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Le premier mai, un voyage plein de promesses commence pour Nala et son compagnon de route. Sous une pluie persistante, ils reprennent le chemin emprunté l’année précédente, traversant des villages animés par des excursions locales. Bien plus qu’une simple randonnée, ce périple, ponctué d’imprévus, les conduit finalement aux somptueux châteaux de la Loire, véritables joyaux de l’Histoire de France. À chaque étape, le voyage dévoile des paysages empreints de sérénité, faisant de cette aventure un hommage à la persévérance et à la magie des sentiers parcourus.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Au cours de son pèlerinage sur les chemins de Compostelle,
Christian Morisseau consigne avec soin les expériences marquantes de son voyage, destinées à ses petits-enfants. De ces écrits naît son ouvrage "L’Homme au chien blanc". Fidèle à cette démarche, il poursuit son exploration littéraire et revient avec "Les bords de la Loire à pied – De Cosne-sur-Loire à Nantes", une nouvelle invitation à la découverte et à la contemplation.
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Seitenzahl: 263
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Christian Morisseau
Les bords de la Loire à pied
De Cosne-sur-Loire à Nantes
© Lys Bleu Éditions – Christian Morisseau
ISBN : 979-10-422-5847-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En juin 2022, je suis parti de chez moi pour marcher vers les châteaux de la Loire. J’avais été pris pour un lapin de trois semaines par quelqu’un. J’avais préparé mon voyage un peu à l’arrache. Pour des raisons personnelles, je n’étais pas en grande forme physiquement, mais surtout mentale.
Me voilà parti mi-juin, j’ai beaucoup hésité à démarrer, la motivation n’était pas au rendez-vous. Je me suis forcé car il fallait que je change d’air et me changer les idées me ferait du bien. Me voilà donc parti vers le 10 juin sous un crachin chariot accroché au harnais et Nala en laisse. Nous traversons mon village dans le silence d’un matin de printemps. J’ai décidé de faire une petite étape pour le démarrage. La pluie stoppe, je marche depuis un petit moment. Je ne vais pas tarder à arriver à la chapelle du Serrein. Je m’arrêterai pour boire un café, je ne suis pas bien, pas vraiment envie de marcher. Cependant, je ne veux pas céder. Je marche, la pluie est revenue puis elle a stoppé pendant un moment. J’arrive en début d’après-midi à Marcollin, je connais un petit spot pour me poser cette nuit. Mon cerveau tourne à fond, l’envie n’est pas là, j’essaye de me motiver en me disant que c’est le premier jour, que demain cela ira mieux. Tout ce que je viens de vivre ces derniers mois repasse dans ma tête. Plus j’y réfléchis, plus je m’aperçois que cette aventure me laisse un goût terreux dans la bouche, et un sentiment de trahison. Je m’engueule en me disant de laisser tomber, de passer à autre chose, de ne pas me laisser polluer l’esprit, de réagir en quelque sorte. Allez haut-le-cœur ! Bon, pendant ce temps-là j’ai monté ma tente, rangé mes affaires. Nala a repris ses bonnes habitudes, elle est déjà dans la tente en train de dormir. Je me roule une clope, puis je me prépare à manger, je bouquine, mais la pluie revient assez forte, donc dodo, il va pleuvoir jusqu’à trois heures du matin. Je me lève vers six heures du matin, je plie le matos, puis je déjeune, le moral n’est toujours pas là. On part, et comme il a plu et que cela descend assez dur dans des galets pour arriver au cimetière de Marcollin, je fais très attention à ne pas tomber, surtout que j’ai le chariot qui pousse derrière. Je descends doucement en essayant de retenir le chariot en me penchant vers l’arrière, en plantant mes talons. Tout se passe bien, je me relaxe un peu.
À un moment, je fais un écart à cause d’un gros galet qui se trouve sur ma trajectoire, et là je pose mon pied sur un galet sans regarder. Je sens le caillou rouler sous ma chaussure, puis tout se passe très vite, ma jambe droite part dans un grand écart, l’autre jambe a du mal à suivre, je ne peux plus planter mes bâtons dans le sol et je me retrouve le cul par terre. J’ai senti mon genou droit avoir un léger craquement, craquement qui m’a irradié tout le genou d’une douleur atroce. Je gueule un bon coup, j’arrive à me relever, j’enlève le harnais, et je bouge ma jambe : plus de peur que de mal, je pense que j’ai dû heurter un galet un peu durement. Je repars ; tout a l’air de fonctionner. On traverse Marcollin puis nous voilà sur la plaine de Beaurepaire que l’on traverse en travers. Aujourd’hui soleil, il fait même chaud. J’ai décidé d’aller jusqu’à un lieu qui s’appelle « le château d’eau » car je sais que, dans ce coin, il se trouve une cabane de chasseur ouverte et qu’il y a de l’eau ; on devrait faire à peu près 25 bornes. Vers midi, on s’arrête pour manger. Au bout d’une heure, je décide de repartir, car il nous reste encore un bout de chemin à faire, le soleil a décidé de taper fort. En me levant, je ressens une douleur au genou qui est très dérangeante, elle ne va pas me quitter du reste de la journée. Jusqu’à présent, on n’a pas eu beaucoup d’ombre, il faut arriver vers Pisieu, où j’ai mangé au pied de l’église pour reprendre les coteaux et avoir grâce aux arbres un semblant de fraîcheur, mais cela ne dure pas. Après avoir grimpé la côte du cimetière de Pisieu et pris de l’eau, nous arrivons en haut du plateau pour prendre le GR65 chemin de Compostelle qui arrive de Genève, et qui de ce côté-là rejoint Arles. Plusieurs fois, nous nous sommes arrêtés à cause de mon genou et pour Nala. On a beaucoup bu, il me reste un litre d’eau et un bon kilomètre encore à faire quand on aperçoit le château d’eau. On arrive à la cabane de chasse qui ressemble plus à un préau avec une moitié de mur pour fermer le devant et un plateau de bois au-dessus. À l’intérieur se trouvent une table assez longue et des bancs, cela fera l’affaire pour la nuit. Je donne à boire à Nala qui est déjà couchée puis je remplis une gourde et je bois à mon tour. On s’installe pour la nuit. Vers 20 heures, on casse la croûte, je pensais être tranquille, mais erreur il y a beaucoup de monde ? surtout des mamies et papys, qui sortent leurs chiens. J’ai dû attacher Nala, car certains des clebs sont légèrement hargneux, surtout les petits, cela permet aussi de discuter. Puis petit à petit, le silence de la forêt reprend ses droits, on n’entend plus que les piaillements des oiseaux. Plus tard, on entendra tous les oiseaux prédateurs et les cris de leurs victimes. Viendra ensuite le tour des renards en chasse ainsi que d’autres animaux plus gros. Il ne faut pas croire, la campagne la nuit, ce n’est pas calme, entre ceux qui chassent, les chants des hiboux et chouettes, c’est un beau bordel ! Quand j’ai commencé à bivouaquer, j’ai été réveillé plus d’une fois et parfois avec la trouille. Je vais vous raconter une petite anecdote.
À l’époque, je crapahutais dans le Beaujolais au travers des vignes. Un soir, je m’étais installé dans une allée de vignes au milieu d’un champ. Vers deux ou trois heures du matin, je me réveille en sursaut, j’entends une belle cavalcade, je prends ma torche, j’ouvre ma tente et j’ai le temps de voir une bonne dizaine de sangliers. Là je me dis que j’ai eu de la chance… Imaginez qu’ils prennent l’allée où j’ai ma tente, je me serais retrouvé piétiné par un troupeau de sangliers ! Ce soir-là, je me recouche tout en me disant que je suis né finalement sous une bonne étoile. À peine trente secondes après, voilà que j’entends farfouiller du côté de l’ouverture de la tente… Je rallume ma torche, j’ouvre la fermeture éclair de la tente, je dirige la lampe vers la vigne et là je hurle comme un taré, je me retrouve nez à nez avec une grosse tête de sanglier. La pauvre bête a eu aussi peur que moi, elle s’est barrée en catastrophe. Pour me rendormir, cela a été short, c’étaient mes débuts en bivouac.
La soirée s’achevant tranquillement, l’heure de se coucher est arrivée, le marchand de sable passe, je ne mets pas longtemps à sombrer dans un sommeil réparateur. Tout à coup, vers minuit trente, je suis réveillé par deux voitures qui passent devant le chalet de chasse à fond la caisse, elles stoppent pratiquement tout de suite, je me lève d’un coup. Je sens Nala qui se redresse, je lui pose la main dessus, lui parle doucement ; j’entends des voix et des bruits bizarres.
— Couche-toi ! Ne bouge pas, dors !
Elle m’obéit. Je la sens qui se recouche, elle va se rendormir, ce qui va me sauver la vie, j’en suis sûr, vu les événements qui vont suivre. Je me lève et je m’approche doucement de la porte, je me cache derrière la poutre et je regarde. Je ne vois pas grand-chose, il fait nuit ; pas de lune pour éclairer, je pense aussi que je n’ai pas pris mes lunettes. J’aperçois quand même deux silhouettes et deux voitures. Je me demande ce qu’ils font, j’entends des bruits de ferraille, je retourne vers mon sac de couchage, je me dis qu’il faut mieux attendre sans faire de bruit car ils ne sont pas très loin. Le lendemain matin, je verrai qu’ils se sont posés à une centaine de mètres. Je me rallonge sans me mettre dans le sac de couchage, dans le noir je cherche mes bâtons, puis dans la poche de mon pantalon, je sors mon couteau que je déplie. À tâtons, sur le banc, je cherche ma gazeuse, je finis par la trouver je dispose tout cela autour de moi, on n’est jamais assez prudent, et j’attends. Cela va durer à peu près trois quarts d’heure, j’entends taper, scier, je me demande ce qu’ils foutent, ces abrutis. Quand tout à coup une explosion énorme retentit, puis la forêt s’éclaire, je vais pour me lever quand une des voitures démarre et s’arrête juste devant le chalet, alors là l’adrénaline monte. D’un seul coup, j’attrape la gazeuse. Nala lève la tête, je ne lui laisse pas le choix, je lui appuie dessus en lui disant tout bas :
— Ne bouge pas, ma fille !
Elle se recouche, elle n’a pas aboyé une seule fois, heureusement. C’est alors qu’une deuxième explosion retentit. Un mec monte dans la voiture et ils repartent à fond la caisse. Je regarde la deuxième voiture, elle est en feu, des flammes de plus de trois mètres s’élèvent dans le noir du ciel. J’appelle les pompiers, j’ai peur que le feu se propage. Les pompiers décrochent, j’explique ce qui arrive. Le pompier ne comprend pas tout, je recommence :
— Bon, je suis un randonneur, je suis à trois mètres d’un endroit qui se nomme le château d’eau entre Moissieu-sur-Dolon, Primarette sur le GR65.
— OK, j’ai compris. Je vais vous trianguler pour trouver le portable ! C’est bon, votre portable a borné, je vois où vous êtes, ne bougez pas, laissez votre portable allumé, je vais prévenir les pompiers de l’Isère, car moi je suis en Drôme, ils vont vous contacter.
— OK ! Dans combien de temps ?
— Dans un quart d’heure à peu près.
Je me rallonge, il est une heure trente, je reste allongé sur le dos, pensant que je vais rester éveillé. Finalement, je me rendors, quand tout à coup je suis réveillé par la sonnerie de mon téléphone.
— Oui, allo !
— Bonjour, ici les pompiers de l’Isère, je voudrais savoir où vous êtes exactement.
J’explique de nouveau où je suis. Le pompier met un peu plus de temps à me borner. Il me demande si cela brûle toujours, je confirme même si les flammes sont moins hautes.
— Bon, je vois où vous êtes. N’éteignez pas votre portable j’envoie une équipe.
— Dans combien de temps ?
— Dans dix minutes ou un quart d’heure, ils seront vers vous.
— OK, merci.
Je me rallonge, il est deux heures du matin. Comme la première fois, je me rendors, je sursaute à la sonnerie de mon portable comme tout à l’heure.
— Allo !
J’entends un pompier qui crie :
— Je ne trouve pas l’endroit, en plus je suis coincé, le camion ne passe pas.
— Attendez, je vais vous guider, laissez-moi le temps de prendre la carte, et mes lunettes et ma lampe.
La tête dans le cul, j’arrive à tout rassembler, mon genou me fait mal, je m’assois en étalant la carte sur la table.
— Bon OK, dites-moi où vous êtes ?
— Vers l’hôpital, on ne peut pas aller plus loin.
— OK, je vois sur la carte où vous êtes, vous avez dû vous tromper.
Vous n’êtes pas sur le bon chemin, vous avez pris un chemin de randonnée de pays, le GR65 est carrossable, prenez l’hôpital par la départementale D37A en dessous de l’Hôpital puis tournez à gauche et vous allez vous retrouver sur le GR65.
Je sens que le pompier s’énerve, il est trois heures… J’entends d’autres voix en arrière-plan, pas très cool… Du coup, le chauffeur me demande comment sont les flammes.
— Ben maintenant, elles sont dans l’habitacle du véhicule, plus très vigoureuses !
— Bon, j’avertis la gendarmerie, on laisse tomber. On verra cela demain, bonsoir et bonne fin de nuit !
— Merci. À vous aussi !
Je suis sur le cul : les pompiers s’en foutent et moi j’ai passé une nuit de merde. Il est quatre heures du matin, je me recouche et dors jusqu’à six heures du matin. C’est mon genou qui me réveille, il me fait mal. Je me lève, et après m’être habillé, je vais voir la carcasse du véhicule. Les visiteurs de la nuit ont posé la voiture sur des parpaings ! Je tourne autour et je comprends qu’ils ont scié le pot catalytique de la bagnole et foutu le feu pour effacer toutes traces. Je pense au gars qui, ce matin en partant au boulot, ne retrouvera pas sa voiture parce que deux abrutis la lui ont volée ! Eux forcément, ils ne bossent pas et préfèrent voler pour avoir de la thune. Cela me dégoûte un peu, je retourne vers mes affaires pour plier, je m’aperçois que je boite, en plus je suis très fatigué. Je déjeune, je n’ai plus de motivation. La nuit sans trop dormir, le stress, plus la peur pour mon genou me décident d’arrêter. Je plie mon matos avec le cafard, je suis au fond du trou. Les événements de la nuit sont la goutte d’eau de trop sans compter tout ce que j’ai eu depuis deux mois, tout cela fait que je n’ai pas le goût de continuer.
Je vais mettre un jour de plus pour rentrer, beaucoup de mes amis qui savent par internet veulent venir me chercher, surtout ceux du coin. Je refuse, je ne veux pas que l’on me voie dans cet état-là.
Pourtant le soleil tape dur, je boite, parfois je traîne la patte…
Plusieurs semaines sont passées, je suis allé passer une IRM. Résultat : cartilage abîmé ! Le chirurgien orthopédiste m’a demandé de ne pas faire d’efforts cette année, il m’a prescrit des semelles orthopédiques tout en me rassurant sur le fait que l’année prochaine je pourrais repartir.
Bon, c’est une bonne nouvelle, à l’année prochaine !
Météo de départ : couvert nuageux, avec des éclaircies, annonce de pluie pour le soir. Ensuite sur les 3 étapes regroupées : soleil, température élevée
1re étape Roybon/Marcollin le 1er mai 2023
2e étape Marcollin/le Chatelard le 2 mai 2023
3e étape le Chatelard/avant Clonas/Varèse
4e avant Clonas/Bessey
Lever 6 heures, départ 7 heures. Direction la plaine de Beaurepaire, le temps est encore couvert, ce qui permet d’avancer assez vite. J’ai décidé de couper l’étape en deux, à cause de ce qui est arrivé l’année dernière avec la voiture brûlée. Cela fera deux petites étapes et ne portera pas à conséquence ; sur la longueur du parcours, on arrivera à rattraper le temps perdu. Vers midi, j’arrive à Pisieu, on mange devant l’église, il fait un peu frais. Nous restons là une petite heure, puis nous reprenons le chemin, qui monte assez dur d’abord le long du cimetière où je prends de l’eau. Arrivés en haut de cette montée, nous débouchons sur un plateau où se trouve un chemin de Compostelle que nous allons suivre plusieurs jours. Le soir, on s’est posé à un endroit que je connais, sous un gros chêne en bordure du chemin. En 2020, entre deux confinements, j’étais venu faire du repérage pour un voyage que je projetais de faire vers le mont Saint-Michel. À l’époque, il y avait des arbres fruitiers en pagaille, quelle ne fut ma surprise de voir que tout avait été détruit, pour certains coupés et pour d’autres arrachés !
En plus, le boulot avait été fait à l’arrache, toute l’armature en fer n’avait pas été enlevée, même les plastiques étaient restés. On aurait dit qu’une bombe avait explosé. Pourquoi cela ? Je n’en sais rien, mais j’étais dégoûté. J’ai passé la nuit-là, au matin vers 7 heures, nous sommes repartis. Aujourd’hui, je traverse le Rhône, nous allons passer dans la Loire, et attaquer le Pilat, mais surtout des montées très raides. Hier, j’ai rencontré un groupe d’Allemandes, elles n’ont pas supporté le soleil, elles commençaient à ressembler à des écrevisses. Le soleil commence à taper dur, mais on avance bien. L’eau diminue, il me reste une gourde d’un litre, mais je ne m’affole pas car je sais que je vais en trouver à Varèse, je n’en suis plus très loin. On finit par arriver à Varèse, il est encore tôt dans la matinée, je vais directement aux WC publics. Surprise ! la porte est fermée. Comme on est aux alentours de neuf heures, je pense qu’ils n’ont pas été ouverts, je me dirige vers le café pour en boire un et poser la question du pourquoi ces WC sont fermés. Je connais le café un peu vieillot de ce village, la dernière fois que je suis passé là, j’ai bu un kawa, et acheté du pain, opération que je vais renouveler. Je me rappelle aussi que le patron n’était pas très aimable. Je rentre dans le troquet qui n’a pas changé, sauf que cette année, derrière le comptoir, je trouve une dame très agréable, je lui commande un café et j’achète du pain.
J’engage la conversation, et j’en viens à l’eau, et au WC fermé.
— Pour l’eau, je vous dépanne. Allez chercher vos gourdes.
Je reviens avec mes gourdes. Au comptoir, il y a un vieux qui me regarde :
— Le chiotte est fermé ?
— Oui !
Ils l’ont fermé au premier confinement, et depuis pas remis en service.
— Je veux bien, mais maintenant le confinement est terminé depuis longtemps et on est quand même sur un chemin de Compostelle…
La patronne du bar me redonne mes gourdes.
— Voilà ! Je vais vous donner un stylo et du papier, écrivez un mot en vous plaignant de ce contretemps.
J’ai écrit un mot où j’explique qu’aujourd’hui le Covid, c’est fini. Quand un pèlerin se pointe alors que sur son topo il est écrit qu’il y a de l’eau sur le village ; il serait bon de la trouver sinon cela ne vaut pas la peine de placer les coquilles du chemin de Compostelle.
Je mets le mot dans la boîte aux lettres de la mairie et je reprends le chemin. On marche tranquille, car je sais ce qui m’attend à la sortie de Chavanay qui se trouve de l’autre côté du Rhône. Il y a toute une portion entre Clonas et Chavanay, pas très chouette avec camp de gitans, lotissement, circulation, et portion non sécurisée surtout en passant au-dessus d’une voie de chemin de fer. Me voilà à Chavanay, je vois des bancs à l’entrée du bled, je décide de nous poser là pendant un petit moment. Il est dix heures, on va casser la croûte et prendre un peu de repos car le soleil tape dur. Nala s’installe à l’ombre du banc, je lui mets à boire et je m’assois sur le banc ce qui fera un plus d’ombre pour ma chienne. Cela fait une vingtaine de minutes que nous sommes là, quand je vois arriver des Anglaises, elles s’arrêtent à côté de moi, elles sont rouge écrevisse. Je ne peux pas échanger, elles ne parlent pas le français, enfin je les soupçonne de faire comme si elles ne comprenaient rien. J’ai un peu l’impression qu’elles se foutent de moi. J’ai bien essayé même avec Google, elles n’impriment pas, c’est bien la première fois. Je plie, on repart, elles me font signe, je réponds en levant mon bâton, je traverse le parc puis une rue où je m’arrête dans une épicerie pour faire des achats. On attaque la montée, heureusement une partie de cette montée se fera à l’ombre, d’abord sur du goudron, mais pas très longtemps, on vire à gauche et là on est dans la caillasse, on y sera tout le reste de la journée. Cela monte sec, le chariot parfois se bloque dans les pierres, il faut donner un coup de rein supplémentaire pour avancer, cela amène un peu de fatigue, je transpire comme un bœuf. Les Anglaises me doublent, je ne les reverrais plus.
En haut de cette première montée, se trouve une chapelle dont le nom m’échappe, très sympa avec une vue sur la vallée lyonnaise. On fait une halte de cinq minutes le temps de boire un coup et on repart ; encore une montée à affronter pour arriver sur un plateau à quelques kilomètres de Bessey où on dormira ce soir. Midi approche, je cherche un coin avec de l’ombre, en bordure du chemin. Je finis par trouver un coin, sous un gros prunellier, assez haut pour former un espace assez large en ombre. On se pose sous cet arbuste, qui me rappelle des souvenirs d’enfance. Cette variété que l’on appelle aussi épine noire fournit des baies comestibles bleues/noires qui, si vous les mangez, vous dessèchent la bouche d’un coup ; cela est très désagréable. Je donne à boire à Nala, puis des croquettes. Je finis par me poser et casser la croûte, comme d’habitude quand je marche, d’une pomme et d’un bout de pain. Derrière, je me roule une clope et j’attaque une sieste. Je suis réveillé par un bruit de pas et de conversation, un couple de randonneurs qui s’est posé pas très loin ! Je les salue, on discute un peu puis je range mes affaires, et nous voilà repartis. Le soleil tape, je regarde l’heure, il est treize heures trente, j’évalue le reste du trajet qu’il me reste à faire pour aujourd’hui : je devrais me poser vers quatorze heures trente donc dans une heure. J’encourage Nala, car elle n’aime pas trop le soleil et la chaleur. Plus d’ombre sur ce reste de trajet où l’on marche à travers champs pendant un moment puis le village apparaît. Nous sommes à Bessey, village que je connais, car je suis venu dans le coin en 2020 entre deux confinements. Je sais qu’il y a un abri pèlerins, genre préau fermé sur deux côtés avec une fontaine d’eau potable, une table et un banc. Nous traversons le village, qui est silencieux à cette heure, il est comme je l’avais prévu : quatorze trente. On se pose, je remplis la gamelle d’eau de Nala, avec de l’eau fraîche. J’attrape mon tabac, je me roule une clope, que j’allume, puis sors mon carnet de voyage et j’écris. Ma chienne est allongée sur la dalle de l’abri, et comme d’habitude elle fera des allers-retours entre l’ombre et le soleil. Dans l’après-midi une femme vient chercher de l’eau, elle regarde Nala qui, à ce moment-là, est en plein cagnard, elle me toise et m’adresse la parole sur un ton un peu agressif :
— Vous ne pouvez pas mettre votre chien à l’ombre ?
— Elle y était, elle fait ce qu’elle veut.
— Vous marchez, vous allez loin ?
— Oui, je suis en randonnée et je vais jusqu’à Nantes.
Et toujours sur le même ton :
— Mais vous êtes fou ! elle ne fera jamais ce trajet, vous allez la faire mourir. Les chiens ce n’est pas fait pour cela.
Elle commence sérieusement à me fatiguer, je pense que je ne vais pas tarder à l’envoyer sur les roses…
— Écoutez, je vais vous donner le palmarès de ma chienne, elle a fait Compostelle du moins la partie française, 850 km, plus à peu près 1200 km pour le mont Saint-Michel, etc. Qu’elle ait l’air fatiguée ce soir est bien normal puisqu’on vient de faire 25 km sous le soleil, demain elle sera en forme.
Elle va pour ouvrir la bouche. Je ne lui laisse pas le temps.
— Un chien a besoin de se dépenser, de courir, et pas d’être enfermé dans une maison ou une cour où il va tourner en rond et gueuler après chaque bruit. Des gens comme vous pensent que les animaux ont les mêmes besoins que les humains. Un animal est un animal, même s’il est intelligent. Ma chienne est heureuse de marcher, elle ne gueule pas pour n’importe quoi car dans sa tête elle est bien. Sur ce, Madame, bonne soirée !
Elle a tourné casaque en maugréant un discours que je n’ai pas compris, mais sûrement qu’elle m’a maudit…
Je vais finir par m’installer !
Ces quatre premières étapes rassemblées, je vais à partir de maintenant poursuivre mon voyage étape par étape.
Météo du 5 mai 2023 : frais le matin puis lourd, couvert, orageux, pluie en fin d’après-midi
Étape : Bessey/Saint-Julien-Molin-Mollette
Ce matin debout 6 heures, mal dormi ! Comme je n’ai pas monté la tente vu que j’étais sous l’abri et qu’il n’est fermé que sur deux côtés, un réverbère m’a fait de l’œil toute la nuit, sans compter les voitures qui passent, c’était assez short. Comme ce matin il y a moins de matos à plier, je prends un peu plus de temps pour boire mon café ; je pense à mettre deux barres de céréales dans ma poche de pantalon. Je fais cela, car le matin à 6 heures, rien ne passe à part mon café. Donc vers 9 heures je mange une barre de céréales tout en marchant, puis l’autre vers 10 heures à la pause avec de petites galettes bretonnes, racines obligent…
Je connais le coin jusqu’à Saint-Julien, et je sais ce qui m’attend, joli paysage, mais surtout deux montées costaudes, dont une Sainte Blandine qui est la plus ardue qui grimpe largement sur trois kilomètres. Enfin nous n’y sommes pas encore.
Le chemin aujourd’hui est un mélange de cailloux et de goudron, forcément les montées c’est du caillou et on approche de la montée de Sainte-Blandine. Je traverse un petit hameau, qui me donne l’avant-goût de la grimpette qui m’attend. Je file dans le village puis je vire à gauche en haut de la côte, voilà un peu de plat ! Comme ça fait du bien de marcher sur le plat ! Quelques mètres plus loin, le long de la rue face à une maison, je rencontre une mamie avec à ses pieds une bouteille de gaz ; je la salue, on engage la conversation. Elle me demande d’où je viens, où je vais. Je lui explique, puis je lui demande ce qu’elle fait au bord de la route avec sa bouteille de gaz.
— Je suis tombée en panne de gaz ce matin donc j’ai pris ma voiture et je suis allée en chercher une au village en bas. J’attends que quelqu’un passe pour lui demander de me la monter sur la gazinière.
Elle me raconte sa vie :
— Mon neveu était là de bonne heure, il m’a aidé à remettre mon mari dans le lit, il était tombé en fin de nuit, maintenant il est parti au boulot. C’est bien dommage, il aurait pu m’aider. Ce n’est quand même pas de chance, ma bouteille m’a lâchée après qu’il est parti, au moment où j’ai voulu faire chauffer mon café.
— Je vais vous le faire si vous voulez ?
— C’est gentil, mais je ne voudrais pas vous déranger.
— Ne vous tracassez pas, j’ai le temps !
Je défais mon harnais, rentre mon chariot dans la cour, j’attrape la bouteille et me voilà parti dans la cuisine avec la mamie aux basques. Et là je rentre dans une troisième dimension : un bordel incroyable, une table chargée de pots vides ou à moitié vides de matières où je ne voudrais pas mettre le nez, de verres sales, d’assiettes sales, des piles de rondelles et tout un tas d’objets hétéroclites qui n’auraient rien à faire là. On ne voit plus les dessins de la nappe ni sa couleur. L’évier est dans le même état, à côté de cet évier trône une cuisinière à bois qui ne doit plus servir depuis des lustres. De toute façon, on ne voit plus la plaque tellement elle est couverte de bidons contenant du produit pour laver ou pour le jardin. Les murs ont dû être un jour couleur coquille d’œuf, maintenant la couleur est indéfinissable. Tout à coup, j’entends une voix.
— Tu fais quoi, y a quelqu’un avec toi ?
— Oui, c’est un monsieur qui change la bouteille de gaz.
— Ah !
J’attrape de nouveau la bouteille pour la rapprocher de la gazinière et là je comprends que la porte qui est grande ouverte donne sur une chambre et c’est de là que retentit la voix d’un homme qui doit être son mari.
Je veux dévisser le bouchon de la bouteille de gaz, surprise, impossible de le faire bouger, je demande à cette brave dame si elle n’aurait pas un marteau et un bout de barre de fer. Elle revient avec ce que je lui ai demandé. Pendant vingt minutes, je bataille, rien à faire, le bouchon résiste, il doit être soudé. Un coup de gueule fuse à nouveau de la chambre, sans doute que je fais trop de bruit… Au bout d’un moment, je renonce et prends la décision de lui remettre la bouteille dans le coffre en lui expliquant d’aller la faire changer.
Je m’excuse de ne pas avoir été d’un grand secours. Elle me remercie et veut me payer un coup à boire, j’appréhende mais j’accepte. Elle sort une bouteille d’eau et un sirop de menthe ; je fais un ouf intérieur de soulagement, je n’aurais pas pu boire du pinard…
Je remets mon chariot puis je détache Nala et on repart. Voilà c’est aussi cela le chemin, les rencontres avec des gens, de petites aventures qui forment les souvenirs, qui vous font réfléchir sur la vie. D’ailleurs quand je repars je souris, une anecdote remonte dans ma tête, la voici. Il y a quelque temps de cela, j’ai vu un reportage à la télé, cela se passait dans les années soixante où un reporter interrogeait une classe de primaire en leur posant cette question « comment voyez-vous la société en l’an 2000 ? » Les mômes répondaient que les voitures voleraient, que nos repas seraient des pilules, etc. Je me disais qu’il faudrait retrouver ces mômes pour les amener dans la ferme de la mamie vérifier qu’ils étaient loin de la vérité à leur époque et qu’aujourd’hui, certains vivent encore comme leurs parents dans les années soixante.