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Assailli dans une pièce entièrement close par quelque chose ou quelqu'un, un éminent égyptologue est plongé dans un étrange état cataleptique. Puis, peu après, au même endroit, certains objets précieux disparaissent pendant que d'autres reviennent dans de troublantes et inexplicables conditions. Et, tandis que le mystère grandit, d'autres malédictions resurgissent, dont une sous la forme d'une main momifiée. Une main pourvue de sept doigts. Une main où scintillent d'extraordinaires joyaux, semblables à des étoiles... L'auteur de «Dracula» ne traite pas ici de vampirisme, mais l'horreur atteint, dans ce superbe roman, des sommets - ou plutôt des gouffres - d'angoisse inattendus.
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Seitenzahl: 366
Veröffentlichungsjahr: 2021
Bram Stoker
Tout cela paraissait si réel que j'avais peine à imaginer que cela se soit produit antérieurement ; et cependant, chaque épisode survenait, non pas comme une étape nouvelle dans l'enchaînement logique des faits, mais comme une chose à laquelle on s'attend. C'est de cette façon que la mémoire joue ses tours pour le bien ou pour le mal ; pour le plaisir ou pour la douleur ; pour le bonheur ou pour le malheur. C'est ainsi que la vie est un mélange de douceur et d'amertume et que ce qui a été devient éternel.
De nouveau, le léger esquif, cessant de fendre les eaux tranquilles comme lorsque les avirons brillaient et ruisselaient d'eau, quitta le violent soleil de juillet pour glisser dans l'ombre fraîche des grandes branches de saules qui retombaient – j'étais debout dans le bateau qui oscillait, elle était assise immobile et, de ses doigts agiles, elle écartait les branches égarées, se protégeait des libertés que prenaient les rameaux sur notre passage. De nouveau, l'eau paraissait être d'un brun doré sous le dôme de verdure translucide, et la rive était recouverte d'une herbe couleur d'émeraude. De nouveau, nous étions là dans l'ombre fraîche, avec les mille bruits de la nature se produisant à l'intérieur et à l'extérieur de notre retraite, se fondant dans ce murmure somnolent qui fait oublier les ennuis bouleversants et les joies non moins bouleversantes du monde immense. De nouveau, dans cette solitude bénie, la jeune fille oubliant les conventions de son éducation première rigoriste, me parla avec naturel et sur un ton rêveur de la solitude qui assombrissait sa nouvelle existence. Elle me fit ressentir, avec une grande tristesse, comment dans cette vaste maison chaque personne se trouvait isolée du fait de la magnificence de son père et de la sienne ; car, en ces lieux, disait-elle, la confiance n'avait pas d'autel, la sympathie pas de sanctuaire. Le visage de son père paraissait aussi lointain que semblait à présent lointaine la vie du vieux pays. Une fois de plus, la sagesse d'homme et l'expérience recueillie par moi au long des années étaient mises aux pieds de la jeune fille. Apparemment d'elles-mêmes, car moi, en tant qu'individu je n'avais pas voix au chapitre, je devais simplement obéir à des ordres impératifs. Et, une fois de plus, les secondes recommencèrent à s'enfuir en se multipliant indéfiniment. Car c'est dans les arcanes des rêves que les existences se fondent et se renouvellent, changent tout en restant semblables à elles-mêmes, comme l'âme d'un musicien dans une fugue. Et ainsi les souvenirs s'évanouissent, sans cesse, dans le sommeil.
Immédiatement les portes du Sommeil s'ouvrirent toutes grandes, et tandis que je m'éveillais, mes oreilles saisirent la cause de ces bruits qui m'avaient dérangé. La vie à l'état de veille est assez prosaïque – il y avait quelqu'un qui frappait et qui sonnait à une porte d'entrée. Il était évident que ces coups frappés et cette sonnerie se situaient à la porte de notre maison ; et il était également sûr qu'il n'y avait personne d'éveillé pour répondre à cet appel. J'enfilai ma robe de chambre et mes pantoufles et descendis jusqu'à la porte d'entrée. Quand je l'ouvris, je trouvai là un groom pimpant qui d'une main pressait avec impassibilité le bouton de la sonnette tandis que de l'autre il faisait fonctionner sans relâche le marteau de la porte. Dès qu'il me vit, le bruit cessa ; il porta instinctivement une main au bord de son chapeau, et de l'autre, extraya[1] une lettre de sa poche. Un élégant brougham stationnait devant ma porte, les chevaux paraissaient essoufflés, comme s'ils étaient venus très vite. Un policeman, dont la lanterne de nuit, accrochée à son ceinturon, était encore allumée, avait été attiré par le bruit et restait dans les environs.
– Je vous demande pardon, monsieur, je suis désolé de vous déranger, mais j'ai reçu des ordres formels. Je ne devais pas perdre un instant, il fallait que je frappe et que je sonne jusqu'à ce qu'on vienne. Puis-je vous demander, monsieur, si Mr. Malcolm Ross demeure ici ?
– Je suis Mr. Malcolm Ross.
– Alors, cette lettre est pour vous, monsieur, et cette voiture est aussi pour vous !
Je pris, avec une vive curiosité, la lettre qu'il me tendait. Je rentrai dans le vestibule, en tirant la porte, mais en la laissant entrebâillée. Puis, je donnai de la lumière électrique. La lettre était d'une écriture inconnue, mais féminine. Elle commençait en ces termes, sans préambule du genre « cher monsieur »
Vous m'avez dit que vous me viendriez volontiers en aide en cas de besoin ; et je suis persuadée que vous étiez sincère. L'occasion se présente plus tôt que je ne m'y attendais. Je suis plongée dans d'affreux ennuis, je ne sais de quel côté me tourner, à qui m'adresser. On a, je le crains, essayé de tuer mon père ; cependant, Dieu merci, il est toujours vivant. Mais il est complètement inconscient. On a fait venir des médecins et la police ; mais il n'y a personne en qui je puisse avoir confiance. Venez immédiatement, si cela vous est possible ; et pardonnez-moi si vous le pouvez. Je suppose que je me rendrai compte plus tard de ce que j'ai fait en vous demandant pareil service ; mais pour l'instant, je ne peux penser à rien. Venez ! Venez tout de suite !
Margaret TRELAWNY.
À mesure que je lisais cette lettre, le chagrin et l'exultation étaient entrés en conflit dans mon esprit. Mais ma pensée dominante était celle-ci : elle était dans les ennuis et elle m'avait appelé – moi ! Ce n'était donc pas sans raison que j'avais rêvé d'elle. J'appelai le groom :
– Attendez-moi. Je suis à vous dans un instant. Puis je me précipitai dans l'escalier.
Il me fallut à peine quelques minutes pour faire ma toilette et m'habiller ; et bientôt, nous allions par les rues aussi vite que les chevaux pouvaient nous emmener. C'était un matin de marché, et quand nous sortîmes sur Piccadilly, il y avait un flot ininterrompu de charrettes venant de l'ouest ; mais sur le reste du parcours la route était libre, et nous avons été promptement. J'avais dit au groom de venir avec moi à l'intérieur du coupé pour qu'il puisse, pendant le parcours, me mettre au courant de ce qui s'était passé. Il était assis assez gauchement, son chapeau sur les genoux, et il me raconta.
– Miss Trelawny, a envoyé un domestique pour nous dire de sortir immédiatement une voiture. Quand nous avons été prêts elle est venue elle-même, elle m'a donné la lettre et elle a dit à Morgan – le cocher – d'aller aussi vite que possible. Elle a dit, monsieur, que je ne devais pas perdre une seconde, et qu'il me fallait frapper sans interruption jusqu'à ce qu'on vienne.
– Oui, je sais, je sais… vous me l'avez déjà dit ! Ce que je voudrais savoir, c'est la raison pour laquelle elle me fait demander ? Qu'est-il arrivé dans la maison ?
– Je ne sais pas très bien moi-même, monsieur ; sauf que notre maître a été trouvé sans connaissance dans sa chambre, avec ses draps couverts de sang. Jusqu'ici on n'a pas encore pu le réveiller. C'est Miss Trelawny qui l'a trouvé.
– Comment se fait-il qu'elle l'ait découvert à une pareille heure ? C'était au milieu de la nuit, je suppose ?
– Je ne sais pas, monsieur. Je n'ai absolument pas entendu parler des détails.
Nous roulions rapidement sur Knightsbridge ; le bruit discret que faisait ce véhicule bien entretenu troublait à peine la quiétude de l'air matinal. Nous remontâmes Kensington Palace Road et nous nous arrêtâmes bientôt devant une grande maison située entre le côté gauche, plus près, d'après ce que je pus en juger, de l'extrémité de l'avenue correspondant à Notting Hill que de celle qui correspond à Kensington. C'était une maison vraiment belle, non seulement par ses dimensions, mais encore par son architecture. Elle paraissait très vaste, même à la lumière grisâtre du petit matin, qui a tendance à diminuer la taille des choses.
Miss Trelawny m'accueillit dans le hall. Elle n'était pas le moins du monde timide. Elle paraissait tout diriger autour d'elle avec une sorte d'autorité due à sa grande naissance, d'autant plus remarquable qu'elle était très énervée et pâle comme la neige. Dans le grand vestibule se trouvaient plusieurs domestiques, les hommes groupés près de la porte, les femmes se rassemblant dans les coins éloignés et les embrasures des portes. Un officier de police était en train de parler à Miss Trelawny ; deux hommes en uniforme et un autre en civil se tenaient près de lui. Quand elle me prit la main dans un mouvement plein de spontanéité, ses yeux eurent un regard exprimant le soulagement et elle poussa un léger soupir tout aussi tranquille. Elle m'accueillit par une phrase simple :
– Je savais que vous viendriez !
Elle se retourna pour dire au policier :
– Vous connaissez Mr. Malcolm Ross ?
– Je connais Mr. Malcolm Ross, répondit l'officier de police en saluant. Il se rappellera peut-être que j'ai eu l'honneur de travailler avec lui dans l'affaire de Brixton Coining.
Je ne l'avais pas reconnu tout d'abord, car toute mon attention était accaparée par Miss Trelawny.
– Bien sûr, commissaire Dolan, je me rappelle très bien ! dis-je. Et nous nous serrâmes la main. Je ne pus pas ne pas noter que le fait que nous nous connussions semblait causer un soulagement à Miss Trelawny. Il y avait dans son comportement un vague malaise qui retint mon attention. Je sentis instinctivement que ce serait moins embarrassant pour elle de me parler en tête-à-tête. Si bien que je dis au commissaire :
– Il sera peut-être préférable que Miss Trelawny me voie seul pendant quelques minutes. Vous avez, naturellement, déjà entendu tout ce qu'elle sait ; et je comprendrai mieux la situation si je puis poser quelques questions. Je reverrai ensuite toute la situation avec vous, si vous le permettez.
– Je serai heureux de vous apporter tout le concours dont je serai capable, monsieur, répondit-il avec chaleur.
Je suivis Miss Trelawny, entrai dans une pièce coquettement meublée qui donnait sur le vestibule et avait vue sur le jardin situé derrière la maison. Quand nous fûmes entrés et quand j'eus refermé la porte, elle dit :
– Je vous remercierai plus tard de la bonté que vous m'avez témoignée en venant m'assister dans mes ennuis ; mais dès à présent, vous pourrez mieux me venir en aide quand vous connaîtrez les faits.
– Allez-y, lui dis-je. Dites-moi tout ce que vous savez et ne me faites grâce d'aucun détail, si insignifiant qu'il puisse vous paraître en ce moment.
Elle continua immédiatement :
– J'ai été réveillée par un bruit ; je ne savais pas ce que c'était. Je savais seulement que je l'entendais dans mon sommeil ; car immédiatement après je me trouvai réveillée, le cœur battant la chamade, et je tendais anxieusement l'oreille à un bruit qui venait de la chambre de mon père. Ma chambre est contiguë de la sienne et je peux souvent l'entendre bouger avant de m'endormir. Il travaille tard, quelquefois même extrêmement tard ; si bien que lorsque je m'éveille de bonne heure, comme cela m'arrive de temps en temps, ou bien dans la grisaille de l'aube, je l'entends encore bouger. J'ai essayé une fois de lui faire des remontrances pour rester éveillé si tard, car cela ne peut pas être bon pour lui ; mais je n'ai jamais renouvelé cette tentative. Vous savez à quel point il peut être froid et dur – du moins vous vous rappelez peut-être ce que je vous en ai dit ; et quand il reste calme dans ces moments-là, il peut être terrifiant. Quand il est en colère je le supporte beaucoup mieux ; mais quand il parle avec lenteur et sang-froid, quand les coins de sa bouche se soulèvent pour laisser apparaître des dents pointues, il me semble que… eh bien ! je ne sais pas moi ! La nuit dernière, je me suis levée sans bruit et je me suis approchée de la porte, car j'avais réellement peur de le déranger. Je n'entendais rien bouger, aucun cri ; mais seulement le bruit que ferait quelque chose qu'on traîne et une respiration lente et difficile. Oh ! c'était terrible d'attendre là dans l'obscurité et le silence, en craignant… en craignant je ne savais quoi !
» J'ai fini par prendre mon courage à deux mains, j'ai tourné le bouton de la porte aussi doucement que j'ai pu, j'ai à peine entrouvert. À l'intérieur il faisait tout à fait noir. Je pouvais seulement voir le contour des fenêtres. Mais dans cette obscurité, le bruit de respiration devenait plus net, c'était épouvantable. J'écoutais, et cela continuait ; mais il n'y avait aucun autre bruit. J'ouvris immédiatement la porte toute grande. J'avais peur de l'ouvrir lentement ; j'avais l'impression qu'il y avait derrière une chose terrible qui allait bondir sur moi ! Alors j'ai tourné le bouton de l'électricité et j'ai pénétré dans la chambre. J'ai d'abord regardé le lit. Les draps étaient tout froissés, et j'ai su ainsi que mon père s'était couché ; mais au milieu du lit, il y avait une grande tache rouge sombre qui s'étendait jusqu'au bord, et à cette vue mon cœur a cessé de battre. Tandis que je regardais, j'ai entendu le bruit de respiration qui venait de l'autre côté de la chambre et mes yeux s'y sont portés. Mon père était couché sur le flanc droit avec l'autre bras sous lui, comme si son corps inerte avait été traîné jusque-là et abandonné. Les traces de sang traversaient toute la pièce jusqu'au lit. Il y avait autour de lui une mare de sang qui paraissait terriblement rouge et brillante lorsque je me suis penchée pour l'examiner. L'endroit où il était étendu se trouvait exactement devant le grand coffre-fort. Il était en pyjama. La manche gauche était relevée, laissant apparaître son bras nu, qui était tendu dans la direction du coffre. Ce bras avait un aspect… oh ! terrible, il était tout taché de sang, et la peau était arrachée ou coupée tout autour d'une chaîne d'or qu'il porte en bracelet autour du poignet. Je ne savais pas qu'il portait ce bijou et la surprise m'a causé un nouveau choc.
Elle s'arrêta un instant et reprit d'une voix plus calme :
– Je n'ai pas perdu un instant, j'ai appelé à l'aide, car je craignais qu'il ne perde tout son sang. J'ai sonné, puis je suis sortie et j'ai demandé du secours aussi fort que j'ai pu. Au bout de très peu de temps à coup sûr – bien que cela m'ait paru incroyablement long –, quelques premiers domestiques sont accourus, puis d'autres, jusqu'au moment où la chambre s'est trouvée pleine de gens dépeignés, en vêtements de nuit, qui regardaient de leurs yeux écarquillés.
» Nous avons étendu mon père sur un sofa ; et la femme de charge, Mrs. Grant, qui, de nous tous, était celle qui avait gardé le mieux ses esprits, s'est mise à regarder d'où venait tout ce sang. En quelques secondes, il est apparu que c'était du bras que nous avions trouvé nu. Il portait une blessure profonde – non pas une coupure nette comme aurait pu faire un couteau, mais une déchirure irrégulière – tout près du poignet, qui semblait avoir atteint la veine. Mrs. Grant a noué un mouchoir autour de la blessure et l'a serré au moyen d'un coupe-papier en argent. L'hémorragie parut s'arrêter immédiatement. À ce moment, j'avais repris mes sens – ou ce que j'en conservais – et j'ai envoyé un domestique chez le médecin, un autre à la police. Après leur départ, j'ai eu l'impression d'être absolument seule dans la maison, à part les domestiques, et de n'être au courant de rien – au sujet de mon père ou de quoi que ce fût d'autre – et j'ai éprouvé un vif besoin d'avoir auprès de moi quelqu'un qui pût m'aider. Je me suis souvenu de vous et de votre offre si aimable dans le bateau sous le saule ; et sans réfléchir davantage, j'ai fait préparer immédiatement une voiture, j'ai griffonné une lettre, que je vous ai fait porter.
Elle marqua un temps. Je n'avais pas envie de dire mon impression. Je la regardai. Je crois qu'elle me comprit, car ses yeux rencontrèrent un moment les miens, puis elle les baissa ; et ses joues étaient aussi rouges que des coquelicots. Elle fit un effort manifeste pour continuer son récit.
– Le médecin est arrivé au bout d'un délai incroyablement court. Il a installé un tourniquet convenable pour le bras de mon pauvre père et est retourné chez lui pour chercher quelques accessoires. Je dois dire qu'il a été de retour presque immédiatement. Alors est arrivé un agent de police, qui a envoyé un message au commissariat ; et très peu de temps après, le commissaire était ici. Ensuite, vous êtes arrivé.
Il y eut un long silence, et je me hasardai à lui prendre la main et à la garder dans la mienne un instant. Sans ajouter un mot, nous avons ouvert la porte et nous avons été retrouver le commissaire dans le vestibule. Il se précipita sur nous en disant :
– J'ai tout examiné moi-même, et j'ai envoyé un message à Scotland Yard. Vous voyez, Mr. Ross, il m'a paru y avoir tant de choses étranges dans cette affaire que j'ai jugé préférable qu'on nous adjoigne le meilleur homme du Criminal Investigation Department. J'ai donc demandé qu'on nous envoie immédiatement le sergent Daw. Vous vous souvenez de lui, monsieur, vous l'avez connu dans cette affaire d'empoisonnements d'Hoxton.
– Oh oui, dis-je, je me souviens très bien de lui. Dans cette affaire et dans d'autres, j'ai eu plusieurs fois à me féliciter de son habileté et de sa clairvoyance. Il a un esprit qui fonctionne avec autant de sûreté que tous ceux que je connais. Quand je me suis trouvé sur le banc de la défense avec la conviction que mon client était innocent, j'ai toujours été heureux de l'avoir contre nous !
– Voilà une belle marque d'estime, monsieur ! dit le commissaire, comblé. Je suis heureux que vous approuviez mon choix ; j'ai donc bien fait de l'appeler.
– Vous ne pouviez pas trouver mieux, répondis-je avec chaleur. Je ne doute pas que grâce à vous deux nous n'arrivions aux faits – et, à ce qui se cache derrière !
Nous sommes alors montés dans la chambre de Mr. Trelawny, que nous avons trouvée exactement telle que sa fille me l'avait décrite.
On sonna alors à la porte d'entrée et une minute après on fit entrer dans la chambre un jeune homme au nez aquilin, aux yeux gris pénétrants, au front large et carré évoquant un penseur. Il portait un sac noir qu'il ouvrit immédiatement. Miss Trelawny fit les présentations :
– Docteur Winchester, Mr. Ross, commissaire Dolan.
Nous échangeâmes un rapide salut et il se mit aussitôt au travail. Nous attendions tous et nous le regardions faire anxieusement tandis qu'il pansait la blessure. Il se tournait par moment pour attirer l'attention du commissaire sur quelque particularité de la blessure, et ce dernier en prenait aussitôt note dans son carnet.
– Regardez ! plusieurs coupures ou égratignures parallèles commençant sur le côté gauche du poignet et dans certains endroits mettant en danger l'artère radiale.
Ces petites blessures que vous voyez ici, profondes et déchiquetées, semblent avoir été faites par un instrument contondant. Celle-ci en particulier semblerait avoir été faite par une sorte de coin coupant ; tout autour les chairs ont l'air d'avoir été arrachées par une pression latérale.
Il se tourna ensuite vers Miss Trelawny pour lui dire :
– Croyez-vous que nous puissions retirer ce bracelet ? Cela n'est pas absolument nécessaire, car il va tomber plus bas sur le poignet en un endroit où il ne serrera pas ; mais cela peut par la suite faire que le patient se sente plus à l'aise.
La pauvre fille devint écarlate et répondit à mi-voix :
– Je ne sais pas… je… je ne suis venue vivre avec mon père que récemment ; et je sais si peu de chose de sa vie ou de ses idées que je crains de n'être pas bon juge en la matière.
Après lui avoir lancé un regard pénétrant, le médecin dit avec beaucoup de douceur :
– Excusez-moi. J'ignorais. Mais en tout cas vous n'avez pas à vous inquiéter. Il n'est pas nécessaire de le retirer pour le moment. Si cela l'était je l'aurais fait aussitôt en prenant la chose sous ma responsabilité. Si cela devient nécessaire par la suite, nous pouvons facilement le retirer avec une lime. Votre père a sans doute une raison de le garder ainsi. Regardez ! une clef minuscule y est attachée…
Il s'arrêta de parler, se pencha, me prit la bougie que je tenais à la main et la baissa de telle sorte qu'elle éclaire le bracelet. Il me fit signe ensuite de tenir la bougie dans la même position, sortit une loupe de sa poche. Quand il eut procédé à un examen minutieux, il se releva et tendit la loupe à Dolan en lui disant :
– Il serait préférable que vous l'examiniez vous-même. Ce n'est pas un bracelet ordinaire. L'or est travaillé sur des maillons triples en acier. Regardez les endroits où il est arraché. Ce bracelet n'est pas destiné à être ôté à la légère ; et il faudrait plus qu'une lime ordinaire pour y parvenir.
Le commissaire plia son grand corps ; mais comme il n'arrivait pas assez près, il s'agenouilla à côté du sofa comme avait fait le docteur. Il examina minutieusement le bracelet, en le faisant tourner lentement pour ne laisser passer aucun détail. Puis il se leva et me tendit la loupe :
– Quand vous aurez regardé vous-même, dit-il, que la dame regarde elle aussi, si elle le désire. Et il se mit à écrire longuement dans son carnet.
Je n'apportai qu'un léger changement à sa suggestion. Je tendis la loupe à Miss Trelawny en disant :
– Ne serait-il pas mieux que vous regardiez la première ?
Elle recula, leva légèrement la main pour décliner ma proposition, et dit en même temps avec élan :
– Oh non ! Mon père me l'aurait montré sans aucun doute s'il avait désiré que je le voie. Je n'aimerais pas le regarder sans son consentement.
Et elle ajouta, craignant sans aucun doute que cette délicatesse de sa part ne prenne un caractère offensant pour les autres personnes présentes :
– C'est naturellement très bien que vous l'ayez vu. Vous devez tout examiner et étudier ; et en vérité… en vérité je vous suis reconnaissante…
Elle se détourna. Je pus voir qu'elle pleurait doucement. Il était évident à mes yeux que même au milieu de ses ennuis et de son anxiété, elle éprouvait du chagrin de ne pas en savoir davantage sur le compte de son père, et que cette ignorance apparaisse en un pareil moment et devant tant d'étrangers. Le fait qu'il n'y eût que des hommes n'atténuait pas sa honte, mais lui apportait cependant un certain soulagement. En essayant d'interpréter ses sentiments, je pouvais seulement penser qu'elle devait être heureuse de ne pas être vue en ce moment par des yeux de femmes qui comprennent les choses mieux que les hommes.
Lorsque je me relevai, après avoir procédé à mon examen, conforme à celui du docteur, celui-ci reprit sa place à côté du divan et poursuivit ses opérations. Le commissaire Dolan me dit à voix basse :
– Je crois que nous sommes bien tombés avec notre docteur !
J'acquiesçai et j'étais sur le point d'ajouter quelques mots d'appréciation pour sa clairvoyance quand on frappa discrètement.
[1] Sic. Le passé simple du verbe extraire n’existe pas. [Note du correcteur.]
Le commissaire Dolan alla lentement à la porte ; par suite d'une entente tacite, il avait pris la direction des opérations dans cette chambre. Nous attendions. Il entrouvrit la porte ; puis, avec un geste de soulagement évident, il l'ouvrit toute grande et un homme entra. Un homme jeune, rasé de près, grand et mince, avec un visage d'aigle, et des yeux vifs, brillants qui semblaient tout voir en un instant. Au moment où il entrait, le commissaire lui tendit la main. Les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse.
– Dès que j'ai eu reçu votre message, monsieur, je suis venu immédiatement. Je suis heureux d'avoir toujours votre confiance.
– Vous l'aurez toujours, dit le commissaire avec conviction. Je n'ai pas oublié le bon vieux temps et Bow Street, je ne l'oublierai jamais ! Alors, sans préliminaire, il se mit à raconter tout ce qu'il savait sur ce qui s'était passé jusqu'à l'arrivée du nouveau venu. Le Sergent Daw posa quelques questions – très peu – lorsque cela lui paraissait nécessaire pour sa compréhension des circonstances ou des positions respectives des personnes. Mais en général Dolan, qui connaissait son travail à fond, allait plutôt au-devant de toute question, et donnait à mesure toutes les explications nécessaires. De temps en temps le sergent Daw jetait un rapide coup d'œil sur ce qui l'entourait ; tantôt sur l'un de nous, tantôt sur la pièce ou sur une partie de la pièce, tantôt encore sur le blessé qui gisait inanimé sur le sofa.
Lorsque le commissaire eut terminé, le sergent se tourna vers moi pour me dire :
– Vous vous souvenez peut-être de moi, monsieur. J'ai travaillé avec vous sur l'affaire Hoxton.
– Je me souviens très bien de vous, lui répondis-je en lui tendant la main.
Le commissaire ajouta :
– Il est bien entendu, sergent Daw, que vous êtes entièrement chargé de cette affaire.
– Sous vos ordres, j'espère, commissaire, dit-il en l'interrompant.
L'autre secoua la tête et répondit :
– Il me semble que c'est une affaire qui va accaparer tout le temps d'un homme et tout son esprit. J'ai d'autres occupations ; mais je serai plus qu'intéressé à l'affaire et si je peux vous aider d'une manière quelconque, j'en serai heureux !
– Très bien, monsieur, dit l'autre, qui acceptait sa responsabilité en esquissant un salut un peu différent ; et il entama directement son enquête.
Il s'adressa d'abord au médecin, lui demanda son nom et son adresse, le pria de rédiger un rapport complet dont il pourrait se servir et qu'il pourrait, si nécessaire, communiquer au Quartier Général. Le docteur Winchester promit de le faire en s'inclinant gravement. Alors le sergent s'approcha de moi et me dit sotto voce :
– Votre docteur me plaît. Je crois que nous pourrons travailler ensemble.
Puis, se tournant vers Miss Trelawny, il demanda :
– Dites-moi, s'il vous plaît, tout ce que vous pouvez me dire sur le compte de votre père. Sa façon de vivre, son histoire – en fait tout ce qui l'intéresse, ou ce qui le concerne.
J'étais sur le point de l'interrompre pour lui dire qu'elle avait déjà confessé son ignorance de toutes les questions concernant son père et sa façon de vivre, mais elle avait déjà levé la main pour m'arrêter et elle parla elle-même :
– Hélas ! Je ne sais que peu de chose, sinon rien. Le commissaire Dolan et Mr. Ross connaissent déjà tout ce que je puis dire.
– Alors, mademoiselle, nous ferons ce que nous pourrons, dit aimablement l'officier de police. Je vais commencer par un examen minutieux des faits. Vous dites que vous vous trouviez de l'autre côté de la porte quand vous avez entendu ce bruit ?
– J'étais dans ma chambre quand j'ai entendu ce bruit anormal – à dire vrai, ce doit être le début de ce bruit, quel qu'il fût, qui m'a réveillée. Je suis immédiatement sortie de ma chambre. La porte de mon père était fermée, je pouvais voir tout le palier et les marches supérieures de l'escalier. Personne n'aurait pu sortir par cette porte sans être vu de moi, si c'est ce que vous voulez dire !
– C'est exactement ce que je veux dire, mademoiselle. Si tous ceux qui savent quelque chose me le disent aussi bien, nous ne tarderons pas à aboutir. Alors, je dois comprendre que l'agresseur, quel qu'il soit, se trouve encore dans cette chambre ?
Il avait dit cette phrase sur un ton à demi interrogatif, mais nul ne répondit. Il en savait autant que nous sur ce point.
Il s'approcha alors du lit, le regarda attentivement, et demanda :
– A-t-on touché au lit ?
– Pas à ma connaissance, dit Miss Trelawny, mais je vais demander à Mrs. Grant, la gouvernante, ajouta-t-elle en sonnant. Mrs. Grant arriva en personne.
– Entrez, dit Miss Trelawny. Ces messieurs veulent savoir, Mrs. Grant, si ce lit a été touché.
– Pas par moi, mademoiselle.
– Alors, dit Miss Trelawny en se tournant vers le sergent Daw, personne n'a pu y toucher. Mrs. Grant ou moi-même, nous avons été constamment présentes et je ne crois pas qu'aucun des domestiques qui sont accourus après que j'ai donné l'alarme se soit trouvé à aucun moment près du lit. Vous voyez, mon père était étendu ici, exactement sous le grand coffre-fort, et l'on était rassemblé autour de lui. Nous avons très rapidement renvoyé tout le monde.
Il s'approcha ensuite des fenêtres qui étaient fermées au loquet.
– Les volets étaient-ils fermés ? demanda Daw à Miss Trelawny sur un ton détaché qui appelait une réponse négative. Celle-ci lui fut donnée.
Pendant tout ce temps, le Dr Winchester s'était occupé de son malade ; tantôt pansant les blessures de ses poignets, tantôt procédant à un examen minutieux de sa tête, de son cou, et de son cœur. À plusieurs reprises, il approcha le nez de la bouche de l'homme inconscient et renifla. Chaque fois, il faisait inconsciemment des yeux le tour de la chambre, comme s'il avait cherché quelque chose.
Nous entendîmes alors la voix forte et grave du détective :
– Autant que je peux le voir, le but à atteindre était d'approcher cette clef de la serrure du coffre. Il semble y avoir dans son mécanisme quelque secret que je suis incapable de deviner, bien qu'ayant travaillé un an chez Chubb avant d'entrer dans la police. C'est une serrure à combinaison de sept lettres ; mais il y a, semble-t-il, un moyen de bloquer la combinaison elle-même. Elle est de chez Chatwood, je me rendrai dans cette maison pour voir si je ne peux pas trouver quelque chose.
Il se tourna alors vers le docteur, comme s'il en avait pour le moment terminé avec son propre, travail, et lui dit :
– Y a-t-il quelque chose que vous puissiez me dire dès maintenant, docteur, sans vous gêner dans l'établissement de votre rapport complet ? S'il subsiste le moindre doute, je peux attendre, mais le plus tôt je saurai quelque chose de précis, le mieux cela vaudra.
– En ce qui me concerne, répondit immédiatement le Dr Winchester, je ne vois aucune raison d'attendre. Je ferai, bien sûr, un rapport complet. Mais entre-temps, je vous dirai tout ce que je sais – ce qui, après tout, n'est pas énorme, et tout ce que je pense – ce qui est moins précis. Le patient n'a aucune blessure à la tête qui puisse expliquer l'état de stupeur dans lequel il se trouve. Je dois donc admettre ou bien qu'il a été drogué, ou bien qu'il se trouve soumis à quelque influence hypnotisante. Autant que je puisse en juger, il n'a pas été drogué – du moins au moyen d'un produit dont je connaisse les propriétés. Il y a habituellement dans cette pièce, une odeur de momie telle qu'il est naturellement bien difficile d'avoir une certitude quelconque quand il s'agit de quelque chose ayant une odeur très subtile. Je pense que vous avez remarqué des odeurs particulièrement égyptiennes, bitume, nard, gommes aromatiques, épices, et ainsi de suite. Il est tout à fait possible que quelque part dans cette pièce, parmi les antiquités et masqué par des odeurs plus fortes, se trouve une substance ou un liquide qui puisse produire l'effet que nous observons. Il est possible que le patient ait absorbé quelque drogue, et qu'il se soit blessé alors qu'il se trouvait soumis à son influence narcotique. Je ne crois pas que ce soit vraisemblable ; et des circonstances, autres que celles que j'ai moi-même examinées, peuvent prouver l'inexactitude de cette conjecture. Mais, en attendant, c'est possible ; et cela doit donc, jusqu'à preuve du contraire, rester dans nos perspectives.
Ici le sergent Daw l'interrompit :
– Cela est possible ; mais si tel est le cas, nous devrions pouvoir trouver l'instrument avec lequel le poignet a été blessé. Il y aurait des traces de sang quelque part.
– Parfaitement exact, dit le docteur, en ajustant ses lunettes comme s'il se préparait à une discussion. Mais si l'on admet que le patient a utilisé une drogue mystérieuse, il faut que c'en soit une dont l'effet n'est pas immédiat. Comme nous ignorons encore ses possibilités – si, en vérité, l'ensemble de la conjecture est le moins du monde correct –, nous devons être prêts à tout envisager.
Miss Trelawny se joignit à cet instant à la conversation :
– Ce serait tout à fait bien, en ce qui concerne l'action de la drogue ; mais aux termes de la seconde partie de votre conjecture, la blessure peut avoir été faite par le patient lui-même, et cela après que la drogue ait fait son effet.
– Exact ! dirent simultanément le détective et le médecin.
– Cependant, docteur, continua-t-elle, comme votre hypothèse n'épuise pas toutes les possibilités, nous devons garder présente à l'esprit l'idée que quelque autre variante du point de départ puisse être exacte. Je note donc que la première chose que nous ayons à chercher, en partant de cette hypothèse, doit être l'arme avec laquelle le poignet de mon père a été blessé.
– Il a peut-être mis l'arme dans le coffre avant de perdre complètement conscience, dis-je, en exposant stupidement une pensée n'ayant pris corps qu'à moitié.
– Cela ne serait pas possible, s'empressa de dire le docteur. Du moins je crois que ce ne serait guère possible, ajouta-t-il plus prudemment, en s'inclinant légèrement de mon côté. Vous voyez, la main gauche est couverte de sang, mais il n'y a aucune trace de sang sur le coffre.
– Parfaitement exact ! dis-je, et il y eut alors un long silence.
Le docteur fut le premier à le rompre.
– Il va nous falloir une infirmière le plus tôt possible ; et je connais celle qui convient. Je vais aller la chercher immédiatement, en admettant que je puisse l'avoir. Je dois demander que l'un d'entre vous reste constamment avec le malade jusqu'à mon retour. Il sera peut-être nécessaire de le transporter par la suite dans une autre pièce ; mais en attendant, il vaut mieux qu'il reste ici. Miss Trelawny, puis-je être sûr que vous allez, vous ou Mrs. Grant, rester ici jusqu'à mon retour ? Non pas seulement dans la chambre, mais tout près du malade et sans le quitter des yeux ?
Elle s'inclina en guise de réponse et prit un siège à côté du sofa. Le docteur lui donna quelques directives sur ce qu'elle devrait faire au cas où son père reprendrait connaissance avant son retour.
Le premier à bouger ensuite fut le commissaire Dolan, qui s'approcha du sergent Daw et lui dit :
– Il vaut mieux maintenant que je retourne au commissariat – à moins, naturellement, que vous ne désiriez me voir rester encore un moment.
– Johnny Wright appartient-il toujours à votre division ? lui demanda-t-il en guise de réponse.
– Oui ! Vous aimeriez l'avoir avec vous ? (L'autre fit un signe de tête pour acquiescer.) Alors je vais vous l'envoyer dès que possible. Il restera avec vous aussi longtemps que vous le désirerez. Je lui dirai de prendre entièrement ses instructions de vous.
Le sergent l'accompagna jusqu'à la porte en lui disant :
– Merci, monsieur ; vous êtes toujours plein d'attentions pour ceux qui travaillent avec vous. C'est un plaisir pour moi de vous retrouver. Je vais retourner à Scotland Yard rendre compte à mon chef. Ensuite, j'irai chez Chatwood ; et je reviendrai ici dès que possible. Je suppose que je peux, si nécessaire, m'installer ici pour un ou deux jours. Cela vous aidera peut être un peu, et vous réconfortera de me savoir dans les parages, tant que nous n'avons pas éclairci ce mystère.
– Je vous en serai très reconnaissante. Avant de reprendre la parole il la regarda pendant quelques secondes d'un œil pénétrant.
– Avant de partir, ai-je la permission de jeter un coup d'œil sur la table et le bureau de votre père ? Il peut y avoir quelque chose qui nous fournisse un indice – ou en tout cas un fil conducteur.
Sa réponse fut si catégorique qu'il en fut presque surpris.
– Vous avez toutes les permissions possibles de faire quoi que ce soit de nature à nous aider dans ces terribles ennuis – pour découvrir ce qui ne va pas pour mon père, ou ce qui est susceptible de le protéger dans l'avenir !
Il entama immédiatement un examen systématique de la coiffeuse, et ensuite de la table à écrire. Dans l'un des tiroirs, il trouva une lettre cachetée ; il traversa la chambre pour la remettre à Miss Trelawny.
– Une lettre – adressée à moi – et de l'écriture de mon père ! dit-elle en s'empressant de l'ouvrir. Je surveillai son visage tandis qu'elle commençait à lire ; mais, voyant immédiatement que le sergent Daw ne quittait pas le visage de Miss Trelawny de ses yeux pénétrants, en guettant sans sourciller ses expressions les plus fugitives, je gardai à partir de ce moment les yeux fixés sur les siens à lui. Lorsque Miss Trelawny eut terminé sa lecture, j'avais acquis une conviction que je gardai, cependant, enfouie au fond de mon cœur : parmi les soupçons qui avaient pris naissance dans l'esprit du détective, il y en avait un, appartenant peut-être au domaine des possibilités et n'étant guère précisé, mais qui concernait Miss Trelawny elle-même.
Pendant plusieurs minutes Miss Trelawny, les yeux baissés, garda la lettre à la main, et réfléchit. Puis elle la lut de nouveau avec soin ; cette fois ses différentes expressions prenaient plus d'intensité, et je crus pouvoir les suivre aisément. Quand elle eut achevé sa deuxième lecture, elle s'arrêta de nouveau. Alors, comme à contrecœur, elle tendit la lettre au détective. Il la lut avec empressement mais sans que son expression change ; il la lut une seconde fois et la lui rendit en s'inclinant. Elle marqua encore un temps, puis me tendit la lettre. En même temps elle me regarda dans les yeux et eut, pendant un court instant, une expression suppliante ; une légère rougeur se répandit rapidement sur ses joues pâles et sur son front.
Je pris la lettre avec des sentiments mitigés, mais, tout compte fait, j'étais heureux. Elle ne laissa paraître aucun trouble en remettant la lettre au détective – il en aurait été probablement de même avec n'importe qui d'autre. Mais avec moi… j'eus peur de suivre plus avant le fil de ma pensée ; je me mis à lire, en sentant les yeux de Miss Trelawny et du détective fixés sur moi.
Ma chère fille,
Je désire que tu considères comme absolues et impératives les instructions contenues dans cette lettre ; elles ne devront subir aucune modification d'aucune sorte. Elles s'appliquent au cas où il m'arriverait à partir de maintenant quoi que ce soit, une chose à laquelle ni toi ni personne ne s'attendrait. Si j'étais soudainement et mystérieusement atteint – soit par la maladie, soit par un accident, ou par une agression – tu devrais suivre à la lettre ces instructions. Si je ne suis pas dans ma chambre au moment où tu constateras l'état dans lequel je me trouve, il faudra m'y transporter aussi vite que possible. Même si je suis mort, cela est vrai de mon corps. À partir de ce moment, et jusqu'au moment où je serai conscient et en mesure de donner des instructions à mon propre compte, ou enterré, on ne devra pas me laisser seul un instant. Deux personnes au moins devront rester dans la chambre depuis la chute du jour jusqu'au lever du soleil. Il sera bon qu'une infirmière diplômée vienne de temps en temps dans la chambre et note tous les symptômes, permanents ou passagers qui pourraient se manifester en moi. Mes solicitors, Marvin & Jewkes, 27 B Lincoln's Inn, ont des instructions complètes pour le cas de décès ; et Mr. Marvin s'est engagé à veiller personnellement à la réalisation de mes désirs. Je dois te conseiller, ma chère fille, du fait que tu n'as aucun parent sur qui te reposer, d'avoir auprès de toi dans la maison un ami en qui tu puisses avoir pleine confiance. Tu devras pouvoir entrer immédiatement en communication avec lui, il pourra participer à la garde de nuit, ou être appelé instantanément. Peu importe le sexe de cet ami ; mais il faudra en tout cas qu'un veilleur ou un assistant du sexe opposé soit toujours disponible. Comprends-moi bien : je souhaite essentiellement qu'il y ait toujours une intelligence masculine et une intelligence féminine en éveil et prêtes à s'exercer dans le sens que je désire. Permets-moi d'insister une fois de plus, ma chère Margaret, sur la nécessité d'observer mes instructions et de raisonner avec exactitude sur mes conclusions, si étranges qu'elles puissent paraître. Si je tombe malade ou que je sois blessé, ce ne sera pas une circonstance ordinaire ; et je désire te mettre en garde, pourque ta surveillance soit parfaite. Rien de ce qui se trouve dans ma chambre – je parle des objets de collection – ne doit être retiré ou déplacé de quelque façon que ce soit, ou pour quelque cause que ce soit. La place de chaque objet a été déterminée par une raison spéciale et dans un but déterminé ; tout déplacement contrarierait mes plans.
Si tu as besoin d'argent ou d'un conseil quelconque, Mr. Marvin fera ce que tu désires il a reçu dans ce but des instructions complètes de ma part.
Abel TRELAWNY
Avant de parler, je lus la lettre une seconde fois, car je craignais de me trahir. Le choix qu'elle avait à faire d'un ami pouvait être pour moi une occasion capitale. J'avais déjà des raisons d'espérer car elle m'avait demandé de l'aider dès le début de ses ennuis ; mais l'amour engendre ses propres doutes, et j'avais peur. Si bien, qu'en lui rendant la lettre, je lui dis :
– Je sais que vous me pardonnerez, Miss Trelawny, si je fais preuve de présomption, mais si vous me permettez de participer à cette surveillance j'en serai fier. Bien que les circonstances soient tristes, je serai tellement heureux que ce privilège me soit accordé.
– Je vous serai très reconnaissante de votre aide !
Puis elle ajouta, comme à la réflexion :
– Mais vous ne devez pas me permettre de faire preuve de trop d'égoïsme ! Je sais que vous avez de nombreuses occupations, et bien que j'apprécie considérablement – très considérablement – votre aide, il ne serait pas correct de ma part d'accaparer tout votre temps.
– S'il s'agit de cela, répondis-je, aussitôt, mon temps vous appartient. Pour aujourd'hui je peux facilement m'arranger dans mon travail de manière à venir ici dans l'après-midi et rester jusqu'à demain matin. Ensuite, si les circonstances l'exigent toujours, je pourrai m'arranger pour avoir encore plus de temps disponible.
Elle était très émue. Je pouvais voir ses yeux se remplir de larmes, elle détourna la tête. Le détective prit la parole :
– Je suis heureux de savoir que vous serez ici, Mr. Ross. Je serai moi-même dans la maison, avec l'accord de Miss Trelawny, si mes chefs de Scotland Yard m'y autorisent. Cette lettre fait apparaître la situation sous un jour différent ; cependant le mystère est plus grand que jamais. Si vous pouvez attendre ici une heure ou deux, je vais aller au Quartier Général, et ensuite chez les fabricants de coffres. Puis, je reviendrai ; et vous pourrez partir avec l'esprit plus libre, car je serai ici.
Quand il fut parti, Miss Trelawny et moi, nous sommes restés silencieux. Elle finit par lever les yeux et par me regarder un moment ; ensuite, je n'aurais pas changé de place avec un roi. Pendant un moment elle s'occupa près du chevet de son père, installé provisoirement. Puis, en me demandant de ne pas le quitter des yeux jusqu'à son retour, elle sortit précipitamment.
Elle revint au bout de quelques minutes avec Mrs. Grant, deux femmes de chambre et deux domestiques mâles, qui portaient le châssis et la literie d'un lit de fer léger. Ils se mirent à l'installer et à le faire. Quand ce travail fut achevé, et lorsque les domestiques furent partis, elle me dit :
– Il sera bon d'être prêt pour le retour du docteur. Il demandera certainement qu'on mette mon père au lit ; et un lit convenable sera mieux pour lui que le sofa.
Elle prit alors un siège à côté de son père, et s'installa sans le quitter des yeux. Pendant que je faisais des recherches dans la chambre, on entendit au-dehors le bruit de roues sur le gravier. On sonna, quelques minutes après, on frappa à la porte. « Entrez ! » répondit-on, et le Dr Winchester fit son apparition suivi d'une jeune femme habillée en infirmière.
– J'ai eu de la chance ! dit-il en entrant. Je l'ai tout de suite trouvée, et elle était libre. Miss Trelawny, je vous présente Nurse Kennedy !