Le Domaine de Belton - Anthony Trollope - E-Book

Le Domaine de Belton E-Book

Anthony Trollope

0,0
0,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Will ne pouvait pas lui lire de poésie ni lui dire ce qui se passait dans le monde des lettres, ou ce qui s’y était passé dans d’autres temps. Il était douteux que Belton pût nommer les ministres actuels, ou qu’il sût le nom d’un seul évêque, excepté, celui du diocèse dans lequel se trouvait sa paroisse ; mais le capitaine Aylmer connaissait tout le monde, avait tout lu et entendait d’instinct tous les mouvements du milieu dans lequel il vivait.
Mais qu’importait la comparaison ? Si Clara avait pu se prouver à elle-même que son cousin Will était le plus digne d’être aimé, cela n’aurait rien changé. L’amour ne se décide pas par le mérite. Elle n’aimait pas assez son cousin pour lui donner sa main, et, hélas ! c’était l’autre qu’elle aimait.
Extrait.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Le Domaine de Belton

Anthony Trollope

Traduction parEugène Dailhac

philaubooks

Table des matières

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Couverture

À propos de l’auteur

1

Mistress Amadroz, femme de Bernard Amadroz de Belton et mère de Charles et de Clara, mourut quand ses enfants avaient huit et six ans, leur faisant ainsi éprouver le plus grand malheur qui puisse atteindre des enfants nés dans une telle position sociale. Ce malheur fut encore aggravé par le caractère du père. M. Amadroz n’était pourtant pas un méchant homme, ni même ce qu’on appelle un homme vicieux ; mais il était paresseux, insouciant, et, à l’âge de soixante-sept ans, âge auquel le lecteur fait sa connaissance, il n’avait encore fait aucun bien en ce monde. Il avait fait un grand mal, car son fils Charles s’était suicidé, et cet affreux événement avait été amené en partie par l’incurie du père.

Le château de Belton est une jolie résidence située au milieu d’un parc bien boisé, au pied des collines de Quanton, dans le comté de Somerset. Les maisons de la petite ville de Belton sont groupées aux portes du parc.

Peu d’Anglais connaissent bien les beautés de leur pays, et cette partie du comté de Somerset est une des plus ignorées. Rien de charmant pourtant comme ses riches vallées, ses ravins au fond desquels court une petite rivière aux eaux profondes, et sur les pentes abruptes ses vieux chênes dont la vie semble s’être retirée depuis des années, mais qui chaque printemps se couvrent encore d’un maigre feuillage.

Le domaine de Belton, entré dans la famille Amadroz avec une héritière de ce vieux nom, comprenait autrefois toute la paroisse de Belton, qui était considérable et s’étendait jusqu’à Taunton et presque jusqu’à la mer, à six milles de là. Avec une terre de cette étendue, la famille Amadroz avait tenu un rang important dans le pays ; mais la propriété ayant été successivement réduite par le grand-père et par le père de Bernard, quand celui-ci épousa une miss Winterfield de Taunton, on trouva qu’il faisait une très bonne affaire, en ce que les hypothèques qui grevaient le domaine furent payées par la fortune de sa femme. Cela fait, il leur restait encore un revenu de cinquante mille francs de rente. Comme M. Amadroz n’avait près de lui aucun voisin menant grand train, que dans ce pays reculé la vie est à bon marché, et qu’avec ce revenu il ne pouvait être question d’aller chaque année passer quelque temps à Londres, M. et Mme Amadroz auraient été en fort bonne situation si la femme avait vécu ; mais elle mourut jeune, et les difficultés de Bernard Amadroz commencèrent.

Et cependant le mal vint moins de lui que de son terrible fils. Charles était un garçon intelligent, et son père, se reconnaissant inférieur en ce point, était fier de lui. À la suite d’une espièglerie, l’enfant fut renvoyé d’Harrow. Pour se venger d’un fermier qui s’était plaint des ravages de quelques bassets, il avait coupé toutes les têtes d’une plantation de jeunes sapins. Son père parut glorieux de cet exploit. Quand il fut rayé des registres de Trinity-College à Oxford, M. Amadroz se montra moins satisfait. Le jeune homme alla mener à Londres une vie de désordres, et son père ne fit rien pour le retenir. Alors commença la vieille histoire des dettes et des mensonges sans fin. M. Amadroz paya en deux ans plus de deux cent cinquante mille francs, abandonna l’assurance sur sa vie qui devait être l’unique ressource de sa fille, et le résultat de tous ces sacrifices fut que, à la suite de nouvelles pertes aux courses de Newmarket, Charles Amadroz se brûla la cervelle.

Ce tragique événement arriva au printemps, et le malheureux père pensa qu’il ne lui restait plus qu’à mourir ; mais sa santé, bien que faible, était plus forte qu’il ne le croyait, et sa sensibilité, bien que vive, l’était peut-être moins qu’il ne l’imaginait, car, au bout d’un mois, il réfléchit qu’il valait mieux vivre pour conserver un asile à sa fille et essayer, s’il était possible, d’économiser quelque chose pour elle. Ce dernier point était peut-être difficile à réaliser avec le caractère de M. Amadroz. Cependant les vieux chevaux de voiture furent vendus et le parc affermé jusqu’aux portes du château.

Ce château n’était en réalité qu’une grande maison assez laide, bâtie du temps de Georges II, et prenait son titre d’une vieille tour isolée à laquelle, depuis plusieurs générations, les garçons de la famille avaient coutume de grimper en s’accrochant au lierre qui la tapissait. Le domaine était substitué et devait, après la mort de M. Amadroz, revenir à un cousin éloigné, M. William Belton. Les habitants de la petite ville, qui aimaient leur squire pour sa belle prestance et ses grandes manières, quoiqu’il n’eût de sa vie fait de bien à personne, voyaient avec peine lui succéder un étranger qui n’était pas même un gentleman, au dire des gens de Belton, car il était fermier quelque part en Norfolk. Pourquoi miss Clara n’héritait-elle pas ? miss Clara née parmi eux et qui avait toujours été bonne pour tous.

Clara, lorsque la nouvelle de la mort de son frère arriva à Belton, était auprès d’une dame veuve, sa tante par alliance, mistress Winterfield, née Folliott, qui vivait à l’autre extrémité du comté, à Perivale, petite ville que je soutiens être la plus ennuyeuse de l’Angleterre.

En apprenant le malheur qui la frappait, Clara fut anéantie par le chagrin et par la honte. La vie lui sembla à jamais finie pour elle. Mais avant même qu’elle eût rejoint son père, l’énergie de sa nature avait repris le dessus. Son frère avait été faible en échappant par la mort d’un lâche aux soucis de ce monde ; c’était à elle à montrer du courage et à supporter sans murmure la destinée qui lui était faite.

Après l’explosion de désespoir qui suivit l’arrivée de sa fille, M. Amadroz ne prononça plus le nom de son malheureux fils, et Clara se mit aux nouveaux devoirs de sa position, s’efforçant de vivre comme si elle n’avait pas été frappée de la foudre.

L’homme d’affaires de la famille avait annoncé à M. Will Belton la mort de son cousin, et M. Belton répondit par l’expression de son sincère regret et de son désir que, dans l’intérêt de sa cousine Clara, M. Amadroz pût vivre de longues années. L’homme d’affaires sourit en lisant cette lettre. Qui croit à la sincérité de tels vœux chez un héritier ? Et quel homme n’est prêt à affirmer que tels seraient ses vœux en pareille circonstance ?

Clara Amadroz, à cette époque, n’était plus une toute jeune personne. Elle avait vingt-cinq ans et, dans son extérieur, sa mise et ses manières, paraissait plus sérieuse que son âge. Elle n’avait presque jamais vécu qu’avec des personnes âgées, et ne correspondait avec aucune jeune fille au moyen de lettres aux lignes croisées. Après la terrible tragédie survenue dans sa famille, la gravité de sa vie et de son caractère avait naturellement augmenté. Les soucis matériels auxquels la pauvreté de son père soumettait Clara, ôtaient à son existence toute poésie aussi bien que tout plaisir. Elle devait examiner la note du boucher et se livrer aux soins les plus minutieux du ménage, avec le spectre de son frère sans cesse présent devant les yeux.

Un mot doit être dit pour expliquer comment miss Amadroz avait dû être sérieuse de bonne heure. Nous avons nommé mistress Winterfield, tante adoptive de Clara. Quand une jeune fille a sa mère, une tante est peu de chose pour elle ; mais, à défaut de la mère, une tante sans enfants prend une grande autorité. C’est ce qui était arrivé pour mistress Winterfield, d’autant plus qu’elle avait trente mille livres de rente, et que M. Amadroz comptait sur elle pour assurer l’avenir de Clara.

Il n’y eut jamais de personne plus consciencieuse que mistress Winterfield de Prospect-Place, à Perivale. C’était une excellente femme, pieuse, pleine d’abnégation, généreuse, guidée dans toutes ses actions par des motifs religieux. Elle haïssait le péché tout en tâchant de ne pas haïr le pécheur, mais elle se croyait obligée d’exprimer en toute circonstance son horreur du mal. Combattre le démon sans relâche était sa mission ici-bas. On ne peut nier qu’une tante de ce caractère ne soit apte à rendre la vie sérieuse. D’amusements, on n’en reconnaissait pas la nécessité à Perivale. La nourriture et le Vêtement sont des nécessités, et, dans la maison, on était bien habillé et bien nourri. Les femmes du caractère de mistress Winterfield ont généralement de bonnes tables. Elles pensent que les aliments doivent être dignes des prières que l’on dit avant le repas. Mistress Winterfield était toujours vêtue d’une épaisse robe de soie noire, presque neuve, et donnait discrètement ses vieilles robes à une dame bien née, mais pauvre. Elle avait un petit phaéton à un cheval mené par un cocher solennel en houppelande grise et gants de coton blancs, et allait au pas dans cet équipage faire ses visites de charité. Ces promenades étaient la seule distraction de sa vie. Il est douteux qu’il en fût de même pour Clara.

Mistress Winterfield était grande, maigre, et portait d’étroits bandeaux de faux cheveux. Elle avait les yeux enfoncés, les joues creuses, paraissant toujours sous le poids de l’affliction causée par ses propres malheurs en cette vie, et par ceux des autres dans la vie future. Ses manières étaient celles d’une femme de mauvaise humeur, mais ces manières étaient trompeuses.

Je n’ai pas besoin de dire, j’espère, qu’une jeune fille de l’âge de miss Amadroz n’était pas influencée dans sa conduite par la fortune de sa tante. Elle venait à Perivale en partie par habitude d’enfance, en partie par affection, mais elle maintenait son indépendance même au point de vue religieux. Aussi Clara ne fut-elle pas désappointée lorsque sa tante crut devoir lui faire part de ses intentions à l’égard de son neveu le capitaine Aylmer.

Le capitaine Frédéric Folliott Aylmer était fils d’une sœur de mistress Winterfield et membre du Parlement pour Perivale, donnant par là un surcroît de dignité au phaéton de sa tante. Frédéric, second fils du baronnet sir Anthony Aylmer, devait hériter des terres de sa mère situées près de Perivale, et mistress Winterfield, après bien des doutes et bien des prières, s’était résolue à faire de son neveu son héritier, afin que la propriété ne fût pas divisée.

« Je pense que vous avez raison, ma tante, lui dit Clara en apprenant ses intentions.

— Je l’espère, mais je crois de mon devoir de dire à Frédéric que j’ai eu de longues hésitations à ce sujet.

— Vous avez fait pour le mieux. Que penserait-il de moi si dans l’avenir il trouvait que je lui ai nui ?

— Cet avenir n’est plus bien éloigné, ma chère enfant.

— J’espère que si, ma tante ; mais dans tous les cas les choses sont bien comme elles sont.

— J’avais espéré, ajouta tristement la vieille dame, que cela reviendrait au même.

— Cela ne reviendra pas au même, dit Clara.

— Non, vous ne voyez pas les choses de la même manière que mon neveu. Ce qu’il regarde comme sérieux est pour vous de peu d’importance. Je prie pour vous chaque jour, Clara, et j’espère que vous ne cessez pas de prier pour vous-même.

— J’essaye, ma tante. »

Miss Amadroz avait peut-être à part elle quelques doutes sur la parfaite orthodoxie du capitaine Aylmer, mais elle se garda bien de les énoncer. Il était homme et membre du Parlement, et, à ce titre, pouvait faire sans hypocrisie, à Perivale, bien des choses qui n’entraient peut-être pas dans ses habitudes. Je doute qu’à Londres il allât à l’église trois fois chaque dimanche.

Clara allait aussi à l’église trois fois chaque dimanche, mais elle manquait de soumission d’esprit.

2

C’était l’été ; la fraîche odeur du foin coupé arrivait jusqu’à Clara, assise avec son ouvrage sous le porche de la vieille maison de Belton. Entre la porte et la tour se trouvait un des chars vides du fermier, dans les brancards duquel un vieux cheval semblait dormir au soleil. Immédiatement au-dessous de la tour, des hommes chargeaient un autre char, et l’on entendait les rires des femmes et des enfants, ramenant à la meule avec leurs râteaux les restes du foin répandu.

Il était onze heures du matin, et Clara attendait son père, qui avait déjeuné dans son lit, suivant sa paresseuse habitude. Il parut, une lettre à la main, mais avant de la montrer à sa fille, il se répandit en plaintes contre Stovey, le fermier, qui laissait son char devant la porte.

« Je pense qu’il le mettra bientôt dans le salon, dit-il.

— Je dois avouer que tout ce mouvement me plaît, papa.

— Vous avez là un drôle de goût que je suis loin de partager.

— M. Stovey est près d’ici, papa ; voulez-vous que je lui dise d’ôter son char ?

— Non, ma chère enfant, il faut le souffrir avec tout le reste. Il paye sa ferme, et je pense qu’il a le droit de faire ce qui lui plaît.

— Puis-je voir cette lettre ? demanda-t-elle pour changer la conversation.

— Je pense que oui, bien que j’eusse mieux fait de la brûler. C’est une lettre impertinente et sans cœur. »

Clara était habituée à ces plaintes. Tout le monde était sans cœur aux yeux de son père. Cet homme avait pour lui-même une telle compassion, qu’il lui semblait que les autres ne devaient être occupés qu’à le plaindre.

La lettre était datée de Plainstow-Hall, et Clara, bien qu’elle n’eût jamais vu l’écriture de son cousin, devina qu’elle venait de Will Belton. Elle était ainsi conçue :

« Plainstow-Hall, juillet 186.

« Cher Monsieur,

« Je ne vous ai pas écrit depuis la perte que vous avez faite, pensant qu’il était mieux d’attendre quelque temps. Mais j’espère que vous ne m’avez pas cru pour cela insensible à votre chagrin. Aujourd’hui je prends la plume pour vous assurer de toute ma sympathie et vous dire qu’étant votre plus proche parent et votre héritier, j’ai le plus grand désir de vous être utile si cela était possible. Si vous voulez bien me recevoir, je suis tout disposé à venir à Belton ; je serai libre pendant une semaine avant les moissons. Faites, je vous prie, mes amitiés à ma cousine Clara, que je me rappelle toute petite fille. Elle était à Perivale la dernière fois que je suis venu à Belton. Si elle a besoin d’un ami, elle en trouvera un en moi.

« Votre affectionné cousin,

« Will Belton. »

Clara eut à vaincre l’opposition de son père pour répondre à cette lettre ; encore ne lui permit-il de le faire qu’en ces termes cérémonieux :

« Cher Monsieur,

« Mon père m’a prié de vous dire qu’il sera heureux de vous recevoir au château de Belton le jour qu’il vous plaira de fixer.

« Agréez, etc.

« Clara Amadroz. »

Par le retour du courrier, Will Belton annonça qu’il serait au château le 15 août. « On peut se passer de moi ici pendant dix jours, disait-il en post-scriptum, parce que notre moisson sera tardive, mais il faut que je sois revenu une semaine avant l’ouverture de la chasse. »

On voit par ce ton familier que Will n’avait pas été intimidé par le billet formaliste de sa cousine.

« Sans cœur ! s’écria M. Amadroz, me parler de chasse dans un pareil moment ! » Clara ne voulut pas convenir qu’elle partageait l’avis de son père ; elle était décidée à attendre la venue de son cousin pour le juger.

Dans la ville de Belton, proche de l’église, se trouvait une petite maison appelée le cottage de Belton, louée depuis deux ans par M. Amadroz au colonel Askerton et à sa femme. Ils étaient complétement étrangers au pays, le colonel s’y étant établi pour chasser. Comme la porte du jardin du cottage donnait dans le parc de Belton, les rapports entre les deux familles étaient faciles, et une intimité s’était promptement formée entre Clara et Mrs Askerton.

Mrs Winterfield, se faisant l’écho de quelques rumeurs, avait en vain cherché à prémunir sa nièce contre le danger de cette liaison soudaine. Celle-ci était décidée à défendre Mrs Askerton contre tous venants, et ne tint aucun compte des avertissements qui lui furent donnés.

Aussitôt que Clara fut informée de la visite de son cousin, elle alla l’annoncer à son amie qui l’approuva sans réserve. « Sans doute, dit-elle, il vient voir s’il ne peut pas arranger les affaires en vous épousant, et c’est ce qui pourrait arriver de plus heureux ; à votre place je ne le laisserais pas partir avant de l’avoir vu à mes pieds, si toutefois les hommes se mettent encore dans cette posture suppliante, ce dont je doute. » Clara prit fort mal la plaisanterie et y coupa court en quittant le cottage.

Au jour désigné, Belton arriva dans un cabriolet loué à Taunton. M. Amadroz avait affecté tout le jour la plus complète indifférence ; mais, en entendant le bruit des roues, il quitta précipitamment son fauteuil et s’avança dans le vestibule. Clara le suivit et se trouva sans savoir comment, échangeant des poignées de main avec un grand garçon large d’épaules, ayant de grands yeux gris brillants, le nez droit, la bouche grande, les dents presque trop parfaites, d’épais cheveux bruns coupés courts et de petits favoris lui venant à moitié des joues. Clara n’avait jamais vu physionomie plus ouverte.

« Vous êtes la petite fille que je me rappelle avoir vue chez M. Folliott quand j’étais enfant ? lui demanda-t-il d’une voix peut-être un peu trop sonore.

— Oui, je suis cette petite fille, répondit Clara en souriant.

— Quand je pense qu’il y a vingt ans de cela !

— Vous ne devriez pas m’en faire souvenir, monsieur Belton.

— Pourquoi pas ?

— Parce que cela montre combien je suis vieille.

— Ah ! oui, certainement ; mais il n’y a là personne pour m’entendre. »

Une demi-heure après, comme Belton montait dans sa chambre, Clara trouva moyen de lui parler seule et de lui expliquer la situation.

« Monsieur Belton, dit-elle, vous serez obligé de supporter les inconvénients de notre nouvelle position ; le fait est que nous sommes maintenant très pauvres.

– Ah ! voilà justement ce que je voulais savoir. Pour ce qui est de la pauvreté, je trouve que ce n’est rien quand on est jeune, mais cela ne laisse pas d’être pénible à mesure qu’on vieillit. Y puis-je quelque chose ?

– Tout ce que vous pouvez, c’est d’être bon pour mon père. Il a été obligé d’affermer le parc à M. Stovey et n’aime pas à en parler.

– Mais comment y apporter remède si on n’en parle pas ?

– Il n’y a pas de remède.

– C’est ce que nous verrons ; mais je serai bon pour lui et pour vous aussi, si vous le permettez. Vous n’avez plus de frère. Je serai votre frère, voulez-vous ?

– Je veux bien, dit Clara.

M. Amadroz, ayant déclaré son intention de descendre pour déjeuner tout le temps du séjour de son cousin, était à neuf heures et demie avec sa fille, dans le petit salon, quand Will entra, son chapeau à la main, essuyant les gouttes de sueur qui lui coulaient du front.

« Vous êtes déjà sorti, monsieur Belton ? lui dit le squire1.

— J’ai fait le tour de la propriété. Six heures ne me trouvent pas souvent dans mon lit, hiver ou été. Quand on est agriculteur, on doit se lever matin. L’herbe pousse d’elle-même durant la nuit, mais le jour il faut y veiller.

— Ici, cela ne ferait pas grand bien à l’herbe, dit le squire tristement.

— Autant ici qu’ailleurs. J’ai quelque chose à vous dire là-dessus. »

Il s’était assis, tout en parlant, devant la table du déjeuner et jouait de la fourchette avec grande activité.

« Je pense, monsieur, que vous ne tirez pas le meilleur parti possible de votre parc.

— Ne parlons pas de cela, s’il vous plaît, dit le squire.

— Je n’en parlerai pas si cela vous déplaît, mais, vraiment, vous devriez y faire attention.

— Comment ? dit Clara.

— Si votre père ne veut pas garder le parc à sa main, il devrait l’affermer à quelqu’un qui y mît un troupeau au lieu de couper le foin d’année en année sans rien remettre dans la terre, comme compte faire ce Stovey. Je lui ai parlé et telle est son intention.

— Personne ici n’a d’argent pour mettre un troupeau sur la propriété, dit le squire aigrement.

— Alors vous devriez vous adressez ailleurs, voilà tout. Écoutez, monsieur Amadroz, je le ferai moi-même. » Il s’était servi deux larges tranches de mouton froid et mangeait de bon appétit tout en parlant.

« C’est impossible, dit le squire.

– Je ne vois pas pourquoi ce serait impossible ; vous vous en trouveriez mieux, et moi aussi, si je dois avoir un jour la propriété.

À ces mots le squire fit la grimace.

Ce même jour, à midi, l’opposition du squire était vaincue ; Stovey avait résilié son bail moyennant cinq cents francs d’indemnité, et Will s’était substitué à lui avec une augmentation considérable. M. Amadroz n’en revenait pas.

Dans l’après-midi, Will demanda à sa cousine de venir se promener.

« Je vous montrerai tout ce que je compte faire, » lui dit-il.

Elle prit aussitôt son chapeau et son ombrelle et le suivit. Dès qu’ils furent assez loin de la maison pour ne pas être entendus :

« Votre père a de l’antipathie pour moi, dit Will, et je n’en suis pas étonné.

— Je ne crois pas qu’il ait d’antipathie pour vous, monsieur Belton.

— Si, et rien de plus naturel : je suis son héritier au lieu de vous. Il ne doit pas m’aimer ; mais j’en viendrai à bout, et il finira par ne plus pouvoir se passer de moi.

— Vous êtes un homme extraordinaire, monsieur Belton.

— Je voudrais bien que vous ne m’appeliez pas monsieur Belton ; mais si j’arrive à me faire appe [...]