Le Clan - Floriane Fontaine - E-Book

Le Clan E-Book

Floriane Fontaine

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Beschreibung

Le soleil, la mer, deux mots qui font rêver et pourtant ! Elena n’aurait jamais imaginé, à la réservation de son billet d’avion pour la Malaisie, qu’elle prendrait un aller sans retour.

Loin des vacances paisibles au soleil, Elena sera confrontée à une mystérieuse organisation qui opère en mer de Malacca. Une aventure tumultueuse, à la fois romanesque et émouvante, poussera Elena dans ses retranchements.

Un voyage qui dépasse tout entendement et qui bouleversera à jamais le quotidien des personnages aux destins croisés.

Ensemble, ils tenteront de surmonter les obstacles qui se dresseront sur leur passage, mais le détroit de Malacca sera-t-il en mesure de dévoiler ces secrets dissimulés depuis des décennies ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Originaire du Haut-Jura, Floriane Fontaine garde une grande attache à sa terre natale, ou l'ensemble de sa famille et de ses proches demeurent encore. Responsable des Ressources Humaines au sein d'une entreprise familiale, elle réside en Alsace, sa région d'adoption. Inspirée de ses nombreux voyages, Floriane s'est lancée dans l'écriture d'une histoire, imaginée depuis son adolescence. Faute de temps et d'expérience, elle laissa mûrir son projet jusqu'en mai 2020. C'est ainsi, pendant les longs week-ends confinés, qu’elle se consacra à la rédaction du Clan. A présent, jeune maman, Floriane souhaite laisser à son enfant, les traces indélébiles d'un roman moderne et rythmé. Une nouvelle passion pour l'écriture est née !

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Floriane FONTAINE

Leclan

PROLOGUE

Alejandro ne se lassera jamais de contempler cette jolie créature, devenue sa femme, il y a moins de cinq mois.

Il la trouve encore plus belle après lui avoir fait l’amour. Son regard brillant, éclatant de joie, agrémenté d’un sourire comblé, harmonise parfaitement ses traits apaisés.

Chloé se tient nue devant lui, sereine, elle médite en observant par le hublot la mer vacillante, perdue dans un bleu infini.

–À quoi penses-tu, ma chérie ?

Elle se retourne vers Alejandro, ses jolis yeux en amande pétillent de bonheur.

–Je suis sur le point de passer le plus beau des voyages de noces, en compagnie de l’homme le plus aimant et le plus romantique que j’aie jamais connu. Nous sommes au milieu de nulle part en Malaisie, sur un bateau de plaisance entre terre et mer. Nous voguons au gré de nos envies, nous laissons libre cours à nos fantasmes ; le tout dans un écrin paradisiaque où seul le silence règne en maître. Je ne me lasserai jamais de ce paysage sensationnel.

Chloé se dirige vers la salle de bains, la moiteur de l’air ambiant l’incite à aller se rafraîchir. Alejandro observe avec ardeur sa silhouette qui se déhanche. Le sourire espiègle, il s’impatiente de la voir revenir. Il n’a qu’une idée en tête : l’enlacer et la combler de baisers langoureux jusqu’à l’aube, la posséder pour ne faire qu’un avec elle, afin d’unifier leur amour et de concrétiser leur mariage. Après quelques minutes, elle revient en grognant quelques mots contre son mari, plus distincts à mesure qu’elle se rapproche. Elle tient dans sa main droite un objet. À sa vue, Alejandro se précipite pour le lui retirer, afin d’éviter qu’elle ne se blesse.

–Tu es un maniaque des armes à feu ? Je cherchais mon dentifrice dans le placard sous le lavabo quand cette arme, scotchée à la vasque, m’est tombée dessus. Autant dire que j’ai été surprise !

–C’est un défaut professionnel, ma chérie. Il n’a même pas de chargeur. Il n’est engagé que d’une seule balle. J’ai oublié de prendre mes recharges pour le voyage. À l’avenir, j’éviterai qu’il ne t’importune et le cacherai dans un endroit plus discret.

Elle penche la tête afin d’analyser ses dires et esquisse un petit sourire narquois.

–Ah oui, l’homme le plus prévoyant de la Terre n’a qu’une seule balle dans son chargeur. L’amour l’envoûterait-il, pour avoir négligé ce détail ?

–Moi, envoûté ? Non, ensorcelé par la plus belle des femmes.

Alejandro se hâte de ranger l’arme dans sa cachette initiale avant de retourner se lover dans les bras sensuels de sa femme.

Ses doux baisers fruités, l’odeur de ses lèvres, jamais il ne s’en lassera. Il pourrait passer des heures à effleurer sa peau soyeuse. Elle est si délicate, si douce. Alors que leurs deux corps se rapprochent, que leurs sens sont en alerte, électrisés par de petits spasmes incontrôlables, les deux tourtereaux se laissent emporter une seconde fois dans le tourbillon du plaisir charnel.

Quand Alejandro se réveille, la nuit commence à tomber. Sa femme est sur le pont du bateau, vêtue d’une longue robe épousant parfaitement ses formes. Les cheveux au vent, elle admire comme tous les soirs le coucher du soleil, s’offrant à eux comme un cadeau à leur escapade amoureuse.

Il passe ses bras autour de sa taille et l’embrasse tendrement dans le creux de son cou.

Un bruit inhabituel de frottement les sort alors de leur étreinte passionnelle. Alejandro commence à s’agiter, un mauvais pressentiment l’envahit soudainement. Il se dirige à vive allure à l’arrière du bateau. Il s’arrête net, quand ses yeux se portent sur les envahisseurs. Des hommes armés prennent possession de l’embarcation. Les poings fermés, il fait face à l’un d’eux, prêt à livrer bataille sans se rendre compte que l’ennemi est aussi derrière lui. En une fraction de seconde, il s’écroule, assommé par la crosse du revolver d’un assaillant.

Lorsqu’Alejandro reprend ses esprits, un terrible mal de tête lui embrume les pensées. Il n’a fallu que cinq minutes pour que ces barbares s’emparent de sa femme. Il n’a pas le temps de se lamenter, il faut agir, et vite. Il s’éclipse en silence à l’intérieur de l’habitacle, profitant de l’inattention de ses adversaires, trop absorbés à désamarrer leur navette pour s’inquiéter d’éventuelles représailles. Leurs sourires dédaigneux posés sur la jeune mariée en disent long sur leurs intentions malsaines. C’est donc empressés qu’ils s’affairent à retirer le cordage pour prendre le large avec leur trophée.

À pas francs et déterminés, Alejandro se rend dans la salle de bains pour récupérer son arme.

Il emprunte les couloirs qui semblent s’être allongés et étriqués, amplifiant son besoin d’air. Son champ de vision, troublé par le choc brutal qu’il a reçu, alourdit son sentiment d’oppression. Quand il arrive enfin sur le pont, son cœur s’accélère ; il sait que le temps lui est compté. Sa gorge sèche l’empêche de déglutir, un goût métallique envahit sa bouche. Plus il avance, plus la hargne et la haine se mêlent à une confusion déroutante : il est sur le point de perdre sa femme.

Chloé est à genoux sur le pont de l’ennemi. Alejandro remarque ses yeux bouffis par les pleurs et lit la détresse sur son visage, ce qui le pousse dans une colère noire. Impuissant, il observe sa femme s’éloigner.

Chloé remarque sa présence et d’un regard transparent, presque vide, elle le supplie de l’achever.

Il repère chez elle une lueur de détermination, elle sait que son revolver n’est chargé que d’une seule balle. Tirer sur l’un d’eux ne mettrait pas à mal leur fuite, il amputerait uniquement leur organisation ; il sait que ça ne la fera pas revenir.

Chloé est consciente également que son mari ne pourra pas la sauver des mains de ses agresseurs, que si elle reste en vie, le pire est à venir. Cette balle, elle est pour elle ! Elle abrégerait ses souffrances et mettrait instantanément un terme à leur plan sanguinaire. Au final, la tuer signifierait qu’elle et Alejandro ont remporté la partie, que ces barbares ne détiendraient pas de femme à violer ce soir.

Alejandro prend conscience de l’intention de ces hommes quant à l’avenir de sa femme ; il préfère ne pas se l’imaginer tant son cœur se serre à la moindre pensée la concernant.

Il l’aime et ne cessera de l’aimer. Il ne peut pas la laisser sous l’emprise de ces sauvages, qui après l’avoir torturée, la tueraient certainement dans d’atroces souffrances. Rien qu’à cette pensée, il en a la chair de poule.

Il pointe son arme dans leur direction, puis dans un état second dirige son canon sur sa femme. Il remarque le léger rictus de satisfaction sur le visage de Chloé : il ne la laissera pas à leur merci.

Cet homme a toujours été son unique amour, quand elle fermera les yeux avant de rendre son dernier souffle, c’est à lui qu’elle pensera. À son mari qui, certes, aura mis fin à ses jours, mais dans le seul et unique but de la sauver d’actes de barbarie… Son héros au final.

Alejandro prend une grande inspiration afin de se donner tout le courage possible. Plus il tardera à tirer, plus il réduira ses chances de l’atteindre.

Son index presse la détente, la détonation retentit dans cet environnement jugé trop calme. Le corps de Chloé s’effondre aussitôt sur le plancher du bateau ennemi, infligeant une vision d’horreur à Alejandro.

Les mains encore tremblantes, il comprend qu’il vient de figer son destin. Quelque chose en lui s’est brisé et le retour en arrière ne sera plus envisageable. Désormais, le scaphandrier respectable qu’il était jusqu’à ce jour est mort à l’instant même où la balle a quitté son arme pour se loger dans le front de sa bien-aimée. Il est conscient que débute une vie d’errance, à se questionner si elle vaut encore la peine d’être vécue, car sans Chloé, elle perd désormais tout son sens.

110 ans plustard

Elena s’octroie une pause détente dans la piscine de ses parents, après une dure journée de labeur dans les vignes du domaine familial. L’eau froide qui enveloppe son corps détend fabuleusement ses muscles endoloris par l’effort.

Après quelques brasses, le calme environnant se rompt instantanément avec l’arrivée des jumeaux sur la terrasse. Comme à leur habitude, ils se chamaillent sans réelle raison. Les cris stridents poussés par Mathilde en pleine bataille pour récupérer ses écouteurs, chapardés la veille par son frère Léo, perturbent la tranquillité de la famille.

Le capharnaüm qu’ils imposent pousse Elena à prendre une grande inspiration et à plonger en apnée au fond de la piscine. Elena apprécie ce moment où elle est seule avec elle-même, dans une bulle totalement hermétique. Elle n’entend plus rien, juste les battements de son cœur. Elle maîtrise ses efforts et calcule chacun de ses mouvements afin qu’ils soient le plus lents possible, mais assez puissants pour lui permettre de réaliser ses longueurs en immersion tout en perdurant dans le temps.

Du haut de ses vingt-huit ans, elle a été sacrée cinq fois championne du monde en apnée puis a continué à vivre de sa passion en intégrant un club de natation synchronisée. Son travail dans l’entreprise familiale en tant que viticultrice biologique et son implication personnelle dans ce sport absorbent tout son temps libre, délaissant ainsi ses amies d’enfance comme un lointain souvenir.

Lorsqu’elle reprend son souffle, à la surface, elle distingue sa mère essayant d’imposer une vague autorité aux jumeaux qui ne semblent pas l’écouter, trop occupés à se trouver des excuses.

Quand elle aperçoit Elena, elle se dirige d’un pas exaspéré vers la piscine.

–Ma chérie, tu es là ? Je ne t’avais pas vue. Je n’en peux plus avec ces deux-là. Ils n’arrêtent pas de s’engueuler pour des broutilles, je ne les maîtrise plus. Tu sais où est ton père ? Il faudrait qu’il intervienne, je vais finir par m’égosiller.

Malgré ses traits tirés dus à l’agacement face au comportement puéril de ses deux plus jeunes enfants, elle se force àrire.

–Il finalise la passation et forme la nouvelle recrue, embauchée pour le relayer durant ses deux semaines de vacances en famille. Laisser ses vignes à un inconnu le met dans une position incertaine.

Les deux femmes ricanent. Elles s’amusent à imiter le visage défait de Paul, paniqué à l’idée d’abandonner ce qu’il a de plus cher : son vignoble.

–Tu sais, maman, j’aurais dû prendre la décision de rester pour le remplacer. Ma présence sur les lieux l’aurait certainement rassuré. Il aurait pu ainsi partir plus sereinement.

–Ma puce, tu lui fais le plus beau des cadeaux en te joignant à nous. La famille sera de nouveau réunie pour ce périple en Malaisie. C’est dommage qu’Alexis n’ait pas pu se libérer.

Elena prend une mine affligée. Alexis, elle l’aime depuis que ses yeux se sont posés sur lui au lycée. Elle l’a toujours soutenu dans ses projets et accompagné vers la réussite, même quand il baissait les bras à chaque difficulté supplémentaire. Elle excusait son envie de renoncer qui, selon elle, provenait d’une fatigue accrue et d’une pression imposée durant son internat à l’hôpital, où il rédigeait sa thèse de doctorat.

À trente-deux ans, Alexis est devenu un chirurgien prompt et habile de ses mains, grâce à l’appui d’Elena.

Son métier ne lui laisse guère le temps de prendre des vacances. Alors cette année, Elena a décidé de partir seule en compagnie de ses parents. Travaillant sans relâche dans les vignes familiales, il est temps pour elle de s’accorder une pause pour des vacances bien méritées.

Elle espérait depuis des années que son cher et tendre la surprenne en lui proposant une escapade amoureuse sur une île romantique, mais en vain. Une espérance ternie par l’indifférence passive d’Alexis à considérer ses attentes les plus chères. En conséquence, cette année est placée sous le signe du changement, puisqu’Elena s’est octroyé la permission de partir sans lui. Au diable les remontrances et le sentiment de culpabilité : place à la nouveauté et au dépaysement malaisien !

Après avoir apporté son aide aux jumeaux pour boucler leur valise, Elena regagne son domicile. Il est dix-neuf heures quand elle passe le pas de la porte.

Pérou, son chien de sept ans, l’accueille avec hâte. Elle s’accroupit pour le couvrir de caresses. Démonstratif face au bonheur de ces retrouvailles, il ne peut s’empêcher d’aboyer par intermittence.

Pérou n’est pas un chien solitaire, il aime la présence de ses maîtres. Une demi-journée à errer, isolé dans la maison, est de trop pour lui. D’ordinaire, il accompagne Elena dans les vignes, mais aujourd’hui elle avait trop de tâches à terminer pour lui imposer une journée de course. La mise à jour administrative des comptes de l’entreprise, la formation de la nouvelle recrue, le tour de la propriété viticole, la préparation des dernières commandes, l’entraînement en apnée dans la piscine familiale et les valises des jumeaux sont autant de missions qui n’auraient pas été adaptées aux besoins du chien qui, à un moment ou à un autre, se serait imposé pour le lui faire comprendre.

C’est le dernier soir avant son départ pour la Malaisie, Elena ressent un pincement au cœur. Quand ses pensées se tournent vers Alexis, elle éprouve ce sentiment désagréable de sciemment l’abandonner. Ils ne s’enlaceront plus avant deux semaines, quinze jours sans effleurer sa peau, sans pouvoir sentir son souffle chaud dans le creux de son cou. Un manque inconditionnel, qu’elle essaie d’atténuer en se hâtant d’organiser la surprise d’un dîner aux chandelles.

Elle déballe une entrecôte de bœuf achetée le jour même, qu’elle dispose au four pour une cuisson lente et savoureuse en papillote, le tout agrémenté d’un vin rouge Vieilles Vignes provenant tout droit de ses cépages. Afin de s’assurer de la noblesse de son somptueux breuvage, elle retire le bouchon d’un geste franc et s’en verse un fond de verre. L’œil en alerte, elle l’incline, le fait tourbillonner. Sa robe rubis presque limpide l’invite à se délecter d’une fine gorgée. Le doux liquide éveille ses papilles et dégage des effluves de réglisse et d’humus. Une drôle de combinaison aromatique, lui rappelant que son métier est au plus proche de la nature. Le climat est l’acteur principal des déclinaisons de saveurs, la production ne sera jamais à l’identique. Au final, ce changement perpétuel des conditions climatiques accorde une unicité à son métier, dont le vin sera tout bonnement le reflet.

Elena s’installe dans son canapé en compagnie de Pérou, consultant sa montre. Il est vingt-deux heures trente, et Alexis n’est toujours pas rentré. De légers mouvements impatients de la jambe lui indiquent un stress grandissant.

Elle empoigne son téléphone et compose son numéro. La sonnerie retentit dans le vide.

Elle a une sainte horreur que son copain, pour ne pas dire son futur mari, ne lui donne aucune nouvelle. Est-il encore au bloc opératoire ? A-t-il rencontré des difficultés avec un patient ? Une urgence peut-être ? Toutes ses questions, elle ne peut y répondre ! Le silence d’Alexis pèse de plus en plus dans la gestion de sa vie quotidienne et devient une source d’angoisses et de complexes à appréhender.

De manière instinctive et nerveuse, elle fait tourner la bague positionnée à son annulaire gauche. Quand ses yeux se posent sur l’anneau en or rose, elle ne peut s’empêcher de repenser au jour où elle est tombée par hasard sur l’écrin à bijoux, dissimulant une annonce inattendue.

C’était un doux matin printanier, les oiseaux chantaient au lever du soleil. Le réveil d’Alexis n’avait pas sonné, laissant ainsi les deux amoureux endormis, après une nuit charnellement agitée. C’est Justine, la secrétaire médicale d’Alexis, qui avait tenté à plusieurs reprises de le contacter. La sonnerie criarde de son téléphone les avait sortis de leur étreinte ensommeillée. Alexis s’était levé en panique pour prendre une douche, afin de dissiper le brouillard des matins compliqués. Pour gagner du temps, il avait sollicité Elena pour qu’elle lui prépare ses vêtements et qu’elle les apporte directement dans la salle de bains. En fouillant dans le tiroir à chaussettes, elle s’était trouvée nez à nez avec un petit écrin soyeux, minutieusement caché. Alexis, ne la voyant pas revenir, s’était précipité dans la chambre en furie et avait vu Elena, choquée, la boîte à bijoux dans la main. Déstabilisé, il lui avait repris le boîtier d’un geste maladroit et s’était mis à genoux pour lui demander sa main. Elena le voit encore dénudé, lui passant la bague au doigt, avec un discours aussi impromptu que la mise en scène improvisée de sa demande en mariage.

Elle ne peut s’empêcher de verser une larme. Il est vingt-trois heures, sa soirée romantique avec son cher et tendre tombe une fois de plus à l’eau ; il ne la comblera pas de sa présence avant son départ imminent en Malaisie. Résignée une fois de plus, elle s’abandonne dans son lit, espérant trouver le sommeil.

À une heure du matin, quand Alexis passe le pas de la porte, son regard s’attarde sur la table où deux couverts sont disposés. Une bougie à la flamme artificielle lutte encore pour éclairer la pièce vide, plongée dans une ambiance austère et sans âme. Il prend conscience du mal perpétré par ses absences récurrentes. Elena l’attendait et avait mis du cœur à la préparation de cette soirée romantique. Comme d’habitude, il a manqué à ses obligations en lui imposant son détachement. Il se promet intérieurement de rattraper ses manquements dès son retour de Malaisie. Il n’a pas le droit de la faire souffrir ainsi, il doit assumer les conséquences de ses actes.

Sept heures du matin, son astreinte s’impose, une urgence le met sur le pied de guerre. Il embrasse sa compagne encore endormie et se précipite à la clinique.

À son réveil, Elena tâte l’oreiller d’Alexis. Il est froid ! Elle ne comprendra jamais pourquoi son employeur ne respecte pas le repos hebdomadaire régi par la loi.

La confusion d’hier soir revient dans ses pensées, son cœur se serre dans sa poitrine. Elena a la fâcheuse impression qu’une distance s’installe dans son couple et que l’amour exprimé par Alexis s’éteint à petit feu. Elle secoue la tête pour éviter de s’imposer cette option, Alexis est toute sa vie et elle n’envisage pas de la continuer sans lui.

Elle termine de boucler sa valise, caresse son chien qui, en ce beau matin, ne manifeste aucune allégresse. Quelque chose dans ses yeux a changé. Une lueur solennelle brille dans ses pupilles sombres. Se doute-t-il qu’elle s’apprête à partir en vacances ? Son regard vitreux, mêlé d’angoisse et d’anxiété, accable sa maîtresse, lui donnant l’impression de l’abandonner.

–Je serai de retour rapidement, mon loulou, dans deux semaines. Alexis prendra bien soin de toi.

Elle l’embrasse sur la tête puis sort de la maison sous le regard insistant de Pérou.

Impuissant, il reste stoïque, jusqu’à ce que la silhouette d’Elena disparaisse de son champ de vision et que l’entrebâillement de la porte ne laisse plus passer les rayons du soleil.

Doté d’un sixième sens, Pérou pressent les prémices d’un changement imposé. Il sait que dorénavant, son quotidien sera bousculé par des événements incertains.

Son intuition est-elle en mesure de prédire que le pire va se produire ? Que c’est la dernière fois que sa maîtresse franchit le seuil de la porte pour disparaître à jamais ?

2

Elena se dirige un brin mélancolique à la garde de Bordeaux où ses parents l’attendent impatiemment pour se rendre à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle.

Le TGV entre en gare, les jumeaux se précipitent à l’intérieur comme deux furies, prêts à sauter sur leur siège attitré. Elena, après avoir encouragé ses parents à passer devant elle, jette un dernier coup d’œil au quai qui se vide de son afflux de voyageurs. Elle attend, sollicitant les minutes à son avantage. Elle a tellement espéré le voir courir dans sa direction et l’enlacer dans ses bras musclés, mais la raison lui rappelle la triste vérité : il ne viendra pas l’embrasser une dernière fois.

Elle consent qu’Alexis ait du travail, mais elle n’arrive pas à contenir l’élan de tristesse submergeant son corps comme une brume sombre. Elle essuie une énième larme qui coule sur sa joue.

Sa mère la regarde avec compassion, depuis longtemps, elle comprend en silence la douleur de sa fille. Tout aussi résignée, elle ne souhaite pas l’accabler plus qu’elle ne l’est déjà.

Tout au long du voyage, perdue dans ses pensées, le regard dans le vide, Elena ne prononce pas un mot.

L’arrivée du train dans l’aéroport la réveille en sursaut. Assoupie lors du trajet, elle examine sa montre. La cohue du terminal la renvoie à la réalité et l’invite à rejoindre la sortie. Elle empoigne sa valise et ferme la marche. Son père emprunte le couloir menant au comptoir d’enregistrement, suivi de près par les membres de la famille dans une cadence militaire.

Lassés de tirer leur valise, les jumeaux ne trouvent pas mieux à faire que de se chamailler une fois deplus.

Les cris reprennent, faisant écho dans l’interminable allée vitrée qui, à cette heure de la journée, est aussi vide qu’un entrepôt.

Paul interrompt sa course effrénée et demande à sa famille de se mettre sur le côté. Le regard sévère, il prend la parole d’un ton sec:

–Maintenant, les jumeaux, ça suffit. Je ne passerai pas deux semaines dans ces conditions ! Soit vous vous ressaisissez, soit j’appelle un taxi qui vous ramène tout droit à la maison.

Les deux adolescents, les yeux écarquillés, choqués par l’intervention vive de leur père, se calment instantanément. Elena observe son frère et sa sœur, tout penauds, reprendre leur marche au son des valises tirées sur le tapis roulant.

Mathilde et Léo sont un « accident de parcours » comme dit leur mère. Elle pensait naïvement avoir atteint prématurément la ménopause et de ce fait, ni elle ni son mari n’avait pris de précautions. La grossesse avait été découverte seulement au quatrième mois. Un choc quand le médecin leur avait annoncé qu’ils n’attendaient pas un, mais deux bébés. Ils avaient dû repartir dans le double de couches et de biberons, alors que leur aînée de quatorze ans entamait sa crise d’adolescence.

Double bataille, double front pour une famille déjà bien occupée par l’activité professionnelle de Paul n’ayant pas coutume d’appliquer les trente-cinq heures.

Après avoir franchi les douanes, Elena s’installe au comptoir d’un café. Son père lui emboîte le pas, laissant sa femme accompagnée des jumeaux flâner dans les boutiques duty-free.

–Comment tu vas, ma chérie ? Tu rencontres des problèmes avec Alexis ? La vie de couple est loin d’être un long fleuve tranquille, tu le sais ?

Paul est un homme raisonné, le conflit ne fait pas partie de son tempérament. Selon lui, chaque problème a sa solution. Les possibilités doivent être étudiées afin de sélectionner in fine la plus constructive.

–Je te remercie, papa. Hier soir, il est rentré tard pour repartir tôt ce matin. Je ne l’ai pas vu ni même embrassé avant mon départ. Son travail lui prend tout son temps et il ne me consacre même plus cinq minutes. Nous devons nous marier dans un an… Je l’aime terriblement, mais est-il en mesure de s’occuper d’une femme alors qu’il n’est jamais au domicile conjugal ? dit-elle en plongeant un regard consterné dans celui de son géniteur.

Son père reste figé. Son visage est crispé par un rictus inhabituel qu’il ne parvient pas à dissiper.

Il commande un café et se ressaisit.

–Tu sais, ma chérie, Alexis n’a pas le métier le plus simple du monde. Des patients comptent sur lui autant que toi, tu en as besoin. Laisse-lui le temps de s’adapter à son planning surchargé, de prendre ses repères pour qu’il puisse allier sa vie professionnelle et sa vie de famille. Je suis sûr qu’une fois l’équilibre rétabli, tu seras la plus heureuse.

Paul prend le visage de sa fille dans ses mains rêches et l’embrasse tendrement sur ses joues rougies par l’émotion.

–Je t’aime,papa.

–Moi aussi, réplique-t-il instinctivement.

Elena prend place dans l’avion, côté hublot, laissant ses parents s’installer dans la rangée du milieu avec les jumeaux. Le vol s’annonce déjà long, alors supporter sa sœur et son frère pendant plus de vingt heures, c’est juste impensable pour la jeune femme. Elle ne souhaite pas s’infliger une telle torture.

Elle examine une dernière fois son portable avant de le couper. Aucun message non lu d’Alexis n’est affiché à l’écran. C’est avec mélancolie qu’elle l’éteint avant de le ranger dans la poche intérieure de son sac à main. Un vieil homme, assis à sa droite, la regarde s’activer.

–Quand une aussi jolie fille prend l’avion seule, ce n’est pas pour revenir de sitôt.

Elena prend un air détaché et lui répond bonnement :

–Dans deux semaines, juste le temps de partir pour mieux revenir.

–C’est bien ce que je dis, insiste le vieux monsieur. Vous prenez un aller sans retour.

Elena l’observe et se demande s’il n’est pas un peu sénile. Quand il lui sourit, elle comprend instantanément qu’il a réussi à saisir ses pensées les plus profondes. Son visage l’aurait-il trahie ?

Confortablement installé dans son siège, l’ancien interpelle l’hôtesse pour lui réclamer un verre d’eau et poursuit sa conversation là où il l’avait laissée.

–En Malaisie, on croit au karma. Notre vie est modifiée en fonction de la décision de nos actes antérieurs. Ce déterministe naturel, qui nous guide au plus profond de nous, est régi par une force beaucoup plus puissante que la nature humaine. Quand tu dis « merci » ou quand ton comportement est bienséant, tu accompagnes ton karma sur des ondes positives, mais quand le destin s’en mêle, il est délicat de récupérer ce qui est irrécupérable. Crois-moi, mon petit, ton séjour va au-delà de ton propre entendement et il va bousculer quelque peu tes actes ultérieurs. Je ne suis pas en mesure d’approfondir davantage, car tout dépendra de tes choix. Mais, quel que soit le malheur qui s’abattra sur ton chemin, saisis la deuxième chance qui te sera offerte. Le sort de la vie met sur notre passage des personnes pouvant changer le cours des choses, car leur destinée dépend de toi, comme ton futur dépend d’eux. Des destins croisés qui réécriront un chapitre inédit de vosvies.

Elena tend l’oreille attentivement sans assimiler un traître mot de ce que lui conte le vieillard.

Elle est très terre-à-terre, comme son père d’ailleurs, alors la fatalité n’est pas un mot qu’elle emploie au quotidien.

Par respect pour cet homme, elle s’excuse avant de positionner ses écouteurs et d’activer le film préalablement sélectionné sur la tablette tactile de l’avion.

Quand la voix de l’interphone sort Elena de son sommeil, elle reprend ses esprits en sueur, la bouche pâteuse. Elle a dormi presque dix heures sans même se réveiller par intermittence. Elle remarque aussitôt que la place précédemment occupée par le vieux monsieur est vide.

–S’il vous plaît, Madame.

L’hôtesse s’approche d’Elena avec un sourire engageant, prête à répondre à toutes ses sollicitations.

–Puis-je vous être utile, Mademoiselle ?

–Pouvez-vous m’indiquer où est le vieil homme qui était installé à mes côtés ?

L’hôtesse, bouche bée, écarquille ses grandsyeux.

–Madame, tout va bien ? Vous avez voyagé seule. La place a toujours été inoccupée.

« La réalité me joue des tours », juge Elena déstabilisée par cette annonce.

–Heu… Ah bon, désolée de vous avoir importunée. Il m’a semblé qu’il y avait un homme.

Elle lance un sourire qui se veut rassurant à son interlocutrice, stupéfaite par la question.

–Voulez-vous que je vous serve un café ? Ça ira peut-être mieux après ?

–Bien volontiers, Madame. Avez-vous également une pâtisserie, ou quelque chose à mettre sous la dent ? Je n’ai rien mangé du voyage. J’ai tellement bien dormi que j’ai dû louper le service des plateaux-repas.

–Très bien, je vous apporte ça tout de suite.

L’hôtesse se rend à la zone de service et revient avec deux madeleines et un café bien chaud.

Elena est encore sous le choc de l’annonce. Elle n’a pourtant pas rêvé, cet homme était bien à ses côtés le temps d’un échange. Elle en est sûre !

Elle a l’impression que son cerveau va exploser. La voix de cet homme revient hanter son esprit de façon intrusive, lui occasionnant un mal de tête féroce.

2

La famille, postée devant le tapis roulant, attend impatiemment la valise d’Elena. Les jumeaux fatigués et déstabilisés par le décalage horaire ne bronchent plus, occupés par les jeux sur leur téléphone.

Paul, toujours dans l’euphorie du voyage, prend la parole. Il scrute Elena avec insistance.

–Tu arbores une mine affreuse, ton teint est si pâle que l’on croirait presque que tu es malade. J’ai la fâcheuse impression que ta valise ne viendra pas. Si tu veux mon avis, la compagnie l’a déchargée lors de l’escale à Dubaï.

Elena, le visage défait, ne daigne pas répondre à son père, qui prend sans plus attendre la direction des bureaux. La fatigue du voyage, en plus de sa rencontre avec le vieil homme, la met dans une situation d’inconfort. Elle peine malgré sa concentration à retrouver l’intégralité de ses esprits.

Quand le tapis stoppe sa course effrénée, après avoir serpenté à vide pendant plus de dix minutes, Elena se résigne : elle devra composer sans valise, au moins pendant le début de son séjour. Sa mère, qui a les mêmes mensurations, propose de lui prêter quelques vêtements, le temps nécessaire.

Son père revient du bureau des affaires perdues, la mine nonchalante, fraîchement agacé.

–Dix minutes pour se faire comprendre, évidemment personne ne parle français. Elena chérie, j’avais raison, ta valise est à Dubaï. Il faudra patienter deux à trois jours avant de la récupérer. J’ai communiqué l’adresse de notre hôtel.

Elena, désabusée, observe sonpère.

–Papa, tu crois que c’est le karma?

Son père répond d’un geste amusé, avant de reprendre la parole.

–Depuis quand tu crois au karma ? Je ne pense pas qu’il soit l’élément perturbateur. Tu sais comment je vois les choses ? Comme de l’incompétence professionnelle des membres de la compagnie aérienne. S’ils travaillaient plus consciencieusement, on n’en serait pas là. D’où as-tu encore déniché cette idée saugrenue du karma ?

–Je ne sais pas, j’ai l’impression que le sort s’acharne contre moi : les absences perpétuelles d’Alexis, la valise et après… Je me casse une jambe ?

Son père ricane devant les propos pessimistes de sa fille.

–Concours de circonstances, ma puce, rien deplus.

Elena se laisse enlacer par son père. Ensemble, ils empruntent la sortie de l’aéroport pour se rendre au parking des bus, où leur navette les attend. Le moteur ronronnant du vieil autocar des années 1980 annonce l’impatience du chauffeur qui se languit de prendre la route depuis plus de trente minutes.

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Élancé à grande vitesse, le bus arpente un chemin sinueux déclinant le paysage de la forêt tropicale. Au vu de l’infrastructure routière, acheminer les touristes devient une expédition.

Malgré les secousses d’une conduite nerveuse, elle aperçoit au loin un nasique dans l’ombrage d’une mangrove. Elle n’a pas le temps de voir si ce dernier est accompagné, que l’autocar freine brusquement pour emprunter la route côtière. Il sillonne un chemin escarpé où le ciel se confond avec la mer turquoise, pour ne laisser qu’un cliché bleu unique. Un petit paradis sur terre, loin des soucis du quotidien. Elle s’est juré de ne plus penser à Alexis, afin de mettre à profit ses vacances bien méritées.

Dès son arrivée à l’hôtel, dans une ambiance décontractée et sereine, la famille prend possession de sa suite.

Les jumeaux logent dans la même chambre que leurs parents. Leur tempérament électrique ne permet pas à leurs géniteurs de leur accorder une confiance aveugle : beaucoup trop imprévisibles pour bénéficier de leur propre appartement.

Elena, elle, s’est vu allouer un bungalow spacieux loin des mouvances familiales. Pas trop éloignée de ses parents pour pouvoir en profiter un maximum, mais assez pour se relaxer sans les bruits incessants de sa sœur et de son frère.

Elle observe l’ambiance sereine que la chambre lui apporte. L’esprit tropical et verdoyant l’apaise. Elle se sent fatiguée, limite fiévreuse et s’installe confortablement dans le lit « Queen Size » avant de se laisser tomber dans les bras de Morphée.

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