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Sur l'aérostat qui la transporte, Esther contemple une ville qui s'approche. Elle inspire profondément, puis va tirer une balle à bout portant dans le torse de son futur mari. Des années auparavant, encore adolescente, elle et son père arrivent dans la vertigineuse "Cité Céleste", connue et enviée d'autres gouvernements pour sa richesse, ses prouesses technologiques et son idéologie de liberté nouvelle pour ses citoyens. Son père aura un emploi, elle recevra une éducation, et devra trouver sa place dans cette nouvelle vie, tandis que la cité se replie doucement sur elle-même pour se protéger du conservatisme extérieur. Elle se retrouvera malgré elle entraînée dans des évènements qui la marqueront profondément et la conduiront à la frontière ténue entre acceptation résignée et révolte implacable... Le Chant d'Élyana est une fiction teintée de steampunk post-victorien, dans une dystopie où les bonnes intentions ne sont jamais... que des intentions.
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Seitenzahl: 177
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Tout est vanité.
Ecclésiaste 1 : 2
Sommaire
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 1
Esther contemple, par-delà la rambarde, une ville qui s’avance. Le vent qui s’engouffre dans ses longs cheveux roux ne l’émeut plus. L’ombre s’installe, insidieusement, partout, tandis qu’ils plongent sous l’épaisse nappe de fumée et de brume. Les hélices font un bruit colossal sans être assourdissant. Peut-être parce qu’elle n’écoute plus. Son corset de cuir terni l’enserre de plus en plus, à mesure que son souffle se fait pressant. Elle a remonté les manches de son chemisier de lin blanc, et la robe de dentelles rouge et noire à moitié cachée sous le corset est légère : rien ne doit entraver ses mouvements.
Derrière elle, un maigre capitaine élancé avance d’un pas pressé sur le pont du dirigeable. Elle tourne à peine la tête pour regarder son dos, puis de nouveau se perd sur les façades des bâtiments qu’elle distingue de plus en plus nettement.
Son regard se fait mélancolique, son souffle plus lent. Elle sent l’inéluctable, l’aime même un court instant.
Elle ferme les yeux et peut à nouveau sentir le vent, tandis qu’un morceau de papier s’échappe de ses mains.
Des années auparavant, son père et elle entraient par l’immense porte de la « Cité Céleste ». Elle avait trouvé le nom pompeux et le concept ridicule, jusqu’au moment où elle l’avait vue apparaître au loin. L’émerveillement d’une adolescente devant cette vision d’une esthétique pensée pour impressionner le visiteur (aussi rare fût-il) avait surpassé sa peur et son rejet du changement.
Elle avait suivi son père, recruté de manière obscure pour fondre du laiton, et dans la surpopulation de l’époque, un travail offert était rarement refusé, même si les tenants et aboutissants n’étaient pas toujours très clairs.
La cité avait pris son essor au début du siècle précédent, mais son avancée technologique, qui l’avait érigée au rang de mythe datait de bien moins longtemps.
L’association d’une poignée de riches nobles, de penseurs avant-gardistes, et de jeunes chercheurs avait permis de moderniser les infrastructures très rapidement, donnant naissance à des machines jamais vues alors.
Aujourd’hui la cité reste florissante, mais est désormais close, et Esther se retrouve debout sur le pont d’un aérostat qui s’apprête à fondre sur une capitale voisine, accompagnée d’une armée d’autres vaisseaux construits dans les entrailles de cette cité.
Elle se tourne : Haddias vient de sortir du poste de commande. Elle le regarde et, la main dans le dos, s’avance vers les quelques hommes qui accompagnent son futur mari, tranquille mais à pas soutenus, tandis qu’ils discutent de leur mission.
En une seconde, elle dégaine un pistolet d’un fourreau attaché derrière son corset, manque sa tête, mais vise ensuite son torse à bout portant, puis, sans arrêter son mouvement, court vers l’autre côté du pont, d’où elle n’aura certainement aucune chance de fuir.
Son arme, et quelques larmes passent inaperçues en s’écrasant sur le plancher auparavant immaculé.
Chapitre 2
À la fin du printemps 1912, quelques années plus tôt, la jeune fille avance un pas derrière son père, lorsqu’ils arrivent au poste de garde, ou plutôt, à la « station d’accueil », un petit cabanon sobre, en bois. Son père pose sa valise et sort quelques papiers de la poche intérieure de sa veste, qu’il tend à l’un des gardes, ou plutôt, l’un des « agents d’accueil ». À côté du cabanon, au milieu des parois de la montagne, une immense porte est encastrée dans ces murs de pierre, hauts de quelques dizaines de mètres. La porte elle-même est suffisamment haute et large pour faire passer un petit aérostat. Elle est constituée principalement de pierre sculptée, et sur son côté gauche, à son sommet, quelques rouages gigantesques sortent de la pierre, chacun plus grand qu’un homme.
Ils sont sept à être arrivés par le dirigeable affrété pour l’occasion. Elle les a observés pendant le trajet. Il y a une famille avec deux enfants, un garçon et une fille que les parents ont appelés John et Cassie, tous habillés très élégamment dans des costumes de tweed et robes à volants quelque peu élimés mais qui avaient dû être d’excellente qualité. Ils ont certainement mis leurs habits du dimanche pour faire une bonne première impression. Il y a elle et son père, qui a ressorti pour l’occasion son chapeau melon beige et son costume de coton assorti. Et il y a Mme. Riya. Ou Riya tout simplement, elle ne savait pas trop. Mme. Riya s’était juste présentée avec un sourire formel (sans sembler hypocrite) en montant à bord. C’est une femme aux cheveux grisonnants, extrêmement bien habillée dans une robe à épaulettes et arborant un chapeau haut-de-forme, rare chez une femme de son âge.
Tous sont probablement là pour venir travailler à la cité, les touristes empruntent généralement plutôt des vols commerciaux. Il n’y en a plus beaucoup.
L’aérostat qui avait été affrété pour eux était luxueux : c’était ces nouveaux dirigeables où le salon et les cabines se trouvaient sous le pont supérieur, surplombant l’immense ballon qui portait cette masse de métal, de bois, de chair et de sang.
Esther a un peu froid : elle porte encore son pantalon de toile noire et légère, ses vieilles bottes, sa ceinture basse accompagnée de pochettes de cuir, mais, pour l’occasion, elle avait sorti du placard le serre-taille court de sa mère, qu’elle pouvait maintenant porter, bien qu’il lui donne l’air trop bien habillée à son goût. Sous le serre-taille, le vieux chemisier blanc qu’elle portait depuis ses douze ans la réconforte un peu.
Une fois tous les voyageurs contrôlés, « l’agent d’accueil » se saisit du téléphone chandelier dans la petite maisonnette. Un grand bruit se fait entendre, comme un immense loquet qui daigne s’ouvrir, et la lourde porte se trouve entraînée par les engrenages en rotation. L’ouverture a certainement été commandée à distance, ce qui ne manque pas de fasciner et de surprendre certains des visiteurs peu habitués à ces prouesses technologiques. Les battants de la porte se mettent en mouvement, tirés par des pistons d’un extravagant diamètre de l’autre côté, pour révéler aux arrivants la véritable entrée de la cité, l’ancienne entrée disaient certains habitants, celle, magnifique, qui datait d’une époque où nul ne pensait que la cité aurait besoin de se fermer au monde extérieur.
Un immense escalier de dalles claires monte au milieu des pierres, et de quelques arbres ponctuant l’aridité du sol rocailleux, vers une plate-forme dite « d’embarquement » : un quai semblable à celui d’une gare les verrait attendre un train pour la « cité intérieure », par-delà la montagne. Le Conseil de la cité tient beaucoup au fait que l’ensemble de l’enceinte, jusqu’à la porte extérieure, soit considéré comme leur territoire, même si en réalité aucun habitant n’est jamais venu résider ici. C’est surtout une considération politique : poursuivre un rêve un peu utopique d’indépendance de toute la cité, et protéger les ressources potentielles de la montagne. La cité n’est pas encore assez puissante pour prétendre à une sécession, et agrandir sa superficie lui permet d’avoir plus de visibilité sur les cartes, et de se préparer une souveraineté territoriale sur presque toute la chaîne de montagnes.
Esther languis, assise sur sa valise près d’un banc où son père et les parents de John et Cassie attendent leur navette. Mme. Riya est au bout du quai, scrutant quelques sculptures qui ornent chaque angle de la plate-forme. La scène semble à Esther presque irréelle : le quai immensément long est quasiment désert et le décor n’est certainement pas habituel : la grande porte d’un côté, des murs de pierre dans son prolongement, et un « trou » sombre dans la montagne, duquel sortent des rails plongeant de l’autre côté du quai dans un autre « trou ». Par-delà les rails, un autre mur de roche, une haute falaise donne à cet endroit l’image d’une enclave taillée à même la montagne. Le quai est également vide d’aménagements, si ce n’est quelques bancs, une horloge suspendue à un lampadaire, et ces sculptures de part et d’autre de la plate-forme, dans les angles donnant sur les rails. Personne ne parle, et on n’entend pas même le vent s’engouffrer quelque part. Non, décidément, cette scène n’a rien de réelle, ni même de rassurant. Esther se sent piégée comme dans un conte surréaliste où les personnages, s’ils pouvaient être conscients de leur présence dans ce conte, voudraient en sortir à tout prix pour revenir dans le vrai monde.
Et plus elle regarde autour d’elle, plus la seule issue, depuis que la porte s’est refermée, lui semble être le ciel au-dessus de leurs têtes.
Son père lui parle à voix basse, comme s’il ne voulait déranger personne :
— Je sais que c’est pas ce que tu voulais, mais…
Il réfléchit un instant.
— Je suis désolé…
— Pas grave, papa, répond Esther.
Elle voudrait rassurer encore son père, qui, clairement, culpabilise de les avoir déracinés tous les deux. Mais elle n’a pas le cœur à faire cet effort, le silence est plus facile pour tenir le coup.
Elle se dit que ça aurait pu être pire. Le père de son ami Jonah s’était pendu quand il avait perdu son travail. Et Jonah avait disparu du quartier du jour au lendemain. D’autres histoires entendues par chez elle étaient encore plus tragiques, en particulier celles lues dans les journaux. Effectivement, ça pourrait être pire…
— Ça pourrait être mieux aussi… murmure-t-elle à voix basse pour que nul ne l’entende.
Un vacarme de roues métalliques sur des rails tout aussi métalliques se fait entendre au loin, et son écho dans la montagne également. Des lumières jaillissent de la galerie creusée : sur la gauche du quai le train apparaît, un simple wagon emmené par une petite locomotive à vapeur. La mère de John et Cassie les appelle en se levant, tandis que leur père se saisit de deux immenses valises. Esther se lève et attrape ses propres bagages. Elle soupire machinalement. Son père vient se tenir près d’elle pour attendre l’arrêt du véhicule.
Mme. Riya vient se placer au niveau de l’horloge. Esther s’étonne de n’avoir pas remarqué plus tôt qu’elle n’avait pas de bagage.
Un homme et deux femmes poussent les portes de l’intérieur puis sortent à la rencontre des nouveaux arrivants. L’homme s’arrête à distance égale de tous les voyageurs, tandis que les femmes viennent saluer et accueillir chacun en particulier. Ils portent tous les trois un uniforme digne d’un personnel hôtelier avant-gardiste : l’homme porte une veste décorée, sans manches, de très mauvais goût, pense Esther. Les femmes ont une longue jupe à volants de même couleur, par-dessus des bottes de cuir, surmontée d’un chemisier et d’un corset brun aux fermoirs en or.
« On aura peut-être bientôt tous le même bel uniforme… » se moque Esther en elle-même, avec un mépris certain.
Les deux femmes, l’une brune l’autre blonde (« il en faut pour tous les goûts » pense encore Esther en regardant ailleurs) distribuent salutations, bises, et cadeau de bienvenue : un collier composé d’une chaîne et d’un pendentif, fait d’une pierre translucide de couleur différente pour chacun. Celle d’Esther est verte. Elle regarde autour d’elle : John et Cassie, tous deux fascinés par ces cadeaux et par les femmes qui les avaient offerts, ont respectivement des pierres violette et verte. Esther n’arrive pas à voir celles des autres voyageurs qui déjà sont à bord, invités à s’installer par un discours appris par cœur et récité par l’homme tout au long de la « chorégraphie » de ses collègues féminines.
Esther rentre à son tour, et dans le wagon spacieux, elle s’assoit sur l’un des nombreux et luxueux fauteuils en bois vernis, se faisant face deux par deux. Une table basse se trouve au milieu de chaque groupe de quatre fauteuils, à peine assez grande pour y poser un livre. Le sol est recouvert de parquet et tout semble presque neuf, hormis une petite griffure contre un mur. Ce train est soit très peu utilisé, soit minutieusement nettoyé.
— Surement les deux, pense Esther.
Son père a pris place sur le fauteuil adjacent à celui qui lui fait face. Elle regarde par la fenêtre opposée l’extrémité du quai arriver puis disparaître, mais bien vite le wagon s’engouffre dans une grotte et seules quelques lampes, une sur chaque petite table et quelques-unes aux murs (toutes très faibles) permettent encore de voir l’intérieur, tandis que l’extérieur devient un noir profond.
Le trajet dans l’ombre dure presque une dizaine de minutes : Esther tente de s’occuper comme elle le peut, essayant de distinguer le conducteur du train à travers les petites fenêtres des portes du wagon et de la locomotive : il est cloîtré dans une étroite cabine à peine à quelques pas devant elle. Elle tente également de débusquer la moindre imperfection dans ce mobilier. L’une des hôtesses d’accueil l’interrompt dans ses observations pour proposer à elle et son père un rafraîchissement offert par la cité, de l’eau ou des alcools, principalement. Elle commande une bière pour plaisanter autant que pour provoquer, qui lui est servie à sa grande surprise et à celle de son père, qui n’ose rien dire, persuadé qu’elle n’en boira pas.
Effectivement, elle n’ose pas y toucher devant des inconnus. Là d’où elle vient, elle est encore loin d’avoir atteint un âge où l’on est autorisé à boire de l’alcool.
Après un temps qui lui semble plus long qu’il n’est, une lumière semble venir de l’avant, et les yeux bleus-gris d’Esther sont attirés par les quelques rochers de la grotte qu’ils traversent, désormais visibles. Puis, enfin, leur véhicule s’extirpe de l’ombre et jaillit de la paroi abrupte de la montagne. Esther regarde par la fenêtre à sa gauche, et se retrouve bouche bée bien malgré elle.
Chapitre 3
La vision d’Esther en cet instant lui semble idyllique : le train avance à allure soutenue sur un pont traversant un immense lac au milieu duquel elle aperçoit une large colline verdoyante tapissée de hauts bâtiments clairs indénombrables qui se détachent dans le bleu du ciel, curieusement limpide en cet endroit.
Au sommet de cette colline siège un édifice plus grandiose et imposant encore, qui pourrait être pris pour religieux par qui ne connaît rien à l’histoire de cette cité : le célèbre Forum, voulu pour être le centre de partage culturel de la ville, mais surtout utilisé comme siège du Conseil Public de la cité, ainsi que pour attirer de riches touristes, à l’époque où ils venaient en nombre. C’était l’argument central des anciennes publicités faites à la cité par elle-même auprès du reste du pays, et des pays, et publiés dans tous les grands journaux : un lieu ouvert, dynamique, innovant, libre.
La montagne qu’ils viennent de transpercer fait partie d’une chaîne entourant le lac, lui-même encerclant complètement la colline, cachée au reste du monde par les hautes parois rocheuses. Une partie d’Esther sent que ce voyage en train est un moyen de plus de contrôler l’entrée (et la sortie) de la cité, mais le reste de son sens critique est subjugué par cette ville scintillante issue d’un conte de fées.
Le soleil de la fin d’après-midi se reflète sur l’eau, ce qui ajoute à l’esthétique présentée aux arrivants, et encore une fois une part d’Esther se dit que l’heure de leur vol en aérostat et l’attente sur le quai dans la montagne étaient destinés à leur montrer cette cité sous la meilleure lumière, pour que cette vision soit la plus glorieuse possible. Le reste d’elle-même se sent transporté quand une volée d’oiseaux passe juste au-dessus du train. Esther ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire émerveillé en les voyant s’éloigner par les fenêtres de l’autre bord.
Elle ne le remarque pas mais en voyant ce tableau magnifique, son père s’enfonce dans l’introspection et le doute : a-t-il bien fait de venir ici ? Avait-il le choix ?
« C’est complètement stupide ! » pense-t-il aussitôt, conscient de l’impossibilité de répondre à ces questions. Il pose les regards sur sa fille, puis sur les deux enfants derrière elle qui regardent par la fenêtre et s’émerveillent également. Il repense à Esther quand elle était bébé, et se surprend à s’adonner à quelques pensées noires.
La traversée du lac prend encore quelques minutes, puis les passagers, sentant la cité arriver, se figent peu à peu, attendant d’enfin pouvoir contempler de près ce paysage lointain que les fenêtres du train leur avaient vendu. Le wagon passe par un court tunnel dans lequel il ralentit, pour arriver lentement à leur destination finale. Tous les passagers, excepté John et Cassie, se préparent machinalement à descendre tandis que le véhicule s’arrête, oubliant temporairement cette curiosité urbaine qui les ferait regarder par les fenêtres encore et encore. Au lieu de cela, ils attendent d’être descendus pour contempler, acceptant inconsciemment le jeu de la présentation léchée et réfléchie d’une cité incroyable et merveilleuse, qui sait également très bien se vendre.
Et, chacun leur tour, ils descendent par la porte avant du wagon.
Les parents de John et Cassie d’abord, puis les enfants, le père d’Esther, et Esther elle-même. La première chose qui retient son regard est le chef de gare regardant la montre à gousset enchaînée à sa poche. « Et celui-ci, à quoi sert-il ? » se demande-t-elle, persuadée que ce train ne circule tout au plus qu’un jour par an.
Puis, ses yeux se lèvent et avec eux son admiration : devant elle un magnifique bâtiment du siècle dernier fait office de gare, avec une grande entrée sans porte surmontée d’une arche en pierre menant au grand hall. De chaque côté, de hautes fenêtres aux montants en fer forgé permettent au soleil d’illuminer ce hall vide. Plus loin, sur la gauche des voyageurs, là où le soleil ira se coucher, on devine dans le prolongement des rails un quartier industriel, vers lequel on ne peut se rendre à pied de là où le train s’est arrêté : l’extrémité du quai est fermée par d’anciennes et hautes grilles. Derrière la gare, bien plus loin sur la gauche, on devine de plus grands et massifs bâtiments, et, plus loin encore, quelques pâturages verdoyants qui semblent inatteignables. En faisant quelques pas de côté, derrière la grande horloge de la gare, Esther aperçoit au milieu de la masse dense des buildings, de nouveau le Forum, construit près du sommet de la colline, lui conférant domination sur le reste de la cité, et sur toute cette île.
— Bienvenue à la Cité Libre ! Ou bien, Cité Céleste, si vous préférez, mais tout cela fait un peu orgueilleux !
Le chef de gare jovial les salue derrière sa moustache blanchie et dans un uniforme semblable à ceux du personnel du wagon, mais évoquant un plus haut gradé.
— La première fois, ça fait toujours bizarre ! lance-t-il en riant. La vue est impressionnante où que vous vous trouviez ici ! Enfin, sauf là-bas !
Il désigne le quartier grillagé en riant à nouveau.
— Il faut bien alimenter tout ça en électricité et en machineries après tout ! Je suis Morton, continue-t-il, ravi de vous rencontrer ! Monsieur et Madame… Christiansen ?
Il regarde son calepin.
— Avec vos enfants John et Cassie. Salut ! Vous devez être Esther et là-bas (il désigne son père qui range méticuleusement les billets de leur long trajet dans sa valise), votre père je suppose ?
Elle acquiesce.
— Et il nous reste, la meilleure, Mme. Riya, plus radieuse que jamais !
— Toujours aussi charmeur Morton !
Quelques bises sont échangées, Mme Riya est donc une résidente de la cité, se dit Esther. « Elle n’est pas comme nous » pense-t-elle sans s’en rendre compte.
Esther avait posé sa valise pour contempler la cité, désormais elle la reprend en tournant le dos aux bâtiments et à son héraut de gare. Elle jette un regard au wagon puis tourne la tête vers le tunnel par lequel ils sont arrivés. Elle soupire intérieurement à l’idée de ne bientôt plus pouvoir revoir les rails, et la montagne à travers laquelle ils ont été jetés ici.
— Nous vous avons réservé un bel appartement, meublé, poursuit le chef de gare, s’adressant à Esther de dos et à son père revenu à ses côtés. Il est situé dans le quartier ouest, mais tout vous sera expliqué dans ce porte-documents.
Il le leur tend, et Esther, qui a instinctivement envie de fouiller dedans, le passe à son père.
— Vous y trouverez une lettre de bienvenue, un plan de la cité, différentes adresses utiles, une lettre récapitulant votre emploi, monsieur, ainsi que vos obligations pour la première semaine, qui est une semaine de formation sur nos machines, qui sont, disons… particulières. Vous ne serez pas perdus, mais simplement, il vous faudra un temps d’adaptation, c’est parfaitement normal ! Il rit à nouveau.
— Et moi ? lance Esther.
Son père ne dit rien, mais la regarde comme si elle venait d’outrepasser ses droits en interpellant ainsi l’homme devant elle.