Le dictionnaire des idées reçues - Gustave Flaubert - E-Book

Le dictionnaire des idées reçues E-Book

Gustave Flaubert

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Beschreibung

« T’aperçois-tu que je deviens moraliste ! Est-ce un signe de ­vieillesse ? Mais je tourne certainement à la haute ­comédie. J’ai quelquefois des ­prurits ­atroces d’engueuler les ­humains et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d’ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon ­Dictionnaire des idées reçues. » Lettre de Flaubert à Louise Colet, 17 décembre 1852 (extrait).

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Couverture

Page de titre

Note de l’éditeur

Le présent volume a été établi à partir de l’édition de Jean Aubier (1951), augmentée de notes et d’illustrations.

La typographie a été par endroits modifiée pour faciliter la lecture : les italiques renvoient au mot lui-même et non au sens.

« Il y a à parier que toute idée publique,toute convention reçue, est une sottise,car elle a convenu au plus grand nombre. »

CHAMFORT. Maximes et pensées

La propriété Flaubert à Déville-lès-Rouen

© Collection Déville-d’Hier. Philippe Ruc

Gustave Flaubert(Rouen, 1821 – Croisset, près de Rouen, 1880)

L’œuvre de Flaubert, fondatrice par sa nouveauté et par son influence, se réduit à quelques grands romans et à un Dictionnaire, qui ont représenté des années de labeur.

L’ennui provincial

Pour Flaubert, tout commence par l’ennui, à Rouen où il naît en 1821. Son père est chirurgien, sa mère s’occupe des enfants. Gustave est « l’enfant du milieu », entre un frère aîné lointain et une jeune sœur. Enfant, il a déjà une puissante imagination et n’a plus aucune illusion sur l’homme. À vingt ans, il lit Rabelais, Byron, Homère, Shakespeare, Goethe et se « fout » de tout, attitude qui incarne ce « grotesque triste » qu’il a lui-même inventé comme catégorie littéraire. Encore jeune, il rencontre la mort : celle de Caroline, sa sœur, en 1846 ; peu après, celle de son ami Alfred Le Poittevin.

Flaubert par Eustache-Hyacinthe Langlois, peintre, dessinateur, ami de la famille Flaubert.(1830, Gustave a 9 ans)

Reproduit dans Caroline Commanville, Souvenirs sur Gustave Flaubert, Paris, A. Ferroud, 1895.

© Collections Bibliothèque municipale de Rouen.

Un homme désabusé

Parmi les œuvres de Flaubert, de nombreux textes de jeunesse, composés entre 1836 et 1842, apportent un début de réponse : de Rêve d’enfer ou de Quidquid volueris aux Mémoires d’un fou, ce ne sont que crimes, abandons, trahisons, viols et sang, à l’exception de l’épisode romantique de la rencontre à Trouville-sur-Mer avec Élisa Schlésinger.

En 1840, Flaubert part pour les Pyrénées et la Corse. À Marseille, il vit avec Eugénie Foucaud de Langlade sa première « fouterie de délices ». Mais Gustave découvre qu’il n’y a d’amour possible que dans le rêve de l’amour, et non dans le monde réel.

Flaubert part faire des études de droit à Paris et traverse en 1844 une crise redoutable, physique et mentale, probablement l’épilepsie. Déjà émerge le projet de s’enfermer à Croisset, la propriété familiale, où il écrira tous ses livres.

De l’Italie à l’Orient

Mais, avant la solitude, Flaubert voyage. Il part en Italie avec sa sœur Caroline, juste avant sa mort. Puis il voyage avec son ami Maxime Du Camp : en Bretagne, en 1847, puis en Orient, à Malte, Alexandrie, Le Caire… jusqu’à Venise. Flaubert est un voyageur attentif : il va voir, humer, palper, tandis que son écriture se fait sensuelle, picturale et garde la mémoire des femmes, des parfums, des moiteurs…

L’ermite de Croisset

À partir de 1851, année où il commence Madame Bovary, et, si l’on excepte le voyage à Carthage en 1858, Flaubert ne quittera pratiquement plus Croisset : ses aventures seront ses livres.

Un « type » exemplaire, Emma Bovary

Mal mariée, une jeune femme se dessèche d’ennui au fond de sa campagne, et combat comme elle peut son mal de vivre en prenant des amants. En réalité, peu importe le sujet : Flaubert sait déjà qu’en littérature, ce qui compte, c’est la manière. Pour que celle-ci prenne forme, il lui faudra six ans de travail sans relâche, avec, pour finir, un procès pour outrage aux bonnes mœurs et, malgré l’acquittement, l’écœurement devant tant de bêtise et de mauvaise foi. Mais quel roman ! Une progression impeccable, une écriture sobre, apparemment objective, brûlant pourtant de tout ce désir qui passe et s’accroche à Emma et peu à peu embrase tout : l’institution conjugale, la maternité, les règles sociales. La romantique héroïne meurt d’avoir pris ses désirs pour des réalités, tandis que la bêtise et la nullité de son entourage l’enserrent.

Illustration pour Madame Bovary,Alfred de Richemont (1905)

« Son profil était si calme, que l’on n’y devinait rien. Il se détachait en pleine lumière. »

Un roman historique, Salammbô

Commencé en 1857, Salammbô paraît en 1862. Ce roman évoque la révolte des mercenaires contre Carthage après la première guerre punique, au IIIe siècle avant Jésus-Christ. Flaubert s’immerge délicieusement dans son vrai ailleurs, la bibliothèque. Il cherche à tout ressusciter, bouleversé par la beauté de la Tunisie : en des scènes somptueuses, la couleur pourpre – dont Flaubert veut donner l’impression – enlumine ce texte magnifique.

Salammbô par Gaston Bussière (1907)

(Collection privée)

Les dernières œuvres

À ce moment de sa vie, où il commence à compter dans le paysage littéraire du Second Empire, Flaubert exerce sa lucidité politique dans le seul domaine qui lui importe : le roman. Quand il entreprend L’Éducation sentimentale, il a conscience de faire justement œuvre politique, et on peut voir plus qu’une boutade dans sa laconique réflexion devant les ruines de La Commune : « Tout cela ne serait pas arrivé si l’on avait compris l’Éducation sentimentale. » Pour boucler ce dernier roman, contemporain et parisien, il lui faudra encore cinq ans (de 1864 à 1869). Sa Tentation de saint Antoine, toujours en chantier, le tourmente, et à peine l’Éducation sentimentale est-elle parue qu’il s’y remet et le termine enfin en 1872. Durant la rédaction, le vrai désert s’installe : mort de Bouilhet et de Duplan, ses plus proches amis ; année noire de 1870, où les Prussiens occupent Croisset ; mort de sa mère et de Théophile Gautier en 1872. « Aurai-je la force de vivre absolument tout seul dans la solitude ? » s’interroge l’ermite.

Avant qu’une hémorragie cérébrale ne l’emporte, le 8 mai 1880, Flaubert aura le temps de publier Trois Contes (« Un cœur simple », « La Légende de saint Julien l’Hospitalier », « Hérodias »). Bouvard et Pécuchet, grandiose et dérisoire épopée de la bêtise humaine restera inachevée. Les personnages sont deux gratte-papier qui, après de nombreuses expériences lamentables inspirées par leurs lectures, finissent englués dans la copie et la citation, au milieu d’une anthologie de textes saugrenus, au premier rang desquels figure le Dictionnaire des idées reçues.

Lettre de Flaubert à Louise Colet, 17 décembre 1852

Nuit de jeudi, 1 heure

[…] Depuis samedi j’ai travaillé de grand cœur et d’une façon débordante, lyrique. C’est peut-être une atroce ratatouille. Tant pis, ça m’amuse pour le moment, dussé-je plus tard tout effacer, comme cela m’est arrivé maintes fois. […]

T’aperçois-tu que je deviens moraliste ! Est-ce un signe de vieillesse ? Mais je tourne certainement à la haute comédie. J’ai quelquefois des prurits atroces d’engueuler les humains et je le ferai à quelque jour, dans dix ans d’ici, dans quelque long roman à cadre large ; en attendant, une vieille idée m’est revenue, à savoir celle de mon Dictionnaire des idées reçues (sais-tu ce que c’est ?). La préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre), aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve. J’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort. J’immolerais les grands hommes à tous les imbéciles, les martyrs à tous les bourreaux, et cela dans un style poussé à outrance, à fusées. Ainsi, pour la littérature, j’établirais, ce qui serait facile, que le médiocre, étant à la portée de tous, est le seul légitime et qu’il faut donc honnir toute espèce d’originalité comme dangereuse, sotte, etc. Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but, dirais-je, d’en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu’elles soient. Je rentrerais par là dans l’idée démocratique moderne d’égalité, dans le mot de Fourier que les grands hommes deviendront inutiles ; et c’est dans ce but, dirais-je, que ce livre est fait. On y trouverait donc, par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu’il faut dire en société pour être un homme convenable et aimable.

Ainsi on trouverait :

Artistes : sont tous désintéressés.

Langouste : femelle du homard.

France : veut un bras de fer pour être régie.

Bossuet : est l’aigle de Meaux.

Fénelon : est le cygne de Cambrai.

Négresses : sont plus chaudes que les blanches.

Érection : ne se dit qu’en parlant des monuments, etc.

Je crois que l’ensemble serait formidable comme plomb. Il faudrait que, dans tout le cours du livre, il n’y eût pas un mot de mon cru, et qu’une fois qu’on l’aurait lu on n’osât plus parler, de peur de dire naturellement une des phrases qui s’y trouvent. Quelques articles, du reste, pourraient prêter à des développements splendides, comme ceux de Homme, Femme, Ami, Politique, Mœurs, Magistrat. On pourrait d’ailleurs, en quelques lignes, faire des types et montrer non seulement ce qu’il faut dire, mais ce qu’il faut paraître.

[…]

Ah ! ce qui manque à la société moderne, ce n’est pas un Christ, ni un Washington, ni un Socrate, ni un Voltaire même ; c’est un Aristophane, mais il serait lapidé par le public ; et puis à quoi bon nous inquiéter de tout cela, toujours raisonner, bavarder ? Peignons, peignons, sans faire de théorie, sans nous inquiéter de la composition des couleurs, ni de la dimension de nos toiles, ni de la durée de nos œuvres.

[…]

Pioche bien la Paysanne ; passes-y encore une semaine, ne te dépêche pas, revois tout, épluche-toi ; apprends à te critiquer toi-même, ma chère sauvage. Adieu, il est bien tard, mille baisers, porte-toi mieux. À toi cher amour.

A

Abélard. Inutile d’avoir la moindre idée de sa philosophie, ni même de connaître le titre de ses ouvrages. Faire une allusion discrète à la mutilation opérée sur lui par Fulbert. Tombeau d’Héloïse et d’Abélard : si l’on vous prouve qu’il est faux, s’écrier : « Vous m’ôtez mes illusions. »

Abricots. Nous n’en aurons pas encore cette année.

Absalon. S’il eût porté perruque, Joab n’aurait pu le tuer. Nom facétieux à donner à un ami chauve.

Absinthe. Poison extra-violent : un verre et vous êtes mort. Les journalistes en boivent pendant qu’ils écrivent leurs articles. A tué plus de soldats que les Bédouins.

Absinthe Robette (Henri Privat-Livemont, 1896)

Académie française. La dénigrer, mais tâcher d’en faire partie si on peut.

Accident. Toujours déplorable ou fâcheux (comme si on devait jamais trouver un malheur une chose réjouissante…).

Accouchement. Mot à éviter ; le remplacer par événement. « Pour quelle époque attendez-vous l’événement ? »

Achille. Ajouter « aux pieds légers » ; cela donne à croire qu’on a lu Homère.

Actrices. La perte des fils de famille. Sont d’une lubricité effrayante, se livrent à des orgies, avalent des millions, finissent à l’hôpital. Pardon ! il y en a qui sont bonnes mères de famille !

Adieux. Mettre des larmes dans sa voix en parlant des adieux de Fontainebleau1.

Adolescent. Ne jamais commencer un discours de distribution des prix autrement que par « Jeunes adolescents » (ce qui est un pléonasme).

Affaires (Les). Passent avant tout. Une femme doit éviter de parler des siennes2. Sont dans la vie ce qu’il y a de plus important. Tout est là.

Adieux de Napoléon à la Garde impériale dans la cour du Cheval-Blanc du château de Fontainebleau (Antoine Alphonse Montfort, 1802-1884)

Musée national du Château de Versailles.

Agent. Terme lubrique.

Agriculture. Une des mamelles de l’État (l’État est du genre masculin, mais ça ne fait rien). On devrait l’encourager. Manque de bras.

Ail. Tue les vers intestinaux et dispose aux combats de l’amour. On en frotta les lèvres d’Henri IV au moment où il vint au monde.

Air. Toujours se méfier des courants d’air. Invariablement le fond de l’air est en contradiction avec la température ; si elle est chaude, il est froid, et l’inverse.

Airain. Métal de l’antiquité.

Albâtre. Sert à décrire les plus belles parties du corps de la femme.

Albion. Toujours précédé de blanche, perfide, positive. Il s’en est fallu de bien peu que Napoléon en fît la conquête. En faire l’éloge : la libre Angleterre.

Alcibiade. Célèbre par la queue de son chien. Type de débauché. Fréquentait Aspasie.

Alcoolisme. Cause de toutes les maladies modernes (v. absinthe et tabac).

Allemagne. Toujours précédé de blonde, rêveuse. Mais quelle organisation militaire.

Allemands. Peuple de rêveurs (vieux). Ce n’est pas étonnant qu’ils nous aient battus, nous n’étions pas prêts !

Ambitieux. En province, tout homme qui fait parler de lui. « Je ne suis pas ambitieux, moi ! » veut dire égoïste ou incapable.

Ambition. Toujours précédé de folle quand elle n’est pas noble.

Amérique. Bel exemple d’injustice : c’est Colomb qui la découvrit et elle tire son nom d’Améric Vespuce. Sans la découverte de l’Amérique, nous n’aurions pas la syphilis et le phylloxéra. L’exalter quand même, surtout quand on n’y a pas été. Faire une tirade sur le self-government.

Amiral