Le parfum du sang - Sandra Vergoby - E-Book

Le parfum du sang E-Book

Sandra Vergoby

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Beschreibung

Cathleen Riva, jeune écrivaine de trente-neuf ans, décide de quitter Paris pour s’offrir la demeure de ses rêves, un manoir isolé de tout. Elle pensait y trouver le calme, l’air pur et l’inspiration pour écrire, mais ce n’est qu’un calvaire qui l’attend. Non loin de là, une petite station de ski où vivent quelques habitants, une famille maudite sous l’emprise d’une malédiction et d’une légende surprenante viendront alimenter sa mésaventure.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Dans Le parfum du sang, Sandra Vergoby explore l’étendue de sa plume sur la capacité de l’être humain à se réinventer. Elle signe ainsi son deuxième roman qui s’inscrit dans la lignée des polars à suspense.

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Seitenzahl: 346

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sandra Vergoby

Le parfum du sang

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sandra Vergoby

ISBN : 979-10-377-8193-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

- Les paillettes ne brillent pas toujours, Le Lys Bleu Éditions, 2022

À mes fils

Enamourer, séduire, envoûter, manipuler, faire croire

À une belle ingénue être l’homme de ses espoirs

La vie vaut d’être vécue pour peu que l’on nous la laisse vivre

Quand bien même veut nous l’enlever un fou de rage ivre

Avec le risque que cette dévoreuse passion brise son arc-en-ciel

La jeune femme sera-t-elle une étoile de plus dans le ciel

Gilles Billaut

1

Aujourd’hui sera une belle journée. En tout cas, c’est bel et bien ainsi que je la vois s’annoncer. Je regarde par la fenêtre de mon petit logement à la décoration tout aussi cosy que moderne. C’est le même style d’appartement parisien dans lequel j’habitais, toujours dans le cinquième arrondissement, mais avec les étages en moins, avant de partir vivre au manoir… Ce maudit manoir… Dehors, le soleil printanier chauffe déjà abondamment la vitre et je m’émerveille devant les rouges-gorges qui, en plus de leurs chants mélodieux, m’offrent un spectacle magnifique de danse synchronisée dans les airs.

Je suis prête. Prête pour mon rendez-vous avec la journaliste qui prépare un reportage sur la sinistre histoire du manoir et qui me sera entièrement consacré. Elle n’a pas précisé si l’entretien serait filmé, alors, dans l’incertitude, j’ai privilégié une tenue élégante mais décontractée. Ma petite combinaison en lin sera parfaite pour l’occasion. Zippée et cintrée, je resterai chic, même dans la panique, comme dirait Élisa. Il est préférable que je sois à l’aise parce que, stressée comme je suis à ce moment précis, je ne doute pas une seule seconde de l’état incommodant dans lequel je serai lors de l’interview. Je vais devoir tout lui raconter, dans les détails, sans filtre et tout en gardant mon sang-froid. Il me faudra revivre ces moments de terreur et je ne pourrai inévitablement pas empêcher mes angoisses de remonter à la surface. L’appréhension me gagne. Pourtant, ce rendez-vous, je le prépare depuis des semaines. Je n’ai rien oublié de ce qui fait désormais partie de mon ancienne vie, de ce cataclysme effrayant qui me hante encore jour et nuit.

La sonnerie du téléphone me fait sursauter. Le prénom de Céline s’affiche sur l’écran qui porte les séquelles de quelques chutes d’inadvertances. Céline, c’est mon amie la plus ancienne. Attentive, dévouée et généreuse, elle a proposé de m’accompagner au journal qui couvre l’évènement du manoir.

Je décroche activement.

— Salut Cathleen ! Tu es prête ?
— Oh oui, depuis un petit moment d’ailleurs !
— Super. J’espère que tu ne stresses pas trop ?
— À ton avis ! lui dis-je toute tremblante.
— Ça va bien se passer. Nous prenons la route Cathleen, nous serons en bas de chez toi dans trente minutes, ça te va ?
— C’est parfait, mais c’est qui « nous » ?
— C’est moiiiiii ! me crie la voix aiguë d’Élisa. Tu ne pensais tout de même pas que je ne serais pas à tes côtés un jour comme celui-là ? En plus, je te connais par cœur et je sais que tu es complètement angoissée ! Allez, prends un double whisky, ça va te détendre. On arrive !
— Élisa ! Il n’est même pas neuf heures du matin !
— Je sais ! s’amusa-t-elle.

Ça, c’est tout Élisa. Tout comme Céline, c’est l’une de mes plus vieilles amies. Cette dernière me dirait de prendre un thé à la camomille. Mais Élisa serait capable de me soûler au whisky, juste pour être sûre que je ne perde pas mes moyens lors de mon discours à la journaliste. Je me demande si elle n’a pas raison. Après tout, un modeste verre me donnerait du courage, non ?

Non. Je n’aime pas le whisky…

Noupy, mon petit bichon havanais, me ramène à la réalité en jappant soudainement. C’est devenu une habitude. Il est pourtant calme, du haut de ses neuf ans. Mais dès qu’un voisin passe devant notre porte, il s’affole et aboie. Serait-il aussi stressé que sa maîtresse ? Possible. Les chiens sont particulièrement empathiques et ressentent les émotions de leur maître. Et pour le coup, mon Noupy n’a pas été épargné.

Les minutes s’écoulent à une vitesse folle, Élisa et Céline vont arriver. J’enfile à la hâte ma veste noire Zara et je l’accommode avec un foulard rose pâle que mes amies adorées m’ont offert à mon dernier anniversaire. Le tout sera parfaitement assorti à ma combinaison en lin. Je prends bien soin de verrouiller la porte derrière moi, mes démons sont toujours là… Et je descends les rejoindre après avoir câliné ma petite boule de poils. J’ai hésité à l’emmener avec moi, mais finalement, il sera mieux chez nous.

Le trajet se fait dans le calme. Je sais qu’elles respectent mon silence. Ces quelques heures que je vais passer avec cette journaliste vont me replonger dans une histoire chaotique que je n’oublierai jamais. Mais d’en parler à nouveau, revivre ces évènements et les détailler va évidemment me bouleverser.

Mon psychologue, le docteur Vauthier, que je consulte depuis quelques mois maintenant, m’a préparée à ce moment. Il pense même que de me livrer, de dévoiler la profondeur de mes souvenirs peut être bénéfique à ma thérapie de reconstruction intérieure. Il dit que le choc émotionnel que j’ai vécu n’est pas irréversible. Je ne suis pas forcément d’accord avec lui, mais bon, c’est lui le psy ! J’aimerais autant ne plus en parler, jusqu’à oublier. Oui, voilà… Oublier pour toujours.

Nous arrivons à destination et une fois la voiture garée, elles me prennent chacune par un bras et m’accompagnent jusqu’à la salle où se déroulera mon entrevue. Je me sens si forte avec elles à mes côtés. Je sais que je suis chanceuse d’avoir des amies comme elles, sans qui je ne serais plus là aujourd’hui. J’en ai parfaitement conscience. Telles des héroïnes, des super-héros, elles n’ont pas hésité à sortir de leur zone de confort pour me venir en aide.

Nous sommes accueillies directement par la journaliste qui s’impatientait de mon arrivée. Je l’ai déjà vue à la télévision et bien qu’elle me paraisse plus petite, la voir en vrai me déstabilise.

— Bonjour Cathleen ! Entrez, je vous en prie. Je vois que vous êtes venue accompagnée ? Vous appréhendiez cet entretien ?
— Bonjour madame… Excusez-moi, je ne me souviens plus de votre…
— Eugénie, appelez-moi Eugénie.
— OK, Eugénie. Alors oui, je suis venue accompagnée, je suis un peu anxieuse aujourd’hui. Mais ne vous inquiétez pas, vous aurez votre « exclusivité ». Je suis prête à tout vous dire.

Elle me regarde avec un petit air satisfait. Cela fait des mois que je refuse de confier mon histoire, que ce soit à la presse à scandale, à ces quelques journalistes qui monnayaient une contribution financière pourtant colossale ou même au journal télévisé le plus correct qui soit. Non, je ne voulais pas que ça se sache, que mes parents apprennent réellement ce qui s’est passé et ce que j’ai subi. À ce jour, seuls les policiers du commissariat de La Tourelle de Gex connaissent l’intégralité de l’histoire et à la fin de cette agréable journée ensoleillée, Eugénie en saura tout autant. J’ai, bien entendu, conscience que dès que le reportage sera diffusé, la France entière saura également. J’espère qu’il sera noyé au milieu des centaines de faits divers que l’on voit en ce moment aux informations, tel un poisson dans un océan.

Nous prenons place sur un confortable divan beige clair alors que son assistante nous apporte à chacune un café et quelques viennoiseries. Tout est mis en œuvre afin que je me sente à l’aise. J’ai l’impression que ma tête se vide et je crains de m’emmêler les pinceaux, mais Élisa et Céline me rassurent. L’une assise à ma gauche, l’autre à ma droite, je sens que leur soutien demeure bien là.

Elles ont traversé certains moments de terreur avec moi et il est incontestable que sans elles, je n’aurais pas survécu. Je suis si chanceuse d’avoir des amies comme elles. Pourtant si différentes, elles se complètent parfaitement. Céline est posée, bienveillante et déjà maman d’une petite Inès de trois ans. Institutrice d’une classe de CP, cette petite brune aux cheveux frisés, menue et se cachant derrière un style plutôt décontracté, est surnommée par ses petits élèves, maîtresse Bouclette. Je crois que je l’ai toujours connue avec ses petites lunettes rondes qui ont juste changé de couleur au cours des années.

Élisa, quant à elle, c’est le boute-en-train de notre trio. Toujours très apprêtée, et ce n’est rien de le dire, car notre grande rousse (elle dit que ses cheveux sont blond vénitien…) a en permanence un chignon tiré à quatre épingles. Je soupçonne même qu’elle dorme avec… Légèrement excentrique et carrément sûre d’elle, cette avocate en droit pénal exerce, après un bac + 5, une licence, un master et l’obtention de son concours du CRFPA, dans un prestigieux cabinet d’avocats. Par manque de temps, elle désespère de trouver l’homme de sa vie et enchaîne les aventures sans lendemain, à notre immense désarroi.

Moi, je dirais que je suis l’entre-deux. Mais je rêve d’avoir le charisme et la force d’Élisa. Je suppose que ça lui vient de son parcours de vie. Ses parents sont décédés dans un accident de voiture alors qu’elle n’avait que deux ans. Elle ne se souvient pas de cette période et ce sont ses grands-parents qui se sont occupés d’elle. Ils l’ont d’ailleurs élevée comme leur propre fille et elle a pris la trajectoire professionnelle de ses parents, qui étaient avocats.

Eugénie met en route son dictaphone et le pose délicatement sur la table basse qui se trouve devant nous.

— Cathleen, si vous êtes prête, c’est à vous, me dit-elle avec impatience.
— Je suis prête, mais je ne sais pas par où commencer !
— Par le début, peut-être ?

Elle sent que je suis perdue et me dirige sur le chemin de l’exorde.

— Il me semble que vous avez perçu une belle somme d’argent à la suite de la publication de votre deuxième roman ? C’était à l’automne dernier, non ?
— C’est bien ça, lui dis-je, gênée.
— Peut-on savoir à combien s’élèvent ces droits d’auteur ?
— Vous pouvez savoir que grâce à cela, j’ai pu acheter le fameux manoir dont il est question dans votre reportage.
— D’accord, je vous laisse me raconter.

Je m’enfonce un peu plus dans le divan beige clair et prends sur mes genoux un des coussins, prévu pour la décoration, que je câlinerais presque. J’aurais dû emmener Noupy avec moi. J’aurais eu l’air moins bête en le caressant.

— C’était à la fin du mois de septembre. Je tentais désespérément de commencer mon troisième roman. J’avais nettement le syndrome de la page blanche. Les filles, Élisa et Céline, ici présentes, dis-je en souriant, m’encourageaient sans cesse, mais rien n’y faisait. Par conséquent, quand mon éditrice m’a appelée pour m’annoncer la bonne nouvelle, j’ai aussitôt cherché un nouveau lieu de vie où je m’y sentirais bien mieux que dans mon studio parisien et où j’espérais retrouver l’inspiration pour écrire.
— La bonne nouvelle que votre éditrice vous a communiquée, c’était le montant des droits d’auteur ?
— Tout à fait.
— Lorsque vous parlez d’un nouveau lieu de vie, vous envisagiez vraiment de quitter Paris ?
— J’avais envie de m’isoler pour donner un souffle neuf à mon travail. Mon petit appartement était très agréable, mais j’avais besoin d’air, alors j’ai commencé à faire les petites annonces, les agences immobilières et c’est enfin que j’ai trouvé la perle rare. À quelques centaines de kilomètres d’ici.
— Vous ne faites pas les choses à moitié Cathleen !
— Je n’avais pas prévu d’aller si loin ! Mais ce manoir était magnifique, vraiment. Si vous l’aviez vu ! C’était le rêve absolu et sincèrement, jamais je n’aurais imaginé une seule seconde pouvoir me payer un truc pareil. J’ai d’emblée éprouvé un coup de cœur. De plus, le prix de vente était plus que correct.
— Cela ne vous a pas interpellé ? Une si belle propriété avec un tarif de cession si attractif ?
— J’ai plutôt pensé que la chance me souriait. C’était mon premier achat immobilier. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte ? Je n’étais pas peu fière et malgré les craintes non dissimulées des filles, j’ai foncé. Le domaine se situe à l’extrême ouest de la frontière suisse, dans le pays de Gex. Les paysages y sont magnifiques. Vous ne pouvez pas imaginer le changement brutal, pour une Parisienne comme moi. J’en suis littéralement tombée amoureuse. Une vallée qui offre un décor de carte postale à perte de vue, je ne connaissais pas. Et ce calme, c’était juste incroyable, c’était apaisant. Je suis plutôt quelqu’un de réservé, de solitaire, alors clairement, cet endroit me correspondait. Bien sûr, mes parents ont tenté de m’en dissuader, mais ma décision était prise, je partais. Ma mère et mon père tiennent un gîte en banlieue parisienne. Ils ont longtemps espéré que mon frère et moi prenions leur relève. Or, mon frère est parti vivre à Bordeaux avec sa nouvelle fiancée et moi, comme vous le savez, j’ai emménagé dans cette magnifique vallée lémanique.
— C’est un peu excentré pour parler de vallée lémanique, non ?
— À deux mille mètres d’altitude, je peux vous assurer qu’il y avait une vue panoramique sur le lac Léman et la chaîne des Alpes !
— D’accord. Et comment ont réagi vos amies ?
— Nous n’étions pas d’accord ! s’écria Céline.
— Je dirais même que nous lui avons fait la tête jusqu’à ce qu’elle change d’avis, reprit Élisa. Mais en vain, elle n’a rien voulu entendre.

Les filles m’ont effectivement sautée dessus lorsque je leur ai annoncé la nouvelle. Du coup, là, elles en profitent pour le faire remarquer à la journaliste qui ne manque pas une miette de ces révélations.

— Cathleen paniquait à l’idée de ne plus être capable d’écrire, que l’inspiration lui ait définitivement échappé. Nous craignions qu’elle prenne la décision de partir sans réfléchir.
— En plus, impulsive comme elle est, nous étions convaincues qu’elle n’avait pas un bon jugement, soupira Élisa.
— Non, mais sérieusement les filles, vous pensiez à ce point que je n’étais pas apte à prendre des décisions posées ? Je ne déprimais pas, j’avais juste besoin de m’isoler pour évader mon esprit et retrouver l’inspiration d’écrire !
— Oui, mais admets que personne n’était ravi de te voir partir.
— Et à des centaines de kilomètres de chez nous ! répliqua Céline.

Eugénie leur coupe la parole. Ce petit règlement de comptes ne l’intéresse pas plus que ça. Je l’aperçois me dévisager, comme pour ne manquer aucune de mes réactions. Je regrette encore de ne pas avoir emmené avec moi mon bichon adoré, Noupy. Je me surprends de nouveau, à caresser le coussin et la manière dont elle me regarde me prouve que cela ne lui a pas échappé.

— Pouvons-nous reprendre Cathleen ? Dites-moi, après avoir perçu l’argent de vos droits d’auteur, vous avez donc acheté un manoir, isolé de tout. Vous n’aviez pas peur de vous y trouver seule, aussi loin de toute civilisation ? Que vous est-il passé par la tête ?
— J’ai l’impression que vous insinuez que j’ai provoqué tout ce qui s’est déroulé par la suite, non ? Vous pensez que si j’avais été plus raisonnable, rien de tout cela ne serait arrivé ? Que j’ai eu la folie des grandeurs et que ça m’est retombé dessus ?
— Pas du tout, j’essaie de comprendre. Il faut avoir du cran pour tout quitter et partir seule aussi loin.
— 494 kilomètres très exactement. Mais bizarrement, non, je n’ai pas eu peur. Lorsque je suis tombée sur cette annonce plus qu’alléchante, j’ai aussitôt téléphoné au numéro indiqué. La personne en charge de cette vente immobilière était très sympathique et m’a tout de suite inspiré confiance. Je ne pense pas être quelqu’un qui fonce sans réfléchir, mais c’est vrai qu’il en faut un peu plus pour m’effrayer.

Élisa, après avoir dévoré deux croissants aux amandes et semé quelques miettes sur le tapis rouge, grossièrement tissé à la main, intervient :

— Veuillez m’excuser, Eugénie, de m’immiscer dans la conversation, mais je dois vous dire que Cathleen, du haut de son mètre cinquante, n’a peur de rien !
— Ne dis pas ça, la coupai-je, j’ai des craintes comme tout le monde, mais là, non ! Je n’en avais pas.
— Je sais ce que je dis ! reprit-elle. Par exemple, lorsque nous étions au collège, en sixième, elle n’a pas hésité à s’interposer entre deux élèves pour défendre le plus petit. Sans se soucier un seul instant que les « grands » allaient la prendre en grippe par la suite. Il y a aussi eu le lynchage d’une étudiante, lorsque nous étions à la fac. Elle n’a pas tergiversé un instant et a porté secours à la jeune fille. Cathleen, elle fonce ! Et elle réfléchit après… Cathleen c’est la super Woman de notre génération.
— N’exagère pas, lui dis-je, ce n’était pas un lynchage, Élisa, mais un petit bizutage d’intégration. Je suis intervenue parce que je voyais bien qu’elle en avait assez et n’osait rien dire de peur de provoquer l’ostracisme. Mais ça frôlait l’humiliation et je n’ai pas pu m’empêcher de m’y opposer. N’importe qui aurait agi ainsi !

Eugénie nous écoute attentivement, tout en prenant des notes. Je n’en saisis pas très bien la raison, étant donné qu’une caméra est braquée sur nous et que son dictaphone est enclenché. Elle doit avoir prévu de faire mon portrait lors du documentaire, j’en suis sûre. Elle relève enfin le bout de son nez et pointe son regard dans ma direction.

— Donc, Cathleen, vous êtes courageuse, téméraire, mais encore ?
— C’est tout, lui dis-je, gênée.
— Vous êtes une belle jeune femme, pourtant j’ai cru comprendre que vous étiez déjà célibataire avant votre départ ?
— Absolument ! J’ai beaucoup aidé mes parents dans leur gîte, en plus de mes études littéraires. Ensuite, je me suis consacrée à l’écriture de mon premier roman, puis au deuxième. Vous savez, ça prend du temps ! Deux années à chaque fois. Et après avoir trouvé un éditeur et signé un contrat, un long chemin a commencé. Des échanges avec le graphiste pour la couverture, avec les correcteurs, la relecture, la validation du bon à imprimer et le lancement du processus de vente. Tout cela a été très long. Il n’y avait pas de place pour un homme dans ma vie. Et si j’avais su, je m’en serais tenue à ça !
— J’imagine oui, dit-elle, embarrassée.

Son assistante entre doucement dans la pièce et nous réapprovisionne en café et en viennoiseries. Les filles ne peuvent retenir leur sourire de contentement, elles n’ont pas pris le temps de petit-déjeuner ce matin et le plateau bien garni qui leur est proposé les ravit. Nous sommes vraiment bien reçues, pensais-je. Tout est mis en œuvre pour que je me sente à l’aise et que je ne prenne pas mes jambes à mon cou. Puis je reviens sur mon histoire, comme il est prévu que je le fasse. Elle veut tout savoir, elle veut des détails, elle va être servie !

2

Nous étions fin septembre. J’avais touché une belle petite somme d’argent provenant des droits d’auteur de mon deuxième roman. Il avait plutôt bien marché et mon éditrice m’avait informée, un matin au téléphone, que j’avais dépassé les huit cent mille exemplaires vendus. Le rêve de tout écrivain et je n’étais pas peu fière, je vous l’accorde.

Cela faisait des mois que je travaillais sur un nouveau manuscrit, mais rien n’y faisait j’avais incontestablement le syndrome de la page blanche.

Je vivais dans un petit studio, dans le cinquième arrondissement de Paris, là où se concentre le plus grand nombre de librairies. Dont la fameuse Shakespeare & Company, que j’adore ! Il n’était pas désagréable, mais à y passer mes journées, je ne le supportais plus. Au sixième étage sans ascenseur, je réfléchissais à deux fois avant de descendre faire une course. Tout était toujours bien organisé, afin de m’éviter des voyages inutiles et surtout fatigants. Bien que ce fût ma seule activité sportive…

Lorsque j’ai perçu cet argent inattendu, j’ai pu me lancer dans mes démarches de quête d’appartement. J’avais pourtant une très agréable vue sur le jardin des Plantes, mais ce n’était pas suffisant pour m’y faire rester.

Malgré les réticences de mes deux meilleures amies, Céline et Élisa, je n’avais pas hésité à prolonger mes recherches sur des centaines de kilomètres à la ronde. J’avais soif de beaux paysages, d’air pur et de grands espaces. Alors quand je suis tombée par hasard sur cette annonce alléchante sur internet, j’ai su immédiatement que c’était là, précisément, où je voulais vivre.

Amoureux de la nature et du calme, cette annonce est pour vous ! À vendre Propriété - Parc 1,55 ha, piscine. Isolée dans la vallée de Gex, entourée d’un parc d’arbres centenaires, vous découvrirez cette somptueuse propriété aux charmes lémanique. Édifié entre le XVIIe et XIXe siècle, ce domaine, anciennement viticole de renommée internationale, vous accueille sur un peu plus d’un hectare avec ses 1000 m² de bâtiments composés d’un manoir et de multiples dépendances en partie rénovées. Le manoir, inhabité depuis presque dix ans mais en excellent état, est constitué de plusieurs suites conservatrices de l’époque et de grandes salles de réception familiale. Vous pourrez vous prélasser dans le péristyle qui, lors des jours estivaux, s’ouvre sur la nature verdoyante des jardins. Aucun vis-à-vis, aucun voisin à moins de dix kilomètres.

AFFAIRE À SAISIR RAPIDEMENT !

J’ai immédiatement appelé pour demander à le visiter. Je ne souhaitais pas plus de renseignements, cette annonce m’avait véritablement séduite. C’est vrai que pour moi toute seule c’était grand, mais je m’étais imaginée que mes parents m’y rejoindraient à leur retraite et que mes amies viendraient à chaque vacance. En un rien de temps, j’avais tout planifié dans ma tête.

— Bonjour, madame, je suis Cathleen Riva, je vous appelle au sujet de l’annonce concernant le domaine. Est-il toujours libre ?
— Cathleen Riva l’écrivaine ? s’écria-t-elle !
— Oui, madame.
— Enchantée ! Vous me voyez surprise et ravie de vous avoir en ligne ! J’ai déjà lu deux de vos romans et j’ai adoré !
— Merci, c’est gentil de votre part, lui lançai-je, embarrassée. Bon, je n’en ai publié que deux mais j’espère bien finir le troisième pour le courant de l’année prochaine ! J’avoue manquer un peu d’inspiration ces temps-ci. Mais peut-être qu’une fois bien installée dans le domaine, elle me reviendra ? Qui sait ?
— Peut-être oui. Je vous sens très enthousiaste. En tout cas, il est toujours libre. Et les vendeurs, qui sont les héritiers des défunts propriétaires, vivent désormais en Occitanie. Ils m’ont donné le mandat exclusif de la vente. Je serai donc votre seule interlocutrice. Vous souhaitez le visiter ?
— J’en serais ravie ! Je pourrai être là dès demain matin vers dix heures trente environ, cela vous convient ?
— C’est parfait, j’ai noté. Rendez-vous devant l’entrée du domaine, je vous envoie l’adresse par SMS.

Une fois le téléphone raccroché, je reçus les informations de rendez-vous. J’avais hâte d’y être. La demeure de mes rêves était enfin à portée de mes mains. Lorsque j’ai appelé mes parents pour les prévenir, inutile de vous dire que ma mère s’est effondrée. Heureusement qu’on la connaît, sinon, avec mon père, on aurait appelé le SAMU. Tremblement, palpitations, étourdissements, bref, tout y est passé.

— Maman, calme-toi, je vais juste visiter une maison. Je ne pars pas sur la lune !
— Ma fille, ce sera toujours trop loin. Des centaines de kilomètres vont nous séparer ! Et ce n’est pas une maison, c’est un manoir, c’est immense !
— Maman, rien que depuis Paris, pour venir vous voir je mets quatre heures ! Les bouchons, le périphérique, bref, ce n’est pas loin, mais c’est long ! Je suis sûre que ce ne sera pas plus long une fois que j’habiterai là-bas.

Mon père avait pris le combiné du téléphone.

— Cathleen, laisse tomber. Tu connais ta mère ! N’insiste pas, elle doit digérer l’info. Moi, je suis heureux que tu puisses te permettre cette folie. Ma fille va acheter un domaine en pleine montagne ! Je n’en reviens pas, je suis si fier ! Ta mère s’en remettra, crois-moi. Il faut que tu ailles au bout de tes rêves ma fille.
— Attend papa, je vais, pour le moment, juste le visiter. Le prix de vente annoncé est clairement plus bas que ce qu’il devrait, il y a peut-être quelque chose qui va me déplaire une fois que je serai sur place, ou peut-être vais-je découvrir un truc bizarre ?
— À la vue de ton enthousiasme, je ne suis pas sûr que tu crois un seul mot de ce que tu me dis…
— Effectivement, j’avoue. En revanche, si ça se fait, l’achat je veux dire, ça enlève tout espoir à maman que je reprenne le gîte familial. Vous en avez conscience ?
— Oui ma fille, on en a conscience depuis que tu as sorti ton premier bouquin. Ta mère espère toujours secrètement, je le sais, mais je me suis fait une raison. Nous ne pouvons pas vous imposer, à ton frère et toi, d’avoir la même vie que nous. C’est ainsi, ma Cathleen. Mais maintenant, prépare-toi à ce qu’elle tente de te dissuader jusqu’au bout ! Ta mère est comme toi, tu sais, elle ne lâche rien lorsqu’elle a une idée en tête !
— Je sais, papa…

J’avais raccroché, soulagée du discours de mon père. Mais je n’avais pas une minute à perdre. Je devais organiser mon départ du lendemain et m’apprêter pour sortir le soir même. Je ne pouvais pas échapper à la grande soirée karaoké que les filles adoraient tant. C’était notre petit rituel des fins de semaine, mais aussi mon unique sortie nocturne. Je passais beaucoup de temps dans mon petit studio, pour écrire. J’ai d’ailleurs toujours aimé la solitude. Certains pensent qu’être seul rend malheureux, ce n’était clairement pas mon cas. J’aimais passer des heures sur mon sofa pour bouquiner, regarder des films d’horreur, tout autant que des comédies musicales, pendant des heures et passer tout le reste de ma journée à écrire. Parfois, lorsque j’étais bien organisée et que mon frigidaire était plein, je ne mettais les pieds dehors que pour sortir Noupy et pour notre soirée hebdomadaire.

Céline laissait Inès, quelques heures, avec son papa afin de pouvoir honorer nos rendez-vous du vendredi soir. Bien évidemment, elle avait, en amont, préparé une liste, aussi longue que le poème du Mahâbhârata1, de diverses choses à faire et à ne pas faire. Je ne suis pas sûre que son mari la suivait à la lettre, mais cela la rassurait. Et au karaoké, bien qu’elle n’ait pas la voix de Céline Dion, elle s’obstinait à pousser la chansonnette, avec passion. Nous, nous la laissions faire, au grand dam de la clientèle présente dans l’établissement. Quant à Élisa, elle n’aurait loupé ce spectacle pour rien au monde. Bien qu’elle travaillait beaucoup, il lui était inconcevable de ne pas être à nos côtés. Elle laissait tomber sa robe de magistrate en laine froide infroissable et faite sur mesure pour retrouver son petit tailleur cintré, couleur abricot. Elle en avait tout un dressing, comme pour ses chaussures, à pas moins de dix centimètres de talons.

*Plus grand poème du monde.

C’est d’ailleurs après la performance exceptionnelle de Céline, entre deux gorgées de Mojito, que je leur avais annoncé la nouvelle, avec un peu d’appréhension.

— Les filles, je dois vous dire quelque chose, mais promettez-moi de m’écouter jusqu’au bout, avant de vous affoler. D’accord ?
— C’est si grave que ça ? me coupa Céline.
— Non pourquoi veux-tu que ce soit grave ma Bouclette ?
— Eh bien parce que tu fais ta tête des jours où c’est grave…
— Pas faux, répliqua Élisa.
— Ah ? C’est nouveau ça ? J’ai une tête qui fait météo ? Genre mon visage annonce la couleur, c’est ça ?
— On peut dire ça comme ça, se moqua Céline.
— Mais arrêtez donc un peu les filles, ma tête est normale. Je n’ai encore rien dit et cela tourne déjà au mélodrame. C’est juste que j’ai une grande nouvelle…
— Tu as ENFIN rencontré un homme ? s’écrièrent-elles en chœur, en me coupant la parole.
— Mais non ! Je n’en veux pas en plus !
— Pourtant ça ne te ferait pas de mal, bien au contraire !
— Je ne suis pas comme toi, ma Zaza, je n’ai pas besoin de me faire retourner tous les week-ends !
— Je prends du plaisir, ma chère, c’est différent ! prohiba Élisa.

Céline nous avait coupées dans notre élan. Ce genre de conversation la mettait plutôt mal à l’aise. Mariée avec Max, son amour d’enfance, rencontré en dernière section de maternelle, elle n’avait pas connu d’autres hommes et n’avait pas la même perception de la vie qu’Élisa.

— Bon Cathleen, c’est quoi cette nouvelle ?
— Vous êtes prêtes à l’entendre ?
— Mais bien entendu ! Vas-y, raconte !
— Restez bien assise… Roulement de tambour… Bambambam… Demain, je vais visiter un manoir !
— Hein ? s’écrièrent-elles. Un manoir ? Genre un château, les rois, les reines ?
— Oui et les valets et l’As de pique ! Non mais sérieux les filles ! Il faut toujours que vous ayez une imagination débordante. C’est un manoir. C’est une grande demeure, au milieu d’un domaine isolé, je vous l’accorde, mais c’est clairement ce que je recherche.
— Tu vas finir comme une vieille femme aigrie, à force de constamment vouloir vivre en recluse Cathleen, s’inquiéta Élisa.
— Mais non ! Rassurez-vous je ne suis ni aigrie, ni antisociale ! Je recherche la paix, le silence et une inspiration novatrice pour l’écriture de mon nouveau manuscrit. J’en ai assez de Paris, de tout ce bruit, de mon appartement miniature et de ces six étages sans ascenseur !
— Oui mais nous habitons toutes les trois dans le cinquième arrondissement, c’est une chance que l’on soit si proche encore ! Si tu t’en vas, ce ne sera plus pareil, soupira Céline.
— Et ton château, heu… Ton manoir, tu le paies de quelle façon ? Sans vouloir être indiscrète… me balança à nouveau Élisa avec ironie.
— J’ai perçu mes droits d’auteur pour mon deuxième roman. La somme est plutôt conséquente. Alors j’ai décidé de tout investir dans la demeure de mes rêves. Enfin une bonne partie en tout cas. Cependant, ne m’en voulez pas les filles, le manoir se situe à quelques centaines de kilomètres d’ici…
— Tu plaisantes Cathleen !
— Non, je ne plaisante pas. Et n’essayez pas de me faire changer d’avis, ma décision est prise. Si vous le voulez, vous pouvez m’accompagner demain pour la visite. Mais soyez matinales, car le rendez-vous est à dix heures trente et nous avons très exactement 494 kilomètres à parcourir.
— Tu as pris ta décision avant même de l’avoir visité ?

Les filles levaient les yeux au ciel. C’est comme si je leur avais annoncé un aller simple sur Mars.

— La dame qui gère la vente dit qu’il n’a pas été occupé depuis une dizaine d’années, mais qu’il est en parfait état. Le prix est très raisonnable en plus.
— Ça ne te fait pas peur ? Pourquoi n’a-t-il pas été habité depuis dix ans ?
— Et pourquoi le prix de vente est-il si bas ?
— Je n’en sais rien ! répondis-je agacée. On verra demain. On pourra lui poser toutes les questions que l’on désire.
— Penses-tu ! Comme si elle allait nous confier qu’un meurtre avait été commis là-bas ! brailla Élisa.
— Exactement ! Comme si elle allait nous dire que les anciens propriétaires se sont entretués dans ce manoir et que ça a fini en bain de sang ! Ou même qu’il est hanté et que personne ne veut y vivre ! reprit Céline.
— Bon, stop, les filles, votre imagination demeure très saillante ce soir. Nous verrons bien demain ! Vous m’accompagnez alors ?
— Évidemment !

Et c’est ainsi que s’était achevée notre soirée karaoké, après avoir laissé une dernière fois notre miss Bouclette, s’égosiller sur My heart will go on de Céline Dion.

Cette nuit-là, je n’ai pas beaucoup dormi. Et à cinq heures le lendemain matin, j’étais déjà sous la douche. J’avais hâte, hâte de voir ce que serait sûrement ma première acquisition dans mon futur paradis. Et en un rien de temps, j’avais enfilé mon Levis, mes ballerines blanches et ma chemise fétiche, celle que mon frère m’avait offerte deux ans auparavant. J’avais envoyé un message aux filles, pour leur rappeler que nous prenions la route à cinq heures trente, très précisément. J’avais fait couler un café, afin de remplir mon thermos qui nous tiendrait éveillées tout au long du trajet.

Nous avons pu démarrer à l’heure prévue, ce qui est plutôt surprenant, je vous l’accorde, venant d’Élisa. Ma copine (elle me regarde tout ouïe, avec son petit air satisfait) avait sûrement dû se lever au moins une heure à l’avance, boire ses trois cafés Barista matinaux tout en engloutissant sa tartine beurrée au miel, essayer pas moins de quatre ensembles de ses tailleurs de marque, changer deux fois de coiffure, même si le résultat était généralement le même, vérifier la pression de ses pneus, faire le plein d’essence, récupérer Céline au passage et, enfin, arriver à l’heure convenue, voire cinq minutes avant, tout en m’attendant en bas de mon bâtiment, le visage tout frais. Voilà, ça, c’était Élisa, toujours aussi surprenante, même au bout de presque trente-cinq années d’amitié.

Les cinq heures de route sont passées très vite. Nous avons fait tout un tas de spéculations concernant le manoir. Les filles restaient convaincues que quelque chose de louche se cachait derrière ce prix de vente bien trop inférieur à la valeur marchande. Moi, j’étais sûre de saisir une merveilleuse opportunité et ce n’était pas un hasard si j’étais tombée sur cette annonce. Le bonheur me souriait, tout simplement. Je l’avais amplement mérité. Toutes ces années à écrire, effacer, corriger, recommencer, réécrire, encore et encore pour enfin être repéré par une maison d’édition, gagner un prix littéraire et être publiée par la suite. Toutes ces années à vivre dans mon petit studio parisien du sixième étage qui atteignait plutôt la taille d’une chambre de bonne allaient être, désormais, derrière moi.

Après avoir parcouru des kilomètres de route en serpentin, dans les montagnes sinueuses et dangereuses de l’arrière-pays de Gex, sans avoir croisé un seul véhicule, ni âme qui vive et en faisant plusieurs détours car le GPS ne captait plus de réseau, nous sommes arrivées à bon port. Je n’en croyais pas mes yeux. Ce qui apparut en face de moi était au-delà de ce que j’avais pu imaginer. Nous étions devant le grand portail en fer forgé à la main, du domaine. De majestueux arbres arboraient le parc intérieur. Des roses à perte de vue fleurissaient au milieu d’une pelouse, à l’herbe aussi verte que propre et fraîchement coupée.

— Waouuuuu ! Mais c’est juste… Magnifique ! s’émerveilla Céline.
— Je dirais même, c’est carrément resplendissant ! Fastueux ! Féerique ! enchaîna Élisa, les yeux ronds comme des billes. Tu ne dis rien, Cath ?
— Euh… Je n’ai clairement pas les mots. Je peine à imaginer que je puisse me payer un truc comme ça ! Vous vous en rendez compte, les filles ? Si dedans c’est aussi charmant que dehors, je signe tout de suite !
— Attends Cathleen, ce n’est pas un peu trop beau pour être vrai ? C’est très bien entretenu pour que ce soit, soi-disant, inhabité depuis dix ans… Il ne manquerait plus qu’un feu d’artifice jaillisse du sol pour t’accueillir et l’on se trouverait dans le cliché le plus énorme.

Céline restait réticente et il y avait de quoi. Trop beau pour être vrai ? C’est un fait. Et pourtant, ce manoir était bien réel, le prix bien abordable et la future propriétaire, c’était bien moi.

Nous avons traversé un immense parc arboré et fleuri. Nous avions laissé la voiture d’Élisa devant le portail, ne pensant pas qu’il nous aurait fallu marcher encore dix minutes pour arriver devant ce manoir, qui nous paraissait gigantesque. La porte d’entrée était ornée de moulures couleur or. Un prince nous aurait ouvert, que cela ne nous aurait pas surprises. Une dame d’un certain âge, toute vêtue de noir, les cheveux d’un blanc éclatant et coiffée d’une natte qui lui tombait sur l’épaule, nous avait accueillies.

— Bonjour Mesdames. Je me présente, je suis Madame de Barrella. Je suis la personne en charge de la vente du manoir. Je serai donc votre seule interlocutrice et je me tiens entièrement à votre service. Laquelle d’entre vous est la fameuse Cathleen Riva ?
— C’est moi, madame. Enchantée. Voici mes amies Céline et Élisa.

Les présentations terminées, Madame de Barrella avait ouvert la porte et enfin, nous sommes entrées dans ce somptueux manoir. Le grincement de la vieille porte, très lourde, nous avait fait frissonner un instant. Les yeux écarquillés, mon regard balayait la pièce avec des mouvements circulaires incessants. Nous étions entrées dans le château d’une reine, c’était magnifique.

Nous nous trouvions au milieu d’un grand hall, joliment meublé et décoré de diverses statues d’une autre époque. Les murs étaient parsemés de portraits d’hommes et de femmes, sûrement ceux des ancêtres de cette maison. Je les observais, leur visage paraissait austère et froid. Ils semblaient très anciens. Pourquoi laisser des tableaux personnels lors de la vente d’une maison ? m’étais-je demandé. Un tapis aussi grand que mon studio parisien se trouvait sous nos pieds. On en aurait presque enlevé nos chaussures, tant l’endroit était propre. Notre hôte nous proposa de visiter l’étage, puis nous reviendrions au rez-de-chaussée pour le reste de la visite.

Nous avons monté l’immense escalier en arc de cercle, qui menait aux chambres. De grands tableaux, cette fois-ci représentant principalement des Dieux grecs, ornaient les murs sombres qui entouraient les larges marches, recouvertes de moquette, à la couleur bordeaux. Une fois la longue montée terminée, une incommensurable bibliothèque se trouvait devant nous. Les filles me regardaient, l’air de dire qu’autant de livres feraient mon plus grand plaisir. Effectivement, j’étais émerveillée devant ce trésor inattendu. Madame de Barrella nous expliquait que les anciens propriétaires, des personnes que je supposais fortunées, avaient sciemment laissé la bibliothèque en l’état, estimant qu’elle faisait partie du patrimoine de ce manoir. Ce fut l’occasion de lui demander un peu plus d’informations.

— Vous m’avez dit que le manoir était inhabité depuis presque dix ans, c’est bien ça ? lui demandai-je.
— Oui, madame Riva, c’est bien cela.
— Ils ont déménagé en laissant tous leurs meubles ? C’est assez surprenant, non ?
— Je ne sais pas si c’est surprenant, madame Riva, mais c’était leur choix. Quoi qu’il en soit, comme vous pouvez le constater, le manoir est entièrement meublé, vous n’aurez qu’à poser vos affaires.

Je voyais Céline et Élisa trépigner d’impatience, elles avaient très envie de s’exprimer. Je décidai donc, d’un regard approbateur, de leur laisser la parole. Élisa se hâta à parler la première.

— Madame de Barrella, si je peux me permettre, quelque chose me turlupine. Les anciens propriétaires ont déménagé il y aurait donc dix ans de cela. Mais nous pouvons observer que tout est dans un état de propreté assez marqué. J’ai aussi constaté qu’aucun livre de la bibliothèque, ainsi qu’aucun meuble ne supportaient la moindre poussière. N’est-ce pas un peu étonnant ?
— Ce qui serait étonnant, c’est de faire visiter un bien qui ne serait pas impeccable, répondit-elle sèchement.
— Oui, je vous l’accorde, mais tout de même !
— Ne cherchez pas les petits tracas, là où il n’y en a pas. Tout est conforme et au clair. C’est une demeure qui est toujours restée dans la même famille. Lorsque les derniers propriétaires sont décédés, leurs enfants ont déménagé dans la région de l’Occitanie.
— Le manoir est en vente depuis toute cette durée ? demanda Céline.
— Depuis un certain temps, oui, répondit Madame de Barrella sans s’étendre sur le sujet.
— Écoutez, j’insiste (Élisa ne lâchait jamais le morceau) mais, avec un prix de ventre si attractif, je suis surprise que personne ne l’ait acheté avant ce manoir…

Madame de Barrella fit mine de ne pas entendre et continua sa visite en argumentant sur tout ce qui pouvait l’être.

En entrant dans l’une des chambres, ou plutôt la suite parentale de quarante mètres carrés, j’avais été prise d’un sentiment bizarre, voire préoccupant. Les filles m’avaient regardée au même moment et j’avais compris qu’elles avaient éprouvé un ressenti semblable au mien. Un courant d’air glacial nous avait caressé le visage, ce qui était surprenant, en ce jour chaud et ensoleillé. J’avais bien évidemment balayé leur coup d’œil, ne souhaitant pas que l’une ou l’autre intervienne. Je sentais Madame de Barrella un brin agacée et je ne voulais surtout pas la froisser davantage. Il n’empêche que ce sentiment plutôt désagréable, nous l’avions ressenti toutes les trois.