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Un matin du mois de novembre à 6 h 30, un promeneur découvre un corps crucifié et nu dans l’ancienne criée du port de Lesconil. À ses pieds, trois têtes de goélands et un message étrange : « Sois tranquille ». Un premier crime qui sonne comme un avertissement. Les médias s’emballent. Clet Grall et son équipe d’enquêteurs devront parcourir le Finistère sud pour trouver la clé de l’énigme…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Kristian Gonidec, ancien enseignant de français, a été conquis par les œuvres de Patrick Modiano, Georges Perros et Rimbaud. Son amour pour les romans noirs s’est éveillé lors de sa carrière d’animateur sur France Bleu Breizh Izel. Cette passion l’a incité à peindre un tableau vibrant de la Bretagne contemporaine, foisonnante de cultures et de musiques diverses.
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Seitenzahl: 229
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Kristian Gonidec
Le festin des goélands
Roman
© Lys Bleu Éditions – Kristian Gonidec
ISBN : 979-10-422-2098-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Du même auteur
Triskell mortel, Le Lys Bleu Éditions, 2022.
Les personnages principaux sont récurrents, en particulier l’équipe des policiers de Quimper, le procureur, l’un des journalistes. Voici la liste :
Si tu savais la haine qui coule dans mes veines
Tu aurais peur, tu aurais peur.
Si tu savais la chienne que je cache à l’intérieur
Tu aurais peur, tu aurais peur.
Clara Ysé – Douce – Album : « Oceano Nox »
Intersignes ! Les mouettes et les goélands lançaient leurs cris lugubres. Marie Le Fur frissonna, elle était la première sur les lieux. Criée en partie abandonnée : bidons et filets entreposés, lourdes portes d’acier dont le bleu s’écaillait, rongées par les vents d’ouest. Elle venait d’avertir son supérieur, Clet Grall. Miracle ! Son portable n’était pas verrouillé !
Marie Le Fur partageait avec le capitaine Kévin Madec le rare privilège de tutoyer et d’appeler son supérieur par son prénom, et ce à sa demande. Il voulait aussi que tout le monde le désigne, officieusement, comme « commissaire ».
En effet, le « commandant » Grall détestait les nouvelles appellations, c’était un flic à l’ancienne, dont le vocabulaire fleuri et riche participait de sa légende. À soixante-quatre ans, il demeurait « droit dans ses bottes » et jouait, en artiste de la prose, une partition singulière au sein du commissariat de Quimper. Le « commissaire divisionnaire » avait en horreur les tracas administratifs qui rendaient « fada » le moindre planton.
Marie contempla la scène sous la lumière crue des néons : trois têtes de goélands sanguinolentes disposées sur le sol, symétriques comme à la parade et l’homme au-dessus, en hauteur, comme crucifié, attaché par des cordes. Nu. La tête penchée tel un christ de pacotille. L’endroit était sinistre, quasi vidé de tout meuble ou aménagement.
Le vaste hangar était désert, froid. Seul, le petit homme, cheveux blancs rares, visage ridé, se tenait près d’une des portes. Son chien, un petit teckel noir, avec des frisottis, à son tour, s’était tu.
Marie consulta le sien, où elle avait noté l’identité du bonhomme.
Marie, brune, teint mat, yeux bleus, observa son témoin. Il frissonnait encore, sous le coup de sa découverte macabre. La vision cauchemardesque risquait de le hanter longtemps. Lorsqu’il irait au café, il en aurait de belles à raconter.
Il s’était mis à pleuvoir ; pour l’instant, une petite bruine, mais le ciel était très sombre et la nuit épaisse. D’un noir de circonstance. Les réverbères distillaient un halo jaunâtre autour des quais. Pour elle, grande amatrice de photos réalistes, cela lui rappelait certains clichés, en noir et blanc, de Willy Ronis ou de Doisneau, dans les rues de Belleville, juste après la guerre. Une ambiance brumeuse, fantomatique. Elle avait un peu pitié du pauvre Jean Volant qui se retrouvait au cœur de cette enquête. Il se tenait, en retrait, petite silhouette malingre avec son teckel. Le petit animal frissonna, complètement trempé, il n’avait plus aucune allure. Pathétique ! Le tableau aurait pu faire sourire, s’il n’y avait pas eu cette violence dans la mise en scène du crime. Elle l’avait photographiée avec son portable et sa tablette, qui ne quittaient jamais sa voiture, un vieux break Volvo, très pratique pour ranger son matériel de surf et tout son foutoir.
Ils gardèrent le silence, regardant le petit port endormi, mais éclairé depuis quelques minutes, ses cafés, le grand terre-plein goudronné devant la criée qui avait fermé le 29 février 2008. Finies les transactions, en retraite le crieur, rangée au rayon inutile sa boule rouge et blanche ; à la casse, les caisses de poissons et de crustacés, disposées devant les grossistes et mareyeurs. Désormais, l’activité portuaire s’était déplacée au Guilvinec et à Loctudy, à dix minutes de Lesconil. Quelques caseyeurs, des « pêch’prom’ » fournissaient encore, aux gens du coin, du printemps à l’automne, les homards, araignées, langoustines et poissons. Il restait aussi trois chalutiers qui débarquaient le soir. Les patrons embarquaient leur pêche dans des camionnettes frigorifiques, direction Le Guil’.
Ces trois chalutiers, amarrés de l’autre côté du quai, semblaient danser au gré des vagues de la marée montante. Le regard de Marie accrocha une vieille publicité rongée par les ans : Antar Lubrif… Une autre époque, déjà lointaine, quelques noms de marques oubliés ravivent, parfois, un écho vague dans la mémoire, telle la rengaine d’une chanson ancienne dont les mots se sont plus ou moins perdus dans le tumulte des vies.
Le vent participait du décor : longs ululements dans les portes disjointes. Dehors, la mer jouait à saute-mouton sur la digue, puissants jets d’écume, stries blanches sur la jetée, protégeant le charmant petit port de Lesconil. Les vieux gréements, des misainiers en bois aux couleurs chatoyantes : noir, jaune, bleu, rouge ont quitté le devant de la cale pour se mettre à l’abri dans le Ster Nibilig, la rivière. Ils y passeront l’hiver, enquillés et bâchés, tels de vieux éléphants de mer échoués, mais prêts à regagner le large.
Marie connaissait bien ce coin du pays bigouden sud, elle habitait tout près, à Tréguennec, dans une maison donnant sur la baie. Avec sa compagne Gwenn, elles avaient retapé un corps de ferme et les appentis qui l’entouraient pour en faire un agréable cocon. Cela leur permettait de s’adonner, sans retenue, aux sports de glisse : l’endroit est réputé comme spot de surf. Elles le pratiquaient toute l’année, cherchant toujours les plus belles vagues dans cet univers où le gris le dispute aux nuances de bleu et de vert. Glaz ! Le mot breton pour désigner le gris, le bleu et toutes leurs nuances. En Bretagne, comme en Irlande, il y a, en un jour, les « quatre saisons » qui se succèdent. Il y a, surtout, cette lumière magnifique, hiver comme été, qui confère au pays bigouden son cachet, son pittoresque aurait dit Clet Grall.
Les gyrophares bleus des voitures de police trouèrent soudainement la noirceur des alentours : la cavalerie allait débarquer.
Pas de sirène, heureusement, il fallait surtout éviter tout attroupement. Les langues, la rumeur et les réseaux sociaux auraient fait cause commune pour foutre un merdier sans nom. Le commissaire s’extirpa de la première voiture, une berline Peugeot, remercia son chauffeur, un jeune agent stagiaire.
Clet Grall portait beau, il n’avait pas l’air du flic ahuri qu’on vient de sortir du lit et avait pris le temps de se raser, costume Armani sport et cravate rouge. « Sacrée allure le bonhomme ! » ne put s’empêcher de penser Marie qui l’appréciait beaucoup. Malgré les circonstances, elle s’amusa en le voyant sortir son iPhone dernière génération. Elle lui avait, en spécialiste des nouvelles technologies, installé des applis, avec des raccourcis pour lui éviter de se perdre dans la forêt, parfois absconse, de la communication high-tech. Il avait même fini par se créer un compte Facebook, et, surtout, souscrit à la plate-forme musicale Deezer qui lui permettait de créer ses playlists personnelles. Les goûts musicaux de Clet Grall étaient éclectiques : de John Moreland à Springsteen, d’Amy Mac Donald à Alan Stivell, sans oublier les « trois grands » : Brel, Brassens, Ferré. Depuis, il s’amusait comme un petit fou et, en homme curieux, parcourait des planètes musicales variées, à l’affût de surprises et de découvertes.
Autour d’eux, la police scientifique déballait son matériel, la rubalise marquant le territoire interdit, les procédures se mettaient en place.
Clet Grall et Marie pénétrèrent dans le bâtiment abandonné, inquiétant. Les policiers scientifiques leur demandèrent d’enfiler des combinaisons et des surchaussures. Ils avaient déjà installé des projecteurs qui éclairaient violemment le lieu et rendaient la scène encore plus étrange, quasi fantastique : trois têtes de goélands et une mare de sang, un homme nu, la soixantaine, dominant ce chaos ! Christique et effrayant. Digne d’un film de série B. genre gore.
Paul Herry, le chef de la P.T.S. et ses collègues, quatre femmes et quatre hommes, tous revêtus de leur tenue blanche de cosmonaute, travaillaient efficacement autour de la scène de crime : un ballet maintes fois répété, hélas ! Cela s’apparentait à un rituel magique et mystérieux, photos, poudres et produits, pour les éventuelles empreintes ou traces. Des escabeaux et une échelle escamotable étaient déjà disposés autour du « Christ ». Avec précaution, ils commençaient à détacher les entraves qui retenaient le cadavre.
Marie avait une vague idée des romans de l’auteur suédois, car elle avait eu l’occasion de voir l’adaptation télévisée de certains dont « La cinquième femme ». Elle se souvenait du héros, le commissaire Wallander, un flic solitaire déprimé, dans une Suède où tout partait à vau-l’eau. Clet Grall, outre son vocabulaire varié qui passait de San Antonio au registre soutenu, voire désuet, avait l’habitude de parsemer ses phrases de références à la littérature, au cinéma, et maintenant aux séries télévisées. Depuis qu’il avait dévoré Game of thrones, il s’était abonné à Netflix et Canal. Saine occupation pour affronter l’hiver venteux et parfois pluvieux, en Bretagne.
Deux voitures bleues, des Duster, siglées Gendarmerie, s’approchèrent, sirènes éteintes. Elles encadraient la Mégane noire du procureur Le Bot. Le genre inflexible, « Un balai dans le c… » selon Grall qui se moquait régulièrement de cet homme, peu enclin à la plaisanterie. La fonction crée l’homme. De ce point de vue, c’était une réussite.
À peine sorti de son véhicule, le proc’, peu amène, s’adressa au responsable de l’identification criminelle avec brusquerie :
Pas de bonjour, un salut vaguement esquissé, ambiance assurée.
D’un geste, le proc’ désignait Jean Volant, plus abattu que jamais. Les ambulanciers, qui venaient aussi d’arriver, l’avaient entouré d’une couverture de survie. Son chien, à ses pieds, aurait bien eu besoin, lui aussi, d’un tel équipement, tant il faisait pitié.
Marie l’a déjà interrogé, il se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment, on lui donne un café, on prend officiellement sa déposition et on le laisse rentrer chez lui, faudrait pas qu’il nous claque dans les doigts et qu’il nous fasse une panne de moteur.
Le Bot ne releva pas la truculence des propos du commissaire Grall. Depuis les derniers succès de son équipe dans des enquêtes difficiles, ce dernier était en haute considération à la préfecture. Le préfet Demazières était l’un de ses plus ardents supporters. Donc, il se permettait, plus encore qu’hier, des écarts de langage et une désinvolture qui n’étaient pas du goût du Procureur. Mais ce dernier ne voulait pas se frotter à ce drôle de flic aux résultats plus que probants. Un intouchable.
Jean Volant, transi et tremblant, était adossé à l’une des portes, maintenant largement ouverte, tenant un gobelet fumant à la main.
Le jour se levait sur une mer grise et moutonneuse. Avec la montante, le vent avait forci. La houle redoublait. Vers le môle, elle lançait des éclairs blancs, vagues lacérant l’espace, le trouant avant de s’écraser, dans des gerbes cotonneuses. Le spectacle était permanent et somptueux. Le petit homme, traînant son teckel, quitta les lieux, il payait cher sa promenade matinale.
Une nouvelle voiture de police, un S.U.V. Duster, venait d’arriver. Kevin Madec en sortit. Brun, filiforme et athlétique, le quadragénaire en paraissait dix de moins. Sa spécialité était ce qu’on désignait sous le terme : « enquêtes de terrain ». Grand amateur de musiques celtiques et bretonnes, il écumait, dans ses temps de loisirs, les « festou-noz » 1: les danses traditionnelles n’avaient guère de secret pour lui. Son autre atout résidait dans sa fréquentation des quelques bars et pubs quimpérois incontournables comme le Ceili, le Finnegan’s et le Poitin’still. Avec Marie, les deux quadras secondaient Clet : le trio était redouté et redoutable du fait de son efficacité dans la résolution des affaires.
Kevin salua de la main le groupe de gendarmes et policiers. Devançant Le Procureur, qui pourrait reprocher à l’O.P.J. son retard, Clet Grall précisa :
Le Bot ne faisait aucun commentaire. Mutique.
Tout en se servant, ostensiblement, un croissant bien doré, le commandant reprit :
Clet Grall n’en ratait pas une pour provoquer le digne et inflexible procureur.
Paul Herry vint interrompre l’échange, sans ménagement. Lui non plus n’appréciait guère Le Bot.
Le procureur les planta, brusquement, pour rejoindre sa voiture de fonction.
Ils ôtaient leurs masques et leurs combinaisons blanches. La nouvelle collaboratrice, cheveux blonds, relevés en chignon, lunettes d’intello, se tenait un peu en retrait. Elle sourit, fossettes à l’appui, à la sortie de Clet Grall. Le départ à la retraite de Paul Herry, l’année prochaine, serait l’occasion de collaborer avec cette quadragénaire sympathique.
On vient de rentrer, ici, il n’y a personne pour surveiller nos allées et venues. La forêt descend doucement vers la rivière. C’est notre antre, le seul héritage de mes parents, paix à leur âme. C’est une maison basse joliment aménagée et rendue plus lumineuse grâce à des ouvertures dans la façade. Les anciennes granges et étables ont été transformées, permettant des rangements discrets et nombreux.
La nuit s’est retirée, la chouette effraie aux ailes blanches vient tout juste de passer dans le ciel tourmenté, entre nuages sombres et percées plus lumineuses. Elle pourrait symboliser notre parcours. Elle plane, puis elle fond sur ses proies. Impitoyable. Efficace.
C’est fait, porte de sortie pour le premier des salauds, il n’a pas été déçu du voyage, une belle vengeance planifiée et mise en scène. Sûr que les flics risquent d’y perdre leur latin. Et les neuf goélands conservés dans le congélateur, au fond de la vieille crèche réaménagée, seront les prochains cadeaux et le cauchemar des anciens bourreaux.
Attendre un peu, il faut veiller, programmer : voilà le plan des jours futurs. Notre laboratoire bien dissimulé regorge de plantes toxiques et de cocktails dangereux.
L’odeur du café imprègne les lieux. La pluie vient de reprendre, elle résonne sur la terrasse en bois et sur la marquise devant l’entrée. Les prévisions météorologiques prévoient des coups de vent dans les jours à venir. Temps de Toussaint, la fête des Morts va se poursuivre, Samain, Halloween. Sous les arbres, juste devant notre maison, rôdent les créatures de la nuit, porteuses d’effroi. Le « Bugel noz » 4et les « Korrigans »5 sont tout proche, prêts pour les danses macabres, les sacrifices. Des alliés et partenaires. Des « appeleurs ». Et parfois des hurleurs.
La radio diffuse en sourdine « France bleu Breizh Izel ». Aucune information, sur le premier sacrifié, dans le flash de 9 heures. Le calme avant la tempête. Les Ramoneurs de Menhirs succèdent aux infos. Guitares électriques saturées, bombarde et biniou koz survoltés. Le groupe de hard rock breton associé à Louise Ebrel, chanteuse traditionnelle, est un réveil en fanfare : Dañs an diaoul6 annonce le programmateur. Tout à fait raccord.
Erwan Blévec les avait accueillis en leur offrant un café, plutôt correct, et même meilleur que celui du commissariat de Quimper.
Le tirage était soigné, preuve s’il en était que la gendarmerie de Pont-l’Abbé possédait un matériel digne de ce nom, en tout cas plus moderne que les locaux de la rue Louis Lagadic, qui méritaient une bonne réhabilitation. Malgré les couleurs vives et chaudes de la salle de réunion où ils se trouvaient, le reste de la caserne suintait l’humidité et le vieillot. Signe du désengagement de l’état centralisateur pour les services publics de proximité… Un projet de nouvelle caserne était à l’étude depuis des années…