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Un Destructeur de livres accomplissant sa besogne avec zèle, jusqu'au jour où un cas de conscience va chambouler les certitudes de son univers... Une princesse claquemurée dans sa haute tour qui tentera l'impossible pour que vive son rêve le plus cher... Un jeune étudiant tenaillé par l'horrible sensation que tout déraille autour de lui et confronté à la pire aberration qui soit... Un cycle infernal où le rêve traumatisant attire comme un aimant la protagoniste vers sa destinée... Qu'y a-t-il de l'autre côté du miroir ? C'est le mystère que le héros va percer à jour, à son grand effroi... Et enfin, Koki, paria de la société d'après la Chute ayant échappé au pire mais vivant avec un épouvantable fardeau. Des ténèbres naît la lumière... Autant de nouvelles surprenantes qui vous feront voyager entre fantastique et Science-Fiction avec originalité et suspense ! PRÉFACE Lecteur courageux et curieux qui, par un concours de circonstances connues de l'univers seul, est entré en possession de ce livre, sois prévenu ! Tu entres dans un univers étrange où le mélange des genres littéraires a libre cours et où l'originalité est reine : le conte rencontre la Fantasy, le fantastique se teinte de récit de vie, le policier sombre dans l'horreur, la Science-Fiction tourne au roman noir, la dystopie tutoie la fable... Et bien souvent le fantastique appelle la Science-Fiction, et réciproquement. Que tes repères, Ô lecteur avisé, soient chamboulés est mon voeu le plus cher. Il n'y a pas de plus grand plaisir et d'expérience plus enrichissante que d'être remué dans ses certitudes et d'être emporté par la lame de fond d'une lecture inédite.
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Seitenzahl: 282
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Site : www.tresordudragon.fr
© Guillaume PERNIN, 2016
ISBN : 978-2-9553119-1-2
Existe aussi en version papier, PDF et Mobi.
Bientôt disponible en audiobook !
SOMMAIRE
Le Destructeur de livres
La Tour d’ivoire
Disparition subite
La plage du renouveau
De l'autre côté du miroir
Koki
Lecteur courageux et curieux qui, par un concours de circonstances connues de l’univers seul, est entré en possession de ce livre, sois prévenu !
Tu entres dans un univers étrange où le mélange des genres littéraires a libre cours et où l’originalité est reine : le conte rencontre la Fantasy, le fantastique se teinte de récit de vie, le policier sombre dans l’horreur, la Science-Fiction tourne au roman noir, la dystopie tutoie la fable… Et bien souvent le fantastique appelle la Science-Fiction, et réciproquement.
Que tes repères, Ô lecteur avisé, soient chamboulés est mon vœu le plus cher. Il n’y a pas de plus grand plaisir et d’expérience plus enrichissante que d’être remué dans ses certitudes et d’être emporté par la lame de fond d’une lecture inédite.
Puisse le souffle du dragon alimenter vos rêves et son trésor traverser les siècles !
Guillaume PERNIN
Ce lieu sombre et glauque, Erik le connaissait bien pour y avoir passé une partie peu glorieuse de son existence dissolue. Il ne revenait pas à cet endroit qui évoquait de douloureuses privations et de terribles humiliations par plaisir mais par obligation. La vie avait voulu que sa route le portât à nouveau au beau milieu de ce qui avait été le théâtre de sa déchéance. Et maintenant, il gravissait lentement, l’air rêveur et ressassant ses souvenirs, les escaliers de la Bibliotheca Maxima, non sans ruminer les implications de sa mission.
L’odeur d’égouts et de remugles boueux qui l’enveloppait dehors se dissipa dès son entrée dans le bâtiment. Les recycleurs d’air purifiant l’atmosphère y étaient pour quelque chose, mais le sas du seuil jouait aussi son rôle de filtre en maintenant une pression barométrique plus élevée à l’intérieur. Erik leva les yeux, qu’il avait coutume de garder rivés sur le sol pendant ses déplacements pédestres, et embrassa du regard l’immense espace s’offrant à lui.
Partout s’étalaient d’imposantes mezzanines altières et superposées, flanquées de rambardes protégeant du vide et soutenant de longs rayonnages chargés d’ouvrages. Un dôme en verre trempé en haut de cet assemblage de promontoires cylindriques dispensait une lumière relative dans l’édifice. Les coins d’ombre disposaient de lampes naturelles en cristal luminescent reproduisant les rayons solaires sans leurs dangers. L’ensemble donnait l’impression d’être un gigantesque parking souterrain. Mais, blottis dans des alcôves en bois sculpté, se trouvaient des lecteurs affalés sur des coussins moelleux ou des banquettes matelassées. Ils semblaient voluptueusement plongés dans la contemplation de lignes imprimées sur du papier. La lumière les baignait d’un doux halo protecteur.
Erik ne comprenait pas, n’avait jamais compris, l’engouement de ces gens pour les livres. Ces objets fragiles résistant pourtant aux manipulations et au temps auraient tout aussi bien pu être des briques multicolores à ses yeux. C’était la survivance d’une autre époque, le témoignage laissé par une glorieuse civilisation tombée en désuétude. Il n’avait cure de ces pièces de musée, même s’il en avait fait son métier. Avoir grandi dans les bas-fonds de Ténébreuse, ici-même sur cette pustule de la planète où trônait, incongrue et superbe, cette bibliothèque d’une autre époque, ne pouvait décemment amener qu’une seule issue logique. Avoir côtoyé pendant des années ce vestige séculaire et avoir été élevé dans la haine de ceux qui percevaient la seule subvention de la Confédération pour toute la planète devait là encore alimenter son choix. Sans équivoque, il était devenu Destructeur de livres.
À sa vue, un étrange malaise s’empara des habitués du lieu qui, quelques instants auparavant, feuilletaient négligemment tel roman, tel recueil ou telle pièce. C’était comme si le drapé de la cape frappée aux armes de l’Inspection Livresque de la Confédération, rouges sur fond noir satiné, avait proclamé l’extermination de l’exemplaire qu’ils lisaient. Tout semblait froid, désormais, et même les mots tapis au creux des pages perdaient de leur chaleur, redoutant peut-être leur propre extinction.
Erik, bien conscient du trouble qu’il venait de créer dans ce sanctuaire, s’arrêta à la hauteur de la réception et déploya solennellement l’imprimé officiel en polymère lui conférant tout pouvoir durant sa mission. L’employé, coutumier des interventions de l’I.L.C., tapota sans l’ombre d’une émotion sur son clavier holographique le titre de l’ouvrage incriminé. Néanmoins, l’un de ses doigts eut un léger spasme en pianotant sur l’image du clavier virtuel projetée sur le comptoir, signe qui trahissait l’énervement contenu du guichetier. L’ordinateur retourna une réponse pêchée dans la colossale base de données. Le réceptionniste nota soigneusement le numéro du rayon concerné et la cote de l’ouvrage sur un bout de papier prêt à remplir cet office. Son visage restait de marbre, mais Erik savait par expérience toute la frustration, voire la torture psychologique qu’il causait à son interlocuteur. Il avait appris à le lire dans leurs yeux. L’employé laissa planer un long moment un regard lourd de reproches et de dégoût sur Erik, avant de retourner, l’air las, à son inventaire.
Un Destructeur de livres ne comprend qu’à peine ces sentiments d’attachement et de désir relatifs à des objets dont il ne perçoit pas l’intérêt concret. Il envisage vaguement que cette activité puisse être assimilée à un hobby pour désœuvrés. Aujourd’hui, tout ce que l’on avait à apprendre était téléchargé automatiquement dans le cerveau et on dopait les neurones à grand renfort de programmes intelligents visant à optimiser le système. Une défragmentation régulière et le tour était joué ! Quelle place alors pour ces assemblages de papier décorés à l’encre ?
Erik, muni de la référence localisant le livre, grimpa précautionneusement les marches des escaliers en colimaçon menant aux étages supérieurs. Il n’y avait rien de plus traître que ces degrés en biais, comme autant de tranches rétrécies sur le bout attendant impatiemment que le pied y glisse. Il se rappelait une autre mission, en ces lieux connus, durant laquelle il avait failli se fouler méchamment la cheville, sinon pire… Depuis, il déployait une attention extrême qui devait lui donner un air emprunté et devait le faire passer pour un incongru dégingandé. Mais surveiller sa marche lui permettait de se concentrer sur sa mission et lui évitait de croiser des regards assassins lancés par les amoureux des livres, recroquevillés dans leurs niches, peut-être apeurés à l’idée que l’on arrache de leurs mains leur précieux objet. Cette attitude le laissait indifférent, mais une gêne tapie en son for intérieur lui renvoyait une image inconfortable. L’impression d’être un prédateur nuisible, dans l’étrange paix de cathédrale qui régnait dans la bibliothèque. Il se savait indésirable et acceptait son rôle en conséquence de cause. Il méprisait les lecteurs et, pourtant, ne pouvait s’empêcher de considérer certains aspects de sa fonction comme ingrats. En revanche, le pavé qu’il recherchait ne lui inspirait aucun remords et subirait le même sort que les autres. Au moins les livres ne vous foudroyaient-ils pas du regard…
Il reconnut enfin la référence gravée dans le bois solide d’un rayonnage et se mit à la quête de la cote idoine. Il se fit la remarque que tout était toujours si bien rangé ici, depuis des lustres, et que tous les habitués devaient s’employer à prendre soin des fonds avec une maniaquerie d’antiquaire. Leur méticulosité lui rappelait la sienne, puisque lui non plus ne laissait rien au hasard, sauf que son attribution ne consistait pas à sauvegarder les livres mais à les détruire. Cette similarité expliquait peut-être son respect inconscient pour les partisans du livre, malgré l’incompréhension de leur passion.
Au détour d’un serre-livres en métal séparant deux thèmes, son doigt rencontra la pastille holographique indiquant la cote correspondant à l’ouvrage de sa mission. C’était un traité de politique interplanétaire dépassé dont les informations obsolètes n’avaient plus cours et qui risquait d’embrouiller l’esprit des lecteurs potentiels. La destruction était toujours préconisée dans les cas d’obsolescence avérée. L’assainissement des connaissances permettait aux gens d’avoir l’esprit clair et cela évitait des débats polémiques stériles sur des questions délicates conduits par des personnes inexpérimentées. Il valait mieux laisser ces querelles de haut vol aux spécialistes. Erik adhérait totalement à cette méthode de pacification des consciences, sans trop savoir pourquoi, mais cela lui plaisait. Elle avait fait le succès de la Confédération et, principalement, sa prospérité. Ne participait-il pas ainsi à l’amélioration de l’univers ?
L’index posé sur la tranche, il exerça une légère pression sur l’ouvrage qui vint à lui non sans protester avec force bruits de frottement. L’objet était engoncé entre deux pavés dans une rangée serrée à l’extrême. Se saisissant du traité dépassant désormais, Erik le retira franchement avec tous les égards dus aux condamnés à mort. C’était aussi pour son sens de la cérémonie que l’on avait songé à le recruter pour ce travail exécutionnaire.
De sa poche dissimulée par sa longue cape, il sortit d’un holster en cuir noir un petit cube gros comme le poing. Il plaça son pouce contre la dépression dans le métal, sur le haut du cube d’un noir ébène, juste en dessous d’une petite lentille bombée. La reconnaissance biométrique valida l’identité du porteur de l’instrument destructeur et déploya un laser au large spectre dont les couleurs bleutées miroitaient sur les étagères alentour. Le rayon tracteur patientait paresseusement en vibrant et en émettant des pulsations graves. Erik y laissa choir le livre incriminé. Celui-ci ralentit sa chute et s’immobilisa avant de tournoyer lentement, suspendu dans cette toile luminescente, emprisonné par un prisme de lumière opaline. Avec application et solennité, Erik composa le code à douze chiffres sur le clavier holographique qui était apparu au sommet du cube, sous le capteur biométrique. La validation entraîna la rétractation immédiate du rayon qui absorba le livre et le laser dans un affreux bruit d’aspiration. Ce n’était pas sans rappeler l’horrible bruit de succion que font certains malotrus en engloutissant leur soupe à la cuillère.
Le cube retourna dans sa protection, maintenant qu’il était devenu aussi inerte qu’un bloc d’obsidienne et ne servirait plus avant sa prochaine mission. Le Destructeur de livres réajusta sa cape noire au symbole écarlate et entreprit de redescendre le traître escalier en colimaçon en essayant de ne pas trop se donner en spectacle. Il arborait sur son visage l’air résolu de ceux qui ont accompli leur devoir. Les regards, autour de lui, s’étaient faits bien plus assassins, car nombre de lecteurs avaient entr’aperçu fugitivement une lueur bleutée s’immisçant entre les ouvertures des rayonnages. Tous savaient pertinemment quel forfait méprisable avait été commis au beau milieu de ce temple de la culture et de la sauvegarde du savoir. Au nom de quel idéal ? Le public semblait gronder son mécontentement plus fort à travers ce silence pesant et malsain.
Debout, sur le parvis de la Bibliotheca Maxima, Erik embrassait du regard la curieuse perspective qui s’offrait à ses yeux : ruelles tordues aux sinuosités compliquées, tourelles délabrées au coin de murailles centenaires, canaux boueux charriant une eau noire et visqueuse ; et partout une foule de gens louches, soit accoudés aux murs, soit déambulant l’air innocent mais se dépêchant vers quelque sombre dessein. Une place attira particulièrement son attention : c’était un de ces espaces circulaires, pavés à l’ancienne mode, incrustés de saleté, et orné d’une statue triomphale en son centre. C’était là, à cet endroit précis, à la base du piédestal, des années auparavant, qu’il avait perdu son âme. Au pied de la sculpture du premier Destructeur de livres.
L’effigie montrait un homme mûr aux cheveux courts, aux pommettes osseuses et à la mâchoire carrée. Son corps paraissait musclé, du moins le devinait-on, sous le drapé grandiose de cette même cape qu’Erik portait. Un emblème identique s’y voyait, gravé dans le métal doré, vague imitation de l’or que l’on ne minait plus. Ce signe dignitaire représentait le système néo-féodal de la Confédération. L’arborer, c’était adhérer à ses idéaux et cautionner ses actions, vivre pour servir la paix universelle et l’amélioration du cosmos, rendre le monde saint. Telles étaient les promesses de la Confédération. Erik se souvenait que ces raisons l’avaient poussé naguère à s’engager après une déconfiture cuisante, adossé à ce même piédestal qu’il contemplait de loin, aujourd’hui. Il se rappelait avec quelle fougue son imagination s’emparait à l’époque de cette icône droite et héroïque, tenant dans sa main gantée le cube destructeur qu’il brandissait triomphalement, les deux pieds campés dans la pierre grise du piédestal. Cette statue représentait la liberté à ses yeux. Elle avait une attitude volontaire et déterminée face à l’avenir, pleine de force et de courage. Lui, jadis, était tout l’inverse et désirait ardemment cet avatar, synonyme d’échappatoire.
En mémoire, lui revint avec une douloureuse intensité les sévices vécus à cette période. Les coups rendus en vain à des agresseurs plus âgés et surtout plus nombreux que lui… Sa confiance trompée maintes fois par ceux qui se prétendaient ses amis.. Les coups subis cent fois, mille fois, et son corps agité de spasmes, perclus de douleur… La tête maintenue immergée dans l’eau croupie, la boue ou pire… jusqu’à ce que ses poumons brûlent et que de minuscules aiguilles semblent les transpercer de l’intérieur. À cette pensée, Erik eut soudain du mal à respirer. Le souvenir traumatisant de ces épreuves lui pesait tant qu’il recréait à l’identique les sensations ressenties jadis. On aurait dit qu’un poisson happant goulûment l’air se tenait sur le seuil de la bibliothèque.
Il se rendit compte qu’il avait crispé les poings machinalement. Tout son corps s’était raidi et ses muscles sursautaient sous l’effort malgré lui. C’était justement pour cela qu’il était parti, qu'il avait choisi la voie des étoiles et embrassé la justice, pour ne pas laisser libre cours à sa vengeance et ne pas exterminer les vicieux personnages de son enfance. Pour ne pas s’abaisser à devenir comme eux, qu’il abhorrait. Et particulièrement pour ne pas les libérer de la vie misérable qu’ils devaient certainement se coltiner jour après jour, dans cette immense cité lacustre aux égouts méphitiques. Il espérait secrètement que leurs occupations les mettaient en contact plus ou moins direct avec cette fange que son système respiratoire avait si vaillamment tenté de refouler auparavant.
Erik s’aperçut enfin que son regard errait dans le vague, contemplant un paysage flou et voilé, bien loin de la statue évocatrice. Cette terre stérile n’était plus son monde, désormais ! L’univers entier, en revanche, était devenu son espace. Les Destructeurs voyagent énormément et leurs missions les portent à des milliers d’années-lumière de chez eux. Que Ténébreuse eût fait partie de son itinéraire n’était pas dû au hasard, il ne cessait de ressasser cette évidence depuis son arrivée. Il ne pouvait pas s’empêcher de questionner les ordres de sa hiérarchie, du moins mentalement, car confronter son supérieur représentait un danger bien trop élevé pour un résultat par trop hypothétique. Ces pensées provoquaient en lui un sentiment d’inconfort indéfinissable, comme une culpabilité réprimée. Néanmoins, Ténébreuse… Son enfance… Quels projets nourrissait le commanditaire de cette opération ? Quel but secret dont il serait l’ignorant exécuteur ? Quel intérêt pour la Confédération ?
Toutes ces questions lui brûlaient les lèvres, d’autant plus qu’il n’aurait peut-être jamais l’opportunité de trouver une réponse satisfaisante à aucune d’entre elles.
Erik s’ébroua, comme si dérouiller ses muscles et sa nuque avait le pouvoir de chasser ses inquiétudes et balayer ses griefs contre ses supérieurs. Fort de cette illusion rassurante, il coupa court à ses tergiversations et entreprit de descendre avec la plus grande prudence l’escalier à degrés du parvis de la bibliothèque, rendu glissant par une mousse traîtresse. Ce lichen verdâtre ressemblait à de la moisissure et exhalait une puanteur à la mesure de cette prétention bien qu’il dût fournir une bonne part de l’oxygène de la planète. Erik slaloma vaille que vaille entre les paquets agglutinés du végétal endémique, puis emprunta un chemin de traverse longeant un canal engorgé d’immondices.
Son vol spatial ne décollait que le lendemain, il devrait donc demeurer à l’hôtel durant ce laps de temps. Une appréhension croissante s’était emparée de lui à mesure qu’il se rapprochait de l’infâme établissement où une modeste chambre l’attendait. Mais ce bouge miteux représentait ce qu’il y avait de mieux. Et, sur Ténébreuse, ce qu’il y avait de mieux correspondait au pire du standard d’autres planètes.
Au détour d’une enfilade de façades humides et sombres, une enseigne salie par des projections de boue apparut. Elle arborait un titre des plus engageants : Penumbra. Erik réprima la nausée naissante que les relents nauséabonds de l’allée suscitaient et franchit le seuil de l’établissement.
Ses yeux s’habituèrent sans mal à l’intérieur puisque la luminosité ambiante n’était guère plus importante que dehors. De rares spots diffusaient une lueur pâle au centre de la pièce, le reste étant plongé dans une semi-obscurité intrigante. Cette atmosphère voulue résonnait curieusement avec le nom de l’hôtel et tentait d’évoquer le luxe classieux d’autres tropiques spatiaux. On comprenait assez rapidement, cependant, que ces mystérieuses zones d’ombre déguisaient d’une manière fort prosaïque la crasse accumulée : en ne la montrant pas. Le charme suranné de Penumbra cédait sous la concentration étouffante de poussière que l’air charriait, signe que l’aspirobot était en panne depuis bien longtemps. Peu de techniciens s’installaient à vie sur Ténébreuse et la moindre cité était insalubre. Par conséquent, le matériel était plus souvent en carafe qu’en fonctionnement.
Erik s’avança vers une stèle métallique qu’un spot plus lumineux que les autres inondait d’une éclatante blancheur. Sa présence réveilla la machine par le truchement d’un capteur et un hologramme apparut : c’était une de ces hôtesses blondes et pulpeuses comme les clients masculins devaient les apprécier. S’il avait appartenu au sexe opposé, nul doute que l’ordinateur aurait modélisé un beau brun musclé et fraîchement rasé. Mais cette apparition laissa Erik de marbre, malgré le chaleureux « Bonjour ! » qui en émana, et celui-ci n’entendit pas vraiment les paroles archiconventionnelles proférées par son hôtesse virtuelle. Il se contenta de prononcer son nom pour qu’une carte magnétique sorte d’un orifice du monolithe lisse et froid. Ce passe ouvrirait sa chambre, où il serait contraint de patienter, reclus dans une pièce miteuse et inconfortable.
Il s’éloigna sans regret de la synthétique représentation féminine qui lui adressait poliment un « Bon séjour ! » surjoué et joyeux en décalage avec la réalité. Elle dodelina de la tête et ondula des hanches brièvement avant de disparaître en crépitant. Tout en rejoignant pensivement sa réservation, il déambula dans un dédale de couloirs, guidé par des indications au sol qui apparaissaient puis disparaissaient à son passage, et rumina ses éternelles interrogations. Enfin apparut la porte correspondante. Il se saisit machinalement de la poignée. Elle était huileuse et, même munie d’un gant, sa main dérapa un peu avant qu’il ne raffermît sa prise. Par combien de mains avait-elle été contaminée sans jamais subir aucun nettoyage ? Un frisson de dégoût le parcourut à l’idée de l’accumulation de sueur et de saleté que ce contact venait de transférer sur le cuir de son gant. Il s’empressa de s’engouffrer dans l’espace confiné qui lui tenait lieu de chambre d’hôtel, afin de se débarrasser au plus vite de cette souillure.
Les heures passent sur Ténébreuse, comme partout ailleurs, mais le font différemment. Elles trépassent en se traînant, engluées, affaiblies, et agonisent au terme d’une lente décomposition. Allongé sur le lit, les bras repliés, les mains libérées de ses gants, paumes sous sa tête, Erik laissait filer ces minutes interminables propices à la méditation. Moment dangereux entre tous, il le savait, où se retrouver seul et inactif pouvait conduire à d’étranges pensées ou à de surprenantes remises en cause. Et s’interroger sur ses valeurs lui causait encore et toujours des atermoiements sans fin dont il ressortait troublé. Pour une fois, il lutta contre ces dérives mentales et résista aux interrogations qui l’assaillaient habituellement. En revanche, ce fut le sommeil qui l’emporta, trompant sa vigilance focalisée sur un autre combat.
Finalement, il rêva et, bien malgré lui, se souvint de l’époque durant laquelle il était un Ténébreux. Il avait grandi et errait maintenant dans l’abominable tunnel que l’on appelait le « grand claque », en référence à sa ressemblance frappante avec un cloaque, mais aussi à cause de l’effet que provoquait l’odeur sur le commun des mortels. Les parois délabrées étaient recouvertes d’une impénétrable couche de boue et de moisissures. Le jour filtrait péniblement des puits de lumière au plafond et la ventilation semblait ne jamais vouloir fonctionner convenablement. Il en résultait une atmosphère épaisse, d’une opacité aléatoire et d’une densité presque palpable, que ses poumons parvenaient mal à brasser.
Il se remémorait clairement la raison de sa présence ici. Cela ne s’effacerait jamais de ses souvenirs tant le rappel de cet événement ravivait d’anciennes blessures incurables. Et voilà que tout allait se répéter, en songe...
Il errait donc, sans trop s’en rendre compte, ni, plus grave, sans trop savoir pourquoi. Il se déplaçait instinctivement, mu par ce besoin viscéral de prouver qu’il était digne de rejoindre leur clan. Pour quelles raisons ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais ses entrailles se tordaient et lui intimaient l’ordre de poursuivre dans sa folie. Des émotions contradictoires qui ressemblaient de près ou de loin à de la peur et du courage l’avaient fait sombrer dans leur empire. Alors, il continua sa progression dans le « grand claque », pris de tremblements et respirant tel un asthmatique.
Au détour d’un coude dont le sol très glissant lui avait traîtreusement tendu un piège, il déboucha sur une zone d’échangeurs qui redistribuaient vers d’autres sections, certaines inondées, d’autres non. Une épouvantable odeur de marée, de putréfaction et de moisi émanait de tous ces tunnels, tant et si bien qu’il crut avoir cette écœurante exhalaison sous le nez durant son sommeil. Il devait en choisir un, peu importait, il devait en choisir un pour réussir le « test ». Un stupide défi lancé par une tribu d’abrutis, de brutes épaisses, à la seule fin d’enrichir leur misérable quotidien à l’aide du spectacle pitoyable d’un bouc émissaire naïf. Il lui fallait entreprendre cette descente aux Enfers, coûte que coûte, et devenir leur égal. Ce qu’il fit. Sans aucun repère. Ni aucun discernement. Et sans la moindre chance.
Il arpenta un nouveau conduit en clopinant et glissa souvent. C’est couvert de meurtrissures qu’il déboucha sur une autre salle de répartition qui comptait pas moins de six tunnels. Là encore, quelle voie choisir ? Le désespoir commençait à le gagner et il s’imaginait déjà enfermé à jamais, pauvre hère hantant les égouts sombres et puants de Ténébreuse.
Il se repassa mentalement la scène à l’origine de sa triste situation et surtout se rappela les paroles énoncées par le chef de la bande : « Tu vas faire ça, je l’ai lu dans un livre. Tu seras des nôtres après, comme dans l’histoire. Même qu’on te laissera tranquille. » L’écho de cette voix râpeuse et brutale lui soulevait le cœur et lui causait une fureur intérieure qu’il maîtrisait à grand-peine. Il détestait cet horrible personnage et ses larbins à qui son existence était confiée, dont la cruauté et la bêtise n’avaient pas de bornes. Il haïssait cet endroit malsain, glauque et inhospitalier qui ne méritait même pas le nom de planète. Il abhorrait au plus haut point les livres et leurs histoires, créés par des névrosés sadiques aptes à inventer des tortures inimaginables.
À mesure que ses terreurs enfantines ressurgissaient, le songe angoissant qui le tenaillait dérapa de sa course à la suite de ce surcroît de haine et un raccourci en résulta. Erik visualisait maintenant en rêve un puits de lumière, sous un angle suffisamment curieux pour qu’il ne parvînt que tardivement à comprendre dans quelle position était son corps. Allongé dans une boue visqueuse et glaciale, notre jeune aventurier attendait la mort, épuisé par son errance. Sa vision troublée se fixait totalement sur la lumière aveuglante du puits : cet exutoire impossible et pourtant si proche, ce mince corridor vertical qui séparait la vie de la mort, ce cylindre creux par lequel son âme s’échapperait des égouts méphitiques pour rejoindre les tours immaculées d’un improbable au-delà, après la résolution de sa funeste destinée. Il allait mourir, il le sentait. De froid. De faim. D’hypothermie. La rage qui l’habitait avait tant faibli. Elle ne pouvait désormais plus contenir les multiples agressions dont il était la victime.
Alors il se laissa glisser lentement, perdit graduellement la sensation de ses membres jusqu’à ne plus les sentir du tout et essaya de se fondre dans la lumière qui le baignait afin qu’elle l’aspire. Il se crut mort, enfin... Mais le moment où il pensa trépasser était en réalité l’électrochoc provoqué par la réception d’un seau d’eau en pleine figure. Le réveil fut extrêmement douloureux, car tout son corps s’était raidi. Perclus de courbatures monumentales, ses muscles brûlaient, lui causaient des douleurs insoupçonnables et se contractaient d’autant plus violemment que le froid les avait profondément engourdis et que l’inactivité avait été longue.
« Imbécile ! Abruti ! Incapable de trouver la sortie ! D’la chance qu’on t’ait retrouvé. » Telles furent les paroles qui scellèrent son retour dans le monde mortel, et elles étaient bien éloignées des chants angéliques qu’il s’apprêtait à entendre. Cependant, la chance n’avait rien à voir avec ce sauvetage, puisqu’il était évident que la petite troupe ne pouvait se permettre de perdre un amusement aussi délicieux. Il n’avait même pas la force de répliquer, tant la puissance de ses élancements le clouait au sol. Il dut certainement y avoir d’autres insultes fort sympathiques, mais elles ne lui revinrent pas en mémoire. En outre, les rires gras environnants lui revenaient distinctement dans son rêve. Erik était sur le point de se réveiller, tandis que son esprit anticipait le traumatisme qu'il avait subi à la suite de son échec.
Erik émergea de ce cauchemar en sursaut, trempé de sueur, recroquevillé au milieu du lit et toujours paré de ses habits de Destructeur. En ahanant, il repoussa de toutes ses forces le souvenir des événements consécutifs à la scène que ses rêves avaient fait ressurgir. Pourtant, de nombreuses informations filtrèrent malgré cette barrière psychique. Les coups qu’il avait reçus, alors qu’il gisait, affaibli et affamé. Les insultes incessantes que son cerveau embrouillé n’entendait pas. L’annonce implacable de son retrait immédiat du groupe. Et puis, horreur suprême, son visage plongé dans la fange, avalant, respirant l’immonde viscosité, sous la contrainte, sa bouche et ses narines encombrées par la boue ténébreuse. Longtemps il avait vomi et toussé après cela. Expulsant de son estomac et de sa trachée la moindre parcelle contaminée, il eut longtemps l’infâme goût de Ténébreuse sur son palais : ses détritus, ses immondices, son eau acide, son lichen typique, son ignoble fermentation. Longtemps il songea à s’enfuir par le premier astronef venu. Mais s’embarquer pour l’inconnu, ce n’était guère mieux que de croupir ici, quand on ne possède ni crédit ni réputation. Après cela, sa destinée avait été toute tracée.
Il se leva et ouvrit les volets intégrés aux vitres de sa chambre d’hôtel par l’intermédiaire d’un bouton. Dehors, la nuit s’appesantissait sur la cité et glissait sur les canaux huileux, rendant leur visqueux contenu plus noir encore et leurs rares reflets plus incongrus. Des ombres virevoltaient autour des bouches d’égout, comme des papillons affolés, seuls éléments susceptibles d’évoquer une quelconque faune locale, qui plus est nocturne. Ses mains moites étaient engourdies lorsqu’il les posa maladroitement sur son front brûlant. Encore cette satanée climatisation…
Il se rassit et sentit ses vêtements coller à son corps : il avait l’impression d’être englué dans une toile d’araignée étouffante. Une douche ne serait finalement pas de refus. En se dévêtant, il dut se débattre avec la combinaison qui adhérait à sa peau, mais fut soulagé de s’être libéré d’une telle gangue. Malgré l’air pesant et surchauffé stagnant dans la pièce, la différence de température lui causa plusieurs frissons qui déclenchèrent une vague de chair de poule. Il eut finalement un dernier spasme à la suite de cette succession incontrôlable, mais volontairement cette fois, comme pour enlever de son corps une boue tenace qui ne s’y trouvait pas. Et que même une douche ne pourrait jamais laver…
Ensuite, Erik se délecta voluptueusement des ondes chaleureuses de la cabine infrarouge et se détendit graduellement sous les actions conjuguées des micro-gouttelettes d’eau et des désinfectants hypoallergéniques vaporisés sur tout son corps. La décontraction atteignit son paroxysme vers la fin de la séquence de lavage et il se sentit prêt à commander son dîner au service repas de l’hôtel. Ce qu’il fit et l’attente aiguisa son appétit de façon formidable.
Quand arriva enfin la commande, véhiculée par un robot-serveur grisâtre à la voix grésillante, il s’empara de son plateau férocement et paya vite en insérant sa carte de crédit dans l’emplacement prévu à cet effet au sommet du crâne du robot. Ce dernier émit un cliquetis puis recracha le moyen de paiement tout en produisant un ta-da triomphant. Certains constructeurs avaient décidément un humour très particulier.
La nourriture que renfermait le plateau hermétiquement scellé ne semblait guère appétissante : elle présentait un aspect synthétique, aseptisé, d’autant que les portions étaient réparties dans de petits bacs blancs qu’un laboratoire scientifique n’aurait pas reniés. Mais Erik était affamé et avait connu des aliments bien moins comestibles que ceux-là ; il ne rechigna donc pas à ingurgiter les cubes gélatineux aux couleurs insolites qui constituaient son repas. Il laissa cependant pudiquement un cube kaki marbré de gélatine marron foncé, ne pouvant l’avaler pour des raisons psychologiques évidentes.
Enfin rassasié, il se prit à remettre en cause la pertinence de son travail et de sa venue sur Ténébreuse. Cette pensée subversive revenait de manière cyclique et, même s’il s’empressait de la repousser avec toute la force de sa logique, dès son émergence, elle n’en demeurait pas moins une source génératrice de doute. Et Erik détestait cela, lui qui aspirait à la stabilité et à un univers rassurant. C’était la promesse du monde géré par la Confédération : des idées contrôlées pour préserver la santé de l’esprit, un environnement protégé pour maintenir la paix et la certitude de centuries paisibles.
Or quelque chose échappait continuellement à son entendement. Une faille ou un interstice ténu susceptible de modifier cette domination, mais qui lui paraissait inexplicablement insaisissable ou voilé. Une sensation désagréable l’assaillait quand il tentait de réfléchir à ce problème. Il n’était manifestement pas programmé pour cela, car il échouait toujours dans ses réflexions et se retrouvait bien souvent avec un mal de tête carabiné à l’issue de ses interrogations.
Pourtant, celles-ci le hantaient depuis longtemps et, à un moment donné, Erik s’était demandé s’il ne devait pas faire appel à la procédure spéciale des Destructeurs par le truchement du cube.
C’était il y a trois mois standards, sur une lune de Tau Ceti nommée Tau Delta. Il séjournait dans un palais de notable souhaitant éradiquer une collection de livres privés achetés aux enchères. Un long travail quand il y repensait. Certains livres possédaient un charme presque magique de par leur couverture. De belles arabesques de métal ouvragé, parfois enrichi de pierres précieuses ou semi-précieuses, serties sur du cuir ou du vinyle, brillaient furtivement sous la caresse des lumières artificielles. D’autres ouvrages moins précieux recelaient eux aussi une aura particulière, antique, par le simple fait de leur conception en papier, fût-il découpé au laser. Mais ce qui frappait le plus, c’étaient ces images venues d’un autre temps, d’une autre dimension, servant d’habillage à des couvertures qui avaient dû paraître modernes à leur époque.
Ce fut l’un de ceux-ci qui captiva Erik : des couleurs chatoyantes entouraient une représentation de héros qui ressemblait à s’y méprendre à un Destructeur, tout de noir vêtu et sa cape claquant au vent. Apparemment, ce personnage tombé en désuétude défendait des idéaux justes et nobles, du moins c’était ce qui ressortait du résumé figurant sur la quatrième de couverture.
Évidemment, il ne fallait jamais au grand jamais lire ne serait-ce qu’une ligne du texte prévu pour l’échafaud du cube, quand bien même celle-ci se trouverait à l’extérieur. Néanmoins, le mal était déjà fait et l’aspect protecteur, douillet et quasiment secret de l’endroit où il effectuait sa besogne lui donnait des ailes. Il commit donc l’irréparable faute en ouvrant le livre afin de découvrir son contenu. Ses mains le brûlaient et il suait à grosses gouttes à l’idée de l’odieuse action qu’il était en train d’accomplir. En un sens, il avait toujours cru que la Confédération s’abattrait sur sa personne s’il franchissait cette limite. On racontait d’ailleurs certaines histoires à propos de Destructeurs disparus subitement. Toutefois, rien ne vint, à moins que l’emplacement de sa cachette ne rendît la colère céleste de son organisation inoffensive.
Encouragé par cette absence de punition immédiate, il s’enhardit et poursuivit sa lecture plus avant. Ce que la Confédération ignorait ne pouvait lui nuire. Il découvrit alors un monde étrange et coloré, tapi entre les pages jaunies, dont les images jaillissaient curieusement au fur et à mesure qu’ils lisaient les mots devenant phrases, s’assemblant en paragraphes, s’épanouissant en idées. Les scènes naissaient spontanément dans sa tête avec autant de facilité que si un ordinateur les y avait injectées. Le résultat était tout aussi vivant, en l’occurrence, et faisait appel à son imagination bridée. Il était question d’une sorte de justicier qui défendait les innocents et les libérait de l’emprise néfaste d’un système totalitaire. En réalité, le gouvernement, en oppressant la population et en punissant les citoyens qui dérogeaient aux règles, avait favorisé la rébellion et tout particulièrement la naissance d’un héros subversif.
C’en était trop. Cette brutale révélation provoqua un déclic qui lui fit prendre pour une hérésie cette histoire improbable, si bien qu’il referma précipitamment le livre et se mit à rougir inconsciemment. Seul, accroupi à côté d’une pile d’ouvrages voués à l’oblitération, il se sentait pris en faute comme un enfant qui a goûté aux fruits défendus. Ses mains tremblaient légèrement et le sentiment de culpabilité qu’il éprouvait se muait insidieusement en dégoût de soi. Envahi par le remords, il déploya le terrible cube ébène et se prépara à exécuter ce roman néfaste à l’instar d’un mensonge ou d’une erreur que l’on souhaiterait faire disparaître diligemment.
Étrangement, la perspective de détruire ce livre le chiffonnait. Son esprit lui intimait l’ordre et la nécessité de le faire, tandis qu’une petite voix fluette susurrait en sourdine le contraire. Après tout, il savait ce qu’il contenait et, en ce sens, ces lignes prohibées revêtaient un caractère extrêmement périlleux mais aussi inexplicablement attirant. Comment conduire à l’exécution un condamné dont on connaît les secrets et avec qui une relation ambiguë s’est tissée ?