Le complot des archiducs - Alain Saussez - E-Book

Le complot des archiducs E-Book

Alain Saussez

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Beschreibung

Ce roman raconte l'histoire de Jean Salvator, archiduc d'Autriche- Hongrie, meilleur ami de Rodolphe, archiduc héritier et fils de Sissi, avec lequel il partage les mêmes idées libérales. Le récit débute une semaine avant le suicide de Rodolphe à Mayerling et narre la vie pleine de rebondissements du héros après son exil en Amérique du Sud où il connaîtra l'amour, les honneurs et la trahison avant de trouver la réponse à sa quête.

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Seitenzahl: 436

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Sommaire

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

FIN

Hongrie 24 janvier 1889

Un point de vue d’où le regard englobe les environs couverts de neige, distinguant à peine le large et sombre ruban du Danube, délimité sur les deux rives par des lumières vacillantes. Rodolphe prince héritier de l’Empire austro-hongrois, les mains posées sur la balustrade qui surplombe Buda et Pest, frisonne, transi par l’air glacé du petit matin. Il est pourtant vêtu chaudement d’un manteau au large col de fourrure et les oreillettes de sa chapka sont descendues sur ses oreilles. La mauvaise nuit qu’il vient de passer dans le château des rois, due à de violents maux de tête seulement calmés par la prise de morphine n’est pas étrangère à son humeur maussade.

Toutefois le silence ouaté qui l’environne le réconforte. Pourquoi s’est-il fourvoyé dans cette impasse. Il n’a plus de choix que celui de s’évader, de trouver ailleurs un autre chemin. Ce faisant, il fuit ses responsabilités, abandonnant sur la route ses plus fidèles amis. Pourquoi tout ce gâchis, cette énergie dépensée en vain? Pour quel résultat, l’incompréhension d’un père empereur, aveuglé par un despotisme suranné qui l’oblige à choisir l’exil.

La réponse à cette question se trouve en partie dans l’attitude que son cousin, et meilleur ami, l’archiduc Jean Salvator adoptera. Il ne l’a pas revu depuis la rencontre ratée de Prague qui remonte maintenant à presque deux ans. Dégradé et chassé de l’armée pour insubordination, disgracié par l’Empereur François-Joseph qui ne lui pardonne pas de braver son autorité, il vit à présent reclus dans le château familial d’Orth.

Bien que Rodolphe n’ait jamais douté de la solidité des liens qui les unissent, c’est avec une certaine appréhension qu’il se dirige vers la petite berline hippomobile qui vient de s’arrêter dans la grande cour du château. Bratfisch, son cocher particulier est à l’heure. Il ne peut pas s’empêcher de sourire en le voyant boudiné dans son paletot, droit sur le siège surélevé, le fouet calé sur sa cuisse droite, les rênes reposant sur la croupe d’un des chevaux. Alors qu’il s’apprête à poser le pied sur la marche du petit break, Rodolphe se remémore en partie, sans trop fouiller sa mémoire récalcitrante, l’entrevue de Prague.

Prague été 1887.

La ville aux sept collines resplendissait, illuminée de soleil. De la fenêtre d’une des grandes pièces du château encore habitable où il se trouvait, Rodolphe avait une vue dégagée sur les toits rutilants et les jardins fleuris qui slalomaient entre tours et clochers avant de plonger dans les méandres de la Moldau. Il se souvenait de sa déprime, des séquelles de sa brutale et douloureuse maladie, des longs mois de convalescence passés sur l’ile de La Crona. La joie de retrouver son cher Gianni après cette longue séparation lui mettait du baume au cœur, même si la rencontre avait été autorisée sur le bout des lèvres par l’empereur.

Sa première impression en voyant Jean Salvator fut qu’il avait changé. Le fringant général d’artillerie paraissait bien fatigué, son visage d’habitude à l’avenant était maussade et seuls les yeux sombres et brillants maintenaient la flamme de l’insoumission. Rodolphe, sans y prêter une attention particulière, avait trouvé l’accolade fraternelle qu’ils échangeaient à chaque rencontre empreinte de retenue sinon de mollesse. Après un bref échange d’amabilités, il avait demandé de la façon la plus banale qui soit ce qui se passait de nouveau à Linz, ville forteresse de la haute Autriche où Jean était muté pour indiscipline. Sa réponse froide et laconique se terminait par une phrase désabusée sur sa vie routinière, véritable descente en enfer.

Avec le recul, cette question en apparence anodine portait les germes de la discorde. Elle avait réveillé des blessures encore mal cicatrisées. L’archiduc Jean Salvator général d’artillerie à vingt-huit ans, fin stratège, respecté par ses hommes avait subi l’affront pour un militaire de se voir retirer son commandement après la publication d’un rapport critique mettant en évidence la vétusté du matériel et l’incompétence de l’état-major à moderniser l’artillerie en campagne. Cette prise de position lui avait valu la réprobation de l’empereur François-Joseph à laquelle s’ajoutait l’inimitié de l’archiduc Albert, généralissime des armées. Rodolphe par la suite devait comprendre qu’il n’avait pas mesuré à quel point de désespérance se trouvait son ami puisque quelques semaines plus tard il entamait des tractations secrètes en vue d’accéder au trône de Bulgarie. La colère de l’empereur en fut décuplée. L’archiduc Jean Salvator était relevé de ses fonctions de commandant de la 3e division d’infanterie de Linz et chassé de l’armée comme un traître.

Ces mots qui resurgissaient même dépassionnés, il voudrait les oublier à jamais. Sans que Rodolphe y prenne garde la discussion avait dérapé, attisée par la mauvaise humeur de son cousin. L’archiduc Jean avait lancé les premières piques, reprochant au prince héritier de l’avoir abandonné à son triste sort, alors qu’il avait promis d’intervenir auprès de l’empereur son père pour assouplir les conditions de son exil à Linz, ajoutant avec colère que son dilettantisme était responsable de l’échec des négociations engagées avec les mouvements d’opposition disposés à unifier leurs forces pour lutter contre la politique antidémocratique du gouvernement. « Seul un grand homme peut avoir de grandes idées et être en mesure de les réaliser ». Cette phrase prononcée d’une voix grave et moqueuse par son meilleur ami reste gravée dans sa mémoire comme une intense et douloureuse brûlure. De plus à son énoncé, il avait pris l’air offusqué d’un de ces archiducs d’opérette qu’il ne cesse de brocarder, arguant pour sa défense qu’il avait fait son maximum, et que de toute manière il s’était compromis en participant à des réunions secrètes et en écrivant des pamphlets corrosifs que son ami le journaliste Moritz Szeps devait édulcorer. Ces reproches immérités l’avaient profondément blessé. Excédé, il avait crié en martelant ses mots. « Qu’il avait défendu jusqu’à l’inacceptable ses convictions de justice et de liberté et qu’il n’avait pas à se justifier, n’ayant jamais adhéré aux thèses défendues par les Francs-Maçons ou autres Frères Asiatiques, et encore moins à celles des Slaves nationalistes qui veulent la mort de l’empereur. Il s’ensuivit ensuite un dialogue de sourds où chacun reprochait à l’autre ses initiatives malheureuses avant que Jean n'y mette fin en estimant inutile de poursuivre cette conversation et que leur chemin se séparait ici. Qu’il s’était trompé en estimant que Rodolphe pouvait être l’homme de la situation et que le jour où ses idées seront en concordance avec le but fixé, il le trouvera sur sa route. L’archiduc Jean Salvator avait même ajouté sur un ton sarcastique que les réunions prétendues secrètes ne faisaient qu’alimenter le bureau de décryptage des principales ambassades européennes et que toute cette mascarade ne pouvait se terminer que par un naufrage. La rancœur mais surtout le défaitisme de son cousin l’avaient sérieusement ébranlé. Cette amitié qu’il croyait si forte volait en éclat, son ami, son frère l’abandonnait au plus mauvais moment. Qu’avait-il répondu ? Il croit se souvenir avoir parlé de trahison, de rupture d’un pacte fraternel. Puis d’un ton las, il avait murmuré que si son plus fidèle ami le laissait tomber, il n’avait plus rien à espérer. Un long et grand silence avait succédé aux mots dynamiteurs d’espoir, soudain brisé par la voix calme et posée de Jean qui disait que leur amitié était indestructible et que si rupture il y avait elle ne serait pas de son fait. Ces paroles apaisantes étaient réconfortantes ; soulagé, il avait répondu qu’il n’avait jamais douté que leur parfaite complicité saurait venir à bout de divergences passagères et qu’il fallait dans l’adversité se serrer les coudes. Ils s’étaient quittés réconciliés mais fragilisés par les doutes et les incertitudes.

En s’engouffrant dans l’habitacle étroit et obscur du break de chasse Rodolphe ne distingue qu’une silhouette assise sur le siège de droite. Tout en s’installant sur la banquette libre, il a bien du mal à reconnaître Jean Salvator en ce moine à la tête cachée par une capuche et vêtu d’une longue pelisse qui ne laisse voir que le bas des bottes. Mais à ce stade les mots sont inutiles, ce qui compte, c’est la joie de se retrouver et le regard lumineux qu’ils échangent suffit à son bonheur. Dans un même élan une chaleureuse poignée de main scelle leurs retrouvailles.

- Mon cher « Népo », tu ne mesures pas à quel point ta présence me réconforte. La voix légèrement enrouée de Rodolphe résonne étrangement dans l’espace confiné de la petite cabine. Ce pseudonyme qu’il utilise rarement est constitué des quatre premières lettres du second prénom de Jean « Népomucène ». C’est en général le signe qu’il est en proie à un profond tourment, affectif ou moral.

- Mais d’abord comment vas-tu ? Sans laisser le temps à Jean de répondre, il saisit et serre à nouveau fortement ses mains avant de poursuivre sur un ton enjoué.

- Tu parais en bien meilleure forme que moi. Entre-temps son cousin avait repoussé sur ses épaules le capuchon de son habit, découvrant un visage souriant animé d’une farouche énergie. Le Toscan dit le pestiféré, interdit de cour, avait surmonté la terrible épreuve de son bannissement. Sans avoir retrouvé sa prestance de général, son allure joviale et sereine inspire le respect. Quant à ses yeux ils ont toujours l’ardeur jamais éteinte d’une flamme éternelle.

- Roudy ? Jean visiblement de belle humeur s’adresse à son ami. Je suis également content de renouer les liens d’une indéfectible amitié, de plus, braver les interdits entretient l’imagination. Cette allusion concerne son déguisement et l’interdiction impériale qui lui est faite d’approcher le prince héritier en dehors des manifestations officielles auxquelles il n’est plus convié.

La descente vers le pont du Danube s’annonce difficile en raison des congères qui bordent le chemin. Le break, bien suspendu, grince et tangue au rythme du ralentissement des chevaux, ferrés à glace, parfaitement bridés par le cocher.

- Alors qu’as-tu donc de si important à me dire. Jean Salvator s’adresse à son ami d’une voix chaleureuse.

- Le message codé que j’ai déchiffré avec l’aide des grilles que tu m’as confiées me laisse perplexe et enthousiaste à la fois.

- Je suis cher Gianny dans le même état d’esprit. Je regrette ce trop long silence, j’aurais dû t’écrire plus souvent, mais la pression était si forte que j’ai préféré laisser passer l’orage. Ensuite, les événements se sont précipités, mes problèmes conjugaux, ma sale maladie m’a tenu éloigné des mesquineries de la cour. Cela bien heureusement ne modifie en rien nos relations privilégiées, au contraire cette séparation forcée n’a fait que renforcer nos liens. Rodolphe croise les mains et soupire un grand coup.

- Nous avons partagé beaucoup d’idées, des échecs et quelques satisfactions. Un sourire malicieux fend ses lèvres et fait frémir sa moustache. - Également les faveurs de belles filles, mais surtout des secrets, aussi je ne puis plus me dérober. Il me faut m’assurer de ton conseil et si possible de ton éventuelle implication dans mon projet. Le ton pressant et son regard soucieux confirment l’urgence de son propos.

- Tu es le seul en qui j’ai confiance, le seul à pouvoir m’écouter et me comprendre. Rodolphe par expérience, malgré les liens distendus qu’il entretient avec Jean Salvator, attache une grande importance à ses conseils, car son proche entourage ne comprend rien à ses préoccupations et n’a aucune influence sur ses décisions. Le fier et borné comte Hoyos n’est qu’un exécutant zélé, quant au bedonnant prince Philippe de Cobourg, c’est plus un compagnon de beuverie. Une brusque quinte de toux suspend un court instant le fil de son discours.

- Je sais par intuition ou réalisme que je ne serais jamais empereur. Le torse penché en arrière, il respire un grand coup, redresse la tête et fixe son ami d’un regard songeur.

- Tu te souviens des prédictions de la jeune bohémienne aux yeux de feu rencontrée au cours d’une promenade dans les environs de Gödöllö. Pour moi elle avait fait cette étrange et maléfique prophétie. « Tu sortiras du labyrinthe de la vie sans gloire ni couronne et pour toi la promesse d’une vie d’aventures loin de l’empire. »

Jean plus pragmatique que le prince héritier avait remisé cet épisode au fond de sa mémoire. Par contre, il sait que son cousin qui se défend d’être superstitieux ne ramène pas inopinément cette histoire sur la table. Sans lui laisser le temps de cogiter Rodolphe continue sur sa lancée.

- Sais-tu à quoi se résume ma vie? Rodolphe, d’un geste insistant, passe sa main sur son front moite.

- Un désert affectif et moral où une épouse moche et acariâtre bombarde l’empereur François-Joseph de suppliques extravagantes supposées l’informer des dérives conjugales de son fils. Après les souffrances endurées durant mon enfance et mon adolescence pour accéder au rang de prince impérial, je n’avais qu’un seul souhait, être confronté au flot turbulent de l’action. Je n’ai eu droit qu’à des admonestations et des réprimandes, agrémentées, il est vrai, par la fade platitude des inaugurations.

Jean, conscient des bienfaits du déballage auquel se livre son ami, se garde bien de l’interrompre.

- Pendant ces dernières années je n’ai rien fait d’autre que me réfugier dans une spéculation effrayante et morbide sur mes chances d’accéder rapidement au trône. À partir de ce constat on ne supporte plus personne à commencer par soi-même et seul subsiste l’absurdité d’un quotidien sans but. Soudainement sa voix s’est emballée, raclant et expulsant de sa gorge des mots aux accents amers.

- L’empereur ne fait qu’ordonner. Il est interdit de discuter son jugement. J’ai l’impression qu’avec soin et sollicitude il organise mon inaction, réduisant mes obligations de prince héritier aux chasses royales et aux cérémonies commémoratives ou inaugurales. En vérité, il ne se soucie guère de ma solitude affective et morale.

Son visage pâle et soucieux reflète son émoi sans toutefois entamer sa détermination à vider son sac.

- Gagner du temps n’a plus aucun sens quand la certitude de ne jamais régner envahit ton âme d’un sentiment de liberté. Il me faut maintenant agir vite et jouer la carte de la surprise. Il n’y a rien à espérer de nos amis. Moritz Szeps a des problèmes avec la justice et nos soutiens dans l’armée Autrichienne sont démobilisés. Il ne reste que quelques bataillons hongrois susceptibles de sortir des casernes. Toute action à caractère insurrectionnelle venant de l’intérieur est vouée à l’échec. De plus, tu connais ma réticence à employer la force pour m’asseoir sur le trône.

Le visage de Rodolphe s’est soudainement métamorphosé, transfiguré par l’importance des choses dites.

- Je refuse le temps cohérent, la durée planifiée m’exaspère, ces instants sans saveur me fatiguent. Je veux un temps explosé, tragique et beau.

L e regard de Jean, attiré par un bruit insolite accroche au dehors les fugitives images d’une ville enneigée où clignote par moments la lueur ocre jaune du réveil des premiers feux.

- J’ai à présent le sentiment tenace qu’il me faille larguer les amarres et ainsi me soustraire à la pesante idée d’une existence enchaînée. Ce que je veux n’est plus ici, il y a trop de provocations. J’ai demandé l’annulation de mon mariage au pape en invoquant l’impossibilité pour l’impératrice de donner un héritier à l’empire. Alors pourquoi continuer à subir malveillance et sarcasmes.

Sur son visage apaisé, subsiste un fond de teint pâle où affleurent quelques couleurs.

- Je sais que sur mon conseil tu as suivi à Hambourg des cours de navigation et obtenu ton brevet de capitaine au long cours.

Jean s’était plié de bonne grâce à cette épreuve considérant que posséder un tel brevet pouvait s’avérer utile, d’autant plus que deux archiducs de la branche Toscane sillonnent déjà mers et océans. Aussi exprime-t-il sa satisfaction en répondant qu’il y trouve un énorme plaisir.

- Tant mieux, car tu joues un rôle majeur dans mon plan. J’ai fait l’acquisition sous un nom d’emprunt d’une goélette actuellement mouillée dans le port de Portsmouth en Angleterre. Dans un premier temps, mon objectif est de faire un tour du monde, pour ensuite envisager de m’installer en Amérique du Sud dans un de ces pays libérés du joug espagnol où on peut se tailler un empire à la mesure de ses ambitions.

Rodolphe, fixe son ami avec insistance, pas vraiment surpris par l’expression incrédule de son regard.

- Notre oncle Maximilien croyait aussi à cet eldorado. Il est mort fusillé. Argumente Jean d’une voix affectée.

- Justement la tragique expérience mexicaine de l’oncle Max doit servir d’exemple. Il ne faut compter que sur toi-même et surtout éviter toute compromission avec une puissance étrangère. Les paupières de Rodolphe s’abaissent, alourdies par la fatigue, pour s’ouvrir quelques secondes après en flashant la pénombre d’un bref éclat lumineux.

- De toute façon ma décision est prise. Tous ces renoncements perçus comme une fatalité ont cessé de m’empoisonner la vie. Alors avec toi ou sans toi je tente l’aventure.

Il arrive à Jean d’être encore désorienté par les réactions imprévisibles de son cousin, plus instinctives que raisonnées. Aussi, malgré une réticence due essentiellement à son esprit fantasque il est enclin à écouter attentivement ce qu’il propose.

- L’offre est tentante et mérite réflexion. Je suis déjà un paria dans mon pays avec pour seule perspective, l’indifférence et l’oubli. Tu étais mon unique espoir de réhabilitation, alors raison de plus pour m’expatrier et chercher ailleurs la considération que me refuse l’empire. La seule question que je me pose, c’est de savoir si tu es réellement disposé à tout quitter pour tenter l’aventure.

La réponse fuse, franche et directe.

- Je pense avoir été assez explicite en ce qui concerne mes motivations. De plus j’ai appris à mes dépens que tout ce qui est excessif brûle trop vite pour durer et qu’il faut alors chercher son équilibre entre sagesse et folie.

La détermination affichée par Rodolphe est stimulante, mais cela n’empêche pas son cousin d’échafauder les situations susceptibles de constituer un obstacle.

- En ce qui me concerne le défi est séduisant car mis à part ma chère mère, personne ne regrettera mon départ, a commencé par l’empereur.

Soudain une question vient à l’esprit de Jean

- Mais dis-moi ! Cette expédition doit coûter une fortune ? J’ignorais que tu es aussi riche.

Un large et franc sourire éclaire le visage de Rodolphe.

- J’ai largement les moyens, ma mère l’impératrice Elisabeth m’a légué une grosse fortune, partie d’un héritage reçu à la mort de mon grand-père paternel. L’argent est placé en Suisse et j’ai fait transférer une somme importante dans une banque de Buenos Aires en Argentine.

L’affaire semble plutôt bien ficelée et Rodolphe en confiance, conclut par.

- Si tu es d’accord, nous pouvons envisager d’embarquer avant deux mois.

- Tu pars seul ? Jean Salvator risque une question, ignorant tout des actuelles liaisons extraconjugales de son cousin.

- Je n’en sais rien encore, Mitzi refuse de me suivre, l’aventure lui fait peur. Reste la petite baronne Marie Vetsera que tu ne connais pas. Elle m’est dévouée corps et âme. Je pense qu’elle sera du voyage à Mayerling avec Hoyos et Cobourg. J’aviserai ensuite en fonction des événements.

Rodolphe à son tour questionne son ami en esquissant un sourire complice.

- Et toi ? Je sais par des ragots de couloir que tu fréquentes une belle jeune fille blonde.

Jean Salvatore est embarrassé, il était loin d’imaginer que la haute aristocratie qui habite le Palais-Royal de la Hofburg puisse faire des gorges chaudes de l’existence de Milly Stubel, sa jeune et adorable maîtresse, chanteuse à l’opéra. Aussi rétorque-t-il évasivement qu’il n’en sait fichtrement rien n’ayant jamais abordé ce sujet avec elle.

- Le prince de Toscane serait-il amoureux ? Par contre, il est toujours aussi susceptible quand on aborde sa vie sentimentale. Rodolphe se moque gentiment de la pruderie de son cousin, à jamais fort discret sur ses aventures amoureuses.

L’aube tarde à se lever, pâle et frileuse, elle flemmarde dans le lit enténébré de la nuit. Le cocher perché sur son coffre excite avec force jurons les deux chevaux qui tirent le break de chasse sur la route glissante, défoncée par les ornières. Rodolphe tout en continuant de sourire redresse son torse puis le penche en avant, la tête relevée vers les yeux de son ami. Une lueur de satisfaction brille dans son regard vite effacé par la pénombre qui trame l’habitacle. L’adhésion de son cousin au plan qu’il projette est pratiquement acquise. Il peut maintenant en développer les grandes lignes. Ce qu’il dit doit rester secret, leur sécurité en dépend. Sur un ton clair et rassurant Rodolphe dévoile le principal du projet qui comporte deux phases importantes. La première concerne la mise en scène du départ surtout articulé autour d’une parodie de chasse organisée à Mayerling. La deuxième partie est plus délicate à gérer, elle implique un certain nombre d’incertitudes difficilement prévisibles une journée avant le déclenchement de l’opération. Si tout se déroule sans accroc, Bratfisch le conduira dans la nuit à la gare de Gratz où il prendra le train pour Trieste, via Venise et sa destination finale la Suisse, où ils se retrouveront.

À l’est, alors que tout semble engourdi, la ligne esquissée de l’horizon s’éclaire, diffusant une timide clarté orangée.

Rodolphe vaincu par la fatigue s’est assoupi sur la banquette. Dans la mi-ombre, il offre son profil droit, dévoilant un front haut et bombé, quelques mèches de cheveux aux reflets roux et une barbe rasée courte barrée sous le nez par une moustache épaisse à la pointe légèrement tortillée.

Jean en profite pour mettre de l’ordre dans ses idées. Cet exercice encouragé au début par la prise de conscience que suppose un tel engagement est vite résolu par le seul véritable choix, celui de l’aventure et de la liberté. Les balancements plus légers de la voiture, sans le bercer vraiment plongent sa mémoire dans la réminiscence de souvenirs rescapés de l’oubli.

Vienne avril 1886.

À l’époque, l’archiduc Jean Salvator traversait une mauvaise période. Il venait d’être muté pour acte d’indiscipline à la forteresse de Linz, située en Haute-Autriche et son esprit, obscurcit par cette désillusion, tardait à retrouver l’équilibre. L’archiduc Jean se rendait sous une pluie battante à une de ces soirées mondaines, bien souvent ennuyeuses, mais où il devait retrouver Rodolphe, son ami le prince impérial, seul susceptible de plaider sa cause auprès de l’empereur.

Jean Salvator avait donc répondu à l’invitation de Moritz Szeps, un magnat de la presse très lié à son cousin Rodolphe qui recevait dans son hôtel particulier des personnalités issues d’horizons aussi différents que les sciences, les arts et le journalisme, en général systématiquement écartées des soirées huppées organisées par les aristocrates viennois, car jugées trop contestataires.

Ce soir d’avril 1886, pluvieux et venteux, Jean franchissait le seuil de la propriété, traversait le grand parc aux noyers séculaire et accédait au grand hall illuminé après avoir gravi une dizaine de marches. Il venait de faire quelques pas dans le vestibule qu’aussitôt un domestique le délestait de son képi et de sa redingote mouillés en le priant d’emprunter le grand escalier de marbre blanc qui débouchait sur une pièce d’où parvenait un air de valse, parasité par un bruit de voix. Le vaste salon au carré, éclairé au moyen de six grands lustres, accueillait une centaine de personnes scindées en plusieurs groupes. Le rassemblement principal constitué en majorité d’hommes agglutinés vers les hautes fenêtres drapées de velours rouge, parlait haut et fort en s’esclaffant.

Un léger frôlement avait fait détourner le regard de Jean. Sophie, la fille aînée du maître de maison qu’il connaissait de vue se tenait devant lui, un sourire court et discret sur les lèvres. La robe en étoffe d’un blanc satiné qui l’habillait, au volume rabattu en arrière, cachait un corps frêle sans attraits particuliers. Elle avait de beaux yeux noirs brillants d’intelligence et une tignasse de cheveux roux qui se teignaient de jaune sous la lumière diffuse de l’éclairage. Profitant d’une accalmie sonore, Sophie l’avait entraînée au milieu du cercle où Rodolphe, vautré dans un fauteuil, buvait à même le goulot une bouteille de Tokay, un vin hongrois qu’il appréciait.

Le prince impérial visiblement éméché tout en saluant son cousin d’un geste large de la main avait baragouiné quelques mots de Hongrois, l’invitant à intégrer le groupe d’intimes qui l’entourait. À l’époque, des rumeurs sur la vie dissolue de Rodolphe alimentaient les salons branchés de la capitale. Elles lui prêtaient dans les quartiers mal fréquentés de Vienne des aventures faciles, blondes et rondes de préférence. Le bref accueil de son cousin ne le vexait pas outre mesure, habitué aux extravagances du prince impérial il savait qu’il ne buvait jamais suffisamment pour être ivre, le soupçonnant même d’éprouver une certaine jouissance à faire croire à ceux qui l’approchaient que son ivresse anesthésiait ses facultés d’observation et de jugement.

La discussion en panne d’inspiration ronronnait tranquillement avant qu’un homme d’une vingtaine d’années avec un visage en lame de couteau où les yeux clairs faisaient de l’ombre au nez droit et aux joues envahies par une barbe florissante, n’intervienne en relançant le débat. L’intervenant, un journaliste nommé Hermann Bahr cherchait à convaincre, non sans talent, l’assemblée récalcitrante de la nécessaire adhésion au pangermanisme.

- Intéressant, avait dit Moritz Szeps en roulant des yeux malicieux.

- Mais suicidaire pour l’intégrité de l’empire. L’homme, petit et trapu, frisant la cinquantaine était assis à côté de Rodolphe. La rondeur de son allure cadrait parfaitement avec le crâne dégarni, les lunettes rondes et la veste en tweed assortie d’un pantalon de velours côtelé. La contre-attaque d’Hermann Bahr avait été fulgurante.

- L’empire ? Quelle foutaise, s’était-il écrié en balançant ses longs bras en l’air, avant de s’en prendre à l’aristocratie royale accusée de se bercer d’illusions en persistant à faire semblant d’ignorer que depuis Solferino et Sadowa, l’Autriche n’était plus en mesure de dicter sa loi et que les valeurs morales et politiques, propres à toutes les nations qui le composaient se dévaluaient rapidement, éreintées par les nationalismes slaves. D’un seul coup il avait haussé le ton en affirmant pour conclure que l’obstacle majeur c’était l’aristocratie impériale qu’il fallait détruire en même temps que l’Autriche par un rattachement au Reich allemand. Moritz Szeps, agacé, avait rétorqué d’une voix ferme ponctuée par un froncement de sourcils que Monsieur Bahr ne devait pas se méprendre sur le jugement hautement approximatif que les Prussiens portent sur l’Autriche et de rappeler pour mémoire le réquisitoire sans équivoque du chancelier Bismarck qui déclarait. « Je veux abattre l’Autriche. Je veux relever la Prusse et lui donner en Allemagne la situation prépondérante qui lui revient de droit. »

Une brusque coupure entre passé et présent ramène Jean à l’instant, aux cahotements de la voiture et à Rodolphe toujours assoupi. L’ouïe attentive quelques secondes aux bruits environnants passe le relais à la vue, le temps de jeter un coup d’œil au-dehors, d’apercevoir des fragments de lueurs sales qui flottent dans l’atmosphère, accrochés au passage et aussitôt lessivés par l’obscurité en voie de dispersion, que l’archiduc Jean Salvator retrouve le fil de sa mémoire.

Hermann Bahr ne lâchait rien, pugnace il avait demandé à Szeps d’expliquer pourquoi son journal pouvait à la fois dénigrer les politiciens corrompus qui nous gouvernaient et refuser de ne pas participer à la mise à mort d’un empire moribond qui le détestait. Dans un de ses numéros préférés d’illusionniste où euphonie et dissonance se mariaient à merveille Barh tentait de déstabiliser son adversaire. Vous espérez quoi au juste monsieur Szeps, avait-il enchaîné, vous n’avez aucun territoire à revendiquer mis à part un bout de Palestine et votre présence dans les régions de l’empire serait pour ainsi dire plus à un business qu’une volonté affirmée d’intégration citoyenne. Un mouvement de réprobation avait parcouru l’assistance choquée par l’allusion à peine voilée des origines juives de Moritz Szeps.

Un homme la quarantaine passée, grand et mince que Jean avait reconnu comme étant Carl Menger s’était levé. Le port était distingué, les tempes grisonnantes et la barbe en pointe. Tout en ajustant son binocle, l’universitaire toisait Hermann Bahr. Célèbre économiste le professeur avait enseigné l’économie politique à Rodolphe avec qui il était toujours en très bons termes. Monsieur le polémiste, avait-il dit d’une voix à l’accentuation professorale, je vous le concède, ne pas parler de l’Allemagne serait une faute, mais ne pas dénoncer la brutale intrusion du pangermanisme dans les affaires publiques aurait de graves conséquences politiques sur l’unité de l’empire. Il s’ensuivait un silence momifiant où chacun dans l’assistance restait figé dans une posture d’attente bientôt brisée par Rodolphe qui avait bondi de son siège, excité par l’intensité du débat.

- Vous n’êtes qu’un faiseur d’embrouilles, un journaliste de caniveaux, s’était-il exclamé en reconnaissant que si l’empire était à bout de souffle, dépassé par le germanisme et rattrapé par le nationalisme ce n’était pas une raison pour poser la double couronne sur la tête d’un empereur allemand.

Rodolphe avait retrouvé la verve qui le caractérisait quand il parlait de l’Allemagne. Il existait une autre voie avait-il argumenté sur un ton acéré, plus démocratique qui passait en priorité par une nouvelle négociation de nos alliances.

Le jeune trublion nullement intimidé par le titre royal de son interlocuteur avait rétorqué en déclamant. « Le prince n’est pas encore empereur, mais dans l’art perfide de la tromperie, il est mon roi. » Les deux hommes s’étaient rapidement jaugés du regard avec l’avantage d’une tête à Hermann Bahr qui reprenait d’une voix diserte aux accents gutturaux que ce n’était un mystère pour personne que Son Altesse Royale préférait l’ouest à l’est et qu’elle entretenait d’excellentes relations avec le futur roi d’Angleterre et des représentants de la République française. Tout en parlant l’orateur avait pointé du doigt Moritz Szeps, et s’acharnait à prouver la duplicité de certains Autrichiens qui préféraient nouer des relations diplomatiques avec les ennemis de l’Autriche Hongrie plutôt que de renforcer les liens qui l’unissaient à l’Allemagne. L’homme sans le dire explicitement évoquait les rapports secrets que Moritz Szeps entretenait avec des personnalités politiques et financières de nombreux États Européens, entre autres avec un député français, Georges Clémenceau, et son frère Paul, fiancé à Berta sa plus jeune fille. De plus, il était de notoriété publique, bien qu’en conservant l’anonymat que le prince héritier utilisait les compétences et le journal de Szeps pour diffuser ses pamphlets qui critiquaient publiquement la politique étrangère du gouvernement. Par ailleurs, Rodolphe partageait l’idée de son ami journaliste sur l’abandon de l’alliance avec l’Allemagne. Voilà pourquoi il se devait de réagir vigoureusement aux attaques insinuantes de Bahr.

Le prince héritier s’était approché de l’individu qu’il provoquait d’un méchant regard en récriminant que ce dernier doutait de tout sauf de la toute-puissante et belle Allemagne, aussi l’encourageait-il à faire ses valises pour Berlin. Le regard de Jean, rapide et curieux n’avait fait qu’effleurer le profil de son cousin, chiffonné par la détestable attitude du journaliste pro-allemand, conscient qu’il lui fallait dans l’urgence prendre le relais afin de calmer les dérapages verbaux de cet olibrius assez bon polémiste pour pousser ses détracteurs dans leurs derniers retranchements. L’intrusion dans la discussion de l’archiduc Jean Salvator, vêtu de l’uniforme blanc des officiers supérieurs, s’accompagnait d’un silence monastique. L’échotier avait marqué une pause peut être intimidé par la prestance de ce militaire longiligne à l’ovale du visage régulier, encadré par des cheveux noirs, aplatis et brillants prolongé par un collier de barbe coupé ras. Jean savait que la première phrase prononcée serait déterminante pour prendre l’ascendant sur Bahr aussi devait-il en bon stratège attaquer et gagner en évitant l’empoignade.

- Vous avez, Monsieur Bahr, avait-il lancé, certes le talent de manipuler les mots avec brio mais cela ne suffit pas à créer une idée juste et libre. En réalité, vous êtes un angoissé, effrayé par le militantisme des minorités slaves et l’inintelligible motivation des Juifs. Pour conclure, votre rêve de monarchie sociale imposée sous la botte prussienne n’est qu’une utopie que nous combattrons sans relâche. Le jeune homme stoppé dans son élan, mais aussi fatigué par la joute oratoire et la réprobation d’une majorité des personnes présentes avait préféré quitter le débat la tête haute en allant chercher ailleurs des oreilles attentives à son propos.

Une fois le calme revenu, Rodolphe avait entraîné son cousin à l’écart du groupe, afin de l’entretenir des derniers entretiens concernant l’action commune des mouvements d’opposition. De fait il n’y avait aucune avancée significative sinon l’intransigeance des nationalistes Slaves à vouloir leur indépendance. Jean écarté des négociations, conséquence de son astreinte à résidence avait mis en garde le prince impérial sur les dangers d’un tel engagement dont l’implication interdisait toute improvisation. Sans vouloir vexer son royal ami, trop peu de conditions étaient remplies pour espérer réunir toutes les forces dissidentes. On ne fomente pas, lui avait-il dit, un complot, comme on monte une opérette. Les Francs-Maçons et les Frères Asiatiques ont l’expérience pour eux mais ils ne feront rien sans la certitude d’obtenir un résultat positif. Quant aux autres mouvances nationalistes pour la plupart leur unique but, c’est la révolution. Il ne restait que l’armée, la seule force qui puisse l’aider à prendre le pouvoir avec tous les démons qu’elle désenchaînerait. L’archiduc Jean Salvator était prêt malgré tout, au nom de leur amitié à lui apporter son soutien, mais encore fallait-il que l’empereur le rétablisse dans son grade et commandement. Rodolphe avait tardé à répondre, pas certain d’être convaincant. Après quelques secondes de réflexion, il s’était décidé à cacher la vérité à son bouillant coussin en évoquant la possibilité d’adoucir les conditions de son exil en sachant parfaitement que son père l’empereur ne bougerait pas le petit doigt, trop heureux de briser un archiduc rebelle qui détournait son fils de la voie royale. Le silence qui suivait n’avait rien d’encourageant, ainsi l’archiduc Jean qui voulait malgré tout croire que Rodolphe obtiendrait la clémence de l’empereur, doutait que ce dernier puisse ressentir la moindre émotion favorable à son égard.

François-Joseph confiait-il, est un automate réglé sur l’horloge ancestrale des Habsbourg, toutes ses actions étaient dictées par la discrétionnaire conviction du bien-fondé de son jugement.

L’archiduc Jean Salvator prenait congé de son ami le prince impérial juste à l’instant où Mitzi Kaspar faisait son entrée dans le salon, accompagnée du peintre Hans Canon, artiste en vogue, ami de Rodolphe. La maîtresse du prince avait la beauté mystérieuse d’une femme fatale. Grande, le visage soigneusement maquillé, encadré par une opulente chevelure jais remontée en chignon, rehausse l’éclat sombre et satiné des yeux. Rodolphe n’avait pas bougé de son siège, se contentant d’adresser un regard appuyé en direction de la jeune femme.

Un trou plus encaissé sur la chaussée secoue fortement le véhicule brisant net dans l’esprit de Jean la connexion avec les réminiscences du passé. Rodolphe réveillé en sursaut s’est redressé sur son siège, l’attention attirée par des coups frappés sur la paroi située derrière le cocher. Alors que Bratfisch ralentit l’allure et se penche sur le côté en criant qu’un cavalier les suit, Rodolphe sort la tête par la portière en lui suggérant de faire comme d’habitude, semer l’intrus ou trouver un endroit discret d’interception. L’attelage accélère et après plusieurs centaines de mètres amorce un virage serré à droite qui a pour effet de soulever une roue du break, heureusement vite stabilisé par la dextérité de Bratfisch. La voiture s’engage alors à vive allure dans le chemin forestier labouré par de profondes ornières. Après deux cents mètres d’un parcours chaotique l’attelage débouche sur une lisière bordée par un étang. Le cocher sans attendre fait manœuvrer les chevaux de façon à positionner la voiture prête à repartir. Rodolphe est le seul à descendre du break, par mesure de prudence il a demandé à Jean de ne pas se montrer.

Le vent chargé de poudreuse cingle le visage du prince impérial, saupoudrant une fine pellicule de givre sur sa barbe et ses sourcils prématurément blanchis. Rodolphe surpris par les rafales de neige remet sa chapka et remonte son col de fourrure sur ses oreilles, bien décidé, le cas échéant à recevoir le mystérieux cavalier. Bratfisch est habitué à gérer ce type de situation, tel un ballet bien réglé, il pose des plaids sur la croupe des chevaux avant de gagner en de courtes foulées, la forêt dans laquelle il disparaît. Rodolphe fait confiance à son fidèle voiturier pour l’avertir de toute intrusion suspecte. Il n’a pas eu le temps de s’éblouir de l’étonnant spectacle des ramilles dévêtues, décorées de guirlandes en perles de glace que des sifflements l’avertissent d’un danger imminent.

Un individu corpulent habillé d’une redingote sombre et chapeauté d’un gibus, débouche prudemment en bordure du bois, bloqué net par la présence de Rodolphe, qui le défi avec son mauser tenu à bout de bras. La menace de l’arme et l’expression fermée du visage de Rodolphe n’encouragent pas le dialogue, aussi amorce – t il un repli rapidement bloqué par l’arrivée de Bratfisch juste dans son dos. Le quidam pris au piège cherche malgré tout à faire bonne contenance en levant ses deux bras au-dessus de la tête, sans cacher un début d’affolement.

- Qui êtes-vous ? Le ton rude et percutant de Rodolphe immobilise l’individu.

- Je vais tout vous expliquer répond l’homme d’une voix rocailleuse de campagnard, ajoutant après un court silence. Je m’appelle Karl Brauer, attaché à la protection de votre excellence, articule-t-il avec déférence en faisant un pas en avant les mains ouvertes bien en évidence.

Rodolphe se trouve à dix mètres de la personne et semble beaucoup s’amuser de son embarras. Le policier pas rassuré par le mutisme ambiant jette par intermittence un regard craintif du côté où se trouve le cocher avant de fixer le canon du revolver pointé sur sa poitrine.

- Vous n’êtes qu’un mouchard malfaisant à la solde du gouvernement ou pire encore un espion allemand. La voix glaciale du prince impérial pétrifie le policier.

- Votre Excellence, je ne fais que mon travail en vous protégeant. Parvient-il à énoncer en butant sur les mots.

Rodolphe se joue de l’inquiétude grandissante de l’individu et réplique.

- J’ai fait lever toutes les protections, je suis capable de me défendre seul et surtout je me méfie cent fois plus des coups tordus de votre chef que de la lourdeur des espions de Bismarck. L’homme tout en causant avance d’un pas

- Votre Altesse, détrompez-vous, ce sont les services secrets allemands qui ont transmis votre itinéraire à mon bureau. De toute évidence le pauvre type cherche à brouiller les cartes alors pour le punir de son insolence Rodolphe presque mécaniquement lève la main qui tient le revolver, vise le haut du galurin et tire. La détonation sèche et peu bruyante se perd dans les rafales de vent tandis que le chapeau roule en l’air plusieurs fois avant de retomber quelques mètres derrière Karl Brauer, statufié sur place. Le prince royal est un très bon tireur qui rate rarement sa cible. À voir le visage de l’homme aussi blanc que son environnement et son incapacité à enrayer un léger tremblement de sa jambe droite, il semble a priori l’ignorer.

- Je conjure votre Excellence de me croire, bredouille-t-il, tétanisé par l’arme pointée dans sa direction, ajoutant sur un ton apitoyant, si vous connaissez vos ennemis, méfiez-vous de vos amis. Rodolphe frustré par l’ambiguïté de la phrase apostrophe le policier tout en baissant son arme.

- Vous en avez trop dit ou pas assez, je vous écoute.

- J’ai pu lire une note posée sur le bureau du chef de section émanant de l’ambassade d’Allemagne qui détaillait vos prochains déplacements, le tout certifié par un certain Ladislas ou Ladislaus Von Szog, quelque chose une feuille cachait le reste. Rodolphe savait par recoupement qu’un de ses proches le trahissait. Il avait un temps soupçonné le vieux baron Karoli qui refusait systématiquement d’utiliser la grille de codage pour envoyer ses messages, mais il n’aurait jamais imaginé que son ami Von Szogyenyi un diplomate Hongrois, proche collaborateur, puisse le mystifier à ce point, fort heureusement ce judas ignore tout de son plan.

Rodolphe parcourt d’un coup d’œil l’endroit où se trouve le policier qui vient de ramasser et de couvrir son chef du gibus troué. L’individu fixe le prince, l’interrogeant du regard comme pour lui demander la permission de prendre congé et demeure figé dans cette position jusqu’au moment où Rodolphe décide de le libérer en autorisant Bradfisch à lui tendre les rênes de son cheval. Le reste du voyage qui se termine au château de Gödöllö s’est effectué sans encombre.

La belle construction baroque semble avoir replié ses ailes, transie par le froid et la neige enveloppante. Bratfisch s’est chargé de raviver le feu dans la grande cheminée d’une salle du rez-de-chaussée avant de s’assurer que le personnel à demeure a bien chauffé les chambres et préparé le dîner. Il pouvait à présent s’occuper des chevaux installés dans les vastes écuries du château.

Les visites de Jean Salvator à Gödöllö se comptent sur les doigts d’une main et toujours en compagnie de Rodolphe. Il avait rencontré deux fois l’impératrice Elisabeth qui appréciait sa conversation et sa liberté de pensée, mais jamais l’empereur François Joseph. La vue classique et enneigée du parc qu’il découvre derrière la haute fenêtre cintrée fait ressurgir une vague de souvenirs estampillés par sa mémoire.

Il se remémore ce jour d’automne où leur arrivée coïncidait avec le retour de promenade de l’impératrice, accompagnée de Marie Larich, sa nièce, née d’un mariage morganatique. Le lipizzan blanc que montait Elisabeth avait fière allure. Elle était certainement la seule souveraine à pratiquer et réussir une « Levade » mouvement de l’école espagnole de Vienne qui consistait à faire ployer les hanches de sa monture, l’avant des pattes relevé, antérieurs repliés comme un chien qui fait le beau. L’accueil que le prince impérial réservait à sa mère était toujours dépouillé de toute tendresse. Un gros contentieux affectif existait entre eux deux. Rodolphe reprochait à sa mère d’avoir été absente de son enfance et de son adolescence, laissant à sa grand-mère paternelle le soin de veiller à son éducation. Il avait profondément regretté et condamné cette démission même si aujourd’hui il peut comprendre son choix. Comme d’habitude, informée par l’empereur des dernières frasques de son fils, Sissi le sermonnait sans grande conviction et Rodolphe répondait invariablement qu’elle devait s’amuser de ces commérages, ajoutant que l’aristocratie de Vienne qui ne l’aimait pas, n’avait rien d’autre à faire que colporter et amplifier de bien vilains ragots. Marie Larich quant à elle esquissait toujours un sourire d’apparence qui peignait sur son visage comme une réticence à la joie. Pourtant le minois était agréable. Un petit nez retroussé, des joues mouchetées de taches de rousseur et une chevelure blonde abondante qui la faisait ressembler à une jeune amazone. Rodolphe qui avait dû avoir une brève relation amoureuse avec sa cousine la trouvait mondaine et cancanière tout en prêtant une oreille attentive aux potins de la Hofburg qu’elle ne manquait jamais de lui narrer.

Rodolphe et Jean, attablés à une extrémité de la grande et robuste table en chêne, savourent le goulasch entre deux verres de tokay. Le prince impérial retrouve du rouge aux joues, mais il se peut que ce soit l’effet conjugué de l’alcool et de la cheminée toute proche où se consument de grosses bûches qui crépitent en valsant. Rodolphe qui doit regagner Vienne le lendemain dans la soirée avait prévu de se coucher tôt mais deux heures plus tard les deux amis palabrent assidûment entourés par les cadavres de quelques bouteilles de vin. Au cours de la conversation Rodolphe est revenu souvent sur le bien-fondé de son action et la satisfaction de n’entraîner personne dans un désastre, mis à part, lâche-t-il en rigolant, son cher Gianni. Il s’est ensuite perdu dans les méandres d’une difficile relation avec son père, évoquant sa désespérance de se trouver exclu du Conseil des ministres où il siège de droit. Je suis fatigué, Gianni, de jouer le trouble-fête dans cette mascarade de fin de règne. Je crois avoir tout tenté pour attirer l’attention de l’empereur sur l’impérieuse nécessité de reconsidérer nos alliances en prêtant une oreille attentive aux propositions anglaises et françaises ; et d’ajouter, en amplifiant son propos.

- Mes idées libérales, ma vision futuriste, effraient cent fois plus l’empereur que mes frasques conjugales. La coalition avec l’Allemagne est un piège mortel tendu par Bismarck et approuvé par mon cousin Guillaume II, roi de Prusse et empereur d’Allemagne. Les mots raclent sa gorge provoquant un enrouement passager.

- Je n’ai aucune considération pour ce guerrier rustre et pédant qui parade moustache en guidon, et de conclure par ; ce va-t-en-guerre entraînera la chute de l’empire Austro-hongrois dans le seul but de voir triompher la grande Allemagne. Rodolphe se lève en poussant un soupir affligé, décidé tout de même à chasser de son esprit les espérances brisées. C’est alors qu’il se rappelle subitement qu’il doit envoyer un message codé à Moritz Szeps. Pour ce faire, il dispose d’un matériel de codage, décodage constitué de tables et d’une feuille de laiton poinçonnée, le tout transporté dans une petite mallette en cuir noir. Cet équipement lui permet de transmettre des messages sensibles et d’échapper en partie à l’espionnage exercé par les agents de la police politique. Jean est vaguement au courant des contrariétés qui tourmentent l’esprit de son ami. Il sait que Rodolphe, soucieux de préserver les liens amicaux qui le lient à Moritz Szeps et ses amis Hongrois, soutient la requête concernant l’opposition à une loi sur l’emploi exclusif de la langue allemande dans la chaîne de commandement de l’armée Hongroise qui doit être votée dans quelques jours au Parlement de Budapest. Cette question, en apparence anodine, déclenche en Allemagne une virulente campagne de presse contre ceux en Autriche-Hongrie qui sabotent l’alliance militaire entre les deux pays. Une fois le message transmis, le prince héritier s’est épanché une dernière fois sur les vicissitudes de son existence.

- Je sais, ma vie n’est pas un modèle de vertu, mais j’avais besoin de me frotter aux paradis artificiels, d’éprouver l’illusion de ma déchéance et ainsi échapper à l’image funeste de ma destinée. Toi seul mon cher Gianni est en mesure de comprendre ce sentiment d’impuissance, de durée figée, morose et sans fin où à force l’angoisse se transforme en lassitude et où le conscient désarmé accepte la servitude en plongeant joyeusement dans la décadence. Sa voix aux vibratos passionnés monte comme une étrange supplique.

- Alors basta, le scepticisme n’est plus de mise, le doute doit être écarté pour ne plus avoir à l’esprit que l’aventure qui s’offre à nous.

Il y a des soirs sur l’étendue blanche, seulement marquée par l’empreinte bondissante des lièvres, où l’obscurité tombe d’un coup sur la cime des grands arbres et coule silencieuse sur les futaies recroquevillées ; s’élève alors le hululement euphorique des chouettes. En hiver Gödöllö s’assoupit et avec lui s’estompent les dernières festivités de l’automne. Jean pour regagner sa chambre traverse une salle au mobilier recouvert de housses qui donne directement sur le parc enfoncé dans la nuit. Son esprit, libre de toute contrainte, ne peut pas s’opposer à la brusque résurgence d’un souvenir attaché à ces lieux.

Il se tenait ce jour une de ces soirées d’après chasse qui regroupait quelques archiducs et leurs connaissances, tous amis du prince héritier. La scène était spontanée, insouciante et délurée. Les domestiques dans un incessant ballet approvisionnaient la tablée en fines victuailles, arrosées de champagne, et malheur à la pauvre servante qui devait endurer sans broncher les mains baladeuses du bel archiduc Otto. L’homme à la moralité douteuse était connu pour ses incartades multiples. Au contraire des repas de chasse servis en présence de l’empereur les mots d’esprit étaient bannis. Les chasseurs avachis sur leur chaise préféraient écouter le répertoire du quatuor des frères Schrammel constitué d’un mixte de vieilles histoires parfois paillardes et de chansons typiquement Viennoise. Rodolphe quant à lui, assis bien au chaud à côté de la cheminée, s’amusait des imitations sifflées de Bratfisch, tout en caressant le retriever couché à ses pieds. L’archiduc Otto, ivre et débraillé, qui avait quitté la pièce pour aller soulager sa vessie était revenu en tenant un chat par la peau du cou, sitôt balancé au milieu des chiens à moitié endormis. Une véritable tornade s’était abattue sur les convives, le chat affolé courait dans tous les sens, poursuivi par une meute sauvage qui bousculait tout sur son passage. Pris d’une soudaine inspiration, le félidé avait bondi sur la table et zigzagué entre plats et bouteilles pour ensuite continuer sa course à la verticale du mur en pierres gravit promptement ; poursuivant dans son élan durant quelques mètres sa folle équipée sur le plafond avant de tomber dans les bras d’un domestique éberlué.

Le jour est levé, joyeux d’endosser un habit de brume poudré de poussières d’or. Le vent toujours froid, siffle au passage des nuages moutonnants qui jouent à saute-mouton sur le dôme enneigé des hêtres alignés à l’orée de la forêt. Le silence vocalise ses notes ; tantôt graves et muettes, elles réveillent doucement la nature ensommeillée. Jean, intrigué, cherche justement d’où proviennent des piaillements, lorsqu’il découvre dans un buis taillé au carré, deux oiseaux aux plumes ébouriffées qui se chauffent aux tièdes rayons d’un soleil embrumé.

Bratfisch en bras de chemise, vêtu d’un chaud gilet de palefrenier brosse vigoureusement un cheval noir en prenant soin de lisser la crinière avec une éponge humide qu’il passe ensuite délicatement sur les yeux et les nasaux de l’animal. Rodolphe avait quitté le château dès l’aube, bien résolu à arpenter, peut-être pour la dernière fois, les sentiers de la forêt. Alors que le cocher finit de panser l’autre cheval, la silhouette du prince est apparue à Jean sur un fond de futaie, cheminant dans la neige. C’est alors qu’un lapin débusqué de sa cachette détale sous ses pieds et regagne son terrier par bonds successifs.

Rodolphe avait enfilé sa vieille culotte de châsse en cuir usée aux genoux, richement décorée d’aigles et endossé une épaisse veste en velours, brodée de motifs fougère. Le contraste est frappant entre le personnage torturé d’hier et celui, décrispé, qui le fixe en souriant. Le regard apaisé, empreint d’une certaine tendresse que Jean n’avait plus vue sur le visage de son ami depuis belle lurette, le comble de joie. Le souvenir retient toujours quelque chose des personnages, des émotions et des paysages qui ont marqué le cœur. L’image qu’il incarne est alors actualisée et précisément adaptée aux exigences du présent. Il ne faut pas longtemps à la mémoire émoustillée pour se ressouvenir des instants de joyeuse liberté qu’ils ont vécus ensemble lors de l’inoubliable voyage en Egypte.

Alexandrie Printemps 1885

Le Miramar, arrivé tard la veille avait jeté l’ancre en rade d’Alexandrie. L’entrée du port est d’un accès difficile la nuit à cause des bancs de récifs qui longeaient la côte et des passages sans feux de signalisation. Debout à la proue du bateau, Jean et Rodolphe, vêtu du dolman blanc de la marine impériale accompagné du prince Philippe de Cobourg, attendaient qu’une chaloupe soit mise à l’eau. La présence du prince héritier n’avait aucun caractère officiel, ce n’était qu’un voyage d’agrément et d’étude destiné à parfaire ses connaissances ornithologiques de la faune égyptienne. En regardant s’éloigner la vedette qui transportait le consul d’Autriche Hongrie, les trois compères venaient juste d’échapper à la corvée protocolaire. Le diplomate, un petit gros engoncé dans un costume blanc trois pièces s’était efforcé entre deux suées épongées sur son front de persuader sans y parvenir l’héritier des Habsbourg d’assister aux réceptions données en son honneur. Avant de repartir, désemparé par son échec, il avait chaudement recommandé comme guide le représentant du sultan, un dénommé Hussen Pacha.

Alexandrie, ville ouverte et cosmopolite, bourdonnait comme une ruche en pleine activité. Une fois débarqués, les trois compagnons avaient retrouvé l’envoyé du sultan, chargé de les guider dans la ville. Le port grouillait d’une population chamarrée, mélange hétéroclite et multiracial où le populaire côtoyait le mondain. Hussen Pacha, grand et bien charpenté était vêtu d’une veste rouge repérable à vingt mètres et d’une chemise blanche au col ras du cou. Un grand turban bicolore le coiffait, ce qui accentuait la dureté des yeux noirs, mis en valeur par la peau cuivrée. Le petit groupe avait rejoint une grande avenue bordée de tamaris odorants aux troncs déliés où stationnaient des calèches. La rue était pavée et rectiligne. L’architecture orientale semblait absente des constructions qui longeaient l’artère. Les hôtels et les riches maisons particulières faisaient plutôt référence au style italien. Rodolphe écoutait d’une oreille distraite les anecdotes historiques que le guide narrait brièvement, seule la vue de l’aiguille de Cléopâtre, brusquement ensanglantée qui perçait le ciel d’un jet puissant avait éveillé sa curiosité. À mesure que la nuit tombait, les ombres se faisaient plus vivaces, elles grandissaient et leurs contours se fondaient dans la brume qui insidieusement prenait possession de la ville.