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Une ville prestigieuse où se mélangent la mafia en col blanc, le trafic d’influence, la manipulation, les meurtres, et une organisation scabreuse qui n’hésite devant rien afin d’agrandir sa zone de pouvoir et d'acquérir des technologies stratégiques.
Le deus ex machina, thriller financier, propose une intrigue haletante qui ne laissera personne indifférent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Financier ULG et expert-comptable IEC,
André Villez a exercé comme consultant en stratégie d’entreprises publiques et privées durant plus de vingt ans, notamment en Belgique, en France et en Suisse. Au cours de sa carrière, il a pu découvrir les manipulations sournoises des politiciens ainsi que des prestataires de services lors de l’attribution de marchés publics. Ces expériences constituent la source d'inspiration de
Le deus ex machina.
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Seitenzahl: 379
Veröffentlichungsjahr: 2022
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André Villez
Le deus ex machina
Roman
© Lys Bleu Éditions – André Villez
ISBN : 979-10-377-6766-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce « business-thriller » est un roman, un document de pure fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou des faits réels serait, bien sûr, pure coïncidence.
Je remercie mes amis et ma famille qui, d’un regard bienveillant et leur amitié, ont critiqué l’ébauche de ce manuscrit. Je remercie particulièrement Myjanou, ma compagne, pour sa « relecture » précieuse et ses encouragements, qui ont permis l’aboutissement de ce premier roman.
Il est 22 h 20 lorsque l’hôtesse du vol SN840 de la Sabena, en provenance de Bruxelles, annonce, de sa voix nasillarde, les phrases rituelles que je n’écoute même plus. Machinalement, je relève le dossier de mon siège et boucle ma ceinture. L’appareil survole le lac Léman, il vient de virer au-dessus de Lausanne et je commence à apercevoir les lumières de la côte. Bien que fréquentant ce vol hebdomadairement, j’apprécie à chaque fois de redécouvrir, dans la nuit qui tombe, le paysage du Mont-Blanc. Particulièrement lorsque la côte est sombre et que seuls les plus hauts sommets enneigés des Alpes restent éclairés et se découpent dans la pénombre. Ils virent du bleu rose au pourpre pour finir dans les teintes violettes.
Comme toutes les semaines, en tant que consultant international en management, membre du célèbre cabinet d’audit INCB (International New Consulting Bruxelles, intitulé très pudique pour audits et restructurations en tous genres), je me rendais de mon domicile en Belgique sur mon lieu de travail. Notre agence locale se trouvait dans la banlieue de Genève et j’étais un des quatre consultants seniors qui conduisaient les grands projets de restructuration sur la Suisse romande. Les consultants belges avaient pour habitude de prendre le dernier vol du dimanche soir, de sauter rapidement dans la voiture de location et de foncer dans leur petit studio pour être en forme le lendemain matin. En effet, la semaine qui nous attendait s’annonçait redoutable. Nous devions présenter le résultat de l’audit et un plan de restructuration d’un département informatique au comité directeur d’une des administrations de Genève. Ce projet nous tenait tous à cœur, car de cette présentation dépendait la continuité des contrats très importants
que nous comptions bien décrocher via la restructuration qui allait inévitablement suivre. L’ensemble de nos interlocuteurs était nerveux et avec raison. Des têtes allaient tomber. Nous aussi, nous étions tendus. Bien que nous fussions convaincus du bien-fondé de notre étude et de nos propositions de restructuration, le cabinet ne voulait pas servir de fusible dans l’inévitable bataille politique sur les responsabilités qui allaient suivre. Nous avions invité deux collègues de l’agence de Paris, deux économistes d’entreprise et deux éminences grises, professeurs d’universités (ces gourous capables d’expliquer en termes scientifiques et longtemps après, ce que l’on aurait dû faire avant) à la fois pour rendre « neutre et scientifique » notre étude et surtout pour valider notre travail. Notre équipe savait parfaitement, et les autorités également, que le matériel informatique était obsolète, non performant, et les logiciels complètement désuets. Mais la vraie question était de savoir qui allait supporter la responsabilité et surtout qui irait négocier le virage technologique et culturel en termes de gestion, d’organisation et de budget.
Au même instant, à Ascona au Tessin, se tenait une réunion entre quatre amis. Ils avaient rendez-vous dans un superbe hôtel de la Riviera face au lac Majeur. Cette station touristique jouissait d’un climat méditerranéen exceptionnellement doux et elle était située dans un cadre magnifique. Le lac d’un bleu azur s’étale entre les montagnes escarpées d’un vert émeraude, le tout bordé de plantes aromatiques et de fleurs suaves à l’ambiance presque orientale. Cette partie de la Suisse est très différente. Ici, tout est latin, on parle tessinois haut et fort, on boit du vin rouge, on se montre, on se fait remarquer de façon ostensible. Tout le monde doit savoir ce que vous représentez… Enfin, l’apparence que vous voulez donner… Le paraître est très important, et pour le reste c’est la Suisse : on ne pose pas de questions !
Le concierge de l’hôtel attendait les quatre amis venus passer un week-end au Golf Club Patrizale d’Ascona. Ce golf est particulièrement bien fréquenté de la jet-set aux notables du coin. Depuis des années, il était habitué à voir de nombreux clients bien différents. Cela allait de la vraie fausse aristocrate d’origine polonaise cherchant un milliardaire veuf au faux vrai mafieux retraité qui cherchait un coin de sécurité pour lui et son argent et qui préférait se faire oublier. La place bancaire internationale de Lugano et l’Italie ne sont pas bien loin, l’argent gris voyageait plus facilement dans ces contrées. Toute une faune bigarrée de touristes plus ou moins bien nantis aimait profiter de l’arrière-saison encore bien agréable dans cette contrée. Les collines regorgeaient de somptueuses villas discrètes qui toutes, ne devaient pas être le fruit d’un labeur bien clean.
Le premier à arriver fut Carlo. Le concierge le connaissait bien. C’était un enfant du pays. La cinquantaine bien portée, large sourire de play-boy italien, crâne légèrement dégarni, cheveux noir-argenté, gominés, toujours bronzé, pantalon d’été blanc, chemise noire entrouverte montrant une poitrine velue, surmontée d’une très grosse chaîne en or, montre Rolex, bague chevalière portant des armoiries gravées dans l’onyx, mais pas d’alliance. On disait qu’il était le fils de nantis de la vallée. Et que son père était le propriétaire de trois hôtels et d’une société de distribution de boissons. Carlo attendait d’hériter, mais devait travailler, il fallait bien s’occuper. Le concierge pensait qu’il travaillait dans une compagnie d’assurances, probablement une façade. C’était lui qui avait effectué les réservations. Il déposa son bagage, léger. Il confia son sac de golf au voiturier. Il était décontracté, il se dirigea vers le bar sans marquer un éventuel intérêt pour sa chambre. Il commanda un cocktail aux couleurs tropicales et il choisit un emplacement stratégique au bar. De là, en sirotant sa boisson, il pouvait avoir une vue sur l’entrée de l’hôtel et sur toutes les jolies femmes qui allaient sans discontinuer du bord de la piscine au bar. Quelques-unes étaient très jolies, nous pourrions dire très appétissantes, mais aussi très italiennes ! … Regarder, mais pas toucher ! Les autres, ma foi, étaient sympathiques et les suivantes avaient quelques heures de vol…
Le second à arriver fut Rheiner, un Autrichien de mère hollandaise. Le concierge en était certain. Il n’avait jamais vu le spécimen. On l’aurait cru sorti de la comédie musicale La Mélodie de bonheur ou The Sound of music de Robert Wise, mais il n’avait pas le beau rôle. Le style nordique, grand, raide, cheveux blonds coiffés en arrière, yeux bleus, très mince, lunettes rondes cerclées d’acier à verres épais. Il avait la figure étroite en lame de couteau et le sourire figé un peu froid. Costume à col étroit, cravate classique sur chemise vert clair. Il se posta devant le concierge, les bras le long du corps, fit un salut de la tête, qu’il accompagna d’un très léger claquement de talons.
Sur cette entrefaite entra Arturo. Le concierge l’avait déjà vu, enfin il lui semblait bien. C’était un Tessinois qui avait le geste plus vif encore que la parole. Un petit rouquin nerveux aux cheveux déjà éclaircis et grisonnants et à la grosse moustache tombante poivre et sel, aux yeux clairs et au nez presque digne de Cyrano. Le concierge pensa qu’il n’était qu’un pantin déguisé en arlequin. Lui, il sortait directement de la commedia dell’arte. Il était habillé d’un costume brun clair de bonne coupe, mais trop grand pour lui, de chaussures beiges et d’une chemise orange criard sans cravate, arborant un torse étroit et glabre. Parfois, avec ses grands gestes qui battaient l’air dans tous les sens et son discours moralisateur sur tout, il donnait l’impression d’être un padre, en train de faire un sermon au monde. Il était très nerveux et volubile. Il se croyait en permanence sur une scène de théâtre, il passait de Pirandello à Casanova avec facilité, pensait-il, mais ses pitreries ne faisaient rire que lui.
Le dernier personnage à rejoindre le groupe fut Heinz. Lui, alors, c’était l’archétype du Suisse allemand, Zurichois, pensa le concierge à cause de la pointe d’accent. Parfait polyglotte, très poli, bien habillé, réservé et faussement décontracté.
Carlo s’empressa de faire les présentations. Les deux Tessinois se connaissaient très bien. Avec de grands gestes de bienvenue, Carlo fit servir un verre et les quatre personnages s’installèrent à la terrasse en commentant chacun sa route ; ils avaient fait le voyage de façon différente. Le concierge ne voyait pas ce qui rapprochait ces hommes qui avaient choisi de parler français alors que ce n’était pas leur langue maternelle.
Après avoir bu quelques verres, ils prirent chacun le chemin de leur chambre. Ils avaient fait réserver une table dans un grotto et commandé un taxi, ils avaient rendez-vous au golf de bonne heure le lendemain.
Le vol entre dans sa phase finale et parmi la petite centaine de passagers, la dizaine d’habitués se saluent rapidement. Mon voisin de siège, un Nordique, semble-t-il, dort et l’hôtesse le réveille afin qu’il boucle également sa ceinture. Il s’exécute en bougonnant dans une langue étrange. Il est bien habillé, en costume cravate et chemise de soie, très BCBG, mais porte une barbe de deux jours. Il a les yeux bleu très clair. Il porte des cheveux blonds raides assez longs, coiffés plats, comme gominés.
À cette époque, c’était encore la lune de miel entre Sabena et Swissair. Les deux compagnies tentaient de se partager une partie des marchés. La concurrence entre les autres compagnies aériennes était féroce. Bruxelles servait de « hub », de plate-forme de répartition et de redistribution entre les grandes lignes internationales et les vols européens de secours, pour Zurich qui commençait à saturer. Cela avait pour conséquence que l’aéroport de Bruxelles national servait pratiquement de gare de transit pour Swissair. Et dans ces vols européens transitait toute une faune étrange venue des quatre coins du monde.
À l’aéroport international de Genève, le vol de Bruxelles se pose en retard comme tous les jours sur le tarmac de Cointrin. Maintenant, la nuit est totale. L’avion roule lentement en taxi pour se rendre au terminal. Je patiente pour sortir de l’avion en rassemblant mon ordinateur portable et ma petite valise contenant mes effets personnels. Sur les vols courts européens, j’ai pris l’habitude de toujours prendre mes quelques bagages en cabine. Cela évite les pertes de bagages, et l’on gagne du temps à l’arrivée. Enfin, on protège son bien professionnel le plus précieux : son PC (personnel computer).
Les portes de l’avion s’ouvrent et je m’enfile dans les longs couloirs souterrains qui mènent au contrôle des frontières. Tous les couloirs qui viennent des terminaux convergent vers ce point de passage obligé. Mais à cette heure, il n’y a pas trop de monde. Pourtant, je dois faire le bon choix. En effet, il y a deux postes de contrôle ouverts l’un à côté de l’autre pour absorber le flux des passagers. Et si l’on fait le mauvais choix, on perd facilement un quart d’heure. Je parie sur la file de gauche. Mon voisin de siège se glisse dans la file de droite sans un regard.
J’ai perdu, je manque de chance. Dans ma file, quelques personnes avant moi, une femme habillée de façon bigarrée, accompagnée d’enfants, qui ont des difficultés avec la police des frontières. La personne juste derrière moi me déclare que cette étrangère ne dispose pas des visas nécessaires et que le garde-frontière veut refouler la famille. Une discussion éclate entre cette famille visiblement désemparée et les gardes-frontières inflexibles. Vraisemblablement, ils ne se comprennent pas. Le ton monte en deux langues différentes entre le gendarme et la femme. Les enfants commencent à pleurer. La file de droite passe sans problème. Ce langage de sourds arrête toute ma file, et le public, qui piétine d’impatience, râle.
Je ronge mon frein et ces pauvres gens semblent de plus en plus malheureux. Lorsqu’un homme au teint basané, surgissant de derrière moi, parlant correctement le français, explique qu’il peut faire la traduction en turc pour ces personnes. Les gardes-frontières retrouvent leur calme et invitent l’interprète providentiel, ainsi que la famille désemparée à rejoindre leur bureau. Toute la file débloquée se détend comme par miracle. Tout le monde y va de son sourire compatissant envers les enfants et la femme qui s’éloignent de la file. Et le contrôle reprend à un rythme accéléré.
Enfin, c’est mon tour. Je passe le sésame, traverse la salle de récupération des bagages, et franchis la douane sans incident. Dans le hall des arrivées, il y a une petite cohue entre les gens qui attendent, les familles qui se retrouvent, les amoureux transis et puis, seulement, ceux qui essaient de se frayer un passage vers la sortie.
Je me retrouve enfin à l’extérieur et je peux calmement humer l’air frais. Je me dirige lentement vers les ascenseurs du parking souterrain afin de récupérer ma voiture de location. Je prends l’ascenseur seul, descends deux étages, et me retrouve au niveau partiellement réservé aux compagnies de location de voitures.
Le dimanche à cette heure-ci, la petite compagnie régionale de location de voitures avec laquelle nous sommes en contrat n’a plus de guichets ouverts. Nous avons une convention dans laquelle une petite voiture est à notre disposition, les clés dissimulées derrière le pare-soleil.
Le problème est qu’il faut retrouver cette voiture sans connaître son emplacement précis et c’est toujours une recherche fastidieuse. Après la réservation téléphonique, nous connaissons bien entendu le numéro de plaque, mais il y a vraiment beaucoup de voitures de même type et ce modèle de voiture est tellement courant. Enfin, je prends mon mal en patience et j’examine la première série de voitures de location en essayant de repérer celle qui m’est dévolue. Il y a des centaines de voitures de toutes les sortes éclairées par la lumière blafarde des tubes au néon. Je passe en revue la première série de voitures, et arrivé au bout de la file, je tourne à gauche et remonte la deuxième rangée de voitures. Je suis fatigué, j’en ai marre. Je voudrais trouver ma voiture au plus vite et me reposer. Dans le fond du parking, des hommes discutent avec véhémence. J’entends des éclats de voix sans rien comprendre. Pour un parking souterrain, les lieux sont relativement sûrs. Il est surveillé par des caméras et il y a régulièrement des patrouilles de la police spéciale de l’aéroport. Des gardes privés, accompagnés de chiens de race berger allemand, font également des rondes. Les voix s’estompent et le calme revient. Je continue ma quête en cherchant désespérément cette Fiat rouge qui, décidément, doit être rangée au fond de ce foutu parking.
Tout à coup, deux bruits secs claquent dans la nuit. Et une galopade s’ensuit rapidement du coin où les hommes discutaient quelques instants plus tôt. Les ombres disparaissent presque instantanément par un escalier de secours. Une femme que je n’avais pas remarquée se met à crier et quelqu’un déclenche l’alarme anti-agression. La sirène se met à hurler. Je me retourne et regarde dans la direction où se trouvait le groupe quelques instants auparavant. Une forme grise est couchée par terre. Je m’approche lentement un peu abasourdi. Un homme gît à terre, la figure tournée vers le sol dans une petite flaque rouge foncé, éclairé par intervalles réguliers par le clignotant jaune de l’alarme.
Tout cela s’est passé tellement vite. La femme est maintenant à côté de moi. Elle est très émotionnée et parle nerveusement, elle aurait déclenché l’alarme. Je ne comprends rien. Une voix ferme, masculine, intime l’ordre de dégager sans s’éloigner ; je dois rester à disposition de la justice ! La police de l’aéroport était arrivée sur les lieux et prenait la situation en main. Un jeune policier demande une ambulance par radio, alors qu’un autre annonce d’une voix étouffée :
« Je crois qu’il est mort ! »
Je regarde cette jeune femme qui parle le français avec un accent étranger difficile à reconnaître. Elle est élancée, fine, cheveux clairs, courts, habillée d’un pantalon très ajusté et d’une veste entrouverte qui laisse deviner un t-shirt moderne. Elle doit avoir une quarantaine d’années, et elle est plutôt jolie.
Un policier me demande mon passeport et prend note de mes premières déclarations. Son collègue vérifie par radio, enfin, je suppose. Il demande visiblement des confirmations avec mon permis de travail et mon passeport en main. Maintenant, il y a beaucoup de monde. Je me demande d’où peuvent sortir toutes ces personnes. Il semble que les magistrats du parquet soient attendus. Un homme avec un stéthoscope, le médecin du SAMU, agenouillé au-dessus du corps, fait une constatation officielle du décès et les ambulanciers patientent avec le brancard.
Le policier qui nous avait interpellés m’appelle à l’écart. Il me rend mes papiers et me demande de le conduire à ma voiture. Je lui explique le mode de fonctionnement de notre système de location. Il ne dit mot, et me fait signe d’aller à la voiture. Je reprends mes effets personnels et je me remets à la recherche de la voiture, le policier me suit. Je continue et trouve enfin la voiture. Le policier m’arrête et entre lui-même dans la voiture et de sa main il tâte derrière le pare-soleil et trouve les clés. Il contrôle qu’elles correspondent. Il coupe le moteur, garde la clé et me demande les papiers et le contrat de location. Je veux mettre les mains dans la boîte à gants, lorsque le policier m’arrête sèchement ! La boîte à gants est vide ! Le policier me fixe droit dans les yeux. Je me sens bizarre. J’essaie de lui expliquer et je commence sérieusement à sentir la fatigue.
Il est maintenant quatre heures du matin et je suis vanné. Je voudrais pouvoir dormir, mais après cette visite d’explication et de contrôle au poste de police, je suis perturbé. Mais j’essaie cependant de me reposer quelques heures avant la réunion, le briefing risque d’être ardu demain ; non, aujourd’hui, dans quelques heures…
Le radio-réveil me tire brutalement de mon sommeil perturbé. J’ai dû faire un mauvais rêve, j’ai assisté à un crime. La carte de visite professionnelle d’un officier de police avec un numéro de téléphone mis en évidence est déposée sur ma table de nuit. Je n’ai pas rêvé. Je me souviens : il m’a fermement invité à le contacter spontanément si un souvenir, même insignifiant, ou un détail, me revenait. Après m’avoir fait la leçon sur ce qu’il appelait notre « combine de loc. ». Il m’avait fait comprendre que je serais convoqué ultérieurement et que si je rentrais en Belgique, je devais personnellement l’avertir.
Bon, il me restait quelques heures avant l’arrivée des collègues de France qui devaient arriver par le TGV de Paris. Et puis j’avais ce déjeuner avec le directeur administratif du client qui était notre « facilitateur ». Terme utilisé par notre cabinet pour désigner une autorité interne au client qui devait nous aider dans notre mission en nous transmettant un maximum d’informations et nous permettre de réaliser nos démarches administratives, telles que convocation des personnes à interviewer – allant du cadre supérieur au simple fonctionnaire –, réservation de salle de réunion, communication des pièces comptables, procès-verbaux mêmes confidentiels, documents d’analyse. C’était un personnage clé dans notre organisation. Il devait avoir assez d’autorité pour nous ouvrir les portes nécessaires à notre mission, mais il ne pouvait pas être impliqué directement dans les processus d’audit et de restructuration, car il ne pouvait être juge et partie ou encore moins pouvoir tirer un avantage quelconque de la relation privilégiée qui allait forcément se développer avec le consultant.
Monsieur Boos était parfait dans son rôle : fonctionnaire, Genevois d’origine, bien intégré au tissu social et politique. De plus, ce directeur administratif était à deux années de la retraite. Il n’était pas mis en cause, ni directement ni indirectement, dans notre audit et il le savait. Mais malgré cela, il n’appréciait pas du tout que des étrangers, non-fonctionnaires, viennent auditer les services dans lesquels il avait fait sa carrière et encore moins que ces étrangers fassent des propositions de restructuration. À part cela, c’était un homme agréable, intègre. Je pense que secrètement, il appréciait aussi que nous disions tout haut ce qui se disait tout bas, et il reconnaissait nos compétences. Mais il était inquiet pour certains de ses collègues qui allaient souffrir suite à notre rapport. Néanmoins, nous avions des relations de travail agréables et nos déjeuners de travail étaient empreints d’un mélange de cordialité et de cette réserve traditionnelle que les Genevois, de pure souche, réservent à ceux qui ne sont pas nés dans la cité de Calvin.
Nous avions un rendez-vous au Brillant, brasserie traditionnelle genevoise où nous devions préparer notre dernier comité de pilotage. C’est devant cette instance que les consultants présentaient officiellement le rapport d’audit. En principe, ces séances étaient placées sous la plus haute confidentialité. Mais depuis longtemps, l’expérience nous avait appris que ces recommandations étaient rarement respectées. Et nous étions encore contents quand les personnes incriminées dans ces rapports ne réglaient pas leurs comptes aux auditeurs par presse interposée. Mais cela faisait partie du jeu normal. En effet, beaucoup de personnes ressentaient ces audits comme de super contrôles teintés de nombreuses injustices et doublés d’agressions personnelles. Il est vrai que beaucoup d’hommes publics, qu’ils soient politiques ou capitaines d’entreprise, préféraient « faire faire » le sale boulot par des experts externes. Et derrière les missions d’audit se profilaient souvent des restructurations drastiques. Et il faut ajouter qu’elles étaient souvent orientées.
Monsieur Boos m’attendait avec un petit sourire. Il semblait gêné. Il m’invita à choisir mon plat, puis entra dans le vif du sujet. Un policier m’a téléphoné ce matin, dit-il, il voulait savoir si vous aviez effectivement une mission pour l’administration. Il ne disait plus rien. Il attendait son effet. Il savait très bien faire sentir que nous dépendions, pour une éventuelle continuité de la mission, des contrats déjà réalisés et de notre image de marque. Les Suisses sont sensibles à la réputation des entreprises et des gens qui y travaillent. Je vis sur une table voisine un journal local qui titrait sur l’affaire de l’aéroport, CRIME ÀCOINTRIN. Je pris le journal, le montrai à mon interlocuteur et lui expliquai que, par coïncidence, j’étais arrivé de Bruxelles à ce même moment et que la police cherchait un maximum de témoins. À ce moment, le serveur apporta notre plat.
Monsieur Boos s’était détendu, insistant bien entendu sur le fait qu’il ne me poserait aucune question et que ce n’était pas le sujet de notre conversation. J’étais intérieurement rassuré, mais aussi intrigué. Que pouvait-il me vouloir à trois jours de la présentation finale ? Peut-être cherchait-il à glaner quelques informations sulfureuses ou encore à essayer de jouer à l’influence… Étrange personnage, tout compte fait, je ne connaissais pas bien cet homme souriant, poli, discret.
Il ne parlait pas beaucoup, il collaborait quand on le questionnait, il répondait à toutes nos demandes, mais jamais une initiative, une proposition. C’était peut-être sur cette attitude qu’il avait bâti sa carrière. Tous, nous cultivons notre jardin secret et il est encore plus secret quand il faut se battre pour une carrière, une promotion, et face à l’auditeur on est vraiment discret. On ne sait jamais… !
Le repas arrivait à sa fin et il commanda deux cafés. Il m’annonça que le président du comité d’accompagnement, sur la suggestion du directeur informatique, avait invité les représentants de la firme qui avait fourni le « hardware ». Enfin, on y était. Chacun préparait sa défense et une dilution des responsabilités se mijotait. Par contre, je savais déjà que j’aurais un adversaire de plus à la table des négociations. Le constructeur ne voudrait jamais reconnaître une part quelconque des responsabilités et tenterait de protéger au maximum le directeur informatique qui avait précisément choisi ce type de matériel. De plus, le constructeur, avec sa réputation, pourrait aider à la restructuration. Si le directeur informatique sauve sa tête, on chercherait des responsabilités plus « haut ».
Le directeur général était notre mandant, parfaitement conscient des insuffisances de son administration à réaliser une migration fondamentale de son informatique. Le consultant avait donc la mission de donner des armes au directeur général pour convaincre le politique qui détient les cordons de la bourse. Mais malgré les kilos de rapports et d’expertises, il faudrait jouer serré. La partie n’était pas encore gagnée.
Le repas touchait à sa fin et je remerciai longuement monsieur Boos pour l’information que je venais de recevoir. Avec un sourire entendu, il me dit que je pourrais remercier le directeur général, c’est de lui que venait l’information. Il prit congé rapidement. Dehors, le soleil brillait et sur la terrasse une dame fixait ses pieds avec insistance. À contre-jour, je ne distinguais pas son visage, elle était à quelques pas de moi sur mon chemin, je lui fis un signe de tête.
J’étais vraiment fatigué, il est vrai que j’avais des heures de sommeil en retard. Je me préparais à quitter le restaurant lorsqu’un nuage passa devant le soleil et en regardant sur la terrasse je reconnus le visage qui maintenant me souriait. C’était la dame de la nuit passée.
Je me levai et allai la saluer. Elle me parla de l’horrible nuit, et qu’elle devrait probablement repasser au poste de police. Puis elle s’arrêta net et m’invita à m’asseoir. C’est idiot, mais j’étais là, planté comme un piquet devant elle sans rien dire. Elle n’était pas seulement jolie, mais il émanait d’elle une réelle sympathie. J’acceptai son invitation et lui offris un café. Elle me parlait dans un français très correct, mais avec cet accent étrange. Elle m’expliqua qu’elle était suédoise et qu’elle venait à Genève pour voir sa fille qui faisait des études de sciences économiques en français à l’université.
Je vis que l’heure tournait, pris congé rapidement. Une heure plus tard, j’attendais mes collègues devant le terminal TGV de la gare de Genève. Pour des raisons techniques, le train était annoncé avec retard.
Le lendemain matin, au bureau, je reçus un coup de téléphone de monsieur Boos. La réunion du comité d’accompagnement était reportée sine die. On m’expliqua longuement que le président du comité d’accompagnement tenait absolument à être présent et que cette date était réservée à son patron. Il était le chef de cabinet du ministre de tutelle. Difficile pour moi de m’opposer, d’autant plus que les indemnités de voyage, d’hôtel et les prestations de mes collègues seraient évidemment honorées. Il est bien entendu que les rapports écrits intéressaient beaucoup le président du comité d’accompagnement, et ces pièces seraient versées au dossier. Monsieur Boos insista beaucoup pour me dire combien il appréciait le travail du cabinet et particulièrement la mission du chef de projet et que bien évidemment, je pouvais continuer ma mission.
Bon, je pouvais déjà me justifier devant mon patron qui n’était pas du style très accommodant quand une mission était avortée. Mais que s’était-il passé ? Et j’entrepris un tour d’information. D’abord, le téléphone avec mon boss.
Après « une bonne gueulée » de sa part, il finit par écouter mes arguments : que le projet n’était pas « foutu » et qu’on irait chercher une continuité sur ce projet. Nouvelle « gueulée » sur le « on » : que j’étais le chef de projet, que je ne maîtrisais pas la situation et que si je ne la redressais pas, il me resterait à démissionner ! Vraiment, c’était la toute bonne semaine !
Après cet entretien téléphonique, je vais trouver mes collègues parisiens qui sont fins prêts à en découdre avec les « Petits Suisses ». Après deux minutes de conversation, je me fais traiter de con ! Mais quand je leur explique qu’ils ont droit à leurs indemnités et honoraires, le ton change et ils pensent qu’ils vont pouvoir expliquer facilement la situation à nos gourous universitaires. Ils m’invitent cordialement à un repas le soir pour faire le point, et bien entendu la société n’aurait qu’à prendre en charge l’addition. Je n’ai pas le temps de répondre que la secrétaire pousse sa tête dans la porte et insiste pour me parler.
« C’est au moins la cinquième fois qu’il appelle ! »
Elle m’explique alors qu’un homme qui ne se nomme pas souhaite avoir une conversation personnelle avec moi et qu’elle peut me passer la communication dans mon bureau si je le souhaite.
Je suis très heureux de planter mes chers collègues dans leur salle de réunion devant leurs dossiers de présentation devenus inutiles pour l’instant.
Je prends mon téléphone et immédiatement je reconnais la voix polie et ferme de l’officier de police. Il m’invite, toujours aussi poli et ferme, au bureau central de la police. Ma présentation étant reportée, je ne vois pas d’inconvénient et j’accepte le rendez-vous pour le lendemain.
Je prends mon plus beau sourire et décline la charmante invitation de mes collègues parisiens arguant d’un rendez-vous imprévu à l’administration et leur souhaite un bon retour. Je me rends compte que depuis mon arrivée à Genève, les événements se bousculent rapidement et que je dois me reposer, afin de préparer une nouvelle stratégie si je tiens à récupérer mon projet. Je fais une liste de personnes à voir pour essayer de déterminer ce qui se trame derrière mon dos. Mon premier coup de téléphone est pour le directeur général. Sa secrétaire ne peut me le passer, il est en réunion à l’extérieur, mais elle lui fera personnellement le message.
Le lendemain, comme prévu, je me présente au planton de service de l’hôtel de police. Le bâtiment moderne est impressionnant par ses dimensions, mais aussi par son architecture d’avant-garde, ses systèmes de contrôle informatisés et ses caméras vidéo dans tous les coins. Le responsable de la construction des bâtiments a dû regarder trop de feuilletons américains. On m’introduit dans la salle d’attente où se trouve déjà la Suédoise sympathique.
Elle me fait son plus beau sourire, c’est déjà moins austère. Je la salue et lui demande de ses nouvelles. Elle entre en discussion avec moi naturellement en me demandant des informations pratiques sur Genève et me demande si je dispose d’une adresse email. Nous échangeons nos adresses Internet.
L’officier de police arrive et nous salue, il m’introduit dans un bureau et me demande de répéter les événements de la nuit à l’aéroport et si je pouvais reconnaître un des individus. C’est difficile étant donné la rapidité des faits, la distance et la qualité de la lumière. L’officier de police me montre une photographie ancienne d’un homme. Il me demande si je connais cette personne. Personnellement, jamais vue. Il me dit que c’est une photo de la victime. Après, il m’invite dans une salle de projection où se retrouvent quelques personnes. Je m’assieds spontanément à côté de la Suédoise. Un policier nous explique que nous allons visionner les films des caméras de surveillance du parking de la nuit du meurtre. Nous sommes tous potentiellement témoins de quelque chose. Nous devions nous trouver dans les environs du parking incriminé.
Nous découvrons des images de mauvaise qualité en noir et blanc. Nous voyons le lent ballet des phares des voitures qui entrent et qui sortent, ainsi que les passagers qui vont et qui viennent. Tout à coup, nous voyons sur un plan éloigné des hommes courir. Les plans se rapprochent, il me semble que ma voisine tressaille.
Le plan grossit et nous voyons passer un court instant trois hommes, d’abord deux, puis un, nettement derrière. Je crois reconnaître le troisième individu. Mais cet instant est très court. Et sur les autres plans, je me reconnais ainsi que ma voisine et ensuite, c’est l’arrivée de la police.
On allume brutalement. Je cligne des yeux.
Mais l’officier avait remarqué mon interrogation. Je lui signale la séquence litigieuse. On revient en arrière, gros plan, image fixe. C’est bien lui ! Mon voisin de siège du vol SN840 de Bruxelles à Genève de dimanche soir. Enfin, je crois, il lui ressemble, c’est difficile à dire. Le grossissement déforme l’image. Le policier enregistre mes réactions. Il me précise que je peux rentrer en Belgique, mais il souhaite que je laisse mes coordonnées précises.
Je rentre au bureau pour donner des instructions aux consultants juniors. Je les envoie chez le client pour contrôler à nouveau une série d’informations, mais surtout dans le secret espoir qu’ils glanent, çà et là, des informations. Je déteste attendre sans savoir ce qui se passe. Je choisis l’offensive et je fais demander un rendez-vous au directeur de vente genevois de la société qui a fourni le « hardware ». Je connais bien cet homme, celui-ci est un ingénieur EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne) d’origine libanaise. Brillant techniquement, habile négociateur, et en plus il est capable de charmer un auditoire.
Ma secrétaire décroche un rendez-vous rapidement. C’est aussi un excellent commercial, disponible et affable. La secrétaire m’informe qu’une autre personne, qui ne se nomme pas, cherche à me joindre au téléphone. Cette personne rappellera. Je fais rappeler le secrétariat de la direction générale de mon client : toujours sans succès.
Je choisis de quitter le bureau quand le téléphone sonne à nouveau : mon boss ! Je l’avais oublié celui-là. Il est beaucoup plus calme. Il me questionne sur la gestion journalière et l’occupation des consultants juniors de mon équipe. Il approuve, et il me demande si j’ai besoin d’aide sur le projet et qu’il est prêt à venir à Genève pour me soutenir afin que la société soit gagnante pour le bien de tous. J’ai droit à un sermon, le parfait discours sur la motivation personnelle, sur le bien-fondé de notre mission et l’importance stratégique pour le client de faire aboutir sa restructuration. Je lui demande s’il a du nouveau, du point de vue politique. Il est en général bien informé sur ce qui se trame. Non pas que les problèmes de terrain ne l’intéressent pas, il s’intéresse à tout, mais il s’est attribué avant toute chose une mission de lobbying. Et ce rôle, il le remplit brillamment. Il me répond par des banalités. Je comprends que lui non plus ne sait pas ce qui se passe. Je dois me débrouiller seul, comme toujours.
Je termine ma conversation et je choisis de terminer ma journée de travail. Je rentre dans mon petit studio, et je me connecte sur Internet pour relever ma boîte aux lettres personnelle. J’ai un message de la Suédoise qui me demande sans détour si je peux lui montrer la vieille ville. Intrigué par sa démarche, j’accepte sans fixer un rendez-vous précis. Sans date fixe pour ma présentation, je suis en attente, j’ai du temps devant moi et il vaut mieux m’occuper l’esprit. Je prends un léger repas et me cale devant la télévision.
Le téléphone sonne ! Je décroche, je n’ai pas le temps de dire « allô ! » qu’une voix hurle à l’autre bout du fil !
« Salaud, décampe, tire-toi de Suisse ou je te fais crever. »
Et puis un long signal sonore, on a raccroché. Je suis avec mon cornet de téléphone dans la main, devenu inutile, une musique me fait retomber sur terre.
La publicité à la télévision se déchaîne. Je repose le cornet, diminue le son et reste un long moment immobile, abasourdi. J’essaie de réfléchir. C’est sûrement une erreur. Oui, c’est une erreur, j’essaie de me convaincre moi-même ! Pourtant mon numéro est privé et très peu de personnes en connaissent l’existence : ma famille proche, le bureau et encore, pas tout le monde, le boss, les autres seniors, ma secrétaire et jamais ce numéro n’est transmis aux clients… Cette nuit-là, je dors d’un sommeil agité.
Quelques jours se passent sans incident. La Suédoise qui s’appelle Ela m’a donné un rendez-vous sur la terrasse de la brasserie du Brillant à 19 h. C’est le seul lieu qu’elle connaisse non loin de la résidence de sa fille. Elle me prie de l’avertir si j’ai un empêchement. L’officier de police me demande de passer à son bureau. Et, enfin, je décroche un rendez-vous avec le directeur général. Je vais probablement en savoir plus. Les consultants juniors qui sont en contact permanent avec les fonctionnaires n’ont rien appris de plus. Sinon que l’atmosphère devient de plus en plus lourde. Tout le personnel est inquiet dans l’attente d’une catastrophe annoncée qui ne vient pas. Je révise sans cesse mes conclusions, je contrôle et recontrôle mes informations, je fais mon examen de conscience, transmets un maximum d’informations à mes gourous. Je fais valider par mon boss. Je reste convaincu de l’essence même de mes conclusions et je me contente de peaufiner la forme de la présentation.
Je me présente à la police, l’officier est en civil, il appartient à la police de sûreté de Genève. J’apprendrai plus tard qu’il appartient à la section financière, dite des affaires complexes. Il est un peu plus affable. Il m’annonce que la société de location de voitures a bien confirmé mes déclarations. Il me montre des clichés obtenus des caméras de surveillance du parking. Les photos sont fortement agrandies, et au grain très gros. Ces clichés sont franchement mauvais. Mon souvenir et les détails s’estompent déjà dans ma mémoire. L’officier insiste sur l’homme blond, mon voisin de siège. Il lui ressemble, mais il est impossible d’être formel. Quant aux autres, j’ai beau les fixer, ils ne me rappellent rien !
Je demande à mon interlocuteur des nouvelles de l’enquête, son sourire se fige. Il ne répond rien, change de sujet et me remercie pour ma disponibilité.
Après quelques instants, je me retrouve dans la rue en pensant à mon rendez-vous de ce soir. C’est la fin de l’hiver et les jours commencent déjà à s’allonger, et il fait encore clair. J’ai roulé un quart d’heure dans le quartier avant de trouver une place. C’est agaçant ces problèmes de parking. Je range ma voiture près du théâtre et me dirige à pied vers la brasserie. Il y a beaucoup de monde dans ce quartier. Ce quartier est proche d’un grand parc au pied de la vieille ville.
J’arrive à la terrasse le premier, commande une bière et parcours les journaux locaux. Je ne découvre même pas un entrefilet sur le suivi de l’enquête. Les Suisses sont très pudiques. Ils ne se cachent pas vraiment, mais les journaux, même populaires, ne s’étalent pas trop sur tout ce qui pourrait ternir l’image de marque de la cité. Et le manque de sécurité fait vraiment mauvais genre dans une ville où se croisent les fonctionnaires internationaux, les clients des banquiers privés, les investisseurs, les participants aux congrès mondiaux, les vedettes du sport spectacle, les vedettes de cinéma, les touristes saoudiens et toute une Nomenklatura cosmopolite, qui occupent les belles villas de Cologny et du bord du lac.
Je lève la tête de mon journal et qui est-ce que j’aperçois sur le trottoir de l’autre côté de la rue ? Mon voisin de siège ! L’homme blond. Je me lève de ma chaise pour confirmer ma vision. C’est bien lui. Il marche rapidement. Il est rasé et il porte un blouson de sport clair.
« Hello ! »
Je sursaute, c’est la voix de la Suédoise qui me surprend. Je tourne la tête et je l’aperçois à deux pas de moi. Elle est très souriante. Je regarde à nouveau sur l’autre trottoir, mais l’homme a disparu dans la foule. J’ai beau scruter l’horizon, je ne le vois plus.
Nous choisissons de manger à l’intérieur. Je lui fais découvrir la spécialité de l’endroit : les filets de perches du lac et le vin blanc de la Riviera. Elle est vraiment très agréable, et nous faisons connaissance de la manière la plus charmante, elle m’informe qu’elle restera quelques jours et je lui propose un petit programme de visite de la ville pour les jours à venir. Je me propose d’aller la chercher à son lieu de résidence. Elle accepte volontiers et elle me donne l’adresse du logement de sa fille et son numéro de téléphone local.
Elle choisit de rejoindre sa fille à pied en se promenant. Nous prenons congé. Il n’est pas tard, mais je choisis de rentrer directement à mon studio.
J’ouvre la porte de mon appartement et le téléphone sonne. Je cours pour répondre. Et à nouveau, je reçois une bordée d’insultes. Et comme l’autre fois, c’est très court, très sec, très incisif. Je suis vraiment perturbé.
Que se passe-t-il ?
Dois-je téléphoner aux flics ?
Cela vient-il d’un mauvais plaisant ?
S’agit-il du personnel brimé par l’audit ?
De la concurrence professionnelle qui cherche à me déstabiliser ?
Est-ce lié au crime ?
Plus je réfléchis et plus un malaise indéfini m’envahit peu à peu, inéluctable. Décidément, c’est une mauvaise période, je décide d’en référer à mon boss. Je ne pense pas qu’il puisse m’aider, il n’est pas du style à s’inquiéter des états d’âme de ses collaborateurs, et encore moins de menaces téléphoniques dont je n’ai aucune preuve. Je me souviens d’un article sur les agissements de harcèlement de certaines entreprises pour forcer leurs collaborateurs à se dépasser ou à jeter l’éponge. Je suis encore plus troublé. Non, ce n’est pas possible. Je lui téléphonerai demain à la première heure ; je veux sentir sa réaction.
Le lendemain matin, je commence par reporter mon rendez-vous avec la société informatique. Il vaut mieux l’aborder après l’entrevue avec le directeur général. Je pourrai affiner ma stratégie en fonction de la marge de manœuvre que me laissera le directeur général. J’organise rapidement une réunion avec les consultants juniors, et je distribue le travail. J’aborde délicatement les aspects relationnels, et je les interroge pour connaître si des personnes spécifiques montrent une agressivité personnelle, si l’ambiance continue à se dégrader, si je suis mis en cause personnellement. Ils me confirment la mauvaise ambiance générale, mais ils ne remarquent rien de spécial tout en insistant sur le fait que ce n’est pas directement à eux que le personnel exprimerait des griefs personnels envers les consultants, soit par crainte, soit par respect des autorités dont nous avons reçu le mandat.
Ils me questionnent pour connaître mes inquiétudes. Je banalise, leur expliquant que je voulais juste prendre la température, et les rassure en les informant de ma réunion avec le directeur général. J’appelle mon boss en lui relatant l’état d’avancement du projet, le planning de mes réunions. Il parle longuement sur les différents aspects de la gestion quotidienne du projet et m’informe qu’il a eu le directeur général en ligne. Rien de bien transcendant. Il me confirme ce que je savais déjà.
Je traduis : j’ai été contrôlé ! C’est son habitude et c’est normal. Il cherche toujours à se faire une opinion par lui-même. J’agis de même avec les consultants juniors. Il est difficile de faire la part des choses sur les réactions humaines en cours d’audit.
Ce qui, pour certains, est des faits établis presque juridiquement, n’est, pour d’autres, que des interprétations personnelles, partisanes et même passionnelles. Il appartient au consultant de les disséquer, de les analyser et, au vu de sa connaissance technique et de son expérience, de trier le bon grain de l’ivraie. Aspect complexe du métier, passionnant, mais qui oblige le consultant honnête à un travail froid, technique et qui demande une éthique personnelle de haut niveau qui n’est codifiée nulle part… Il faut sans cesse réaliser la symbiose entre les intérêts du cabinet, les intérêts de son mandant et sa conscience. Les conflits d’intérêts sont nombreux et de toutes espèces. En cas d’erreur, la sanction est immédiate. Il n’y a pas de pitié pour le consultant pris en faute. Et il n’y a pas de faute légère ! Il est brutalement « sorti » du projet et s’il n’y a pas d’autres projets sur lesquels on peut l’affecter, il est sans boulot !
Je relate à mon boss les coups de fil désagréables en essayant de synthétiser au maximum. Il banalise, il cherche à me rassurer, et passe immédiatement aux objectifs des consultants juniors pour les prochains jours. Étrange, sa rapidité à changer de sujet.
Il a probablement d’autres chats à fouetter que mes états d’âme. Nous terminons notre conversation sur les civilités d’usage, mais celles-ci me laissent quelque peu perplexe.