Le festin des goélands - Kristian Gonidec - E-Book

Le festin des goélands E-Book

Kristian Gonidec

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Beschreibung

Un matin du mois de novembre à 6 h 30, un promeneur découvre un corps crucifié et nu dans l’ancienne criée du port de Lesconil. À ses pieds, trois têtes de goélands et un message étrange : « Sois tranquille ». Un premier crime qui sonne comme un avertissement. Les médias s’emballent. Clet Grall et son équipe d’enquêteurs devront parcourir le Finistère sud pour trouver la clé de l’énigme…

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

Kristian Gonidec, ancien enseignant de français, a été conquis par les œuvres de Patrick Modiano, Georges Perros et Rimbaud. Son amour pour les romans noirs s’est éveillé lors de sa carrière d’animateur sur France Bleu Breizh Izel. Cette passion l’a incité à peindre un tableau vibrant de la Bretagne contemporaine, foisonnante de cultures et de musiques diverses.

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Seitenzahl: 229

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Kristian Gonidec

Le festin des goélands

Roman

© Lys Bleu Éditions – Kristian Gonidec

ISBN : 979-10-422-2098-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Triskell mortel, Le Lys Bleu Éditions, 2022.

Les personnages principaux sont récurrents, en particulier l’équipe des policiers de Quimper, le procureur, l’un des journalistes. Voici la liste :

– Clet Grall, le commissaire divisionnaire ;
–  Marie Le Fur, capitaine ;
– Kevin Madec, capitaine ;
– Le chef de la P.T.S. : Paul Herry ;
– Le procureur Le Bot ;
– Le journaliste radio : Georges Bernardin.

Si tu savais la haine qui coule dans mes veines

Tu aurais peur, tu aurais peur.

Si tu savais la chienne que je cache à l’intérieur

Tu aurais peur, tu aurais peur.

Clara Ysé – Douce – Album : « Oceano Nox »

6 h 30 – Port de Lesconil – lundi 2 novembre

Miz du (Mois noir) « jour des défunts »

Intersignes ! Les mouettes et les goélands lançaient leurs cris lugubres. Marie Le Fur frissonna, elle était la première sur les lieux. Criée en partie abandonnée : bidons et filets entreposés, lourdes portes d’acier dont le bleu s’écaillait, rongées par les vents d’ouest. Elle venait d’avertir son supérieur, Clet Grall. Miracle ! Son portable n’était pas verrouillé !

— J’arrive dans trente minutes, Lokmaria – Lesconil, c’est vite fait ! Il faut tout sécuriser Marie, je préviens Kévin, il fera l’impasse sur sa récup’.
— Bien Clet, ici, c’est foutraque, comme tu dis, un bordel sans nom et une scène de crime digne d’un film d’horreur.

Marie Le Fur partageait avec le capitaine Kévin Madec le rare privilège de tutoyer et d’appeler son supérieur par son prénom, et ce à sa demande. Il voulait aussi que tout le monde le désigne, officieusement, comme « commissaire ».

En effet, le « commandant » Grall détestait les nouvelles appellations, c’était un flic à l’ancienne, dont le vocabulaire fleuri et riche participait de sa légende. À soixante-quatre ans, il demeurait « droit dans ses bottes » et jouait, en artiste de la prose, une partition singulière au sein du commissariat de Quimper. Le « commissaire divisionnaire » avait en horreur les tracas administratifs qui rendaient « fada » le moindre planton.

Marie contempla la scène sous la lumière crue des néons : trois têtes de goélands sanguinolentes disposées sur le sol, symétriques comme à la parade et l’homme au-dessus, en hauteur, comme crucifié, attaché par des cordes. Nu. La tête penchée tel un christ de pacotille. L’endroit était sinistre, quasi vidé de tout meuble ou aménagement.

Le vaste hangar était désert, froid. Seul, le petit homme, cheveux blancs rares, visage ridé, se tenait près d’une des portes. Son chien, un petit teckel noir, avec des frisottis, à son tour, s’était tu.

— Venez, on va prendre l’air ! Mes collègues et la P.T.S., euh, je veux dire la Police Technique et Scientifique arrivent de Quimper.
— C’est à cause de Micha, ma chienne, elle fouille toujours partout et, à cette heure-ci, il n’y a personne, alors je ne la tiens pas en laisse… elle est entrée par la petite porte bleue entrouverte, j’ai poussé et j’ai vu le spectacle, je l’ai tout de suite rappelée, elle m’a obéi. Je suis resté près de la porte et j’ai appelé de mon portable. Je l’ai toujours sur moi par précaution, on ne sait jamais à mon âge…

Marie consulta le sien, où elle avait noté l’identité du bonhomme.

— Donc, Monsieur Jean Volant, en plein mois « noir », vous vous baladez au petit matin ?
— C’est que je suis insomniaque, j’habite dans le village, un petit appartement, aux Marines, une résidence, et Micha, il vaut mieux la balader que de la laisser aboyer. Mes voisins sont peu nombreux, mais je tiens à leur tranquillité.

Marie, brune, teint mat, yeux bleus, observa son témoin. Il frissonnait encore, sous le coup de sa découverte macabre. La vision cauchemardesque risquait de le hanter longtemps. Lorsqu’il irait au café, il en aurait de belles à raconter.

Il s’était mis à pleuvoir ; pour l’instant, une petite bruine, mais le ciel était très sombre et la nuit épaisse. D’un noir de circonstance. Les réverbères distillaient un halo jaunâtre autour des quais. Pour elle, grande amatrice de photos réalistes, cela lui rappelait certains clichés, en noir et blanc, de Willy Ronis ou de Doisneau, dans les rues de Belleville, juste après la guerre. Une ambiance brumeuse, fantomatique. Elle avait un peu pitié du pauvre Jean Volant qui se retrouvait au cœur de cette enquête. Il se tenait, en retrait, petite silhouette malingre avec son teckel. Le petit animal frissonna, complètement trempé, il n’avait plus aucune allure. Pathétique ! Le tableau aurait pu faire sourire, s’il n’y avait pas eu cette violence dans la mise en scène du crime. Elle l’avait photographiée avec son portable et sa tablette, qui ne quittaient jamais sa voiture, un vieux break Volvo, très pratique pour ranger son matériel de surf et tout son foutoir.

Ils gardèrent le silence, regardant le petit port endormi, mais éclairé depuis quelques minutes, ses cafés, le grand terre-plein goudronné devant la criée qui avait fermé le 29 février 2008. Finies les transactions, en retraite le crieur, rangée au rayon inutile sa boule rouge et blanche ; à la casse, les caisses de poissons et de crustacés, disposées devant les grossistes et mareyeurs. Désormais, l’activité portuaire s’était déplacée au Guilvinec et à Loctudy, à dix minutes de Lesconil. Quelques caseyeurs, des « pêch’prom’ » fournissaient encore, aux gens du coin, du printemps à l’automne, les homards, araignées, langoustines et poissons. Il restait aussi trois chalutiers qui débarquaient le soir. Les patrons embarquaient leur pêche dans des camionnettes frigorifiques, direction Le Guil’.

Ces trois chalutiers, amarrés de l’autre côté du quai, semblaient danser au gré des vagues de la marée montante. Le regard de Marie accrocha une vieille publicité rongée par les ans : Antar Lubrif… Une autre époque, déjà lointaine, quelques noms de marques oubliés ravivent, parfois, un écho vague dans la mémoire, telle la rengaine d’une chanson ancienne dont les mots se sont plus ou moins perdus dans le tumulte des vies.

Le vent participait du décor : longs ululements dans les portes disjointes. Dehors, la mer jouait à saute-mouton sur la digue, puissants jets d’écume, stries blanches sur la jetée, protégeant le charmant petit port de Lesconil. Les vieux gréements, des misainiers en bois aux couleurs chatoyantes : noir, jaune, bleu, rouge ont quitté le devant de la cale pour se mettre à l’abri dans le Ster Nibilig, la rivière. Ils y passeront l’hiver, enquillés et bâchés, tels de vieux éléphants de mer échoués, mais prêts à regagner le large.

Marie connaissait bien ce coin du pays bigouden sud, elle habitait tout près, à Tréguennec, dans une maison donnant sur la baie. Avec sa compagne Gwenn, elles avaient retapé un corps de ferme et les appentis qui l’entouraient pour en faire un agréable cocon. Cela leur permettait de s’adonner, sans retenue, aux sports de glisse : l’endroit est réputé comme spot de surf. Elles le pratiquaient toute l’année, cherchant toujours les plus belles vagues dans cet univers où le gris le dispute aux nuances de bleu et de vert. Glaz ! Le mot breton pour désigner le gris, le bleu et toutes leurs nuances. En Bretagne, comme en Irlande, il y a, en un jour, les « quatre saisons » qui se succèdent. Il y a, surtout, cette lumière magnifique, hiver comme été, qui confère au pays bigouden son cachet, son pittoresque aurait dit Clet Grall.

Les gyrophares bleus des voitures de police trouèrent soudainement la noirceur des alentours : la cavalerie allait débarquer.

Pas de sirène, heureusement, il fallait surtout éviter tout attroupement. Les langues, la rumeur et les réseaux sociaux auraient fait cause commune pour foutre un merdier sans nom. Le commissaire s’extirpa de la première voiture, une berline Peugeot, remercia son chauffeur, un jeune agent stagiaire.

— Bonjour Marie, on commence fort si je comprends bien.

Clet Grall portait beau, il n’avait pas l’air du flic ahuri qu’on vient de sortir du lit et avait pris le temps de se raser, costume Armani sport et cravate rouge. « Sacrée allure le bonhomme ! » ne put s’empêcher de penser Marie qui l’appréciait beaucoup. Malgré les circonstances, elle s’amusa en le voyant sortir son iPhone dernière génération. Elle lui avait, en spécialiste des nouvelles technologies, installé des applis, avec des raccourcis pour lui éviter de se perdre dans la forêt, parfois absconse, de la communication high-tech. Il avait même fini par se créer un compte Facebook, et, surtout, souscrit à la plate-forme musicale Deezer qui lui permettait de créer ses playlists personnelles. Les goûts musicaux de Clet Grall étaient éclectiques : de John Moreland à Springsteen, d’Amy Mac Donald à Alan Stivell, sans oublier les « trois grands » : Brel, Brassens, Ferré. Depuis, il s’amusait comme un petit fou et, en homme curieux, parcourait des planètes musicales variées, à l’affût de surprises et de découvertes.

— Bonjour monsieur, commissaire Clet Grall ! Merci Marie, pour les photos, j’ai pris le temps, dans la voiture, de contempler ce sacré foutoir ! Va falloir qu’on la joue serré ! Le procureur est en route. On a l’affaire et m’est avis que les commentaires ne vont pas manquer.
— Qui c’est le crucifié, on a quelque chose ? Son identité ?
— Pour l’instant, rien ! Aucun papier, aucun vêtement, et monsieur Volant qui a découvert la scène ne le connaît pas. Bref, c’est le noir total !
— Des caméras ?
— J’ai déjà vérifié. Aucune de ce côté-ci, il en existe deux de l’autre côté, l’une pour balayer le Quai des équipages et l’autre sur le centre nautique. Elles donnent la météo aux marins et plaisanciers à la bonne saison. Donc, rien d’exploitable. Mais on pourra faire un contrôle plus approfondi tout à l’heure.

Autour d’eux, la police scientifique déballait son matériel, la rubalise marquant le territoire interdit, les procédures se mettaient en place.

— Monsieur Volant, vous restez encore un peu à notre disposition, on a quelques questions à vous poser. On va faire au plus vite.

Clet Grall et Marie pénétrèrent dans le bâtiment abandonné, inquiétant. Les policiers scientifiques leur demandèrent d’enfiler des combinaisons et des surchaussures. Ils avaient déjà installé des projecteurs qui éclairaient violemment le lieu et rendaient la scène encore plus étrange, quasi fantastique : trois têtes de goélands et une mare de sang, un homme nu, la soixantaine, dominant ce chaos ! Christique et effrayant. Digne d’un film de série B. genre gore.

Paul Herry, le chef de la P.T.S. et ses collègues, quatre femmes et quatre hommes, tous revêtus de leur tenue blanche de cosmonaute, travaillaient efficacement autour de la scène de crime : un ballet maintes fois répété, hélas ! Cela s’apparentait à un rituel magique et mystérieux, photos, poudres et produits, pour les éventuelles empreintes ou traces. Des escabeaux et une échelle escamotable étaient déjà disposés autour du « Christ ». Avec précaution, ils commençaient à détacher les entraves qui retenaient le cadavre.

— Pas habituel dans le coin, ce genre d’exécution, on se croirait dans un polar de Mankell.
— Un peu.

Marie avait une vague idée des romans de l’auteur suédois, car elle avait eu l’occasion de voir l’adaptation télévisée de certains dont « La cinquième femme ». Elle se souvenait du héros, le commissaire Wallander, un flic solitaire déprimé, dans une Suède où tout partait à vau-l’eau. Clet Grall, outre son vocabulaire varié qui passait de San Antonio au registre soutenu, voire désuet, avait l’habitude de parsemer ses phrases de références à la littérature, au cinéma, et maintenant aux séries télévisées. Depuis qu’il avait dévoré Game of thrones, il s’était abonné à Netflix et Canal. Saine occupation pour affronter l’hiver venteux et parfois pluvieux, en Bretagne.

Deux voitures bleues, des Duster, siglées Gendarmerie, s’approchèrent, sirènes éteintes. Elles encadraient la Mégane noire du procureur Le Bot. Le genre inflexible, « Un balai dans le c… » selon Grall qui se moquait régulièrement de cet homme, peu enclin à la plaisanterie. La fonction crée l’homme. De ce point de vue, c’était une réussite.

À peine sorti de son véhicule, le proc’, peu amène, s’adressa au responsable de l’identification criminelle avec brusquerie :

— Alors Paul, quelles sont vos premières constatations ?

Pas de bonjour, un salut vaguement esquissé, ambiance assurée.

— Aucun vêtement, pas de pièce d’identité. Nu. Mes collègues viennent tout juste de le descendre, on a trouvé dans son anus plusieurs plumes de goélands, appartenant, sans doute, aux oiseaux décapités disposés sur le sol. On peut, de plus, ajouter que c’est méthodique, par conséquent bien préparé. Ce n’est pas un coup de sang ou de colère. Ma nouvelle assistante, qui bientôt me remplacera, Vefa Cariou est là-bas pour faire les relevés. Elle arrive du CHU de Brest. C’est sa première affaire dans notre service. Seul élément remarquable, nous avons trouvé, sous les têtes de goélands, un papier soigneusement plié avec une inscription sibylline : « Sois tranquille ». Cela ressemble à une provocation ou une signature. Quant à la décoder, c’est une autre histoire… Peut-être, est-ce l’idée que la mort permet d’être « tranquille » ? Ou alors, un jeu de piste morbide ? Aucune empreinte relevée.
— Clet, vous êtes responsable de l’enquête en liaison, pour l’instant, avec les gendarmes de Pont-L’abbé. Je veux une coopération exemplaire. D’ailleurs, voici le capitaine Erwan Blévec et ses hommes, vous vous répartirez l’enquête de voisinage à Lesconil et dans le secteur du Guilvinec, Loctudy… Bref, vous aurez du pain sur la planche. Dans un premier temps, il faut identifier ce pauvre malheureux, comment comptez-vous procéder ?
— On va diffuser sa photo. Nos hommes l’auront pour le terrain. Marie va se charger de la mettre sur les réseaux sociaux, en prenant les précautions d’usage bien évidemment. On fait aussi, dès que possible, un point presse.
— Entendu. On procède ainsi. Et lui ?

D’un geste, le proc’ désignait Jean Volant, plus abattu que jamais. Les ambulanciers, qui venaient aussi d’arriver, l’avaient entouré d’une couverture de survie. Son chien, à ses pieds, aurait bien eu besoin, lui aussi, d’un tel équipement, tant il faisait pitié.

Marie l’a déjà interrogé, il se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment, on lui donne un café, on prend officiellement sa déposition et on le laisse rentrer chez lui, faudrait pas qu’il nous claque dans les doigts et qu’il nous fasse une panne de moteur.

Le Bot ne releva pas la truculence des propos du commissaire Grall. Depuis les derniers succès de son équipe dans des enquêtes difficiles, ce dernier était en haute considération à la préfecture. Le préfet Demazières était l’un de ses plus ardents supporters. Donc, il se permettait, plus encore qu’hier, des écarts de langage et une désinvolture qui n’étaient pas du goût du Procureur. Mais ce dernier ne voulait pas se frotter à ce drôle de flic aux résultats plus que probants. Un intouchable.

— Monsieur Volant, on va prendre votre témoignage et vous pourrez rentrer chez vous, merci pour votre collaboration, si besoin, on vous recontactera.
— Merci Commissaire.

Jean Volant, transi et tremblant, était adossé à l’une des portes, maintenant largement ouverte, tenant un gobelet fumant à la main.

Le jour se levait sur une mer grise et moutonneuse. Avec la montante, le vent avait forci. La houle redoublait. Vers le môle, elle lançait des éclairs blancs, vagues lacérant l’espace, le trouant avant de s’écraser, dans des gerbes cotonneuses. Le spectacle était permanent et somptueux. Le petit homme, traînant son teckel, quitta les lieux, il payait cher sa promenade matinale.

Une nouvelle voiture de police, un S.U.V. Duster, venait d’arriver. Kevin Madec en sortit. Brun, filiforme et athlétique, le quadragénaire en paraissait dix de moins. Sa spécialité était ce qu’on désignait sous le terme : « enquêtes de terrain ». Grand amateur de musiques celtiques et bretonnes, il écumait, dans ses temps de loisirs, les « festou-noz » 1: les danses traditionnelles n’avaient guère de secret pour lui. Son autre atout résidait dans sa fréquentation des quelques bars et pubs quimpérois incontournables comme le Ceili, le Finnegan’s et le Poitin’still. Avec Marie, les deux quadras secondaient Clet : le trio était redouté et redoutable du fait de son efficacité dans la résolution des affaires.

Kevin salua de la main le groupe de gendarmes et policiers. Devançant Le Procureur, qui pourrait reprocher à l’O.P.J. son retard, Clet Grall précisa :

— Désolé Kévin pour ta récup' ajournée, mais il va falloir qu’on s’y mette tous, c’est la foire aux embrouilles qui débute… version XXL.
— Tenez, je me suis arrêté dans le bourg, la boulangerie est ouverte dès 7 heures, alors, servez-vous, j’ai pris des croissants et des pains au chocolat. Succulent !

Le Bot ne faisait aucun commentaire. Mutique.

Tout en se servant, ostensiblement, un croissant bien doré, le commandant reprit :

— Marie va te briefer rapidement ; avec nos collègues de Pont-L’abbé, on va s’activer pour diviser le secteur et faire le porte à porte. On commencera par Lesconil, Plobannalec et tous les villages du coin. Marie, si tu veux bien, tu te chargeras de Lesconil que tu connais bien, me semble-t-il. Impérativement, Il faut qu’on trouve l’identité de ce pauvre malheureux rapidement. Il faudra également gérer les médias qui vont débarquer sans tarder. On va faire dans le minimalisme pour ne pas effrayer la population. Un crime ici, c’est presque une première et, avec décapitation de goélands, c’est carrément le buzz assuré.
— C’est certain, chez moi à Tréguennec, à Penmarc’h et dans tout le coin, on ne s’habitue pas à la décapitation, faite à l’arme blanche, des phoques gris : deux en un mois ! D’ailleurs, la brigade de gendarmerie du Guilvinec poursuit son enquête sur le sujet. On suppose que les animaux ont été pris dans des filets de bateaux et ensuite rejetés dans la mer. Mais je vais quand même voir ce qu’il en est vraiment.
— Bonne initiative Marie ! Des phoques, des goélands, on va finir avec la ménagerie de chez Pinder ! Quelle époque ! « ma doué ! »2 comme disait ma mère.

Clet Grall n’en ratait pas une pour provoquer le digne et inflexible procureur.

— Bien, je crois qu’on a fait le tour, j’exige et me répète, je veux une parfaite collaboration entre services. Clet, je vous laisse gérer les opérations et pour la presse, vous faites, comme vous le disiez, profil bas pour le moment. Un minimum d’infos. Évitez si possible de parler des têtes d’oiseaux ! Et puis, on verra après.

Paul Herry vint interrompre l’échange, sans ménagement. Lui non plus n’appréciait guère Le Bot.

— A priori, on n’a pas trouvé d’empreintes ou de traces exploitables, tout a l’air d’avoir été très bien orchestré, on embarque le tout pour Quimper, afin de pratiquer une autopsie digne de ce nom. Je peux quand même vous dire, sans grand risque de me tromper, que l’homme est mort vers deux heures ce matin, égorgé, et les têtes de goélands étaient en phase de décongélation, le sang qui les recouvre est celui du macchab’. Bref, la préméditation est avérée.
— OK, merci Paul, on se tient au courant. Pour l’instant, pas un mot sur la mise en scène, les goélands, le papier et sa phrase étrange. On garde ça pour nous. Le capitaine Erwan Blévec propose de faire un point sur notre coopération à la gendarmerie de Pont L’Ab’. On en profitera pour sortir une photo correcte avant de commencer la tournée des popotes.
— Très bien, mesdames, messieurs, je vous laisse gérer l’ensemble et on se retrouve, ce soir, à Quimper. Si d’ici là vous avez du nouveau, je suis joignable H.24 sur mon portable. Bon courage à tous.

Le procureur les planta, brusquement, pour rejoindre sa voiture de fonction.

— Décidément, les années passent, mais la morgue demeure, il est temps qu’il avale une semi-remorque de clowns ! Cela lui donnera un peu d’humanité, commenta Clet, faisant sourire ses collaborateurs et même l’équipe de la scientifique qui remballait son matériel.

Ils ôtaient leurs masques et leurs combinaisons blanches. La nouvelle collaboratrice, cheveux blonds, relevés en chignon, lunettes d’intello, se tenait un peu en retrait. Elle sourit, fossettes à l’appui, à la sortie de Clet Grall. Le départ à la retraite de Paul Herry, l’année prochaine, serait l’occasion de collaborer avec cette quadragénaire sympathique.

— On se retrouve donc, dans nos locaux, dans une petite demi-heure, si ça vous va, demanda, avec un regard appuyé pour Marie, Erwan Blévec, plus capitaine de gendarmerie que nature : Cheveux en brosse (il avait retiré son képi), visage émacié, il était conforme au stéréotype du militaire. Mais son regard, ses yeux bruns et son visage exprimaient plutôt une intelligence vive. Marie songea que l’homme avait du charme et lui faisait penser à un rapace, type épervier, prêt pour la chasse. À l’affût.
— Oui, on fait comme vous dites, vous pouvez peut-être tirer des exemplaires du visage de notre inconnu. Marie va vous transférer une photo sur laquelle il ne semble pas trop abîmé. Pour l’instant, le bourg semble plutôt endormi et les journaleux ne sont pas encore prévenus. On organisera conjointement un point presse dans la soirée. Ici, il faut faire gi car il me semble que Georges Bernardin, notre reporter vedette, habite maintenant dans le secteur.
— Précisément, dans le quartier des Quatre vents près du port, précisa Marie qui entretenait, depuis une précédente affaire,3 des rapports cordiaux et, finalement, de voisinage avec le journaliste de France Bleu Breizh Izel. Une pointure dans le milieu : journaliste, mais aussi auteur de plusieurs ouvrages historiques, spécialiste du mouvement breton et… du sport. Il avait débuté sa carrière à Miroir Sprint.
— Bon, on l’informera, tout à l’heure, pour qu’il soit présent, ce soir, à notre réunion quimpéroise des médias. Kévin, tu t’en occuperas, s’il te plaît. On va dire 18 h pour qu’Ouest-France et Le Télégramme puissent intégrer les infos avant leur bouclage.

Campagne quimpéroise – Plomelin

Route des châteaux – Journal

On vient de rentrer, ici, il n’y a personne pour surveiller nos allées et venues. La forêt descend doucement vers la rivière. C’est notre antre, le seul héritage de mes parents, paix à leur âme. C’est une maison basse joliment aménagée et rendue plus lumineuse grâce à des ouvertures dans la façade. Les anciennes granges et étables ont été transformées, permettant des rangements discrets et nombreux.

La nuit s’est retirée, la chouette effraie aux ailes blanches vient tout juste de passer dans le ciel tourmenté, entre nuages sombres et percées plus lumineuses. Elle pourrait symboliser notre parcours. Elle plane, puis elle fond sur ses proies. Impitoyable. Efficace.

C’est fait, porte de sortie pour le premier des salauds, il n’a pas été déçu du voyage, une belle vengeance planifiée et mise en scène. Sûr que les flics risquent d’y perdre leur latin. Et les neuf goélands conservés dans le congélateur, au fond de la vieille crèche réaménagée, seront les prochains cadeaux et le cauchemar des anciens bourreaux.

Attendre un peu, il faut veiller, programmer : voilà le plan des jours futurs. Notre laboratoire bien dissimulé regorge de plantes toxiques et de cocktails dangereux.

L’odeur du café imprègne les lieux. La pluie vient de reprendre, elle résonne sur la terrasse en bois et sur la marquise devant l’entrée. Les prévisions météorologiques prévoient des coups de vent dans les jours à venir. Temps de Toussaint, la fête des Morts va se poursuivre, Samain, Halloween. Sous les arbres, juste devant notre maison, rôdent les créatures de la nuit, porteuses d’effroi. Le « Bugel noz » 4et les « Korrigans »5 sont tout proche, prêts pour les danses macabres, les sacrifices. Des alliés et partenaires. Des « appeleurs ». Et parfois des hurleurs.

La radio diffuse en sourdine « France bleu Breizh Izel ». Aucune information, sur le premier sacrifié, dans le flash de 9 heures. Le calme avant la tempête. Les Ramoneurs de Menhirs succèdent aux infos. Guitares électriques saturées, bombarde et biniou koz survoltés. Le groupe de hard rock breton associé à Louise Ebrel, chanteuse traditionnelle, est un réveil en fanfare : Dañs an diaoul6 annonce le programmateur. Tout à fait raccord.

Gendarmerie de Pont-l’Abbé – 9 h

Erwan Blévec les avait accueillis en leur offrant un café, plutôt correct, et même meilleur que celui du commissariat de Quimper.

— Bon, on va résumer, entama Clet Grall, devant la dizaine de gendarmes et policiers présents. Jean Volant et sa chienne Micha découvrent, par hasard, à quelques kilomètres de leur domicile, un bonhomme, la soixantaine, à loilpé, égorgé et entouré de trois têtes de goélands dans la partie abandonnée de la criée de Lesconil. Paul Herry, de la scientifique, pense que l’égorgement est post-mortem. Il aurait été empoisonné par de la strychnine (ou mort aux rats) comme le fut « le guitariste Robert Johnson, en 1938, par un mari jaloux » m’a-t-il précisé à l’instant au téléphone. Pour le moment, aucun indice, trace ou témoin direct. Le meurtrier laisse, en cadeau, trois plumes de goéland dans le rectum de la victime et une formule mystérieuse : « Sois tranquille ». Correct, Marie ?
— Oui, j’étais la première sur le site à six heures ce matin, car j’habite à proximité, j’ai fait les premières constatations et photos en sécurisant la scène de crime. J’ai trouvé notre témoin qui avait appelé le numéro d’urgence, le 17. Il était en état de choc, ce qui est tout à fait compréhensible. C’était une sacrée mise en scène !
— Bien, on peut penser que l’inconnu n’habite pas au diable vauvert. Devant les visages interrogateurs de plusieurs gendarmes, Clet Grall rectifia :
— Nous pensons, votre capitaine et notre équipe, qu’il est du coin, d’où l’importance de l’enquête de proximité pour trouver son identité et recueillir, avec un peu de chance, quelques indices utiles. Qu’en est-il des photocopies, Erwan ?
— Nous avons tiré deux cents exemplaires de la photo proposée par Marie, enfin, la capitaine Le Fur. En voici les premières copies.

Le tirage était soigné, preuve s’il en était que la gendarmerie de Pont-l’Abbé possédait un matériel digne de ce nom, en tout cas plus moderne que les locaux de la rue Louis Lagadic, qui méritaient une bonne réhabilitation. Malgré les couleurs vives et chaudes de la salle de réunion où ils se trouvaient, le reste de la caserne suintait l’humidité et le vieillot. Signe du désengagement de l’état centralisateur pour les services publics de proximité… Un projet de nouvelle caserne était à l’étude depuis des années…

—