Le Piéton du 36 - Anne-Marie Mitchell - E-Book

Le Piéton du 36 E-Book

Anne-Marie Mitchell

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  • Herausgeber: Lucien Souny
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2022
Beschreibung

Plongez sans attendre dans ce roman policier aux multiples personnages !


Paris, 2019. Un commissaire, technophobe et alter ego de Maigret. Un lieutenant, crack en informatique. Un légiste qui parle à ses autopsiés. Un photographe, pilier de bistrot. Un fait-diversier, au nez fureteur. Tels sont les personnages d’une intrigue dans laquelle les cadavres, victimes d’un tueur en série, s’amoncellent sur les pages. Sombre et captivant, avec, en toile de fond, le trentième anniversaire de la mort de Georges Simenon. Insolite et surprenante, cette enquête jubilatoire déjoue tous les codes.



Ce quinzième ouvrage de Anne-Marie Mitchell tient une fois de plus toutes ses promesses !


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE


"À partir d’un odieux épisode, Anne Marie Mitchell a composé un roman particulièrement réussi, entre le polar et l’évocation historique." - L'Obs

"Une écriture vertigineuse, un talent exceptionnel, ça vibrionne à chaque page, telles se présentent les caractéristiques prédominantes de ce polar irrésistible qui mêle allègrement avec bonheur et réussite la drôlerie et un sens aigu de l'actualité !" - Polarmaniaque


À PROPOS DE L'AUTEURE


Chroniqueuse littéraire – sélection pour le prix Hennessy 2021 du journalisme littéraire – et romancière, Anne-Marie Mitchell signe ici son quinzième ouvrage et nous rappelle, si besoin était, son engagement inaltérable en faveur de la cause animale.

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Ähnliche


Contenu

Page de titre

Dédicace

Exergue

Remerciements

Paris, 4 septembre 2019

Le commissaire se tourna…

Le photographe avait le visage blême…

Le médecin posa les mallettes…

La librairie était une caverne…

La porte refermée derrière lui…

Dans la rue des Dames…

Comme Jaurèle s’y attendait…

En attendant Joubert…

Signe des temps…

Les murs passés à la chaux…

Le soir même…

Deux mois plus tard

Le taulier is back.

Avant d’aller dormir…

Mercredi 18 mars 2020

Glossaire

Bonus littéraire

Du même auteur

Dans la même collection

Copyright

À Fabienne Deval
et Jean-Claude Lamy
« Je préfère être détesté pour ce que je suis,
plutôt que d’être aimé pour ce que je ne suis pas. »
Georges Simenon
REMERCIEMENTS
L’auteur exprime sa gratitude aux forces de police et de gendarmerie en charge de notre sécurité, aux pompiers qui nous viennent en aide, au capitaine Gilles Braun, pour son Parlez-vous keuf ?, dictionnaire préfacé par Alain Bauer, professeur de criminologie, et postfacé par Jean-Marc Souvira, commissaire divisionnaire. L’auteur l’exprime de même à Olivier Marchal, ancien inspecteur devenu réalisateur, qui sait qu’une infime poignée de policiers se comporte parfois de façon pitoyable, mais que tous les autres méritent notre reconnaissance et nos applaudissements. Aussi se révolte-t-il contre les « petits marquis », bien au chaud dans leurs appartements bourgeois des quartiers huppés, qui jugent sans savoir, et qui n’ont jamais vu un flic pleurer devant le cadavre d’un enfant de quatre ans tué à coups de fer à repasser, ou d’un nourrisson violé par son beau-père et qui « dégueule » ses intestins par son anus. L’auteur l’exprime enfin à son amie, Anne Deplace, patiente lectrice du Piéton du 36, de son ébauche à son achèvement.
Les mots qui ne figurent pas dans les principaux dictionnaires de langue française ou d’argot apparaissent dans le glossaire en fin de livre.
Paris, 4 septembre 2019
Noé Jaurèle changea le bac à litière de Dolce, son chartreux. Après y avoir versé les granules blancs, il lui servit ses croquettes au poulet dans une coupelle en porcelaine. Sur la cheminée de la salle à manger, tapissée de livres du sol aux poutres du plafond, et encombrée de vieux objets dépareillés, la pendule de marbre noir marquait la demie de six heures lorsque le téléphone retentit. Les cheveux embroussaillés,le bas du pyjama retroussé,et les pieds perdus dans des babouches trop larges, le commissaire décrocha.
– Jaurèle, de la Criminelle. J’écoute.
– Ça ne sert à rien, patron, de vous présenter. Vos r à la Nougaro suffisent pour vous reconnaître, s’esclaffa le lieutenant Léo Paulin.« Ô mon païs, ô Toulouse, un torrent de cailloux roule dans ton accent. »
– Dis, l’accro aux saloperies high-tech, si tu me bigophones pour me chatouiller les nerfs, tu vas avoir droit à un remontage de bretelles.
– Je n’en porte pas.
– Ça t’aiderait pourtant à soutenir tes pantalons déformés par des faux plis.
– « Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances. Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet, mais je suis plus soigné si je suis moins coquet. » Cette réplique de Cyrano, j’ai eu à la copier
Le commissaire se tourna vers le médecin légiste.
– Vous n’avez pas vu ce branleur de Guillem Canivet ? s’enquit Jaurèle d’un ton qui exprimait le mépris.
– Sa vespa stationne devant la brasserie Les Funambules de la rue Faidherbe. Vous savez, mon cher Noé, que notre photographe est en bringue un jour sur deux, et qu’il lui faut plusieurs tasses de café pour dessoûler. Il refuse de m’écouter lorsque je lui dis qu’une bonne tisane sucrée au sirop d’érable est un remède des plus actifs contre la gueule de bois. Malaise matinal qui vous est inconnu puisque vous ne buvez point d’alcool. Les hépatologues vous en savent gré.
– Il va se prendre une buffée* dont il se souviendra. Pouvez-vous me dire comment allumer votre portable ? Je sais son numéro par cœur.
Les traits de Jaurèle se crispèrent, et sa tension artérielle augmenta, en dépit de ses visibles efforts pour rester le plus zen possible.
– Allô ! oui, c’est moi. Tu connais beaucoup de commissaires qui fulminent avec l’accent toulousain ! Quoi ? Tu n’as pas fini de tremper le croissant dans ton noir. Primo, tu dis roupie de singe*, graine d’Amérique, demi-deuil, zig, cafiot, caoua, et tu te dispenses de « noir », ou tu vas t’attirer les foudres des militants bolcho-caviar de la Rive gauche… Non ! il n’y a pas de secundo. Alors, écoute-moi bien, le biturin, tu te magnes la rondelle ou je viens te chercher chez Les Funambules… Qui m’a dit où te trouver ? Mon odorat de fin et sale limier. Tu as deux minutes pour te pointer et mitrailler la scène du crime avec ton appareil, acheté à prix d’or par la P.J. Tu en profiteras pour prendre une photo de la caméra de surveillance. Emprunte l’échelle d’un mec de la Technique… Tu as le vertige ? Pour un client des Funambules, tu n’es pas très aérien. Si tu tombes, finis ton numéro par un grand écart, ça mettra de l’ambiance, style Folies Bergère… Dans ce type d’immeuble, ce sont de fausses caméras ? Pourquoi tu en as une factice à l’entrée de ton baisodrome de la cité Germain-Pilon ? Les Hobbits qui vivent dans des trous sous la terre sont mieux logés que toi, et leurs meubles ne sont pas tombés du camion… Tu n’as pas de caméra. Alors, cesse de me casser les burnes. Et que tes photos soient plus nettes que celles prises de mon chartreux !… Tu l’as fait exprès ? Je t’en foutrais, moi, de tes effets vaporeux et de ta touche évanescente ! Même lorsque tu parles de choses que tu connais, tu en as moins dans la tête qu’un moule à gaufres, ou une tourte au pot… Tu es lessivé ? Fortifie-toi avec la Quintonine. L’élixir est vendu à prix d’ami, et l’écorce de son arbre est moins dangereuse que la plante herbacée de tes chichons. En 1981, dans un spot publicitaire télévisé, les Shadoks en prenaient lorsqu’ils étaient fatigués de pomper d’arrache-pied… Parce qu’un Shadok, ça pompe, ou ça n’existe pas. Ils sont nés godichons, et leur alphabet ne comprend que quatre syllabes. La deuxième te convient parfaitement : ga… bu… zo… meu… Quoi ? Il y a un bruit de grésillement et tu ne m’entends pas. Boulègue-toi le cul, ou je te traîne jusqu’ici par ta tignasseO’Cedar. Les macchabs n’aiment pas poireauter. Moi non plus… Tu as quelque chose à ajouter ? Avec le salaire que l’on te donne pour immortaliser les cadavres, tu ne peux pas beurrer ton pain ? Tartine-le avec l’argent du tapinage. Les bois de Boulogne et de Vincennes nous ont signalé une pénurie de main-d’œuvre. Si tu possèdes des aptitudes à l’emploi, pose ta candidature. Présente-toi librement, aucun diplôme préalable n’est exigé. Trois passes par jour, à cent euros, et tu pourras payer tes sirops de cimetière, ou ton droit d’asile de nuit dans les abreuvoirs sulfureux de Pigalle. Pas très valorisant, mais ça rapporte gros, et ça t’évitera de finir à la cloche sous le Pont-Neuf… Eh oui, autres temps, autres mœurs ! Les flicards et les fliquettes creusent leur trou et la canaille fait parler la poudre… Je t’interdis de citer Simenon, ou alors tu me verses des droits d’appropriation !… Tu te prends pour qui, miette de pain ? Pas question ! Je n’ai pas accédé à mon grade de commissaire pour charger tes frêles épaules d’un poids qui excéderait tes forces. Si tu étais un personnage de roman, tu ne partagerais pas la première place avec le héros, et tes apparitions seraient sporadiques… Ne raconte pas de salades, le rouquinos, et lâche la bride à ton imagination ! Je ne me suis jamais posé en ennemi de ta manière de voir et de penser. Nous sommes en désaccord. Tu as tes opinions. J’ai les miennes. Point barre. Joubert coupe le gaz de l’iPhone qu’il a eu la gentillesse de me prêter, et je compte jusqu’à cent vingt. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf…
Le lieutenant pouffa dans ses mains.
– Vous vous répétez, patron. « Les macchabs n’aiment pas poireauter. Moi non plus. »Attention ! les tics verbaux s’attrapent plus rapidos que la chtouille. En outre, la Quintonine a été retirée du marché en juillet 2011.
Le commissaire braqua sur lui son index et son majeur, tel un pistolet.
– Pan !… Toi, le geek, tu verrouilles ton clapet ou je fous la souris de ton ordinateur entre les guiboles de mon chartreux ! Depuis que je lui ai fait visiter Disneyland, il adore se caler les amygdales avec un Mickey Mouse.
– Il ne mange plus ses croquettes au poulet de chez Chaterinne ? zozota Paulin en imitant le caustique Philippe Bilger, au cheveu sur la langue.
– Et, toi, tu les bouffes toujours au saumon ? Ça faisait un bail que tu n’avais pas contrefait la voix de l’avocat général au procès de l’infâme Gang des Barbares, coupable de la séquestration et de la mort d’Ilan Halimi. Si je me trouve en sa présence, je lui dirai que mon adjoint se gausse de lui.
– Je ne le ridiculise pas. J’admire ses cinglants réquisitoires. Ils sont d'une envolée si haute que…
D’un doigt sur les lèvres, Noé Jaurèle lui fit comprendre de la boucler.
– Va interroger les locataires de l’immeuble, avant que ces charognards de faits-diversiers soient attirés par l’odeur du sang et nous pondent, dans leurs immondes torchons, un article à deux sous pour âmes sensibles. Lorsque tu rédigeras ton rapport, réserve-lui une marge pour mes annotations, et soigne ton style. S’il est truffé de maladresses grammaticales, il n’y aura pas d’oral de rattrapage. Il y aura six nuits de planque sans…
–… récup ni majoration de salaire.
– Tu as tout pigé.
– Si on les faisait ensemble comme un couple qui tangote en cadence ?
– Monte là-dessus, ma chochotte, et tu verras le Capitole.
– Pas le Capitole, patron, Montmartre.
– À supposer que tu l’aies oublié, je suis né à Toulouse. Alors ton Montmartre, tu te le mets où je pense. Dégrouille-toi et note tout ce qui te semble suspect à l’intérieur des appartements ! En particulier celui de la victime. Le concierge doit avoir le double des clés. On n’a pas trouvé celles de Moranville près de son cadavre. La porte du cerbère est entrouverte. Depuis cinq minutes, il papote avec sa bobonne adorée ou son poisson rouge.
– Comment savez-vous qu’il a un Carassius auratus ?
– Monsieur est expert ès ichtyologie, alors que je le croyais diplômé de l’enseignement inférieur. Première nouvelle. Comment je sais qu’il a un poisson rouge ? Parce qu’il fait partie des animaux domestiques des bignoles. On a bien, au 36, des aquariums* afin que les gardés à vue soient visibles.
– Oui, mais les zigomars parqués dans nos bocaux, avec caméras et vitres incassables, ne sont pas pourvus de nageoires.
– Alors, là, tu te goures ! Le maquereau, julot de ces dames, en possède huit. Deux dorsales, deux pectorales, deux ventrales, une anale et une caudale. Tu n’es pas le seul expert ès ichtyologie. Pour le barbeau, cousin germain de notre souteneur, envoie un courriel aux disciples de Monod. Parallèlement à son exploration du Sahara, le Théodore était spécialiste des poissons.
Le commissaire eut une quinte de toux sèche et coupa court à ses drôleries.
– Quand tu seras dans l’appartement de Moranville, passe les coins et les recoins à la loupe. Tu pourrais y dégoter un portable. Ton doctorat en informatique nous sera très utile pour les positions JPS au moment de l’émission et de la réception des appels.
Lippe ricaneusedu lieutenant.
– Ton furetage fini, tu descends et surveilles les va-et-vient des passants. Au premier comportement suspect : interpellation, vérif d’identité, et palpation de sécurité. Pas d’amenée au sol, matraque télescopique, clé d’étranglement, Taser, et crocs-en-jambe. En un mot comme en mille : pas de dérogation au code de déontologie, et à son exigence d’irréprochabilité. Nous avons suffisamment d’emmerdes à notre compteur avec le police bashing.
Autre conseil de haute prudence.
– Si la frangine, parfumée à l’orchidée de Bornéo, réapparaît, ne lui dis pas que sa minirobe bustier met ses attributs en valeur. Le féminisme radical souffre de procédurite aiguë. Elle te poursuivrait pour harcèlement vestimentaire, exercé par une personne dépositaire de l’autorité publique.
– Quelle frangine ?
– Ton cortex visuel a disjoncté, ou quoi ? La blondinette sur talons aiguilles, que j’ai repérée en me libérant de ta guimbarde-tapecul. Faudra penser à faire changer les amortisseurs par notre chef de garage… Consommable, la replète donzelle ! Et pas mise au monde, crois-moi, pour vivre la vie des moniales, ni pour gober que les enfants se font par l’oreille. Les jours de froid sibérien, j’en ferais bien ma bouillotte de pieu. Mais elle ne réapparaîtra pas, je l’ai vue s’envoler vers la lune, à cheval sur un balai… Ouste ! Au boulot ! L’État nourrit ses perdreaux pour qu’ils se remuent l’arrière-train.
Assuré de marquer un point, le lieutenant arbora un air de vainqueur.
– GPS, patron, non JPS. Global Positioning System, mis en place en 1973 par le département de la Défense des États-Unis à des fins militaires. JPS est une marque de cigarettes britannique, célèbre pour sa longue association avec l’écurie Team Lotus de Formule 1. Sorry,boss ! Vous fumez des françaises et vous n’avez pas votre permis de conduire. Le « vroom-vroom » des bagnouses* aérodynamiques, c’est pour François Fillon, l’ancien valet de chambre du Sarko-Speedy-Gonzales, découronné par Guimauve le Conquérant.
– Le « Triton » de Carla Bruni et le « Flanby-Hollande » de Julie Gayet avaient au moins pour eux d’être moins hypocrites que le Jupiter qui nous sert de chef d’État et se rêve dieu du ciel et des orages. J’en ai ras le bol de ses choquantes privautés de langage, et de ses coups de barre à droite, puis à gauche. À ton avis, en quoi s’est-il incarné pour séduire Brigitte & la Chocolaterie amiénoise ? En fève de cacao des régions tropicales d’Amérique centrale, ou en macaron de la maison Trogneux ?
– En macaron. À une lettre près, ça fait « Macron ».
– Ton humour a devancé le mien, mais une fois n’est pas coutume, railla le commissaire en tapant dans ses mains avec bruit et lenteur.
– Ils en sont où, le Sarthoiset sa Galloise, avec leur carillonnanteaffaire des emplois fictifs ? Et l’Emmanuel, il attend quoi pour expulser notre ministre de Beauvau ? Que ça chie des bulles et que les policiers balafrent la trombine du premier keuf de France ? Sans parler de la porte-parole du gouvernement, championne du couac, qui avoue clairement mentir pour protéger son Manu. Des soixante-huitards, aux tempes blanchissantes, qui se sont ralliés à l’autoproclamé Jupiter, et qui se laisseraient volontiers sculpter en Césars. Mon père doit tressaillir dans sa tombe, lui qui criait, le poing gauche levé : « Vivent Cohn-Bendit, Geismar, et Sauvageot ! » Le lundi 6 mai 1968, devant la Sorbonne, ceinturée par des centaines de gardes mobiles, il…
– Tu me les brises, Paulin. Va frapper aux portes de cet immeuble et, moi, je secoue les puces de Canivet qui vient de radiner sa fraise. S’il me rate une seule tof*, je te le renvoie gauler les pommiers à cidre de sa Normandie natale.
Le photographe avait le visage blême, les yeux cernés, et ses cheveux roux étaient dépeignés. Il n’avait point soigné sa mise – ce qui ne lui ressemblait pas – et s’était vêtu d’un fuseau déchiré aux genoux et d’un maillot kaki, taché de transpiration sous les aisselles. Seuls ses mocassins en box tranchaient sur le négligé de son habillement. De toute évidence, il n’avait pas eu le temps de se doucher ni de se raser. Il puait le litron de piccolo à quinze pas, et ses glandes sudorales avertissaient de loin.
– Pitoyable ! murmura Jaurèle, qui revint sur sa décision de le sermonner.
Guillem Canivet mitrailla le cadavre de Moranville et la scène du crime, puis grimpa à l’échelle afin de prendre un cliché de la caméra. Il descendit précautionneusement, un barreau après l’autre, et s’approcha du légiste pour lui dire bonjour. Trois minutes plus tard, il jeta un coup d’œil circulaire dans la rue. Souleva le cordon de protection. Enfourcha sa vespa. Mit son casque open face. Roula plein pot, sous le regard exorbité d’un groupe de bleus, formé devant la rubalise délimitant le périmètre de sécurité ; et sous celui d’un policier en civil au volant d’une voiture banalisée.
Edwin Joubert, auquel la gorge béante et les lividités cadavériques de la victime avaient redonné de la vigueur, informa le commissaire que le décès remontait approximativement entre quatre et cinq heures du matin.
– La mort a été instantanée. Elle n’a pas souffert. Pour d’autres précisions, il vous faut attendre l’autopsie. À chaque meurtre, je vous rebats la même phrase, mais les cadavres ne se déboutonnent que sur une table de dissection et en présence d’un bistouri. Instrument indispensable au dévoilement des parties les plus cachées d’un être. Diriez-vous que cette malheureuse a été la proie d’un fou ? Si c’est le cas, des homicides pourraient se commettre en série.
Noé Jaurèle détendit ses épaules avec un moulinet des bras, et baissa le ton comme s’il souhaitait mettre le légiste dans la confidence.
– « Tout meurtrier réel est pareil à un meurtrier de roman. C’est n’importe qui dans la rue. Nous avons tous des instincts en nous. Mais ces instincts, nous les réfrénons. Soit par honnêteté, soit par prudence. »
– C’est très juste, ce que vous venez de dire.
– Normal, c’est du Simenon. Je ne suis qu’un commissaire, et le plus dur ne sera pas de mener mon enquête, ni de dénicher le suspect idéal. Ce sera de trouver la fissure par où s’insinuera le mobile qui a poussé l’assassin à commettre son acte. Restera à guetter l’instant où, derrière l’homme faussement inoffensif, apparaîtra l’ignoble scélérat, tel un abcès qu’on a laissé mûrir, et qui crève à point pour décharger son pus. Mais un enquêteur n’est pas infaillible. Adjectif qui ne s’applique qu’à un confrère fictif, enfanté pour accomplir des miracles. Dans la banale et dure réalité, il peut perdre ou gagner.
– Est-ce du Simenon ?
– Non, du Jaurèle. Il est des jours où j’aimerais me reposer sur les marches moussues d’un vieil escalier de pierre ; m’asseoir près d’un enfant entouré de jouets épars ; me promener sans but dans l’ombre pointillée de lumière d’un sous-bois ; regarder les péniches amarrées au bassin de la Villette.
Hébété de surprise, le légiste l’écouta attentivement.
– Il est des jours aussi où je voudrais avoir le courage de démissionner, de redevenir un péquin qui apprend par les journaux, et non par l’aiguilleur de la P.J., qu’un individu a été suriné de sang-froid. Être monsieur Tout le Monde nous épargne l’effroyable constat des abominations commises par des bipèdes sans scrupules. Que n’ai-je l’insouciance d’un côté, et le je-m’en-foutisme de l’autre, pour vivre avec mon chartreux dans un antre défendu par des murs de clôture, loin des humains qui transforment en enfer le plus petit coin de paradis, et des gouvernants dont le goût des dîners d’apparat, ou des costumes facturés à cinq mille euros, ne cadre point à l’idéal démocratique ?
Pendant quelques secondes, la vue du commissaire se brouilla, et Joubert lui apparut comme au travers d’une vitre dépolie. Le légiste, distrait par la sonnerie d’un portable, ne s’aperçut de rien.
– Mais je n’ai pas vraiment répondu, mon cher Edwin, à votre « cette malheureuse a-t-elle été la proie d’un fou ? ». Je ne suis pas psychiatre et, pourtant, j’ai un avantage sur ce professionnel qui s’appuie sur ses connaissances scientifiques et l’expérience de son cabinet pour comprendre les hommes. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le docteur Pardon, avec lequel le commissaire Maigret dîne une fois par mois.
– À la différence d’eux, nous avons la faveur de nous payer un hebdomadaire festin. Retenons la date du 7 septembre, à treize heures. Nous irons chez Papa. Ses recettes rassemblent les traditions de la cuisine paysanne des terroirs de votre région. Mais vous le savez mieux que quiconque, puisque c’est vous qui m’avez recommandé ce restaurant situé rue de Clichy, à deux pas du charmant studio loué par Brigitte Collery,ancienne adjointe du commissaire Semler. L’addition sera pour moi. Je pourrais aussi inviter le lieutenant et le photographe, si vous n’y voyez pas d’objection.
– J’en vois une, mais je la garde pour moi. Je me souviens très bien d’Antonino Semler, né en Moselle, à Bazoncourt. Son grade de divisionnaire accordé, il a enquêté sur l’ensemble du territoire, de Rochefort à l’île de Porquerolles. C’était un enfant du peuple, apolitique, philanthrope, et bibliomane. Sa mort prématurée m’a intimement affecté. Elle me rappelle celle de Roland Barthes, fauché par la camionnette d’une entreprise de blanchissage, rue des Écoles à Paris, alors qu’il se rendait au Collège de France. Après le décès d’Antonino, son fils a quitté la Brigade des mœurs pour le STJA*.
Edwin Joubert enleva ses gants en caoutchouc, son masque, ses chaussons, puis sa blouse, et rajusta son légendaire nœud papillon, à motifs géométriques.
– Il faudra qu’un jour je me résolve à ouvrir un livre de Simenon. Au dire d’une amie, ceux qui ne l’ont pas lu n’ont rien lu de leur vie. Quant à Marie Leroy, directrice éditoriale, elle maintient que la première recette du succès d’un roman policier, c’est de se référer à Simenon et d’ancrer ses personnages dans un lieu précis, avec une âme particulière. Si vous aviez un ordinateur, vous auriez pu lire son interview en ligne.
– Maigret n’en possédait pas, et ne s’en portait pas plus mal.
Aussi bavard qu’une pie borgne, le médecin prolongea la conversation.
– Pour l’instant, je bouquine les polars de Patricia Cornwell. Sa légiste, Kay Scarpetta, lui fut inspirée par le docteur MarcellaFarinelli Fierro de l’Institut médico-légal de Richmond, en Virginie. J’ai trouvé ma vocation en lisant « La Morgue » de Maurice Rollinat :