Le royaume de Messidor - Eunice DM - E-Book

Le royaume de Messidor E-Book

DM Eunice

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Beschreibung

Un voyage en Ecosse qui tourne au cauchemar. Un étrange livre. Un majestueux aigle noir. Et deux adolescents à la vie tout à fait normale. D'un côté Thomas qui vit en France et, de l'autre, Anael qui réside au royaume de Messidor. Leur rencontre était improbable, mais le destin en a décidé autrement! Une histoire faisant la part belle à l'amitié et à l'aventure.

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Seitenzahl: 344

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Dédicace

À Hélio, petit homme qui deviendra grand !

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Epilogue

— Thomas ! Ohé, Thomas ! Tu es dans la lune ? Ta valise est dans le taxi et le chauffeur t’attend ! cria Annie à l’attention de son fils adoptif.

Thomas dévala les escaliers à contrecoeur, il n’avait pas envie de partir. Un mauvais pressentiment le tiraillait depuis la veille. Mais comment dire à Annie, sa mère adoptive, qu’il préférerait rester à l’internat alors qu’elle pensait lui faire plaisir ? Non, il ne pouvait pas la décevoir. Bien que contrarié, il partirait. Qui sait, peut-être que ce voyage se révélerait plus agréable qu’il ne le prévoyait, essaya-t-il de se convaincre.

Annie Duvalier était la proviseure du pensionnat Saint-Charles. N’ayant pas eu d’enfant, elle l’avait accueilli à sa naissance et élevé comme son propre fils. Thomas l’adorait.

— Excuse-moi, maman, j’arrive ! lança-t-il en la rejoignant près du véhicule.

— Ton oncle s’est occupé de tout. Profite de ton séjour pour pratiquer ton anglais et surtout amuse-toi bien, lui recommanda-telle en caressant tendrement ses cheveux blonds bouclés.

Ses adieux faits, il s’installa sur la banquette arrière de la voiture flambant neuve qui ronronnait, prête à démarrer.

La quinquagénaire 1 lui adressa un dernier signe de la main avec un pincement au coeur.

— Au revoir, Thomas, à bientôt !

— Au revoir, cria-t-il par la vitre ouverte du véhicule.

Tandis qu’il prenait la direction de l’aéroport Charles-de-Gaulle, son imagination allait bon train. Qui donc était cet oncle mystérieux dont il n’avait jamais entendu parler ? Pourquoi se manifestait-il seulement maintenant, après quatorze ans et demi d’internat, pour l’inviter chez lui, en Écosse, pendant ces vacances de Pâques ? Il se rendit compte qu’il ne savait pas grand-chose sur ses origines, sa mère adoptive n’avait pratiquement jamais abordé le sujet avec lui. Il savait juste qu’elle n’était pas sa mère biologique. Ils vivaient tous les deux dans l’appartement de fonction, dont elle bénéficiait à l’intérieur de l’établissement.

Couvé par sa protectrice, Thomas jouissait de certains privilèges dont il profitait largement. Parfois, cela le rendait capricieux, voire insupportable, mais cela ne durait jamais trop longtemps. Très vite, il se repentait et s’excusait. Il redevenait l’adolescent agréable et drôle qu’il était au quotidien.

À l’aéroport, le chauffeur de taxi, moyennant un supplément, avait accepté de l’accompagner jusqu’au comptoir de la compagnie pour l’enregistrement. Autant dire que son oncle n’avait pas lésiné sur les moyens. Une fois les formalités expédiées, le garçon fut confié à une hôtesse d’accueil jusqu’au départ de l’avion. À bord, il serait pris en charge par une autre hôtesse jusqu’à son arrivée en Écosse.

En attendant le départ, il s’installa dans la salle d’attente et prit le livre de fantasy intitulé : Derrière le livre, que son oncle lui avait envoyé afin de l’occuper durant le voyage.

Instinctivement, il le retourna, mais ne vit rien de spécial et s’étonna du choix du titre.

Les quelques rayons de soleil qui traversaient les énormes baies vitrées lui faisaient des clins d’oeil. Le ciel était dégagé. Dehors, à travers la vitre, il aperçut le service d’entretien qui arrivait pour faire le ménage à l’intérieur de l’avion et regarda sa montre.

Ça va, on va sûrement décoller à l’heure. Du moins je l’espère, vu le monde qu’il y a !

De ses beaux yeux turquoise, il balaya la salle bondée puis le tableau d’affichage, avant de reprendre sa lecture. Le numéro de la porte était déjà affiché, mais l’équipage n’était pas encore là.

Quelques minutes plus tard, les passagers du vol pour Aberdeen furent invités à se diriger vers le comptoir d’embarquement. Alors qu’il faisait la queue à l’endroit que lui avait indiqué l’hôtesse, Thomas sortit son téléphone portable et appela sa mère, malheureusement, il tomba sur le répondeur et laissa un message.

— Allô, maman, c’est moi. Tout se passe bien, nous allons bientôt partir, je te rappellerai dès que j’arriverai. Bisous, au revoir.

Il appela également Valérie, sa petite amie. Il aurait bien aimé qu’elle vienne avec lui, le voyage aurait été beaucoup plus agréable en sa compagnie, mais tant pis, ils se rattraperaient pour les grandes vacances. Ses parents, en accord avec la proviseure, avaient accepté de la laisser au pensionnat durant tout le mois de juillet.

— Allô, Val ? C’est moi.

— Tu es déjà à l’aéroport ? se renseigna-t-elle.

— Oui, nous allons bientôt entrer dans l’avion. Ça va être long quinze jours sans toi, se plaignit-il dépité. Tu vas me manquer !

— Toi aussi ! N’en profite pas pour draguer les Écossaises.

— T’inquiète, souffla-t-il. Tu sais très bien que tu peux faire confiance à ton beau gosse ! se vanta-t-il en rigolant.

— Mouais ! répondit-elle, peu convaincue.

— J’en profiterai plutôt pour faire des balades et visiter le coin. Il faut que je te laisse, l’hôtesse vient de m’appeler. À bientôt, je t’aime !

— Oui, à bientôt. Je t’aime, moi aussi. Bisous.

Puis il raccrocha et éteignit son portable.

Assis au premier rang, Thomas lisait son roman tandis que sa voisine, une femme corpulente très maquillée, s’était assoupie.

En dépit du chahut qui régnait à l’intérieur de l’appareil, le voyage se passait plutôt bien et sous peu, ils arriveraient à destination. L’adolescent aurait dû être content de partir en vacances à l’étranger, mais ce n’était pas le cas. L’idée de se retrouver seul chez quelqu’un qu’il ne connaissait pas le dérangeait. Il était angoissé et n’arrivait pas à se concentrer sur sa lecture. En plus, c’était son baptême de l’air. Derrière lui, les deux enfants qui n’arrêtaient pas de se chamailler et de donner des coups de pied sous son siège, augmentaient son irritation.

Ils commencent à m’énerver sérieusement, ces deux-là. Encore heureux qu’on arrive bientôt !

Stressé, il se releva brusquement, se retourna et d’un air sévère, il fit une grimace aux bambins qui, surpris, se calmèrent en quelques instants. Puis il se rassit et continua sa lecture.

À peine commençait-il à se détendre un peu que la tête de sa voisine vint trouver appui sur son épaule. Gêné, Thomas la secoua légèrement.

— Madame, réveillez-vous, je ne peux pas bouger mon bras.

Celle-ci ouvrit les yeux et se redressa aussitôt.

— Excuse-moi, mon grand ! répondit-elle confuse.

— Ce n’est rien, répliqua-t-il, ne voulant pas être impoli.

Alors qu’elle prenait un magazine pour ne pas s’endormir, Thomas s’étira tout en fourrant, d’un seul coup, trois chewing-gums dans sa bouche. Il fallait qu’il se calme. Une demi-heure après, le chef de cabine donna ses instructions.

— Veuillez attacher vos ceintures, redresser vos sièges et vos tablettes, nous allons bientôt atterrir.

L’adolescent s’exécuta avant de regarder par le hublot. Ce qu’il vit à ce moment-là l’intrigua. Les ailes de l’appareil tremblaient anormalement, comme si l’avion était pris dans une turbulence. Pourtant, on ne leur avait rien annoncé.

C’est bizarre, s’inquiéta-t-il.

Puis, comme tout rentrait dans l’ordre, il reprit sa lecture en attendant l’atterrissage. Les enfants à l’arrière s’étaient finalement endormis et tous les passagers se préparaient maintenant pour l’arrivée.

Subitement, les lumières s’éteignirent et l’avion fut déstabilisé par de violentes secousses. Il se mit à tanguer, Thomas avait mal au coeur. Le silence qui s’était installé quelques instants auparavant fut déchiré par les pleurs d’un bébé. Tous ressentirent à cet instant cette même angoisse, cette peur incontrôlable que l’avion chute et s’écrase. La panique gagna finalement les voyageurs lorsque les masques à oxygène tombèrent. Il n’y avait plus de doute, quelque chose d’anormal se passait, la catastrophe semblait inévitable. Des hurlements de terreur s’élevèrent alors dans l’habitacle, tandis que chacun s’efforçait de mettre son gilet de sauvetage comme l’avait expliqué l’hôtesse. Certains passagers, tétanisés, se repliaient sur eux-mêmes, incapables de bouger. Les bagages à main qui avaient été placés sous les sièges s’envolaient en tous sens sous l’impulsion des nombreuses secousses. Brusquement, il y eut un sifflement strident suivi de plusieurs explosions. Cette fois, l’hystérie gagna tous les passagers. L’imposante femme, assise à côté de Thomas, criait comme une possédée en pleurant. Son mascara dilué par les larmes striait ses joues de noir. En regardant autour de lui, l’adolescent ne voyait que des gens en pleurs, des gens qui s’embrassaient, se sachant irrémédiablement perdus. Pris à son tour de tremblements incontrôlables, Thomas s’accrocha désespérément à son livre comme à une bible et pria.

— Je vous en prie, mon Dieu, aidez-nous ! gémit-il.

Il y eut une dernière explosion, puis l’avion perdit brutalement de l’altitude et piqua vers les eaux froides de la Manche. Plaqué à son siège, l’adolescent frissonna alors qu’une décharge électrique le traversait de part en part. Au même instant, un bruit assourdissant de tôle froissée retentit à l’intérieur de l’appareil. Le garçon se sentit comme aspiré par une force surhumaine avant de se retrouver au milieu des vagues et des débris de l’avion. Instinctivement, il s’accrocha à l’un d’eux et lutta de toutes ses forces pour se maintenir à la surface.

— Quoi qu’il m’arrive, il ne faut pas que je sombre, se répétait Thomas inlassablement tout en pensant à sa mère et à Val qui l’attendaient.

Durant quelques instants, il se sentit léger comme s’il planait sur un nuage, et se demanda s’il était mort. Son corps ne réagissait plus. Ses paupières étaient lourdes. Son cerveau luttait contre cette torpeur qui l’enveloppait. Puis apeuré, fatigué et frigorifié, il sombra dans l’inconscience.

1 Quinquagénaire : personne qui a entre cinquante et cinquante-neuf ans.

Thomas se trouvait seul et désemparé dans un endroit totalement inconnu. Une violente douleur lui martelait le crâne. Il se palpa la tête, les jambes et les bras afin de vérifier que tout était en ordre. Aucune égratignure, aucune trace de sang, c’était déjà une bonne chose mais il n’était pas rassuré pour autant. Soudain, une lueur intense lui fit cligner des yeux comme si elle voulait lui indiquer le chemin, puis s’éteignit aussi soudainement. Il mit ses mains en visière et aperçut une magnifique porte sculptée, gardée par deux énormes statues représentant des lions plus vrais que nature.

Je suis aux portes du Paradis ! songea-t-il.

Élevé dans un internat catholique, pour lui il n’y avait aucun doute, ce ne pouvait être que le Paradis. Pourtant, tout en se dirigeant vers l’endroit, il fut assailli de doutes.

Et si c’était l’enfer ? Je n’ai peut-être pas été assez généreux durant toutes ces années ! Tant pis, il n’y a qu’une façon de le savoir.

Une fois devant l’édifice, il prit son courage à deux mains et frappa. Aucune, réponse. Il tourna délicatement la poignée de la porte et l’entrebâilla. À peine l’eut-il ouverte, qu’à nouveau une lumière éclatante le frappa de plein fouet, l’aveuglant. Puis le halo devint plus faible et il put enfin regarder autour de lui. Il se trouvait dans un vaste atrium rectangulaire dont le toit était ouvert en son centre. Sous cette ouverture se trouvait un grand bassin pourvu d’un énorme jet d’eau dont quelques gouttelettes multicolores s’échappaient vers le sol. Les murs de l’atrium revêtus de marbre blanc étaient richement décorés de fresques. Il ne s’attarda qu’un bref instant devant ce magnifique spectacle avant de contourner le bassin à la recherche du propriétaire. Il aperçut alors un large passage qui donnait sur une grande salle d’où lui parvenaient des bruits de voix. D’ailleurs, la lueur semblait provenir de ce lieu. Thomas s’y dirigea lentement, aux aguets. En plein centre, entouré de quelques personnes, se tenait un homme extrêmement grand et musclé, à la barbe épaisse et aux cheveux longs ondulés. Il était étrangement vêtu. Le géant portait une espèce de drap pourpre brodé d’or enroulé autour de sa taille, qui donnait l’impression d’une sorte de jupe. Le reste du tissu remontait ensuite par le dos et descendait en bandoulière sur sa poitrine jusqu’à la ceinture, laissant à découvert, de part et d’autre, ses puissants pectoraux. Son front était marqué d’un étrange tatouage représentant la foudre. Dans sa main droite reposait un globe en or massif sur lequel était posé un aigle, en or également, ailes déployées, prêt à l’envol. Malgré le tumulte qui y régnait, Thomas l’entendit distinctement s’adresser à lui d’une voix de ténor.

— Entre, Thomas, nous t’attendions !

À la vue du garçon, tous se turent. Intimidé et encore en état de choc, l’adolescent bégaya avant de réussir à poser quelques questions.

— Qui… qui êtes-vous ? Où suis-je ? Comment connaissez-vous mon prénom ? Qu’est-ce que je fais ici ? Je suis mort ?

En voyant le visage angélique du garçon, Thorsten fut ému, mais il n’en montra rien. Esquissant un sourire, il lui répondit sur un ton jovial et chaleureux.

— Bien sûr que je connais ton prénom ! Approche, n’aie pas peur. Je m’appelle Thorsten, Maître des Saisons de Messidor, et voici mes quatre fidèles messagers qui veillent avec moi sur ce monde tout au long de l’année : Primadona, Lumen, Bianca et Mikaël.

Les intéressés lui firent un signe de tête pour lui souhaiter la bienvenue, mais n’interrompirent pas leur Maître. Thomas les dévisagea. Chacun portait sur son épaule dénudée un signe distinctif. Il y avait deux femmes et deux hommes. Le plus grand des deux arborait le tatouage d’un soleil, l’autre plus trapu, celui d’un arbre. Quant aux femmes, elles étaient très belles. L’une d’entre elles, grande et mince, avait toute la grâce de l’hirondelle qui ressortait sur sa peau claire. La deuxième, plus petite, se distinguait par trois minuscules gouttes d’eau.

Que peuvent bien signifier ces tatouages ? se demanda-t-il intrigué.

Mais il n’eut pas le temps de poser la question. Thorsten enchaînait déjà, le sortant de sa contemplation.

— Pour répondre à ta dernière question, je peux d’ores et déjà te dire que tu n’es pas mort, du moins pas encore. Quant à ce que tu fais ici… tu as prié pour ne pas mourir…, n’est-ce pas ? Je n’ai fait qu’exaucer ta prière.

— Mais…, commença le garçon.

— En échange… j’ai besoin que tu me rendes un service, termina Thorsten sans lui laisser finir sa phrase.

— Moi ? Un service ? Mais…

Ça ne peut être qu’un cauchemar ! souhaita l’adolescent en fermant les yeux. Ça ne peut être que ça !

— Alors, qu’en dis-tu ? demanda Thorsten en l’interrompant dans ses pensées.

Thomas rouvrit les yeux et ne put malheureusement que se confronter à la réalité. Il n’y avait pas de doute, on s’adressait bien à lui. Bien qu’inquiet par la tournure que prenaient les événements, il posa néanmoins la question qui lui brûlait les lèvres.

— De quoi s’agit-il ?

— C’est très simple. Je veux que tu aides un garçon du nom d’Anaël. Il vit au royaume de Messidor.

— Messidor ? J’en ai jamais entendu parler, finit-il par déclarer. Ça se trouve à quel endroit ? Et là, nous sommes où exactement ?

— Messidor se situe très loin, par-delà les Terres et les mers. Dans ce royaume, se trouve le mont Jason, une gigantesque montagne qui flirte avec les nuages. C’est sur celui-ci qu’est bâti mon palais dans lequel nous sommes. Tu es donc chez moi, déclara-t-il d’un geste de la main. Nous pensons que quelque chose de grave se trame dans le royaume, et Anaël va y être mêlé. Je tiens beaucoup à sa vie. Il va avoir besoin de toi.

— De moi ? Mais qu’est-ce que je viens faire dans cette histoire ? Pourquoi ne l’aidez-vous pas vous-même si vous y tenez tant ?

— Parce que je ne le peux pas, répondit Thorsten sur un ton calme. Mais toi, oui !

— Mais je vous l’ai déjà dit, je ne connais pas Messidor, pas plus que je ne connais ce garçon d’ailleurs.

Tout ça lui semblait irréel. À ce moment précis, il haït cet oncle qui lui avait fait quitter son collège dans lequel il était peinard. Pourquoi l’avait-il fait venir ? Pourquoi fallait-il que cette étrange aventure tombe sur lui ? Était-il déjà au courant de son accident ?

J’espère qu’une fois cette « mission » accomplie, je rentrerai directement en France. Je n’ai plus du tout envie d’aller en Écosse, souhaita-t-il irrité.

— Dis-moi, as-tu déjà cherché à connaître l’étymologie de ton prénom ? insista son interlocuteur en le détaillant attentivement.

— Non, pourquoi ? Un prénom c’est un prénom ! Non ? rétorqua-t-il de mauvaise humeur.

— Peut-être ! Mais si tu l’avais fait, tu aurais sûrement appris des choses intéressantes, répondit le géant sur un ton mystérieux qui le fit frissonner.

— OK, peut-être, mais là c’est impossible. Et donc concrètement je dois faire quoi ? questionna ce dernier voulant se débarrasser au plus vite de cette besogne qu’il pressentait désagréable.

— Rien de très compliqué. Il faudra juste l’accompagner pendant quelques jours, l’aider et le protéger.

— Le protéger ? s’écria le jeune homme sur la défensive. Mais comment voulez-vous que je le protège ? Je ne suis pas garde du corps ! Vous avez vu mon physique ? J’ai déjà du mal à me défendre moi-même ! Et puis, je ne suis pas du genre bagarreur.

Effectivement, Thomas était grand, mince, pourvu de traits délicats, mais très peu musclé.

— Ne t’inquiète pas, tout se passera bien. Nous ne t’abandonnerons pas. Mon messager, Mikaël, qui suivra ton équipée de loin, a pour ordre d’intervenir en cas d’extrême urgence. Tu n’as donc rien à craindre.

— Rien à craindre ? C’est vous qui le dites, répliqua-t-il en soufflant, peu convaincu.

Thorsten ne releva pas et continua.

— Bon, maintenant que tu sais ce que j’attends de toi, il faut que je te laisse, j’ai encore du travail.

Bien que le personnage fût impressionnant, Thomas ne se démonta pas. Il ne venait pas d’échapper à la mort pour se laisser manipuler sans plus d’explications. Habituellement calme et bien élevé, il était plutôt du genre cool. Il adorait blaguer et rigoler. Mais là, agacé par cette mésaventure qui venait de lui tomber dessus, il réagit immédiatement.

— Hé, minute ! Après cette mission, je retrouverai ma liberté ? Je ne vous serai redevable de rien ?

— Tout à fait ! Tu retourneras à ton quotidien. Par contre, si tu refuses, tu peux considérer que ta vie sur Terre s’est achevée au moment de l’accident d’avion. Tu resteras ici pour l’éternité.

En proie à une étrange sensation de malaise, le garçon se gratta la tête tout en réfléchissant. Il hésita encore quelques instants, puis se décida.

De toute façon, je crois que je n’ai pas le choix. Allez, courage !

— Vous… vous êtes vraiment sûr que ce n’est pas dangereux votre mission ? insista-t-il néanmoins. Parce que…

— Non, aucun danger !

— Combien de temps durera-t-elle ?

— Juste quelques jours, je pense.

— Quelques jours ! s’affola celui-ci. Il faut que je prévienne ma mère, elle doit être morte d’inquiétude.

— Ne t’en fais pas pour ça, je m’occupe de tout. Maintenant, assieds-toi, Mikaël va te raconter brièvement ce que tu dois savoir sur Messidor.

Cela étant dit, il se leva de son trône, jeta discrètement un regard attendri vers le garçon, puis il s’éclipsa, suivi de ses compagnons, laissant Mikaël et Thomas en tête à tête. L’adolescent obéit, prit place sur l’une des chaises dorées présentes dans la pièce et écouta attentivement les informations.

— Messidor est gouverné par le roi Baldos. C’est un royaume moyenâgeux, donc ne t’y attends pas à trouver toutes les commodités auxquelles tu es habitué. La vie y est paisible depuis longtemps mais quelque chose de mauvais se trame dans l’ombre.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’arriverai à l’aider ? le coupa subitement Thomas.

— Je suis sûr que tu t’en sortiras très bien ! Viens, allons faire quelques pas, veux-tu ?

Tout en lui fournissant les éléments nécessaires pour sa quête, Mikaël entraîna l’adolescent en dehors du palais. À l’extérieur, le paysage était magnifique. De somptueux jardins bordaient l’édifice. Toutes sortes de fleurs multicolores et parfumées lui chatouillèrent les narines. De la verdure et des arbres centenaires apportaient une touche de fraîcheur et de bien-être dans cet endroit hors du commun. Situé au-dessus des nuages, le sommet du mont Jason était baigné de lumière et d’air pur. Grisé par cette atmosphère féerique, l’adolescent respira à pleins poumons et ressentit aussitôt une sensation de plénitude. Il était résigné, mais serein. Le débriefing terminé, son interlocuteur lui annonça qu’il était l’heure de partir.

— Bon, d’accord. Et je fais comment pour y aller ? En avion privé ? En fusée ? questionna-t-il ironiquement.

— Non, j’ai mieux que ça, confirma le messager en souriant

Sur ce, il se leva, fit un geste de la main, puis disparut dans un tourbillon, entraînant Thomas, happé malgré lui. À ce moment-là, seule une page de son livre de fantasy, malencontreusement arrachée, se mit à voltiger doucement dans le ciel…

Ils émergent de la nuit secrète

Pour se couler sans un murmure

Dans l’ombre de ceux que guette

La plume avide d’aventures,

Ceux qui permettront la quête,

Qui pourront changer le futur…

Mais mes héros ni ne s’apprêtent

Ni ne se couvrent de parures :

Voici que s’avancent deux jeunes êtres

Sans nom, sans titre, sans allure…

Accompagnerez-vous, lecteur,

Anaël et Thomas au combat ?

Nos personnages au grand coeur

Vous attendent trois lignes plus bas…

À quatorze ans et demi, Anaël avait de très jolis yeux d’un vert profond, des cheveux roux et longs qu’il portait en catogan 2, un visage couvert de taches de rousseur, et un grain de beauté très étrange en forme de soleil sur le lobe de l’oreille droite. Mais à son grand désespoir, il était petit et maigrelet. Solitaire et timide, il avait très peu d’amis. Il n’en était pas moins fier et tenace. Jamais il ne s’abaissait devant quiconque l’insultait. Mais son tempérament sauvage n’était pas apprécié de tous. D’autant plus que beaucoup d’habitants associaient le roux au Diable et à la sorcellerie. Les rouquins n’étaient donc pas toujours vus d’un très bon oeil.

L’adolescent aimait se promener sur le chemin de ronde qui longeait les murailles de la ville. Missias, capitale de Messidor, avait été construite au sud du royaume, sur une gigantesque colline. À l’intérieur de l’enceinte, à l’une des extrémités, trônait le château du roi Baldos. L’imposant bâtiment était entouré par des douves profondes. Le pont-levis donnant accès à la citadelle était ouvert toute la journée à la population. Il ne se refermait que le soir au coucher du soleil. Outre le roi et sa famille, le château abritait des nobles, des soldats, des membres du clergé et des domestiques. À l’extérieur de la demeure royale s’étalait le bourg. Celui-ci était ceinturé par deux murailles espacées d’une dizaine de mètres. Elles étaient pourvues chacune de quatre portes principales décalées entre la première et la deuxième muraille. Cela rendait l’attaque de Missias presque impossible. En effet, les assaillants ne rentraient pas directement dans le bastion en traversant les deux portes, mais se retrouvaient coincés dans ce couloir circulaire avant d’accéder à la porte intérieure. Par ailleurs, cela permettait également le filtrage des marchandises entrant et sortant et donc, leur taxation. Là, en plein coeur de la ville, se regroupaient les différents commerces ainsi qu’une partie de l’artisanat, organisé en guildes. Les forgerons ou les maréchaux-ferrants se retrouvaient, quant à eux, un peu plus excentrés à cause de la chaleur provoquée par leur activité. Le roi étant très pieux 3, Missias possédait plusieurs églises paroissiales et couvents, ayant chacun leur cimetière. À l’extrémité de la capitale se trouvait un petit champ cultivé par des domestiques nourris, logés et vêtus par le souverain, ainsi qu’un verger et un potager. Ces trois lopins de terre étaient enclos d’une palissade, faite de pieux de bois épointés et durcis au feu. Ils représentaient une partie du garde-manger du roi et de sa cour. Tout proche, un petit étang permettait l’irrigation des cultures, tandis que dans un coin avait été aménagé un lavoir. À l’extérieur des remparts, sur les terres escarpées de la colline, un agglomérat de maisons avait poussé comme des champignons sauvages. En bas, le fleuve Tajios serpentait joyeusement en arrosant les petits villages qui le bordaient, avant de finir sa course dans la mer des Sépultures. Au loin à l’est se profilaient de hautes collines couvertes de forêts denses, tandis qu’à l’ouest s’étendait à perte de vue une plaine couverte de vignobles et de champs de blé, gardée par une centaine de peupliers alignés comme un régiment au garde-à-vous. La plupart des paysans travaillaient sur les terres du roi. En temps de guerre, tous les habitants abandonnaient les villages pour se réfugier à l’intérieur de l’agglomération fortifiée.

Ouille, j’ai mal au coeur, j’ai mal aux bras, enfin aux ailes. On ne m’avait pas prévenu que je devais subir une transformation pour exécuter ma mission. Qu’est-ce que c’est que ce délire ? se lamentait, intérieurement Thomas en atterrissant à Messidor. Un aigle ! Je suis devenu un aigle. Je n’en reviens pas ! Comment je vais m’y prendre ? Je ne sais pas voler, moi !

Il se trouvait perché sur un énorme bâtiment et n’osait pas bouger. Arriverait-il à aider ce garçon ? À ce moment précis, il en doutait vraiment. C’est alors qu’il le vit.

Tiens, d’après la description, on dirait le type que je dois aider… Bien, voyons ça de plus près.

Néanmoins, malgré sa bonne volonté, ses serres restaient désespérément accrochées au toit. Habitué à son cocon douillet, Thomas avait peur de l’inconnu qui l’attendait, et surtout peur du vide. Il n’était pas né pour ça.

Je suis un humain, gémit-il, je n’y arriverai jamais. C’est trop me demander !

Pourtant, après bien des hésitations, il étendit ses ailes. Celles-ci réagirent à sa demande, ce qui était déjà une bonne chose. Il ferma les yeux et se laissa tomber en planant comme un cerf-volant, jusqu’à une toiture beaucoup plus basse sur laquelle il atterrit.

Ouf, ça commence bien !

Anaël était descendu jusqu’au poste de guet et regardait avec plaisir les modestes villages qui égayaient les berges du large fleuve. Il adorait le printemps qui venait de s’installer, pour le spectacle que la nature offrait en cette saison. Il en aurait presque oublié les récents événements.

— Ah ! Si j’étais chevalier, je trouverais la raison de ces étranges disparitions ! déclara-t-il, sûr de lui.

Malgré son sens de l’humour habituel, Thomas, contrarié par le fait d’avoir été transformé en rapace, ne put retenir sa langue.

— Ça, n’y compte pas trop ! lança-t-il à l’intention de l’adolescent, sans savoir si celui-ci l’entendrait ou pas.

Mais Anaël n’était pas seul, une autre personne passait également par là, et tous deux entendirent distinctement la remarque. Surpris, l’homme apostropha Anaël, sur un ton morgue 4.

— C’est à moi que tu causes ?

Interloqué par la situation, l’adolescent ne sut que répondre.

— Pardon ? Non, je n’ai rien dit.

— Pourtant j’ai bien entendu une voix, je ne suis pas fou ! Et il n’y a personne d’autre dans le coin.

— Je l’ai entendue également, mais je ne sais pas d’où elle venait ni à qui elle s’adressait, se défendit Anaël.

Étonnés, tous deux se retournèrent, mais ne virent rien d’autre qu’un aigle royal, majestueux, perché sur le toit d’une maison.

— Bizarre, maugréa le passant avant de poursuivre son chemin mécontent.

Le garçon allait à son tour quitter l’endroit, lorsqu’il entendit à nouveau quelqu’un parler. Mais cette fois-ci, la voix était étrange, elle semblait sortie de sa tête. Pour ne pas ameuter le voisinage, Thomas, qui avait compris que tout le monde pouvait l’entendre, avait changé de méthode et essayait la télépathie.

« Attends, ne pars pas, j’ai besoin de te parler ! »

L’adolescent dressa l’oreille, stupéfait. Puis il se reprit. Il regarda à droite et à gauche, il n’y avait personne alentour. Que se passait-il ?

— Eh ! Qui parle ? Sors de ta cachette si tu es un homme.

« Je ne suis pas caché, je suis perché », l’informa l’aigle, toujours par transmission de pensées.

— Perché ? Tu veux dire que tu bavardes avec les gens depuis là-haut ?

« Oui c’est ça, tu as bien entendu. Je suis perché sur le toit de la grosse bâtisse qui se trouve derrière toi. »

Anaël se retourna rapidement. À sa grande surprise, l’aigle de tout à l’heure était toujours là et le regardait de ses yeux bleus resplendissants. Aussi surprenant que cela puisse paraître, en se transformant en rapace, Thomas avait conservé ses magnifiques yeux turquoise. Cette particularité apportait à la scène un aspect encore plus étrange. Autour de son cou, enfouie sous ses plumes, pendait sa chaînette en or agrémentée d’une croix à côté de laquelle était venue se rajouter une petite médaille en forme de livre.

— Ah, c’est très drôle ! Pour une farce, elle est réussie ! Mais tu aurais pu trouver autre chose, continua-t-il pensant s’adresser à un humain.

« Oh non, malheureusement ce n’est pas une farce, je peux te le garantir ! »

Pas très patient, l’adolescent commençait à s’impatienter.

— Tu affirmes que je discute avec un rapace et tu veux que je te croie ?

« À ton avis, mon grand ! »

— Impossible ! décréta-t-il en haussant les épaules.

« Impossible ? Je le pensais également, lâcha Thomas découragé. Vois-tu quelqu’un d’autre dans les parages ? »

— Non.

« Alors, convaincu ? »

Le garçon haussa les épaules à nouveau, mais l’incrédulité fit vite place à la curiosité.

— Qui es-tu ? demanda-t-il.

« Tu ne pourrais pas me répondre par télépathie ? » demanda l’aigle, « ça éviterait que quelqu’un d’autre suive notre conversation. »

— Comment veux-tu que je te parle comme tu le demandes ? Je n’ai jamais fait ça. En plus, je ne te connais même pas.

Après une courte réflexion, Thomas lui suggéra sur un ton solennel.

« Concentre-toi bien sur ce que tu veux dire, et pense-le très fort, ça devrait marcher, du moins je l’espère ! »

— Très bien, je vais essayer.

Sans être vraiment sûr du résultat, l’adolescent focalisa alors toute son attention sur une phrase.

« Tu m’entends, gros parleur ? », lança-t-il, provocateur.

« Je te reçois cinq sur cinq, espèce d’énergumène écervelé, », répondit l’aigle du tac au tac, sur le même ton.

Mais Anaël ne releva pas, trop étonné du résultat.

« Waouh ! Tu as vu ? Ça a marché ! Comment est-ce possible ? »

« Tu as fait comme je te l’ai dit et cela a fonctionné. Nous pouvons donc discuter tranquillement maintenant. Alors, pour répondre à ta question, je m’appelle Thomas ou plutôt « Celui-qui-Cherche » le temps de ma mission. »

Anaël arqua les sourcils, intrigué.

« Une mission, quelle mission ? Et que cherches-tu exactement ? »

« Toi. »

« Moi ? » dit Anaël, surpris. Mais…

« Oui, toi. » le coupa l’aigle.

« Pourquoi ? Que me veux-tu ? »

« Pour ma part, rien ! Je suis envoyé par Thorsten ! Tu dois le connaître, non ? »

Anaël ne comprenait rien à toute cette histoire.

« Non, je ne le connais pas. Et d’ailleurs pourquoi ne vient-il pas lui-même ? » questionna-t-il, les mains sur les hanches, sur un ton de défi.

« Je n’en sais rien. Mais le moment venu, il ira à ta rencontre, je suppose. » souffla le rapace fatigué par toutes ces questions.

« Et toi, quelle est ta fonction dans cette histoire ? », continua Anaël.

« Je dois juste t’accompagner et t’aider si besoin pendant quelques jours, enfin si j’y arrive, vu l’état dans lequel je suis ! Il paraît que tu vas être mêlé à une grave histoire qui touche le royaume. »

Quelque chose m’échappe. Cet homme semblait tenir à cet adolescent, mais celui-ci ne le connaît même pas. C’est étrange tout de même, constata intérieurement Thomas.

« M’accompagner ? Je n’ai pas besoin de nounou ! Alors, laissez-moi tranquille, ce Thorsten et toi ! »

La voix ricana.

« Oh, très bien ! En plus, tu as mauvais caractère ! Ça promet ! »

« Écoute-moi bien, l’oiseau, je ne connais aucun Thomas et je n’ai jamais entendu parler de « Celui-qui-Cherche ». Je ne sais pas qui est ton maître et je ne vais pas perdre mon temps avec des inconnus. Allez au Diable, tous les deux ! Non mais sans blague ! » continua-t-il à maugréer 5.

Malgré le trouble suscité par cette rencontre insolite, et surtout par cette possibilité de communiquer par télépathie, il rangea ces deux événements dans un coin de sa mémoire et reprit avec insouciance sa promenade dans la ville, tout en fredonnant un air de sa composition.

Bon, ça ne va pas être de la tarte, marmonna Thomas dans son bec.

« Eh ! Attends-moi, ne me laisse pas tout seul ici ! », cria-t-il en voyant le rouquin s’éloigner.

L’aigle essaya de le suivre, mais se confronta rapidement à un problème. Tout à l’heure, il avait juste réussi à planer, mais voler…

Euh… voyons voir, en battant des deux ailes en même temps, ça devrait le faire !

Il tenta vainement, mais ne bougea pas d’un pouce.

Zut, je vais essayer en prenant de l’élan.

Il se plaça au bord du toit sur lequel il se trouvait, courut jusqu’à l’autre extrémité, avant de se jeter dans le vide en battant énergiquement des ailes. Bien que son vol fût maladroit, il réussit néanmoins à progresser sur quelques mètres. Alors que tout allait relativement bien, tout près de lui, l’horloge de la ville sonna et sa concentration s’évapora. Ses membres supérieurs se désynchronisèrent. Il commença à tanguer comme une feuille de papier malmenée par le vent.

« Au secours ! Je vais me tuer ! », lança-t-il par télépathie à Anaël.

Boum ! Il se cogna contre le clocher de l’église avant de s’écraser sur le toit d’une vieille bicoque. À moitié assommé, il se releva difficilement. Heureusement, la toiture en chaume avait amorti le choc.

Aïe ! Je ne me sens pas bien, je dois avoir quelque chose de cassé !

Il étira ses pattes l’une après l’autre, ainsi que ses puissantes serres. Tout fonctionnait. Puis ce fut au tour de ses ailes. À part la perte de quelques plumes, celles-ci n’avaient pas l’air d’être endommagées. Il avait eu très peur.

Je me suis peut-être ouvert le crâne, ça doit saigner…

Tandis qu’il se lamentait, Anaël perçut sa détresse. Bien qu’il ne connaisse l’oiseau que depuis peu, il ressentit néanmoins le besoin de l’aider.

« Qu’est-ce qui se passe ? Où es-tu ? », lui demanda-t-il légèrement inquiet.

« Anaël ? Viens à mon secours, s’il te plaît, je crois que je vais m’évanouir ! »

« Dis-moi où tu es ! », insista à nouveau ce dernier.

« Sur un toit, près d’une église. »

« Laquelle ? »

« Je n’en sais rien, je viens juste d’arriver à Missias. Ce n’est pas très loin de l’endroit où nous nous sommes rencontrés. »

« Bon, de toute façon, il n’y en a pas trente-six dans le coin. J’arrive. »

Le jeune messien se précipita et arriva rapidement sur les lieux.

« Ça y est, je suis là. Peux-tu descendre jusqu’à moi ? », questionna-t-il.

« Non, je vais m’écraser au sol. »

Anaël regarda autour de lui à la recherche de quelque chose qui pourrait l’aider. Il dénicha une vieille échelle en bois et monta récupérer le rapace.

« C’est grave ? Je crois que je vais m’évanouir ! », gémit l’oiseau lorsque celui-ci le prit dans ses bras.

« Oh là là ! Quel couard 6 ! Tu as juste une bosse, il n’y a pas de quoi en faire un fromage. »

À ce mot, Thomas sentit son estomac gargouiller et se ressaisit.

« Fromage ? Je meurs de faim. Tu ne pourrais pas me donner un casse-croûte au fromage ? »

Anaël leva les yeux au ciel.

« Quel genre d’oiseau es-tu finalement ? Tu es un aigle, oui ou non ? Tu devrais savoir voler, chasser ! »

Confus, celui-ci se défendit comme il put.

« Pas moi, cela ne fait pas longtemps que je suis un aigle ! »

L’adolescent était de plus en plus suspicieux.

« Ton histoire est douteuse. Il y a quelques instants, tu m’as dit que tu étais là pour m’aider, puis tu te prends le premier obstacle qui se présente sur ton chemin, tu es incapable de t’alimenter seul et pour finir tu me dis que tu es un aigle depuis peu de temps. Tu es quoi au juste ? »

« C’est provisoire, bientôt ça ira mieux ! », se rattrapa de dernier sans répondre à sa question.

« Si tu le dis ! » lâcha le rouquin sans chercher à en savoir davantage pour le moment.

Son ventre le rappelant à l’ordre, Thomas quémanda à nouveau de la nourriture.

« Là, il faut que je mange, s’il te plaît ! »

« Très bien, je vais t’emmener chez moi. »

Il posa alors l’aigle sur son épaule puis poursuivit sa route. Remis de ses frayeurs, Thomas dialogua pendant tout le trajet avec son nouvel ami.

En passant par l’immense place Marvila où s’élevait la magnifique et imposante église Santas de Marvila Anaël se demanda bien pourquoi les couvents et les églises avaient toujours cet air solennel et austère.

Ayant accès aux pensées de l’adolescent, Thomas, qui avait une bonne mémoire, se souvint de ses cours d’histoire et des explications rapides que lui avait fournies Mikaël sur Messidor, avant sa mission.

« Moi je sais. »

« Toi ? Un malheureux oiseau, laisse-moi rire ! »

« D’abord, je ne suis pas qu’un simple oiseau », confirma ce dernier courroucé 7, « je suis Thomas ! Ensuite, si tu veux les renseignements, je te les donne. Sinon, va te faire cuire un oeuf ! J’essaie d’être agréable, mais ce n’est pas facile avec toi ! »

« Bon d’accord, explique ! »

« C’est évident, non ? Tous ces édifices sont bâtis ainsi parce que ce sont des lieux de recueillement, souvent marqués de légendes ou de mystères, des endroits où le rire et la bonne humeur sont remplacés par le silence et la frugalité des personnes qui y vivent. »

« Ce doit être pour ça alors que les Anciens racontent que certains soirs, des fantômes sortent des couvents et survolent les rues de la ville à la recherche de quelques âmes égarées pour les ramener à la raison », conclut Anaël.

« Et alors ? » répliqua Thomas, qui ne voyait pas où il voulait en venir.

« Toi qui sembles si instruit, tu ne peux rien me dire d’autre là-dessus ? » insista Anaël, moqueur.

« Non, je ne connais pas toute l’histoire de Missias, mais je peux me renseigner, si tu veux. Pour moi, ce ne sont que des ragots pour faire peur ! »

Anaël ne put cacher sa déception.

« Dommage ! Ça commençait à devenir intéressant… »

Mais subitement, une idée lui traversa l’esprit.

« Tu m’as bien dit tout à l’heure que j’allais être embarqué dans une mission, non ? De quoi s’agit-il ? »

Cette fois-ci, ce fut au tour de Thomas d’être déçu.

« Ça, je n’en sais absolument rien, malheureusement. Je comptais sur toi pour me l’apprendre. »

« Moi ? Si un jour j’arrive à devenir un preux 8, on me confiera peut-être une quête. J’adorerais ! Hélas, ce n’est pas le cas. Je pense que tu te trompes de personne. »

Aïe, elle commence mal cette histoire, je ne la sens pas ! Moi qui me croyais parti pour un voyage d’agrément ! pensa le rapace en essayant d’être plus positif.

« Non, c’est bien toi que je recherche, il n’y a aucun doute, finit-il par déclarer. Tu corresponds exactement à la description. »

« Tu veux dire que le roi va me prendre à son service ? Je vais devenir chevalier ? Ce serait un honneur ! »

« Peut-être pour toi, mais pas pour moi, en tout cas ! Et puis d’abord, je n’ai jamais dit que le roi allait te confier quoi que ce soit ni que tu allais devenir chevalier ! »

« Comment ? Qui d’autre que le roi pourrait me lancer dans une quête ? »

« Le pape ! », lança l’oiseau rieur.

« Le pape ? C’est qui ? »

« Mais non, je rigole. Je n’en sais absolument rien, on ne me l’a pas dit. Tout ce que je sais, c’est que je dois t’aider. C’est vague, mais je n’ai rien d’autre à te proposer. »

Anaël commençait à s’impatienter, cette histoire était de plus en plus étrange.

« Tu me prends pour un imbécile ? »

« Euh, non ! »

Sur cet échange de répliques, ils arrivèrent à la forge. L’adolescent laissa le rapace à l’extérieur et alla chercher de quoi le restaurer.

« Tiens, voilà un bout de pain et du fromage, fais bonne pitance. Maintenant, va te promener ailleurs, j’ai autre chose à faire, » lui lança Anaël sur un ton agacé.

2 Catogan, cheveux attachés, queue-de-cheval.

3 Pieux : très religieux.

4 Sur un ton morgue : parlé avec arrogance.

5 Maugrée : Dire quelque chose à mi-voix avec mauvaise humeur.

6 Couard : qui manque de courage, peureux

7 Courroucé : en colère.

8 Preux : Héros faisant preuve de qualités chevaleresques.

Pendant ce temps, dans la modeste taverne Monchica, habituellement chaleureuse, les esprits s’échauffaient en se remémorant les récentes attaques du cimetière. En effet, des tombes avaient été profanées et des corps dérobés, semant la panique chez tous les Messiens. D’autant plus que deux des soldats qui gardaient le lieu avaient été retrouvés morts au matin.

— Vous vous souvenez de ce qui est arrivé à Gedry et Braen ? lança l’un des clients. On leur a arraché les ongles et les cheveux, après les avoir vidés de leur fluide vital9.

— Et comment ! Je m’en souviens, confirma Pieri. J’étais l’un des premiers sur les lieux. Ils étaient horribles à voir. Je me demande quel genre de monstre a pu provoquer de telles blessures.

— C’est l’oeuvre de morts-vivants, suggéra quelqu’un dans la taverne.

— Je ne crois pas, répliqua un voyageur, se mêlant à la conversation.

— Qu’en savez-vous ? Vous ne les avez pas vus.

— Parce que les morts-vivants ne laissent pas de traces comme celles-ci, et croyez-moi, je sais ce que je dis. D’après vos descriptions, les mutilations subies par ces hommes ne présagent rien de bon. Cela ressemble beaucoup à l’oeuvre de larghuls.