Le fer à repasser - Joël Cogneau - E-Book

Le fer à repasser E-Book

Joël Cogneau

0,0

Beschreibung

Une fouine au cri dévastateur, une mère qui tente de survivre en vendant ses maigres biens, un fer à repasser au contenu étrange, un TGV inquiétant, un auteur de haïkus, un couple en quête d’enfant, une fenêtre intrigante…
Le fer à repasser - Et autres textes courts est un ensemble formé de dix-sept « textes courts » évoquant subtilement nos angoisses, nos fantasmes, nos craintes et nos désirs.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Joël Cogneau ouvre les portes de son univers et nous livre ses états d’âme dans Le fer à repasser - Et autres textes courts.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 118

Veröffentlichungsjahr: 2022

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Joël Cogneau

Le fer à repasser

Et autres textes courts

Nouvelles

© Le Lys Bleu Éditions – Joël Cogneau

ISBN : 979-10-377-5131-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le cri de la fouine

Des mots tournent dans ma tête, s’organisent en phrases comme cela m’arrive de temps en temps le matin, juste avant de me réveiller vraiment. Le demi-sommeil, état de conscience particulier, favorise des productions mentales curieuses, parfois de vrais propos, mais le plus souvent des morceaux de phrases absconses. Mais cette fois, c’est vraiment particulier : un texte entier, qui revient en boucle. C’est obsédant comme un ver d’oreille. Je regarde l’heure, le téléphone indique 03 : 17. J’essaie donc de me rendormir. Rien à faire. Les phrases me poursuivent, se déroulent, se répètent, et même s’enrichissent. Impossible de repartir dans un sommeil paisible. Au bout d’un moment, je me lève, vais dans mon bureau, j’allume l’ordinateur, et je tape le texte pratiquement tel quel, sans essayer d’ajouter des explications, ni de dénoncer les erreurs manifestes qu’il contient.

« Dans ce cas précis, on peut utiliser la technique du cri de la fouine (à ne pas confondre avec le cri de la belette, qui donnera des réactions opposées à nos attentes). Le cri de la fouine débute au milieu de son crâne. Elle est immobile, à petite distance de la victime choisie, le poil hérissé. Elle se dandine très lentement sur les pattes antérieures, sans les lever de ses appuis. Ce mouvement s’accompagne dans le même rythme, d’un léger mouvement latéral des flancs, et d’un balancement de la queue en sens inverse. Les pattes postérieures sont fléchies fortement, les griffes enfoncées dans le sol. Les yeux de la fouine sont mobiles, latéralement et de haut en bas. Ils surveillent principalement le coin des yeux et les commissures de la gueule ou du bec de sa proie, guettant leur affaissement, qui va révéler le début du moment propice à l’attaque. Le cri est un son pur, strident, bref, et puissant. Il provoque une peur intense de la proie, qui suscite une inspiration forcée réflexe : la tête se relève, détendant les muscles antérieurs du cou ; les narines s’ouvrent en grand pour laisser passer le flux d’air, la bouche ou le bec s’entrouvre également. Le gonflement des poumons augmente la pression sanguine des vaisseaux du cou.

À ce moment, la fouine, la gueule de côté, jette ses crocs en travers du cou, plantant ses dents aiguës de part et d’autre de la trachée, dans les deux carotides en même temps, qu’elle perce instantanément. Le sang jaillit et la proie s’affaisse, évitant à la fouine toute réaction de défense dangereuse, alors qu’elle-même a également le cou exposé, notamment aux coups de bec. Elle garde sa prise serrée jusqu’à l’arrêt respiratoire, qu’elle perçoit parfaitement entre ses mâchoires qui serrent la trachée.

Pour information, la belette a un comportement d’attaque entièrement différent. Dans le poulailler, elle affole les animaux en courant rapidement de part et d’autre, arrondissant le dos et sautant comme au hasard. Elle poursuit ensuite une volaille qui s’enfuit devant elle. C’est alors qu’elle émet une sorte de feulement proche du crachement, venu du plus profond de sa cage thoracique. La surprise conduit sa proie à se retourner, dans une réaction de défense, ce qui la déstabilise dans son élan et la déséquilibre sur le côté. La belette saute alors sur le cou de la bête, enfonçant ses dents de la mâchoire inférieure dans la carotide, tandis que les dents du haut prennent un appui solide sur les muscles postéro-latéraux, contractés par le mouvement de rotation. La perte de pression d’une carotide provoque une hémiplégie brutale, et la chute de la proie. La belette laisse sa victime agoniser au sol, tandis qu’elle en poursuit immédiatement une autre. »

J’en ai fini, je crois que j’ai tout retranscrit. C’était comme si on m’avait dicté ce texte, mot pour mot. Mon inconscient ? Autre chose ?

Je retourne me coucher. Je me rendors sans aucun problème.

Un mois plus tard environ, je trouve par hasard un site internet où, en copiant un texte, on obtient une lecture audio avec l’accent québécois, que l’on peut enregistrer, ce que je fais. Je l’envoie par mail à quelques personnes amies, avec en objet « la fouine au Québec », et en mot d’accompagnement : « Lecture publique au jury du Prix international de la nouvelle francophone. C’est pas beau ? ».

Je reçois en retour des points d’interrogation en pagaille.

Le vide-grenier municipal

Louise fait la queue devant la grille du square, elle a devant elle dix-huit personnes : elle a compté, car elle sait qu’il n’y a que vingt-sept stands disponibles. Elle a déjà été échaudée deux fois, pour être arrivée trop tard, elle n’avait pas eu de place, et avait dû repartir avec son fils et leurs volumineux paquets. Cette fois, elle est arrivée bien en avance, avec dans son sac à main une bouteille d’eau et un paquet de madeleines, ça devrait permettre de tenir la journée. A ses pieds, un grand sac bleu, dans lequel sont emballés divers bibelots, de la vaisselle, et quelques jouets. Elle traîne aussi une petite valise, qui contient des habits maintenant trop petits pour son fils. Anton va sur ses sept ans, et est assez grand pour comprendre qu’il leur faut se séparer de certaines choses, même s’ils y tiennent. La mairie a ouvert ce vide-grenier gratuit, tous les samedis, bien sûr à cause de la crise, mais aussi pour tenter d’éviter les alignées de vendeurs à la sauvette qui déparent dans les rues commerçantes du centre-ville. Pendant qu’ils patientent, quasiment personne ne se parle dans la queue : tout à l’heure, ils seront concurrents… Louise repense à l’humiliation d’avoir dû aller chercher un sac de légumes avec une boîte de pâté de foie, à la distribution gratuite de l’Aide Alimentaire Chrétienne. Si l’on dit merci en faisant un signe de croix en prenant le colis, on a droit à un bonus : c’est ce qui lui a valu le paquet de madeleines, périmé depuis à peine 6 mois.

Après une heure et demie d’attente, les employés municipaux et deux agents de police de la ville ouvrent la grille d’entrée du square, et distribuent à chacun des arrivants un papier avec le numéro du stand qui leur est attribué. Avec le numéro dix-neuf, la mère n’est pas trop mal placée. Leur étal est une planche de bois d’un mètre de long, posée sur deux tréteaux métalliques. Il n’y a pas de siège. Elle installe, bien à plat, quelques habits parfaitement repassés, huit CDs de son chanteur préféré, deux assiettes en porcelaine, rescapées d’un service de sa grand-mère, quatre verres à pied, un camion rouge et un petit éléphant en peluche. Ils attendent quelques instants l’ouverture des grilles au public.

Le petit garçon s’assoit par terre et joue avec un pousse-pousse. Sa mère essaie d’attirer les passants, qui pour la plupart, jettent seulement un coup d’œil à leur minuscule étalage. Un peu plus loin, un vendeur passe de la musique sur un radio-CD portable, qu’il a mis en vente à un prix proche du neuf : il n’a aucune envie de le vendre, il s’en sert pour attirer les passants, et leur fourguer des sacs à main et des montres qui ne viennent sûrement pas de son grenier.

Un grand type s’arrête, et lorgne les CDs. Il demande si les CD, c’est bien un euro, jette la pièce qui roule à terre. La mère se baisse, et le temps de se redresser, l’autre a raflé tous les CDs. Elle lui crie dessus. Sans se démonter, il répond, en montrant l’étiquette : « CDs : un euro », c’est vous qui avez fixé le prix ! Et il s’en va tranquillement.

Dans les deux heures suivantes, elle n’a vendu qu’un pull à deux euros. Elle a les larmes au bord des yeux : elle espérait finir la journée avec une recette de vingt euros au moins, pour pouvoir finir le mois à peu près bien.

Puis un couple s’arrête ; ils ont la vingtaine, parlent fort, on a même l’impression qu’ils sont à moitié défoncés. La fille, qui porte des lunettes de soleil, tient en laisse un assez gros chien, genre Eurasier, avec la queue totalement repliée sur le dos. Elle montre du doigt le petit éléphant en peluche. Son mec se marre, et dit, ah ouais, parfait ! Elle demande le prix : cinq euros. Elle sort un billet de dix de son portefeuille, et le donne à la mère, qui lui rend la monnaie. Anton prend la peluche, la caresse, lui fait un bisou, et la tend, les larmes aux yeux, à la fille, qui la jette par terre devant le chien. Celui-ci s’en empare immédiatement, la prend dans sa gueule énorme et baveuse, et la secoue en tous sens. Et ils s’éloignent en riant.

TGV

Il bascula d’abord son sac et les tasseaux par-dessus le grillage, qu’il franchit ensuite sans difficulté, à l’aide des branches d’un arbre adjacent, en s’agrippant aux mailles pour redescendre. Le talus était raide à cet endroit, et il fit attention à bien positionner ses pieds sur des touffes d’herbes pour ne pas risquer une chute. Le sac à dos le déséquilibrait. Il s’aida du grand tasseau comme d’un bâton pour conforter ses appuis. Il jura à cause d’une écharde dans sa paume droite, et parvint sans encombre au bord de la voie.

Il installa en quelques minutes la caméra numérique sur son trépied télescopique, un matériel très léger et très stable. Il repéra ensuite un point de visée, en biais, de l’autre côté de la voie : un superbe chêne, à deux-cents mètres environ. Sur l’écran de contrôle, il voyait parfaitement les rails. Il monta alors le gabarit : il cloua les trois petits tasseaux en trépied sur le grand, et le positionna au milieu des rails. Il n’était que 18 h 30, il avait encore un peu de temps devant lui. Il revint à la caméra, et, minutieusement, fit le point sur l’extrémité supérieure du gabarit, exactement à 1,72 m du sol. L’image était parfaite. Il déclencha la prise de vue, pendant une minute, puis vérifia sur l’enregistrement la netteté et le cadrage de l’image. Tout allait bien, c’était vraiment très au point. Il lui restait environ deux minutes. Il en profita pour disposer le reste du matériel. D’abord, le panneau plastifié, de format A3, où son texte, un adieu grinçant destiné à sa femme, apparaissait en grosses lettres. Impossible, même pour un imbécile illettré, de ne pas le remarquer. Il le cala sur le talus, avec des pierres prises sur le ballast. Il ne voulait pas qu’il s’envole bêtement au moindre coup d’air. Au-dessous, il fit de même avec le sac à dos jaune et rouge : plus voyant serait difficile à obtenir. Il vérifia encore une fois le cadrage, et la stabilité du pied de la caméra. Il appuya sur la touche d’enregistrement, vérifia qu’elle était bien enclenchée en mode « prise de vue », s’avança sur la voie, prenant la place du gabarit qu’il jeta sur le côté. Il porta son regard sur le point de fuite des rails, où, très loin, apparaissait un minuscule point gris. Il tâta sa poche, le petit carton était bien présent. Il l’avait imprimé sur les deux faces pour ne pas être bêtement floué à la dernière seconde. Le voyant de la caméra lui indiquait que la prise de vue était bien en cours. Le point gris grossissait lentement. Le bruit commençait à parvenir à ses oreilles. Il essaya en un éclair de calculer, en fonction de la vitesse du son, le temps qu’il lui restait. Mais toute son attention fut requise par le fulgurant grossissement du point gris, qui devint un énorme mufle hurlant : la précision, indispensable, du geste, fit qu’il préféra anticiper. Il tira de sa poche le carton, qu’il brandit à bout de bras, devant la caméra, quelques fractions de seconde avant le choc.

Anton sort de la cabine réservée aux contrôleurs, pour aller aux toilettes de 1ère classe, juste à côté. Disposés à côté du lavabo, il remarque un petit tas de papiers imprimés, format tiers de page A4. Il saisit le premier, et voit tout de suite que les autres sont identiques. Il lit le texte, qui ne comporte que quelques phrases :

Vous êtes là, sur la cuvette des w.c. du TGV, et, pantalon baissé ou jupe relevée, vous ne pouvez vous empêcher de penser, à cet instant précis, qu’un accident de train pourrait survenir. Pourtant, quand vous êtes confortablement installé (e) dans votre siège, devant votre ordinateur, ou une revue, ou mieux, un roman, vous n’avez pratiquement jamais cette appréhension.

La perspective que, dans ce lieu sordide, votre corps à demi nu soit découvert lorsque les secours fouilleront les amas de ferraille compactés par le choc vous épouvante. Vous n’avez maintenant qu’une idée en tête : sortir au plus vite, ajuster vos habits, et regagner votre place. Vous vous en voulez d’avoir cédé à ce besoin pressant, qui vous a conduit à prendre ce risque insensé de finir votre vie d’aussi peu glorieuse manière. Vous vous jurez de prendre, dorénavant, les précautions suffisantes pour ne plus vous exposer à une fin aussi ignoble.

C’est peine perdue : dans quelques jours, quelques semaines, ou quelques mois, vous serez de nouveau dans la même situation. Et un jour, quand vous lirez ces lignes, se produira un fracas gigantesque, suivi d’un impact féroce, qui ne vous laissera que le temps de m’accuser d’en être responsable.