par ses propos, alluma un cigare – signe d’agacement chez lui – et conclut :

— Je ne doute pas un seul instant, Messieurs, de votre parfaite entente. Je vous laisse, monsieur Demaret, à votre agenda. Invitez Rose à nous rejoindre pour constituer le dossier de votre collègue. Une chose encore : en traversant le bureau de notre précieuse secrétaire, ne passez pas sur son corps, car chaque rose a ses épines… Votre avis, monsieur Delattre ?

Chapitre II

La grande percée

Le soleil rôdait encore autour de la Grand-Place, embrasait de ses derniers rayons les respectables demeures bourgeoises, se faufilait entre les fers forgés de sa célèbre fontaine Li Bassinia. Il semblait fatigué d’avoir illuminé cette tiède journée de juillet et, doucement, il fermait ses paupières à l’image des commerçants alentour qui abaissaient stores et volets sur leur devanture et leur amertume… Amertume ou colère ? On jugerait ce soir, lors du conseil communal, tant attendu par une large frange de la population. C’est que le sujet de l’ordre du jour – la grande percée – ne laissait personne indifférent ! Le projet d’abattre plusieurs immeubles et commerces d’une partie de la rive droite, afin d’ériger une imposante artère, alimentait les conversations, entretenait la polémique, réjouissait les uns, fâchait les autres. Mais aujourd’hui, après moult reports des élus locaux, une décision devait tomber ! Alors, on vit se presser, sur les marches du perron de l’hôtel de ville, vieux, jeunes, boulangers, cordonniers, tailleurs… et les nombreux artisans et boutiquiers inquiets pour leur avenir.

— Ah ! vous voilà, lança Demaret, en consultant sa montre.

Bernard, surpris, répondit :

— Monsieur Lamineur apprécie la ponctualité, je crois.

— Autant vous le dire de suite, monsieur Delattre, j’aime travailler seul. Certes, vous pouvez m’accompagner sur les travées réservées à la presse, toutefois, entre nous, pas d’échange ! J’ai mon style : implacable, sans concession envers les turpitudes du pouvoir ! Et mes lecteurs apprécient…

Bernard répliqua :

— Je ne doute pas de la pertinence de vos articles, Monsieur, et, d’ailleurs, je n’ai pas la prétention de m’asseoir à côté de vous, de m’immiscer dans votre pratique. Modeste stagiaire, je me mêlerai à la foule et tâcherai de percevoir les réactions et les sentiments des Hutois.

— Vous traduirez vos émotions à travers une évocation poétique, je suppose ? Pauvre naïf ! Écoutez plutôt Charles Libois, le bourgmestre, le voici escorté de ses sbires, d’authentiques pantins inféodés !

Un huissier, solennellement, réclama le silence, annonça le collège. Quelques murmures encore, puis les paroles du premier magistrat :

— Mesdames, Messieurs, chers administrés.

Vous n’ignorez pas que la majorité de nos mandataires envisage, depuis plusieurs mois, de dynamiser le cœur de notre cité en éradiquant certains chancres moyenâgeux qui freinent notre entrée dans le vingt et unième siècle, très proche. Nous avons acté les soucis bien légitimes de nos concitoyens, préoccupés par la perspective de lourds chantiers. Nous tenons à les rassurer et…

Un homme se leva, le coupa :

— Excusez-moi, monsieur Libois, nous connaissons vos arguments. Une fois n’est pas coutume, nous aimerions entendre Gaston Dufour, l’échevin chargé des relations commerciales. Censé défendre nos enseignes, il ne s’épanche guère sur notre sort. Étonnante discrétion, même au comptoir des cafés où, jadis, avant d’obtenir son mandat, il s’enivrait et enivrait le bon peuple de propos fallacieux.

Le bourgmestre, déterminé, intervint :

— Monsieur, je ne vous permets pas de salir mon collègue Dufour, élu démocratiquement. Présentez-vous d’abord !

— François Tussot, armurier, demeurant rue Sous-le-Château. Sauf votre respect, Monsieur, vous et votre équipe vous assassinez le commerce de proximité ! On applaudit.

Quelqu’un cria :

— Oui, vous assassinez nos familles et notre passé, sans les armes de Tussot, mais à l’aide d’un programme lié au cordon de vos bourses ! Ce judas de Dufour mérite la pendaison à ce cordon !

— Du calme, du calme ! tempêta le bourgmestre.

Il s’accorda un court répit, le temps d’imaginer une diversion, puis fit :

— Je vous propose d’écouter l’ingénieur responsable des éventuels travaux.

L’appelé se présenta et argumenta, mélangeant fondations, remblais, décharges, comme si, déjà, il gâchait du mortier. Peu désireux de patauger dans les égouts et caniveaux de la ville, Bernard promena son regard parmi l’assemblée. Entre les talus et les maçonneries du technicien, il distingua une allée séparant l’hémicycle de l’estrade de Judas. Là, ô surprise ! Monsieur Demaret conversait en galante compagnie.

— Tiens, remarqua le stagiaire, Serge a abandonné son banc. Une fidèle lectrice vraisemblablement…

Le professionnel de la construction continuait d’ennuyer et d’éloigner les contestataires de leurs réelles revendications lorsque l’huissier se présenta et déposa un pli sur la table des décideurs politiques. Le premier magistrat examina l’enveloppe frappée des mots : confidentiel – À remettre, avant le vote, à monsieur Charles Libois. Celui-ci ouvrit la lettre, la parcourut. On le vit alors pâlir, chuchoter à l’oreille de son voisin. Après quoi, il interrompit l’exposant, et la voix grave jeta :

— Chers concitoyens, un événement imprévu m’oblige à suspendre la séance. Nous devons nous retirer ; nous reprendrons les débats sous peu. Merci pour votre compréhension. Naquit ensuite un vague mouvement de protestation où se mêlaient curiosité, supputations, indignation. Les opinions se divisèrent, les discussions portèrent sur les faits divers, les exploits sportifs, l’actualité et le mécontentement s’éteignit gentiment.

Dans un local privé, Libois ne décolérait pas.

— Lisez, mes amis !

La missive passa de main en main ; les traits se crispèrent.

Gaston Dufour insinua :

— Une sinistre plaisanterie, Charles…

Le maïeur hocha la tête :

— Difficile à dire… Votre avis, Messieurs ?

Et ces messieurs lurent et relurent ceci :

Li Cwèrneû annonce qu’il y aura vengeance par la pierre, l’eau, la corde et le feu si le projet de la grande percée est décidé et défigure ainsi Huy et ses quatre merveilles.

Le premier échevin André Fonsny questionna :

— Ne trouverait-on pas ici un policier de service ?

Charles Libois, irrité, rétorqua :

— Un agent est requis à chaque conseil ! Le solliciter publiquement accroîtrait la tension et échaufferait les esprits, Fonsny !

Manifestement, Charles et André ne s’entendaient guère !

Gaston osa :

— On pourrait boire un petit verre, histoire de nous détendre…

Pierre Lerois, un brave, voué à l’environnement, pétri de bon sens, trancha :

— Tu es ridicule, Gaston ! Nous sommes menacés et tu penses à festoyer. Réfléchissons… Demandons plutôt l’avis du commissaire de police.

Charles acquiesça, prit le combiné téléphonique.

À ce moment, au commissariat de la rue l’Apleit. Le commissaire Joseph Gilsoul, alias Jos, la cinquantaine, mince, maigre, du haut de ses jambes arquées, s’adressait à sa brigade et à sa dévouée inspectrice :

— À l’occasion de votre départ à la retraite, madame Pinchard, le personnel vous souhaite d’éternelles années de bonheur, loin des soucis du quotidien. Je m’en voudrais de ne pas rappeler votre parcours exemplaire au sein de notre gendarmerie. Ainsi, vous avez débuté…

Anémone Pinchard paraissait voyager parmi ses souvenirs. Elle avait trotté partout, dans la fange de quelques crimes sordides, avait démêlé d’inextricables situations, piétinant parfois des préjugés tenaces, d’inquiétantes menaces. Depuis peu, des ennuis de santé la forçaient à se déplacer en chaise roulante. Et pourtant elle gardait et cultivait son légendaire sourire qui embellissait un visage toujours entretenu avec un soin jaloux et marqué par des yeux noisette pétillant sous des cils étonnamment longs. Ses lèvres qu’elle couvrait d’un rouge garance ne cachaient jamais la vérité et, souvent, se révélaient une arme fatale…

Jos terminait son discours quand le téléphone sonna.

Un adjoint décrocha :

— Pour vous, chef !

— Allô… oui… Mes respects, monsieur le Bourgmestre… Quoi ? Inimaginable de quitter mes invités, nous pensionnons Madame Pinchard. Non… cela constituerait un véritable affront pour cette remarquable collaboratrice ! Exposez-moi les faits… Un canular peut-être… Je vous rencontrerai demain. Une suggestion : reportez le vote et rentrez prudemment chez vous… Bonsoir, monsieur Libois.

Joseph se tourna vers la retraitée :

— La vie ne ressemble guère à un long fleuve tranquille, Madame Pinchard ! Enfin… Apprécions cet instant festif et trinquons à votre santé.

Ce dont rêvait Gaston au conseil communal en méditant devant la menace du Cwèrneû…

Chapitre III

Fuite dans la presse

Un rideau de tulle venait de retomber sur une fenêtre du second étage de l’hôtel de ville.

— Enfin, Gilsoul arrive et avec du renfort, bougonna le bourgmestre Libois, qui, nerveusement, arpentait le parquet de son bureau. Il sonna un huissier.

— Gustave, ayez l’obligeance d’accueillir le commissaire et de l’aider à pousser la chaise roulante de la veuve noire. On avait affublé madame Pinchard de ce surnom depuis que son mari avait succombé, à l’aube de leur union, à ses blessures encourues lors d’une partie de chasse. Un regrettable accident avait conclu l’enquête. Anémone, persuadée qu’il s’agissait d’un lâche assassinat, retourna ciel et terre afin de retrouver le coupable. Elle parvint à le confondre et sa ténacité lui valut son sobriquet dont elle ne cherchait pas à se débarrasser. Elle portait d’ailleurs, au cours de ses investigations, une éternelle cape noire ourlée d’un large col rouge, à l’image de l’araignée du même nom. Et, comme l’arachnide, toujours, elle tissait une toile, attendant patiemment sa proie…

Le premier magistrat de la ville dépliait le journal du matin.

— Diable, marmonna-t-il, les nouvelles circulent vite ! On frappa ; Gustave introduisit les enquêteurs.

— Soyez les bienvenus… Madame, Monsieur, prenez place, mes fauteuils vous tendent les bras, fit Charles Libois.

La veuve noire, sarcastique, grinça :

— J’occupe, hélas, déjà un siège, guère enviable, Monsieur.

— J’imagine… Laissez-moi vous féliciter pour votre brillante carrière. Vous voilà à la retraite aujourd’hui.

Le commissaire corrigea :

— Pas encore, Monsieur. Officiellement, madame Pinchard sera pensionnée à la mi-septembre.

Charles, sourcilleux, glissa :

— Mais… vous festoyiez lorsque, très inquiet, je vous ai téléphoné.

— Effectivement. Mon personnel avait convenu d’une réception amicale à la veille des vacances. Geste sensible et approprié, car les congés entraînent une dispersion des troupes.

— Je comprends. Malgré votre absence, mes collègues et moi-même avons sagement pu rejoindre notre domicile. Néanmoins, nous avons été conspués à notre sortie par l’assemblée à qui il a fallu fournir une explication… quelque peu imaginaire.

— Laquelle ?

— Ma pauvre maman, hospitalisée d’urgence ! Qu’importe… Je pense plus utile de vous montrer la lettre de menaces dont nous sommes l’objet.

Joseph Gilsoul saisit l’écrit, l’examina et déclara :

— Une plaisanterie…

— J’aimerais jeter un coup d’œil, murmura la veuve noire.

L’inspectrice lut, jugea le contenu, sa forme, avant d’émettre une opinion :

— S’il s’agit d’une plaisanterie, elle émane d’un personnage assez intelligent !

— Pourquoi cette affirmation, Madame ? interrogea Charles.

— Je ne reconnais pas le style habituel des envois anonymes reçus généralement à la gendarmerie. L’auteur ici a utilisé des termes particuliers, subtils, faisant référence aux quatre merveilles de Huy et à quatre types de… vengeance. Machiavélisme ? Qui se cache derrière cette prose, monsieur Libois ? Des adversaires politiques, des individus hostiles à la perspective des travaux de la grande percée ?

— En réalité, confia le bourgmestre, l’opposition, certes, réfute notre visée et l’Association des commerçants grogne fortement.

Le plus virulent des contestataires demeure l’armurier François Tissot. Il tire – c’est le cas de le dire – à bout portant sur toutes les décisions de la ville, s’épanche dans la presse locale, mais de là à imaginer un acte malveillant de sa part… il y a une marge. L’homme, le mois dernier, a perdu son épouse, et il éprouve mille difficultés à éduquer son fils de vingt ans. Tenez en parlant de la presse, voyez ceci.

Et il tendit à Anémone la récente édition du « Papier libre ». Figurait cet articulet :

La séance du conseil communal de ce jeudi a été subitement écourtée alors que la majorité subissait les foudres d’une population réticente au fameux projet de la grande percée. De bonne source, il nous revient que les élus locaux, lors de la réunion, avaient pris connaissance d’une menace les concernant. Une missive signée Li Cwèrneû peut-être… Folklore ou réalité ? – Affaire à suivre…

Madame Pinchard s’enquit :

— Une fuite dans la presse, monsieur Libois ?

— Je le suppose… J’avais, cependant, recommandé à mes collaborateurs la plus totale discrétion. Ont-ils respecté mon souhait ? Je les ai sentis très perturbés à la lecture des menaces. Sont-ils rentrés directement chez eux après ce fâcheux incident ? Je sais que Gaston a l’habitude de boire un verre aux Caves d’Artois, le café juste à côté de l’hôtel de ville.

Le commissaire l’interrompit :

— Qui est ce Gaston ?

— L’échevin du commerce, un gentil garçon, je précise, hélas, un impénitent bavard, et, quand il a bu quelques bières, il devient intarissable…

— Travaille-t-il ici en ce moment ?

— Je vais m’informer.

Pendant que le maïeur appelait Gustave, Anémone sollicita son supérieur :

— Le message du Cwèrneu rassemble des mots découpés parmi des quotidiens. Prudence ou erreur de l’expéditeur ? Combien de journaux sont-ils publiés dans notre cité, commissaire ?

— À ma connaissance, trois, auxquels on ajoutera les multiples publicités. Pas simple d’effectuer un tri, Madame.

— Nous devrons pourtant nous y atteler, déterminer la provenance des termes prélevés si nous espérons dénicher un semblant de piste !

— À qui confier ce travail de… bénédictin, inspectrice ?

— J’ai ma petite idée…

L’huissier se présenta. Le bourgmestre demanda :

— Dites-moi, Gustave, l’échevin Dufour est-il dans son bureau ?

— Non, monsieur. Gaston vient rarement le lendemain d’un conseil.

— L’avez-vous vu, par hasard, entrer hier soir aux Caves d’Artois ?

— La nuit, tous les chats sont gris, Monsieur.

Joseph intervint :

— Avez-vous personnellement déposé le pli sous les yeux de monsieur Libois ?

— Sans aucun doute.

Il enchaîna :

— Qui vous a remis cette correspondance, Gustave ?

— Personne ! L’enveloppe était punaisée sur la porte de ma loge. Je l’ai découverte peu après l’ouverture des débats.

— Excusez-moi, Monsieur, fit l’inspectrice, cette lettre aurait-elle pu se trouver là dès le début des interpellations ?

— Non, Madame, je l’aurais remarquée, car j’enfile toujours mon costume de cérémonie cinq minutes avant la séance. À 19 heures précises, j’annonce l’entrée du collège… une tradition ! Ensuite, je regagne ma loge. J’ai repéré ce… courrier à cet instant.

— D’autres questions ? risqua Libois.

— Pas pour l’instant, grogna Joseph.

— Parfait ! Je vous remercie, Gustave.

Un carillon tintinnabula.

— Eh bien, maugréa le bourgmestre, nous ne sommes guère avancés…

Le commissaire décida :

— Permettez-nous d’emporter le pli du « Cwèrneû ». Nous l’examinerons et approfondirons les recherches ; nous vous tiendrons au courant. Si, de votre côté, un renseignement vous parvenait, informez-nous.

La veuve noire ajouta :

— Un conseil, monsieur Libois : ne tardez pas à aller rechercher votre maman à l’hôpital !

Interloqué, le premier magistrat clama : vous plaisantez… elle n’y a jamais été !

— Je le sais parfaitement, mais quelqu’un pourrait être tenté de vérifier…

— Et alors ?

— Alors cette personne mal intentionnée s’autoriserait, peut-être, une nouvelle fuite dans la presse…

Chapitre IV

Le vieil homme et le Hoyoux

Bernard s’attardait devant l’étalage d’un magasin de vêtements.

— Je ferais bien de m’acheter un nouveau costume, songea-t-il.

Mais voilà que l’immense vitre de l’établissement lui renvoya l’image d’un homme et de son chevalet.

Bernard se retourna : un peintre semblait méditer face au Hoyoux coulant à ses pieds.

— Au diable, la mode, se dit-il, sa toile m’intéresse ! Et il traversa le pontet qui enjambait l’affluent de la Meuse, s’approcha de l’artiste.