Le symbole sacré - Gérard Cuilhé - E-Book

Le symbole sacré E-Book

Gérard Cuilhé

0,0

Beschreibung

Jérusalem : an 30. Jésus vient d'être dénoncé par les instances juives qui l'accusent de sédition. Arrêté par les soldats romains, il est présenté à Ponce Pilare, procurateur de la ville. Ce dernier soustrait au futur condamné un pendentif de pierre en forme de triangle gravé de signes mystérieux. Marie de Magdala qui a assisté à l'arrestation de Jésus possède un pendentif similaire.

Seules la Magdaléenne et Marie la mère du futur crucifié connaissent l'origine et la signification des inscriptions.

Mars 1244. Le château de Montségur est assiégé par les troupes du sénéchal de Carcassonne Hugues d'Arcis, soutenu par le pape Innocent IV. L’hérésie albigeoise vit ses dernières heures. Refusant d'abjurer sa foi à l'image de deux cents autres parfaits, Aurore d'Orcival prieure de la communauté s'apprête à périr de son plein gré sur un bûcher dressé à cette occasion. Juste avant de plonger dans le brasier, Aurore serre contre sa poitrine un triangle de pierre ayant appartenu à la compagne de Jésus.

De nos jours, Julia Montel représentante du Vatican et Ethan Agron agent du renseignement Israélien recherchent sur le sol égyptien un pendentif en forme de triangle ayant pu appartenir au Christ.

Rivaux dans cette même quête, la traduction des signes gravés sur la pierre pourrait mettre à mal certains dogmes catholiques. Juifs et chrétiens poursuivent un même but : rapatrier dans leur pays d'origine le médaillon afin qu'il livre son secret. Mais tout secret révélé peut engendrer un autre secret encore plus dérangeant.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 369

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



GERARD CUILHE

LE SYMBOLE SACRÉ

A MARIE

« Etudie le passé si tu veux connaître l’avenir. »Confucius

« L’Enseigneur aimait Myriam plus que tous les autres.

Il l’embrassait souvent sur la bouche. »

Evangile de Philippe, logion55, 3-4

« Tu es Pierre et sur cette pierre je Bâtirai mon Eglise. »

Evangile de Matthieu 16 :18

Chapitre1

Jérusalem- Du temps de Jésus.

La Magdaléenne courait dans les rues de Jérusalem à la recherche du petit groupe de disciples constitué à Jericho. Les douze avaient escorté Jésus de Nazareth accompagné de sa mère Marie épouse de Joseph et de Marie de Béthanie. Suivaient quelques villageois pressés d’entendre les paroles du prédicateur qui savait galvaniser les foules. C’était le vingt trois septembre, la fête de Pessah, une fête juive qui rassemblait à cette occasion une foule nombreuse venue de Judée et de Galilée pour prier. Certains venaient aussi opérer quelques négociations purement mercantiles.

Marie de Magdala se remémora les trois derniers jours avant la fête. Elle revoyait Jésus enseigner le jour au Temple et rejoindre le soir ses amis pour partager les repas qu’offraient certains notables de la ville.

Acclamé par le peuple qui demandait toujours plus de miracles et de guérisons, Jésus œuvrait pour tous sans distinction : enfants, vieillards, pauvres, riches, hommes et femmes, il soignait. Tous voyaient en lui un sauveur et un probable prophète.

Seuls les prêtres pharisiens et quelques scribes saducéens émirent des réserves face à ce tribun qui semait le désordre sans respecter à la lettre la Loi de Moise. Forts de leur fonction religieuse, soutenus par leur grand prêtre Caiphe, ils se concertèrent pour établir un plan qui mènerait le Nazaréen à sa perte.

Marie de Magdala, les yeux rougis et le regard triste ne pouvait encore imaginer que Jésus, juché sur un âne, soit arrivé trois jours avant dans la ville sainte sous les acclamations comme un roi. A présent, il était emprisonné dans le palais de Ponce Pilate préfet de Judée et commandant de la garnison de la ville.

La Magdaléene ne trouvant aucun des disciples, certains ayant quitté la ville précipitamment afin d’échapper à d’éventuelles représailles, elle trouva la mère de Jésus proche de l’étal d’un marchand de fruits.

Inquiètes et désemparées, elles décidèrent d’interroger les soldats en faction devant l’entrée du palais du gouverneur et préfet Pilate situé au nord de la ville.

***

Le jour de la préparation de la Pâques, on informa Pilate de l’arrestation d’un agitateur par des représentants juifs. Ces derniers reprochaient à celui dont le nom était Jésus de Nazareth, de blasphémer durant la période sainte et surtout de se revendiquer comme étant « fils de Dieu » et « roi des juifs ».

En sa qualité de gouverneur et procurateur de la ville, Pilate était le représentant légal de l’autorité de Rome. Déjeunant de quelques dattes et d’une grosse grappe de raisin blanc, il souffla de dépit. Chaque année à la même époque, pharisiens, saducéens, esséniens et zélotes s’affrontaient verbalement sur l’esprit de La Loi et son application. Chacun reprochait à l’autre de ne pas respecter les commandements divins imposés par leur Dieu unique.

Depuis toujours, à la même date, chaque préfet en place devait asseoir son autorité et maintenir la paix publique. Bien que la Pax-Romana, politique romaine de la paix à tout prix voulue et imposée par l’empiresoit également en vigueur à Jérusalem,celle ci avait ses limites. Pour sa crédibilité, Rome se devait de punir les récalcitrants, les fauteurs de troubles et tous ceux s’affranchissant d’une pratique religieuse différente contraire à celle enseignée par ces courants juifs.

Rome, l’Urbs, comptait sur un certain intégrisme, en particulier pharisien, pour dénoncer et faire punir par l’autorité séculière tout divergeant…

Pilate demanda au centurion de l’emmener voir le prisonnier. Dans un coin du prétoire, encadré de deux soldats, il vit un individu âgé d’une trentaine d’années, calme, vêtu d’une tunique blanche. Les yeux clairs de l’homme se rivèrent sur lui le mettant aussitôt mal à l’aise. Les deux hommes se toisèrent.

Surpris par son aplomb, Pilate décida de l’interroger ultérieurement. Il ordonna aux soldats de le battre de verges après qu’on l’ait déshabillé, puis qu’on le revête d’un manteau de pourpre* surmonté d’une couronne d’épines**.

En fin de matinée, après avoir donné aux différents soldats les directives du maintien de l’ordre de la journée, écouté les plaintes des marchands locaux en concurrence avec les échoppes des ambulants, il se rendit dans le centre de la ville et s’assit sur le tribunal appelé « le Pavé », Gabbatha en hébreu. Il demanda qu’on lui amène Jésus.

Marqué par l’épreuve subie, affaibli par les coups, Jésus fut interrogé sur les accusations portées contre lui. Il répondit à toutes les questions sans jamais s’emporter.

Hormis son entêtement, Pilate ne trouva pas de motifs graves pour accuser et punir davantage cet homme qu’il trouvait humble etsage.

A l’issue de l’interrogatoire, le centurion chargé du prisonnier remis à Pilate les effets personnels du prisonnier, à savoir une tunique blanche, une ceinture, ses sandales ainsi qu’un pendentif constitué d’une pierre plate et noire de forme triangulaire, percée, paraissant brisée et gravée des deux côtés de signes mystérieux.

Intrigué, Pilate prit le médaillon, l’examina et le mis dans une poche de sa toge, décidant de le garder comme souvenir.

Pilate, de ce jour, perdit à jamais le sommeil.

***

Marie de Magdala et Marie la mère de Jésus se firent éconduire brutalement par les soldats devant le palais du gouverneur. Leurs instincts de femme savaient que des heures sombres voileraient leur vie pour toujours.

Craignant le pire, la Magdaléene posa instinctivement la main sur sa poitrine où pendait un médaillon de forme triangulaire, pierre plate gravée des deux côtés. Percée d’un trou, un cordon en cuir le retenant, il ne faisait aucun doute qu’un morceau de pierre manquait.

Le regard des deux femmes se croisa. Elles connaissaient l’origine du pendentif, celui qui avait gravé ces signes et leurs significations.

*****

Le lendemain vendredi, tôt dans la matinée le ciel commença à s’assombrir. Dans toute l’histoire de la ville de Jérusalem, jamais aucun nuage sans pluie ni orage n’avait obscurci à tel point la terre sainte.

Les habitants ignoraient que cette journée de l’an trente sous Tibère, leur ville connaitrait une noirceur telle qu’elle resterait gravée dans la mémoire des Hommes.

***

Huit mois plus tard, Pilate fut rappelé à Rome par sa hiérarchie. On lui reprocha un certain laxisme comme un manque de rigueur dans ses fonctions. Peu magnanimes, ses supérieurs évoquèrent à son encontre une faiblesse récurrente à gouverner. Toutes ses fonctions lui furent retirées. Sa santé se dégrada. Affaibli, oublié, ruiné il vécut pourtant assez longtemps pour méditer sur l’origine de sa déchéance.

Conscient de son malheur, par une longue nuit sans sommeil, il se souvint d’un regard clair qui, un jour, s’était fixé sur lui. Ce regard lui rappela le pendentif de Jérusalem. Il s’en saisit.

Malgré la persécution des chrétiens dans la ville et en toute discrétion, Pilate en fit don à l’un des prêtres de cette nouvelle secte. Ce dernier lui demanda de lui relater cette histoire.

Pilate se dévoila. Il ne cacha rien de son déclin.

Ebranlé par ce qu’il venait d’entendre, le chrétien prit une décision. Il ferait son possible pour que le pendentif dans les siècles à venir, ne quitte pasRome.

A la suite de cette rencontre, l’ancien préfet rejoignit son domicile.

Rien ne changea. Son esprit tourmenté demeura tel qu’il l’avait été depuis des années, hanté par le souvenir d’un certain homme crucifié aux yeux clairs.

Il connut une vieillesse longue et douloureuse sans jamais trouver le repos de l’âme. Tout le reste de sa vie ne fut que questionnements.

A la veille de mourir, juste avant d’expirer, ilsut.

*Habit des rois

**Symbole de royauté

Chapitre2

Forteresse de Montsegur- 14 mars1244

Une pluie fine venue des Pyrénées, piquetée de quelques flocons duveteux, se plaisait à arroser les pierres centenaires du château. Elle refroidissait ses habitants, habitués à ces conditions hivernales particulièrement rudes.

L’hiver était froid et, certains jours, une quantité de neige non négligeable recouvrait tel un linceul immaculé la forteresse et ses environs. Quelquefois durant l’hiver, quand le soleil daignait réchauffer et éclairer le pays d’Oc, le « Pog » de Montsegur portait pendant quelques temps un chapeau de neige visible à des lieux à la ronde.

Chaque habitant des villages et hameaux des alentours connaissait les gens qui vivaient au pied de la citadelle comme ceux qui demeuraient tout là –haut. Leur vie s’organisait comme partout ailleurs à condition de faire abstraction d’un semblant d’aisance et de lutter toute l’année contre trois ennemis infatigables: les frimas de l’hiver, la canicule de l’été et la solitude desAmes.

A l’image du « Pog » de Montségur et de toutes les tours de Babel, Dieu se vengeait des Hommes se rapprochant de lui pour les punir de ses armes divines. Pour eux, le Tout-Puissant éprouvait ses créatures. Le paradis promis était peut-être à ce prix et tous espéraient.

Pour l’heure et de mémoire de vivants, cette année de l’an de grâce 1244 ne serait comparable à nulle autre. Selon Sa volonté, Dieu écrivait d’une plume de sang son Histoire guerrière qui s’accomplirait dans les heures à venir. Dix mois de siège, dix mois de lutte, de résistance et aujourd’hui de famine mettaient à genoux la centaine de défenseurs de Montségur.

Dix mois qu’une armée de cinq mille hommes commandée par le Sénéchal de Carcassonne Hugues d’ Arcis, aux ordres du pape Innocent quatre assiégeait le château. A l’intérieur, la résistance assurée par le seigneur Raymond de Pereille et le chevalier Pierre-Roger de Mirepoix protégeait les hérétiques.

Six cents personnes s’y étaient réfugiées dont une moitié de leurs fidèles et prêtres fuyant les persécutions. Le peuple les nommait les « Parfaits » ou également les « Bonshommes ».

L’hérésie albigeoise, traquée et chassée depuis des décennies dans tout le pays d’Oc par les seigneurs du pays d’Oïl, les Croisés, trouva refuge à Montségur, forteresse éloignée des villes, réputée imprenable.

La doctrine chrétienne jugée inacceptable par le représentant du Trône de Pierre à Rome le Pape Innocent quatre, serait combattue par une croisade. Le Saint Père créa ainsi un Tribunal d’exception, l’inquisition. Dirigée par un ordre mendiant, les dominicains, elle traqua sans répit toute hérésie « par le fer, le feu et le sang ». Les tribunaux d’inquisiteurs rendaient des comptes en priorité au Pape puis aux rois et seigneurs des pays et provinces concernés.

Le roi Saint Louis (Louis neuf) n’hésita pas à solliciter l’aide de Rome pour anéantir une fois pour toutes ces « Parfaits » revendiquant une lecture différente des textes bibliques en opposition au dogme catholique.

***

En ce début du mois de novembre 1243, l’Evêque d’Albi Durand, ecclésiastique de renom et surtout fin stratège, fit installer de nuit et à grand renfort de soldats une puissante machine de jet sur une des hauteurs du piton de Montségur. Celle-ci fut désormais à la même hauteur de l’enceinte la plus élevée du château.

Depuis, les tirs réguliers de boulets de pierre mirent à mal les structures des murailles, tuant et blessant des dizaines de personnes, minant le moral des troupes et des habitants, conscients d’une fin inexorable du siège du fait d’un rapport de force inégal.

Dès le début du siège en toute discrétion, les ravitaillements en nourriture s’effectuaient du crépuscule à l’aube par une poignée de sympathisants acquis à la cause des « Parfaits ». Une surveillance plus étroite mis fin à tout espoir de résistance.

Signe de fin imminente, le trésor des hérétiques, un coffre contenant de l’or et des objets sacrés fut transporté hors de la citadelle pour y être caché. Peu avant, le seigneur Raymond de Péreille y préleva une pochette en cuir entourée d’un chiffon. Lui seul en connaissait l’origine.

Les habitants à la fois affamés et désespérés s’en remirent à lui afin de négocier une trêve ou au pire une reddition. Les tractations débutèrent rapidement.

Le premier mars, Hugues d’Arcis, pressé d’en finir, accepta une suspension des combats de quinze jours où à l’issue et sous conditions, le siège prendrait fin. Les propositions, non négociables, stipulaient le pardon des défenseurs après audition de chacun d’eux par les représentants de l’Inquisition et la vie sauve à tous ceux abjurant leur croyance hérétique. Ceux dont la volonté serait de refuser périraient sur un bûcher.

***

A deux jours de la fin de la trêve, Aurore d’Orcival prieure de la Maison des « Parfaits » de Montségur était plongée dans la plus grande tristesse. Son diacre, Jean Duroussel l’informa que plus de deux cents fidèles refusaient d’abjurer leur foi en acceptant de mourir en martyr. Elle avait en vain essayé de convaincre les plus jeunes de négocier leur survie et surtout de ne pas suivre l’exemple de Véronique. Agée de seulement dix ans, la fillette exprimait le désir de mourir avec son père et sa mère. Ce serait le plus beau présent qu’ils puissent espérer, pour la gloire de Dieu…..

Tous reçurent le Consolamentum, principal sacrement de leur croyance, baptême au nom du Christ et non de la trinité prônée par l’Eglise Catholique.

Aurore, en sa qualité de Prieure et de « Parfaite », enseignait à tous que le rite sacré était à la fois un baptême mais aussi le passage pour l’au-delà à ceux qui allaient mourir.

Isolée sur un petit promontoire des écuries du château, après avoir prié, elle se questionna sur les motifs de l’Eglise à chasser, bannir ou exterminer « son » peuple qui ne demandait qu’à vivre en paix. Pour elle et ses pairs empreints d’esprit de pauvreté et de renoncement aux biens terrestres, il ne faisait aucun doute que les représentants de l’Eglise puissent admettre toute rivalité doctrinale. Bien que minoritaires au sein d’une population catholique, « les parfaits » étaient appréciés par la discrétion, leur savoir-vivre et la simplicité de leur mode devie.

Protégeant la vie animale, refusant les actes de guerre, reconnaissant l’égalité entre hommes et femmes, la population locale leur vouait une certaine sympathie. Celle ci n’ignorait pas que quelques responsables de l’église catholique vivaient aux crochets de ses seigneurs. Certains prélats menaient une existence dispendieuse et lascive. Chez eux, l’embonpoint et une relative suffisance reflétaient une réalité bien visible.

***

Aurore, à la veille de son trépas se remémora sa condition de femme dans cette vie. Agée de trente trois ans, fille unique d’un forgeron et d’une couturière, elle était née et avait vécu toute sa jeunesse à Béziers dans le quartier des artisans. Tôt initiée à la nouvelle foi, d’un esprit vif et intelligent, elle entendit dans son cœur l’appel de Celui qui serait son seul Maître pour la vie. A l’âge de quatorze ans, elle accompagna ses « frères et sœurs » dans les rues de la ville à proximité des églises afin d’amener la bonne parole de Jésus et de ses disciples à ceux qui désiraient l’entendre.

Au fil des ans, les habitants de Béziers connaissaient bien la jeune femme qui s’exprimait de manière simple, relayant un autre message religieux.

Certains jeunes hommes, attirés et sensibles à cette belle fille brune aux cheveux longs et au regard triste, tentèrent quelques approches amoureuses qui se soldèrent toutes par un échec.

Fidèle à sa croyance, Aurore resta célibataire et ne connut pas d’homme.

Pour ses vingt deux ans, elle et sa famille menacées de persécutions quittèrent la ville de Béziers. La plupart des habitants alarmés par la menace d’un siège des troupes du roi et la présence de tribunaux de l’inquisition décidèrent malgré tout de demeurer dans la cité.

Aurore et sa famille se déplacèrent pendant six ans de village en village selon le travail proposé. Ils s’installèrent en 1242 à la citadelle basse de Montségur.

Fait rare, Aurore fut nommée prieure de la maison des « Parfaits » lieu où se réunissaient les « frères et les sœurs ». Jusqu’à trois cents personnes participèrent aux offices qu’elle dirigea avec l’aide de son diacre. Reconnue pour sa foi, sa chasteté et la puissance de ses discours, elle fut surnommée la « prophétesse » et attira dans son giron nombre de fidèles catholiques.

***

Perdue dans ses pensées, elle se rappela avec force détails la dernière visite de Raymond de Péreille qui l’avait sollicité quelques jours avant Noël. Elle comprit que ses propos seraient d’une grande importance.

Il lui remit un pendentif en pierre en forme de triangle, gravé de signes qu’elle ne put déchiffrer. Une lanière en cuir permettait de le suspendre.

Raymond de Péreille lui donna également un vieux manuscrit en peau, plié, et luidit:

–Le pendentif et le manuscrit ne font qu’un. Leur symbole est de réconcilier la dualité avec l’unité. Leur avenir t’appartient.

Une fois seule, elle passa le pendentif autour de son cou. Aurore d’Orcival connut pour la première fois la béatitude. Un voile céleste illumina son visage.

Le surlendemain 16 mars 1244, elle sourit également une dernière fois lorsque- elle et deux cents hérétiques se jetèrent les uns à la suite des autres dans un brasier géant dressé pour eux. Au milieu des cris et des suffocations, comprimant le pendentif contre sa poitrine, elle fut la seule à ignorer la souffrance des flammes. En silence, elle expira et remit son âme à Dieu en pardonnant aux hommes.

La pluie ininterrompue qui tombait depuis trois jours cessa aussitôt. Au plus profond des bois, au milieu de broussailles et d’épines acérées, une rose rouge vit lejour.

***

Trois jours après la reddition de Montségur et la mort sur le bûcher des derniers hérétiques, Isaac dit « le juif » passa devant le tribunal de l’inquisition. Bien qu’ayant fait partie des résistants, on lui accorda la vie sauve à condition de quitter définitivement le château et de porter de manière ostentatoire la rouelle, signe infamant du peuple déicide.

La veille de sa mort, Aurore d’Orcival avec qui il s’était lié d’amitié le mis dans la confidence; elle l’implorait de récupérer le médaillon des cendres du bûcher et de le ramener en Terre Sainte.

Elle lui remit également le document. A sa lecture, il fut bouleversé. Maintenant lui aussi savait.

Isaac trouva le médaillon. Couvert de poussière et de suie, il l’essuya d’un revers de la main. Il était intact. Les gravures avaient résisté à l’épreuve dufeu.

A soixante deux ans il prit le chemin de Jérusalem. Sans encombre, le bateau l’emmena à destination, porté par une brise constante et un soleil radieux.

Arrivé sur place, Isaac ne put réaliser sa mission comme il l’espérait.

La septième croisade révélait la faiblesse de l’armée franque devant les troupes musulmanes du sultan Al-Salih qui encerclait la ville de Jérusalem. Quelques semaines suffiraient pour que la ville tombe. Le pape Innocent quatre n’avait pu éviter les tensions entre les ordres religieux, les partisans de l’empereur germanique Frédéric et les Syriens. La division chrétienne signerait la chute de la cité sainte.

Le comte de Champagne, Thibaud IV, en charge de la défense de la ville réalisait toute la détresse des habitants. Il n’y aurait pas de quartier et le sang coulerait.

« Tout cela pour un même Dieu » pensait il souvent.

Il évoqua ses pensées avec son confesseur l’évêque Thomas, homme sage et de paix. « Le destin de Dieu » disait l’ecclésiastique « est un chemin difficile pour les hommes. Il n’est point parfait. Aux hommes de l’améliorer pour suivre les pas de son fils Jésus».

Isaac rencontra l’évêque par une belle matinée ensoleillée. L’homme d’Eglise priait dans une petite chapelle dédiée à la Vierge-Marie.

Le juif raconta au chrétien l’histoire du médaillon. Il le lui remit ainsi que le parchemin écrit en grec et en latin. Isaac le salua et le quitta.

Il avait enfin rempli sa mission. En sortant, un sentiment de sérénité le submergea. Aurore aurait été fière delui.

L’ecclésiastique, tétanisé, le regarda partir sans essayer de le retenir. Sa main tremblante se porta sur sa croix pectorale en bois de hêtre sculptée par son père Micheli en terre de Bigorre, au pied des Pyrénées.

« La voie de Dieu, pensa t’il, pas le chemin des hommes. Le médaillon ne restera pas à Jérusalem. Les forces sarrasines pourraient s’en emparer. Aurore d’Orcival ne l’aurait pas permis. »

Il décida de ne parler à personne de cette rencontre. Il partirait dans les jours à venir, par bateau à Constantinople, ville sainte qui selon lui ne tomberait jamais aux mains des musulmans. Il décida lui même de faire une copie conforme du manuscrit en peau qui commençait à vieillir. Son histoire perdurerait dans le temps.

Lui aussi remplirait sa mission. Après avoir longuement prié, il sortit de la chapelle. Serré contre sa poitrine, le triangle de pierre le renvoya aux trois valeurs théologales de l’homme, enseignées par la chrétienté: La Foi, la Charité, l’Espérance.

Levant les yeux vers un ciel bleu azur sans nuage, il sourit.

Le chemin commençait.

Il ignorait que le pendentif et les deux manuscrits auraient une toute autre destinée….

Chapitre3

Rome- 25 MAI2015

Ce mercredi vingt cinq mai, partie de l’aéroport Charles de Gaulle par le vol Air France de treize heures cinquante, Julia Montel arriva à Rome deux heures plus tard à l’aéroport Fiumicino, le plus proche de la cité romaine. Elle avait quitté Paris sous une petite pluie fine qui durait depuis plus d’une semaine et se retrouvait maintenant sous une chaleur de plomb. Elle ne cacha pas sa satisfaction de voir enfin du ciel bleu, bien que la pollution de la ville teinte l’horizon de ce gris clair que l’on retrouvait partout dans les grandes villes du monde.

Julia avait réservé un taxi pour se rendre à l’hôtel Léonardo Da Vinci situé Via Santamaura à proximité de la cité du Vatican où elle comptait se rendre. L’établissement trois étoiles qu’elle connaissait pour y être allé à de multiples reprises, lui convenait bien pour les prestations honnêtes qu’il offrait et les petits déjeuners copieux et variés proposés.

A bord d’une Mercedes 220 particulièrement bien entretenue l’emmenant à son hôtel, elle apprécia l’air conditionné modéré qui la rafraichissait par cet après-midi torride. Les chauffeurs souvent prolixes en sa présence, celui-ci s’était montré courtois mais discret, secouant juste la tête devant les conditions de circulations anarchiques qui avaient le don d’exaspérer la plupart d’entreeux.

Arrivés à destination, il l’avait accompagné devant l’hôtel en lui portant ses deux valises et lui souhaita d’un accent Calabrais un buon segiorno signora . Elle régla sa course agrémentée d’un pourboire et se rendit à la réception où, après que l’on ait vérifié son identité, la clef de la chambre quatre cent douze située au quatrième étage lui fut remise.

Le séjour de cinq jours, entièrement pris en charge par la trésorerie du Vatican, ne dérogeait pas à la règle communément établie où l’invité devait se satisfaire des prestations proposées, ici largement acceptables.

L’établissement Léonardo Da Vinci , sous contrat avec les lieux saints, remplissait tous ces critères. Beaucoup d interlocuteurs, d’hôtes ou de conférenciers se retrouvaient donc invités à y séjourner pendant une période plus ou moins longue.

Julia prit l’ascenseur et avec la carte magnétique déverrouilla la porte à code de la chambre. Elle éteignit aussitôt la climatisation trop forte à son gout car, fragile de la gorge, elle était sujette aux trachéites et autres refroidissements.

La chambre, simple et propre, se composait d’un grand lit, d’une salle de bain refaite à neuf dotée d’une douche à l’italienne, d’une télévision et d’un petit frigo où s’alignaient trois bouteilles d’eau minérale. Un petit balcon donnait sur la rue où le bruit de la circulation automobile et surtout des scooters semblait bien trop présent.

Elle referma le coulissant du balcon, descendit le store de moitié afin de limiter la lumière du jour et bénéficier d’une certaine intimité dans l’idée de prendre une douche.

Elle posa une des valises sur le lit, en sortit un jean blanc assorti d’un tee-shirt bleu et des sous-vêtements couleur chair. Elle pensa aussitôt à faire une prochaine visite au magasin Zara, peu éloigné de l’hôtel. La mode vestimentaire n’étant pas sa priorité, elle s’habillait malgré tout avec bon gout, de manière sobre mais toujours avec des marques connues, gage pour elle de solidité et de tenue dans le temps. De ce fait, elle appréciait changer souvent de garde-robe et, au moindre signe d’usure, n’hésitait pas à renouveler ses effets.

Elle se déshabilla prestement, jetant les vêtements à terre, et se dirigea vers la salle de bain. Avec volupté, elle apprécia l’eau tiède de la douche qui la débarrassa des quelques gouttes de transpiration accumulées durant la journée. Elle prit un soin particulier à laver ses cheveux bruns portés toujours courts dans une coupe au carré qui imprimait une certaine classe.

S’étant séchée avec une serviette imprimée au nom de l’hôtel, elle s’enveloppa avec l’une d’entre elle et s’assit en tailleur sur le bord du lit.

Un grand miroir lui renvoya son image ; à trente et un ans, d’une taille d’environ un mètre soixante quinze, sportive et longiligne, ses traits avec le temps s’étaient affermis. Son reflet lui proposa une femme épanouie, volontaire, peut-être trop sérieuse pour qui ne la connaissait pas. Certains lui faisaient remarquer un soupçon de tristesse dans des yeux marron n’enlevant rien à une forme de beauté, ne laissant pas les hommes insensibles.

Directrice d’un musée d’art contemporain situé aux abords de la place d’Italie à Paris, doctorante à vingt sept ans dans l’étude de l’art et des civilisations antiques, paléographe diplômée de l’école Nationale de Chartres, Julia, malgré des sollicitations réitérées d’universitaires en vue, déclinait les propositions de poste d’enseignante.

Référente reconnue pour son savoir de terrain, elle n’hésitait pas à se déplacer géographiquement afin d’examiner les pierres, codex et autres reliques. Ses explications documentées et simples, les rapports détaillés et accessibles aux profanes faisaient d’elle une interlocutrice de sites historiques, des centres d’études et de recherches d’antiquités.

Les employeurs du musée parisien, des banquiers suisses, lui facilitaient la tâche en lui accordant des plages d’absence à sa convenance. Sa notoriété de chercheuse amplifiait le nombre de visiteurs qui comptait sur la présence de Julia pour obtenir d’elle des observations documentées.

De même, grâce à de nombreux colloques organisés au sein du musée, certaines galeries européennes évoquaient de futurs prêts d’œuvres originales pour le plus grand bonheur d’un public averti.

A genoux sur le lit, Julia saisit dans son sac à main une lettre aux armes du Vatican. Sans plus de précision, elle était attendue le lendemain matin à dix heures au secrétariat de la Bibliothèque et des Archives. Le père Alonso, un Franciscain avec qui elle avait l’habitude de travailler l’accueillerait devant le bureau d’accueil situé entre les colonnades de la célèbre Place Saint Pierre. Comme d’habitude, il lui donnerait les accréditations pour pénétrer dans les salles d’études. Ces laissez-passer lui permettaient d’expertiser ou d’émettre un avis éclairé sur le contenu d’un manuscrit ou d’un parchemin.

Julia pouvait ainsi en amont, travailler sur le sujet choisi.

Ici, rien ne précisait le motif de sa venue au Vatican.

***

Elle sourit en pensant que les archives apostoliques du Vatican (Archivum Apostolicum Vaticanum), abritant également les archives secrètes, se révélaient être deux institutions distinctes. Ces dernières alimentaient depuis des années les romanciers en manque d’inspiration ésotérique pour lecteurs avides de secrets bien gardés.

Peu de gens savaient qu’à la suite de travaux effectués en 2010, sous la cour du musée du Vatican, une bibliothèque d’un million et demi de documents pour deux mille ans d’histoire se répartissent sur deux étages climatisés. En sous-sol, quatre vingt cinq kilomètres de linéaires de tablettes et d’étagères abritant un bunker de sept cents mètres carrés protègent les documents les plus précieux et les plus rares.

Quatre mille chercheurs par an accèdent aux archives du Vatican et à un nombre considérable d’incunables, palimpsestes, codex, livres et autres manuscrits. Julia faisait partie de ces chercheurs et n’était pas peu fière en sa qualité d’exégète que l’on fasse appel à son savoir.

***

A dix huit heures, malgré la chaleur toujours présente, elle décida de faire un jogging en ville, habitude sportive qu’elle pratiquait trois fois par semaine depuis une dizaine d’année. Lorsque l’occasion se présentait, elle participait à des semi-marathons avec pour objectif de se mesurer à d’autres sportifs et, au vu du chronomètre, à établir son meilleur temps. Les podiums lui étant inconnus, participante mais pas compétitrice, elle se plaisait dans l’effort physique long affinant la silhouette qui lui « lavait » l’esprit de ses lectures parfois fastidieuses.

Vêtue d’un short noir et d’un tee-shirt blanc, elle hésita à se diriger vers l’endroit prisé des joggeurs, à savoir le cirque Maximus à deux pas du Colisée. L’ayant parcouru à de nombreuse reprises, elle lui préféra un parcours plus long d’environ une dizaine de kilomètres. L’itinéraire mêlant à la fois sport et patrimoine l’emmènerait à travers la Piazza di Spagna, la fontaine de Trevi, le Panthéon, la Piazza Navona et le bord du Tibre. Elle brancha ses oreillettes sur un Spécial Live de Sting qui la rendit sourde durant un peu plus d’une heure aux inévitables sifflets appuyés des locaux masculins se voulant séducteurs….

De retour à dix neuf heures trente, elle prit une seconde douche puis rejoignit vers vingt heures le restaurant de l’hôtel. Dans un coin de la salle, par manque d’appétit, Julia commanda un cacciucco , plat de bord de mer à base de poissons, de mollusques et de crustacés accompagné d’un verre de vin frais de Cinque Terre qu’elle avait eu l’occasion d’apprécier icimême.

Fatiguée de la journée, elle retourna dans sa chambre, se mit en pyjama, bu deux verres d’eau et se coucha. Si le best-seller de Ken Follet était à la hauteur de sa réputation, Julia se laissa happer par un voile noir qui l’enveloppa jusqu’au petit matin.

***

A neuf heures trente après avoir déjeuné au bar de l’hôtel, d’un pas vif elle prit la direction du Vatican qu’elle rejoignit quinze minutes plus tard. Habillée d’un tailleur strict, les membres de la curie romaine recommandaient aux visiteuses une certaine sobriété dans leur tenue.

Il était tôt et les touristes affluaient en nombre vers la place Saint Pierre. Par cette belle matinée de printemps, Rome offrait à ses visiteurs la beauté de ses lieux dont le Vatican, plus petit Etat du monde, se targuait d’être le centre mondial de pèlerinages du monde catholique. Ses chapelles et musées concentraient les plus belles œuvres du monde, les plus magnifiques fresques et tableaux de peintres, artistes et sculpteurs les plus illustres.

Juste avant dix heures trente, Julia se dirigea vers le bureau du Vatican, juste derrière la porte Angélina. La veille, le Père Alonso avait sollicité ses homologues pour demander un nouveau badge de visiteur.

Le prêtre l’accueillit tout sourire comme à son habitude en tendant une main respectueuse, s’inclinant légèrement.

–Quel plaisir de vous revoir signorina Julia. Avez-vous fait bon voyage ? Nous ne nous attendions pas à vous revoir si vite, lui dit-t-il.

–Bonjour Père Alonso. J’ai préféré laisser Paris sous la pluie pour venir vous voir à Rome avec votre beau soleil. Alors, lui répondit- elle, toujours occupé avec vos livres et vos visiteurs de la bibliothèque? A quand remonte notre dernière rencontre ?

–Il ne me semble pas qu’il y ait si longtemps. Peut être avant les fêtes de Noel ou quelques jours avant.

–C’est exact mon père. C’était pour une traduction d’un manuscrit du De rerum natura de Lucrèce composé à partir de l’ouvrage d’Epicure. L’édition de 1675 montrait quelques incohérences stylistiques dues surement à quelques interprétations de l’Eglise de l’époque.

–Votre mémoire sera toujours meilleure que la mienne. Et il est vrai aussi que Lucrèce et surtout Epicure ne sont pas en bon terme avec notre foi depuis déjà quelques temps.

Tous les deux rirent de bon cœur. Badges en main, ils remontèrent tous les deux la Via di Porta Angélica en direction de la Via SantaAnna.

Arrivés sur le parvis du belvédère, ils obliquèrent vers un grand bâtiment de pierre qui donnait accès au palais apostolique.

–Nous voilà chez nous, dit le père Alonso, celle que l’on nomme la Vaticane !

A l’entrée, on leur fit poser sac, portable et objets métallique sur un tapis roulant actionné par un gardien en tenue. Aussitôt le contrôle effectué, ils se dirigèrent vers une première salle d’étude aujourd’hui curieusement vide de visiteurs.

–Alors mon père, s’exclama Julia, quelle est ma feuille de route pour aujourd’hui, mes rayonnages, mes livres ?

L’ecclésiastique si souriant depuis le début de leur rencontre, eut un petit mouvement de recul et prit un air gêné qu’elle ne lui connaissait pas. Il balbutia quelques mots inaudibles et regarda si quelqu’un les observait.

Il s’approcha d’elle et lui murmura.

–La bibliothèque est fermée exceptionnellement de huit heures à dix heures ce matin. Des consignes ont été données afin que je vous accompagne au Bureau du Préfet Apostolique. Son Eminence le cardinal Berardino souhaite s’entretenir avecvous.

–Tout cela est bien curieux, lui répondit- elle, vous et moi avons toujours travaillé avec le responsable de la bibliothèque, Monseigneur Bartolomé qui nous a bien secondé lors de nos précédentes recherches. Est-il présent avec le cardinal ?

–Je ne pense pas. En revanche, d’autres autorités religieuses sont là pour des motifs que j’ignore.

Ils arrivèrent devant le bureau. Le père Alonso s’éclipsa de manière très discrète, laissant Julia en proie à une certaine inquiétude. En sa qualité de chercheuse, pensa-t-elle, elle avait peut être omis ou ignoré involontairement certaines annotations importantes lors de traductions notamment d’auteurs peu connus. Toute interprétation, aussi futile soit elle, pouvait donner lieu à des querelles sémantiques là où l’Eglise se montrait intransigeante.

Elle frappa à la porte. Une voix forte lui demanda d’entrer.

Sur le seuil, trois cardinaux lui firent face, vêtus du mantelet rouge et de la croix pectorale. Le cardinal Berardino qu’elle connaissait pour l’avoir croisé à de nombreuses reprises se leva pour l’accueillir.

Son français, sans accent, se révéla parfait.

–Bonjour Mademoiselle Montel. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation. Je sais que votre temps est précieux dans vos fonctions au sein du musée Artistica à Paris. Nous connaissons aussi vos engagements au sein de la Cité du Vatican et apprécions le sérieux de vos travaux en votre qualité de spécialiste de textes anciens. Votre impartialité vous honore sur des sujets disons, parfois polémiques. Le père Alonso ne tarit pas d’éloge. Mais, de grâce, ne restez pas debout. Prenez une chaise et mettez vous à l’aise.

Dès cet instant, Julia sut que sa présence en ces lieux n’était pas le fait du hasard. La promiscuité de la pièce à la décoration inexistante, envahie d’ordinateurs et d’imprimantes la rendait nerveuse. La présence des trois prélats amplifiait un malaise que les trois hommes perçurent rapidement à son regard à la fois surpris et interrogateur. Le cardinal Bérardino reprit alors la parole d’un ton rassurant.

–Avant de commencer notre entretien, j’aimerais prendre des nouvelles de votre père et savoir comment se passe son veuvage. Monseigneur Bartolomé, absent aujourd’hui, m’a informé du décès il y a quelques mois de votre maman des suites d’une longue maladie. Comment vivez- vous tous les deux cette épreuve ?

–Votre éminence, mon père et moi-même entretenons des liens familiaux forts. Nous traversons cette période unis dans la douleur. Nous pensons à elle tous les jours et cela amoindrit notre peine. Nous comptons sur le temps et le travail de deuil pour surmonter notre tristesse.

–Et la prière également ma fille. Permettez-moi de vous présenter nos condoléances, ajouta le cardinal, en regardant ses deux homologues qui acquiescèrent d’un signe de tête. Nous prierons pour l’âme de la défunte.

Le regard des trois ecclésiastiques rivé sur le sien, Julia feignit être touchée par ces paroles empreintes de sollicitude. Elle était loin d’être dupe et attendait qu’on lui dise enfin sa présence en ces lieux.

Quelques secondes s’écoulèrent, lentement. Le cardinal Bérardino prit la parole.

–Acceptez que je vous présente leurs éminences le cardinal Sandro et le cardinal Bianchi, tous les deux représentants de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ils remplacent temporairement leur supérieur le Cardinal Juan Pouzeto, préfet apostolique tenu éloigné de ses fonctions du fait d’une maladie invalidante. J’aimerais aujourd’hui vous présenter la congrégation si décriée, qui a, me semble t-il évolué dans le bon sens. Grâce à des recherches approfondies de documents historiques, nous en avons à ce jour une autre idée. Son image est plus nette qu’autrefois et nous pouvons dépasser les préjugés de caractère idéologique et les lieux communs qui circulaient à son sujet. Cette nouvelle représentation de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est issue de publications remarquables mises à la disposition d’un large public. Dorénavant, certains textes bien que peu connus en dehors d’un cercle restreint de spécialistes dont vous, Melle Montel, faites partie sont accessibles. Qu’en pensez-vous ?

Julia inspira et prit la parole.

–Vos éminences, effectivement la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’est bien transformée depuis sa création au treizième siècle par les dominicains pour mettre fin à ce que l’on a appelé plus tard, à tort d’ailleurs le catharisme. Cette institution que vous venez de citer, l’inquisition car il faut bien la nommer ainsi, n’a cessé de chasser les hérésies, les déviances et même la science qui faisaient de l’ombre à la toute puissante Eglise. Celle-ci lors des divers procès a été assez habile pour mélanger le bras séculier et le bras régulier pour arriver à ses fins. Le temporel et le spirituel, vous voyez ce que je veux dire. Même s’il faut distinguer les trois inquisitions de l’époque, la médiévale, la romaine et l’espagnole, nombre d’exactions ont eu lieu en son nom pendant des siècles. Ceci est un résumé très synthétique, je vous l’accorde.

Le cardinal Sandro, le plus jeune des trois prélats, un homme de petite taille assez replet, se leva et d’un pas lent se dirigea vers un bureau pour y saisir un livre. Faisant mine de le consulter, sans regarder Julia il prit la parole.

–Melle Montel, le but ici est de ne pas parler de l’inquisition telle que vous la décrivez et qui est une photographie de l’époque que l’Eglise reconnait volontiers, même si ses abus ont été amplifiée au cours des temps par l’ignorance des hommes. Nous vous parlons ici de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de notre époque. Le 23 janvier 1998, le préfet de l’époque, Joseph Ratzinger, futur pape, disait de l’institution qu’elle était là pour promouvoir et protéger la doctrine et les coutumes du monde catholique avec l’intention de l’Eglise de servir l’humanité en l’aidant à se comprendre. ( Card.Joseph Ratzinger, propos choisis, « La soglia della verità » à Avvenire, 23 janvier 1998, p.21 ». J’ajoute que la Congrégation, comme tout autre dicastère de la curie romaine, est une institution de droit ecclésiastique qui traite de tout ce qui renvoie à la doctrine de la foi et de la vie morale. Dans le contexte actuel de la société et de l’Eglise, les changements culturels, politiques, économiques et sociaux, relayés par la force des médias, les défis de l’Eglise et de sa foi sont multiples. Notre institution étudie ces problèmes et propose, selon ses moyens, des séries d’évaluations et des lignes directrices inspirées de l’Evangile et de la tradition catholique.

Le cardinal Berardino ajouta:

–Nous œuvrons tous les quatre dans ce bureau, à des degrés différents bien-sûr, à la recherche de la vérité et de la justice, vous dans les livres et nous dans la foi mais aussi le dogme.

Devant le regard interrogateur de Julia, le Cardinal Sandro renchérit :

–De nos explications peut être confuses, Jésus-Christ n’est il pas le trait d’union que nous avons en commun, Melle Montel ?

Sa réponsefusa.

–De qui parlez- vous, votre éminence, du Jésus historique ou du Christ de laFoi ?

–C’est le même soufflat’il.

–Que me voulez vous ? demanda t’elle impatiemment. 

Le cardinal Berardino s’appuya sur le dossier de la chaise. Il se frotta les mains énergiquement comme quelqu’un qui connait le froid.

–Julia, permettez moi du fait de mon âge avancé de vous appeler par votre prénom. Nous connaissons les reliques sacrées et leur vénération par notre Eglise, même après Vatican II par le Codex juris canonici de 1983. Le bois de la croix, les épines de la couronne, les clous de la crucifixion, le fouet de la flagellation, l’éponge, la lance du soldat Longinus, la Sainte Coupe, le Saint Suaire et d’autres sont des reliques, certaines réelles d’autres pas, certaines imaginées faisant partie des mystères de notre foi. Ils sont le Symbole, du grec sumbolon, des chrétiens qui « mettent ensemble » une même foi et se connaissent entre eux comme pratiquants. Auriez vous connaissance par vos lectures d’une autre relique personnelle concernant Jésus-Christ, cachée jusqu’à maintenant, qui pourrait, même si c’est peu probable, déstabiliser notre tradition liturgique?

Surprise par la banalité de la question, Julia répondit avectact:

–Mes lectures et mes recherches portent principalement sur des traductions et éclaircissements en langues anciennes de papyrus, codex et autres livres en langues vernaculaires d’époques différentes. Vous évoquez là des notions de mysticisme, légendes et secrets de romans de fictions qu’affectionnent certains lecteurs, adeptes d’ésotérisme. Je suis une lectrice interprète qui aide à la compréhension de textes anciens, ce que l’on nomme simplement un exégète.

Le cardinal Sandro s’exprima alors:

–Melle Montel, soyons brefs. Vous est-il possible demain matin de nous indiquer votre disponibilité pour les trois semaines à venir. Un pays du Moyen-Orient serait votre destination avec pour mission officielle l’étude d’un codex inconnu qui intéresse l’Eglise. Nous avons pris contact avec vos employeurs qui vous laissent le choix d’accepter ou de refuser. Tous vos frais seront pris en compte par notre congrégation qui vous versera bien sûr une participation financière à la hauteur de votre tâche. Petit détail également : le Saint-Père vous fait dire que, quelque soit votre décision, il vous accompagne de ses pensées et souhaite avoir l’occasion de vous rencontrer à brève échéance.

Prise au dépourvu, les idées confuses, elle s’entendit à peine dire qu’elle réfléchirait à la proposition et donnerait une réponse le lendemain à la première heure.

Les trois prélats se levèrent simultanément, mettant un terme à la réunion.

Elle les salua respectueusement, sortit dans le couloir et pris la direction de la sortie.

Le cardinal Bianchi, le plus âgé, de stature imposante, connu pour rarement sourire, prit la parole en s’adressant à Bérardino.

–Pensez- vous qu’elle soit la bonne personne ? Nous mettons nos espoirs dans une femme que l’on connait mais qui reste ce qu’elle est, une femme. On pourrait l’influencer voire la contraindre. Sera-elle à la hauteur de ce que l’on va lui demander ? Bérardino, il en va de notre crédibilité et de la vôtre. L’échec de cette mission est impensable et les enjeux considérables. Il me semble qu’un mercenaire aurait l’avantage du terrain et des arguments autrement plus persuasifs. Ceux qui détiennent ce que l’on veut sont déterminés et sans principes. Etes-vous certain de votre choix ?

–Bianchi répliqua Bérardino, Julia Montel acceptera la mission. Elle est une clef qui va ouvrir des serrures sans briser de portes. Dans cette quête particulière se devant être la plus discrète possible, en sa qualité de femme et d’initiée à notre culte, elle est LA solution pour rapatrier ce que nous voulons. Elle n’a pas à vaincre, juste à réussir.

Les trois hommes se toisèrent du haut de leurs fonctions respectives.

Sandro brisa le silence.

–Alea jactaest.

***

Le père Alfonso raccompagna Julia jusqu’à la sortie de l’édifice dans un silence de plomb. Au moment de se quitter, il s’adressa àelle.

–Je ne souhaite pas être dans la confidence. Je ne sais pas de quoi il retourne mais il me semble que vous devrez prendre des décisions difficiles. Vous êtes une personne sage et courageuse et assumerez votre devoir. Avez-vous toujours le petit cadeau que je vous ai offert le jour où l’on s’est rencontré ?

Julia prit dans son chemisier un pendentif au bout duquel était accroché un petit crucifix en argent.

–Il ne me quitte jamais.

Le père Alonso s’adressa à elle avec tendresse.

–Je cite le nouveau testament : « (Jean14 :6) Jésus lui dit : Moi je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au père que par moi. » Lui Seul sait. Faites Lui confiance. Je vous bénis Julia, masœur.

Il la salua et, promptement la laissa seule.

Elle quitta le Vatican vers 10h00 sous une chaleur qui commençait à tout envelopper, sans s’apercevoir qu’une brise d’air frais l’accompagnait dans sa réflexion.

En arrivant à l’hôtel, sa décision était prise et ferme. En lui donnant son passe magnétique, la réceptionniste l’informa de l’arrivée d’un fax de Paris. L’employée lui remis une grande enveloppe blanche à sonnom.

Elle s’assit sur le lit et hésita à l’ouvrir. Un léger tremblement des mains trahissait une certaine angoisse à lire les documents. Elle décacheta l’enveloppe et éparpilla les feuilles. Julia mit de côté un petit mot de son père qui l’informait avoir récupéré pour elle ses derniers examens médicaux à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.

Elle écarta les rapports scanner, IRM et PET SCAN, prise de sang, qu’elle connaissait déjà, pour lire les quelques lignes de la conclusion du docteur Théale en charge de son dossier dans le service d’oncologie de Paris.