Le fantôme de Canterville et autres contes - Oscar Wilde - E-Book

Le fantôme de Canterville et autres contes E-Book

Oscar Wilde

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

L’ami dévoué

Le Prince Heureux

Le rossignol et la rose

Le géant égoïste

1

Lorsque M. Hiram B. Otis, le ministre américain, acheta Canterville Chase, tout le monde lui dit qu’il commettait une folie car il ne faisait aucun doute que les lieux étaient hantés. En vérité, lord Canterville lui-même, homme pointilleux à l’excès sur les questions d’honneur, avait jugé de son devoir de mentionner le fait à M. Otis quand ils en étaient venus à discuter des conditions de vente.

— Nous avons préféré ne pas y habiter nous-mêmes, dit lord Canterville, depuis que ma grand-tante, la duchesse douairière de Bolton, a été prise d’une peur panique dont elle ne s’est jamais vraiment remise en voyant apparaître sur ses épaules deux mains de squelette pendant qu’elle s’habillait pour dîner et il est de mon devoir de vous dire, M. Otis, que le fantôme a été vu par plusieurs membres vivants de ma famille, aussi bien que par le recteur de la paroisse, le révérend Augustus Dampier, diplômé de King’s Collège à Cambridge. Après ce malheureux accident survenu à la duchesse, aucun de nos jeunes domestiques n’a voulu rester avec nous, et lady Canterville a souvent bien peu dormi la nuit en raison des bruits mystérieux qui venaient des couloirs et de la bibliothèque.

— Milord, répondit le ministre, je prendrai le mobilier et le fantôme selon évaluation. Je viens d’un pays moderne où nous avons tout ce que l’argent peut acheter ; et avec tous nos fringants jeunes gens qui viennent faire les quatre cents coups dans le Vieux Monde et qui enlèvent vos meilleures actrices et prima donna, je suppose que, s’il existait un fantôme en Europe, nous l’annexerions à bref délai pour le montrer au public dans un de nos musées ou dans les foires.

— Je crains que le fantôme n’existe, dit lord Canterville en souriant.

Encore qu’il ait peut-être résisté aux propositions de vos entreprenants imprésarios. Il est bien connu depuis trois siècles, depuis 1584 pour être précis, et il apparaît toujours avant la mort de chaque membre de notre famille.

— Ma foi, on peut en dire autant du médecin de famille, lord Canterville, mais les fantômes n’existent pas, non, monsieur ; et je doute que les lois de la nature soient mises en échec en faveur de l’aristocratie britannique.

— Vous êtes certainement très naturels en Amérique, répondit lord Canterville qui n’avait pas bien compris la dernière observation de M. Otis, et si la présence d’un fantôme dans la maison ne vous dérange pas, tant mieux. Seulement, souvenez-vous que je vous ai prévenu.

Quelques semaines plus tard, l’acquisition de la maison était chose faite et, à la fin de la saison, le ministre et sa famille vinrent s’installer à Canterville Chase. Mme Otis qui, sous le nom de miss Lucretia R. Tappan, de la 53e rue Ouest, avait été une des beautés célèbres de New York, était maintenant une superbe femme entre deux âges avec de beaux yeux verts et un profil parfait. En quittant leur pays natal, bien des Américaines adoptent un air de santé chancelante avec l’impression que c’est une forme de raffinement européen, mais Mme Otis n’avait jamais cru à cette fable. Elle jouissait d’une admirable constitution et d’une sorte de vitalité animale exceptionnelle. En fait, à bien des égards, elle était tout à fait anglaise et offrait un parfait exemple du fait que, de nos jours, nous avons tout en commun avec l’Amérique, hormis, bien entendu, le langage. Son fils aîné, baptisé Washington par ses parents dans un moment de patriotisme qu’il n’avait jamais cessé de regretter, était un jeune homme blond, plutôt joli garçon, qui s’était qualifié pour la diplomatie en conduisant le cotillon au casino de Newport pendant trois saisons consécutives et qui, même à Londres, avait la réputation d’un excellent danseur.

Les gardénias et les aristocrates étaient sa seule faiblesse. Pour le reste, il était extrêmement sensé. Miss Virginia E. Otis était une petite demoiselle de quinze ans, svelte et ravissante comme une biche avec de grands yeux bleus où se lisait un fort penchant pour la liberté. C’était une merveilleuse amazone et elle avait un jour défié le vieux lord Bilton à la course sur son poney. Après deux tours de parc, elle avait gagné d’une longueur et demie juste devant la statue d’Achille aux suprêmes délices du jeune duc de Cheshire qui lui avait demandé sa main sur-le-champ et avait été renvoyé par ses tuteurs le soir même à Eton dans un déluge de larmes. Après Virginia, venaient les jumeaux, généralement appelés Stars and Stripes en raison des corrections répétées qu’ils ne cessaient de recevoir. C’étaient des garçons délicieux et, mis à part l’estimable ministre, les seuls vrais républicains de la famille.

Canterville Chase étant situé à dix kilomètres environ d’Ascot, la plus proche station de chemin de fer, M. Otis avait télégraphié pour qu’une voiture vînt les chercher et ils prirent la route de la meilleure humeur. C’était par une très belle journée de juillet et l’air était embaumé de la senteur délicate des bois de pins. De temps en temps, ils entendaient un pigeon ramier roucouler doucement ou entrevoyaient dans les fougères bruissantes le poitrail cuivré d’un faisan. De petits écureuils les regardaient passer, perchés sur les branches des hêtres, et les lapins détalaient dans les taillis et pardessus les tertres moussus, leurs courtes queues blanches dressées en l’air. Alors qu’ils s’engageaient dans l’allée d’accès de Canterville Chase, le ciel se chargea soudain de nuages ; un calme étrange parut se répandre dans l’atmosphère, un grand vol de corneilles fila au-dessus de leurs têtes et, avant qu’ils eussent atteint la maison, quelques grosses gouttes de pluie se mirent à tomber.

Debout sur les marches pour les recevoir se tenait une vieille femme, vêtue de manière stricte de soie noire avec une coiffe et un tablier blancs. C’était Mme Umney, la gouvernante que Mme Otis avait consenti à maintenir dans sa position antérieure à la demande expresse de lady Canterville. Comme ils descendaient de voiture, elle leur fît à chacun une révérence profonde et, d’une voix affable, déclara à l’ancienne mode :

— Je vous souhaite la bienvenue à Canterville Chase.

À sa suite, ils traversèrent le magnifique hall Tudor et entrèrent dans la bibliothèque, une longue pièce basse lambrissée de chêne sombre à l’extrémité de laquelle s’encadrait une large fenêtre garnie de vitraux… Là, ils trouvèrent le thé préparé à leur intention et, après avoir ôté leur manteau, ils s’assirent et se mirent à regarder tout autour d’eux pendant que Mme Umney les servait.

Soudain, Mme Otis aperçut une tache rougeâtre sur le parquet et, sans la moindre idée de ce qu’elle pouvait signifier, elle dit à Mme Umney :

— Je crains qu’on n’ait renversé quelque chose par terre.

— Oui, madame, répondit la vieille servante à voix basse. Le sang a été répandu à cet endroit.

— Quelle horreur ! s’écria Mme Otis. Une tache de sang dans un salon. C’est inadmissible. Il faut la nettoyer tout de suite.

La vieille femme sourit et répondit de la même voix confidentielle :

— C’est le sang de lady Eleanore de Canterville qui a été assassinée ici même par son mari, sir Simon de Canterville, en 1575.

Sir Simon lui a survécu neuf ans et il a disparu dans des circonstances très mystérieuses. Son corps n’a jamais été retrouvé mais son esprit coupable continue à hanter le manoir. La tache de sang a été très admirée par des touristes et plusieurs autres visiteurs, et elle est ineffaçable.

— Tout ça ne tient pas debout ! s’exclama Washington Otis. Le Détachtou et le Superdétersif Pinkerton la feront disparaître en un clin d’œil.

Et, avant que la gouvernante terrifiée ait pu intervenir, il se laissa tomber à genoux et se mit à frotter le sol avec une sorte de bâtonnet qui ressemblait à un fard noir. Quelques instants plus tard, toute trace de la tache de sang s’était effacée.

— Je savais bien que Pinkerton ferait l’affaire, s’exclama-t-il, triomphant, tourné vers les membres de sa famille admiratifs, mais à peine avait-il prononcé ces mots qu’un violent éclair illuminait la pièce tandis qu’un fracas de tonnerre les faisait se dresser tous d’un bond et que Mme Umney s’évanouissait.

— Quel climat impossible ! dit le ministre américain d’un ton calme tout en allumant un long cigare de Manille. J’ai l’impression que ce vieux pays est tellement surpeuplé qu’il est incapable de fournir un temps convenable à tout le monde. D’ailleurs, j’ai toujours pensé que la seule solution pour l’Angleterre, c’était l’émigration.

— Mon cher Hiram, s’écria Mme Otis, qu’allons-nous faire d’une femme qui tombe en pâmoison ?

— Opérer une retenue sur ses gages, répondit le ministre. Ensuite, elle n’y tombera plus.

Et, en effet, quelques instants plus tard, Mme Umney revint à elle.

Elle n’en était pas moins extrêmement perturbée et elle avertit avec gravité M. Otis qu’il devait se méfier des malheurs éventuels qui pourraient s’abattre sur la maison.

— J’ai vu certaines choses de mes propres yeux, monsieur, dit-elle, des choses qui feraient dresser les cheveux sur la tête de n’importe quel chrétien. Et pendant bien des nuits, je n’ai pas pu dormir à cause des événements terribles qui ont eu lieu ici.

Cependant, M. Otis et sa femme assurèrent avec conviction à cette âme pure qu’ils n’avaient pas peur des fantômes et, après avoir invoqué l’intercession de la Providence en faveur de ses nouveaux maîtres et négocié une augmentation de salaire, la vieille gouvernante repartit à petits pas vers sa chambre.

2

L’orage se déchaîna toute la nuit, mais il n’arriva rien de particulier. Le lendemain matin toutefois, quand ils descendirent prendre leur petit déjeuner, la terrible tache de sang était revenue sur le sol.

— Ça ne peut pas être la faute du Superdétersif, dit Washington, car je l’ai essayé sur tout. Ça doit être le fantôme.

En conséquence, il effaça une seconde fois la tache, mais le matin suivant elle était réapparue, et il en fut de même le troisième jour ; pourtant M. Otis en personne avait fermé à double tour la porte de la bibliothèque et était monté se coucher en emportant la clef.

La famille au complet était maintenant très intéressée par cette énigme. M. Otis commença à se demander s’il n’avait pas été trop dogmatique dans sa façon de nier l’existence des fantômes. Mme Otis émit l’intention de s’inscrire à la Société de psychisme, et Washington élabora une longue lettre destinée à MM. Myers et Podmore sur la question de la persistance des Taches Sanglantes ressortissant aux crimes. Cette nuit-là, les doutes concernant l’existence objective des apparitions furent balayés à jamais.

La journée avait été chaude et ensoleillée et, dans la fraîcheur du soir, toute la famille était sortie se promener en voiture. Ils ne rentrèrent pas avant neuf heures du soir et prirent un souper léger. Il ne fut pas un instant question de fantôme au cours du repas, si bien que ces conditions premières de réceptivité qui précèdent souvent la manifestation de phénomènes psychiques n’intervinrent pas. Les sujets débattus — ainsi que je l’ai appris depuis par la bouche de Mme Otis — se limitèrent à ceux qui constituent la conversation courante d’Américains cultivés de la classe la plus élevée, tels que l’immense supériorité de miss Fanny Davenport sur Sarah Bernhardt comme actrice, la difficulté d’obtenir des épis de maïs vert, des galettes de sarrasin et de la purée de maïs, même dans les meilleures maisons anglaises ; l’importance de Boston dans le développement de la spiritualité mondiale ; les avantages du système d’enregistrement des bagages dans les voyages en chemin de fer, et la douceur de l’accent new-yorkais comparé au ton traînant des Londoniens.

Aucune allusion ne fut faite au surnaturel ni à sir Simon de Canterville. À onze heures, la famille se retira et, une demi-heure après, toutes les lumières étaient éteintes. Quelque temps plus tard, M. Otis fut réveillé par un bruit curieux dans le couloir à hauteur de sa chambre. On eût dit un tintement de métal qui semblait se rapprocher peu à peu. M. Otis se leva aussitôt, gratta une allumette et consulta sa montre. Il était exactement une heure. M. Otis était très calme ; il prit son pouls qui n’avait rien de fébrile. Les sons étranges se prolongeaient et, s’y ajoutant, M. Otis perçut distinctement un bruit de pas. Il chaussa ses pantoufles, sortit une petite fiole oblongue de sa valise et ouvrit la porte. Juste devant lui, dans un pâle rayon de lune, se tenait un vieil homme d’aspect terrible. Ses yeux étaient aussi rouges que des charbons ardents. Ses longs cheveux lui tombaient sur les épaules en mèches entremêlées. Ses vêtements de coupe antique étaient souillés et déchirés ; à ses poignets et ses chevilles pendaient de pesants fers mangés de rouille.

— Cher monsieur, dit M. Otis, je vous prie instamment de huiler vos chaînes ; je vous ai apporté dans ce but une petite bouteille de lubrifiant indien. On le dit d’une parfaite efficacité après une seule application et l’emballage comporte plusieurs témoignages en ce sens dus à quelques-uns de nos plus éminents ecclésiastiques. Je vais vous le laisser ici à côté des quinquets et je serai heureux de vous en fournir un peu plus si vous en avez besoin.

Sur ces mots, le ministre des États-Unis posa le flacon sur une console de marbre et, refermant la porte, regagna son lit.