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Cassie, jeune journaliste londonienne intrépide et fascinée par les mystères des légendes urbaines, voit sa curiosité enflammée lorsqu’on lui confie une mission sur les mythes obscurs de Pembrey Woods.
Persuadée d’avoir décroché le reportage de sa vie, elle se lance tête baissée dans cette enquête. Mais très vite, son enthousiasme cède la place à l’angoisse : chaque nuit, elle se réveille inexplicablement en plein cœur de la forêt, sans se souvenir de comment elle y est arrivée.
À mesure que les frontières entre rêve et réalité se brouillent, Cassie plonge dans une spirale inquiétante.
Ce qu’elle découvrira dans les profondeurs des bois pourrait bien changer sa vision du monde… et la sienne, à jamais.
À PROPOS DE L'AUTRICE
D'origine cubaine, Callie L vit dans le Sud-Ouest de la France depuis 15 ans. Passionnée d'histoire fictive, de mondes imaginaires, elle a toujours eu un goût prononcé pour la lecture et l'écriture.
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Seitenzahl: 285
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Couverture par Scarlett Ecoffet
Maquette intérieure par Scarlett Ecoffet et Emilie Diaz
Correction par Emilie Diaz
© 2025 Imaginary Edge Éditions
© 2025 Callie L.
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385721435
Le vent glacé en provenance des bois voisins agite le fin tissu qui recouvre mon corps. Je suis parcourue de frissons. Je ne saurais dire à quel moment j’ai quitté mon lit, à quel moment mes pieds nus ont frôlé l’herbe du jardin ou encore, comment je me suis retrouvée à la lisière de cette drôle de forêt qui surplombe Pembrey.
Là… cette mélodie. Vous l’entendez ? Elle a quelque chose d’irréel, de mystique, elle m’envoûte et m’attire inexorablement à elle. Je n’ai aucune idée d’où elle provient, je ne réussirais sûrement pas à vous la décrire. C’est comme si le vent composait lui-même sa propre musique et qu’il décidait de la partager avec moi.
J’inspire calmement, m’imprégnant de cet air chimérique. On entend à peine le hululement des chouettes. Au loin, j’ai l’impression d’avoir perçu un animal hurler.
Je m’avance d’encore un, deux, trois pas.
Devant moi se dressent des arbres de plusieurs mètres de haut, aussi anciens que ces terres le sont. Une deuxième bourrasque se glisse sous mes vêtements et les soulève légèrement. J’ai la chair de poule. Toutes les extrémités de mon corps sont assaillies par des fourmillements. Un peu plus loin, les fougères s’écartent une à une, m’invitant à pénétrer dans ces lieux.
Totalement incapable d’y résister, je suis l’étroit sentier me menant au cœur de la forêt. Tout est silencieux et sombre, si ce n’est quelques rayons de lumière qui traversent les épais feuillages. Soudain, une silhouette masculine se dessine devant moi. Je devrais sûrement me méfier, ne pas m’approcher et sortir de là, mais je suis incontestablement attirée par elle. Je pourrais même dire que je me sens comme hypnotisée, fébrile. L’excitation gagne chacune de mes cellules.
Une légère brise éveille mes sens. Sans avoir à me retourner, je le devine maintenant derrière moi. J’ignore ce que c’est, car quoi que ce soit, pour sûr ça n’a rien d’humain.
— Tu es venue à moi, enfin, souffle une voix profonde au creux de mon cou.
Sa main effleure mon bras, laissant une traînée brûlante là où ses doigts se posent.
J’acquiesce, étourdie par cette caresse aussi légère qu’une plume, dont les effets se font ressentir jusqu’à mes extrémités. C’est comme si elles le reconnaissaient. Un rire à la fois rauque et sensuel lui échappe, accentuant les sensations que son geste a sur moi. Je me tourne, afin de voir son apparence, mais l’obscurité ambiante m’empêche d’apercevoir ses traits. Tout à coup, des prunelles mordorées m’éblouissent. Venait-il soudainement d’ouvrir les yeux ? J’en reste le souffle coupé. Mes doigts glissent sur sa peau, dessinant la ligne de sa mâchoire carrée, il se penche à son tour vers moi effleurant mes lèvres, poussant un grognement animal. J’ai envie, oui, follement envie qu’il m’embrasse et pourtant rien n’arrive. Non, il m’observe. Je vois ses pupilles se dilater et parcourir mon visage, puis brusquement, tout s’arrête.
***
Unesonneriestridentemefaitsursauter.J’ouvreles yeux en panique, émergeant violemment de ce rêve, encore une fois. Je me redresse, le cœur battant la chamade. Je peineàretrouvermarespirationtantmespoumonsbrûlent. J’époussettemachemisedenuitetcoursmeréfugierdans lamaison,situéeàquelquesmètresdelà,laissantlaforêt derrière moi.
Jefermelaporteàcléetdepuislafenêtre,j’observe, effrayée,PembreyWoods.
PembreyWoods,lieupeupléd’histoireshantées,les unesplusglauquesquelesautres.Laplusconnue:celleoù laforêtseraithabitéepardesfantômes.Ilyatroissiècles, desmalfratsattiraientlesnaviresverslesplagesafinde provoquerleurnaufrageetd’emporterleursbutinsàtravers lesbois.Cettelégendepousselapopulationàcroireque ces denses feuillages abriteraientdésormaisdenombreuxesprits.C’en estmêmeunargumentcommercialtouristiquepourles amateurs de sensations fortes et d’expériences surnaturelles. Pourtant,lorsqu’unmoisplustôt,monemployeurm’a proposé ce poste au Pays de Galles, je n’ai pas hésité à quitter l’agitationdeLondresquidevenaitbientropoppressante, pourm’installerquelquessemainesdansunemaisonnette auxabordsdecette zone boisée.Jedoisjustementcouvrirunesérie d’articlessurlesmythesdelarégion;moiquiadoretoutce qui est insolite, je suis servie. En revanche, je ne m’attendais pasàcequecesoitsiépuisantouquejesoismoi-mêmeau cœurdecetteétrangeté.
Celaacommencéquelquesjoursaprèsmonarrivée. Au début, je veillais tard. L’insomnie venant frapper à maportechaquesoir,jetravaillaisjusqu’àm’assoupirde fatigue.Ensuite,jem’endormaissurledivanoudansmon lit,maismeréveillaisdehors,allongéedansl’herbe.Etce, sans aucune explication logique.
J’ai lu quelques sujets sur internet : à cause du stress, je pensais souffrir simplement d’agrypnie1. Mais depuistroisjours,quelquechoseachangé.Avantmême de trouver le sommeil, alors que la nuit tombe à peine, le vent se lève et c’est comme si cette forêt m’appelle, littéralement. Je dois lutter pour ne pas m’enfoncer plus loindanslesépaisfeuillages.J’aiaussiveilléàmettreune alarme sur mon téléphone, que je laisse dans l’une des poches de mon pyjama afin de me réveiller chaque jour à minuit. Ce n’est pas du tout confortable pour dormir, mais je n’ai pas d’autre solution pour le moment. Peut-être que je perds tout simplement la tête à cause de la fatigue, ça doit être ça.
Dumoins,jel’espère.
***
J’observelepanneauaccrochéàunpandemurdema chambre.Ilestfaitdeliège,plusieursPost-itssontépinglés dessus.Lestermes«PembreyWoods»sontentourésen rouge. Plusieurs flèches partent dans tous les sens, vers d’autresmotsdésignantcequej’aipudécouvrirpendant mesrecherches.Ensoit,pasgrand-chose,ouplutôt,toutet n’importe quoi. Des bois hantés, des monstres sanguinaires quiyrôderaientlanuit,desdisparitionsinquiétantes,des mutantsouencoredescréaturessurnaturelles.Difficilede faireunarticlecrédibleàpartirdetoutça.Jedoisfairedu tri.
Dans l’extrémité gauche du tableau, il y a des notes quimeconcernentpersonnellement:cauchemars,visions, hallucinations,forêtmagique,hommemystérieux– etsexy– etenrouge«QU’EST-CE QU’IL M’ARRIVE ?!».
—Ouais, c’est pas mieux…, grommelé-je.
Jefrottemesyeuxfatigués.Lecadranaffichevingt-deuxheurestrente.Nonsansinquiétude,jemerésousà alleraulit.Jepriepouravoir,pourunefois,unenuitcalme etdenepasmeréveillerdehorsengrelottant.Unepetite voixintérieuremesoufflequelegrandmonsieurtoutlà-hautn’estpasbiendécidéàentendremessuppliques.
Samsonne chez moi àneufheurespétantes.Pourun samedi,çafaitmal.J’auraistellementaiméfairelagrasse matinée,étantdonnélepeud’heuresdesommeildontj’ai bénéficiécesderniersjours.Jemelèvesansenthousiasme.Si celanetenaitqu’àmoi,jeresteraissouslacouettetoutela journée,maisilsetrouvequejeluiaipromisdel’accompagner àl’inaugurationdunouveaucaféenville.Apparemment,le gérantestlemeilleuramidesoncherettendre.
—Et beh dis donc, tu as une de ces mines ! s’exclame Sam lorsque j’ouvre la porte d’un pas traînant.
Je hausse les épaules, habituée à ses taquineries. Il faut dire que c’est la spécialité de la jolie brune que j’ai rencontréeaudétourd’unepoubelle,lorsquejesuisarrivée àPembrey,quelquessemainesplustôt.Ainsi,j’aidécouvert qu’on était voisines.
—Mauvaise nuit, mauvais rêves, je réponds machinalement en refermant la porte derrière moi.
—Encore ? s’exclame-t-elle en marquant une pause et en me dévisageant de cette étrange lueur, dont elle seule a le secret.
—Encore, marmonné-je en bâillant.
Sam est au courant de mes cauchemars, ou plutôt, de ma soudaine insomnie. Elle ne me prend pas encore pour une folle, mais peut être que ça ne durera pas. En même temps, on peut dire que je n’ai pas fait un grand effort pour être présentable : mes cernes donnent une allure depandaàmonvisage.Maisjen’ainil’envienil’énergie de me mettre sur mon trente-et-un après avoir dormi à peine quatre heures cette nuit et, pour cette fois, ça ira trèsbien.C’estdoncavecunvieuxsweat-shirtetunjean délavépasse-partoutquejegrimpedanslavoitured’une Sampomponnéecommesiellesortaitenboîte.Jefaispâle figureàcôtéd’elle,maispeuimporte.
Dixminutesplustard,nousarrivonsaucentre-villede Pembrey.C’estplutôtrustique,pourautant,cepetitvillage dégagequelquechosed’uniquequejenesauraisdécrire.Le caféestsituépileenfacedelabibliothèque,cequiestune bonne chose puisque je m’y rends souvent pour effectuer des recherches.Jepourraistoujoursvenirmeposerpourécrire ouliresil’enviemeprend.L’endroitdétonneparrapport aurestedeparsonalluremoderneetchic:celamerappelle quelquepeuLondresetsesbellesboutiques.Dedans,ilya déjàdumonde– tropdemonde,sivousvoulezmonavis. JesuisdeprèsSamquial’airsuperexcité.Jedevinesans mallacausedesonagitation.Ellesetrouvelà,àquelques mètresdevantnous:Gabriel,bienévidemment.Cedernier fréquentemonamiedepuisplusieursmoisd’aprèsceque j’ensais.Leurrelationestunpeuétrange,maisj’évitede m’enmêler.Entoutcas,ellesembleheureuseetc’esttout ce qui compte.
—Hey Gab ! lancé-je d’un air enjoué, tandis que Sam se jette à son cou et l’embrasse fougueusement.
Je détourne les yeux, en secouant la tête ; ils s’en fichentdesgensautouretn’ontpashontedemontrerleur affection.J’aiparfoisl’impressionquec’enestmêmeun besoin. Il suffit de voir comment il la dévore du regard. Je les envie un tout petit peu… J’aimerais bien un jour aimeraussipassionnémentquelqu’un.J’apprécieGabriel, bienquesafaçondemedévisagerparmomentsmemette malàl’aise.Oh,sonexpressionn’ariend’ambigu,loinde là,maisplutôtcommes’ildécelaitenmoiquelquechose qui m’échappe.
— Bon et beh, je vous laisse, je vous retrouve dedans. Et par pitié, prenez une chambre !
Samgloussecommeuneadolescentetandisquejeles quitte,amusée.J’aibienenvied’uncaféetpourquoipas quelquesmignardises,jemeursdefaim.
Jem’installeàl’unedespetitestablesencorelibres, près des baies vitrées, tandis que l’un des serveurs, l’air dépassé,vient s’occuper de macommande.Jefinisparchoisir un cappuccino et un muffin aux myrtilles, de quoi me donner un peu d’énergie, puis observe plus tranquillement leslieux.C’estdécoréavecgoût,lepatronsembleattentif auxdétails.Celieuaindéniablementuncertaincharme, quoique personnellement, je trouve qu’il contraste trop par rapport aux autres bâtiments de la ville. Ça manque de chaleur, mais ce n’est que mon avis, que je garderai pourmoi,biensûr.Inutiledefroisserlepropriétaireavant mêmequel’onsoitprésentés,surtoutsijesuisamenéeàle croiserrégulièrement.D’aprèsGabriel,cedernierrevient toutjusteàPembreyaprèsquelquesmoispassésàl’étranger pouraffaires.C’estsûrementcequiexpliqueseschoixen matière de décoration.
Alorsquemonattentionseportesurlavitrine contenantunnombreincalculablededélicieusespâtisseries, un picotement bizarre saisit mes mains, puis se répand le longdemesbrasjusqu’àlabasedemanuque.Jemetortille sur ma chaise, fronçant les sourcils, tandis que je parcours lafouleàlarecherched’unjenesaisquoi.Peut-êtrequeje couve un rhume ou quelque chose, allez savoir. Depuis mon arrivéedanscetteville,jenesuispasdansmonétatnormal. Monregards’arrêtetoutàcoupsurmapétillantevoisine, ou plus précisément, sur le dos du brun qui leur fait face. Je le dévisageaveccuriosité.Pouruneraisoninconnue,etquand bienmêmecelaparaisseridicule,j’ail’impressionquece soudainmalaiseaquelquechoseàvoiraveclui.Jel’observe, surprise,scruterlesenvirons,puis,alorsqu’ilpivoteenfin, sesprunellesambréesrencontrentlesmiennes.Jemefige, incapablededétournerlesyeux– mêmesic’estmalpoli– totalementdéconnectéedecequisepasseautourdemoi. Monpoulss’accélèresansexplicationlogiquelorsqu’ilme fixeintensément.Cetéchangesilencieuxdoitàpeinedurer quelquessecondesetpourtant,j’ail’impressionquecela fait plusieurs minutes que nous nous détaillons. Gabriel sepencheversl’inconnu,luimurmurantquelquechoseà l’oreille,tandisqueSamm’examineàsontour.Réalisant l’incommodantdelasituation,jemesensrougirdehonteet baisselesyeux,meforçantàdétournermonregard.
Qu’est-cequ’ilm’arrive?
Jeremercieleserveur,lesmains moites,lorsqu’ilm’apportemacommande.Jem’obstine à fixer ma tasse, troublée, espérant, par pitié, qu’ils ne viendrontpasversmoi.Vousai-jedéjàditquej’ailapoisse? Dansmonchampdevisionapparaissentsoudaintroispaires dechaussures,deuxhommes,unefemme.Ohnon…Jeme reprendscommejepeuxetlèvelesyeuxversletrio.
—Ça va Cassie ? Tu es tout rouge ! s’exclame Sam en me scrutant.
Jelatueraisparfois…seulementparfois.Jetentedefaire bonnefigure,malgrél’embarras.
—J’ai… la fatigue, rien de grave, ne t’en fais pas, mens-je éhontément à mon amie.
Jesourisetcontemplelecouple,avantquemesyeux nes’arrêtentsurdesprunellesambréesquim’examinent. J’auraispuêtreflattée.Or,jenelisquedelacolèredansson regard.Mâchoirescarrées,contractées,lebrunmereluque dehautenbassansaucunegêne.Sesirisbrillentdecuriosité, maiscettedernièren’ariendebienveillant.C’estquoison problème?
C’estvraimentdésagréabled’êtredévisagéedelasorte. Entempsnormalilseseraitdéjàprisuncommentaireacide de ma part. Mais je freine mon impulsivité, étant donné qu’ilsembleconnaîtrelecouple.
—Cassie, voici Ashler, intervient Gabriel. Mon meilleur ami. C’est lui le gérant de ce café.
Jem’endoutais.
Noteàmoi-même:éviterderevenirici.
—Enchantée, et félicitations, l’endroit est sympa, lancé-je tentant de détendre l’atmosphère.
Je n’explique pas le tourment que je lis dans ses yeux.L’aurais-jecroiséailleurs?Çam’étonnerait,jem’en souviendrais de ce visage si tel avait été le cas. Il a peut-être l’air d’êtreuncrétin,maisilestbeaucommeDieu.Ledénommé Ashlersecrispe.Leseulfaitdem’adresserlaparolesemble lui demander un grand effort. Encore un cinglé… pourquoi faut-ilqueçatombesurmoi?N’empêche…uncinglésexy… maisuncingléquandmêmeCassie!
—Merci, répond-il froidement.
CetypeseraitcapabledegelerledésertduSaharaavec sonattitude.Jedécidedel’ignorer.JescruteSamhaussant unsourcil.Elleal’airaussimalàl’aisequesonpetitami. D’ailleurs,cedernierdonneuncoupdecoudeàsonpote danslescôtes,cequiluivautunregardnoirdesapart.
— Je dois y aller, deux ou trois choses à gérer. À plus ! lance-t-il en s’éclipsant rapidement, comme si j’avais la peste.
Je suis vexée, j’hésite à sentir mes vêtements pour voir si c’est mon odeur corporelle qui le répugne, mais m’abstiens. Sam s’installe face à moi, Gabriel en fait de même.
— Ne fais pas attention à lui, Ash est… lunatique. Ça va lui passer. Il doit être fatigué avec tous les préparatifs du café et le stress du voyage.
Je hausse les épaules, comme si je n’en avais rien à faire. Mais le fait est que cette histoire m’a profondément agacée. Je n’ai pas l’habitude d’être traitée comme ça.
—Pas grave, de toute façon, je ne reste pas longtemps. Je vais en profiter pour aller faire deux ou trois courses. Je n’ai plus rien dans mes placards.
Je m’empresse de finir ma collation et les salue avant de les quitter. Je suis fichtrement énervée, finalement. Pour qui se prend cet imbécile ? Non, mais je rêve !
Je me détends en remplissant le chariot. Mon frigo est vraiment vide et j’ai envie de chocolat. Je dévore la moitié d’une tablette, me baladant d’étal en étal. La rencontre avec le brun ne cesse de tourner en boucle dans ma tête, comme un disque rayé. Je fulmine intérieurement et mange pour me calmer. Mes fesses ne me remercieront pas pour les calories, bien évidemment – dommage pour moi.
Je sors de la supérette, les bras chargés, réalisant que j’étais venue avec Sam et par conséquent je n’ai pas ma voiture. Merde, ce n’est décidément pas ma journée. Je ne veux absolument pas retourner là-bas et croiser ce regard glacé. Tant pis, ce sera le bus.
Une heure plus tard, j’arrive enfin à la maison – et oui, à Pembrey, en week-end, les bus se font rares. Je me sens vidée de toute énergie, sûrement à cause du manque de sommeil. Je range les provisions dans les placards et le frigidaire, puis m’allonge sur le canapé, un livre à la main. C’est alors que mon téléphone décide de vibrer.
Peut-on me laisser un peu de répit ? pensé-je dépitée.
SMS : Hey chérie, ça te dirait de sortir ce soir ? Allez… dis oui, ça va être marrant !
Sam… Je soupire, ayant juste envie de retrouver mon lit. Mais… si je continue comme ça, je vais finir vieille fille entourée de chats. C’est pour ça que j’accepte, en espérant qu’Ashler ne soit pas de la partie, bien que j’en doute, avec ma chance légendaire.
***
Il est vingt-deux heures trente quand je quitte la maison. Après une grosse bonne sieste, je suis plutôt en forme. Au moins, lorsque je dors la journée, il n’y a pas de rêves. À ce train-là, je vais finir par ressembler à un vampire. Ma propre bêtise me fait lever les yeux au ciel, tandis que je m’installe dans ma voiture et démarre le moteur.
L’Éclipse, cette nouvelle boîte qui se situe dans les sous-sols de Pembrey. Un concept inédit qui attire la foule chaque soir. C’est la première fois que j’y mets les pieds. Sam, elle, est une habituée des lieux. Elle m’a prévenue, elle ne voulait pas me voir habillée comme un sac, ni que je ressemble à un zombie. N’est-elle pas adorable ? J’ai opté pour une petite robe bordeaux et des escarpins assortis. Niveau maquillage, un trait d’eye-liner, un peu de mascara et un rouge à lèvres carmin feront bien l’affaire. J’ai juste ondulé mes cheveux, histoire de leur donner du style. Si avec ça, madame n’est pas satisfaite…
Je gare ma voiture dans le parking attenant au club. Dehors, le temps s’est quelque peu rafraîchi, quelques feuilles sèches virevoltent autour de moi. Un bruit sourd provient de la porte d’entrée de la boîte : un grand Monsieur Muscles est posté devant, triant ceux qui rentreront de ceux qui resteront sur le carreau. Je suis inhabituellement nerveuse, je ne sais pas pourquoi. Ou pour être honnête, si, j’appréhende un peu de recroiser ce Ashler – c’est quoi ce prénom d’abord ? –, s’il est là. Il faut dire que notre première rencontre n’a pas été couronnée de succès ou d’amabilité. Je n’ai pas envie de subir son regard hautain une nouvelle fois. Je me connais suffisamment pour savoir que je ne tiendrais pas ma langue longtemps, s’il persiste à me dévisager comme il l’a fait ce matin.
—Cassie !
Je sursaute, sortant de mes pensées, lorsque la voix de Sam m’interpelle. Je me tourne vers mon amie qui arrive escortée par Gabriel et… Ashler. Eh crotte ! Mon cœur s’accélère de nouveau sans explication rationnelle, alors qu’il me détaille de la tête aux pieds. Je crois l’avoir entendu grogner, mais ça, c’est la fatigue qui doit me faire halluciner. De son côté, je dois dire qu’il n’est pas mal du tout, même si l’avouer m’arrache un organe – moi, exagérer ? Pas du tout. Il porte une chemise noire, légèrement entrouverte, laissant apercevoir la naissance de ses pectoraux. Son pantalon, d’une nuance similaire, marque ses cuisses puissantes et sa taille que je devine en V. Ses cheveux de jais sont tirés en arrière, mettant en lumière sa mâchoire carrée, tout comme son regard en amande et ambré. Ténébreux à souhait, sa tenue sombre accentue son côté sexy. Dans d’autres circonstances, j’en aurais bien fait mon quatre heures.
Psst, tu t’égares Cassie ! Reviens parmi nous.
—Eh bien ! Je préfère ça ! se réjouit la brunette en me faisant tourner sur moi-même.
Je ris, amusée. Je la salue, ainsi que Gabriel, et hésite lorsque je me retrouve face au pote de ce dernier. Je finis par hocher la tête dans sa direction et me retourne vivement, cachant la rougeur de mes joues. Sam passe son bras sous le mien et m’entraîne vers la boîte.
—Je crois que tu as tapé dans l’œil de l’ours, chuchote - t-elle discrètement.
Je lui donne un coup de coude.
—Tu plaisantes ? Il me fait flipper, oui ! C’est un cinglé.
La brunette s’esclaffe, je me demande ce qu’elle trouve d’hilarant dans cette situation. De mon côté, je prie pour que cette soirée se passe bien. Il a l’air aussi peu commode que la dernière fois, et aussi accueillant qu’un iceberg. J’ignore ce que j’ai pu faire… C’est à peine si je lui ai adressé plus de deux minutes la parole. Pourtant, il semble vraiment ne pas apprécier ma présence. Peut-être devrais-je lui en demander la raison – ou pas.
Nous arrivons devant le grand baraqué qui se tient à l’entrée. Étrangement, ce dernier se met limite au garde-à-vous et hoche la tête respectueusement, avant de s’effacer pour nous laisser passer. Je dévisage Sam, un peu à côté de mes pompes.
—C’était quoi, ça ? demandé-je
Elle hausse les épaules avec un sourire en coin et me pousse doucement à l’intérieur. La lourde porte se referme derrière notre petit groupe alors que nous entrons dans une sorte de sas où nous déposons nos affaires. Nous nous engouffrons dans les escaliers. Plus j’approche de ce qui semble être une grande salle en sous-sol, plus mon cœur s’emballe, et cela n’a rien à avoir avec les vibrations du son des tambours qui résonnent dans ma poitrine.
Ma chair se couvre de frissons, tandis que nous pénétrons dans un endroit qui a l’air hors du temps. Si la musique, elle, est plutôt moderne, les lieux, eux, sont habillés de telle façon que l’on se sent transporté plusieurs siècles en arrière, à l’époque de la Renaissance. D’immenses colonnes corinthiennes, décorées chacune de deux rangées de feuilles d’acanthe, supportent fièrement le poids de plusieurs dômes superposés. Sous cette vue, j’ai du mal à croire que l’on soit en sous-sol. Sous mes pieds, les dalles sont taillées dans du marbre noir, les meubles, eux, sont couverts d’un tissu capitonné aux motifs divers. D’énormes lustres diffusent une lumière tamisée, apportant intimité à ceux se trouvant dans les recoins les plus éloignés de la vaste salle.
— Waouh… m’exclamé-je bouche bée, ne m’attendant sûrement pas à ce style de décoration dans un lieu pareil.
C’est bien la première fois, en vingt-six ans de vie, que je visite un endroit comme celui-ci.
— C’est fou, hein ? Je t’avais dit que t’allais adorer, mais comme toujours, tu ne m’écoutes jamais, me taquine Sam faisant mine de bouder.
Je lève les yeux au ciel, suivant les garçons. Beaucoup de jeunes femmes viennent à notre rencontre, ou plutôt, leur rencontre. Je me demande si cela ne dérange pas mon amie, mais elle semble n’en avoir que faire. Ash et Gab ont l’air de connaître tout le monde ici, surtout le premier, qui paraît maître des lieux. Il murmure quelques mots à l’oreille d’une serveuse, alors qu’on prend place dans une espèce d’alcôve à l’abri des regards. Puisque les tourtereaux s’installent ensemble, Ashler n’a d’autre choix que de s’asseoir à côté de moi lorsqu’il nous rejoint enfin. Je me pousse contre le mur pour lui laisser de l’espace. Malheureusement, étant donné sa corpulence, nos cuisses et nos épaules se frôlent sans cesse. Son visage se ferme à nouveau. Je crois entrevoir ses poings se serrer sous la table.
Il est sérieux ?
J’ai envie de lui crier dessus tant son attitude à mon égard est désagréable. Je décide cependant de l’ignorer : un silence gênant s’installe entre nous. C’est la première fois que je ressens un mélange d’agacement et d’attirance envers quelqu’un. Je suis déboussolée par cette vague de colère qui monte en moi après tout, il n’est qu’une connaissance, pour ne pas dire un étranger. Pourquoi ça me travaille autant ? Je ne suis pas du genre à me prendre la tête pour ce genre de choses, encore moins quand s’agit d’un inconnu. Et pourtant…
Sam se racle la gorge.
— Bon… eh bien, je ne sais pas vous, mais moi j’ai envie de bouger. Tu viens bébé ? lance-t-elle en tirant Gabriel sur la piste de danse sans que ce dernier ait son mot à dire.
On les observe s’éloigner, et surtout, je réalise que je me retrouve seule avec l’ours. La garce, pesté-je pour moi - même. Silence radio. Pas une parole, pas un regard, il fixe obstinément quelque chose d’invisible devant lui, qui a l’air plus captivant que celle actuellement assise à ses côtés. En l’occurrence, moi. Je soupire, maîtrisant mon agacement. C’est alors que la serveuse, cette salvatrice, s’invite à notre table.
— Et voici vos cocktails, comme demandé patron, lance-t-elle enjouée en déposant les verres devant nous.
Patron ? Cet endroit lui appartient ? Elle marque une pause et me détaille, avant de se tourner vers Ash, se désintéressant totalement de ma personne. Elle lui adresse un sourire énigmatique d’un rouge vermeil, puis, avec un clin d’œil, elle s’éclipse en rajustant sa mini-jupe ou plutôt le bout de tissu lui recouvrant les fesses. Je n’ai guère besoin d’être médium pour deviner ses intentions. La pudeur, ce n’est visiblement pas son truc. Puis… encore faudrait-il qu’elle veuille se montrer discrète.
Je prends mon verre, buvant une longue gorgée. Il y a trop de tension ce soir, j’ai besoin de l’évacuer. Je tapote le pied par terre d’impatience ; d’ailleurs, ladite patience, je commence à en manquer. Oh et puis, s’il ne souhaite pas parler, tant mieux, que l’ours reste dans sa tanière.
— Tu permets ? lancé-je avec la même froideur que lui un peu plus tôt dans la journée.
Il arque un sourcil, alors je lui fais signe de se pousser. Il me regarde, moi, puis la piste de danse, semble hésiter et finit par bouger. Enfin ! Long à la détente, celui-là !
Je passe devant lui, vide mon verre d’une traite et le pose sous son nez. S’il a envie de se taper une soirée pourrie, c’est son problème, mais moi, il est hors de question que je reste assise à le contempler !
— Merci pour le cocktail ! raillé
Toute personne qui me connaît suffisamment sait ô combien j’adore danser. D’ailleurs, plus jeune, afin de payer mes études de journalisme et, car ma mère ne pouvait pas se le permettre, j’étais danseuse dans un night-club londonien. N’allez pas croire que j’étais stripteaseuse, Dieu ! non, j’étais un minimum habillée – bien que mes tenues étaient sexy –, je l’avoue. Aucun type n’avait cependant le droit de poser un doigt sur moi, au risque de le voir cassé par l’un des vigiles. C’était plus de la sensualité, afin d’ajouter un peu de chaleur à l’ambiance du club, ce qui poussait souvent les hommes à s’attarder plus longtemps au bar pour profiter du spectacle et par conséquent, à consommer davantage. Du pur business. Mais soit, tout cela n’est qu’un lointain souvenir à présent. « Pearl » n’existe plus, il ne reste que moi et mon amour pour la danse.
Je m’avance au milieu de la piste, là où des filles se déhanchent sur des petites estrades. Je souris. La musique est plaisante. Je la laisse s’immiscer en moi, m’imprègne d’elle, c’est ainsi que je la ressens. Tout disparaît, tandis que la mélodie et moi ne faisons plus qu’un. J’oublie ce qui m’entoure, ferme les yeux et commence à me mouvoir au rythme de la basse, du piano et de la voix sensuelle du chanteur. Mon corps ondule à la demande de ses paroles : je n’entends qu’elles. Mes jambes me font tourner. Je descends lentement, me relève, lorsqu’une main tapote mon bras. Une des danseuses m’invite à l’accompagner sur la chanson. Je lui souris et la rejoins. Je grimpe sur la scène et bouge contre la barre en me servant d’elle pour ne pas tomber.
Très vite, les regards se braquent sur moi et je sens la température de mon corps monter sous l’effort et, je l’avoue, aussi l’excitation. Bougeant lentement, je leur tourne le dos, descends, me redresse en me cambrant, mes cheveux suivant le mouvement. Mes mains parcourent mes courbes, agitent ma crinière, et lorsque je fais à nouveau face à la foule, au fond de la salle, l’ours me guette de ses deux billes ambrées. La lumière doit me jouer des tours, car je jurerais les avoir vues luire plus intensément. Quoi qu’il en soit, mon regard est soudé au sien. Je ne sais pas pourquoi je n’arrive pas à m’en détourner et, contrairement aux fois précédentes, il ne cherche pas à rompre le contact visuel non plus.
La mélodie touche à sa fin. Euphorique, je descends de l’estrade. Tout semble quelque peu flou autour de moi. Cet endroit… je mordille mes lèvres alors qu’une autre chanson démarre. Je souris et continue à danser, plus lentement cette fois. Des hommes m’observent ; je les ignore, comme s’ils ne pouvaient pas s’approcher de moi, comme si j’étais inatteignable. Je ne sais pas ce qui me prend. Je me demande s’ils n’ont pas mis quelque chose dans ma boisson, mais qu’importe, je me sens bien, très bien même.
Ma peau se couvre soudainement de fourmillements. Je me tends. Je reconnais immédiatement cette sensation. Une main entoure mon corps. Je tente de me tourner pour voir son visage, mais il m’en empêche. Au lieu de quoi il me plaque contre lui. Mon cœur s’emballe. Je frissonne tandis que son odeur de santal chatouille mes narines, comme si j’étais projetée à nouveau dans mes chimères, dans cette forêt, dans ses bras. Est-ce seulement possible ? Suis-je en train de rêver éveillée une nouvelle fois, dans cette boîte de nuit ? Il paraît si réel… Je remarque à peine que je bouge toujours contre lui… Il hume mes cheveux… Son nez frôle mon cou… J’entrouvre la bouche… J’ai chaud.
— C’est toi ? chuchoté-je.
Cette fois il ne me répond pas. Ses lèvres embrassent ma peau. Mes yeux clos, je me consume littéralement. Je sens le désir prendre peu à peu possession de mon esprit embrumé. J’exhale, calmant mes ardeurs. J’en veux plus, je le veux lui.
L’éclairage change, la musique aussi, et quand je rouvre les paupières, que je pivote pour lui faire face, je suis seule au beau milieu de la piste de danse. Il n’y a personne, juste le vide. Je rougis, troublée, ne sachant plus trop où me mettre. En tout cas, le petit spectacle semble avoir satisfait quelques curieux qui me contemplent avec des regards affamés.
Je traverse la foule à toute vitesse jusqu’au bar et demande de l’eau à la serveuse. Elle m’observe comme si quelque chose m’avait poussé sur la tête, mais me tend un verre. Je le vide d’un trait, je suis… totalement perdue, mais surtout énervée. Énervée contre moi, contre lui… si seulement il existe, oui si seulement… peut être que je deviens juste folle… Rien ne va. Je dois rentrer. C’est une chose que ces hallucinations surviennent quand je suis enfermée chez moi, c’en est une autre que ça arrive au beau milieu d’un night-club bondé de monde.
Et pourtant, tout semblait si réel…
Je secoue la tête et me dirige vers notre table. L’ours n’a pas bougé. Je m’en fiche. J’ai terriblement chaud. Je presse le pas et sans un mot prends mon sac qui trône sur le banc. Sam nous rejoint avec Gab.
—Waouh ! Ma chérie, eh bien, tu m’avais caché ça, petite coquine ! Ils étaient tous bouche bée, glousse-t-elle.
Si en temps normal j’aurais aussi rigolé, là, je n’y arrive pas. Je la regarde, son sourire s’efface.
—Ça ne va pas Cassie ? demande-t-elle soudain, inquiète.
—Je… je ne sais pas, balbutié-je. Je ne me sens pas bien, je… je vais rentrer. T’en fais pas pour moi, profitez de votre soirée.
Elle proteste, me disant qu’il est hors de question qu’elle me laisse partir seule et que je ne suis pas en état de conduire. Je remarque alors seulement que mes mains tremblent.
—Je la ramène.
Sa voix grave nous fait tous sursauter. On le dévisage unanimement, surpris. Moi, la première, ne m’y attendant pas du tout. Il grogne et passe une main derrière sa nuque, gêné.
—Je dois me lever tôt de toute façon, c’est sur mon chemin. Sam, tu n’auras qu’à lui ramener sa voiture demain. La concernée me questionne du regard. Je hausse les épaules. Je ne suis pas en état de réfléchir. Mon esprit est à quelques kilomètres de là, dans cette maudite forêt. Je ne sais pas si je ne suis simplement pas pressée de rentrer pour le retrouver à nouveau. Ça y est, ma vieille, tu es cinglée.