Le feu au royaume - Sébastien Doubinsky - E-Book

Le feu au royaume E-Book

Sébastien Doubinsky

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Beschreibung

"Star" et "Le feu au royaume" sont deux polars parus en 2007 et 2012 chez L'écailler. Un diptyque très noir mettant en scène un grand flic "à l'ancienne", Bourdeau, face à des figures classiques du roman noir, autrement dit des putes, des macs, des demi-sel et de vrais voyous, des flics, des politiques corrompus. Voilà le background que Doubinsky, plus connu pour ses livres d'anticipation, a voulu pour ses polars. Si la facture est ultraclassique, l'écriture est très sensible, comme une peinture à fleur de peau de personnages mis en valeur à la façon - cinématographique - d'un Truffaut ou d'un Godard, voire du film "Drive" du Danois Nicolas Winding Refn. Dans "Le feu au royaume", André Thiriet, alias Dédé la Classe, truand rangé des voitures, a pris sa retraite en Espagne. Mais il revient à Paris pour enterrer son fils, Alexandre, assassiné en plein jour, et venger sa mort en enquêtant parmi ses "vieux amis". Bourdeau bien sûr n'est jamais loin, paradoxal ange gardien de l'ancien boss du Milieu.

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Sommaire

DIMANCHE

Chapitre

Chapitre

Chapitre

LUNDI

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

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Chapitre

Chapitre

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Chapitre

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Chapitre

MARDI

Chapitre

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MERCREDI

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JEUDI

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VENDREDI

Chapitre

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SAMEDI

Chapitre

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DIMANCHE

Chapitre

LUNDI

Chapitre

MARDI

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

Chapitre

MERCREDI

DIMANCHE

1.

Entre le moment où j’ai décroché le combiné de mon oreille et celui où je l’ai reposé, je n’étais plus le même. Quelque chose avait fondu, disparu, s’était dilué dans mes veines pour toujours. C’était indescriptible, fugace, foudroyant comme un poison antique – cette tragédie grecque qui nous poursuit depuis vingt siècles sans jamais nous lâcher. On pourrait dire que cela me pendait au nez, que celui qui vit par l’épée, etc., mais en cet instant, cette vérité, cette évidence était derrière moi comme à contre-jour et j’ai entendu ta voix qui demandait quelque chose à Frank au bord de la piscine. D’ici je pouvais sentir le chlore et entendre la surface clapoter contre le rebord en ciment – et pour la première fois, j’ai remercié ta maladie, je l’ai remerciée du plus profond du cœur ; avec un peu de chance tu ne te rappellerais pas que tu as un fils – et moi je n’aurais pas à t’expliquer qu’il vient de mourir. Notre fils, pour toujours dilué dans mes veines.

2.

Frank m’a aperçu et m’a fait un petit signe de la main quand j’ai traversé la double porte vitrée du salon pour les rejoindre au bord de la piscine. Je pense que je devais être très pâle car il a gardé sa main, sa grosse pogne d’ancien boxeur aux phalanges bloquées par les rhumatismes, en l’air, comme s’il ne savait pas quoi en faire.

– Ça va ? m’a-t-il demandé en vrillant son regard brun dans le mien tel un chien inquiet.

J’ai secoué la tête et lui ai fait signe de venir à l’intérieur.

Toi, tu étais allongée sur le transat, le dos tourné vers moi, et j’imagine que tu étais en train de regarder les reflets du soleil de ce début de mai jouer à la surface de l’eau faussement bleue. Je ne sais pas à quoi – ou à qui – tu pensais en cet instant précis, si les mauvaises vibrations que mon corps déchiré lançaient tout autour de moi avaient par miracle réussi à te toucher et à révéler ma présence, mais tu t’es penchée sur l’accoudoir et tu as tourné la tête vers moi – la serviette rouge enserrant ton visage comme un turban de princesse orientale, tes yeux gris effleurant mon regard de leur vide sidéral.

Tu m’as souri et tu m’as dit « Bonjour ! » comme si j’étais le facteur, le jardinier ou un voisin – un de ces inconnus familiers qui peuplent notre quotidien sans jamais en faire vraiment partie – avant de disparaître de mon champ de vision et de me laisser contempler le dos du transat comme un mur impénétrable, rayé de rouge et de blanc.

3.

J’ai accueilli Frank dans la pénombre fraîche du salon, sa silhouette trapue s’arrêtant à quelques centimètres de moi. D’ici je pouvais sentir son eau de toilette italienne qui lui avait valu le surnom du « Beau Frank » dans notre jeunesse. Je pouvais sentir ses joues rasées de frais, son déodorant épicé, son haleine mentholée de vieux séducteur. Il a passé plusieurs fois sa main dans ses cheveux blancs pommadés et je nous ai revus, jeunes hommes dans l’arrière-salle du Celtique, rue de Lappe, en train de discuter avec les Corses, noyés dans la fumée âcre des Gitanes.

Nous étions des branleurs de vingt ans, eux des truands fatigués, autour de la cinquantaine. Beaucoup d’or autour du cou, de poils sur la poitrine, de dents manquantes dans les faux sourires. Ils étaient sous pression à cause des Algériens qui leur piquaient leurs femmes et leur drogue. Trois des leurs s’étaient fait dessouder en un mois. Le Balto, le café d’en face, était fermé administrativement depuis les « événements » et, selon Monique, la serveuse qui était passée au Narval le temps que tout se remette en ordre, ils n’avaient pas encore nettoyé le sang qui maculait le carrelage jaune et noir des toilettes. La guerre d’Algérie venait de se terminer, mais ici, à Paris, elle continuait avec rage.

Nous étions des puceaux ou presque, par rapport à ces vieux squales, mais deux ou trois petits coups vite faits, bien faits nous avaient propulsés à la périphérie des grands, dans leur « Zone », où eux-mêmes étaient passés dans leur jeunesse. Bien entendu, ils se méfiaient de nous et ils avaient raison. Mais ils manquaient de bras et ils avaient conscience de leur vulnérabilité. Sisco, le chef du clan, m’a tendu sa main poilue sans se lever de la banquette de moleskine rouge. Je l’ai serrée en silence. Son visage était secoué d’un tic qui lui faisait cligner de l’œil gauche comme s’il recevait des micro-décharges électriques. Oui, il avait vraiment pris un sale coup de vieux.

Aujourd’hui, je regardais Frank dans mon salon et je me disais qu’on avait fini par leur ressembler, à ces Corses.

LUNDI

1.

Par la fenêtre du taxi qui m’emmenait à l’aéroport, je regardais l’Espagne moderne qui défilait par ma fenêtre. Rangées de tours en bord de mer, affiches publicitaires dans tous les sens, Africains et Marocains trimant au soleil – je n’ai pu m’empêcher de penser au pays que j’avais connu dans les années soixante et soixante-dix, du temps de l’Autre. Une Espagne grise et noire, où la misère s’incrustait encore sous les ongles manucurés des banquiers, de l’Église et de l’armée. La Costa Brava, projet commun idéal pour la Mafia et l’Opus Dei, le paradis des voleurs et des gangsters de tout poil, profit maximum, l’argent n’a pas d’odeur, comme on dit. Oui, comme on dit, j’ai pensé, en silence.

2.

Ta voix.

Et puis tes mains tendues en avant, tandis que tu chantais l’aria final de La Traviata. Ce geste d’offrande, cet arc de cercle sensuel et tragique, m’avait touché au cœur, alors que, jusqu’à ce soir-là, j’étais un ignorant, un rustre, un sourd. L’époque des Corses était finie depuis bien longtemps, moi et Frank on roulait en roue libre à présent, à équidistance de Grenoble, Pigalle et Marseille. On commençait à avoir notre petit territoire, import-export, protections amicales et billets de banque Monopoly. Gégé nous avait rejoints, ainsi que le Grand Roger et maître Vaucaire. C’est lui qui nous avait amenés au Théâtre de la Ville, voir La Traviata.

Au début, on s’était moqués de lui, on l’avait traité de fiotte et d’autres trucs subtils, mais il nous avait expliqué que la culture, c’était quelque chose d’important et que même Al Capone était amateur d’art. Que ça permettait aux émotions de se frayer un chemin et que c’était un bon moyen de rester humain dans ce monde de brutes. Que la musique – et en particulier l’opéra – vous remuait les tripes en profondeur et vous lavait la conscience, d’un coup.

Nous, on n’y croyait pas à ses balivernes, mais on l’aimait bien notre avocat accro à la chnouf, et comme il nous avait acheté les billets, on avait accepté de l’accompagner, « mais rien qu’une fois, hein ? ».

Et puis – ta voix.

C’était foutu, j’étais conquis.

Traversé.

J’ai noté ton nom en sortant, Gina Maldoni. Plus tard, j’ai appris qu’on disait « la » Maldoni. Au café de la place Saint-Michel, tandis que, rassemblés autour d’une table, nous attendions les consommations, le Grand Roger a déclaré qu’il ne s’était jamais autant emmerdé de sa vie.

3.