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Le papé du briquet est un roman riche d’aventures et qui se veut populaire. Dans cet ouvrage, l’époque sans eau courante ni électricité dépeint la rudesse de la vie dans un village de haute Ardèche et de Provence. Ici, les malheurs et les bonheurs s’entrecroisent et n’arrangent rien aux drames qui surviennent là où on s’y attend le moins.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Dauberte a exercé le métier de VRP – Voyageur Représentant Placier – puis a tour à tour été directeur des ventes, ensuite il fut délégué en communication notariale sur 25 départements. Aujourd’hui retraité, il signe ici son deuxième ouvrage.
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Seitenzahl: 299
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Alain Dauberte
Le papé du briquet
© Lys Bleu Éditions – Alain Dauberte
ISBN : 979-10-377-9193-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
L’auteur a dans sa tête un rétroviseur qui lui permet de revoir par bribes les miettes de son passé. Il décrit dans ce roman des personnages et des faits véridiques, mais bien souvent imaginaires ayant peu connu son arrière-grand-père « Le papé du Briquet ».
Est-il nostalgique, peut-être ! n’oublions pas que passé minuit c’était hier.
Il se veut auteur populaire, un raconteur d’histoires qui tient en haleine son lecteur et qu’il ne soit pas interrompu par des mots intellos qui obligent à plonger dans le dictionnaire à presque chaque page et coupe l’élan.
Dans un lexique, il explique des mots de patois pour que l’on puisse comprendre, car Provençal né à Avignon, il a passé la moitié de sa vie dans le Sud.
Son œuvre est limpide, clarifiée, par des titres pour chaque moment qu’il met en couleurs, car comme moi c’est en parallèle un artiste peintre reconnu, mais expose peu et il pourrait passer de l’ombre à la lumière si on se souvient de lui après sa fin de vie, car il laissera des traces par son roman et ses toiles.
Alind’o
Artiste peintre
Avant-propos
Dans mon précédent ouvrage intitulé « La Pissarote » édité auxéditionsPersée,je parle de mon arrière-grand-père maternel, « le papé du briquet ».
Je l’ai toujours appelé ainsi étant marmot, en fait son nom à l’état civil est Joanny, Régis de son prénom, Etienne de son deuxième prénom, né le 19 mars 1876 dans un hameau en Ardèche du Nord nommé Péreyres au lieu-dit Bové. Ensuite, beaucoup plus tard, il a été cultivateur aux abords du village du « Thor » en Provence.
Dans la famille, on racontait qu’il avait été veuf 3 fois, d’autres 2 fois, les avis divergent, et buvait un litre de gnôle par jour, je m’interroge ! L’ayant rencontré peu de fois, je n’ai pas eu beaucoup d’informations sur lui, c’était un taiseux et je n’ai, par sa fille (ma grand-mère, Claire) que quelques photos en héritage. Donc, mon imagination créative m’a permis jour après jour d’inventer une histoire que j’ai griffonnée sur des feuilles de cahier et qui, je l’espère, vous captivera et, sans doute, vous plaira. Je vais vous raconter à ma façon, ce qui appartient à mon enfance, sorti de mes rêves brumeux, des bribes de vies assemblées dans des morceaux de miroirs, qui me renvoient leurs images dans le passé.
À quelques lieues de Burzet situé en Ardèche, on suit un chemin sinueux et tortueux qui longe la rivière « Le Bourges ». On franchit un pont qui l’enjambe où on aperçoit en face un petit village nommé « Péreyres », un hameau d’environ une trentaine d’habitants à flanc de montagne avec une chapelle sur la gauche et des maisons en pierres aux ruelles étroites qui grimpent fortement. Il faut remonter à gauche et ensuite à droite pour arriver sur un terre-plein. Au-dessous se trouve le lieu-dit « Bové », une demeure à la fois ferme et maison de village où loge la famille Joanny. Ce village se niche dans une gorge, entre deux sommets, l’un à 1286 mètres et l’autre à 1412 mètres. Le chemin longe cette rivière peu profonde d’une eau très fraîche et limpide qui se crée un passage en cascade entre les rochers, où l’on pêche à la main des truites magnifiques. La roche qui forme les gorges entourées de massifs boisés parfois à pic ne permet pas l’accès facile à la rivière. La vieille horloge sonne 22 heures, Nénette, leur premier enfant, âgée de 4 ans et demi, serre contre elle d’une de ses petites menottes son nounours et de l’autre suce son tout petit pouce, les joues rosies et bouffies par la chaleur de l’édredon en plumes d’oie.
Environ plus d’un mètre de neige cerne la maison, plongée dans un silence profond qui étouffe les bruits de la campagne. On entend presque plus les cris des corbeaux et d’autres animaux des alentours. La neige paraît bleutée à la lisière des massifs forestiers illuminés par les rayons de la lune. Ce silence est tel que l’on s’entend respirer.
Par la fenêtre, malgré l’heure tardive, les volets ne sont toujours pas fermés, à travers les rideaux de dentelle, on aperçoit la lumière jaunie de la lampe à pétrole qui éclaire la chambre commune où tous dorment habituellement sur une énorme paillasse jetée à terre sur le plancher. À l’entrée de la pièce à coucher sont alignés les sabots les uns contre les autres, des plus petits aux plus grands. Il n’est pas dans les habitudes de laisser l’éclairage à ces heures-ci. Les autres soirs, après avoir éteint la lampe, ils laissent les flammes de la cheminée s’affaiblir. Du dehors, on peut apercevoir petit à petit la lumière par à coup s’étioler et, de nouveau, comme en sursaut, se rallumer et ensuite pâlir pour ne laisser que quelques braises rougies qui se laissent mourir pour qu’au petit matin ne reposent que quelques cendres grisées et froides.
Mais ce soir-là, le père Baptiste jette deux bûches de bois de chêne dans la cheminée qui crépitent et font sursauter la chatte. Elle s’enfuit aussitôt le poil hérissé.
La chambre est située au-dessus de l’étable, la chaleur des corps des animaux couchés dans la paille s’infiltrant par les fentes du plafond en bois et prenant le relais pour la nuit.
Que se passe-t-il la soirée du 19 mars 1876 ? Eh bien, cherchez dans votre imagination ! Vous n’avez pas trouvé ? Vous ne devinez pas ? Nenni !
Alors je vais vous conter : l’épouse de Baptiste, Marie née de la famille Court, se tord de mal au ventre et les grimaces, qui déforment son visage, font peur à leur gros chat « Pompon », celui-là gonflant ses poils, droit sur ses pattes comme un piquet, la queue raide et gonflée.
Un heureux événement se prépare, chez la famille « Joanny ».
Son ventre est rond comme une baudruche prête à éclater. Elle est assistée par sa grande sœur Clairette, car le pauvre homme est désemparé et ne sait que faire. « Boudiou ! » dit-il, se tenant la tête entre ses deux paluches, marchant de droite à gauche et faisant les cent pas derrière la porte, en bois de chêne, entrouverte.
« Si tu ne sais pas quoi faire. Rends-toi utile », rouspète-t-elle.
« Va chercher une bassine d’eau chaude et une serviette, ça t’occupera », dit à haute voix Clairette.
Marie gesticule, gémit. Allongée sur la paillasse, les contractions la font souffrir énormément, mais l’enfant ne veut pas apparaître. Il est trop bien au chaud dans le ventre de sa maman. Puis comme par magie :
— Vous le saurez bien plus tard, car il y a une raison à cet événement, la chambre s’éclaire toute entière d’une lueur très vive et aveuglante. L’enfant né à cet instant, délivrant Marie, sera, bien des années plus tard, mon arrière-grand-père maternel, Etienne Joanny. Ce beau bébé est sorti direct comme une savonnette, plouf !
« C’est un garçon fan de chichourle, c’est un garçon ! » crie Clairette qui le prend aussitôt dans ses bras, l’enveloppe dans une serviette. Quelques petites tapes sur le dos et voilà le pitchoun qui gueule à la vie, réveillant les animaux et la petite sœur qui dort profondément. Vaches, cochons, chevrettes sursautent et font un vacarme pas possible. Pompon ouvre grand ses pupilles et s’enfuit en miaulant, la queue entre les pattes.
La maman pleine de sueur est livide, le visage marqué, mais soulagé.
« Baptiste, va chercher la balance pour le peser », ordonne Pierrette qui allonge le nouveau-né après avoir coupé le cordon ombilical.
Dans la bassine d’eau chaude, elle prend soin de bien le nettoyer et le rendre propre et présentable. Le papa accroche un suspensoir au crochet de la balance romaine. Clairette dépose l’enfant délicatement dans un drap en forme de hamac. Baptiste soulève l’appareillage d’un bras raide et robuste et approche son regard sur la réglette graduée :
« 3 kg 800 », s’écrie-t-il, fou de joie et fier, le visage, éclairé par la lampe à pétrole, laisse deviner une petite larme coulant sur sa joue. De nouveau, Baptiste sourit et enveloppe ce beau bébé dans un linge propre et, avec un air admiratif, celui-ci dépose un baiser sur le front de son épouse et lui remet le petit Régis, le fruit de leur amour, dans ses bras, contre son énorme poitrine gonflée de lait maternel. La petite sœur réveillée approche sa tête blonde auprès de son petit frère et lui fait un bisou sur sa menotte, « c’est trop mignon ! ».
Baptiste, pour se réconforter, descend à la salle à manger, prend trois grosses louches de soupe chaude qui mijote dans le chaudron en fonte suspendu dans l’âtre de la cheminée. Un parfum divin s’en exhale dans toute la pièce. Baptiste verse le breuvage dans une assiette profonde, un coup de vin rouge, sale, poivre et prend les bords du récipient de chaque côté de ses deux patarasses. Il porte le tout à ses lèvres et avale la soupe directement, puis ensuite, pour fêter l’événement, boit un coup de gnôle au goulot de la bouteille. Il la tend aux lèvres de sa belle-sœur qui l’a rejoint et, d’un air dégoûté, elle repousse son bras. « Bah ! fit-elle, c’est trop fort, comment peux-tu boire ça ? »
Baptiste fait un rôt tellement bruyant qu’il fait sursauter le bébé et fait rire la maman aux éclats.
« Nénette, tu as un petit frère », dit-elle. La naissance d’un enfant rend tout le monde heureux. Ce sont des heures enchanteresses. Le temps semble s’arrêter ou plutôt semble s’être suspendu. Ensuite, des années plus tard, on le cajole, lui fait des risettes. « Ainsi font, font, font les petites marionnettes », chantonnent les parents en tournant et retournant leurs mains levées de droite à gauche. L’enfant rit, la bouche édentée grand ouverte. « Si c’est un savant tant mieux », dit le père, mais malheureusement, il peut devenir un ignoble assassin. C’est mignon tout petit, mais que lui réserve le destin ? Je vous pose la question. Tout petit, il était sûrement mignon, Hitler, mais la suite vous la connaissez : personne ne peut avoir la confirmation absolue de sa propre existence.
Les parents se sont connus par l’intermédiaire d’un voisin à la fête du village de Burzet, tous deux de famille d’agriculteurs et de fermiers honorables qui n’ont jamais eu l’habitude de s’endimancher. Mais, pour ce jour de fête, on a fait une exception.
Marie portait sous son chemisier blanc un corset serré dans le dos par des lacets entrecroisés qui lui affinait la taille. Sa longue robe fluide en coton fleuri la grandissait et le bustier laissait deviner une poitrine généreuse et opulente, avec de la dentelle au col et aux poignets. Sa chevelure brune, attachée d’un gros chignon, était coiffée par un petit chapeau à larges bords légèrement retroussés. Elle était d’une élégance peu commune par rapport aux jeunes paysannes plutôt rustres qu’elle fréquentait. Elle avait eu soin de cacher ses mains rugueuses et abîmées par le travail des champs par des gants de soie blanche. Sa ressemblance avec les bourgeoises des grandes villes intimidait Baptiste. « Fatchedeu !! Elle est trop bien pour moi. »
« Et couillon, lui dit son voisin Philibert. Si ce n’est pas toi qui fais le premier pas, ça sera un autre. » Il fit les présentations. Ce fut elle qui était la plus intimidée. Elle baissa légèrement la tête et les yeux d’un si joli violet.
Il lui prit la main, « voulez-vous m’accorder cette danse », dit-il les yeux écarquillés. L’air admiratif, n’osant refuser, elle acquiesça d’un timide et imperceptible « oui ».
Il portait une chemise blanche à fines rayures, serrée au col par une lavallière, un gilet qui laissait entrevoir par sa redingote entr’ouverte une chaîne en argent reliée à une montre à goussets déposée dans une petite poche d’un pantalon rayé et des godillots cirés.
Il était grand, sec comme une trique, mais au demeurant beau garçon. Ils virevoltèrent sur la piste de danse et se laissèrent griser par le son d’une valse viennoise.
Ils se plurent de suite, un coup de foudre, disait-on, ils tournoyèrent les yeux dans les yeux, ignorant les autres danseurs qui, sans le vouloir, les bousculaient au passage en s’excusant. La tenant dans ses bras, il la souleva et tournoya, tournoya, la serrant contre son cœur en riant à pleins poumons, en laissant éclater leur joie l’un et l’autre. Ils étaient seuls au monde. Fernand, un copain passant près d’eux, lui fit un clin d’œil, comme pour lui signifier qu’elle était faite pour lui. Après une Mazurka, fatigué, il l’invita à boire un verre d’absinthe. Ils s’assirent autour d’une petite table ronde à la terrasse du bistroquet attenant à la piste de danse illuminée par des lampions de multiples couleurs. Ils firent mieux connaissance, engaillardis par les effets de l’alcool qui leur donnaient du courage.
Du fait que tous deux travaillaient à la ferme de leurs parents, ils avaient des sujets de conversation communs et familiers. Ils fréquentaient peu souvent l’école publique du village de Burzet, elle s’y rendait assise sur une carriole tirée par un mulet et lui avec un vélo increvable aux pneus caoutchoutés.
Ils étaient du même milieu, ce qui facilitait cette merveilleuse rencontre.
Baptiste était né le 19 septembre 1848 à Burzet et possédait un grand nombre de livres entassés dans une malle qu’un oncle lui avait remis avant la fin de sa vie d’enseignant. Avant de s’endormir, il lisait souvent à la lueur d’une bougie enfoncée dans un chandelier de bronze posé sur sa table de nuit. D’un souffle, il éteignait la flamme et ses pensées continuaient ses lectures avant de tomber dans la nuit des songes.
Quand il entendit le son de l’accordéon, il l’invita de nouveau à danser, sans lui demander l’autorisation, en la prenant par sa main gantée et la serrant par la taille au plus près de lui. Il lui glissa à l’oreille : « Sais-tu qui a inventé l’accordéon ? »
D’un air étonné : « Je ne sais pas », répondit-elle !
« L’accordéon a été inventé en 1829 par Cyril Demain, à Vienne ». Il n’est pas un idiot ! pensa-t-elle.
D’un air jovial : « Tu ne serais pas un peu savant, Baptiste ? » dit-elle naïvement en le regardant droit dans les yeux et en l’écartant légèrement par les épaules, les bras tendus pour mieux l’admirer.
Il en rougit, détourna légèrement la tête pour acquiescer, pas peu fier de lui.
« Tu me prends pour une nigaude ? »
« Point sans faux, Marie, et si tu le désires, je veux bien te prêter quelques livres ». Ils bavardèrent jusqu’à très tard et se revirent souvent. Ils durent faire des concessions auprès de leurs parents pour concilier le travail des champs et l’école et également leurs rendez-vous galants.
Leur premier baiser se fit au coin d’un bois, sous un arbre, entre deux rochers, en ayant pris soin de cacher dans les futés la carriole et le mulet ainsi que le vélo de Baptiste. Ils écrasèrent leurs lèvres de baisers fougueux. Leurs corps étaient en feu. Marie n’avait jamais connu d’autres garçons, que savait-elle des hommes ? Et lui de même envers les filles, étant trop timide et ayant peu confiance en lui et, de ce fait, manquant d’audace.
En 1865, sous le règne de Napoléon, Baptiste fut appelé sous les drapeaux au service militaire obligatoire. Il dut, après ses classes, endosser la tenue napoléonienne avec la coiffe de grognard, l’épée et les bottes de cuir, je passe les détails.
Lettre de Baptiste le 19 décembre 1868 (j’ai corrigé les fautes d’orthographe).
Ma chère et tendre, la détonation des canons a fait fuir nos chevaux, certains ont dû être blessés, d’autres sont certainement morts. Nous avons, mes camarades de garnison et moi, le moral en berne, au plus bas. Nous marchons avec nos bottes mouillées, parfois dans la neige et le froid, pendant des heures interminables, les rations alimentaires sont maigres et nous tenons le coup avec du vin rouge légèrement piqué. Heureusement et malheureusement, les officiers réquisitionnent de pauvres paysans dans les fermes, nous pouvons nous reposer dans les foins qui nous procurent un peu de chaleur. Arthur, mon copain de galère, avec qui je m’entends bien et partage tout, a attrapé la courante et il laisse « peuchère » des traces derrière lui que nous faisons disparaître pour ne pas être repérés par l’ennemi.
Non ! Je plaisante, c’est pour te remonter le moral et te faire rire, mais c’est vrai, il est malade, le pauvre, il me fait pitié. Ma douce, j’ai hâte de te serrer dans mes bras, ton soutien m’est indispensable pour tenir le coup, t’ai-je vraiment manqué ? J’espère que je serai un jour auprès de toi, que tu recevras mes lettres égarées qui auront été retrouvées pour te prouver tout mon amour et mon attachement à ta belle personne. Je dois avoir un ange gardien qui plane au-dessus de moi et qui me protège. Je t’embrasse bien fort, je pose mes lèvres sur le papier où j’ai indiqué l’endroit par une croix, ainsi tu pourras poser tes jolies lèvres, autant de fois que tu le désireras.
Je t’aime.
TonBaptiste
Ilspurententreteniruncourrierquineleurparvenaitquelongtempsaprèsoumême pasdutout.
Quelque temps après, beaucoup plus tard, lettre de sa bien-aimée :
Baptiste,
J’ai reçu par bonheur ta dernière lettre qui m’est parvenue et j’en suis toute retournée. Quand te reverrai-je ? Je sais que tu es fort et résistant. Cette année, il a fait un été très chaud et sec, les cultures ont souffert par le manque d’eau, la terre est sèche et craquelée et les animaux ne s’alimentent qu’avec de l’herbe jaunie. Heureusement qu’au versant nord des montagnettes, l’herbe est plus verte. Mon père se tue à la tâche, c’est dur pour nos familles et, de plus, on est inquiet : nos jeunes soldats sont absents au travail pour labourer la terre et s’occuper du bétail et des autres animaux de la ferme. Ils sont tous au combat pour nous défendre au cas où il y aurait une autre guerre, mais ce sont des enfants, de jeunes hommes, comme toi, mon chéri. Je t’aime tellement que parfois mon cœur se serre et je pleure calfeutrée dans mon lit et je prie Dieu qu’il te préserve et te rende à moi pour toujours. À l’aide d’un miroir, j’ai dessiné le contour de mes lèvres, pose les tiennes sur le papier à ton tour.
Ta douce qui t’aime.
Marie
Après quelques années de service militaire obligatoire, il revint amaigri, mais sain et sauf et bien vivant, grand dieu !
Le 19 juillet 1870, la Prusse et la France rentrent en guerre, six semaines plus tard, Napoléon III est fait prisonnier à Sedan, la République est proclamée. Après la victoire des Allemands sous Guillaume Ier, on fit les comptes : cette guerre a tué 51 000 Allemands et 139 000 Français.
Tout en fréquentant sa douce et belle Marie, malgré le peu de présence autrefois sur les bancs de l’école, il arrêta les cours et se remit à la tâche auprès de ses parents, aux travaux des champs. C’était un besogneux.
« Eh ! où vas-tu, Baptiste, tu te fais bien beau, elle est belle au moins ? » dit sa mère d’un air enjoué, plaisantant et lançant un regard malicieux du coin de l’œil à son mari.
« Cela ne te regarde pas », répondit-il en rougissant. Il partit alors comme un fou en galopant sur le dos du mulet, ayant eu soin auparavant d’ajuster son chapeau qui tomba à terre dans sa précipitation. Elle l’attendait au bas d’un coteau, derrière la ruine d’une vieille tour, assise sur une pierre tombée du haut.
Baptiste arriva au galop dans un nuage de poussière, attacha sa monture à un arbre, courut vers Marie et lui déposa un baiser, puis deux puis trois. Ils s’étreignirent en se serrant fortement puis il la prit par la main et la conduisit sous un fourré. Ils s’allongèrent sur l’herbe tendre.
« Mon amour, je t’aime tellement ! »
Ils se regardèrent tendrement les yeux dans les yeux. Le temps était suspendu, on entendait à peine le chuchotement des feuilles et le bruissement des ramures ainsi que le gazouillis des oiseaux. Un nuage blanc et cotonneux se déposa timidement avec délicatesse et légèreté sur le sommet de la montagne toute proche. Ils s’embrassèrent goulûment, la chaleur et le désir de leur corps leur monta aux visageset lui, excusez du peu, dans son pantalon. Elle sentit contre elle la dureté de son sexe, il commença à lui déboutonner avec empressement son chemisier. Il aperçut, entre deux baisers, sa poitrine légèrement dénudée qui se gonflait de désir et ses épaules d’une admirable grâce. Il entra en transe, glissa sa main le long de son joli mollet et la remonta sur son jupon sous sa robe. Aussitôt, elle la lui retira d’un coup sec, le repoussa et s’assit d’un coup, vive et inattendue, et lui balbutia, caressant la joue d’un regard de biche : « Mon tendre chéri, c’est trop tôt, je ne suis pas encore ta promise. Attends si tu veux de moi. Sois patient et je comblerai tous tes désirs, si tu consens qu’on soit uni par le mariage. Mes parents m’ont fait jurer que, tant que je ne serai pas passée devant le maire et le curé, je ne coucherai pas avant. C’est l’usage chez nous. Ne te vexe pas, mais je n’ai pas le droit de tomber enceinte. Le curé ne voudrait pas nous marier. C’est un péché, et ce serait la honte, les ragots iraient bon train et se propageraient tout autour de nous. Je serai montrée du doigt avec mon gros ventre. »
Refroidi, Baptiste, la mine déconfite, lui répondit : « Je te respecte, j’ai vraiment envie de toi, fan de chichourle, que tu es belle, Marie ! »
Il prit un air solennel : « Veux-tu de moi comme époux et être la mère de mes enfants ? »
« Oh ! Oui je le veux, mon chéri. Oh ! Oui ! »
« Je te présenterai à mes parents, on se fiancera et ensuite, j’irai demander ta main aux tiens. Je te désire de tout mon cœur, Marie ! »
Le grand jour est venu d’informer les parents : « Papa, maman, je fréquente une fille bien comme il faut, je l’ai connue au bal avant le service militaire, ses parents ont une ferme de l’autre côté de la vieille tour, vous la connaissez sûrement : elle est de la famille Court et s’appelle Marie ».
« Tu parles que je les connais. Avec son père Philibert, on a fait les 400 coups. Nous étions une bande de morveux et on piquait les cerises du père Antoine qui nous gueulait après et tirait des coups de fusil en l’air pour nous faire peur. On ouvrait la porte de l’étable où logeaient ses cochons pour qu’ils puissent gambader dans le pré de sa voisine qui hurlait. C’est une bonne nouvelle, on se rencontre parfois au marché ou au café, où l’on parle de tout et de rien ».
« Et parfois à la messe le dimanche ! » ajouta la mère.
« Ça alors, tu m’en bouches un coin », dit son père.
Le lendemain soir, sa tendre dulcinée se rendit à la demeure de la famille Joanny. Une fois arrivée à destination, elle descendit de sa carriole, attacha les rennes de son mulet à l’anneau proche de la porte de l’étable. Marie, ravissante, s’avança vers l’entrée. Elle portait une robe de soie mauve, à la couleur de ses yeux, ornée de dentelle, des bottines de cuir lacées et un chapeau orné de fleurs violettes et garni d’un ruban jaune. Elle tira la cordelette qui actionnait la clochette et son tintement avertit de l’arrivée de la jeune femme. Baptiste et ses parents ouvrirent la porte d’entrée. Tous avaient l’air un peu gênés. Il s’avança d’un pas décidé vers elle et la prit par la main, clamant à haute voix, fier de lui, le torse bombé :
« Papa, maman,je vousprésente Marie, ma bien-aimée de la famille Court ».
« Nous sommes ravis », dit la maman, en versant une petite larme qu’elle essuya du revers de sa main droite et aussitôt étreignit sa future belle-fille. Le père fit de même, et l’invita d’un geste large de la main à entrer à l’intérieur.
Aussitôt, avec empressement, ils sortirent les verres, avec de l’eau fraîche pour ceux qui auraient désiré de l’absinthe, et invitèrent Marie à s’asseoir face à eux.
La pièce était tempérée, toute simple, une cheminée dans le fond, où était suspendu dans l’âtre un chaudron rempli de soupe de légumes, avec un morceau de viande et du lard pour donner du goût. Les braises rougeoyaient et maintenaient la chaleur. Une vapeur parfumée embaumait la pièce. Au milieu, une grande table de chêne avec un banc de chaque côté, un vaisselier, une panière pour entreposer le pain. Au-dessus de l’étable, accessible par une échelle, se situait la chambre des parents pour économiser comme il est d’usage dans le coin le chauffage en hiver. À côté se trouvait celle de Baptiste avec une croix du Christ au-dessus de la tête de la paillasse qui lui servait de couchage posé à même le plancher. Une bougie était fixée sur une petite assiette à dessert et, à l’intérieur d’un petit meuble de chevet, l’indispensable pot de chambre en émail blanc légèrement ébréché. À l’extérieur, un puits où l’eau fraîche était tirée. Cette eau servait pour nettoyer le linge, les besoins ménagers, se laver, donner à boire aux animaux. Pour la toilette intime, on tirait un rideau accroché à une tringle. Après s’être savonné, on se rinçait avec un broc d’eau froide l’été et tiède l’hiver, debout dans une bassine, plate et ronde, en zinc, d’environ 1m 20 de diamètre.
Côté cour, à l’extérieur, éloigné de la ferme, se trouve le cabinet, autrement dit les WC, situés au-dessus de la fosse à purin. Une odeur épouvantable et nauséabonde s’en dégageait, et les mouches vertes virevoltaient autour de l’occupant, surtout l’été. L’hiver, on grelottait de froid, surtout quand le vent glacial descendait des montagnes et on ne s’attardait pas trop longtemps. C’était en fait un cabanon de bois, avec un trou sur le plancher et une échelle à trois barreaux pour y accéder par la porte de derrière. La vie à cette époque était rude dans les campagnes, il fallait y être né, on s’en accommodait, bon gré, mal gré.
Dans le poulailler, les poulets, le coq, les canards et les petits poussins vivaient en communauté. L’étable abritait deux cochons, une vache et une chèvre qui fournissaient du lait avec lequel la mère fabriquait des fromages. On y trouvait aussi deux moutons et Popaul, le mulet, qui servait de cheval de trait pour les labours, et l’attelage, pour se rendre aux marchés des villages voisins. Autour de la demeure, des petits terrains cultivés en espaliers, entourés de futaies fournissant le foin, des pâturages pour les animaux, des légumes avec sur les côtés un figuier, un abricotier et trois cerisiers. Cela permettait de vivre dignement sans être riche, loin s’en faut car la culture en montagne est difficile, le sol étant pauvre. Par temps orageux, il fallait remonter la terre qui, par le ruissellement, dégringolait plus bas. Rien n’était plat, les terrains très petits et morcelés étant parfois inclinés.
Soudain, la porte d’entrée grinça et, par l’embrasure, un rayon du jour s’infiltra dans la pièce. Tous tournèrent leurs regards et aperçurent une oie qui, entrant, se dandinait. Tous éclatèrent de rire. Marie était d’une grâce effacée et contenue, après avoir bu quelques verres, et discutait du travail de la terre qui les concernait. Baptiste glissa devant sa belle un plateau où était posé un petit boîtier de cuir noir. « C’est pour toi. Ouvre-le ! » dit-il. L’air étonné, elle ne sut quoi faire devant les parents : « Ouvre-le ! ». Ce qu’elle fit avec délicatesse. Pour fêter et officialiser les fiançailles, il avait acheté chez un bijoutier, avec ses économies un jour de marché, une jolie bague sertie d’un saphir. Elle ouvrit la bouche avec étonnement, hésita quelques secondes et enfila le bijou à son doigt. Elle se leva du banc et embrassa son Baptiste avec fougue : « Merci, mon chéri, merci. Il ne fallait pas ».
Elle était heureuse et tous l’étaient aussi. Ils discutèrent de tout et de rien. Soudain, Baptiste annonça : « Si tu es d’accord, dimanche, j’irai demander ta main à tes parents. Ensuite, il faudra que vous vous rencontriez pour organiser et fixer la date du mariage et discuter des conditions s’il y a lieu. » Ravi de cette décision, le père acquiesça favorablement.
Souriante, Marie reprit le chemin du retour et, entrant chez elle, ne dit rien.
« Tu t’es faite bien belle pour un jour de semaine, dit le père. Tu ne t’es pas trop sali les mains », en se doutant de quelque chose d’inhabituel. Elle fit mine de ne rien avoir entendu, cachant sa main baguée, et monta rapidement dans sa chambre.
Le jour tant attendu arriva. Baptiste se fit beau et propre comme un sou neuf. Il s’était gominé les cheveux, la raie sur le côté, et avait recourbé les pointes de ses moustaches qu’il avait fait pousser pour paraître moins gamin et plus mature. Toute la famille Joanny grimpa sur la charrette et ce fut le père qui conduisit Popaul qu’il avait eu soin de brosser et de pomponner. « Oh ! Oh ! » cria l’homme pour faire avancer le mulet. Ce dernier prit le trot et la cadence. À cinquante mètres de la ferme de Marie, le père de Baptiste arrêta l’animal en tirant sur les rennes. L’animal, surpris, s’arrêta net en cabrant sa patte droite avant légèrement recourbée vers l’arrière et une autre tendue, le sabot planté dans le sol. D’un hennissement, le mulet secoua ses babines de droite à gauche.
« Attendez-moi ! dit le fiston. Restez cachés derrière la haie et dès que je vous ferai signe, vous pourrez venir vous approcher de l’entrée ».
Il prit le bouquet de roses que sa maman avait pris soin de préparer, entouré de papier de soie noué d’un ruban. Il arriva donc à pied à la porte d’entrée et fit tinter la cloche en tirant plusieurs fois sur la chaînette.
La porte s’ouvrit. Le père de la future mariée parut au côté de sa fille et, d’un geste de la main, sans un mot, tout en s’inclinant légèrement, l’invita à rentrer. La mère arriva, essoufflée, s’essuyant les mains d’un torchon sorti de la poche de son tablier. Ils se serrèrent les paluches et le futur marié n’osa pas, par pudeur et correction, embrasser leur fille devant eux. Il resta respectueux et courtois.
« Que me vaut votre visite, mon brave ? »
« Bonjour, Monsieur et Madame Court, je m’appelle Baptiste et je suis le fils des Joanny. Je viens à ce jour, si vous me le permettez, demander la main de votre fille Marie, car on s’aime de tout notre cœur ».
Le père regarda de côté la mère qui mit sa main devant sa bouche sans piper un mot.
« Qu’est-ce qu’on lui répond ? dit-il d’un air malicieux. Que lui répondons-nous ! » en le regardant d’un air bon enfant.
Il haussa les épaules et clama haut et fort : « C’est oui, je t’accorde la main de ma fille ».
Folle de joie, Marie embrassa son paternel en lui sautant au coup, écrasant contre lui le bouquet de roses que lui avait remis Baptiste.
« Je suis heureuse. Merci, papa, merci maman ».
« Vous permettez ? » demanda Baptiste.
Il sortit dehors et siffla entre ses deux doigts pour avertir ses propres parents qui arrivèrent en charrette. Dès qu’ils en descendirent, le père de Marie les interpella :
« Bienvenue chez nous. Je suis bien content que vous soyez venus. Entrez ! Comment va mon cher ami ? »
« Je suis très heureux que ce soit toi, Philibert, le père de la future épouse de mon fils. Elle nous a été présentée la semaine dernière. »
« Je m’en doutais, elle s’était faite bien belle, mais elle m’avait caché qu’il y aurait un mariage dans l’air ».
Ils burent quelques verres de bienvenue. Il fallait aborder à un moment les choses essentielles. Tout d’abord : où allaient-ils se loger et avaient-ils l’intention de continuer comme leurs aïeux le travail de la terre ? En effet, tous deux n’avaient pas fait d’étude pour travailler à la ville. Il fallait aussi fixer la date du mariage.
Les grands-parents du père Court avaient fait fortune dans le négoce à Lyon. Ils lui avaient acheté une maison en pierres sèches au village de Pereyres avec en palier des terres cultivables. Puis ils s’étaient retirés dans une maison en pierres également à côté de chez leur fils pour finir leurs vieux jours. Les années s’étant écoulées, ils parurent se résigner devant la mort, le combat étant perdu d’avance. Une autre vie pour laisser place à la jeunesse, dit-on. Ils étaient enracinés pour l’éternité au petit cimetière le plus proche, en bas du chemin à mi-flanc du village.
« Donc je vous propose, si vous êtes d’accord, de l’habiter avec les jardins que vous pourrez cultiver. Ils se situent devant la maison – celui de la droite est bien plus grand en superficie – et avec d’autres qui longent le ruisseau. Je vous les lègue en héritage comme cadeau de mariage ».
« Et moi, rajouta le père Joanny, je vous lègue le champ de blé, de la volaille, un cochon, et si j’obtiens quelques sous après la prochaine récolte, une vache pour le lait ainsi qu’un cheval et sa charrue pour les labours. J’espère que vous nous ferez des petits marmots qui nous rendront fadas, n’est-ce pas ! »
Ils ne surent quoi dire, les yeux embués et la gorge serrée. Après s’être ressaisis, ils se serrèrent dans les bras : « Merci, merci ! C’est trop, merci infiniment ».
Ils décidèrent d’un commun accord de fixer la date de leur union vers début octobre après les récoltes, avant qu’il ne fasse trop froid. De plus, l’automne en cette saison était magnifique en Ardèche.
L’été passa après de grosses chaleurs et quelques orages. Il était temps de penser au nécessaire pour le grand jour. On était en septembre, Baptiste essaya son costume et descendit de sa chambre, fier de lui.
« Fan de chichourle, dit sa mère en le voyant ainsi accoutré, on dirait un clown ».
Il avait grandi depuis le retour de son service militaire et avait repris un peu de poids. Heureusement, car il était trop maigre. Les pantalons et les manches de sa veste étaient trop courts. De plus, il avait mis un nœud papillon de travers, en se tenant de guingois, l’air penaud et idiot, le regard hagard. C’était affligeant. En le voyant ainsi, le père éclata de rire.
« Il te manque le nez rouge et tu rentres dans un cirque. Il nous reste du temps, dit-il. J’ai quelque argent de côté, je m’arrangerai avec le tailleur d’habits de la ville d’à côté. Je le connais bien, ce sacré Firmin : nous avons fait le service militaire ensemble. Je lui apporterai quelques victuailles de la ferme et il sera content. C’est un brave homme ».