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Dans un monde post-apocalyptique, au détour d’une journée ordinaire, tout bascule pour Sam. Alors qu’elle se retrouve impliquée, malgré elle, dans la quête d’une relique sacrée qui n’apportera que mort et destruction, elle doit se battre pour sauver sa vie ainsi que celle de ses amis. Dès lors, une question retient son attention : cette relique existe-t-elle vraiment ? Dans les marécages sombres et mystérieux de la Louisiane, la jeune fille tentera de découvrir la vérité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Hervé Carpentier a toujours apprécié l’environnement post-apocalyptique. Dans ce récit, il met en avant un ensemble d’éléments : des êtres simples, du mysticisme, de la violence avec une pointe d’humour noir.
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Seitenzahl: 256
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Hervé Carpentier
Le livre d’Ofans Sakre
Roman
© Lys Bleu Éditions – Hervé Carpentier
ISBN : 979-10-377-7875-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Des dizaines de saules disséminés autour des étangs donnaient un côté mystérieux à l’endroit. La lumière traversait péniblement les arbres par quelques hasardeux passages à travers les feuillages rendant les bayous sombres et humides. La plupart des gens sains d’esprit évitaient de s’y égarer. L’humidité et la chaleur des après-midi étaient intenables, les matins dangereux, le brouillard salé était le pire des prédateurs de la région, incitant les inconscients à mettre les pieds dans les tourbières, sables mouvants sans parler des rencontres invisibles, celles qui une fois découvertes sont fatales comme les chauves-souris vampires, les sangsues géantes et les alligators mutants.
Cette partie de la Louisiane avait été quelque peu épargnée par la Grande Guerre, ou tout au moins la végétation y avait repris le dessus, la radioactivité environnante rappelait qu’il fallait éviter les points d’eau stagnants.
À quelques kilomètres de Lafayette, à l’écart de la route 90 menant à La Nouvelle-Orléans, près des grands lacs formés par le Mississippi peu désireux d’aller se perdre dans l’océan, un vieux ponton flanqué de deux barques tient tête à l’horizon, le soleil se lève, une silhouette se tient là, debout.
— Alors 112, ça mord ?
— Arrêtez de m’appeler 112 et non ça ne mord pas.
Une jeune femme blanche comme un fantôme, contrastée par ses cheveux d’un noir intense et plutôt mignonne, vêtue d’une jupe en patchwork et d’un pagne cachant l’essentiel, si elle n’était pas si pâle on aurait pu facilement croire qu’elle sortait d’une quelconque tribu d’autochtones.
— Sam ! mon prénom c’est Sam.
— Je sais 112, je sais.
— Est-ce que je vous appelle vieux fossile moi ?
— Ah ne me manque pas de respect petite effrontée.
— C’est vous qui avez commencé Otis.
— Tu sais 112, je vais te dire pourquoi tu n’attrapes rien.
Sam se retourna et l’observa, Otis, dit « le fossile », un noir de 10 000 ans aux yeux de Sam, décharné, le sourire édenté et une barbe tellement sale qu’on avait du mal à distinguer si elle était blanche ou grise.
— Ne me parlez pas de votre vaudou à la con Otis.
Otis la fixa, visiblement contrarié par ces propos.
— Excusez-moi Otis, je ne voulais pas.
— Ce n’est rien ma petite, ce n’est rien.
— Allez ! vous savez quoi, je vais vous faire plaisir, regardez, je vais vous prouver que j’écoute vos histoires Otis, Dambala va être aux anges.
Sam fouilla dans son vieux sac à dos. Elle extirpa une petite boîte hermétique et un bout d’étoffe blanche.
Elle déposa dans le linge une poignée de riz prévue à l’origine pour un repas futur et noua soigneusement le tout.
Elle descendit du ponton pour se retrouver avec de l’eau jusqu’à la taille, elle lança au loin le petit paquet improvisé et prononça une prière vaudou.
— Aksepte kado sa yo Dambala fè lwanj lapèch mwen.
Otis la regardait avec patience.
— Tu sais 112, il faut y croire.
— Désolé Otis.
À ce moment, une superbe couleuvre arc-en-ciel émergea de l’eau et replongea aussitôt avec la petite offrande.
— Merde Otis vous avez vu ça ? Le vieux se mit à rire.
— Le Lwa est bon, bon et joueur, il te laisse une chance 112. Dambala t’accorde sa miséricorde.
— Le plus impressionnant Otis, c’est que vous y croyez dur comme fer à toutes ces conneries.
— Tu as de la chance 112 !
— De la chance pourquoi ?
Sam, de l’eau à mi-cuisse, sentit quelque chose lui frôler les jambes. Par réflexe ou plutôt par peur, la lance, taillée sur un cyprès non loin de là, transperça l’eau. De violents à coup faillirent lui faire lâcher prise.
— Tu as de la chance, tu as amusé le Lwa, alors le Lwa te remercie.
Sam réussit tant bien que mal à sortir son trophée, l’anguille blessée se tortillait autour du bout de bois.
— Ça alors ! T’as vu ça Otis ? Elle mesure au moins un mètre.
— Génial ! tu apprends vite 112.
— Arrête de m’appeler 112, surtout quand j’ai une lance dans les mains vieux machin.
— Ah ah ah ! Au risque de perdre ton déjeuner 112 ?
Sam sortit de l’eau, fière de sa prise. Une anguille de cette taille devrait leur fournir à manger pour deux jours au moins.
— Merde Otis, pourquoi c’est toujours moi qui m’y colle ? Regarde mes jambes.
Le vieux entra dans un fou rire hystérique en regardant Sam dépitée, les jambes parsemées d’une bonne dizaine de sangsues.
— Ah la jeunesse, tu vois 112, les sangsues des marais ne se nourrissent pas du sang de notre peuple. Par contre, elles ont l’air d’apprécier les peaux blanches.
— Bin raison de plus, le prochain coup c’est toi qui iras faire le con dans la flotte.
— Mais pourquoi 112 ? Regarde un peu ton butin, tu commences à te faire la main.
Sam ramassa quelques brindilles sèches et munie d’une vieille pile à polymère, elle déroula un petit morceau de papier aluminium qui autrefois emballait un chewing-gum qu’elle mit en contact avec les bornes de la pile, le papier au verso s’embrasa d’un seul coup.
— Et voilà Otis, comment moi, 112, j’allume du feu.
— Impressionnant Sam, impressionnant.
— Ahhhh arrête de m’appeler Sam.
— OK 112, OK, je t’appellerai plus Sam.
— Hé, mais non j’ai pas… Oh fais chier, Otis fais chier.
Elle s’assit près de lui. Pendant qu’elle brûlait les sangsues une à une avec ses brindilles, Otis la regardait.
— Tu es soucieuse 112, qu’est-ce qui ne va pas ?
— Non ça va, ce sont les sangsues.
— Les sangsues ne font pas mal 112, tu sais j’ai déjà bien vécu et on n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace.
— Non je t’assure c’est rien, juste un coup de blues, juste un coup de blues Otis. Le vieux se cura un chicot et propulsa un crachat jaunâtre à ses pieds.
— Tu sais Otis, ces temps-ci j’arrête pas de penser à ma sœur.
— Maria ?
— Oui, je t’ai dit qu’elle était dans le Nevada ?
— C’est quoi le Nevada ?
— Tu vois où le soleil se couche ? Après les lacs ?
— Ahhh pardonne mon piètre savoir 112.
— Je pense que c’est à plusieurs semaines de marche.
— Semaines ?
— Oui, je pense, à l’abri, enfin à l’école de l’abri, il y avait une grande carte des États-Unis.
— Zétazunis ?
— Oui, c’était le nom de toutes ces terres avant l’apocalypse.
— Et tu veux aller voir ta sœur 112 ? C’est ça.
— Non, oui, je sais pas, ça fait si longtemps et puis on était en froid toutes les deux.
— Prends ton destin en main 112, fait en ton âme et conscience, la famille, c’est sacré.
Sam, débarrassée de ses sangsues se releva et enfourna la pile dans son sac.
— Garde le tout Otis, je n’en ai pas besoin.
— Tu l’as péché 112, elle est à toi cette anguille, Dambala te l’a offerte.
— Remercie Dambala pour moi, je file, j’ai besoin de marcher un peu on se voit demain Otis ?
— Si tu veux 112, mais dis-moi, tu n’as rien d’autre à faire que tenir compagnie à un vieillard comme moi ?
— À demain vieillard.
Otis la regarda s’éloigner à travers les branchages, agile comme un singe. Les hautes herbes lui caressaient les jambes sans plier. Quiconque n’avait pas l’habitude de se déplacer dans les bayous n’aurait pu rivaliser avec elle, esquivant chaque branche, chaque trou d’eau, refuge de nombreux dangers, elle marcha près d’une heure ; le niveau de l’eau, par chance, était relativement bas cet été dans les bayous.
L’ancienne Louisiane vivait en autarcie depuis quelques siècles déjà. Le réchauffement climatique dû à la radioactivité avait été fatal pour le pôle Nord, engendrant une montée des eaux de plusieurs mètres, inondant la majeure partie du delta du Mississippi. Un mal pour un bien car le taux de sodium présent dans le Golfe du Mexique décontaminait la Louisiane par ses marées, incitant la végétation à reprendre le dessus.
La Louisiane pouvait aisément passer pour le paradis à la vue de ce qu’il restait de l’Amérique du Nord, rares étaient encore les régions où l’on pouvait trouver des magnolias en fleur et leur doux parfum mêlé à ceux des cyprès sauvages.
Lorsque Sam émergea d’un bosquet de bouleaux, la terre ferme était de nouveau sous ses pieds. Elle emprunta l’ancienne route 90, les restes d’une deux fois deux voies qui rejoignait à l’époque Lafayette à La Nouvelle-Orléans si la montée des eaux n’avait pas rendu la chose impossible. La 90 était jadis une route très fréquentée. De nombreuses carcasses de voitures rouillées jonchaient encore le bitume sur les quelques kilomètres qu’elle suivait pour arriver en ville. Elle marcha tranquillement vers l’Est sous le soleil afin de faire sécher ses vêtements jusqu’à ce qui fut autrefois la petite ville de Morgan city.
Il était fréquent sur la 90 de trouver des dizaines d’alligators profitant des rayons du soleil et de la chaleur du bitume encore présente quelques heures après le coucher du soleil. Tournant le dos au soleil, Sam s’amusait à contempler son ombre grandissante telle une enfant qu’elle n’a jamais été, s’amuser pour un rien, des petits moments à elle qu’elle n’avait jamais connue pendant son enfance dans l’abri antiatomique. Elle perdit un peu la notion du temps sur la 90, depuis quelques jours son esprit était occupé, trop occupé pour se rendre compte qu’elle était suivie.
Un jeune homme à peine majeur en toute évidence lui filait le train. Sam sursauta et évita la crise cardiaque de justesse, le jeune homme, lui, faillit y rester sur le moment lorsque Sam brandit sa lame en direction de sa gorge.
— Merde excuse-moi.
— Pardon Sam je ne voulais pas vous effrayer.
— M’effrayer ? Moi ? Mais non.
— Si, je vous ai effrayé.
— Mais je te dis que non voyons, que fais-tu ici ?
— Grand-père m’a dit que je vous trouverai sur la 90.
— Otis est déjà rentré au village ?
— Oui, il est vieux, mais il ne faut pas le sous-estimer.
— Je vois ça, oui, que me voulais-tu pour avoir traversé la moitié des marais ?
— Bin vous savez Sam, je serai bientôt un homme.
— Toutes mes félicitations alors, mais tu n’as pas fait cette route pour me dire ça.
Au moment où Sam posa la question, elle resta sans voix, une sensation désagréable l’envahie ainsi qu’une violente montée en température qui lui donna des sueurs froides, imaginez ce tribal, plutôt bel homme, vêtu simplement d’un pagne de peau, d’une machette tenue en bandoulière, ses cheveux noirs comme ceux de Sam faisaient ressortirent ses yeux de la même couleur, mais ce qui perturba Sam se fut le bouquet de fleurs sauvages, ramassé maladroitement à la va-vite sur le bord de la 90.
— Euh elles sont pour vous Sam.
— Mais, euh, pourquoi ?
— Pour rien Sam, je vous apprécie beaucoup et je tenais à vous le montrer.
— Non.
— Comment ça non ?
— Enfin si, mais non.
— Comment ça si, mais non.
— Si c’est super gentil, mais non je ne peux pas accepter.
— Et pourquoi cela ?
— Bin parce que…
— Ce n’est pas une raison ça !
— Pour moi, si, et elle est suffisante.
— Je peux être honnête avec vous Sam ?
— Bien sûr.
— Pourquoi vous vous empêchez d’être heureuse ?
— Comment ça je m’empêche d’êtr…
— Oui, moi je suis heureux de pouvoir vous montrer mes sentiments pour vous, alors si vous voulez l’accepter parce que vous m’aimez aussi, tant mieux, prenez-le, sinon vous pouvez le prendre parce qu’il vous fait plaisir, mais que vous ne désirez rien de plus.
Sam resta un peu dans le flou encore sous le coup de l’émotion.
— Tu sais c’est la première fois qu’on m’offre un bouquet de fleurs, alors il ne faut pas m’en vouloir d’être un peu rustre et maladroite.
— Alors ?
— J’accepte ton bouquet avec plaisir, je t’assure, mais pour le reste j’avoue que c’est beaucoup trop soudain pour t’avouer quoi que ce soit.
— Je comprends Sam, mais je respecte votre choix.
Il se pencha vers elle, ou plutôt leva la tête car il était un peu plus petit qu’elle, il l’embrassa sans que Sam eût le temps de réagir ou même de lui faire sauter quelques dents, il se retourna.
— À bientôt j’espère Sam.
Sam resta planté là, son bouquet de fleurs à la main et son couteau de chasse dans l’autre, étrange état d’esprit, elle n’arrivait pas à cerner ce qu’elle ressentait lorsque de vieux souvenirs ressurgirent dans sa mémoire.
Appuyé contre le mur d’acier, Sam terminait avec hâte ses exercices de mathématiques, le stylo bille au coin des lèvres, elle n’arrivait pas à se concentrer sur ses devoirs, la conversation de ses parents dans la pièce d’à côté attirait toute son attention.
— Je suis désolé ma chérie, mais pour Sam, il va falloir réagir.
— Mais c’est ta fille quand même on ne peut pas la laisser comme ça !
— Je comprends ma chérie, mais le proviseur m’a mis en garde. C’est la dernière fois que Sam se bat en classe, elle a failli envoyer le gosse des Matterson à l’infirmerie s’il n’était pas intervenu.
— Il faut lui parler, c’est tout, tu sais bien qu’elle est différente, mais elle n’est pas méchante.
— Et tu envisages quoi comme avenir au sein de la communauté pour elle ? Elle n’arrive pas à se faire d’ami, quand elle aura l’âge, elle n’aura pas non plus de petit ami, un jour il se passera un drame et nous ne serons pas toujours là pour ramasser les pots cassés.
— Je sais, mais c’est notre fille et jamais elle ne sera privée de mon aide, jamais ! Tu entends ? De toute façon, le superviseur ne peut pas nous expulser de l’abri, c’est la mort qui nous attend dehors. Il en est conscient tout de même ?
— Je le sais bien ma chérie, mais…
— Mais quoi ! Tu es mon mari et c’est ta fille, si elle doit partir je pars avec elle, libre à toi de nous suivre ou non.
Sam se rendait bien compte de l’évidence, durant son enfance elle n’avait jamais cessé d’être en conflit avec son père, cet homme froid, dur et distant qui n’avait jamais pris le temps de s’occuper d’elle, une enfant, du coup, elle ne possédait que l’amour de sa mère et quelques jouets guère passionnants, elle préférait largement les bouquins qu’elle volait en douce dans le salon pendant que ses parents dormaient.
Depuis le jour du drame, elle n’eut aucune trace de son père, était-il mort ? Avait-il eu le temps de s’enfuir ? Elle n’en savait rien et s’en fichait complètement, cette rancœur envers son père était devenue de la haine, où était-il lorsqu’il aurait dû protéger sa maman ? Était-ce normal qu’une fillette de dix ans venge la mort de sa mère ? Était-ce normal à dix ans de mettre une balle dans la tête de quelqu’un ? La scène était ancrée dans son esprit depuis tant d’années.
Sa mère lui avait confectionné un petit jardin dans un ancien bac de maintenance, rempli de coton hydrophile, sa mère et elle y faisaient pousser de petites fleurs blanches et bleu clair. Elle lui répétait sans cesse le nom latin de ses fleurs que Sam prenait un malin plaisir à ne plus se rappeler.
Elle revint à la réalité, le bouquet à la main, ces fleurs étaient identiques à celles que sa maman et elle faisaient pousser dans l’abri.
La tête baissée, elle ne regarda même pas Olok, le petit-fils d’Otis partir, elle essuya du revers de la main une larme salée qui coulait le long de sa joue.
Elle ramassa une poignée de longues herbes et noua le bouquet à son paréo de coton.
Elle essuya de nouveau une larme et renifla, respira un grand coup et reprit le chemin de Morgan City.
La ville, ou du moins ce qui en restait, était le lieu de vie d’une bonne centaine de personnes, noirs, métisses, on trouvait de tout à Morgan City, mais peu de blancs, ceux-ci restaient de l’autre côté du Mississippi à quelques kilomètres à l’Est.
À l’époque, ils venaient troquer diverses denrées avec la communauté noire, mais le commerce se raréfia jusqu’à sa disparition complète. À la grande incompréhension de la population, seuls le révérend, sa famille et son église étaient restés fidèles à la communauté.
Morgan City, comme la plupart des villes de l’ancienne Amérique, elle avait été soufflée par la guerre.
Des ruines en quasi-totalité, les gens vivaient à l’entrée ouest, le long de la 90.
Un ancien centre commercial de par sa structure basse avait résisté ; les dizaines de boutiques de la galerie marchande servaient d’habitations, le parking, lui, faisait office de place de marché où les étales offraient tous les produits possibles et imaginables, viandes, poissons, cannes à sucre, patates douces, tout était à troquer, sans parler des boutiques vaudou chères à Otis. Le vaudou était ancré dans la culture de la Louisiane depuis probablement l’avant-guerre qui sait ? Gris-gris, potions, statuettes, fétiches et amulettes emplissaient les étals.
Dans un coin, de vieilles femmes tissaient les fibres de coton sauvage, fumant la pipe, elles marmonnaient des chants pour s’attirer les grâces de quelques Lwa et de Mawu, les dieux des dieux.
Sam aimait circuler dans ce brouhaha, les odeurs de cuisine, les encens, tout cela l’impressionnait. Tous ces gens semblaient se connaître, eux ne la connaissait pas, mais s’étaient habitué à sa présence depuis quelque temps déjà, une blanche au milieu des noirs ne passait pas inaperçue. Elle venait parfois lorsque la pêche était bonne pour troquer son surplus de poisson contre des recettes locales comme le rat mariné, de l’alligator à la cajun ou même du mocassin à la broche farci avec de petits fruits orange dont elle ignorait le nom, mais ce dont elle raffolait.
Une femme, entre deux âges, extrêmement bien portante, vêtue de rose et de bleu vif la happa par le bras.
Elle la regarda et eut une étrange sensation en fixant son pendentif, trois petits cœurs en pierre noués entre eux par une longue ficelle de coton, sa démarche et sa nonchalance sensuelle la perturba, elle devait peser un bon quintal, mais se déplaçait avec une agréable légèreté.
— Laissez-moi vous regarder ma jolie.
— Qui y a-t-il, madame ?
— Votre avenir ma jolie, vous voulez connaître votre avenir ma jolie ?
— Non merci, ça ne m’intéresse pas, c’est gentil, mais je ne crois pas à tous ces trucs, vous savez.
— Qui vous demande de croire à quoique ce soit ma jolie ? Laissez-vous guider, Papa Legba vous montrera la route si vous lui ouvrez votre âme.
— Non, mais je vous assure, je ne suis vraiment pas int...
— Une partie de votre cœur est perdue ma jolie, loin, perdue vers le couchant.
— Pardon ? De quoi parlez-vous ?
— Le diable est après vous, il veut votre âme, votre âme et votre cœur, vous serez l’instrument du malin, vous ouvrirez les yeux beaucoup trop tard ma jolie.
— Laissez-moi tranquille, j’ai pas envie de vous écouter.
Sam s’arracha de l’étreinte de la femme et continua sa route, la femme, elle, resta plantée là, la regardant s’éloigner.
— De pati yo nan nanm ou se an danje, w ap atann yon batay pou konsève pou ! s’écria-t-elle.
Un silence de mort s’instaura immédiatement au sein de la foule, Sam n’eut pas le temps d’en comprendre le moindre mot, mais ne demanda pas son reste et continua son chemin.
Elle continua sa route à travers les ruines de Morgan City en direction du soleil levant.
— Comment va-t-elle ?
— Son état est stable révérend, vous comprendrez que malgré tous les soins apportés son état ne s’améliore pas.
— Mais qu’a-t-elle enfin ? Docteur, comment est-ce possible que vous ne le sachiez pas ?
— C’est étrange révérend, je puis vous assurer que cette fièvre n’a pas pour origine une infection, ses défenses immunitaires fonctionnent à merveille.
— Mais quoi alors ?
— Je dois reconnaître mon incompétence révérend, les saignées restent inefficaces, les cataplasmes également et vous connaissez aussi bien que moi la difficulté de trouver des médicaments.
— Laissez-moi seul avec ma femme voulez-vous !
Près du lit à baldaquin, le révérend, un homme d’environ un mètre quatre-vingt-cinq, la cinquantaine, sa tenue ecclésiastique faisait preuve d’une certaine originalité, santiags en croco, ce qui était assez courant en Louisiane, un pantalon noir et une chemise noire également, sa carrure en imposait, les cheveux grisonnants et sa barbe rasée de près rendait évident le fait que c’était un homme soigné malgré le grand déclin de l’humanité.
Une petite fille d’environ dix ans pénétra dans la chambre de style victorien.
— Maman est guérie ? J’ai vu le docteur partir !
— Non mon cœur, maman est malade tu sais, très malade, tu peux la voir quelques minutes et puis il faudra la laisser se reposer.
La fillette s’approcha du lit puis s’assit près de sa maman, la ressemblance était frappante, blondes comme les blés toutes les deux, un petit nez retroussé trahissait des origines métissées. La fillette prit la main de sa mère et l’embrassa, elle ne réagit même pas au contact de sa fille chérie, le révérend assistant à la scène avec tant de tristesse, qu’une fois ses larmes essuyées du revers de sa chemise, il la pria de la laisser seule, mais la fillette s’y refusait.
— Pourquoi maman n’est plus là ?
— Mais si voyons, ta maman est là et elle sera toujours près de nous.
— Mais papa, elle me regarde pas.
— Ta maman est très fatiguée ma chérie, mais quand elle ira mieux elle t’emmènera de nouveau aller cueillir des fleurs comme avant.
La fillette se mit à pleurer.
— Mais ses yeux papa, ses yeux sont vides, comme dans les histoires que les gens racontent en ville.
— Ne mélange pas tout ma chérie, tout ça, ce sont des histoires ma puce, ta maman est juste un peu lasse, tu comprends ?
Il la prit par la main et ils sortirent de la chambre.
— Allez viens ma chérie, laissons-la se reposer.
Le révérend, sa femme et leur adorable Margareth habitaient une vieille demeure de style victorien à l’écart de Morgan City, sur une colline surplombant Bateman Island. La bâtisse en pierres noires était magnifique, malgré le côté inquiétant dû à sa couleur, de longues allées bordées de bouleaux menaient au manoir et à ses dépendances. Malgré tout, la végétation avait depuis fort longtemps repris ses droits sur les lieux, les jardins n’étaient plus entretenus depuis une éternité. Ce qui fut un splendide chemin de gravier rose restait à peine perceptible, envahi de ronces, chardons, lierres en tous genres. Un majestueux saule avait même poussé dans la fontaine brisée qui séparait les deux escaliers permettant l’accès au hall. Sur le côté, un immense jardin d’hiver dans un état remarquable se tenait fièrement debout si ce n’est que quelques vitres qui étaient cassées.
— Bonjour docteur.
— Bonjour.
— Comment va-t-elle ?
— De vous à moi miss, je vois peu d’espoir pour elle, bien peu d’espoir, mais c’est lui qui me fait le plus de soucis, je doute de sa capacité à assumer la situation.
— Merci pour tout docteur.
Sam remonta l’allée du manoir en pressant le pas, seule devant l’immense porte de peuplier sculptée, elle hésita à frapper. Elle prit une profonde inspiration et empoigna le marteau de bronze en forme de tête de bouc.
C’est la petite Margareth qui ouvrit la porte.
— Bonjour Sam.
— Bonjour Maggy, comment vas-tu aujourd’hui ?
— Bof, maman est toujours très fatiguée alors je ne peux pas jouer avec elle, je m’ennuie un peu.
— C’est promis, je file dire bonjour à ton papa et je repasse te voir OK ?
— C’est promis miss ?
— Juré craché !
— Ah non ! mon papa dit toujours que c’est impoli et irrespectueux de cracher.
— Et il a raison, c’est vrai, allez je reviens dans quelques minutes, file.
Elle traversa le hall marbré, d’immenses frises décoraient les plafonds, à chaque fois que Sam y pénétrait, elle ne pouvait s’empêcher de frissonner. Elle était magnifique cette demeure, mais une désagréable sensation lui filait des sueurs froides à chaque fois qu’elle passait la porte.
Face au massif escalier, un bruit de pas résonnant à travers les couloirs lui indiqua que le révérend venait à sa rencontre.
— Bonjour Sam.
— Bonjour révérend.
— Vous venez rendre visite à Margareth ?
— En fait c’est vous que je venais voir.
— Eh bien je suis là, donnez-vous la peine de me suivre au petit salon, je vous prie.
Sam s’exécuta, le petit salon n’avait de petit que le nom, d’épais rideaux rouges donnaient un côté feutré à l’endroit, deux vieux fauteuils de cuir rouge également appuyaient l’ambiance, ce qui attira Sam c’est le parquet en chevrons noir et chêne, il était si vieux, si mat, une lame était même cassée, ce qui réduisait à néant les rumeurs locales comme quoi le manoir se serait reconstruit de ses propres ruines, cette rumeur l’avait toujours amusé, ainsi que d’autres bien sûr. Le révérend l’invita à s’asseoir.
Elle fut un peu gênée, elle baissa les yeux et regarda son paréo de toile, mais c’était trop tard lorsqu’elle aperçut ses sandales pleines de terre, elle s’excusa. Le révérend s’amusa de la situation.
— Au moins, je peux vous suivre à la trace.
— Je suis vraiment désolé révérend.
— Ce n’est rien je vous assure.
— Merci beaucoup, mais si ça ne vous dérange pas je préfère rester debout.
— À votre aise, alors dites-moi, qu’est-ce qui vous amène Sam ?
— Eh bien voilà, en traînant près de la 90 j’ai trouvé ça.
Elle posa son sac sur le fauteuil rouge, mais s’aperçut trop tard qu’il était également plein de boue.
— Oh merde, pardon révérend.
— Ce n’est rien ce n’est rien.
— Je suis vraiment confuse.
— Allons allons, alors dites-moi.
— Oui pardon, je disais que j’ai trouvé cela et je me suis dit que cela pourrait vous être utile, enfin je crois.
— Une trousse à pharmacie ?
— Oui et elle est pleine regardez, des bandages, des pommades, des ciseaux stériles, enfin je crois.
— Et donc vous m’offrez cela ?
— Je me suis dit que.
— C’est gentil Sam, mais vous savez, ma femme n’a malheureusement nullement besoin de tout cela.
— Ah je pensais que…
— Je vous assure, c’est adorable, mais gardez cela pour vous, on ne sait jamais.
— Et comment va-t-elle ?
— Bien mal, elle se réveillait plusieurs fois par jour, mais aujourd’hui je crois qu’elle est dans le coma. À ces phrases, le révérend ne put contenir son émotion et commença à pleurer.
— Laissez-moi voulez-vous, je vous en prie.
— Bien révérend, je passe dire au revoir à Maggy et je file.
— C’est ça et merci de votre compassion.
Sam remballa ses affaires, regarda le révérend, il était assis sur l’autre des deux fauteuils rouges, il tenait son visage dans ses mains, il sanglotait.
Sam, une fois dans le hall, se laissa bercer par une douce mélodie, langoureuse et chargée d’émotions.
Elle poussa la grande porte du séjour principal, la pièce était vide, à l’exception d’un seul meuble présent en plein milieu de la pièce, un vieux et prestigieux Steinway & Sons.
Maggy y était assise et jouait lentement.
— C’est joli ce que tu joues, c’est quoi ?
— C’est maman qui l’avait écrite pour mon anniversaire.
— Je suis sûre qu’elle t’en écrira plein d’autres très bientôt.
— Je ne crois pas Sam.
— Pourquoi dis-tu cela Maggy ?
— Papa pleure et je ne l’ai jamais vu pleurer.
— C’est parce qu’il se fait du souci pour toi, il craint que tu sois triste.
— Mais je ne suis pas triste.
Sam ne sut que répondre.
— Tu sais Sam, c’est gentil de passer me voir, des tas de gens viennent réconforter papa, mais moi personne n’ose me parler.
— Bin tu sais j’ai eu ton âge et j’étais très seule moi aussi alors je sais ce que c’est.
— Tu as quel âge Sam ?
— J’ai vingt-trois ans et toi tu as onze ans, je crois, c’est ça ?
— Non j’ai presque douze ans, je ne suis plus une enfant, tu sais.
— Eh bien pour tes « presque douze ans » que dirais-tu de venir avec moi demain pour pêcher ou chasser ?
— Ça serait formidable Sam, mais papa ne sera pas d’accord.
— Nous verrons, je repasserai demain d’accord ?
— D’accord Sam, à demain, peut-être me parleras-tu de ton amoureux ?
— Mon amoureux ? De quoi tu parles ?
— Des fleurs sur ta robe, ça ressemble aux bouquets qu’un garçon donne à une fille pour lui dire qu’elle lui plaît.
— Ah euh non mais…
— Il est gentil ?
— Oui très, mais ce n’est pas mon amoureux, c’est juste un cadeau comme ça.
— Alors pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Il t’offre des fleurs et il est gentil alors pourquoi c’est pas ton amoureux ?
— Bin, je sais pas et dites-moi jeune fille, la curiosité est un vilain défaut, tu le sais ça ?
— Oui bien sûr, mais tu es si souvent toute seule comme moi alors je suis contente pour toi c’est tout, moi je suis trop jeune pour avoir un amoureux, mais je suis sûre qu’il sera gentil et lui aussi il m’offrira des fleurs.
— Je l’espère bien Maggy, sinon je lui péterai la tronche.
Maggy et Sam se mirent à rire, réchauffant le côté glacial de ce salon aux proportions démesurées puis Sam tourna les talons et comme envoûtée par cette mélodie, elle s’éloigna doucement vers le hall, sa démarche était lente et en rythme avec le piano.
Quelques jours plus tard, le révérend et sa fille étaient au pied de la colline. Le petit cimetière de Young Mémorial Park était le cimetière historique de la ville, des dizaines de stèles anciennes pour les riches d’un côté puis de l’autre, les croix de bois disposées un peu n’importe comment pour les pauvres. Il était de mise que le cimetière devait se trouver le plus éloigné possible du bayou pour éviter que les chiens léopards, alligators et les rats géants ne viennent se repaître des chers défunts. La femme du révérend n’avait pas survécu à ses terribles fièvres, cela faisait deux jours que le coma l’avait emportée. Les funérailles de la femme du révérend furent intimes. Personne ne devait y être présent, mais de funèbres circonstances furent qu’un second enterrement avait lieu dans un coin du cimetière. Quelques anciens pleuraient un de leurs proches, à la différence d’un enterrement dit classique, la communauté noire de Morgan City elle, faisait la fête, des chants, des prières remerciant Papa Legba et le baron Samdi d’accompagner le défunt jusqu’au ciel, s’ensuivait un repas de fête réunissant famille et amis, le tout accompagné par un orchestre improvisé.
Contraste violent, le révérend, immobile, pleurait à chaudes larmes. Il s’agenouilla et regarda la tombe de son épouse, il leva pourtant les yeux lorsque Sam et quelques habitants arrivèrent près de lui et de sa fille.
— Bonjour révérend, nous voudrions nous présen...
— Partez, partez tous.
— Mais voyons papa ils sont venus pour nous, pour nous et pour maman.
Le révérend se releva et se dressa devant les quelques personnes venues apporter leur réconfort à la petite Maggy ainsi qu’au révérend.
— Je vous ai dit de partir, vous n’avez rien à faire ici. Pourtant resté en retrait, Sam intervint :
— Voyons révérend, vous ne pouvez pas leur en vouloir de compatir ainsi à votre douleur. En cœur les tribaux se mirent à chanter d’une seule voix :
Kalfou o ou pa vini wè mwen Ou pa vini wè mwen