Le  Sursaut - Joseph Nkaka Ben - E-Book

Le Sursaut E-Book

Joseph Nkaka Ben

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Beschreibung


Prince est né dans une grande agglomération citadine. Il ne connaît rien du village, sinon les quelques histoires que lui racontent son père et sa mère. Malgré tous les tumultes de la petite ville, malgré toutes les sollicitations dont il fut l’objet de la part des jeunes filles et les incitations à aimer de ses amis, Prince ne connaît pas l’amour.
C’est adolescent, quand il commence à fréquenter son Madiuka natal, qu’il découvre l’amour. En pleine brousse, loin de toutes les beautés modernes. Epris, c’est le début d’une aventure emballante accompagnée de plusieurs épisodes, qui se soldent par un déchirement cruel. L’amour est-il réel ?

 

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LE SURSAUT

OU

LA FIN D’UN REVE

Joseph NKAKA BEN KHON’

Editions Aigle, 2020

Tous droits réservés pour tous les pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit – photographie, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre – sans le consentement de l’auteur et de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon.

— Peux-tu venir, Kalasa ?

Elle marchait pieds nus sur le sol sablonneux, déjà humide à cette heure pas si tardive de la nuit, que baignait un clair de lune éclatant et flamboyant comme des étincelles de soudure. Le ciel était serein, le firmament parsemé de milliers d’étoiles, qui joignaient leur éclat à celui de la lune. L’univers était dans l’harmonie.

Son pas menu et léger froufroutait sur le sable fin de Madiuka. Les arbres et les maisons, comme en plein jour, ombrageaient les cours. Sous le manguier de la tante Niangi, un manguier aussi vieux que le village même, trois êtres se détachaient. Prince et Seley se tenaient, tels deux gorilles de montagne, devant la jeune fille, résignée, impuissante, vaincue, incapable de bouger, comme hypnotisée et paralysée.

— Que me voulez-vous ? répondit-elle sur un ton méfiant, un sourire figé aux lèvres.

— Rien de grave. Juste te serrer la main.

Deux colonnes de dents blanches-neige ornaient sa bouche sensuelle à lèvres fines et appétissantes. D’une tête plus petite que Prince, mais plus grande que Seley, un fin nez retroussé au bout, le regard brillant et éblouissant, Kalasa était déjà une adolescente bien taillée. Le vent balayait sa robe de soie, qui couvrait un corps svelte et bien modelé. Elle portait sous son aisselle gauche le mortier qu’elle venait d’emprunter chez tante Niangi.

— J’ai ardemment désiré te voir toute la journée... Tu sais que tu m’es très sympa ? Je trouve en toi l’ombre où peut reposer mon cœur en détresse. Sans vouloir te flatter, j’ai beaucoup d’estime et d’admiration pour toi. Je crains même que je ne… t’aime. Acceptes-tu d’être mon amie ?

Elle sourit timidement et répondit :

— La nuit porte conseil. Je vous réponds demain après réflexion.

Prince jeta un coup d’œil interrogateur à Seley. Celui-ci, l’air très sérieux, ne dit rien. Non qu’il fût mou, mais parce qu’on ne lui demandait pas encore concrètement son avis. Car, en matière de baratin, du groupe des jeunes, Les Casques Bleus, dont Prince était le meneur, il servait de messager, d’éclaireur et d’agent de liaison. Petit de taille, le front fuyant, Seley arborait déjà la calvitie, si bien qu’on pouvait lui attribuer non sans peine la trentaine. Mains aux hanches, ses yeux étirés de léopard neutralisaient Kalasa, en dépit de l’obscurité.

Prince enregistra la chanson du vent dans les arbres, s’en inspira et lui répliqua posément :

— Mademoiselle, je vois bien ton embarras à me répondre clairement sur-le-champ. Le cas semble effectivement délicat. Toutefois, ce n’est pas la première fois que tu me vois. Tu ne t’es jamais demandé ce que tu me dirais, ravie et toute souriante, si je venais à solliciter ton amitié ? Ou ton amour, comme tu veux ? Moi par contre, je te voyais et tu répondais à mes goûts. J’ai appris à t’aimer. Et maintenant, je te soumets sans hésitation le désir de mon cœur. Evidemment, tu n’es pas obligée de l’épouser ; tu es très libre, comme ce vent qui nous rafraîchit. Un oui de ta part fera chanter mon cœur de joie, un non sera sans rancune. Sens-toi libre et à l’aise.

Un silence profond plana à l’horizon pendant que le vent frais continuait à fouetter les feuilles du manguier et des palmiers, qui applaudissaient machinalement et frénétiquement, et qui semblaient s’associer au trio comme pour ramener la communion qui existait naguère en Eden. L’armée céleste observait la scène sans commentaires, témoin immortel d’une vie qui s’annonçait harmonieuse eu égard à ce qui était au commencement, quand le Créateur plaça Eve devant Adam et que celui-ci s’écria, prenant toute la création à témoin : « Voici cette fois-ci… »

A trois reprises, Kalasa leva sur Prince ses yeux ronds et étincelants, les promena sur lui et sur Seley, et à trois reprises elle les rabaissa. Puis, elle émit un petit rire brusque et étouffé qui émut le cœur du jeune collégien.

— Tout compte fait, votre proposition m’enchante et je ne la rejette pas.

— Ouf ! fit Prince, soulagé. Merci, et à demain, onze heures, si tu le veux bien.

Elle se sauva à petites enjambées. Son pas feutré s’absorba dans la nuit, emporté par le vent migrateur, et une case avala sa silhouette sous le regard admirateur des jeunes gens.

— Je te félicite, mon brave ; tu as réussi un bel exploit.

— Facile, et apprends. La femme, c’est la simplicité, la douceur, des éloges, un peu de baratin pour bien épouser sa nature d’après la chute. Bref, une bonne sauce difficile à assaisonner...

 

 

C’étaient les grandes vacances. Depuis la mort de son père — qui l’avait quitté alors qu’il venait d’affronter les études latines —, voilà de cela deux ans, Prince vient chaque fois passer momentanément ses vacances dans son village natal, où était retournée sa mère, afin d’y communier avec les us et coutumes, d’approfondir la famille élargie et la solidarité africaine, bref combler un vide créé par la vie dans les grands centres urbains, réputés rebelles à cause du métissage culturel, où il a évolué.

Prince a en effet passé toute sa vie dans l’immense et belle cité de Popokabaka. Là où papa est le géniteur biologique, tandis que celui de l’autre est père ou vieux. Là où l’on n’a pas le droit commun et naturel de partager son repas avec le voisin. Là où l’on donne rarement à papa l’occasion de te dire le nom de ton village ou de te décortiquer l’arbre généalogique de la famille. Là où le football reste le meilleur loisir. Là où la danse au clair de la lune est creuse, distractive et non culturelle. Là où l’on ne sait pas tendre un piège. Là où il faut beaucoup apprendre pour être un Africain au sens strict du mot.

Une de ces cités semblables à la capitale Kinshasa rongée par le démon du régionalisme et du tribalisme cultivé par des régimes totalitaires, inhumains, égocentriques, monolithiques,.

Après une dure période dominée par des examens de fin d’année, il avait choisi, cette fois aussi, de profiter de la tranquillité et de la paix de la campagne pour reposer la tête. Quoi de plus normal après une aussi intense activité ! Le chant des oiseaux dans les arbres, l’eau douce de la rivière, l’air frais et humide, la chasse à l’affût, les feux de brousse, les danses folkloriques au clair de la lune, les histoires des sages autour du feu, tout vous plonge dans un monde nouveau, mystique et captivant. Plus d’interrogations, plus de gros bouquins, plus de restrictions, plus de... mais plutôt de longs week-ends, de grasses matinées, des randonnées dans la nature et sur la grand-route, des jubilés gastronomiques et des causeries constructives avec les sages pour s’instruire, et avec les jeunes pour se distraire.

Couché tardivement comme presque tous les jours, il se réveille alors que le soleil grille déjà les peaux et que les mamans ont fini de préparer le petit-déjeuner : un fufu fumant qui vous met à l’aise jusqu’au soir. Il s’étire, baille et sourit à l’atmosphère du jour. Peu ordinaire.

Lorsque le soleil a franchi le tiers de son trajectoire, il ne reste plus au village que le bétail, la volaille et quelques personnes du troisième âge pour garder les plus jeunes. Les pleurs des enfants, les ronronnements des autos sur la route et des cochons terrés sous les vérandas des cases constituent le seul bruit perceptible. Le soleil brille sec. Tout Madiuka ainsi que les villages environnants se sont donné rendez-vous à N’koôngo pour un feu de brousse. Ainsi, Madiuka est quasi désert.

C’est un grand village d’une centaine de cases. A cheval sur la route principale, Madiuka est un centre tant commercial qu’intellectuel tout azimut. Son école primaire à l’orient date de la Première République et a formé plus d’un cadre. Dans le secteur administratif de Popokabaka, il est l’un des rares villages à avoir un représentant dans chaque domaine d’activités de la vie : santé, armée, mécanique, politique... sans parler de l’enseignement où ils foisonnent comme un essaim d’abeilles, de licencié au breveté de cycle court.

Sa population est en majorité jeune. N’eût été l’exode rural, Madiuka serait une seconde cité dans le territoire de par sa population et par sa santé sociale. C’est là le village natal de Prince, dont la réputation est répandue comme une traînée de poudre par ses ressortissants et par les activités sportives qu’ils pratiquent. Les jeunes lui préfèrent Madé, plus cool, à l’appellation traditionnelle de Madiuka.

Bien sapé, en collégien fier de lui, Prince attend Kalasa dans la case de Seley. Ses pensées errent en brousse, car c’est lors d’un feu de brousse que remonte leur première rencontre, fortuite du reste.

Il avait l’air d’un promeneur ordinaire et solitaire, un bâtonnet à la main, portant des lunettes de soleil, coiffé d’un béret munyéré bleu pâle et d’une écharpe bleu ciel au cou. Rien d’un campagnard.

Elle, parmi ses sœurs, paraissait s’être rendue là pour se détendre, se divertir, fuir la monotonie au village. Plutôt que de chercher des cachettes de rats, elle courait derrière des tondolo aframomum, petits fruits succulents à peau rouge à trois quarts enfouis dans la terre et dont seule la queue attire les consommateurs.

Pour Prince, c’était plus qu’une merveille. Un trouble sentimental l’avait envahi. Pouvait-on trouver en pleine campagne une fille aussi élégante et charmante que dans ces grands centres et villes ? N’étant pas habitué avec les villages, il s’en faisait en effet une mauvaise idée, pensant que, dans les villages, on trouvait tout ce qu’il y avait de plus sale et de plus laid. Mais là, c’était différent. Cela pouvait se confirmer en lui car, depuis qu’il fréquentait Madé, il n’avait point vu une si attrayante jeune fille. Ou peut-être alors ses yeux s’étaient rétrécis dans l’attente de s’ouvrir devant Kalasa. Assurément, ce n’était pas du hasard.

Kalasa se distinguait parmi ses sœurs. Elle était l’ainée, la yaya. Plus grande de taille que toutes, de teint un peu clair, le regard doux et perçant, un nez fin, des lèvres fines, svelte à volonté, des pommes d’Adam moyennes à la taille d’une poignée de main, la croupe non exagérée, à la limite d’appréciation, elle présentait une forme admirable. On ne pouvait pas la regarder une première fois sans insister une deuxième, puis une troisième fois, voire longuement. Elle n’était certes pas la plus belle du monde, mais elle ne passait pas inaperçue.

Il avait alors résolu de l’apprivoiser, tôt ou tard. Mais comment allait-il s’y prendre ? En effet, de nature timide, il n’avait pas encore osé, de sa vie, parler amour à une jeune fille. Il pouvait en parler, mais côtoyer les filles, il n’en avait pas l’habitude. Il devait donc essayer, ou se faire aider.

Ainsi, s’étant approché d’elle, il avait ôté ses lunettes et, de son sourire déployé dont il se séparait difficilement, lui avait dit :

— Bonjour, mademoiselle. Veux-tu accepter ceci ?

Ceci, c’était un tas de tondolo que Prince avait cueillis pour lui, mais qu’il lui destinait illico pour lui faire plaisir et s’introduire dans sa vie. Elle avait tendu les mains pour recueillir ce cadeau providentiel, l’air perplexe. Il lui tournait déjà le dos quand elle remercia. Jusqu’à ce qu’il fût à une dizaine de mètres, le petit groupe était silencieux, et elle et ses sœurs avaient le regard stupéfait devant cet étranger qui pouvait offrir un si précieux cadeau, regard qui semblait peser sur lui. Ils ne se connaissaient pas en effet. C’était leur première rencontre. Instinctivement, il s’était alors retourné, avait salué de la main et s’en était allé.

Voilà presque une année que cela se passait et, maintenant, son désir se matérialisait. A ce point de ses souvenirs, quelqu’un frappe à la porte : Kalasa. Elle entre, dépose le paquet qu’elle tient en main et salue. Comme un crocodile à l’affût, Prince garde les yeux mi-clos. Une joie intérieure incontrôlable et insaisissable qu’il ne peut pas encore extérioriser nage dans son for intérieur. Sous sa chemise bleue à carreaux, son cœur danse à un rythme inaccoutumé et frénétique, comme si la présence de Kalasa ensorcelle l’atmosphère.

Son entrée est donc suivie d’un silence pesant qu’elle rompt finalement :

— Vous devez normalement avoir faim comme vous restez là à ne rien faire. J’y ai pensé et j’ai apporté ceci.

Ceci, c’est, dans une assiette creuse, des cacahuètes grillées, des ignames et du manioc qu’elle s’est efforcée de présenter soigneusement après leur cuisson. C’est comme si elle connaissait déjà les goûts de Prince ! Et sans se faire prier, ils assiègent la table de sorte que Kalasa fait face à Prince. Kalasa ne mange pas. Elle observe les deux amis bondir sur la nourriture comme des aigles affamés. L’atmosphère semble amicale, comme s’ils étaient des amis de longue date. Pas de gêne, pas de complexe.

Lorsque leurs regards se croisaient, ils souriaient. Le sourire paraissait donc les unir. C’était à la fois un point faible et une seconde nature. Ils prirent leur temps pour manger, sans empressement. La journée leur appartenait.

Après ce copieux repas, Prince ne put s’empêcher de remercier :

— Jamais de mains de jeune fille je n’ai goûté des mets aussi délicieux qu’exquis, au point d’avoir été rassasié avant même d’y avoir touché. Tu es excellente à la cuisine.

Elle le foudroie d’un regard aguichant et plaisant, propre aux femmes. La chair de poule l’envahit, de la tête aux pieds ; il se lève et fait un pas vers Kalasa, après avoir roté bruyamment et avalé un gobelet d’eau fraîche rempli à ras le bord, tirée du nloondo la calebasse en argile qui gisait au coin.

— Eh bien, j’ai le sentiment que nous nous entendrons parfaitement bien et que nous nous aimerons très bien par conséquent. Ainsi, bavardons maintenant et tâchons de mettre les points sur les i. C’est notre raison d’être ici.

Pour faire face à la jeune fille, Prince et Seley se perchent sur la table comme s’ils faisaient subir un interrogatoire à la gonzesse. L’entretien, duquel doit découler l’avenir, va bientôt commencer. Dans la chambre, son cousin Mayi a l’air de roupiller. Indisposé, il n’a pas pu accompagner les autres jeunes au feu de brousse. En dépit de sa non appartenance aux Casques Bleus, Prince juge moins utile de le déguerpir ne craignant point qu’il puisse raconter quoi que ce soit à qui que ce soit.

— Bien, voici, ma chère. Nous allons, chacun de son côté, nous mettre à table. Personnellement, je suis un citadin et nouveau pour le village. Depuis des années, j’arrive pour la première fois pendant les grandes vacances passées. Je te repère lors d’un feu de brousse, curieusement la même brousse qui est en train de flamber maintenant. Je peux voir la fumée qui monte et couvre les cieux. Tu m’émerveilles. Sentant que tu étais là pour te distraire, je t’offre des fruits. Tu t’en souviens, n’est-ce pas ? Et sans plus te voir, je m’envole comme un oiseau libéré de prison. J’arrive encore maintenant ; je te revois, et mon cœur manque de retenue. Un coup de foudre ? Mon cœur bondit et pleure de joie. Je furette çà et là, et d’après les informations glanées, je te propose mon amitié. Quelle joie alors d’entendre ta douce voix me rassurer !