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Deux âmes liées par un fil invisible sont unies au-delà du temps et de l’espace. En proie à des déséquilibres émotionnels et aux mystères du passé, elles naviguent entre amour, trahison et quête de vérité. Chaque rencontre dévoile des blessures profondes et une dualité inséparable, dans une atmosphère poétique oscillant entre lumière et obscurité. Un voyage émotionnel intense où la fragilité des liens humains et la force implacable du destin se confrontent à chaque instant.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Abdel Sylla utilise l’écriture pour explorer les paradoxes de l’âme humaine. Son parcours personnel, marqué par des expériences intenses, nourrit une plume sensible et incisive. La littérature devient alors pour lui un miroir des complexités de la vie et une échappatoire aux contraintes quotidiennes.
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Seitenzahl: 214
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Abdel Sylla
Le fil brisé du destin
Roman
© Lys Bleu Éditions – Abdel Sylla
ISBN : 979-10-422-7339-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Deux âmes, liées par un fil invisible, oscillent à travers le temps et l’espace. Elles ne se voient pas, ne se touchent pas, mais leur essence vibre à l’unisson, comme deux étoiles qui gravitent autour d’un centre commun. Elles se cherchent sans le savoir, leur quête ancrée dans un lieu qu’elles n’ont jamais foulé, dans un souvenir qu’elles n’ont jamais vécu. Quand l’une respire, l’autre retient son souffle. Quand l’une sourit, l’autre s’effondre. Leur harmonie est une symphonie dissonante, un cri étouffé dans le silence de l’univers. Et pourtant, elles existent, l’une pour l’autre, dans un équilibre précaire entre absence et présence. Le destin les a conçues ainsi : des fragments d’un tout qu’il ne leur sera jamais permis de recomposer.
Le dîner était comme chaque autre, baigné par la lumière tamisée des lustres au-dessus de la table en bois. Les éclats de rire des enfants résonnaient, leurs voix emplies de vivacité, une chaleur familière flottant dans l’air. Gabrielle souriait, un sourire presque mécanique, trop poli pour être spontané. Elle observait le mouvement de la sauce tomate qui glissait lentement sur le côté de l’assiette, comme si chaque geste, chaque mot, avait été répété mille fois.
Le dîner se déroula sans accroc, la routine était bien huilée. Les enfants, après avoir vidé leurs assiettes, furent emmenés dans leur chambre par Antoine, leur père, qui les borda et leur souhaita une bonne nuit. Gabrielle resta dans la cuisine, débarrassant la table en silence, puis rejoignit son mari. Ils échangèrent un sourire entendu, un sourire d’adultes, celui qui sait qu’après le travail de la journée, un moment à deux leur est réservé.
« Tu veux un verre de vin ? » demanda Antoine, en se penchant vers la bouteille déjà ouverte sur le comptoir.
« Oui, avec plaisir », répondit Gabrielle, un petit éclat dans les yeux. « Tu m’as manqué aujourd’hui. »
Antoine sourit et versa le vin dans deux verres, en observant Gabrielle. « Tu sais, j’ai l’impression que les journées passent toujours trop vite. On ne prend pas assez de temps pour nous. »
Gabrielle acquiesça doucement. « Tu as raison. Mais là, ce soir, on a toute la soirée. Juste nous deux. »
Ils s’installèrent dans le salon, les verres à la main, confortablement installés sur le canapé. La pièce était plongée dans une ambiance feutrée, la lumière tamisée créait une atmosphère intime. Ils discutèrent de tout et de rien, rirent, partagèrent des souvenirs, comme au début de leur relation. Leurs éclats de rire se mêlaient à la musique douce qui émanait de l’enceinte, et les mots semblaient tomber comme des gouttes de pluie sur la surface calme d’un lac, sans aucune onde de perturbation.
Peu à peu, leur conversation s’éteignit. Le silence qui suivit n’était pas lourd, mais emplissait la pièce d’une tension subtile, presque imperceptible. Antoine approcha son visage du sien, caressa doucement sa joue. « Tu es belle ce soir », dit-il d’une voix basse.
Gabrielle ferma les yeux un instant, profitant de ce contact. Puis, dans un murmure, elle répondit : « Je me sens bien quand je suis avec toi. »
Leurs lèvres se rencontrèrent lentement, dans un baiser qui semblait d’abord timide, puis de plus en plus pressé. Ils se laissèrent porter par la chaleur de ce moment, par la complicité qui n’avait cessé de les unir au fil des années. Une passion douce, sans précipitation, mais pleine de cette certitude tranquille qu’ils étaient faits l’un pour l’autre.
Les mains de Gabrielle se glissèrent dans les cheveux d’Antoine, ses bras l’attirant plus près d’elle, tandis que leurs corps se rapprochaient, se cherchaient. Les vêtements tombèrent lentement, un à un, jusqu’à ce que leurs peaux se retrouvent enfin, fusionnant dans une étreinte silencieuse, profonde, où le monde extérieur semblait s’éclipser. Ce moment semblait suspendu dans le temps, comme un écho de leur bonheur commun. Rien ne manquait. Rien, sauf cette étrange sensation persistante de quelque chose qui clochait, de cette fausse note que Gabrielle peinait à identifier.
La nuit s’étira en douceur, le monde autour d’eux étant oublié, englouti dans l’intensité de leur moment partagé. La complicité qui les unissait se traduisait dans chaque geste, chaque souffle. Ils étaient ensemble, à leur manière parfaite, dans une harmonie totale, et rien, pas même l’ombre de cette pensée fugitive, ne pouvait troubler cette communion.
Lorsque la soirée toucha à sa fin, et qu’ils se retrouvèrent blottis l’un contre l’autre sous les couvertures, un silence apaisant s’installa entre eux. Gabrielle se sentait bien, presque comblée, mais cette étrange sensation restait en elle, persistante comme un nuage au sommet d’une montagne.
Elle ferma les yeux, écoutant le souffle calme d’Antoine, et tenta de chasser ce malaise, de se concentrer sur cette vie parfaite qu’ils avaient construite. Elle s’endormit finalement, bercée par le rythme régulier de son mari, sans savoir que, lentement mais sûrement, quelque chose venait de se glisser entre eux, imperceptible, mais déjà bien là.
De l’autre côté de la ville, Matteo s’écroulait dans le canapé. Pas s’installait, non. Il s’écroulait. Le dos lourd, les jambes flasques, la tête pleine. Les gosses dormaient enfin. Il leur avait lu une histoire, il ne se souvenait même plus de laquelle. Juste leurs paupières qui tombaient, leurs respirations qui se calaient, et lui qui fermait la porte avec ce silence dans les oreilles. Un silence précieux.
Ambre avait cuisiné. Encore. Carbonara. Parfaites, évidemment. Comme d’hab. Tout ce qu’elle faisait semblait millimétré, comme si elle s’accrochait à cette perfection pour pas que le monde s’écroule. Lui, il mangeait. Il buvait. Il opinait. Il riait aux bonnes blagues. Il écoutait d’une oreille quand elle parlait des projets, des trucs à faire, des courses, de sa sœur qui n’allait pas bien. Il se sentait… là. Pas mieux. Pas pire. Juste là.
« Tu sais, j’ai l’impression qu’on file un peu trop vite dans cette routine », dit Ambre en lui resservant du vin.
Routine. Le mot claqua dans sa tête comme une gifle douce. Il sourit. Parce qu’il fallait bien.
« Je sais ce que tu veux dire. » Il se força à rendre sa voix calme. « Mais ça fait du bien, non ? Ce genre de routine. Ça rassure. »
Ambre hocha la tête. Ses yeux partirent ailleurs. Vers quoi ? Il n’en savait rien. Lui non plus ne savait plus trop vers quoi il allait. Tout semblait à sa place, oui. Et c’était ça le problème. Trop bien rangé. Trop lisse. Trop parfait pour être vrai.
Elle rit doucement. « J’ai l’impression que tout est à sa place. »
Il la regarda. Pas avec tendresse. Pas vraiment. Plutôt comme on observe un objet familier qui, d’un coup, paraît étrange. Comme s’il ne l’avait jamais vraiment vue. Comme s’il redécouvrait un décor dans lequel il vivait depuis toujours, sans l’avoir vraiment regardé.
« Ouais. Tout est à sa place. »
Il s’approcha. Il posa une main sur son épaule. Son geste était doux, mais dedans, c’était le chaos. Un foutu bordel. Il avait envie d’elle. Oui. Mais pas juste physiquement. C’était plus que ça. C’était animal. Vital. Comme une tentative de se raccrocher à quelque chose de vivant, de vrai.
« T’es sublime ce soir », dit-il, presque en murmurant. Mais c’était plus une incantation qu’un compliment. Comme s’il voulait y croire.
Le reste glissa. Le baiser. Les vêtements qui tombent. Les corps qui se cherchent. Qui se trouvent. Qui s’agrippent comme pour ne pas couler. C’était beau, oui. Mais derrière cette beauté, il y avait une urgence. Une faille. Quelque chose de cassé qu’ils essayaient de recoller sans le dire.
Ils firent l’amour. Longtemps. Fort. Comme pour oublier le reste. Le monde n’existait plus. Juste eux. Juste ça. Un échange de chaleur. D’oubli. Une parenthèse où rien d’autre ne comptait.
Et puis, après. Le silence. Les draps froissés. La lune qui dessinait des ombres sur le mur.
Matteo ne dormait pas. Il fixait le plafond. Un truc clochait. Il ne savait pas quoi. Une pensée floue, furtive. Mais elle le hantait déjà.
Tout allait bien. Peut-être même trop bien.
Et c’était ça, le vrai problème.
Le lendemain matin se leva comme un prolongement naturel de la veille, baigné par la lumière douce du soleil qui perçait les rideaux du salon. Gabrielle et Antoine étaient déjà debout, profitant d’un moment de tranquillité avant l’agitation du quotidien. Le parfum du café fraîchement préparé flottait dans l’air, et les enfants, encore dans le flou du matin, couraient dans la maison en riant. Tout était à sa place.
« Regarde, maman, regarde comme je suis rapide ! » s’écria Athéna, leur fille cadette, en tournoyant dans le salon avec un livre sous le bras, son sourire radieux illuminant la pièce.
« Tu es une véritable tornade, ma chérie », répondit Gabrielle avec tendresse, en attrapant son manteau. « On dirait que tu vas décoller du sol à force de courir si vite ! »
Les éclats de rire remplissaient la pièce. Antoine entra alors, son visage lumineux, portant un grand plateau avec des petits-déjeuners pour toute la famille. Il déposa le tout sur la table en bois, un sourire satisfait aux lèvres. La routine était parfaite : des repas partagés, des rires d’enfants, des sourires complices, et cette douce certitude que tout allait bien.
Après le petit-déjeuner, la famille se retrouva dans le jardin pour une activité improvisée, un jeu de ballon où chacun participait avec une énergie débordante. Athéna et Lucas se chamaillaient gentiment, tandis que Gabrielle et Antoine se lançaient des sourires complices, observant leurs enfants. La journée s’égraina ainsi, tranquille et joyeuse, comme une mélodie douce qui ne s’arrêtait jamais.
En fin de journée, Gabrielle et Antoine se retrouvèrent pour une sortie entre amis, une soirée qu’ils avaient planifiée depuis plusieurs semaines. L’idée était de célébrer la beauté de la vie, et quoi de mieux que de le faire entourés de leurs amis les plus proches ? Assis autour de la grande table du restaurant, le groupe de convives se partageait des anecdotes et des rires, tous en parfaite harmonie.
« Tu sais, tu as de la chance d’avoir un homme comme Antoine », dit Léa, une amie de longue date de Gabrielle, en levant son verre. « Il est tellement attentionné, c’est un père exceptionnel. Je vois bien comment il s’occupe de vous tous, c’est impressionnant. »
Gabrielle sourit, un peu émue. « Oui, il est extraordinaire, mais vous savez, c’est aussi dans sa nature. C’est un homme généreux et toujours là quand il faut. »
Antoine, un peu gêné, mais flatté, haussait les épaules en rigolant. « Elle exagère, c’est juste que je fais de mon mieux. »
Les autres convives se joignirent à cette discussion, enchaînant les compliments, soulignant la force du couple, la complicité qu’ils partageaient, leur manière de se soutenir sans jamais faillir. Chacun de leurs amis, tout comme leurs enfants, était témoin de ce bonheur éclatant, cette image du couple parfait. Leur vie ressemblait à une carte postale, une illustration de ce qu’il y avait de plus beau dans une famille unie et aimante.
De l’autre côté de la ville, le matin s’allumait lentement chez Matteo. Odeur de café, bruits de bols qu’on empile, pieds nus d’enfants qui traînent sur le carrelage. Le genre de matin qui a tout pour être parfait. Trop parfait.
Il avait préparé le petit-déj machinalement, distribué les tartines, versé le lait, sans même vraiment y penser. Les enfants riaient, Ambre souriait, la maison résonnait d’une joie qu’il regardait un peu de l’extérieur, comme si ça ne lui appartenait plus vraiment.
« Papa, toi, tu es super fort ! » cria Yohan en brandissant un dessin mal découpé, rempli de couleurs qui dépassaient.
Un sourire forcé se colla sur son visage. Il se força à dire quelque chose, mais Ambre prit la parole avant lui.
« Merci, mon chéri. Mais tu sais, ton papa est exceptionnel. Un vrai modèle. Honnête, présent, toujours là pour nous. Il pense à notre bonheur avant le sien. »
Matteo sentit un nœud se serrer dans sa gorge. Ces mots. Trop justes. Trop beaux. Trop lourds.
Il répondit, presque en pilote automatique :
« C’est maman qui fait briller tout ça. On est une équipe. Elle m’a toujours soutenu. »
Il regardait ses enfants rire, Ambre poser une main sur son épaule avec tendresse. Il voulait y croire. Il voulait être ce type-là. Mais à l’intérieur, ça cognait. Un malaise discret. Comme une vérité enfouie qui essayait de remonter à la surface.
« Tu sais, chéri, on est bien plus forts ensemble. Nos enfants le sentent. »
Il hocha la tête. Parce qu’il fallait. Parce qu’on attendait de lui qu’il incarne ce rôle, qu’il soit le pilier, le roc, le foutu « modèle ». Il se sentait comme un acteur enfermé dans un décor trop bien ficelé.
L’après-midi, ils rejoignirent leurs amis. Terrasse animée. Café Le Cirio. Rires. Blagues. Connivence. Tout le monde jouait sa partition à la perfection.
« Franchement, Matteo, t’es un homme rare. Ambre a bien de la chance de t’avoir. »
Encore. Ce foutu compliment. Il sourit. Il savait ce qu’il devait dire.
« C’est elle qui fait briller tout ça. On se complète. »
Des mots comme des boucliers. Poli, humble, irréprochable. Il faisait ce qu’il fallait. Mais dedans, ça grondait. Il n’entendait plus que le vide derrière les paroles, le décalage entre ce qu’il montrait et ce qu’il ressentait.
Autour de la table, Gabrielle, Antoine, Ambre… Tous avaient l’air d’y croire. À cette vie-là. Cette belle mascarade. Mariages heureux. Enfants brillants. Petits projets du week-end. Personne ne parlait de l’érosion lente, de l’ennui qui s’infiltre, de la peur qu’un seul faux pas fasse tout s’écrouler.
Matteo, lui, souriait. Il savait jouer le jeu. Mais au fond, il se demandait combien de temps encore il tiendrait.
Gabrielle se souvient de son enfance dans une maison pleine de perfection. Ses parents, bien qu’aimants, étaient aussi exigeants. L’ambition était dans leur ADN, une pression constante pour exceller, pour être la meilleure. À chaque événement familial, chaque réunion avec des amis, elle avait appris à jouer le rôle de la fille parfaite : brillante, gentille, toujours à la hauteur des attentes. Mais derrière ce masque de perfection, elle se sentait parfois prisonnière de ses propres rêves.
Son premier amour, un garçon nommé Alexis, l’avait rendue heureuse pendant un temps. Il était libre, spontané, tout ce que ses parents n’étaient pas. Mais, à mesure que sa relation avec lui grandissait, elle avait senti les tensions s’amplifier. Marc quant à lui la poussait à suivre ses rêves, à s’échapper de cette cage dorée, mais Ambre ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. La pression familiale était trop forte, trop ancrée.
Puis, un jour, elle avait croisé Antoine. Il était simple, honnête, tout ce qu’elle cherchait dans une vie stable. Elle s’était rapidement engagée dans cette relation, se promettant de trouver le bonheur dans une vie plus sereine.
Avant que Gabrielle ne devienne une mère attentive et une épouse aimante, elle avait été une jeune femme libre, emportée par la passion de ses rêves et les élans de son cœur. Elle avait grandi dans une petite ville tranquille, mais ses aspirations la poussaient déjà au-delà des horizons familiers. Étudiante en lettres, elle rêvait de voyager, de découvrir le monde, et de vivre des histoires d’amour comme celles des romans qu’elle dévorait. Elle n’avait jamais vraiment envisagé l’idée de fonder une famille, au moins pas avant d’avoir vécu.
Parfois, quand le poids du quotidien devenait trop lourd, Gabrielle se surprenait à fermer les yeux et à se rappeler les jours insouciants de sa jeunesse. Elle se voyait, une jeune femme pleine de rêves, flânant dans les rues de Bruxelles, un livre à la main, le soleil d’automne réchauffant son visage. La ville, bruyante et vibrante, était son terrain de jeu, un endroit où elle n’était rien d’autre qu’une âme libre, sans attache, en quête d’aventure.
Elle se souvenait des longues discussions dans les cafés, des soirées où la poésie et la philosophie se mêlaient à la chaleur du vin rouge. À l’époque, elle ne se souciait ni de l’avenir ni des responsabilités. Chaque instant était une promesse d’infini. Elle avait été amoureuse de cette liberté, de cette idée que la vie se vivait au jour le jour, sans regard en arrière.
Antoine, lui, était l’image même de la stabilité. Né dans une famille bourgeoise, il avait grandi avec un sens aigu du devoir, des attentes qui pesaient parfois sur ses épaules, mais aussi une sécurité qui le rassurait. Passionné par les sciences, il avait choisi une carrière dans la recherche, un domaine qui lui permettait de mener une vie structurée et prévisible. Avant de rencontrer Gabrielle, Antoine avait toujours été un peu solitaire, préférant les livres et les longues journées d’étude aux fêtes et aux distractions.
Mais dès qu’il croisa Gabrielle pour la première fois lors d’un colloque universitaire, quelque chose changea en lui. Elle incarnait cette liberté, cette spontanéité qu’il avait toujours désirée, mais qu’il n’avait jamais osé embrasser pleinement. Ils commencèrent à se fréquenter, d’abord avec hésitation, puis avec l’intensité de deux âmes qui se reconnaissent. Pour Antoine, Gabrielle était un souffle d’air frais, un monde nouveau, et pour Gabrielle, Antoine était un ancrage rassurant dans un univers de plus en plus chaotique. L’un apportait l’autre à l’équilibre, comme deux forces opposées qui se complétaient à la perfection.
Avec le temps, leurs personnalités se forgèrent autour de cet équilibre fragile. Antoine apprit à lâcher prise, à se laisser aller à des moments d’improvisation, tandis que Gabrielle découvrit la beauté de la stabilité, de la prévisibilité, même si au fond d’elle, une petite voix murmurait qu’elle avait peut-être perdu une part d’elle-même. Mais, avec Antoine, tout semblait en place. Ils se marièrent au bout de quelques années, et Gabrielle se consacra à leur famille avec une dévotion sans failles.
Matteo et Ambre
Avant tout ça, Matteo n’avait rien d’un homme « modèle ». Pas de carrière brillante, pas de grande ambition. Juste l’envie de tenir debout. D’exister. Il avait grandi vite, trop vite, dans une maison où les rêves étaient bons à étouffer sous les factures. Il se souvient des soirs de galère, des journées à courir après des petits boulots, à esquiver les dettes comme on évite les coups. Le genre de vie qui te laisse des réflexes. Se méfier, se battre, se taire.
Il avait ses échappatoires. Le foot, la musique. Pas pour briller, non. Juste pour respirer. Il n’avait jamais vraiment cru à l’amour. Pas parce qu’il n’en voulait pas. Parce que c’était un luxe, presque une fiction. Et puis, un soir d’automne, il avait croisé Ambre.
Elle venait d’un autre monde. Élégante, sûre d’elle, propre sur elle jusque dans la voix. Et pourtant, il avait vu une fissure, un truc fragile derrière son sourire. Elle, elle avait vu quoi ? Quelqu’un de vrai, peut-être. Ou juste un homme qui la regardait autrement.
Ils n’auraient jamais dû s’entendre. Elle, la fille de bonne famille. Lui, l’autodidacte qui avait appris la vie sur le tas. Et pourtant… quelque chose s’était passé. Un glissement. Une sorte d’évidence tranquille. Matteo ne savait pas trop comment l’expliquer. Avec elle, il s’était senti possible. À sa place, pour une fois. Pas comme un imposteur.
Leur histoire n’avait pas été un feu d’artifice. Pas de grandes déclarations, pas de promesses enflammées. Juste deux personnes qui avançaient ensemble, jour après jour, en apprenant à se faire confiance. Quand ils avaient décidé de se marier, c’était presque logique. Comme si l’un complétait l’autre. Elle apportait la structure, le calme. Lui, la chaleur, la simplicité. Ils s’étaient choisis pour ça. Pour l’équilibre.
Mais parfois, Matteo se demandait s’ils n’avaient pas construit quelque chose d’un peu trop solide. Trop lisse. Un truc qui ne laissait plus de place au doute. Ou à l’inconnu. Et depuis quelque temps, ce doute-là, il revenait. En silence. Sans frapper.
Le soir venu, après un dîner familial où tout semblait être à sa place, Antoine proposa à Gabrielle de sortir un moment, pour respirer un peu, juste les deux, loin des enfants et des responsabilités. Gabrielle, même si son esprit était encore tourné vers cette étrange sensation qu’elle n’arrivait pas à définir, accepta volontiers. Ils prenaient souvent des moments seuls, pour se retrouver.
Lorsqu’ils se rendirent au café du coin, une vieille connaissance d’Antoine les aperçut et s’approcha. Un ancien collègue de l’université, avec lequel il avait perdu contact. La conversation s’engagea de manière amicale, mais rapidement, une question anodine de l’ami, sur la manière dont Antoine et Gabrielle avaient « réussi » à maintenir une vie si parfaite, lança quelque chose dans l’air. Gabrielle, qui jusque-là avait semblé absorbée dans la conversation, se sentit soudainement déstabilisée.
« Vous semblez si heureux, tous les deux. C’est comme un conte de fées, non ? » lança l’ami d’Antoine, en sirotant son café.
Gabrielle sourit, mais une petite voix en elle se fit entendre, presque imperceptible. Et si cela n’était pas aussi parfait qu’il y paraissait ? Et si l’idée d’une vie « parfaite » était en train de les étouffer, lentement mais sûrement ?
La conversation se poursuivit, mais Gabrielle n’arrivait plus à se concentrer, sentant son esprit vagabonder, ses pensées s’échapper. Ce petit caillou, ce simple échange de mots avait perturbé la surface de la vie qu’elle croyait maîtriser. Elle essaya de le chasser, mais il persistait, comme une fissure invisible qui s’était ouverte dans la réalité.
Chez Matteo et Ambre, le matin s’était déroulé comme à l’accoutumée. Les enfants avaient couru partout, excités par une journée ensoleillée, et la routine s’était installée, confortable, familière. Cependant, alors que Matteo s’apprêtait à partir pour une réunion, un appel téléphonique brisa momentanément cette quiétude.
C’était une ancienne collègue de Matteo, Sophie, qui l’appelait après plusieurs mois sans nouvelle. Matteo décrocha, un sourire un peu forcé sur les lèvres, et engagea la conversation.
« Matteo, je ne voulais pas te déranger, mais j’avais une question concernant ce dossier… Je sais que tu as beaucoup à faire, mais… ça m’intrigue toujours comment tu as réussi à tout gérer, surtout avec la famille. » Sophie rit légèrement de l’autre côté du fil, mais Matteo, toujours un peu sur la défensive, sentit une pointe de gêne. La question n’était rien de plus qu’une simple remarque, pourtant, il se sentit inexplicablement déstabilisé.
Il avait toujours été fier de sa capacité à jongler avec ses responsabilités, à maintenir un équilibre parfait entre son travail, sa famille et sa vie sociale. Mais cette remarque, cette question anodine, fit ressurgir une sensation de malaise, comme si tout cela pouvait être mis en doute. La perfection qu’il s’était construite depuis des années semblait soudainement vaciller.
« Je crois que j’ai trouvé mon rythme », répondit-il, son ton un peu plus froid qu’à l’ordinaire, « Mais tu sais, il y a des jours où ça devient un peu trop. » Il se força à sourire, mais cette conversation la perturbait. « Écoute, je dois y aller. On se rappelle bientôt ? » Il raccrocha rapidement, mais l’impression de malaise resta suspendue dans l’air.
Ambre entra dans la pièce à ce moment-là, observant Matteo d’un œil curieux. « Tout va bien ? » demanda-t-elle, voyant qu’il semblait distrait.
Matteo hésita une seconde avant de lui répondre, cachant ses pensées derrière un sourire habituel. « Oui, juste une conversation avec Sophie. Elle voulait savoir comment j’arrivais à tout gérer. » Un petit rire nerveux accompagna ses mots, comme pour balayer la situation sous le tapis.
Ambre haussait les épaules, lui lançant un sourire rassurant. « Elle est un peu vieille école, non ? Ça fait des années que tu gères tout parfaitement. Pas besoin de te justifier. » Il l’embrassa brièvement sur le front et s’apprêta à partir.
Matteo se tourna vers la fenêtre, cherchant à reprendre son calme. Mais quelque chose restait en lui, un écho d’une conversation qui ne s’était pas passée comme d’habitude. Il avait toujours su répondre avec assurance à ce genre de question, mais aujourd’hui, la simple évocation de son « équilibre parfait » l’avait perturbée d’une manière inexplicable.
Les rêves revenaient chaque nuit. Gabrielle n’avait jamais été une grande rêveuse, et pourtant, depuis quelques semaines, ses nuits étaient peuplées d’images qu’elle ne comprenait pas. Ce soir-là, Gabrielle se retrouva dans un champ de blé qui ondulait doucement sous un vent invisible. Chaque épi semblait murmurer un secret qu’elle n’arrivait pas à saisir. Le ciel au-dessus d’elle était d’un gris menaçant, chargé d’électricité statique, et l’horizon était ponctué de l’éclat intermittent d’un orage lointain.