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Cathleen Riva, jeune écrivaine de trente-neuf ans, décide de quitter Paris pour s’offrir la demeure de ses rêves, un manoir isolé de tout. Elle pensait y trouver le calme, l’air pur et l’inspiration pour écrire, mais ce n’est qu’un calvaire qui l’attend. Non loin de là, une petite station de ski où vivent quelques habitants, une famille maudite sous l’emprise d’une malédiction et d’une légende surprenante viendront alimenter sa mésaventure.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Dans
Le parfum du sang,
Sandra Vergoby explore l’étendue de sa plume sur la capacité de l’être humain à se réinventer. Elle signe ainsi son deuxième roman qui s’inscrit dans la lignée des polars à suspense.
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Seitenzahl: 346
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Sandra Vergoby
Le parfum du sang
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandra Vergoby
ISBN : 979-10-377-8193-2
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Du même auteur
À mes fils
Enamourer, séduire, envoûter, manipuler, faire croire
À une belle ingénue être l’homme de ses espoirs
La vie vaut d’être vécue pour peu que l’on nous la laisse vivre
Quand bien même veut nous l’enlever un fou de rage ivre
Avec le risque que cette dévoreuse passion brise son arc-en-ciel
La jeune femme sera-t-elle une étoile de plus dans le ciel
Gilles Billaut
1
Aujourd’hui sera une belle journée. En tout cas, c’est bel et bien ainsi que je la vois s’annoncer. Je regarde par la fenêtre de mon petit logement à la décoration tout aussi cosy que moderne. C’est le même style d’appartement parisien dans lequel j’habitais, toujours dans le cinquième arrondissement, mais avec les étages en moins, avant de partir vivre au manoir… Ce maudit manoir… Dehors, le soleil printanier chauffe déjà abondamment la vitre et je m’émerveille devant les rouges-gorges qui, en plus de leurs chants mélodieux, m’offrent un spectacle magnifique de danse synchronisée dans les airs.
Je suis prête. Prête pour mon rendez-vous avec la journaliste qui prépare un reportage sur la sinistre histoire du manoir et qui me sera entièrement consacré. Elle n’a pas précisé si l’entretien serait filmé, alors, dans l’incertitude, j’ai privilégié une tenue élégante mais décontractée. Ma petite combinaison en lin sera parfaite pour l’occasion. Zippée et cintrée, je resterai chic, même dans la panique, comme dirait Élisa. Il est préférable que je sois à l’aise parce que, stressée comme je suis à ce moment précis, je ne doute pas une seule seconde de l’état incommodant dans lequel je serai lors de l’interview. Je vais devoir tout lui raconter, dans les détails, sans filtre et tout en gardant mon sang-froid. Il me faudra revivre ces moments de terreur et je ne pourrai inévitablement pas empêcher mes angoisses de remonter à la surface. L’appréhension me gagne. Pourtant, ce rendez-vous, je le prépare depuis des semaines. Je n’ai rien oublié de ce qui fait désormais partie de mon ancienne vie, de ce cataclysme effrayant qui me hante encore jour et nuit.
La sonnerie du téléphone me fait sursauter. Le prénom de Céline s’affiche sur l’écran qui porte les séquelles de quelques chutes d’inadvertances. Céline, c’est mon amie la plus ancienne. Attentive, dévouée et généreuse, elle a proposé de m’accompagner au journal qui couvre l’évènement du manoir.
Je décroche activement.
Ça, c’est tout Élisa. Tout comme Céline, c’est l’une de mes plus vieilles amies. Cette dernière me dirait de prendre un thé à la camomille. Mais Élisa serait capable de me soûler au whisky, juste pour être sûre que je ne perde pas mes moyens lors de mon discours à la journaliste. Je me demande si elle n’a pas raison. Après tout, un modeste verre me donnerait du courage, non ?
Non. Je n’aime pas le whisky…
Noupy, mon petit bichon havanais, me ramène à la réalité en jappant soudainement. C’est devenu une habitude. Il est pourtant calme, du haut de ses neuf ans. Mais dès qu’un voisin passe devant notre porte, il s’affole et aboie. Serait-il aussi stressé que sa maîtresse ? Possible. Les chiens sont particulièrement empathiques et ressentent les émotions de leur maître. Et pour le coup, mon Noupy n’a pas été épargné.
Les minutes s’écoulent à une vitesse folle, Élisa et Céline vont arriver. J’enfile à la hâte ma veste noire Zara et je l’accommode avec un foulard rose pâle que mes amies adorées m’ont offert à mon dernier anniversaire. Le tout sera parfaitement assorti à ma combinaison en lin. Je prends bien soin de verrouiller la porte derrière moi, mes démons sont toujours là… Et je descends les rejoindre après avoir câliné ma petite boule de poils. J’ai hésité à l’emmener avec moi, mais finalement, il sera mieux chez nous.
Le trajet se fait dans le calme. Je sais qu’elles respectent mon silence. Ces quelques heures que je vais passer avec cette journaliste vont me replonger dans une histoire chaotique que je n’oublierai jamais. Mais d’en parler à nouveau, revivre ces évènements et les détailler va évidemment me bouleverser.
Mon psychologue, le docteur Vauthier, que je consulte depuis quelques mois maintenant, m’a préparée à ce moment. Il pense même que de me livrer, de dévoiler la profondeur de mes souvenirs peut être bénéfique à ma thérapie de reconstruction intérieure. Il dit que le choc émotionnel que j’ai vécu n’est pas irréversible. Je ne suis pas forcément d’accord avec lui, mais bon, c’est lui le psy ! J’aimerais autant ne plus en parler, jusqu’à oublier. Oui, voilà… Oublier pour toujours.
Nous arrivons à destination et une fois la voiture garée, elles me prennent chacune par un bras et m’accompagnent jusqu’à la salle où se déroulera mon entrevue. Je me sens si forte avec elles à mes côtés. Je sais que je suis chanceuse d’avoir des amies comme elles, sans qui je ne serais plus là aujourd’hui. J’en ai parfaitement conscience. Telles des héroïnes, des super-héros, elles n’ont pas hésité à sortir de leur zone de confort pour me venir en aide.
Nous sommes accueillies directement par la journaliste qui s’impatientait de mon arrivée. Je l’ai déjà vue à la télévision et bien qu’elle me paraisse plus petite, la voir en vrai me déstabilise.
Elle me regarde avec un petit air satisfait. Cela fait des mois que je refuse de confier mon histoire, que ce soit à la presse à scandale, à ces quelques journalistes qui monnayaient une contribution financière pourtant colossale ou même au journal télévisé le plus correct qui soit. Non, je ne voulais pas que ça se sache, que mes parents apprennent réellement ce qui s’est passé et ce que j’ai subi. À ce jour, seuls les policiers du commissariat de La Tourelle de Gex connaissent l’intégralité de l’histoire et à la fin de cette agréable journée ensoleillée, Eugénie en saura tout autant. J’ai, bien entendu, conscience que dès que le reportage sera diffusé, la France entière saura également. J’espère qu’il sera noyé au milieu des centaines de faits divers que l’on voit en ce moment aux informations, tel un poisson dans un océan.
Nous prenons place sur un confortable divan beige clair alors que son assistante nous apporte à chacune un café et quelques viennoiseries. Tout est mis en œuvre afin que je me sente à l’aise. J’ai l’impression que ma tête se vide et je crains de m’emmêler les pinceaux, mais Élisa et Céline me rassurent. L’une assise à ma gauche, l’autre à ma droite, je sens que leur soutien demeure bien là.
Elles ont traversé certains moments de terreur avec moi et il est incontestable que sans elles, je n’aurais pas survécu. Je suis si chanceuse d’avoir des amies comme elles. Pourtant si différentes, elles se complètent parfaitement. Céline est posée, bienveillante et déjà maman d’une petite Inès de trois ans. Institutrice d’une classe de CP, cette petite brune aux cheveux frisés, menue et se cachant derrière un style plutôt décontracté, est surnommée par ses petits élèves, maîtresse Bouclette. Je crois que je l’ai toujours connue avec ses petites lunettes rondes qui ont juste changé de couleur au cours des années.
Élisa, quant à elle, c’est le boute-en-train de notre trio. Toujours très apprêtée, et ce n’est rien de le dire, car notre grande rousse (elle dit que ses cheveux sont blond vénitien…) a en permanence un chignon tiré à quatre épingles. Je soupçonne même qu’elle dorme avec… Légèrement excentrique et carrément sûre d’elle, cette avocate en droit pénal exerce, après un bac + 5, une licence, un master et l’obtention de son concours du CRFPA, dans un prestigieux cabinet d’avocats. Par manque de temps, elle désespère de trouver l’homme de sa vie et enchaîne les aventures sans lendemain, à notre immense désarroi.
Moi, je dirais que je suis l’entre-deux. Mais je rêve d’avoir le charisme et la force d’Élisa. Je suppose que ça lui vient de son parcours de vie. Ses parents sont décédés dans un accident de voiture alors qu’elle n’avait que deux ans. Elle ne se souvient pas de cette période et ce sont ses grands-parents qui se sont occupés d’elle. Ils l’ont d’ailleurs élevée comme leur propre fille et elle a pris la trajectoire professionnelle de ses parents, qui étaient avocats.
Eugénie met en route son dictaphone et le pose délicatement sur la table basse qui se trouve devant nous.
Elle sent que je suis perdue et me dirige sur le chemin de l’exorde.
Je m’enfonce un peu plus dans le divan beige clair et prends sur mes genoux un des coussins, prévu pour la décoration, que je câlinerais presque. J’aurais dû emmener Noupy avec moi. J’aurais eu l’air moins bête en le caressant.
Les filles m’ont effectivement sautée dessus lorsque je leur ai annoncé la nouvelle. Du coup, là, elles en profitent pour le faire remarquer à la journaliste qui ne manque pas une miette de ces révélations.
Eugénie leur coupe la parole. Ce petit règlement de comptes ne l’intéresse pas plus que ça. Je l’aperçois me dévisager, comme pour ne manquer aucune de mes réactions. Je regrette encore de ne pas avoir emmené avec moi mon bichon adoré, Noupy. Je me surprends de nouveau, à caresser le coussin et la manière dont elle me regarde me prouve que cela ne lui a pas échappé.
Élisa, après avoir dévoré deux croissants aux amandes et semé quelques miettes sur le tapis rouge, grossièrement tissé à la main, intervient :
Eugénie nous écoute attentivement, tout en prenant des notes. Je n’en saisis pas très bien la raison, étant donné qu’une caméra est braquée sur nous et que son dictaphone est enclenché. Elle doit avoir prévu de faire mon portrait lors du documentaire, j’en suis sûre. Elle relève enfin le bout de son nez et pointe son regard dans ma direction.
Son assistante entre doucement dans la pièce et nous réapprovisionne en café et en viennoiseries. Les filles ne peuvent retenir leur sourire de contentement, elles n’ont pas pris le temps de petit-déjeuner ce matin et le plateau bien garni qui leur est proposé les ravit. Nous sommes vraiment bien reçues, pensais-je. Tout est mis en œuvre pour que je me sente à l’aise et que je ne prenne pas mes jambes à mon cou. Puis je reviens sur mon histoire, comme il est prévu que je le fasse. Elle veut tout savoir, elle veut des détails, elle va être servie !
2
Nous étions fin septembre. J’avais touché une belle petite somme d’argent provenant des droits d’auteur de mon deuxième roman. Il avait plutôt bien marché et mon éditrice m’avait informée, un matin au téléphone, que j’avais dépassé les huit cent mille exemplaires vendus. Le rêve de tout écrivain et je n’étais pas peu fière, je vous l’accorde.
Cela faisait des mois que je travaillais sur un nouveau manuscrit, mais rien n’y faisait j’avais incontestablement le syndrome de la page blanche.
Je vivais dans un petit studio, dans le cinquième arrondissement de Paris, là où se concentre le plus grand nombre de librairies. Dont la fameuse Shakespeare & Company, que j’adore ! Il n’était pas désagréable, mais à y passer mes journées, je ne le supportais plus. Au sixième étage sans ascenseur, je réfléchissais à deux fois avant de descendre faire une course. Tout était toujours bien organisé, afin de m’éviter des voyages inutiles et surtout fatigants. Bien que ce fût ma seule activité sportive…
Lorsque j’ai perçu cet argent inattendu, j’ai pu me lancer dans mes démarches de quête d’appartement. J’avais pourtant une très agréable vue sur le jardin des Plantes, mais ce n’était pas suffisant pour m’y faire rester.
Malgré les réticences de mes deux meilleures amies, Céline et Élisa, je n’avais pas hésité à prolonger mes recherches sur des centaines de kilomètres à la ronde. J’avais soif de beaux paysages, d’air pur et de grands espaces. Alors quand je suis tombée par hasard sur cette annonce alléchante sur internet, j’ai su immédiatement que c’était là, précisément, où je voulais vivre.
Amoureux de la nature et du calme, cette annonce est pour vous ! À vendre Propriété - Parc 1,55 ha, piscine. Isolée dans la vallée de Gex, entourée d’un parc d’arbres centenaires, vous découvrirez cette somptueuse propriété aux charmes lémanique. Édifié entre le XVIIe et XIXe siècle, ce domaine, anciennement viticole de renommée internationale, vous accueille sur un peu plus d’un hectare avec ses 1000 m² de bâtiments composés d’un manoir et de multiples dépendances en partie rénovées. Le manoir, inhabité depuis presque dix ans mais en excellent état, est constitué de plusieurs suites conservatrices de l’époque et de grandes salles de réception familiale. Vous pourrez vous prélasser dans le péristyle qui, lors des jours estivaux, s’ouvre sur la nature verdoyante des jardins. Aucun vis-à-vis, aucun voisin à moins de dix kilomètres.
AFFAIRE À SAISIR RAPIDEMENT !
J’ai immédiatement appelé pour demander à le visiter. Je ne souhaitais pas plus de renseignements, cette annonce m’avait véritablement séduite. C’est vrai que pour moi toute seule c’était grand, mais je m’étais imaginée que mes parents m’y rejoindraient à leur retraite et que mes amies viendraient à chaque vacance. En un rien de temps, j’avais tout planifié dans ma tête.
Une fois le téléphone raccroché, je reçus les informations de rendez-vous. J’avais hâte d’y être. La demeure de mes rêves était enfin à portée de mes mains. Lorsque j’ai appelé mes parents pour les prévenir, inutile de vous dire que ma mère s’est effondrée. Heureusement qu’on la connaît, sinon, avec mon père, on aurait appelé le SAMU. Tremblement, palpitations, étourdissements, bref, tout y est passé.
Mon père avait pris le combiné du téléphone.
J’avais raccroché, soulagée du discours de mon père. Mais je n’avais pas une minute à perdre. Je devais organiser mon départ du lendemain et m’apprêter pour sortir le soir même. Je ne pouvais pas échapper à la grande soirée karaoké que les filles adoraient tant. C’était notre petit rituel des fins de semaine, mais aussi mon unique sortie nocturne. Je passais beaucoup de temps dans mon petit studio, pour écrire. J’ai d’ailleurs toujours aimé la solitude. Certains pensent qu’être seul rend malheureux, ce n’était clairement pas mon cas. J’aimais passer des heures sur mon sofa pour bouquiner, regarder des films d’horreur, tout autant que des comédies musicales, pendant des heures et passer tout le reste de ma journée à écrire. Parfois, lorsque j’étais bien organisée et que mon frigidaire était plein, je ne mettais les pieds dehors que pour sortir Noupy et pour notre soirée hebdomadaire.
Céline laissait Inès, quelques heures, avec son papa afin de pouvoir honorer nos rendez-vous du vendredi soir. Bien évidemment, elle avait, en amont, préparé une liste, aussi longue que le poème du Mahâbhârata1, de diverses choses à faire et à ne pas faire. Je ne suis pas sûre que son mari la suivait à la lettre, mais cela la rassurait. Et au karaoké, bien qu’elle n’ait pas la voix de Céline Dion, elle s’obstinait à pousser la chansonnette, avec passion. Nous, nous la laissions faire, au grand dam de la clientèle présente dans l’établissement. Quant à Élisa, elle n’aurait loupé ce spectacle pour rien au monde. Bien qu’elle travaillait beaucoup, il lui était inconcevable de ne pas être à nos côtés. Elle laissait tomber sa robe de magistrate en laine froide infroissable et faite sur mesure pour retrouver son petit tailleur cintré, couleur abricot. Elle en avait tout un dressing, comme pour ses chaussures, à pas moins de dix centimètres de talons.
*Plus grand poème du monde.
C’est d’ailleurs après la performance exceptionnelle de Céline, entre deux gorgées de Mojito, que je leur avais annoncé la nouvelle, avec un peu d’appréhension.
Céline nous avait coupées dans notre élan. Ce genre de conversation la mettait plutôt mal à l’aise. Mariée avec Max, son amour d’enfance, rencontré en dernière section de maternelle, elle n’avait pas connu d’autres hommes et n’avait pas la même perception de la vie qu’Élisa.
Les filles levaient les yeux au ciel. C’est comme si je leur avais annoncé un aller simple sur Mars.
Et c’est ainsi que s’était achevée notre soirée karaoké, après avoir laissé une dernière fois notre miss Bouclette, s’égosiller sur My heart will go on de Céline Dion.
Cette nuit-là, je n’ai pas beaucoup dormi. Et à cinq heures le lendemain matin, j’étais déjà sous la douche. J’avais hâte, hâte de voir ce que serait sûrement ma première acquisition dans mon futur paradis. Et en un rien de temps, j’avais enfilé mon Levis, mes ballerines blanches et ma chemise fétiche, celle que mon frère m’avait offerte deux ans auparavant. J’avais envoyé un message aux filles, pour leur rappeler que nous prenions la route à cinq heures trente, très précisément. J’avais fait couler un café, afin de remplir mon thermos qui nous tiendrait éveillées tout au long du trajet.
Nous avons pu démarrer à l’heure prévue, ce qui est plutôt surprenant, je vous l’accorde, venant d’Élisa. Ma copine (elle me regarde tout ouïe, avec son petit air satisfait) avait sûrement dû se lever au moins une heure à l’avance, boire ses trois cafés Barista matinaux tout en engloutissant sa tartine beurrée au miel, essayer pas moins de quatre ensembles de ses tailleurs de marque, changer deux fois de coiffure, même si le résultat était généralement le même, vérifier la pression de ses pneus, faire le plein d’essence, récupérer Céline au passage et, enfin, arriver à l’heure convenue, voire cinq minutes avant, tout en m’attendant en bas de mon bâtiment, le visage tout frais. Voilà, ça, c’était Élisa, toujours aussi surprenante, même au bout de presque trente-cinq années d’amitié.
Les cinq heures de route sont passées très vite. Nous avons fait tout un tas de spéculations concernant le manoir. Les filles restaient convaincues que quelque chose de louche se cachait derrière ce prix de vente bien trop inférieur à la valeur marchande. Moi, j’étais sûre de saisir une merveilleuse opportunité et ce n’était pas un hasard si j’étais tombée sur cette annonce. Le bonheur me souriait, tout simplement. Je l’avais amplement mérité. Toutes ces années à écrire, effacer, corriger, recommencer, réécrire, encore et encore pour enfin être repéré par une maison d’édition, gagner un prix littéraire et être publiée par la suite. Toutes ces années à vivre dans mon petit studio parisien du sixième étage qui atteignait plutôt la taille d’une chambre de bonne allaient être, désormais, derrière moi.
Après avoir parcouru des kilomètres de route en serpentin, dans les montagnes sinueuses et dangereuses de l’arrière-pays de Gex, sans avoir croisé un seul véhicule, ni âme qui vive et en faisant plusieurs détours car le GPS ne captait plus de réseau, nous sommes arrivées à bon port. Je n’en croyais pas mes yeux. Ce qui apparut en face de moi était au-delà de ce que j’avais pu imaginer. Nous étions devant le grand portail en fer forgé à la main, du domaine. De majestueux arbres arboraient le parc intérieur. Des roses à perte de vue fleurissaient au milieu d’une pelouse, à l’herbe aussi verte que propre et fraîchement coupée.
Céline restait réticente et il y avait de quoi. Trop beau pour être vrai ? C’est un fait. Et pourtant, ce manoir était bien réel, le prix bien abordable et la future propriétaire, c’était bien moi.
Nous avons traversé un immense parc arboré et fleuri. Nous avions laissé la voiture d’Élisa devant le portail, ne pensant pas qu’il nous aurait fallu marcher encore dix minutes pour arriver devant ce manoir, qui nous paraissait gigantesque. La porte d’entrée était ornée de moulures couleur or. Un prince nous aurait ouvert, que cela ne nous aurait pas surprises. Une dame d’un certain âge, toute vêtue de noir, les cheveux d’un blanc éclatant et coiffée d’une natte qui lui tombait sur l’épaule, nous avait accueillies.
Les présentations terminées, Madame de Barrella avait ouvert la porte et enfin, nous sommes entrées dans ce somptueux manoir. Le grincement de la vieille porte, très lourde, nous avait fait frissonner un instant. Les yeux écarquillés, mon regard balayait la pièce avec des mouvements circulaires incessants. Nous étions entrées dans le château d’une reine, c’était magnifique.
Nous nous trouvions au milieu d’un grand hall, joliment meublé et décoré de diverses statues d’une autre époque. Les murs étaient parsemés de portraits d’hommes et de femmes, sûrement ceux des ancêtres de cette maison. Je les observais, leur visage paraissait austère et froid. Ils semblaient très anciens. Pourquoi laisser des tableaux personnels lors de la vente d’une maison ? m’étais-je demandé. Un tapis aussi grand que mon studio parisien se trouvait sous nos pieds. On en aurait presque enlevé nos chaussures, tant l’endroit était propre. Notre hôte nous proposa de visiter l’étage, puis nous reviendrions au rez-de-chaussée pour le reste de la visite.
Nous avons monté l’immense escalier en arc de cercle, qui menait aux chambres. De grands tableaux, cette fois-ci représentant principalement des Dieux grecs, ornaient les murs sombres qui entouraient les larges marches, recouvertes de moquette, à la couleur bordeaux. Une fois la longue montée terminée, une incommensurable bibliothèque se trouvait devant nous. Les filles me regardaient, l’air de dire qu’autant de livres feraient mon plus grand plaisir. Effectivement, j’étais émerveillée devant ce trésor inattendu. Madame de Barrella nous expliquait que les anciens propriétaires, des personnes que je supposais fortunées, avaient sciemment laissé la bibliothèque en l’état, estimant qu’elle faisait partie du patrimoine de ce manoir. Ce fut l’occasion de lui demander un peu plus d’informations.
Je voyais Céline et Élisa trépigner d’impatience, elles avaient très envie de s’exprimer. Je décidai donc, d’un regard approbateur, de leur laisser la parole. Élisa se hâta à parler la première.
Madame de Barrella fit mine de ne pas entendre et continua sa visite en argumentant sur tout ce qui pouvait l’être.
En entrant dans l’une des chambres, ou plutôt la suite parentale de quarante mètres carrés, j’avais été prise d’un sentiment bizarre, voire préoccupant. Les filles m’avaient regardée au même moment et j’avais compris qu’elles avaient éprouvé un ressenti semblable au mien. Un courant d’air glacial nous avait caressé le visage, ce qui était surprenant, en ce jour chaud et ensoleillé. J’avais bien évidemment balayé leur coup d’œil, ne souhaitant pas que l’une ou l’autre intervienne. Je sentais Madame de Barrella un brin agacée et je ne voulais surtout pas la froisser davantage. Il n’empêche que ce sentiment plutôt désagréable, nous l’avions ressenti toutes les trois.