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Convaincu d'arriver au terme de la piste du légendaire trésor inca, Luis entraîne ses amis au coeur de l'Espagne. Des splendeurs du Palais Royal de Madrid aux ruelles ensoleillées de Séville, chacun des lieux traversés reflète la gloire d'une puissance déchue. Tiraillé entre l'état inquiétant de Stacy et le désintérêt grandissant de Eddy, Luis doit garder le cap pour percer les mystères de la cité qui contrôlait autrefois le Nouveau Monde. Entre amitié, tension et fascination, les trois amis s'enfoncent à travers un destin irréversible.
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Seitenzahl: 282
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Né à Lausanne en 1993, Mathieu Schaller adopte très tôt un attrait pour les démarches créatives. Nourri d’une imagination florissante, il laisse son esprit construire des intrigues puisant leur source dans des sujets importants à ses yeux.
Animé d’un vif intérêt pour les lieux anciens et le patrimoine, il observe depuis toujours avec admiration les monuments historiques et autres vestiges du temps passé, n’hésitant pas à les visiter si l’occasion le lui permet. L’envie de partager avec autrui ses connaissances et découvertes le mène à l’ouverture de sa chaîne YouTube Emixplor pour présenter les endroits qui le fascinent. Parallèlement, il se lance dans la rédaction de son premier roman, Le Trésor des Passions, récit qui lui permet d’explorer une nouvelle façon de partager les monuments du passé et dont il publie le premier tome fin 2022.
Le récit se base en partie sur des faits historiques. Pour les besoins de la narration, j’ai pris la liberté d’y ajouter des éléments fictifs. Les lieux visités par les protagonistes se veulent en grande partie inspirés du monde réel. Cependant, en raison du temps nécessaire à la rédaction et à la finalisation de l’ouvrage, il se peut que ceux-ci aient changé depuis. Certains endroits sont également issus du fruit de mon imagination, mais j’ai accordé un grand soin à leur description afin qu’ils paraissent authentiques à vos yeux.
Les protagonistes de l’histoire possèdent des croyances et valeurs qui leur sont propres et je ne les revendique en aucun cas à titre personnel.
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
Les bras fins et délicats qui pressaient son dos contrastaient fortement avec les siens, durs et épais, enroulés autour des épaules de Stacy. Une puissante chaleur sortait de ce corps qu’il avait tant aimé, diffusant en lui une énergie fraîche et une joie oubliée depuis trop de temps.
Le nez enfoui dans ses longs cheveux ondulés, Luis savoura cet instant de bonheur. Il sentait contre son torse les tremblements de son amie, submergée d’émotion. Tendrement, il lui caressa la tête alors qu’elle resserrait encore son étreinte, comme effrayé de le voir se séparer d’elle. Mais lui savait qu’elle n’avait pas peur. Il le sentait.
Quelque chose d’autre habitait la jeune femme.
Il se remémora alors cet instant où, pour la première fois depuis près de trois jours, il avait entendu sa voix.
— Vous êtes toujours à Madrid ?
Ni doux ni aigri, ce timbre pourtant inhabituel avait immédiatement réconforté Luis. Le combiné du téléphone lui avait littéralement fait traverser l’Atlantique, et toute l’anxiété qu’il avait accumulée jusqu’au moment où elle avait décroché s’était aussitôt envolée. Unsentiment de bien-être s’était répandu en lui, comme s’il se fût trouvé juste à côté de Stacy.
— Vous êtes toujours à Madrid ? Je n’ai pas beaucoup de temps !
À ces mots, l’Américain avait levé les yeux vers les grands escaliers qui descendaient dans le Hall de Napoléon, sous la pyramide de verre.
Comment lui expliquer ?
L’enthousiasme suite à sa découverte sur le tableau de Rigaud n’était pas retombé qu’il s’était décidé à essayer de lui téléphoner aussitôt pour la lui partager. En espérant qu’elle réponde. Et l’appel n’avait sonné que quelques secondes dans le vide.
— Stacy, je…
— Vous êtes où ?!
— Je suis…
Pressé par le ton sec de son amie, Luis s’était ravisé.
— Hostal Carlos III, près de…
— Bougez pas de là, j’arrive dès que possible !
— Quoi ? Mais comment…
— Soyez prudents !
Et elle avait raccroché. Mais cela avait suffi pour l’apaiser. Toutes les horribles images auxquelles il avait pensé s’étaient aussitôt envolées de son esprit. Et maintenant, ils étaient là, tous les deux, étroitement enlacés par cette émotion si intense qu’ils n’avaient pu partager depuis leur séparation. Pourtant, quelques questions le troublaient encore : les hommes en noir de Tunis étaient-ils bien des agents du FBI ? Pourquoi avaient-ils enlevé Stacy ? Que lui avaientils fait ? Et Chris avait-il joué un rôle dans cette histoire ? Il semblait véritablement vouloir surveiller son épouse.
Et même plus que surveiller : contrôler, avait-il conclu.
Mais il avait confiance en son amie. Il était persuadé que quelque chose avait changé en elle depuis leur séparation à Tunis. Il l’avait senti dans sa voix lorsqu’ils s’étaient appelés, et il le sentait encore plus fortement maintenant, alors qu’elle faisait échapper de chaudes larmes contre son buste musclé. Lui-même n’avait pu empêcher quelques perles salées de glisser de ses yeux en repensant à l’immense inquiétude qui l’avait habité ces derniers jours.
— J’ai eu tellement peur pour toi, lui souffla-t-il à l’oreille.
Luis rouvrit les yeux et releva la tête, laissant la fine chevelure de son amie retomber derrière elle. En se reculant, il sentit son estomac se serrer face au visage réjoui de Stacy. Quelques détails l’avaient frappé lorsqu’ils s’étaient retrouvés, mais Luis avait été bien trop impatient de l’étreindre pour y prêter plus attention. Maintenant que leur joie avait été partagée, il s’attarda avec frayeur sur ses traits inhabituels.
Sous son sourire jovial, la lèvre inférieure de son amie était toute boursoufflée et présentait une blessure violacée toute récente.
Tristement accordé à cette teinte, un énorme hématome recouvrait sa joue gauche sur laquelle perlait encore une gouttelette de pleurs.
— T’inquiète pas pour moi, répondit-elle en devinant ses yeux rivés sur ces lésions. Je vais bien.
Elle le regarda, pleine d’assurance.
— Je suis là, Luis. C’est terminé.
Derrière sa voix conciliante, Luis sentit un ton résolu et perçut comme une lueur d’hostilité dans ses pupilles. Peu convaincu toutefois, il finit par acquiescer en lui adressant un sourire timide.
— Allons prendre un café, Eddy ne va pas tarder.
Quelques minutes plus tard, celui-ci les rejoignit et, après avoir chaleureusement embrassé Stacy à son tour, prit le même air affligé que Luis en voyant les blessures sur son visage. Discrètement, ce dernier lui fit signe de ne pas s’en inquiéter.
La vérité finira par sortir.
— Alors Luis, amorça Eddy en s’installant à table, chargé d’une copieuse assiette de petit déjeuner, tu as retrouvé la voie de la raison ?
Stacy leur lança un regard confus. Elle ignorait encore tout de son aventure parisienne, et Eddy n’était pas beaucoup plus avancéqu’elle. Lorsque Luis était rentré à Madrid, la veille au soir, il avait espéré revoir Eddy à l’hôtel pour lui raconter le secret qu’il venait d’arracher au tableau de Rigaud. Mais c’est une chambre vide qu’il avait trouvée en arrivant, et il s’était rapidement assoupi sur son lit.
Et ce matin, Luis s’était empressé d’être prêt dans le hall pour surveiller l’arrivée imminente de Stacy, ayant juste eu l’occasion d’informer Eddy à son réveil qu’il devait s’apprêter au plus vite.
— Je crois en effet qu’il est temps pour vous de connaître la suite des opérations, répondit-il simplement.
— Pour nous ? Mais Eddy…
— Ouais, vas-y… l’interrompit Eddy sans lever les yeux. Raconte ce que t’as trouvé à Paris…
Luis dénota chez son ami un léger regret de ne pas lui avoir fait confiance pour la piste du Louvre. Il l’observa quelques secondes tartiner son toast d’une généreuse couche de beurre puis se jura aussitôt de lui avouer dès que possible qu’à aucun moment, il ne lui avait reproché son choix de cesser les recherches de l’or inca. Bien au contraire, il comprenait les motifs de sa décision. Mais maintenant qu’un véritable indice avait été retrouvé, plus rien ne pouvait les arrêter jusqu’au trésor !
Un large sourire se dessina sur ses lèvres à cette pensée et, alors qu’il s’attaquait à son tour à son assiette, Luis reprit tout le récit depuis le début, depuis ce moment à l’aéroport de Tunis où, impuissants, ils avaient reçu le message de Stacy par ce petit monsieur, jusqu’à leur séparation, quand Luis s’était décidé à partir au Louvre. Il narra en détail tous les éléments qui l’avaient mené à monter cette hypothèse, ne manquant pas de préciser chacun des faits historiques qui unissaient les grandes familles royales d’Espagne et de France, puis résuma son voyage à Paris sans rien omettre, pas même la curieuse rencontre du jeune Jim.
— Et alors, tout à coup, enchaîna Luis en achevant son croissant au beurre, pendant que je parlais avec le gardien, un éclair d’illumination m’a traversé. C’est là que j’ai eu l’idée d’observer le tableau avec les lunettes anaglyptiques.
Il poussa son assiette de côté et attrapa son sac croché sur le côté de la chaise.
— Le résultat est tout simplement incroyable, résuma-t-il en posant la petite paire de carton plastifiée sur la table. Figurez-vous que, sous l’effet du verre rouge, un texte est apparu dans les rideaux, au-dessus de Louis XIV. Très discret, mais juste assez grand pour que je parvienne à le lire. Je n’en croyais pas mes yeux.
— Et alors, que dit ce texte ? s’interrogea Eddy, la bouche encore à moitié pleine.
— J’allais y venir, dit-il en sortant son bloc-note.
Il relut pour lui-même les mots qu’il avait rapidement notés la veille, puis jeta un coup d’oeil autour de leur table, s’assurant que personne n’écoutât leur conversation.
— La phrase est intrigante, vous verrez.
Il inspira profondément et lut ensuite, très lentement :
— « Deux petites cordes réunies concordent vers le bonheur conquis ».
Un grand silence s’installa entre eux, et Luis les observa à tour de rôle. Finalement, ce fut Eddy qui prit la parole en premier, contrarié.
— C’est tout ce qu’il y avait ? Tu parles d’un indice !
Luis acquiesça.
— Ce n’est pas très concret, admit Stacy en fronçant les sourcils.
Ça ne me parle pas du tout.
— Pas très concret ? répéta Eddy en brandissant un couteau plein de confiture. C’est carrément du foutage de gueule, ouais ! Parvenir à lire ce texte, c’est déjà un parcours du combattant, si en plus il faut en comprendre le sens… Si j’étais Philippe V, j’aurais clairement déclaré la guerre à mon grand-père !
Luis tempéra la chose.
— Je sais que c’est pas évident, mais il s’agit bel et bien d’un indice. D’ailleurs, il se pourrait bien que Philippe V ne l’ait jamais lu, puisque Louis XIV a finalement gardé le tableau pour lui.
— J’espère bien qu’il l’a jamais lu ! répliqua Eddy, consterné.
Histoire qu’on se casse pas la tête pour rien !
— Rigaud a réalisé un second tableau identique pour Philippe V, mais j’ignore s’il comporte lui aussi le message caché. Quoi qu’il en soit, il y a une clé à comprendre derrière cette énigme, et ce n’est pas le moment de laisser tomber ! C’est certainement le dernier mystère à résoudre, personne n’est arrivé jusqu’à ce stade. Nous devons aller jusqu’au bout !
Ses amis le regardèrent, peu convaincus. Agacé de devoir chaque fois se justifier, Luis ajouta :
— C’est ce que j’ai vu, je n’ai rien inventé. Tout est vrai.
Un nouveau silence s’installa entre les trois Américains. Eddy, inflexible, avait cessé de réfléchir et achevait son petit déjeuner, attendant seulement que la discussion prenne officiellement fin. Stacy gardait pour sa part les yeux posés dans le vide, au milieu de la table, à la recherche d’une idée.
Pourquoi ne pouvaient-ils pas simplement croire en ce trésor ? se désespéra Luis qui sentit un pincement au coeur.
— Bon, vas-y, fit Stacy au bout d’un moment en dégageant à son tour la place devant elle. Relis cette phrase encore une fois, histoire qu’on l’ait bien en tête.
Luis l’observa s’accouder sur la table puis répéta les mots, très lentement, tentant de s’en imprégner au mieux.
— Deux petites cordes réunies concordent vers le bonheur conquis.
Alors, pendant une bonne vingtaine de minutes, tous trois essayèrent de donner un sens à ces mots, réorientés de temps à autre par la voix de Luis qui relisait l’énigme. Plusieurs idées leur vinrent à l’esprit, mais elles finissaient toujours par s’avérer plus qu’improbables ou complètement tordues.
— Ça doit forcément signifier quelque chose, mais j’ai l’impression qu’il nous manque des éléments pour comprendre.
— Ça concorde vers le bonheur conquis… répéta lentement Stacy, la tête posée au creux de ses mains. Logiquement, je dirai que le bonheur conquis représente le trésor.
Eddy acquiesça.
— Je sais pas si l’énigme est logique, mais il doit s’agir de cela, en effet. Qu’en penses-tu, Luis ?
Ce dernier était plongé dans une intense réflexion et n’avait pas du tout écouté la suggestion de Stacy.
— Deux petites cordes réunies…
— Luis ?
Il releva la tête.
— Excusez-moi. Je me demandais… On dirait que ça fonctionne par étapes.
Les deux amis échangèrent un regard interrogé.
— Je veux dire…
Il hésita un moment.
— L’union de deux cordes… Il faut visiblement trouver deux cordes, ou quelque chose qui s’y apparente. Ça, c’est la première étape. Ensuite, il faut les mettre ensemble : seconde étape. Une fois cela fait, on aura finalement la direction à suivre pour retrouver le trésor.
Un court silence marqua cette réflexion, puis Stacy résuma :
— L’union mène à la concorde… La concorde serait donc le résultat d’un assemblage de deux éléments ? Mais lesquels ?
À cet instant, Eddy se renfrogna, ne laissant même pas le temps à Luis de répondre.
— Ça ne veut rien dire, votre truc ! Deux petites cordes réunies concordent vers le bonheur conquis… C’est totalement insensé !
Luis, soit t’as eu une hallucination, soit c’est qu’un gros canular du XVIIe siècle ! Comment veux-tu que des cordes nous montrent la route à suivre ?
Stacy se redressa subitement, les yeux grands ouverts.
— La route ! s’exclama-t-elle. J’ai une idée ! Deux cordes qui concordent : peut-être est-ce une référence à la Place de la Concorde, à Paris ?
Aussitôt, Luis se représenta l’immense pointe de pierre qui se dressait au centre de la place.
— L’obélisque… fit-il, songeur. Louis XIV était fasciné par l’Antiquité !
— Bien sûr ! Ça doit être ça ! s’emporta Stacy. Il y a sûrement un truc inscrit sur l’obélisque. Ou alors le trésor se cache en dessous !
— Mais… Et les deux cordes ? releva Luis.
Elle réfléchit quelques secondes pendant qu’Eddy, de son côté, leur lançait à tour de rôle des regards furtifs, complètement sidéré par leur hypothèse.
— Deux petites cordes… répéta Stacy. Il s’agit sans doute des rues qui convergent vers la place. Les deux plus petites. Et la place en est l’union. Ça se tient !
Un grand sourire rayonnait sur son visage, et Luis le lui rendit, se laissant retomber contre le dossier de sa chaise.
— Si j’avais su, je serais resté à Paris !
Stacy rigola, mais Eddy secoua la tête désespérément.
— La Ville Lumière nous attend ! s’enthousiasma Luis. Nous touchons au but !
À ces mots, Luis et Stacy se levèrent d’un bond, unis par cet enthousiasme commun. Ils restèrent ainsi dressés au milieu de la salle à se regarder, surpris eux-mêmes par leur mouvement, un étrange sourire sur les lèvres. Le temps semblait s’être arrêté alors que Luis plongeait ses yeux dans ceux dans son amie. D’abord frappé par la dureté de ce regard qu’il avait déjà observé plus tôt, il nota maintenant quelque chose de plus doux, plus léger dans l’intensité de ses pupilles vertes. Quelque chose de plus profond aussi. Même son souffle paraissait s’être chargé d’un air purifié, d’une énergie nouvelle. Troublé par la puissance de ce face-à-face, Luis sentit le rythme de son coeur s’accélérer et une étrange chaleur monter en lui.
— Alors, on bouge ?
Luis et Stacy tournèrent la tête vers la voix qui avait brisé cet instant suspendu. De l’autre côté de la table, Eddy s’était levé à son tour et les dévisageait.
— Oui, acquiesça Luis, un peu gêné. Allons chercher nos affaires.
Il regarda à nouveau Stacy.
— Viens avec nous. Je ne veux plus qu’il t’arrive quoi que ce soit.
Elle maintint son sourire, peu soucieuse de gonfler ainsi l’énorme boursoufflure sur sa lèvre.
— T’inquiète pas. Personne ne me fera de mal, je te le promets.
Il fronça les sourcils.
— Comment peux-tu l’affirmer ?
— Parce que je l’ai décidé, répondit-elle simplement.
Luis l’observa, hésitant. Il ne voulait pas prendre le risque qu’elle subisse un autre malheur. Pourtant, le ton de son amie était résolu, et ses traits déterminés semblaient confirmer cette assurance. Une assurance qu’il ne lui avait plus connue depuis longtemps.
En fait, Stacy semblait totalement différente.
— Très bien, dit-il finalement. Mais s’il y a quoi que ce soit, tu cries et je descends !
Elle acquiesça joyeusement et les deux hommes montèrent à leur chambre pour préparer leur valise.
— Je trouve ça ridicule ! s’exclama brusquement Eddy en lançant un pantalon dans sa malle. Saugrenu ! Vous êtes devenus complètement dingues ! Les cordes sont des routes… Ce texte ne veut rien dire, ça saute aux yeux !
Luis s’assit près de la table.
— Eddy, tu es trop terre-à-terre. Louis XIV n’allait pas prendre le risque d’écrire mot pour mot le chemin à suivre, ce serait beaucoup trop accessible. Cette phrase est un code ! Les cordes sont symboliques !
— Et tu crois que Philippe V n’avait que ça à foutre ? Analyser des tableaux pour retrouver un truc dont il ignorait même l’existence ? C’est complètement insensé !
Il roula furieusement un tas d’habits en boule qu’il enfonça dans un coin libre de son bagage.
— Sûrement pas, reprit Luis d’un ton très calme. Sans doute Louis a-t-il informé son petit-fils avant de lui donner le tableau. Il l’a certainement aidé. Enfin… J’espère que non, tout de même.
Eddy lâcha sa trousse de toilette et se tourna vers Luis.
— Tu vois ! Tu sais même pas où ça nous mène ! Si vraiment il a aidé son petit-fils, il y a bien des chances qu’on ne trouve plus rien !
Et puis, puisque tu prétends que Louis l’a mis sur la piste, pourquoi ne lui aurait-il pas tout simplement dit de vive voix où était caché le trésor ?!
Luis soupira.
— Eddy, j’en sais rien du tout, s’il l’a aidé ! Peut-être que c’est pas le cas. L’or est peut-être toujours là où Charles Quint l’a entreposé.
— Mais c’est bien ça le problème : tu n’en sais rien ! On avance sur des hypothèses. C’est comme traverser un vieux pont de cordes avec un camion : à un moment, on va se casser la gueule !
Luis le toisa sévèrement.
— Et bien, justement ! Si j’ai trouvé cet indice, c’est grâce à mes hypothèses. Toi qui ne me croyais pas — et tu avais de bonnes raisons — maintenant, tu dois bien admettre que tu t’étais trompé ?
Eddy ne répondit pas. Il avait cessé de jeter ses affaires et le dévisageait, immobile. Luis reprit.
— Tu ne voulais pas continuer sans indice concret, et je te comprends. N’importe qui aurait pris la même décision que toi. Mais maintenant, il est là !
Luis désigna son sac d’un geste de la main.
— Nous avons notre indice !
Eddy lui lança un regard froid et se détourna.
— Tu parles d’un indice concret ! Il est aussi concret qu’un billet de loterie, ouais !
— Eddy, bon sang !
Luis se mit à faire des allers-retours au milieu de la pièce, tâchant de contenir son agacement.
— Comment peux-tu être aussi buté ?!
— Ça vaut aussi pour toi, marmonna Eddy en fermant ses bagages.
— Qu’est-ce qu’il faut pour te convaincre ?
Luis resta prostré à mi-chemin entre Eddy et la table, les paumes tendues devant lui.
— Merde, Ed ! Je l’ai pas inventée, cette phrase ! On doit juste réussir à la comprendre.
Son ami fit volte-face.
— Juste ? On peut partir dans tous les sens avec ce texte ! Ça ne nous mènera nulle part !
Luis allait répondre, mais Eddy ne lui en laissa pas le temps.
— D’ailleurs, toi qui es si expert en histoire, tu devrais savoir que la Place de la Concorde n’existait pas en 1700 !
Là, Luis se figea sur place, la bouche entrouverte. Il dévisagea son ami comme si ce dernier venait de lui annoncer la fin du monde, puis reprit ses esprits.
— Qu’est-ce que t’as dit ?
Eddy ne répondit pas tout de suite mais fixait son ami, les yeux grands ouverts.
— Non, attends… Tu vas pas me dire que tu savais pas ?
Luis secoua la tête.
— Je connais pas mal de choses sur les événements historiques, mais l’urbanisme est une autre affaire. Tu dis que la Concorde n’existait pas en 1700 ?
— Évidemment, confirma Eddy en s’asseyant sur son lit. À l’époque, les seules choses qui concordaient là-bas, c’étaient des égouts qui allaient se déverser dans la Seine. Le projet de la place ne fut initié qu’au milieu du 18e siècle, bien après la mort de Louis XIV.
D’ailleurs, quand le chantier fut achevé quinze ans plus tard, c’est sous le nom de Place de Louis XV qu’elle a été inaugurée. C’est en l’honneur de ce roi qu’elle a été aménagée.
Luis resta stupéfait.
Place de Louis XV.
Il était donc impossible que Louis XIV s’inspire de la Concorde pour l’indice.
— Ça m’étonnerait que vous trouviez quoi que ce soit là-bas, reprit Eddy. Et puis, vous parliez de l’obélisque… Peut-être ignores-tu également que celui-ci ne fut amené de Louxor qu’au 19e siècle seulement ?
Au contraire, Luis connaissait ce détail, mais il l’avait complètement oublié tout à l’heure, emporté par son euphorie.
Toujours réfléchir au moins deux fois avant d’agir, se sermonna-t-il alors.
— Où as-tu appris tout ça ? demanda finalement Luis, surpris des notions de son ami.
Eddy haussa les épaules.
— J’ai eu l’occasion d’explorer ces éléments durant mes études.
Ils se regardèrent quelques instants, puis Luis alla s’asseoir vers la table, l’air pensif.
— Donc, le trésor n’est pas là-bas, dit-il. Ça change tout…
— Un peu, oui. Ou bien il s’y trouvait bel et bien, mais a ensuite été découvert lors de l’aménagement de la Concorde.
Luis secoua la tête.
— Non, c’est impossible. Jamais un roi sensé ne l’aurait enfoui au coeur d’un quartier populaire. Et puis, maintenant que j’y pense, l’or se trouve en Espagne, pas à Paris !
— Ça, c’est sûr… confirma Eddy. Mais si ton machin dit vrai, la place pourrait abriter un second indice.
— Non. T’as raison, Ed. La Place de la Concorde est un mauvais plan. C’est chronologiquement incompatible.
Eddy observa calmement son ami pendant que celui-ci cherchait un nouveau sens à la phrase mystérieuse, profondément plongé dans sa réflexion.
Deux petites cordes réunies concordent vers le bonheur conquis…
— Et… qu’est-ce que tu proposes ? se risqua Eddy au bout de quelques minutes.
Luis s’était muré dans le silence. Une multitude d’idées lui passait dans la tête, mais aucune ne collait aux mots de l’énigme. Ainsi, pendant de longues minutes, il se répétait lentement cette phrase pour lui-même, à voix basse, jetant parfois un oeil par la fenêtre avant de le ramener très vite sur la table, devant lui. Au bout d’un moment, Eddy finit par s’agacer.
— Le bonheur conquis, je veux bien qu’il s’agisse du trésor, mais pour ce qui est du reste… Je crois vraiment que je vais vous laisser…
Tout à coup, le regard de Luis s’alluma.
— Eddy !
Luis avait littéralement crié, faisant sursauter son ami qui ne put s’empêcher d’imaginer qu’il avait à nouveau inventé une idée bizarre.
— Où as-tu trouvé ça ? demanda Luis, tout excité.
Eddy regarda le petit papier brillant que l’ancien policier agitait du bout des doigts. Il s’agissait d’un flyer pour un concert de musique classique, illustré d’un ensemble de quatre instruments : deux violons, un alto et un violoncelle.
— C’était sur des tables, à la Place de l’Orient. Tu sais comme j’aime la musique, je me suis dit que ce serait sympa d’y aller. Mais tu étais tellement envoûté par tes histoires de tableau l’autre jour que tu m’as même pas laissé le temps de t’en parler.
À cet instant, Luis se rappela lui avoir arraché un flyer des mains, l’autre soir, avant de lui raconter ses découvertes au sujet du tableau de Rigaud.
— Non, mais… Ed ! dit-il en secouant le flyer devant lui. Te rendstu compte de ce que c’est ?
— Évidemment ! C’est le Quartet Palatin, le plus exceptionnel ensemble de Stradivarius au monde ! C’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, Luis !
— Exactement ! C’est le Quartet Palatin, aussi nommé Quartet Royal. Philippe V devait ramener ces instruments en Espagne en juillet 1702. Tu ne trouves pas ça surprenant ?
— Pas plus que ça. Ce qui est véritablement fascinant avec cet ensemble, c’est que…
— Réfléchis ! l’interrompit Luis en se levant. Juillet 1702 ! C’est environ une année et demi après l’accession au trône de Philippe V, et quelques mois seulement après l’achèvement du portrait de Louis XIV par Rigaud ! Le Roi-Soleil a sûrement demandé à Antonio Stradivari d’inscrire un indice sur les instruments avant de les confier à son petit-fils !
Eddy suivit du regard son ami qui tournait en rond au milieu de la chambre.
— Qu’est-ce que tu racontes encore, mon vieux ? Ces instruments ont été fabriqués au XVIIe siècle, Charles II n’était même pas mort à ce moment-là. Arrête d’échafauder des théories farfelues, il n’y a aucun rapport entre l’indice du tableau et ce quartet !
— Faux ! Les deux violons sont tous les deux datés autour de 1700, Ed.
Luis s’approcha de lui et brandit le petit morceau de papier glacé devant lui, désignant du doigt les deux violons qui y figuraient.
— Regarde !
Un court silence plana dans la chambre, puis Eddy s’illumina.
— Les deux petites cordes…
Aussitôt, les deux hommes regagnèrent d’un pas vif le hall d’entrée, une bonne demi-heure après avoir laissé Stacy seule près de la réception.
— Et bien ! s’exclama-t-elle, narquoise. Vous en avez mis du temps !
Son visage changea soudainement d’allure.
— Où sont vos valises ?
— Changement de programme, déclara Luis. La Place de la Concorde est trop récente, mais nous avons une piste.
Il déploya le flyer sous les yeux de son amie.
— Oui ! Et je crois bien que c’est la bonne, cette fois-ci, renchérit Eddy, l’air jovial.
Stacy attrapa le petit papier et le parcourut rapidement.
— Je ne comprends pas.
— Je vais faire simple, dit Luis. Après avoir accepté le testament de Charles II, Louis XIV commande le portrait à Rigaud en lui imposant d’y inscrire la mystérieuse phrase. Mais le roi conserve finalement ce tableau pour lui et en demande un second, parfaitement identique, lequel sera ensuite acheminé jusqu’à Madrid. A-t-il fait noter le texte sur celui-ci aussi ? Sans doute. Quoi qu’il en soit, l’énigme ne signifie rien toute seule, elle renvoie au vrai support où est indiquée la position du trésor, à savoir ce quartet d’Antonio Stradivari, célèbre pour les magnifiques ornements peints dessus.
Il désigna la photo sur le flyer.
— Rien de ce que j’avance là n’est prouvé, mais tout porte à croire que les événements se sont déroulés ainsi. Louis XIV demande donc au célèbre luthier d’inscrire une part de l’emplacement de l’or sur chacun des deux violons, les fameuses petites cordes. En 1702, Philippe V se rend à Crémone — là où se trouvent les ateliers de Stradivari — pour y chercher les instruments. Mais, à cause de la guerre de succession d’Espagne, les autorités de Crémone ne laissent pas le souverain espagnol emporter ces joyaux, et c’est l’un de ses descendants qui les recevra, plusieurs dizaines d’années plus tard.
Néanmoins, personne ne fera plus jamais le lien entre le portrait de Louis XIV et les violons du Quartet Palatin. Plus personne jusqu’à aujourd’hui !
Stacy fixa Luis, puis Eddy. Tous deux étaient dans un état de joie surnaturelle, envahi d’excitation débordante.
— Mais, pourquoi les violons ? demanda-t-elle alors. Il y a quatre instruments…
— L’énigme, répondit Luis. Les deux petites cordes sont les deux violons. C’est une métaphore.
Stacy réfléchit quelques secondes avant de s’interroger à nouveau.
— Mais alors, pourquoi ne pas avoir utilisé les quatre instruments ?
Il lui attrapa la main.
— Réfléchis. Comment indique-t-on un lieu sur une carte ?
La réponse lui vint aussitôt.
— Avec une coordonnée, dit-elle sans comprendre le lien avec le Quartet Palatin.
— Exactement ! Et de quoi sont faites les coordonnées ?
— D’une latitude et d’une longitude, intervint Eddy, emballé.
Tous deux l’observèrent pendant qu’elle remontait le raisonnement dans sa tête.
— Une latitude et une longitude. Une paire de chiffres, deux violons… C’est bien vu, les gars ! Et tout ça nous conduit…
— Au bonheur conquis ! Le trésor !
Un immense sourire se dessina sur le visage de Stacy, effaçant les traces des coups qu’elle portait.
— Vous êtes incroyables ! Et c’est donc…
Elle baissa les yeux vers le flyer.
— Un concert, acheva Eddy. Au Palais Royal. C’est là que nous examinerons les violons.
Le soleil brillait encore sur la capitale espagnole, lançant les ombres allongées des immeubles par-dessus les rues. Sur la Plaza de Oriente, l’imposante silhouette du Palacio Real s’étirait contre les massifs de végétation soigneusement taillés autour de la fontaine de Philippe IV qui, bientôt, se trouvera plongée dans la fraîcheur naissante du soir.
Sur le bord de la place, les trois Américains s’étaient installés sous la frondaison des arbres enflammés par l’automne et s’apprêtaient à revoir une dernière fois leur plan d’action. De là, ils avaient une vue parfaite sur l’immensité du Palais.
Quelque part là-dedans se cache la clé de notre trésor, songea Luis en ouvrant un dépliant sur la table. Eddy avait obtenu le document la veille lorsqu’il s’était rendu au Palacio Real. Le plan imprimé à l’intérieur n’était malheureusement pas très détaillé et expliquait seulement où se situaient les accès pour la visite. Eddy pouvait toutefois sans problème retrouver sur l’illustration les différents lieux qui les intéressaient puisqu’il y était déjà venu.
Luis attira l’attention de ses amis sur le fascicule.
— Rappelle-nous où sont les salles que nous devons explorer, Ed.
Eddy pointa son index sur la façade principale du palais, celle qui donnait sur la Plaza de la Armería. D’un léger mouvement circulaire, il désigna une petite zone qui se trouvait près de l’un des angles, du côté du patio intérieur.
— Le concert a lieu ici, dans la Sala de Columnas, expliqua-t-il. La Salle des Colonnes. Vous verrez, c’est une immense salle ! La décoration est d’une richesse ! Il y a plein de…
Luis tendit une main devant lui pour arrêter son ami.
— Laisse tomber les détails, on n’aura pas le temps d’admirer toutça.
Eddy parut profondément déçu par cette intervention, mais il finit par acquiescer et poursuivit.
— Donc, c’est là que nous devrons être à 20 h, lorsque le concert débutera. Les violons, quant à eux, se trouvent dans une salle, juste là.
À cet instant, au lieu d’indiquer le plan, Eddy tendit son bras devant lui et montra la fantastique façade qui donnait sur la Plaza de Oriente.
— L’antichambre de la reine Marie-Christine. De là, la vue sur la place est imprenable.
Stacy fronça les sourcils.
— Si les volets étaient ouverts, peut-être…
Luis observa les hautes fenêtres du premier étage, toutes fermées par les panneaux de bois blancs. Les violons se trouvaient juste derrière, à quelques mètres de cette terrasse où ils discutaient en ce moment…
Si seulement on pouvait entrer par ici, se désola-t-il.
Devant lui, l’impressionnante bâtisse néoclassique semblait le narguer de la même façon que l’autre jour où, impuissant, il s’était laissé abattre au pied de sa façade.
— Pour atteindre cette salle, poursuivit Eddy, arrachant son ami à ces souvenirs douloureux, nous devons traverser le reste du palais. Le chemin de la visite est entièrement tracé et effectue le tour complet du Patio del Principe, la cour centrale.
De son doigt, il suivit sur le dépliant chacune des ailes du bâtiment, s’arrêtant sur la partie qui abritait l’antichambre. Après quelques secondes, Luis désigna à son tour le plan.
— Ne peut-on pas couper au plus court et passer directement par l’angle donnant sur la Calle de Bailén ? Ça nous éviterait de faire ce détour inutile.
Eddy secoua la tête.
— Je pense pas. Techniquement, c’est possible, il y a une galerie qui ouvre sur le patio depuis l’étage en en parcourant le tour.
Seulement, il risque bien d’être très surveillé puisque c’est sans doute par là qu’ils passeront avec les violons.
Un silence s’installa entre eux, témoin de l’incertitude qui planait sur leur projet.
— Quoi qu’il en soit, reprit Eddy, une des premières choses à faire une fois dans ce palais sera d’aller voir l’antichambre de la reine. Les instruments sont rangés dans des vitrines en bois, mais je ne sais pas comment elles s’ouvrent. Elles sont sans doute sous sécurité. Nous devons découvrir ce qu’il en est pour évaluer nos possibilités d’actions.
— Oui, mais cette antichambre risque de fermer plus tôt, souligna Stacy. Ils doivent probablement préparer le quartet pour le concert.
— C’est pour ça qu’on doit absolument y entrer au moins deux heures avant. À 18 h, nous devons être dans le palais.
Luis s’assura que tout était clair, et Eddy intervint.
— Jusque là, ça va. Pour la suite, par contre, je suis pas sûr d’avoir vraiment bien compris. Tu veux qu’on emporte les deux violons avec nous ?
Sa voix semblait marquée d’un ton affligé.
— Pas dans l’immédiat, répondit Luis. Dans un premier temps, il faudra qu’on observe attentivement les lieux. Ce n’est qu’une fois le concert terminé que nous passerons à l’action. Alors, nous devrons rejoindre le plus discrètement possible l’antichambre pour nous emparer des deux instruments.