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« Personne ne voulait de moi, un gamin de dix ans. Un de mes oncles a même dit que s’il fallait me prendre, il me prendrait, mais que je serais placé tout de suite. Placé, à l’époque, cela ne voulait pas dire dans un institut non, mais dans une ferme où j’aurais bossé comme un âne pour une soupe et un lit. Mon père a dû se retourner dans sa tombe à voir ses frères si compatissants. […] Ce que j’allais vivre dans les jours et les années à venir me marquerait à jamais. »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christian Morisseau a toujours eu un rapport particulier avec les mots pour lesquels il a développé une véritable affection et qui, aujourd’hui, lui servent d’exutoire. Avec "Cavan D767", il signe son deuxième livre.
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Seitenzahl: 128
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Christian Morisseau
Cavan D767
© Lys Bleu Éditions – Christian Morisseau
ISBN :979-10-422-0282-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
On est le mardi 24 août 1965, sur une petite route de Bretagne, entre Cavan et Lannion, dans les Côtes du Nord. C’est longtemps avant que la région change de nom. L’été tire à sa fin, depuis deux-trois jours, la météo est dégueulasse, il y a d’abord eu la tempête, puis des averses sont venues. Un temps de Toussaint, souvent les fins d’été sont un peu perturbées, avant que l’été indien revienne en septembre. On dirait que la Bretagne essaye de faire fuir les derniers touristes. Pour reprendre son calme. Sur cette petite route donc, roule, dans la direction de Lannion, une Simca 1500, avec trois personnes à bord, devant eux la camionnette d’une boulangère. Plus loin, pas encore visible, arrive un 19 tonnes-citerne qui transporte du vin. Les gendarmes ont croisé tous ces véhicules, aucun n’a retenu leur attention. Ils filent vers leur caserne, ils ont hâte d’arriver, la pluie les a accompagnés toute la journée sur leur surveillance de cette route. Comme les voitures qu’ils ont croisées, ils ne peuvent rouler bien vite, la pluie cache un peu la visibilité, puis ça glisse légèrement. Ils discutent entre eux de la journée qu’ils ont passé à faire des contrôles, à l’arrière de l’estafette. Un gendarme assis pense à sa mutation pour rejoindre sa région en bas de la France où il y a du soleil, il n’arrive pas à se faire au climat breton. Perdu dans ses pensées, il n’entend pas les premiers crachotements de la radio, il revient à lui quand il entend la voix du gendarme de garde les appeler pour un accident routier sur la commune de Cavan au lieu-dit kerbiquet. Son collègue est à la radio.
— Tu dis une Simca 1500, avec un camion.
— Affirmatif.
— On fait demi-tour.
Un des gendarmes appela la gendarmerie de la Roche Derrien en renfort, car la circulation était intense ce jour-là.
Quand les gendarmes arrivent sur le lieu de l’accident, les pompiers sont déjà là à pied d’œuvre, les gendarmes de la Roche Derrien arrivent également.
Un gendarme s’approche, tout en donnant des ordres aux autres pour la mise en place de la circulation. Puis il se dirige vers un pompier à genoux, près d’un corps allongé sur le bitume.
— Bonjour, c’est grave ?
— Assez. Là, c’est une jeune fille éjectée de la voiture qui est encastrée sous le camion, pour finir dans le fossé. Par contre, le chauffeur, les collègues sont en train de le désincarcérer, il a toute la colonne de direction plus une partie du tableau de bord dans le thorax.
Puis le gendarme cherche le responsable des pompiers, pour discuter avec lui. Deux ambulances arrivent, et un fourgon mortuaire. Les pompiers et un médecin se chargent du corps de la jeune fille, elle donne des signes de vie malgré les blessures graves à la tête. Le gendarme rejoint ses collègues, qui sont en train de faire les premières constatations. Un fourgon de pompier s’est approché au plus près du fossé où se trouve la voiture, le fourgon est un tube Citroën, un des premiers VSR. Dedans, il y a tout le matériel de désincarnation. Rien à voir avec le matériel d’aujourd’hui, il a des vérins avec une pompe à manuel, des écarteurs également manuels, des burins, et même un chalumeau. Les pompiers font leur travail avec concentration, ils savent que l’homme est mort sur le coup. Mais, à côté, il y a une femme vivante dans le coma, mais bien vivante malgré ses blessures, donc ils y vont en progression lente. Au bout d’un moment, l’avant de la voiture se dégage, les vérins ont soulevé la tôle. On dégage la femme, qui est suivie par le médecin qui tient une perfusion et ils vont vers la deuxième ambulance. La jeune fille a été stabilisée, le médecin fait un signe que les ambulances se dirigent vers l’hôpital de Lannion à toute allure. On finit par faire reculer le fourgon mortuaire au plus près à cause de certains automobilistes qui ralentissent, pour essayer de voir quelque chose. Auprès du chauffeur du camion se tient un gendarme qui recueille son témoignage.
— Je ne comprends pas, la voiture s’est retrouvée devant moi, je n’ai rien pu faire. Quand j’ai réagi, c’était trop tard, la voiture a défoncé l’avant gauche du camion, je n’ai vu qu’un corps éjecté de la voiture, puis plus rien. Vous vous rendez compte, mon moteur s’est soulevé de vingt centimètres, puis il finit sa course dans le fossé.
Le chauffeur est encore tout tremblant, tourne en rond, il n’arrive pas à se calmer. Le gendarme essaye de lui parler, en lui disant qu’ils ont compris qu’il n’y était pour rien, mais rien n’y fait.
— Mais la gamine est morte, le chauffeur aussi. Même si j’y suis pour rien, je vais vivre avec ça, c’est une famille non ?
— On pense oui, d’après les papiers que l’on a trouvés, dans le véhicule. Je suis désolé, mais il faut que vous restiez là encore un moment. On a déjà appelé votre entreprise, il va falloir que vous alliez à l’hôpital pour vérification puis vous pourrez rentrer. Ne vous tracassez pas, votre patron s’occupe de vous rapatrier chez vous. Entre-temps, le fourgon mortuaire est parti vers la morgue. Au loin, on entend un camion arriver, c’est une dépanneuse pour le Berlier. Derrière lui, il y a la dépanneuse du garage du village qui vient chercher la voiture. Les gendarmes ont effectué la fouille du véhicule, ramassé toutes les affaires pour pouvoir avoir les renseignements sur cette famille, car ils ont compris que dans cet accident se trouvent le père, la mère et la fille. Un des gendarmes est intrigué par le comportement d’une femme qui se trouve au bord de la route appuyée, sur une fourgonnette, il s’approche.
— Bonjour, vous avez vu quelque chose ?
— Oui et non, ils étaient derrière moi, quand j’ai mis mon clignotant à gauche et j’ai ralenti au maximum pour les laisser passer, je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé. La voiture s’est déportée puis boum !! Le camion est arrivé, tout cela en un rien de temps.
— Merci, donnez-moi votre nom et votre adresse. On aura peut-être besoin de vous revoir.
La femme ne sera jamais inquiétée, il n’y aura jamais de procès. On pense qu’elle a mis son clignotant au dernier moment, qu’elle a sûrement trop ralenti, peut-être à cause de la pluie, et mon père a été surpris, il s’est décalé peut-être de trop. On ne le saura jamais.
La voiture est déjà sur la dépanneuse, un des gendarmes donne des consignes au dépanneur, pour qu’il dépose le véhicule dans un endroit où ils pourront venir faire leurs constatations. Pour le camion, c’est autre chose, cela mettra plus de temps, il faut déjà que vienne un camion de l’entreprise, pour vider le vin de la citerne. La grande majorité des badauds sont partis, les gendarmes font leurs dernières vérifications, ils ont appelé la brigade pour les renseignements sur la famille si des fois il reste quelqu’un, ils ont trouvé des papiers d’identité. Puis tous les trois remontent dans l’estafette direction Lannion, autant prévenir leurs collègues de Lannion pour qu’ils commencent les recherches au plus vite. Sur la route, aucun des trois ne parle, ils ont beau avoir l’habitude de ce genre de situation, à chaque fois cela les choque.
À l’hôpital, les ambulances sont arrivées l’une derrière l’autre, le fourgon mortuaire un peu plus tard. Quand les ambulances se présentent à l’hôpital, il n’y a pas de service d’urgences comme aujourd’hui, les urgences datent de 1967. Les ambulances se présentent dans la cour, où accourent des religieuses qui font office encore d’infirmières, en 1965, c’était la norme. Le toubib et chauffeur de l’ambulance ouvre les portes arrière d’une Citroën DS, sort le premier brancard, les religieuses l’accompagnent le plus vite possible, des internes et des médecins s’occupent de la femme qui s’y trouve. Les religieuses plus une infirmière reviennent sur le parking pour prendre le deuxième brancard, mais quelque chose cloche, la porte de l’ambulance n’est pas ouverte, le médecin est appuyé, sur le capot du véhicule, il secoue la tête.
— Laissez tomber, on l’a perdue, on va faire le tour pour la déposer à la morgue. Son cœur a lâché, double fracture du crâne, aucune chance, putain vingt ans !
Les religieuses et l’infirmière se retirent sans bruit, elles retournent vers la survivante de cet accident pour lui prodiguer tous les soins nécessaires à sa survie. Le crachin redouble, le vent se lève légèrement, les nuages gris noir se rassemblent, cette fin d’été ressemblait de plus en plus à un temps de Toussaint, une des religieuses, en passant la porte, frissonna, entre ses lèvres, elle adressa une prière pour les deux morts.
Je suis à genoux sur la chaise de la salle à manger et, par la fenêtre, je guette l’arrivée de la voiture de mes parents. Pour l’instant, pas de véhicule en vue, je ne me tracasse pas, j’ai dix ans, toute la vie devant moi. Mon frère Michel rentre, il a été vendre le poisson qu’ils ont pris avec mon père. Ce matin, le temps était plus calme, donc ils sont sortis en mer pour aller chercher les filets, qui étaient bloqués en mer depuis trois jours à cause de la tempête, qui a sévi.
Il faut que je vous parle de mon père.
Mon père, d’après son livret militaire, mesure 1.67 m. Il devait peser dans les 90 kg. Depuis l’âge de vingt-deux ans, il a les cheveux blancs, pourquoi, je ne le sais pas. Il est né octobre 1916, voilà pour son physique, et son état civil, voyons son caractère.
Un caractère fort, une petite anecdote. Quand nous sommes arrivés sur trestel, mon père voulait un bateau. Ma mère n’était pas très enthousiasme, car ils venaient de subir une grosse faillite, un an en arrière, mon père avait perdu sa boîte à Laval. Une entreprise de plâtrerie, importante pour l’époque, il n’y avait pas loin 120 ouvriers. Donc l’argent manquait un peu, même si, nous, nous ne manquions de rien. Alors, pour réussir à convaincre ma mère, il a pris une décision, du jour au lendemain, il a arrêté de fumer, pour mettre de côté l’argent des cigarettes. C’était un gros fumeur de Gauloise bleue sans filtre, et il a eu son bateau, qu’il a baptisé « LA MARIE-JO ». Un petit cotre avec voile et moteur central. Quand on réfléchit au prix des clopes en 1965 et aujourd’hui en 2020, la vie était quand même plus cool.
Question vestimentaire, c’était assez folklorique, été comme hiver, chaussettes de laine tricotées par ma grand-mère, car il avait les pieds fragiles. Chaussure, l’hiver, espadrille l’été avec chaussettes de laine bien sûr. Moi je l’ai toujours connu avec deux gilets, un vert ou un gris en laine sans forme. Il y avait une chose qui m’intriguait quand j’étais môme, mon père sous sa chemise s’enroulait dans une bande de flanelle assez longue pour protéger son dos, car il était fragile du dos. Un pantalon en tergal noir, où ma mère cousait sur le côté droit de la jambe de pantalon, une poche pour son mètre à branche en alu, qui ne le quittait jamais. À l’occasion, quand on faisait quelques bêtises, il dépliait deux branches pour vous rappeler à l’ordre, sur les cuisses cela ne fait pas de bien (je n’en suis pas traumatisé loin de là). Cheveux coupés courts en brosse, et quand il faisait froid une veste canadienne qui était la veste de tous les ouvriers de l’époque.
Comme je l’ai écrit plus haut, mon père avait un fort caractère, un peu grande gueule, peur de rien et très gonflé. Je pourrais vous raconter plein d’anecdotes, comme celle-ci par exemple. Quand il était l’entrepreneur, son matériel était marqué à ses initiales MF, peintes en vert. Il avait toujours un pot de peinture verte et un pinceau dans le coffre de sa voiture, et quand sur les chantiers il voyait un seau une pelle, sans rien dessus, vous pouviez être sûrs que lui sortait son pinceau et sa peinture, et que 5 min plus tard le matériel s’appelait MF. Étant gamin, je traînais quelques fois avec lui, sur les chantiers, et j’ai assisté à de belles engueulades avec d’autres artisans.
Mon père avait aussi des défauts, comme chacun de nous. Son plus gros défaut, ce fut, je le pense, les femmes. Il sautait sur tout ce qui bougeait, ma mère en a souffert. On le découvrira, un peu plus tard, dans le tiroir de sa table de nuit. La fête aussi, il aimait cela d’ailleurs, c’est comme cela qu’il a perdu son entreprise, un hiver 1963 très froid, avec un chantier important d’hlm sur Sablé. Le froid n’est pas copain avec le plâtre, surtout qu’à l’époque les antigels pour les matériaux n’existaient pas encore, donc beaucoup de journées d’intempéries, donc moins de rentrées d’argent, donc de trésorerie en baisse. Mais surtout, mon père était un peu truand sur les bords surtout avec ses concurrents, qui en ont eu marre de se faire avoir et ont fini par le coincer. Ils se sont vengés pour pouvoir reprendre la main sur les marchés du bâtiment, qui sortaient sur trois départements limitrophes à la Mayenne. Les nanas la fête, le cocktail a explosé, mon père avec. Pourtant, il avait beaucoup d’amis, il a été aussi président de la chambre des métiers de Laval, il siégeait au tribunal des prud’hommes. Des amis, il en avait à la pelle, même le dimanche au moment de la chasse, il louait une forêt et invitait d’autres chasseurs de ses amis, ou nous on voyait des architectes, des notaires, etc. … Comme d’habitude, quand il vous arrive une couille importante, le vide se fait très vite autour de vous. Même les marchands de matériaux ne voulaient plus avancer de matériel. Là aussi, une faillite en 1965 est différente qu’aujourd’hui. On vous saisissait tous vos biens, voiture, maison, matériel, bien personnel, tout quoi. Aujourd’hui, on ne touche plus au bien propre et à la maison. Je me rappelle les huissiers qui ont débarqué, à la maison, mon père les suivait de près. Je me rappelle surtout quand un des huissiers se retourne vers mon père, pour lui demander.
— Monsieur Morisseau, là il y a trace d’un tableau, où est-il ?
Invariablement, mon père répondait :
— Je l’ai vendu, il faut bien que l’on mange, j’ai trois enfants à la maison !
En vérité, mon père avait eu vent du jour où les huissiers et le syndic viendraient. Cela lui a donné le temps de cacher des affaires, mais surtout du matériel.