Le fils de Stevenson - Thierry Daullé - E-Book

Le fils de Stevenson E-Book

Thierry Daullé

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Beschreibung

Un jeune homme, venu de très loin, affirme être le descendant du fils de Robert Louis Stevenson. Mythe ou vérité ? En descendant du Puy-en-Velay jusqu'aux Cévennes, il trace sa route, porté par son projet, aussi fou qu'ambitieux. Très vite, élus, journalistes, passionnés, et même une petite ânesse, se laissent happer par cette aventure qui semble hors du commun. Mais que recherche-t-il vraiment ? Et pourquoi deux femmes, malgré elles, vont-elles tomber sous son charme ? Que veut réellement le professeur Malcolm Grant, prêt à tout faire pour percer son secret ? Sur le mythique chemin de Stevenson, les réponses vont s'égrener, pas à pas… jusqu'à la révélation finale.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeur de langues et civilisations chinoises, Thierry Daullé est passionné par les voyages et la découverte des cultures et des peuples du monde. Il tient à offrir des histoires captivantes et enrichissantes qui nous transportent et nous dépaysent.

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Seitenzahl: 428

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Thierry Daullé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fils de Stevenson

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Thierry Daullé

ISBN : 979-10-422-7097-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

Le Chameau qui boitait,

2005 ;

Les trois Sceaux de l’Année du Singe,

2015 ;

Trois Singes pour un Dragon,

2017 ;

Le Voyage en Occident d’un Singe d’Orient,

2018 ;

Jamais tu ne verras Venise !

2019, Éditions le Lys Bleu ;

Une Bicyclette pour Lhassa,

2019,Éditions le Lys Bleu ;

Crime de Guerre,

2020, Éditions le Lys Bleu ;

À Pompéi, dans vingt ans 

? 2020, Éditions le Lys Bleu

 ;

Un Génie du Mal à Pékin,

2021, Éditions le Lys Bleu ;

L’Inconnue de Lisbonne,

2022,

Éditions le Lys Bleu ;

Loin du Goulag,

2023

,

Éditions le Lys Bleu ;

La Tibétaine,

2024

,

Éditions le Lys Bleu ;

Pour le Trône du Dragon,

2025, Éditions le Lys Bleu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La transcription des mots et expressions en patois, nous dirons plutôt en langue régionale, n’est pas rendue en graphie mistralienne, peut-être plus phonétique, mais bien en occitan référentiel.

 

 

 

 

 

Avant de lire ce livre

 

 

 

Voici une histoire d’êtres humains, d’hommes et de femmes, de chair, d’os, de cœur et d’âme, une histoire de gentils et aussi de méchants. De fidélité.

Une histoire de bons sentiments, diront donc certains.

C’est aussi une histoire attachée à une terre, et à ceux et celles qui y vivent, que l’on peut croiser et rencontrer.

Une histoire de bons sentiments, diront donc d’autres.

C’est surtout l’histoire de la rencontre improbable entre deux hommes, liés par une affection de l’ordre d’un amour paternel et filial qui ne dira pourtant jamais son nom.

Comme on vous le disait, c’est une histoire de bons sentiments.

 

Il ne reste donc plus qu’à se faire sa propre idée.

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Scott Robertson

 

 

 

Le Puy-en-Velay, 1er juillet

 

Après être descendu du train de 19 h 18, en provenance de Saint-Étienne, le grand jeune homme, son sac orange de forme oblongue sur le dos, sort tranquillement du bâtiment fraîchement repeint d’une couleur vive, presque un rouge sang, mis en valeur par l’encadrement blanc des nombreuses fenêtres. Au milieu des voyageurs parvenus à destination en même temps que lui, il s’avance sur le large trottoir et il parcourt du regard la place allongée, plutôt un boulevard, qui s’étire devant la gare. Avec des gestes méticuleux, il tire d’une jolie boîte métallique une cigarette, qu’il allume à l’aide de son briquet à essence.

Il s’éloigne ensuite vers sa gauche, d’un pas tranquille, et il va s’asseoir, un peu plus loin, sous le large store de toile rouge, à la terrasse du café le Terminus, où quelques clients prennent l’apéritif. Là, il commande une bière écossaise. Par chance, le serveur lui répond qu’il y en a toujours en réserve. Petit à petit, plusieurs personnes vont remarquer sa présence, qui visiblement étonne. Un vieil homme, portant un chat roux sur ses genoux, assis devant ce qui semble être un verre de whisky, l’observe un moment avec attention, tout en croquant des olives, puis il se lève, se rapproche du voyageur, et finit par oser l’aborder, tout en soulevant sa casquette.

— Bonsoir, jeune homme, permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Jean Ménestrier. Je suis enseignant, enfin, je suis à la retraite, maintenant. J’étais instituteur, et je suis un passionné d’Histoire, de littérature et aussi de randonnée pédestre. Alors, pardonnez-moi de vous aborder ainsi, mais… vous m’intriguez…

 

Le jeune homme reste impassible, mais il a lentement tourné le regard vers son interlocuteur, tout en rejetant la fumée par le nez.

— Oui ? Bonsoir, Monsieur… dit-il simplement, avec un léger, mais très perceptible accent étranger.

— Vous… vous devez certainement cultiver votre stupéfiante ressemblance avec lui, reprend le vieil homme. Cela me paraît évident… et franchement, je vous l’assure, c’est très réussi. Mais, pardonnez-moi de vous poser cette question encore une fois, pourquoi faites-vous cela ? Dans quel but ?

— Si vous voulez me parler de quelqu’un de précis, répond en souriant courtoisement le nouvel arrivant, qui soigne sa diction, révélant son origine britannique, je serai heureux de vous répondre.

— Cher Monsieur, votre ressemblance avec lui est plus qu’étonnante. Elle est même stupéfiante, comme je vous le disais. Seriez-vous… un acteur, attendant de jouer une reconstitution historique, par hasard ? Ce sera passionnant, pour nous et pour notre ville. Dites-moi quand va arriver le reste de la production !

— Je vous remercie pour vos questions, Monsieur le professeur, répond enfin le jeune étranger avec son flegme souriant. Non, je ne suis pas comédien, pas du tout. Je suis… son descendant, tout simplement. Il est mon arrière-arrière-grand-père, pour répondre à votre question. Et je ne fais rien de particulier pour lui ressembler, je vous assure. C’est tout simplement naturel, et c’est comme cela… depuis toujours.

 

Deux personnes, en survêtement, assises à une table voisine, ont tendu l’oreille, et elles se rapprochent en scrutant maintenant sans retenue le visage du jeune homme, qui fume avec application sa deuxième cigarette. Ce couple de vieux sportifs semble fasciné.

— Vous… vous êtes… vraiment… de sa famille ? Ce serait possible !? demande la dame, tandis que son mari sort discrètement son téléphone portable pour immortaliser la scène.

L’enseignant retraité reprend la parole. Il a visiblement surmonté sa stupéfaction, et il désire en savoir plus.

— Jeune homme, votre présence ici, au Puy, ne peut pas être totalement fortuite. Si vous n’êtes pas ici pour nous jouer une jolie comédie, dit-il d’une voix chaleureuse, expliquez-moi, je vous en prie, ce qui vous amène aujourd’hui dans notre ville. Vous savez, personnellement, j’ai lu trois fois le fameux livre de votre… ancêtre. Et si vous êtes effectivement son descendant, attendez-moi ici, je vous prie. Je n’habite pas très loin. Je reviens dans un tout petit instant. Il me serait très précieux d’avoir un autographe… de votre main.

 

Visiblement ravi, un mince sourire sur les lèvres, même s’il reste toujours immobile et d’un calme absolu, le jeune homme passe sa main droite sur ses cheveux bruns mi-longs, séparés par une raie au milieu, il lisse avec son index sa moustache en pointe. Il écrase le reste de sa cigarette dans le cendrier posé sur la table. Enfin, il répond d’une voix douce, un peu lasse :

— Je vous en prie, Monsieur. Ce serait un plaisir. Je reste encore un bon moment. Je pense même que je vais souper ici.

 

Le retraité quitte la terrasse du Terminus, suivi par son chat roux qu’il tient en laisse, une sorte de long lacet de cuir rouge.

Quelques instants plus tard, dans les bureaux de « l’Éveil de la Haute-Loire », le téléphone sonne, à cette heure où les rédacteurs mettent la dernière main à leur papier, à paraître demain matin.

— L’Éveil, j’écoute, dit une voix féminine.

— Oui, bonsoir, Mademoiselle, ici Jean Ménestrier, vous savez, je collabore souvent avec vous, pour des nouvelles littéraires… Oui, c’est cela… Dites, j’aurais absolument besoin de contacter très rapidement Sébastien Lavau, pour une info très importante à lui communiquer. C’est vraiment urgent.

— Ah ! J’espère que je vais le trouver à son poste. Monsieur Ménestrier. Ne quittez pas, je vous prie…

 

Moins d’une minute plus tard, la voix du jeune journaliste résonne à l’oreille de l’ancien enseignant.

— M’sieur Ménestrier ? Bonsoir ! Lavau à l’appareil. Que puis-je pour vous ?

— Ah ! Sébastien, écoute-moi bien, et sache que je suis très sérieux. Un type, un jeune type, genre routard, la trentaine, un Anglais apparemment, se trouve à cette minute même à la terrasse du Terminus. Oui… Il est occupé à boire de la bière. Il va même y manger ce soir. Je ne sais pas ce qu’il vient faire par ici… mais pour moi, il ne peut pas y avoir de hasard. Pourquoi ? Écoute-moi bien. Ce jeune type, c’est le sosie, mais alors, le sosie exact, parfait, de Robert-Louis Stevenson. Tu m’entends ? Oui ! C’est lui, je te le promets, Sébastien. On dirait qu’il est tout juste sorti d’une image de l’époque, en 1880… Et tu sais très bien que je n’ai pas l’habitude de plaisanter. Et puis, j’ajoute que ce gars affirme être son descendant, tu entends, son arrière-arrière-petit-fils, ou quelque chose comme cela.

— Robert Louis Stevenson n’a jamais eu d’enfant, répond froidement le jeune journaliste, vous le savez encore mieux que moi, M’sieur.

— D’accord. Alors, dis-toi, en tant que professionnel, que c’est donc peut-être le scoop de l’année, Sébastien. Tu ne voudrais pas manquer cela, tout de même. Alors, prends un photographe avec toi, et viens dare-dare jusqu’au Terminus. En attendant, je vais occuper ce type. Il est même O.K. pour me signer un autographe sur mon exemplaire du « Voyage avec un âne à travers les Cévennes ». Vite, arrive, Sébastien ! J’y retourne, pour ne pas le laisser filer, surtout.

— Mais…

— Vite, Sébastien, arrive, te dis-je !

 

Jean Ménestrier raccroche, persuadé qu’il a réussi à convaincre son ancien élève – un garçon vif et intelligent qu’il avait eu dans sa classe de CM2 de l’école Michelet, il y a presque dix-huit ans – de se déplacer rapidement, même à l’heure du dîner, et même au moment de la mise sous presse du quotidien. Il remplit ensuite de lait la petite gamelle, près de la porte, donne une petite caresse sur la tête de son chat, Rouquin, qui lui répond en esquissant un minuscule miaulement. Puis, son livre sous le bras, le vieil enseignant reprend à grandes enjambées le chemin de la gare, toute proche.

 

Quelques instants plus tard, arrivés à moto, les deux jeunes hommes venant du siège du journal local se séparent sur la place du Maréchal Leclerc. Sébastien Lavau s’approche, avec une désinvolture criante de naturel. En apercevant l’ancien maître d’école, attablé avec un jeune homme aux cheveux bruns, raides, tombant jusque sur les épaules, en tenue de voyage, son sac à dos posé à terre à côté de lui, il s’écrie de loin :

— Tiens ! M’sieur Ménestrier, vous êtes encore dehors à cette heure tardive ? Vous prenez l’apéritif ? Je pourrais peut-être me joindre à vous ? À moins que je dérange…

— Tiens, Sébastien Lavau ! Bonsoir, mon petit ! Non, tu ne déranges pas du tout. Viens t’asseoir, je vais te présenter un jeune… Écossais… venu de très, très loin, il est en voyage chez nous.

 

Mais la ressemblance du voyageur avec l’image, si bien connue dans la ville du Puy-en-Velay, du romancier écossais Robert Louis Stevenson est tellement stupéfiante que le jeune journaliste en reste figé sur place.

— Oui, Monsieur. Je suis Scott Robertson. Please, asseyez-vous avec nous, dit aimablement le jeune voyageur au journaliste en souriant franchement. Monsieur… Ménestrier – c’est cela, n’est-ce pas ? – était en train de me dire qu’il adore le hiking, hmmm… la… randonnée. C’est bien ça ?

 

Le vieux maître d’école, avec une lumière amusée dans les yeux, regarde successivement Scott Robertson, qui tire une nouvelle cigarette de son étui métallique, puis son ancien élève. L’ébahissement du jeune journaliste, qui a les yeux rivés sur le visage de l’étrange voyageur, a effectivement de quoi faire sourire.

— Vous êtes bien… comment dire ? bredouille Sébastien Lavau, à court d’arguments, tant il est paralysé par la vision d’une véritable réincarnation du grand maître écossais du roman d’aventures de la fin du XIXe siècle.

— Je suis bien Scott Robertson. Sorry ! Je n’ai pas encore eu l’opportunité de me présenter. J’ai trente ans, je viens de Vailima…

— Quoi ?! Vous arrivez de… Vailima, aux îles Samoa, là où… s’écrie Lavau, de plus en plus désarçonné.

— L’endroit où mon arrière-arrière-grand-père a cessé de vivre. Oui. Mais… et vous-même, Sir ?

— Sébastien Lavau est un de mes anciens élèves, coupe Monsieur Ménestrier avec autorité, c’était il y a déjà bien longtemps. Depuis, il a suivi de belles études, et, si je ne me trompe, il travaille aujourd’hui pour le plus grand quotidien de notre région, l’Éveil…

 

À ces mots, une transformation s’opère dans l’attitude du voyageur venu du Pacifique Sud. Quittant sa réserve et son ton, jusqu’à maintenant plutôt dépourvu de chaleur, Scott Robertson se redresse sur sa chaise et tend la main à Sébastien Lavau.

— How do you do, Sir, dit-il avec un franc sourire. Let’sshake hand !1 Vous allez pouvoir m’aider, puisqu’un homme de Presse est en principe au courant de tout, c’est bien connu, n’est-ce pas ?

 

Ébahi, le jeune journaliste se ressaisit et demande :

— Que puis-je pour vous, Monsieur Robertson ?

— Voilà. Je suis venu ici avec une idée…bien précise… Mais je me présente… correctly. J’ai donc trente ans. Je suis diplômé en Français, et en Histoire moderne… à Cambridge. J’ai passé quatre années en Grande-Bretagne. En fait, je suis l’arrière-petit-fils d’un certain Lewis Robertson… enfant… naturel, né en 1895, de la relation que Robert Stevenson a eue avec… la dernière gouvernante de la maison de Vailima, peu avant sa mort, en décembre 1894. Mon aïeul, comme vous dîtes, n’a jamais connu son fils…

Fascinés par la vision de ce personnage étrange, comme surgi du passé, l’ancien maître d’école et le journaliste ne peuvent détacher leur regard du visage fin et allongé de ce jeune homme qui leur fait face. Les cheveux bruns, soyeux, bien séparés par une raie impeccable, les grands yeux noirs, perçants, les paupières légèrement tombantes, déjà fatiguées, les moustaches impeccablement taillées en pointe, la lèvre inférieure étroite, épaisse, surmontant un menton volontaire, les mains fines aux doigts allongés, le portrait est saisissant. Voilà une véritable réincarnation, soignée jusqu’au vêtement, avec cette veste de fin velours noir, cintrée, longue, ce pantalon serré, et ces élégantes bottines de cuir noir.

— Dites-nous alors ce qui est essentiel, pour vous, Monsieur Steven… Monsieur Robertson, pardonnez-moi, dit Jean Ménestrier, pour rompre ce charme étrange, qui s’est installé à la terrasse du Terminus, maintenant qu’une douzaine de personnes, muettes et comme envoûtées, font cercle autour des trois hommes.

— L’essentiel, pour moi, je vais vous dire… c’est de préparer mon… comment dites-vous ? … mon pilgrimage.

— Ah ! Votre pèlerinage, Monsieur, c’est bien ce que vous voulez dire, demande alors Sébastien Lavau qui a enfin retrouvé ses esprits, en voyant son photographe, armé d’un puissant téléobjectif, mitrailler, de loin, la scène étonnante que ces quelques paisibles habitants du Puy-en-Velay sont en train de vivre.

— Mais, attendez, Messieurs, dit l’étrange jeune homme, soudain très sûr de lui. Pourrions-nous appeler une personne, pour servir… des apéritifs. Dites-lui tout ce que vous voulez boire. It’s my pleasure !2

 

Quelques minutes vont s’écouler, pendant lesquelles les commandes sont joyeusement passées, et le patron, qui a tout suivi depuis la porte du bar-restaurant, a enfin pu servir tout le groupe, maintenant agglutiné autour de l’extraordinaire sosie de l’auteur de « L’Île au Trésor ».

 

Le projet exposé par le jeune étranger est à la fois très simple, et assez complexe à mettre en œuvre, pour un homme seul. À plus forte raison pour quelqu’un qui n’est pas français. Le voyageur explique au retraité, à qui il a offert un nouveau verre de whisky, qu’il souhaite ardemment susciter la création d’une fondation, à implanter selon lui au Puy, ou alors dans les Cévennes, et destinée à financer l’élaboration d’un « musée Stevenson », qui serait créé, pourquoi pas, à Alès, ou à St Jean-du-Gard, par exemple, c’est-à-dire à la fin de la dernière étape du fameux chemin que son ancêtre a parcouru en septembre 1878, avec son ânesse Modestine.

Passionné, randonneur expérimenté, le vieux maître d’école lui recommande alors d’aller tout simplement parler de son ambitieux projet à la mairie du Puy-en-Velay, et de se faire connaître au plus vite. Il lui donne même les coordonnées de l’adjointe à la Culture de la ville du Puy-en-Velay, sans oublier celles de l’association Sur le Chemin de Stevenson, au Pont-de-Montvert, au pied du Mont-Lozère. Scott Robertson, après avoir signé avec emphase l’exemplaire du « Voyage dans les Cévennes » du retraité, note avec le plus grand soin tous ces renseignements capitaux sur son téléphone portable.

Nul doute que demain matin, à la une de l’Éveil, l’image du sosie de Robert-Louis Stevenson, penché sur son i-phone, ne manquera pas d’attirer l’attention des lecteurs de la région, tellement imprégnés de l’histoire de cet écrivain écossais, devenu depuis quelques années, grâce à l’engouement pour la randonnée pédestre et pour le chemin de grande randonnée GR-70, une sorte de citoyen d’honneur à titre posthume de la cité auvergnate.

Et comment les élus locaux, quotidiennement informés de ce qui se dit et s’écrit sur leur ville, n’auraient-ils pas rapidement connaissance de cet article de presse et de cette présence, ici-même, tellement surprenante ?

 

 

 

 

 

Chapitre 2

Going to France

 

 

 

Londres, neuf mois auparavant, en automne,

 

Il pleut à grosses gouttes, ce matin, sur la capitale britannique. Tout le monde marche à grands pas, le col relevé, la tête baissée, le long des trottoirs. On peut voir une forêt de parapluies de différentes couleurs se déplacer en tous sens, sous un ciel uniformément gris.

 

Dans une clinique spécialisée de Kensington se présente un jeune homme, du nom de Scott Robertson. Il s’annonce comme comédien professionnel, et dit préparer un rôle difficile, celui de l’auteur de « Le cas étrange du Docteur Jekyll et M. Hyde ». Il tient absolument à mettre toutes les chances de son côté en vue d’un prochain casting. Robertson avait demandé, depuis un moment, ce rendez-vous avec le vieux docteur Bell, l’un des meilleurs spécialistes londoniens de la chirurgie plastique et réparatrice. Ce jeune patient est venu aujourd’hui demander au praticien de lui modifier légèrement le visage, en intervenant sur son implantation capillaire, sur la forme de son menton, de ses paupières et de sa lèvre inférieure.

— Uniquement pour ce seul rôle ? s’étonne le chirurgien. Ce rôle que vous n’êtes même pas certain de décrocher, d’ailleurs, malgré votre incontestable ressemblance avec l’écrivain, je le reconnais volontiers et malgré votre talent, dont je n’ai aucune raison de douter, young lad3. Vous voudriez que je modifie votre visage, qui est pourtant fort bien fait, et qui ferait envie à bien des hommes moins séduisants que vous, je vous l’assure. Êtes-vous bien sérieux ?

— Définitivement, docteur, affirme le jeune homme, assis au bord du fauteuil, face au haut bureau du praticien. On ne peut plus sérieux. Et le plus tôt sera le mieux. La suite de ma carrière dépend peut-être de ce que vous allez brillamment réussir, sans aucun doute.

— Pas de grands mots avec moi, my boy, répond le docteur Bell avec un mouvement du revers de la main.

— Alors, quand, docteur ? demande à nouveau Robertson, incisif. Je suis fermement résolu. Je n’ai pas de temps à perdre. Et j’ai sur moi la somme nécessaire, quelle qu’elle soit.

— Je préfère vous redire que mes interventions sont plutôt coûteuses, Monsieur Robertson, dit gravement le docteur Bell en fixant droit dans les yeux son vis-à-vis. Le saviez-vous ?

— Disons… qu’il s’agit d’un investissement important, pour moi, réaffirme le jeune homme. Et vous n’imaginez pas à quel point.

— Écoutez, si c’est votre dernier mot… venez donc ici lundi. Non pas lundi prochain, mais celui de la semaine suivante, à huit heures précises. Soyez même ici à sept heures trente, je vous prie.

— Ah, merci docteur, dit Robertson en poussant un soupir.

 

Cinq semaines plus tard, cicatrisé, efficacement transformé physiquement, rempli de satisfaction et d’espoirs, Scott Robertson décide, pour compléter parfaitement le tableau, de se laisser pousser les cheveux et la moustache.

 

***

 

Le Puy-en-Velay, 2 juillet,

 

Le lendemain de cet apéritif assez déconcertant, un moment qui restera gravé dans la mémoire de tous les Ponots présents, ce soir-là, la ville du Puy-en-Velay et le département de Haute-Loire découvrent, en première page de l’Éveil, le visage calme, romantique et si familier du célèbre romancier écossais, accompagné d’une autre image où on le voit trinquer avec une joyeuse troupe qui l’entoure. Un grand titre barre la une du quotidien « l’Éveil » :

UN FILS DE ROBERT-LOUIS STEVENSON PARMI NOUS

 

L’article signé par Sébastien Lavau, publié en première page, fournit toutes les explications nécessaires aux lecteurs passionnés.

 

« Nous avons trinqué avec la réincarnation stupéfiante du grand romancier écossais Robert Louis Stevenson, l’écrivain si cher à notre ville, et au Velay, depuis le fameux épisode raconté à travers les pages de son roman “Voyage avec un âne à travers les Cévennes”. L’homme que nous avons rencontré hier au soir, à la terrasse du Terminus, ne pouvait pas être Stevenson en personne, bien entendu, mais incontestablement, il s’agit d’une personnalité tout à fait hors du commun. Nous avons appris que cet homme est bel et bien l’unique descendant de l’écrivain-aventurier, étant le dernier-né d’une lignée issue de la discrète et fugitive liaison entre Robert Louis Stevenson et sa dame de compagnie, dans la dernière année de sa vie, aux îles Samoa où il s’était retiré, sur les conseils de ses médecins, étant donné un état de santé qui fut critique, sa vie durant, jusqu’à sa disparition prématurée, en 1894, à l’âge de quarante-quatre ans.

L’homme que nous avons rencontré, sosie parfait de l’écrivain écossais, se nomme Scott Robertson, il se dit de nationalité samoane et néo-zélandaise, il est donc né aux îles Samoa, en Océanie, il a suivi de brillantes études supérieures en Angleterre, il parle parfaitement le français, et il est porteur d’un très grand projet.

En effet, M. Robertson ne cultive pas seulement son étonnante ressemblance avec son ancêtre. Il souhaite tout simplement donner au célèbre chemin de grande randonnée qui porte le nom du grand homme, le GR-70, de nouvelles lettres de noblesse, il voudrait en valoriser les principales étapes, provoquer un nouvel afflux de touristes et de randonneurs dans nos régions concernées, du Velay jusqu’aux Cévennes. Enfin, ce personnage, étonnant à plus d’un titre, souhaite tout simplement créer et ouvrir un grand musée Stevenson, qui pourrait avoir sa place soit au Puy-en-Velay, soit à Saint-Jean-du-Gard, soit à Alès, c’est-à-dire en un lieu à choisir, à l’une ou l’autre des extrémités du si célèbre itinéraire, emprunté chaque année par des milliers de marcheurs passionnés. Ce projet ne pourrait voir le jour qu’avec le soutien de toutes les autorités concernées, après la création d’une fondation et l’ouverture d’une souscription publique. Monsieur Robertson fourmille d’idées remarquables, mais ne possède malheureusement pas de fortune personnelle.

Nous avons appris que la famille Robertson, dont ce jeune intellectuel, âgé d’une trentaine d’années, est le dernier maillon, a toujours entretenu la mémoire de l’écrivain. Ainsi le père de notre visiteur, Clyde Robertson, né en 1961, malheureusement décédé, était professeur de littérature en Nouvelle-Zélande ; son grand-père, Malcolm Robertson, né en 1933, s’est retiré depuis longtemps à Édimbourg ; son arrière-grand-père, Ewan Robertson, né en 1907, est enterré à Vailima, tout comme Lewis Robertson, le propre fils naturel du romancier, qui était né en 1895. Monsieur Scott Robertson parle de cette lignée avec un respect qu’il a su nous communiquer. Lorsqu’on l’écoute exposer son projet culturel et touristique, on ne peut manquer d’être emporté par son enthousiasme et sa volonté de réussir, en enrichissant encore davantage, grâce à la mémoire de son illustre trisaïeul, ce tourisme culturel qui est un des grands atouts de notre midi montagnard.

Nous vous tiendrons informés de l’évolution de ce passionnant projet, au fur et à mesure de son avancée. »

 

***

 

Une semaine plus tôt. Au printemps, à Vailima, près de la ville d’Apia, île de Upolu, Archipel des Samoa, Océanie.

 

Scott Robertson prépare activement son départ pour l’Angleterre et la France. Il est décidé à beaucoup bouger, et il tient à rester en Europe pour y effectuer un assez long séjour. Mais en conservant toutefois une grande liberté de mouvement. Le mot d’ordre qu’il se répète, chaque fois qu’il veut déposer quoi que ce soit dans son sac de voyage, c’est donc toujours : travelling light ! Voyager léger. Le jeune homme prépare un bagage peu encombrant, contenant un exemplaire de « Voyage avec un âne à travers les Cévennes », un couteau multi-lames, un briquet, une lampe frontale à led ultralégère, des vêtements sobres et peu salissants, deux chemises, de bonnes chaussures de marche et un chapeau. Mais il est décidé à se déplacer, vêtu d’une veste longue, souple, en velours sombre, plutôt romantique, et d’un pantalon étroit et moulant. De loin, la silhouette fera penser à celle d’un jeune homme tout droit sorti d’un siècle passé. Pas si mal. En se regardant dans la glace, en pied, Robertson s’étonne lui-même et sourit malicieusement. Il se prendrait même bien en selfie.

— Effectivement, se dit-il à haute voix, le résultat est assez correct, c’est même à s’y méprendre. Le voilà bien réincarné, ce grand homme malade. Mais il faudrait, pour que le tableau soit parfait, que j’aie l’air un peu moins fringant, tout de même. Let’s go… Cévennes, j’arrive ! À nous deux ! Demain, c’est le départ pour l’Europe. En attendant, mon ami Duncan ne va pas tarder, comme c’est convenu avec lui. Il faut que je lui confie mes clés, et que je lui donne les consignes, pour mon petit logement, en mon absence. Il s’en était parfaitement tiré pendant mes trois ou quatre années d’université, en Angleterre. De toute façon, tout aura changé, à mon retour ici… si toutefois, je reviens. C’est très intéressant, ce moment de la vie. Il m’a d’abord fallu avoir cette bonne et riche idée, et maintenant, à moi de la faire fructifier. Et puis partir, sans savoir ce que l’on sera devenu, au retour. Quelle belle aventure, tout de même ! Merci beaucoup, grand-père Robert !

 

 

 

 

 

Chapitre 3

Sur place

 

 

 

Le lendemain de la parution de l’article de Sébastien Lavau à la une de « l’Éveil », Scott Robertson, qui, sur les conseils du patron du Terminus, avait pris une chambre pour une semaine à l’hôtel Deltour, reçoit dans la matinée une invitation personnelle de la Maire adjointe à la Culture de la ville, visiblement informée de l’endroit où l’on pouvait le trouver au Puy.

— Cela n’a pas traîné, se dit-il, ravi. Mon… ancêtre a toujours gardé la grosse cote, ici, visiblement. Mais c’est encore plus rapide que ce que je pouvais espérer de mieux. Cette rencontre avec le type du journal, hier soir, quel morceau de chance !

 

De son côté, Monsieur Ménestrier s’est fait un devoir d’appeler au téléphone le jeune étranger à son hôtel, peu avant midi, pour lui proposer de lui donner un coup de main, chaque fois qu’il aura besoin de rencontrer quelqu’un, ou de se rendre dans un endroit particulier.

— J’ai ma vielle Mini-Cooper, explique le retraité, je la mets volontiers à votre disposition. Elle n’est pas très confortable, mais elle passe partout. Je pourrai vous faire visiter le Puy et aussi Aiguilhe, et les environs, jusqu’au Monastier. Vous verrez, ici, c’est rempli de très beaux coins et de jolies choses à voir, vraiment. Des lieux d’histoire et de belles pierres. Cela avait même dû beaucoup plaire à votre arrière-grand-père, à l’époque, j’en suis certain.

— C’est très aimable, Monsieur Ménestrier, vraiment. Cela me touche. D’ailleurs, j’ai justement…

— Dites, Monsieur Robertson, vous avez vu le journal, ce matin ? coupe vivement l’ancien enseignant.

— Je l’ai eu sur ma table du petit-déjeuner, ce matin, cher Monsieur Ménestrier, répond Robertson d’une voix tranquille.

— Ah ! Très bien. Donc, vous avez lu, et vous savez déjà… Dites-moi, Monsieur Robertson, insiste le retraité, soudain un peu embarrassé.

— Quoi donc ? demande le jeune homme venu du Pacifique Sud.

— J’espère que vous ne m’en voulez pas trop pour tout ce tapage, hier au soir, au Terminus ?

— Moi ? Vous en vouloir !? s’exclame Robertson, mais au contraire, Monsieur Ménestrier. Évidemment, j’ai tout de suite compris que c’était vous qui aviez fait venir ce… Sébastien, votre ancien élève… au Terminus. N’est-ce pas ? Mais vous savez, pour être honnête, tout cela, ça m’arrange bien, et ça va beaucoup favoriser mon grand projet d’aider la région, la Culture et le tourisme, grâce au souvenir de mon trisaïeul, le grand romancier. Grâce à vous, cela ira peut-être beaucoup plus rapidement que ce que j’espérais… Ah ! Justement, Monsieur Ménestrier. Vous, vous savez certainement où et comment je pourrais retrouver Madame Legrand, la… comment dit-on… Maire adjointe… de la Culture ?

— Oh, mais certainement ! s’empresse de répondre Monsieur Ménestrier, ravi de pouvoir déjà rendre service à ce surprenant jeune homme. Ça, alors ! Vous savez déjà qui est cette dame !? Mais oui. C’est vrai. Bien sûr. On peut la trouver à l’Hôtel de Ville, place Martouret. Je pourrai même vous y amener, si vous le souhaitez…

— Ah ! Fantastique… ce serait pour cet après-midi, Monsieur Ménestrier, coupe l’étranger avec vivacité. À deux heures PM, ce serait possible ? Vous pourriez venir me chercher ici, à mon hôtel, un peu avant ? C’est tellement aimable… Je ne sais pas du tout comment faire pour y aller, ni pour trouver cette dame, vous savez. Et c’est que… vous comprenez… on m’a déjà fixé un rendez-vous avec elle.

 

Moins de vingt-quatre heures après son arrivée au Puy-en-Velay, cet étonnant jeune homme réussit un véritable coup de maître, bien aidé par son exceptionnelle ressemblance avec le romancer écossais, un précieux atout qui semble lui ouvrir toutes les portes, mais surtout porté par son exceptionnelle intelligence, son savoir-faire, si britannique, et sa volonté implacable de réussir dans son entreprise, alors qu’il se trouve si loin de ses bases océaniennes.

Conduit et accompagné à l’Hôtel-de-Ville par Monsieur Ménestrier, dont l’entregent subtil et bon enfant semble largement opérer, Scott Robertson est reçu, dans la salle des mariages, par le Maire de la ville en personne, qui a modifié son emploi du temps pour saluer ce surprenant visiteur. Le premier magistrat lui présente les trois personnes avec lesquelles il va pouvoir travailler, et à qui il aura à présenter son projet. Avant de laisser tout ce petit monde travailler, comme il le dit en souriant, le Maire du Puy-en-Velay tient à ce que le groupe soit photographié, par un employé de la municipalité. Il veut immortaliser cette rencontre, même si, dans l’esprit pragmatique de l’élu, il est clair qu’il ne s’agit bien entendu que d’un premier contact exploratoire, et par ailleurs, de l’image d’une sorte de réplique du grand écrivain écossais.

Sont alors solennellement présentés à Scott Robertson Monsieur Pierre Moulins, conseiller du Président de l’agglomération, chargé de l’Attractivité, du Tourisme et des grands évènements, puis Madame Legrand, elle-même Maire-adjointe chargée des Activités culturelles et de la Vie associative, puis Monsieur Pons, conseiller municipal chargé de la Culture. Monsieur Ménestrier propose avec délicatesse de se retirer, mais le Maire et la Maire adjointe l’invitent à rester, et à participer à cette réunion qu’ils jugent capitale, afin que Monsieur Robertson puisse ensuite faire un point avec lui, si toutefois restaient certains détails, peu ou mal compris. Et la porte de la salle de mariages se referme, tandis que Monsieur le Maire, satisfait par cette visite tout à fait imprévue dans sa ville, retourne à se préoccupations en se frottant les mains.

 

Pour nous qui connaissons, tout au moins imaginons assez bien le contenu des propositions que Monsieur Scott Robertson va habilement exposer devant ses interlocuteurs politiques, nous pouvons nous retirer.

En définitive, cette rencontre avec les élus du Puy-en-Velay va s’avérer décisive. En effet, Madame Legrand est sensible à l’étrange charme de ce sosie du romantique écrivain écossais. Et elle a parfaitement saisi l’importance de valoriser auprès du grand public le renom de sa commune, comme tête de pont du tourisme et de la grande randonnée, à travers l’image si connue du Chemin de Stevenson. La ressemblance fantastique de son visiteur, son pouvoir de séduction, son accent charmant, sa façon à la fois si douce et si persuasive de se présenter, et d’exposer clairement son projet, achèvent de conquérir les trois élus, qui sentent tout ce que celui-ci peut apporter ici, au chef-lieu de la Haute-Loire, avant même que cela puisse profiter, ultérieurement, aux différentes communes traversées par le GR-70.

Très conscient de l’impact de ses différentes demandes, Scott Robertson, visiblement bien préparé mentalement et techniquement, mais sans l’avoir demandé expressément, réussira à obtenir l’assurance d’être soutenu, dès aujourd’hui, sur six grands points : l’attribution d’un bureau équipé, avec une secrétaire ; l’obtention d’une subvention exceptionnelle de fonctionnement ; un appui bancaire, juridique et fiscal pour explorer le montage de sa fondation ; la liste exacte des différentes communes traversées par le Chemin de Stevenson, comportant les coordonnées précises de chacun des Maires ; une recommandation particulière du Maire du Puy-en-Velay pour rencontrer la direction des musées, dans le Gard, et aussi le Maire de Saint-Jean-du-Gard ; et enfin, pour lui-même, à titre d’invité exceptionnel, un hébergement dans un confortable local municipal, valable dès ce soir, et pour une durée indéterminée, aux frais de la ville du Puy-en-Velay. La Maire adjointe se fait fort d’obtenir l’accord de l’opposition municipale, qu’elle sait pragmatique et ouverte, sur toutes ces décisions, sans pour autant attendre la prochaine réunion du conseil municipal. Celai retarderait toute la mise en œuvre d’un projet, qui, à l’évidence, doit pouvoir démarrer impérativement, dès le mois de juillet. Quelle magnifique victoire, tellement prometteuse, pour le jeune homme venu des Samoa ! C’est en tout cas ce que souligne Monsieur Ménestrier avant de raccompagner Robertson à son hôtel, dans sa Mini-Cooper. En fin d’après-midi, une voiture de la Ville vient spécialement chercher le jeune étranger à l’hôtel Deltour, afin de le conduire à son lieu de résidence, promis par Madame Legrand pour le jour même.

 

En moins de vingt-quatre heures, dans ce pays étranger où il n’avait jamais posé les pieds auparavant, et dont il ne maîtrise pas encore les subtilités de la langue, Scott Robertson vient de réussir une percée dont il peut se féliciter. Honnêtement, cela doit même dépasser de loin ses plus folles espérances. Mais comme lui avait dit son père, la veille de son départ des Samoa, il y a une quinzaine d’années, lorsqu’il était parti de là-bas pour Londres et Cambridge, y étudier la littérature anglaise et la langue française, avec sa petite bourse d’État samoane : « souvent, mon fils, pour réussir dans la vie, rappelle-toi qu’il suffit souvent de faire les bonnes rencontres. »

 

 

 

 

 

Chapitre 4

Premiers pas vers les Cévennes

 

 

 

L’étape suivante sera plus délicate et plus complexe à mener à bien, car elle va se dérouler sur une assez longue période. Or, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Et s’y mettre tout de suite.

Projetant de reprendre fidèlement le trajet accompli par son ancêtre, Scott Robertson a décidé de refaire, au cours de ce même été, dans des conditions qu’il souhaite aussi conformes que possible à ce qu’elles étaient il y a environ cent quarante ans, le parcours du fameux voyage avec un âne. En pratique, pour être tout à fait fidèle à ce vœu très louable, il va donc lui falloir progresser, jour après jour, à pied, son téléphone portable éteint, placé au fond de son sac à dos, tenant le livre de Robert-Louis Stevenson dans la main gauche, et la bride d’une ânesse dans la droite. Ou l’inverse, selon ce que décidera sa compagne à quatre pattes. Dans ces conditions, Scott Robertson estime avoir une petite chance d’être considéré comme quelqu’un de crédible. La randonnée effectuée au XIXe siècle va donc servir de référence. À cette différence près que, compte tenu du très fort retentissement que cet évènement risque de générer, au moins trente reporters de la presse écrite, journalistes, photographes, cameramen et preneurs de son de la radio et de la télévision devraient à coup sûr le suivre, à distance, pas à pas, sans manquer le moindre de ses gestes ni la plus infime de ses paroles. Sans compter les dizaines, les centaines, peut-être les milliers de randonneurs de France et d’ailleurs, qui vont, sans aucun doute vouloir absolument participer physiquement à ce projet.

 

On pourrait nous demander comment nous pouvons prévoir tout cela de cette manière, avec autant d’optimisme, et même de certitude. Non ?

Tout simplement parce que la renommée de l’itinéraire parcouru en automne 1878 par Stevenson en solitaire, et celle du récit écrit qui s’en est suivi, la notoriété formidable de ce fameux GR-70, qui dispute au Tour du Mont-Blanc et au GR-20 corse le titre de plus beau et de plus célèbre itinéraire de randonnée pédestre en France, ne sont plus à faire. Par ailleurs, ce parcours, couramment appelé par les fervents pratiquants de la randonnée « Chemin de Stevenson », a ses adeptes, ses passionnés, ses inconditionnels, ses fanatiques, même. Et tout ce qui s’y passe et tout ce que l’on en dit les attirent et les concernent.

 

Mais avant de songer à aller marcher sur les chemins, avec son âne, le jeune homme n’a-t-il pas devant lui quelques étapes essentielles à franchir et quelques beaux défis à relever ?

 

 

Plus de quarante-huit heures après son arrivée en France, Scott Robertson n’a toujours pas souhaité se donner un seul moment pour récupérer de son long voyage depuis Apia, aux îles Samoa. Il se trouve déjà en gare du Puy-en-Velay, assis dans le train de 8 h 46, pour se rendre dans le département du Gard. Le voyage en chemin de fer va durer près de quatre heures et demie, et les paysages traversés seront de toute beauté, si l’on en croit les promesses de Jean Ménestrier, qui est venu avec lui pour l’accompagner, à la demande insistante du jeune homme. Rouquin, le chat roux de l’ancien instituteur, dûment nourri et abreuvé, gardera l’appartement de son vieux maître, au Puy.

— Ce trajet, jusqu’à Saint-Étienne et Lyon, voilà qui est très différent des paysages des îles Samoa, n’est-ce pas ? Mais c’est joli aussi, n’est-ce pas, M. Robertson ? demande avec un clin d’œil paternel le maître d’école retraité, dans le Train Express régional.

 

Mais bientôt, l’ancien enseignant ne sait plus trop que dire. Il commence même à se sentir un peu gêné par le silence observé par l’étranger, qui regarde obstinément par la fenêtre, sans dire un mot, depuis le départ du Puy-en-Velay. Le jeune homme garde sans cesse entre ses lèvres une cigarette, qu’il ne peut pas allumer. Il se laisse même guider passivement, sans mot dire, lors des changements de train, au gré des correspondances, à Saint-Étienne-Châteaucreux, et à Lyon-Pardieu.

Après tout, n’est-ce pas un peu étrange, cette attitude ? C’est pourtant le jeune homme lui-même, qui, hier soir, avait supplié Ménestrier de l’accompagner pour effectuer ces deux importantes visites, à Nîmes et à Saint-Jean-du-Gard.

— Bien sûr, le Maire du Puy-en-Velay et son adjointe à la Culture m’ont assuré que je serai très bien accueilli et favorablement écouté, là-bas, avait expliqué Robertson au vieil enseignant, la veille au soir. Mais pour moi, cela devient de plus en plus une plongée dans l’inconnu, et je me sentirai plus fort et plus tranquille, pour présenter mon projet, si vous venez avec moi, professeur… Mais nous ne prendrons pas votre vieille Mini-Cooper, je vous rassure, Monsieur Ménestrier, je vous offre le trajet aller et retour en train, bien entendu. Qu’en pensez-vous ? Oh, pardon, Monsieur, je ne vous ai pas demandé si votre absence ne risque pas de contrarier votre femme…

— Ma femme, la pauvre… non, M. Robertson, avait répondu Ménestrier d’une voix tranquille, cela ne risque plus de la gêner. Elle nous a quittés, ma fille et moi, il y a dix ans. N’ayez crainte…

— Oh, je suis désolé. Vraiment, ce…

— Non, non, non ! Vous ne pouviez pas deviner, M. Robertson. Je suis ce que l’on appelle un veuf, à la retraite, avec un chat pour seule compagnie, et je suis pourtant encore très occupé. Voilà tout.

 

Et l’ancien maître d’école n’a pas vu de raison de refuser. Il était même ému de se sentir indispensable, curieux et même désireux de voir se réaliser un tel projet, qui a pour but ultime de faire revivre la mémoire d’un écrivain qu’il adore toujours aujourd’hui, comme ce fut le cas depuis sa jeunesse.

 

Et puis maintenant, curieusement, c’est le silence. Scott Robertson, plongé dans ses pensées, ne semble plus se souvenir qu’il avait lui-même embarqué Jean Ménestrier dans sa démarche.

 

Et c’est ainsi que va se dérouler presque tout ce long trajet, de l’Auvergne du Velay jusqu’à l’approche de Nîmes. En silence. Le plus étonnant pour Jean Ménestrier est de se sentir lui-même si gêné, à présent, si embarrassé. Le retraité se sent dans ses petits souliers, comme disait sa mère, de son vivant, tandis que le malaise ambiant le saisit à nouveau. En effet, plus d’un voyageur de ce TGV a reconnu la figure de Stevenson, son accoutrement et son allure surprenante, son regard, sa coiffure et ses moustaches, si caractéristiques, et en définitive, c’est la présence, à ses côtés, de ce vieil homme un peu corpulent, mal à l’aise, vêtu d’un blouson et d’un jean, le cheveu blanc un peu hirsute, qui paraît presque surprenante, et même incongrue. Jean Ménestrier ne sait plus où se mettre, entre le sosie du romancier écossais et les regards insistants des autres voyageurs.

Alors il se lève, se dirige vers le tambour du train. Il s’adosse à côté de la porte de sortie et il se met à consulter son téléphone portable. Un message de sa fille, Florence, qu’il avait prévenue, tôt ce matin, la tenant informée de cette étrange expédition, lui pose quelques questions incisives, mais certainement bienveillantes.

 

« Coucou, mon Papa. Tu ne peux pas t’arrêter un peu, et te reposer, comme n’importe quel retraité un peu conscient, dis ? Qu’est-ce que c’est que ce type, qui vous tombe du ciel sans prévenir, avec un projet aussi abracadabrant ? Et qu’est-ce que tu vas aller fabriquer dans le Gard !? Lève le pied, Papa. Prends bien soin de toi. Bise. Flo. »

 

Le tout accompagné des émoticônes habituelles, porteuses d’affection. Jean Ménestrier soupire.

— Les enfants, même adultes, ne comprennent pas toujours leurs parents, c’est évident, se dit Jean Ménestrier. Il faudra lui expliquer tout cela en détail. Car Flo, c’est la réplique exacte de sa pauvre mère, partie bien trop tôt. Quand je pense qu’elle l’a copiée jusqu’à devenir elle aussi prof d’anglais, comme sa Maman… Mais heureusement, le courant passe très bien entre elle et moi. Et puis, si l’affaire Stevenson finit par s’ébruiter, comme en est persuadé le Maire du Puy-en-Velay, ce sera même inutile, car Florence est intelligente. Elle comprendra aussitôt que son père est immergé dans un tourbillon d’actualité historique et culturelle. Donc, tout ira pour le mieux. Soyons positifs et confiants !

 

Remis d’aplomb, Jean Ménestrier décide de retourner s’asseoir, et de parler.

— Nous venons de quitter la gare d’Avignon, dit-il d’une voix chaleureuse à son voisin, en se rasseyant sur la banquette, nous allons bientôt arriver à Nîmes, Monsieur Robertson…

— Je vous en prie, appelez-moi Scott, dit alors l’étranger avec un grand sourire, comme si soudain un rideau de silence et d’indifférence s’était soudain ouvert. Pardonnez-moi… Je me rends compte que j’ai été assez… comment dire… unfair… incorrect avec vous, Monsieur Ménestrier, depuis le départ, ce matin. Mais j’étais pris dans une grosse… préoccupation… Je vous explique. En fait, to be honest, je suis en train de me demander si toute cette histoire n’est pas une folie. Je me pose des questions. Je doute…

 

Et alors, au lieu de s’engager lui aussi sur la voie de la raison et du renoncement, comme le ferait n’importe quel retraité un peu raisonnable, au lieu d’aider son compagnon de voyage à rebrousser chemin, comme lui-même l’aurait fait dans n’importe quelle autre circonstance, Jean Ménestrier se surprend lui-même à plaider en faveur du projet initial, conçu par le sosie de Stevenson. Il veut même tout faire pour le conforter et le rassurer.

— Écoutez-moi bien, Scott, commence le vieux maître d’école d’une voix ferme, en plongeant les yeux dans le regard sombre de son vis-à-vis. Maintenant, il est trop tard pour renoncer. Après tout, vous avez bien réussi le plus difficile, c’est-à-dire convaincre les gens du Puy-en-Velay, n’est-ce pas ?

— Mmmh ! murmure Robertson, les yeux baissés.

— Oui, Scott ! Vous les avez convaincus, dit fermement Ménestrier, et vous les avez même enthousiasmés. Cependant, ils n’étaient pas des plaisantins, oh non ! Ce sont des politiques de terrain, des gens conscients et responsables, et s’ils vous suivent, c’est que vous le méritez. Tout simplement. Pourquoi baisser les bras, alors que tout avance très vite, dans votre sens ? Elle est si belle, votre idée de faire revivre le souvenir de Stevenson, de valoriser vos propres racines, et de rendre ainsi hommage à votre prestigieux ancêtre. Vous êtes tout de même le mieux placé pour entreprendre et pour réussir tout ça, non ? Et puis, de là où il est, il serait fier de vous, votre trisaïeul, vous comprenez cela, Scott ?

 

Mais lorsque les deux hommes posent le pied sur le quai de la gare de Nîmes, une méchante surprise, une véritable douche froide vient les cueillir en plein élan de ce nouvel enthousiasme, patiemment reconstruit. En effet, le téléphone portable de Jean Ménestrier sonne dans la poche de son blouson. Le numéro qui s’affiche lui est inconnu, il presse la touche et active le haut-parleur pour que Scott Robertson puisse entendre.

— Bonjour Monsieur, dit une belle voix féminine, assez autoritaire, je vous appelle sur ce numéro car c’est le seul dont je dispose. Il nous a été communiqué par la mairie du Puy-en-Velay.

— Bonjour Madame, répond courtoisement l’ancien enseignant, qui sent un picotement désagréable, à hauteur de son cou.

— Voilà. Je me présente, je suis la secrétaire de la Cheffe des Services des musées de Nîmes… n’est-ce pas. Le rendez-vous qui vous avait été accordé, pour un certain Monsieur Robertson, à la demande expresse de Monsieur le Maire du Puy-en-Velay, a été annulé ce matin. Je suis vraiment navrée.

 

L’explication est simple mais passablement décourageante. Madame la Cheffe du service des musées ne s’occupe que des établissements situés à Nîmes, et elle n’a pas autorité pour examiner un projet de création de musée concernant une autre commune. Ce rendez-vous n’aurait jamais dû être organisé.

— Il faut donc, poursuit la voix, vous adresser directement à la mairie de Saint-Jean-du-Gard, puisque c’est le lieu d’implantation prévu dans le projet initial, semble-t-il, et puis… n’oubliez pas de prendre attache avec l’agglomération d’Alès, car Saint-Jean-du-Gard lui est rattaché. Voilà, j’espère que je ne vous avertis pas trop tard. Nous sommes désolées. Bonne journée !

 

Tout en replaçant son téléphone dans la poche de son blouson, Jean Ménestrier voit bien que Scott Robertson a reçu cette dernière nouvelle comme un méchant coup au foie.

— Je n’ai pas tout compris ce qu’a dit cette dame, dit-il, très abattu. Agglomération, qu’est-ce que c’est, Monsieur ? Nous devons prendre attache avec Alès, qu’est-ce que cela signifie ?

— Prendre attache, cela veut dire contacter, rencontrer, discuter, négocier. Et l’Agglomération, c’est un ensemble de villes et de villages, regroupés dans une même gestion administrative.

— O.K., Monsieur Ménestrier. Donc, il faudrait tout d’abord nous rendre d’ici à Alès, et là-bas, négocier – ou prendre attache – avec l’Agglomération. J’ai bien compris ? My God ! Pour aller à jusqu’à Alès, est-ce que c’est loin ? C’est facile de s’y rendre ? Il y a des trains ? Décidément, heureusement que vous êtes avec moi !

 

En définitive, c’est maintenant Jean Ménestrier qui prend l’ascendant, et c’est lui qui est obligé d’assurer le commandement de la petite expédition en terre cévenole. Le vieux maître d’école estime, pour sa part, que comme le rendez-vous a été pris avec la mairie de la petite ville de Saint-Jean-du-Gard, et non avec l’Agglomération d’Alès, c’est donc d’abord là-bas, dans la vallée du Gardon, qu’il faut se rendre en priorité.

Une heure et demie plus tard, l’autocar dépose les deux hommes à Anduze. Le chauffeur leur indique comment se rendre à Saint-Jean-du-Gard, un village niché dans la vallée du Gardon. Le mieux reste probablement le taxi. Pourtant, cet homme, très fier de la beauté des paysages cévenols, leur recommande de tenter le trajet par le Train à vapeur, qui relie les deux petites cités, grâce à une ancienne voie de chemin de fer, parfaitement restaurée.

— Vous verrez vous-même, les wagons, précise-t-il, sont pris d’assaut, comme à chaque belle saison, par des grappes de joyeux touristes venus de tous pays. Mais vous arriverez à destination assez rapidement. Et puis, le trajet, le coup d’œil, c’est exceptionnel.

 

Va pour le train à vapeur. Alors, malgré la tension de l’enjeu et l’importance du rendez-vous difficile qui les attend, Ménestrier et Robertson ne peuvent manquer de laisser leurs regards plonger vers les perspectives verdoyantes, vers les paysages changeants et lumineux où toutes les nuances de vert se superposent à l’infini. Les Cévennes offrent leur plus beau visage, avec ces sommets débonnaires, couverts de feuillages, piqués de toits roses, ici et là, montrant à quel point l’homme a toujours su peupler cette montagne, sûre et accueillante, à toutes les altitudes et dans chaque repli de vallée. Le halètement de la locomotive à vapeur, l’odeur de la fumée de charbon semblent presque intemporels. Un troupeau de brebis, indifférentes au fracas familier du train, attend patiemment à un petit passage à niveau, serré derrière son berger et les trois chiens qui l’accompagnent dans son travail.

 

Arrivés à destination, les deux hommes descendent sur le quai, au milieu de la joyeuse cohue. Certains de ces touristes dévisagent Robertson sans la moindre gêne, semblant rechercher dans leur mémoire dans quelle émission de télévision ils avaient déjà pu voir cet étonnant personnage, hors du temps. Puis Jean Ménestrier et Scott Robertson, suivant cette plaisante migration, sortent de la gare et se dirigent vers le centre du village, au long d’une avenue bordée d’arbres. Ils prennent le temps de manger en tête à tête dans un restaurant, assez convivial, de cette petite cité de Saint-Jean-du-Gard, qu’ils découvrent tous les deux avec un plaisir visible. On leur sert une croustillante saucisse d’Anduze aux girolles, accompagnées de lentilles cuites dans de la graisse de canard, suivie d’une extraordinaire salade aux gratons de porc servie avec des pélardons, ces petits fromages de chèvre typiquement cévenols, demi-secs, délicieusement odorants, le tout arrosé de vin de Tornac. Après le gâteau aux châtaignes, Jean Ménestrier règle lui-même l’addition, et il voit bien que le département du Gard vient soudain de reprendre de belles couleurs, aux yeux de Scott Robertson, encore chagriné par la déception cuisante ressentie à Nîmes.

En sortant du restaurant, debout au milieu de la rue déserte à cette heure où tout le monde est encore à table, l’ancien maître d’école, voyant que le jeune étranger a retrouvé un état d’esprit positif et entreprenant, le regarde dans les yeux.