Les Cent Vingt Journées de Sodome - Marquis de Sade - E-Book

Les Cent Vingt Journées de Sodome E-Book

MARQUIS DE SADE

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Beschreibung

Les Cent Vingt Journées de Sodome est un ouvrage majeur de la littérature érotique et philosophique, écrit par le célèbre Marquis de Sade. Publié pour la première fois en 1904, ce roman sulfureux et controversé raconte l'histoire de quatre riches libertins qui se retirent dans un château isolé pour assouvir leurs désirs les plus pervers.
Au cours de ces cent vingt journées, les protagonistes se livrent à des orgies dépravées, des actes de violence et de cruauté, et explorent les limites de la dépravation humaine. Le récit est ponctué de réflexions philosophiques sur la nature de la morale, du pouvoir et de la liberté sexuelle, ce qui en fait une œuvre profondément subversive et provocante.
Les Cent Vingt Journées de Sodome est un livre qui a suscité de vives réactions depuis sa publication, et il continue à fasciner et à choquer les lecteurs du monde entier. Il est considéré comme l'une des œuvres les plus radicales et les plus transgressives de la littérature occidentale, et demeure un incontournable pour ceux qui s'intéressent à l'exploration des tabous et des limites de l'humanité.
Extrait : "Les guerres considérables que Louis XIV eut à soutenir pendant le cours de son règne, en épuisant les finances de l'Etat et les facultés du peuple, trouvèrent pourtant le secret d'enrichir une énorme quantité de ces sangsues toujours à l'affût des calamités publiques qu'ils font naître au lieu d'apaiser, et cela pour être à même d'en profiter avec plus d'avantages."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Introduction

Les guerres considérables que Louis XIV eut à soutenir pendant le cours de son règne, en épuisant les finances de l’État et les facultés du peuple, trouvèrent pourtant le secret d’enrichir une énorme quantité de ces sangsues toujours à l’affût des calamités publiques qu’ils font naître au lieu d’apaiser, et cela pour être à même d’en profiter avec plus d’avantages. La fin de ce règne, si sublime d’ailleurs, est peut-être une des époques de l’empire français où l’on vit le plus de ces fortunes obscures qui n’éclatent que par un luxe et des débauches aussi sourdes qu’elles. C’était vers la fin de ce règne et peu avant que le Régent eût essayé, par ce fameux tribunal connu sous le nom de Chambre de Justice, de faire rendre gorge à cette multitude de traitants, que quatre d’entre eux imaginèrent la singulière partie de débauche dont nous allons rendre compte.

Ce serait à tort que l’on imaginerait que la roture seule s’était occupée de cette maltôte ; elle avait à sa tête de très grands seigneurs. Le duc de Blangis et son frère l’évêque de…, qui tous deux y avaient fait des fortunes immenses, sont des preuves incontestables que la noblesse ne négligeait pas plus que les autres les moyens de s’enrichir par cette voie. Ces deux illustres personnages, intimement liés et de plaisirs et d’affaires avec le célèbre Durcet et le président de Curval, furent les premiers qui imaginèrent la débauche dont nous écrivons l’histoire, et l’ayant communiquée à ces deux amis, tous quatre composèrent les acteurs de ces fameuses orgies.

Depuis plus de six ans ces quatre libertins, qu’unissait une conformité de richesses et de goûts, avaient imaginé de resserrer leurs liens par des alliances où la débauche avait bien plus de part qu’aucun des autres motifs qui fondent ordinairement ces liens ; et voilà quels avaient été leurs arrangements. Le duc de Blangis, veuf de trois femmes, de l’une desquelles il lui restait deux filles, ayant reconnu que le président de Curval avait quelque envie d’épouser l’aînée de ces filles, malgré les familiarités qu’il savait très bien que son père s’était permises avec elle, le duc, dis-je, imagina tout d’un coup cette triple alliance. « Vous voulez Julie pour épouse, dit-il à Curval ; je vous la donne sans balancer et je ne mets qu’une condition : c’est que vous n’en serez point jaloux, qu’elle continuera, quoique votre femme, à avoir pour moi les mêmes complaisances qu’elle a toujours eues, et, de plus, que vous joindrez à moi pour déterminer notre ami commun Durcet de me donner sa fille Constance, pour laquelle je vous avoue que j’ai conçu à peu près les mêmes sentiments que vous avez formés pour Julie. – Mais, dit Curval, vous n’ignorez pas sans doute que Durcet, aussi libertin que vous… – Je sais tout ce qu’on peut savoir, reprit le duc. Est-ce à notre âge et avec notre façon de penser que des choses comme cela arrêtent ? Croyez-vous que je veuille une femme pour en faire ma maîtresse ? Je la veux pour servir mes caprices, pour voiler, pour couvrir une infinité de petites débauches secrètes que le manteau de l’hymen enveloppe à merveille. En un mot, je la veux comme vous voulez ma fille : croyez-vous que j’ignore et votre but et vos désirs ? Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves ; leur qualité d’épouses les rend plus soumises que des maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous goûtons. »

Sur ces entrefaites Durcet entra. Les deux amis lui rendirent compte de leur conversation, et le traitant, enchanté d’une ouverture qui le mettait à même d’avouer les sentiments qu’il avait également conçus pour Adélaïde, fille du président, accepta le duc pour son gendre aux conditions qu’il deviendrait celui de Curval. Les trois mariages ne tardèrent pas à se conclure, les dots furent immenses et les clauses égales. Le président, aussi coupable que ses deux amis, avait, sans dégoûter Durcet, avoué son petit commerce secret avec sa propre fille, au moyen de quoi les trois pères, voulant chacun conserver leurs droits, convinrent, pour les étendre encore davantage, que les trois jeunes personnes, uniquement liées de biens et de nom à leur époux, n’appartiendraient relativement au corps pas plus à l’un des trois qu’à l’autre, et également à chacun d’eux, sous peine des punitions les plus sévères si elles s’avisaient d’enfreindre aucune des clauses auxquelles on les assujettissait.

On était à la veille de conclure lorsque l’évêque de…, déjà lié de plaisir avec les deux amis de son frère, proposa de mettre un quatrième sujet dans l’alliance, si on voulait le laisser participer aux trois autres. Ce sujet, la seconde fille du duc et par conséquent sa nièce, lui appartenait de bien plus près encore qu’on ne l’imaginait. Il avait eu des liaisons avec sa belle-sœur, et les deux frères savaient à n’en pouvoir douter que l’existence de cette jeune personne, qui se nommait Aline, était bien plus certainement due à l’évêque qu’au duc : l’évêque qui s’était, dès le berceau, chargé du soin d’Aline, ne l’avait pas, comme on imagine bien, vu arriver à l’âge des charmes sans en vouloir jouir. Ainsi il était sur ce point l’égal de ses confrères, et l’effet qu’il proposait dans le commerce avait le même degré d’avarie ou de dégradation ; mais comme ses attraits et sa tendre jeunesse l’emportaient encore sur ses trois compagnes, on ne balança point à accepter le marché. L’évêque, comme les trois autres, céda en conservant ses droits, et chacun de nos quatre personnages ainsi liés se trouva donc mari de quatre femmes.

Il s’ensuivit donc de cet arrangement, qu’il est à propos de récapituler pour la facilité du lecteur : que le duc, père de Julie, devint l’époux de Constance, fille de Durcet ; que Durcet, père de Constance ; devint l’époux d’Adélaïde, fille du président ; que le président, père d’Adélaïde, devint l’époux de Julie, fille aînée du duc, et que l’évêque, oncle et père d’Aline, devint l’époux des trois autres en cédant cette Aline à ses amis, aux droits près qu’il continuait de se réserver sur elle.

On fut à une terre superbe du duc, située dans le Bourbonnais, célébrer ces heureuses noces, et je laisse aux lecteurs à penser les orgies qui s’y firent. La nécessité d’en peindre d’autres nous interdit le plaisir que nous aurions de peindre celles-ci. À leur retour, l’association de nos quatre amis n’en devint que plus stable, et comme il importe de les faire bien connaître, un petit détail de leurs arrangements lubriques servira, ce me semble, à répandre du jour sur les caractères de ces débauches, en attendant que nous les reprenions chacun à leur tour séparément pour les mieux développer encore.

La société avait fait une bourse commune qu’administrait tour à tour l’un d’eux pendant six mois ; mais les fonds de cette bourse, qui ne devait servir qu’aux plaisirs, étaient immenses. Leur excessive fortune leur permettait des choses très singulières sur cela, et le lecteur ne doit point s’étonner quand on lui dira qu’il y avait deux millions par an affectés aux seuls plaisirs de la bonne chère et de la lubricité.

Quatre fameuses maquerelles pour les femmes et un pareil nombre de mercures pour les hommes n’avaient d’autres soins que de leur chercher, et dans la capitale et dans les provinces, tout ce qui, dans l’un et l’autre genre, pouvait le mieux assouvir leur sensualité. On faisait régulièrement ensemble quatre soupers par semaine dans quatre différentes maisons de campagne situées à quatre extrémités différentes de Paris. Le premier de ces soupers, uniquement destiné aux plaisirs de la sodomie, n’admettait uniquement que des hommes. On y voyait régulièrement seize jeunes gens de vingt à trente ans dont les facultés immenses faisaient goûter à nos quatre héros, en qualité de femmes, les plaisirs les plus sensuels. On ne les prenait qu’à la taille du membre, et il devenait presque nécessaire que ce membre superbe fût d’une telle magnificence qu’il n’eût jamais pu pénétrer dans aucune femme. C’était une clause essentielle, et comme rien n’était épargné pour la dépense, il arrivait bien rarement qu’elle ne fût pas remplie. Mais pour goûter à la fois tous les plaisirs, on joignait à ces seize maris un pareil nombre de garçons beaucoup plus jeunes et qui devaient remplir l’office de femmes. Ceux-ci prenaient depuis l’âge de douze ans jusqu’à celui de dix-huit, et il fallait, pour y être admis, une fraîcheur, une figure, des grâces, une tournure, une innocence, une candeur bien supérieures à tout ce que nos pinceaux pourraient peindre. Nulle femme ne pouvait être reçue à ces orgies masculines dans lesquelles s’exécutait tout ce que Sodome et Gomorrhe inventèrent jamais de plus luxurieux. Le second souper était consacré aux filles du bon ton qui, obligées là de renoncer à leur orgueilleux étalage et à l’insolence ordinaire de leur maintien, étaient contraintes, en raison des sommes reçues, de se livrer aux caprices les plus irréguliers et souvent même aux outrages qu’il plaisait à nos libertins de leur faire. On y en comptait communément douze, et comme Paris n’aurait pas pu fournir à varier ce genre aussi souvent qu’il l’eût fallu, on entremêlait ces soirées-là d’autres soirées, où l’on n’admettait uniquement dans le même nombre que des femmes comme il faut, depuis la classe des procureurs jusqu’à celle des officiers. Il y a plus de quatre ou cinq mille femmes à Paris, dans l’une ou l’autre de ces classes, que le besoin ou le luxe oblige à faire de ces sortes de parties ; il n’est question que d’être bien servi pour en trouver, et nos libertins, qui l’étaient supérieurement, trouvaient souvent des miracles dans cette classe singulière. Mais on avait beau être une femme honnête, il fallait se soumettre à tout, et le libertinage, qui n’admet jamais aucune borne, se trouvait singulièrement échauffé de contraindre à des horreurs et à des infamies ce qu’il semblait que la nature et la convention sociale dussent soustraire à des telles épreuves. On y venait, il fallait tout faire, et comme nos quatre scélérats avaient tous les goûts de la plus crapuleuse et de la plus insigne débauche, cet acquiescement essentiel à leurs désirs n’était pas une petite affaire. Le troisième souper était destiné aux créatures les plus viles et les plus souillées qui pussent se rencontrer. À qui connaît les écarts de la débauche, ce raffinement paraîtra tout simple ; il est très voluptueux de se vautrer, pour ainsi dire, dans l’ordure avec des créatures de cette classe ; on trouve là l’abandonnement le plus complet, la crapule la plus monstrueuse, l’avilissement le plus entier, et ces plaisirs, comparés à ceux qu’on a goûtés la veille, ou aux créatures distinguées qui nous les ont fait goûter, jettent un grand sel et sur l’un et sur l’autre excès. Là, comme la débauche était plus entière, rien n’était oublié pour la rendre et nombreuse et piquante. Il y paraissait cent putains dans le cours de six heures, et trop souvent toutes les cent ne sortaient pas entières. Mais ne précipitons rien ; ce raffinement-ci tient à des détails où nous ne sommes pas encore. Le quatrième souper était réservé aux pucelles. On ne les recevait que jusqu’à quinze ans depuis sept. Leur condition était égale, il ne s’agissait que de leur figure : on la voulait charmante, et de la sûreté de leurs prémices : il fallait qu’elles fussent authentiques. Incroyable raffinement du libertinage : Ce n’était pas qu’ils voulussent assurément cueillir toutes ces roses, et comment l’eussent-ils pu, puisqu’elles étaient toujours offertes au nombre de vingt et que, de nos quatre libertins, deux seulement étaient en état de pouvoir procéder à cet acte, l’un des deux autres, le traitant, n’éprouvant plus absolument aucune érection, et l’évêque ne pouvant absolument jouir que d’une façon qui peut, j’en conviens, déshonorer une vierge, mais qui pourtant la laisse toujours bien entière. N’importe, il fallait que les vingt prémices y fussent, et celles qui n’étaient pas endommagées par eux devenaient devant eux la proie de certains valets aussi débauchés qu’eux et qu’ils avaient toujours à leur suite pour plus d’une raison. Indépendamment de ces quatre soupers, il y en avait tous les vendredis un secret et particulier, bien moins nombreux que les quatre autres, quoique peut-être infiniment plus cher. On n’admettait à celui-là que quatre jeunes demoiselles de condition, enlevées de chez leurs parents à force de ruse et d’argent. Les femmes de nos libertins partageaient presque toujours cette débauche, et leur extrême soumission, leurs soins, leurs services la rendaient toujours plus piquante. À l’égard de la chère faite à ces soupers, il est inutile de dire que la profusion y régnait autant que la délicatesse ; pas un seul de ces repas ne coûtait moins de dix mille francs et on y réunissait tout ce que la France et l’étranger peuvent offrir de plus rare et de plus exquis. Les vins et les liqueurs s’y trouvaient avec la même finesse et la même abondance, les fruits de toutes les saisons s’y trouvaient même pendant l’hiver, et l’on peut assurer en un mot que la table du premier monarque de la terre n’était certainement pas servie avec autant de luxe et de magnificence.

Revenons maintenant sur nos pas et peignons de notre mieux au lecteur chacun de ces quatre personnages en particulier, non en beau, non de manière à séduire ou à captiver, mais avec les pinceaux mêmes de la nature, qui malgré tout son désordre est souvent bien sublime, même alors qu’elle se déprave le plus. Car, osons le dire en passant, si le crime n’a pas ce genre de délicatesse qu’on trouve dans la vertu, n’est-il pas toujours plus sublime, n’a-t-il pas sans cesse un caractère de candeur et de sublimité qui l’emporte et l’emportera toujours sur les attraits monotones et efféminés de la vertu ? Nous parlerez-vous de l’utilité de l’un ou de l’autre ? Est-ce à nous de scruter les lois de la nature, est-ce à nous de décider si le vice lui étant tout aussi nécessaire que la vertu, elle ne nous inspire pas peut-être en portion égale du penchant à l’un ou à l’autre, en raison de ses besoins respectifs ? Mais poursuivons.

Le duc de Blangis, maître à dix-huit ans d’une fortune déjà immense et qu’il a beaucoup accrue par ses maltôtes depuis, éprouva tous les inconvénients qui naissent en foule autour d’un jeune homme riche, en crédit, et qui n’a rien à se refuser : presque toujours dans un tel cas la mesure des forces devient celle des vices, et on se refuse d’autant moins qu’on a plus de facilités à se procurer tout. Si le duc eût reçu de la nature quelques qualités primitives, peut-être eussent-elles balancé les dangers de sa position, mais cette mère bizarre, qui paraît quelquefois s’entendre avec la fortune pour que celle-ci favorise tous les vices qu’elle donne à de certains êtres dont elle attend des soins très différents de ceux que la vertu suppose, et cela parce qu’elle a besoin de ceux-là comme des autres, la nature, dis-je, en destinant Blangis à une richesse immense, lui avait précisément départi tous les mouvements, toutes les inspirations qu’il fallait pour en abuser. Avec un esprit très noir et très méchant, elle lui avait donné l’âme la plus scélérate et la plus dure, accompagnée des désordres dans les goûts et dans les caprices d’où naissait le libertinage effrayant auquel le duc était si singulièrement enclin. Né faux, dur, impérieux, barbare, égoïste, également prodigue pour ses plaisirs et avare quand il s’agissait d’être utile, menteur, gourmand, ivrogne, poltron, sodomite, incestueux, meurtrier, incendiaire, voleur, pas une seule vertu ne compensait autant de vices. Que dis-je ? non seulement il n’en révérait aucune, mais elles lui étaient toutes en horreur, et l’on lui entendait dire souvent qu’un homme, pour être véritablement heureux dans ce monde, devait non seulement se livrer à tous les vices, mais ne se permettre jamais une vertu, et qu’il n’était pas non seulement question de toujours mal faire, mais qu’il s’agissait même de ne jamais faire le bien. « Il y a tout plein de gens, disait le duc, qui ne se portent au mal que quand leur passion les y porte ; revenue de l’égarement, leur âme tranquille reprend paisiblement la route de la vertu, et passant ainsi leur vie de combats en erreurs et d’erreurs en remords, ils finissent sans qu’il puisse devenir possible de dire précisément quel rôle ils ont joué sur la terre. De tels êtres, continuait-il, doivent être malheureux : toujours flottants, toujours indécis, leur vie entière se passe à détester le matin ce qu’ils ont fait le soir. Bien sûrs de se repentir des plaisirs qu’ils goûtent, ils frémissent en se les permettant, de façon qu’ils deviennent tout à la fois et vertueux dans le crime et criminels dans la vertu. Mon caractère plus ferme, ajoutait notre héros, ne se démentira jamais ainsi. Je ne balance jamais dans mes choix, et comme je suis toujours certain de trouver le plaisir dans celui que je fais, jamais le repentir n’en vient émousser l’attrait. Ferme dans mes principes parce que je m’en suis formé de sûrs dès mes plus jeunes ans, j’agis toujours conséquemment à eux. Ils m’ont fait connaître le vide et le néant de la vertu ; je la hais, et l’on ne me verra jamais revenir à elle. Ils m’ont convaincu que le vice était seul fait pour faire éprouver à l’homme cette vibration morale et physique, source des plus délicieuses voluptés ; je m’y livre. Je me suis mis de bonne heure au-dessus des chimères de la religion, parfaitement convaincu que l’existence du créateur est une absurdité révoltante que les enfants ne croient même plus. Je n’ai nullement besoin de contraindre mes penchants dans la vue de lui plaire. C’est de la nature que je les ai reçus, ces penchants, et je l’irriterais en y résistant ; si elle me les a donnés mauvais, c’est qu’ils devenaient ainsi nécessaires à ses vues. Je ne suis dans ses mains qu’une machine qu’elle meut à son gré, et il n’est pas un de mes crimes qui ne la serve ; plus elle m’en conseille, plus elle en a besoin : je serais un sot de lui résister. Je n’ai donc contre moi que les lois, mais je les brave ; mon or et mon crédit me mettent au-dessus de ces fléaux vulgaires qui ne doivent frapper que le peuple. » Si l’on objectait au duc qu’il existait cependant chez tous les hommes des idées de juste et d’injuste qui ne pouvaient être que le fruit de la nature, puisqu’on les retrouvait également chez tous les peuples et même chez ceux qui n’étaient pas policés, il répondait affirmativement à cela que ces idées n’étaient jamais que relatives, que le plus fort trouvait toujours très juste ce que le plus faible regardait comme injuste, et qu’en les changeant tous deux de place, tous deux en même temps changeaient également de façon de penser ; d’où il concluait qu’il n’y avait de réellement juste que ce qui faisait plaisir et d’injuste que ce qui faisait de la peine ; qu’à l’instant où il prenait cent louis dans la poche d’un homme, il faisait une chose très juste pour lui, quoique l’homme volé dût la regarder d’un autre œil ; que toutes ces idées n’étant donc qu’arbitraires, bien fou qui se laisserait enchaîner par elles. C’était par des raisonnements de cette espèce que le duc légitimait tous ses travers, et comme il avait tout l’esprit possible, ses arguments paraissaient décisifs. Modelant donc sa conduite sur sa philosophie, le duc, dès sa plus tendre jeunesse, s’était abandonné sans frein aux égarements les plus honteux et les plus extraordinaires. Son père, mort jeune, et l’ayant laissé, comme je l’ai dit, maître d’une fortune immense, avait pourtant mis pour clause que le jeune homme laisserait jouir sa mère, sa vie durant, d’une grande partie de cette fortune. Une telle condition déplut bientôt à Blangis, et le scélérat ne voyant que le poison qui pût l’empêcher d’y souscrire, il se détermina sur-le-champ à en faire usage. Mais le fourbe, débutant pour lors dans la carrière du vice, n’osa pas agir lui-même : il engagea une de ses sœurs, avec laquelle il vivait en intrigue criminelle, à se charger de cette exécution, en lui faisant entendre que si elle réussissait, il la ferait jouir d’une partie de la fortune dont cette mort le rendrait le maître. Mais la jeune personne eut horreur de cette action, et le duc, voyant que son secret mal confié allait peut-être être trahi, se décida dans la minute à réunir à sa victime celle qu’il avait voulu rendre sa complice. Il les mena à une de ses terres d’où les deux infortunées ne revinrent jamais. Rien n’encourage comme un premier crime impuni. Après cette épreuve, le duc brisa tous les freins. Dès qu’un être quelconque opposait à ses désirs la plus légère entrave, le poison s’employait aussitôt. Des meurtres nécessaires, il passa bientôt aux meurtres de volupté : il conçut ce malheureux écart qui nous fait trouver des plaisirs dans les maux d’autrui ; il sentit qu’une commotion violente imprimée sur un adversaire quelconque rapportait à la masse de nos nerfs une vibration dont l’effet, irritant les esprits animaux qui coulent dans la concavité de ces nerfs, les oblige à presser les nerfs érecteurs, et à produire d’après cet ébranlement ce qu’on appelle une sensation lubrique. En conséquence, il se mit à commettre des vols et des meurtres, par unique principe de débauche et de libertinage, comme un autre, pour enflammer ces mêmes passions, se contente d’aller voir des filles. À vingt-trois ans, il fit partie avec trois de ses compagnons de vice, auxquels il avait inculqué sa philosophie, d’aller arrêter un carrosse public dans le grand chemin, de violer également les hommes et les femmes, de les assassiner après, de s’emparer de l’argent dont ils n’avaient assurément aucun besoin, et de se trouver tous trois la même nuit au bal de l’Opéra afin de prouver l’alibi. Ce crime n’eut que trop lieu : deux demoiselles charmantes furent violées et massacrées dans les bras de leur mère ; on joignit à cela une infinité d’autres horreurs, et personne n’osa le soupçonner. Las d’une épouse charmante que son père lui avait donnée avant de mourir, le jeune Blangis ne tarda pas de la réunir aux mânes de sa mère, de sa sœur et de toutes ses autres victimes, et cela pour épouser une fille assez riche, mais publiquement déshonorée et qu’il savait très bien être la maîtresse de son frère. C’était la mère d’Aline, l’une des actrices de notre roman et dont il a été question plus haut. Cette seconde épouse, bientôt sacrifiée comme la première, fit place à une troisième, qui le fut bientôt comme la seconde. On disait dans le monde que c’était l’immensité de sa construction qui tuait ainsi toutes ses femmes, et comme ce gigantesque était exact dans tous les points, le duc laissait germer une opinion qui voilait la vérité. Ce colosse effrayant donnait en effet l’idée d’Hercule ou d’un centaure : le duc avait cinq pieds onze pouces, des membres d’une force et d’une énergie, des articulations d’une vigueur, des nerfs d’une élasticité… Joignez à cela une figure mâle et fière, de très grands yeux noirs, de beaux sourcils bruns, le nez aquilin, de belles dents, l’air de la santé et de la fraîcheur, des épaules larges, une carrure épaisse quoique parfaitement coupée, les hanches belles, les fesses superbes, la plus belle jambe du monde, un tempérament de fer, une force de cheval, et le membre d’un véritable mulet, étonnamment velu, doué de la faculté de perdre son sperme aussi souvent qu’il le voulait dans un jour, même à l’âge de cinquante ans qu’il avait alors, une érection presque continuelle dans ce membre dont la taille était de huit pouces juste de pourtour sur douze de long, et vous aurez le portrait du duc de Blangis comme si vous l’eussiez dessiné vous-même. Mais si ce chef-d’œuvre de la nature était violent dans ses désirs, que devenait-il, grand Dieu ! quand l’ivresse de la volupté le couronnait. Ce n’était plus un homme, c’était un tigre en fureur. Malheur à qui servait alors ses passions : des cris épouvantables, des blasphèmes atroces s’élançaient de sa poitrine gonflée, des flammes semblaient alors sortir de ses yeux, il écumait, il hennissait, on l’eût pris pour le dieu même de la lubricité. Quelle que fût sa manière de jouir alors, ses mains nécessairement s’égaraient toujours, et l’on l’a vu plus d’une fois étrangler tout net une femme à l’instant de sa perfide décharge. Revenu de là, l’insouciance la plus entière sur les infamies qu’il venait de se permettre prenait aussitôt la place de son égarement, et de cette indifférence, de cette espèce d’apathie, naissaient presque aussitôt de nouvelles étincelles de volupté. Le duc, dans sa jeunesse, avait déchargé jusqu’à dix-huit fois dans un jour et sans qu’on le vît plus épuisé à la dernière perte qu’à la première. Sept ou huit dans le même intervalle ne l’effrayaient point encore, malgré son demi-siècle. Depuis près de vingt-cinq ans, il s’était habitué à la sodomie passive, et il en soutenait les attaques avec la même vigueur qu’il les rendait activement, l’instant d’après, lui-même, quand il lui plaisait de changer de rôle. Il avait soutenu dans une gageure jusqu’à cinquante-cinq assauts dans un jour. Doué comme nous l’avons dit d’une force prodigieuse, une seule main lui suffisait pour violer une fille ; il l’avait prouvé plusieurs fois. Il paria un jour d’étouffer un cheval entre ses jambes, et l’animal creva à l’instant qu’il avait indiqué. Ses excès de table l’emportaient encore, s’il est possible, sur ceux du lit. On ne concevait pas ce que devenait l’immensité de vivres qu’il engloutissait. Il faisait régulièrement trois repas, et les faisait tous trois et fort longs et fort amples, et son seul ordinaire était toujours de dix bouteilles de vin de Bourgogne ; il en avait bu jusqu’à trente et pariait contre qui voudrait d’aller même à cinquante. Mais son ivresse prenant la teinte de ses passions, dès que les liqueurs ou les vins avaient échauffé son âme, il devenait furieux ; on était obligé de le lier. Et avec tout cela, qui l’eût dit ? tant il est vrai que l’âme répond souvent bien mal aux dispositions corporelles, un enfant résolu eût effrayé ce colosse, et dès que pour se défaire de son ennemi, il ne pouvait plus employer ses ruses ou sa trahison, il devenait timide et lâche, et l’idée du combat le moins dangereux, mais à égalité de forces, l’eût fait fuir à l’extrémité de la terre. Il avait pourtant, selon l’usage, fait une campagne ou deux, mais il s’y était si tellement déshonoré qu’il avait sur-le-champ quitté le service. Soutenant sa turpitude avec autant d’esprit que d’effronterie, il prétendait hautement que la poltronnerie n’étant que le désir de sa conservation, il était parfaitement impossible à des gens sensés de la reprocher comme un défaut.

En conservant absolument les mêmes traits moraux et les adaptant à une existence physique infiniment inférieure à celle qui vient d’être tracée, on avait le portrait de l’évêque de…, frère du duc de Blangis. Même noirceur dans l’âme, même penchant au crime, même mépris pour la religion, même athéisme, même fourberie, l’esprit plus souple et plus adroit cependant et plus d’art à précipiter ses victimes, mais une taille fine et légère, un corps petit et fluet, une santé chancelante, des nerfs très délicats, une recherche plus grande dans les plaisirs, des facultés médiocres, un membre très ordinaire, petit même, mais se ménageant avec un tel art et perdant toujours si peu, que son imagination sans cesse enflammée le rendait aussi fréquemment que son frère susceptible de goûter le plaisir ; d’ailleurs des sensations d’une telle finesse, un agacement si prodigieux dans le genre nerveux, qu’il s’évanouissait souvent à l’instant de sa décharge et qu’il perdait presque toujours connaissance en la faisant. Il était âgé de quarante-cinq ans, la physionomie très fine, d’assez jolis yeux, mais une vilaine bouche et de vilaines dents, le corps blanc ; sans poil, le cul petit, mais bien pris et le vit de cinq pouces de tour sur dix de long. Idolâtre de la sodomie active et passive, mais plus encore de cette dernière, il passait sa vie à se faire enculer, et ce plaisir qui n’exige jamais une grande consommation de force s’arrangeait au mieux avec la petitesse de ses moyens. Nous parlerons ailleurs de ses autres goûts. À l’égard de ceux de la table, il les portait presque aussi loin que son frère, mais il y mettait un peu plus de sensualité. Monseigneur, aussi scélérat que son aîné, avait d’ailleurs par-devers lui des traits qui l’égalaient sans doute aux célèbres actions du héros qu’on vient de peindre. Nous contenterons d’en citer un ; il suffira à faire voir au lecteur de quoi un tel homme pouvait être capable et ce qu’il savait et pouvait faire ayant fait ce qu’on va lire.

Un de ses amis, homme puissamment riche, avait autrefois eu une intrigue avec une fille de condition, de laquelle il y avait eu deux enfants, une fille et un garçon. Il n’avait cependant jamais pu l’épouser, et la demoiselle était devenue la femme d’un autre. L’amant de cette infortunée mourut jeune, mais possesseur cependant d’une fortune immense ; n’ayant aucun parent dont il se souciât, il imagina de laisser tout son bien aux deux malheureux fruits de son intrigue. Au lit de mort, il confia son projet à l’évêque et le chargea de ces deux dots immenses, qu’il partagea en deux portefeuilles égaux et qu’il remit à l’évêque en lui recommandant l’éducation de ces deux orphelins et de leur remettre à chacun ce qui leur revenait, dès qu’ils auraient atteint l’âge prescrit par les lois. Il enjoignit en même temps au prélat de faire valoir jusque-là les fonds de ses pupilles, afin de doubler leur fortune. Il lui témoigna en même temps qu’il avait dessein de laisser éternellement ignorer à la mère ce qu’il faisait pour ses enfants et qu’il exigeait qu’absolument on ne lui en parlât jamais. Ces arrangements pris, le moribond ferma les yeux, et monseigneur se vit maître de près d’un million en billets de banque et de deux enfants. Le scélérat ne balança pas longtemps à prendre son parti : le mourant n’avait parlé qu’à lui, la mère devait tout ignorer, les enfants n’avaient que quatre ou cinq ans. Il publia que son ami en expirant avait laissé son bien aux pauvres, et dès le même jour le fripon s’en empara. Mais ce n’était pas assez de ruiner ces deux malheureux enfants ; l’évêque, qui ne commettait jamais un crime sans en concevoir à l’instant un nouveau, fut, muni du consentement de son ami, retirer ces enfants de la pension obscure où l’on les élevait, et les plaça chez des gens à lui, en se résolvant dès l’instant de les faire tous deux bientôt servir à ses perfides voluptés. Il les attendit jusqu’à treize ans. Le petit garçon atteignit le premier cet âge ; il s’en servit, l’assouplit à toutes ses débauches, et comme il était extrêmement joli, s’en amusa près de huit jours. Mais la petite fille ne réussit pas aussi bien : elle arriva fort laide à l’âge prescrit sans que rien arrêtât pourtant la lubrique fureur de notre scélérat. Ses désirs assouvis, il craignit que s’il laisse vivre ces enfants, ils ne vinssent à découvrir quelque chose du secret qui les intéressait. Il les conduisit à une terre de son frère, et sûr de retrouver dans un nouveau crime des étincelles de lubricité que la jouissance venait de lui faire perdre, il les immola tous deux à ses passions féroces, et accompagna leur mort d’épisodes si piquants et si cruels que sa volupté renaquit au sein des tourments dont il les accabla. Le secret n’est malheureusement que trop sûr, et il n’y a pas de libertin un peu ancré dans le vice qui ne sache combien le meurtre a d’empire sur les sens et combien il détermine voluptueusement une décharge. C’est une vérité dont il est bon que le lecteur se prémunisse avant que d’entreprendre la lecture d’un ouvrage qui doit autant développer ce système.

Tranquille désormais sur tous les évènements, monseigneur revint jouir à Paris du fruit de ses forfaits, et sans le plus petit remords d’avoir trompé les intentions d’un homme hors d’état, par sa situation, d’éprouver ni peine ni plaisir.

Le président de Curval était le doyen de la société. Âgé de près de soixante ans, et singulièrement usé par la débauche, il n’offrait presque plus qu’un squelette. Il était grand, sec, mince, des yeux creux et éteints, une bouche livide et malsaine, le menton élevé, le nez long. Couvert de poils comme un satyre, un dos plat, des fesses molles et tombantes qui ressemblaient plutôt à deux sales torchons flottant sur le haut de ses cuisses ; la peau en était tellement flétrie à force de coups de fouet qu’on la tortillait autour des doigts sans qu’il le sentît. Au milieu de cela s’offrait, sans qu’on eût la peine d’écarter, un orifice immense dont le diamètre énorme, l’odeur et la couleur le faisaient plutôt ressembler à une lunette de commodités qu’au trou d’un cul ; et pour comble d’appas, il entrait dans les petites habitudes de ce pourceau de Sodome de laisser toujours cette partie-là dans un tel état de malpropreté qu’on y voyait sans cesse autour un bourrelet de deux pouces d’épaisseur. Au bas d’un ventre aussi plissé que livide et mollasse, on apercevait, dans une forêt de poils, un outil qui, dans l’état d’érection, pouvait avoir environ huit pouces de long sur sept de pourtour ; mais cet état n’était plus que fort rare, et il fallait une furieuse suite de choses pour le déterminer. Cependant il avait encore lieu au moins deux ou trois fois de la semaine, et le président alors enfilait indistinctement tous les trous, quoique celui du derrière d’un jeune garçon lui fût infiniment plus précieux. Le président s’était fait circoncire, de manière que la tête de son vit n’était jamais recouverte, cérémonie qui facilite beaucoup la jouissance et à laquelle tous les gens voluptueux devraient se soumettre. Mais l’un de ses objets est de tenir cette partie plus propre : il s’en fallait beaucoup qu’il se trouvât rempli chez Curval, car aussi sale en cette partie-là que dans l’autre, cette tête décalottée, déjà naturellement fort grosse, là devenait plus ample d’au moins un pouce de circonférence. Également malpropre sur toute sa personne, le président, qui à cela joignait des goûts pour le moins aussi cochons que sa personne, devenait un personnage dont l’abord assez malodorant eût pu ne pas plaire à tout le monde : mais ses confrères n’étaient pas gens à se scandaliser pour si peu de chose, et on ne lui en parlait seulement pas. Peu d’hommes avaient été aussi lestes et aussi débauchés que le président ; mais entièrement blasé, absolument abruti, il ne lui restait plus que la dépravation et la crapule du libertinage. Il fallait plus de trois heures d’excès, et d’excès les plus infâmes, pour obtenir de lui un chatouillement voluptueux. Quant à la décharge, quoiqu’elle eût lieu chez lui bien plus souvent que l’érection et presque une fois tous les jours, elle était cependant si difficile à obtenir, ou elle n’avait lieu qu’en procédant à des choses si singulières et souvent si cruelles ou si malpropres, que les agents de ses plaisirs y renonçaient souvent, et de là naissait chez lui une sorte de colère lubrique qui quelquefois, par ses effets, réussissait mieux que ses efforts. Curval était si tellement englouti dans le bourbier du vice et du libertinage qu’il lui était devenu comme impossible de tenir d’autres propos que de ceux-là. Il en avait sans cesse les plus sales expressions à la bouche comme dans le cœur, et il les entremêlait le plus énergiquement de blasphèmes et d’imprécations fournis par la véritable horreur qu’il avait, à l’exemple de ses confrères, pour tout ce qui était du ressort de la religion. Ce désordre d’esprit, encore augmenté par l’ivresse presque continuelle dans laquelle il aimait à se tenir, lui donnait depuis quelques années un air d’imbécillité et d’abrutissement qui faisait, prétendait-il, ses plus chères délices. Né aussi gourmand qu’ivrogne, lui seul était en état de tenir tête au duc, et nous le verrons, dans le cours de cette histoire, faire des prouesses en ce genre qui étonneront sans doute nos plus célèbres mangeurs. Depuis dix ans, Curval n’exerçait plus sa charge, non seulement il n’en était plus en état, mais je crois même que quand il l’aurait pu, on l’aurait prié de s’en dispenser toute sa vie.

Curval avait mené une vie fort libertine, toutes les espèces d’écarts lui étaient familiers, et ceux qui le connaissaient particulièrement le soupçonnaient fort de n’avoir jamais dû qu’à deux ou trois meurtres exécrables la fortune immense dont il jouissait. Quoi qu’il en soit, il est très vraisemblable à l’histoire suivante que cette espèce d’excès avait l’art de l’émouvoir puissamment, et c’est à cette aventure qui, malheureusement, eut un peu d’éclat, qu’il dut son exclusion de la Cour. Nous allons la rapporter pour donner au lecteur une idée de son caractère.

Curval avait dans le voisinage de son hôtel un malheureux portefaix qui, père d’une petite fille charmante, avait le ridicule d’avoir des sentiments. Déjà vingt fois des messages de toutes les façons étaient venus essayer de corrompre ce malheureux et sa femme par des propositions relatives à leur jeune fille sans pouvoir venir les ébranler, et Curval, directeur de ces ambassades et que la multiplication des refus ne faisait qu’irriter, ne savait plus comment s’y prendre pour jouir de la jeune fille et pour la soumettre à ses libidineux caprices, lorsqu’il imagina tout simplement de faire rouer le père pour amener la fille dans son lit. Le moyen fut aussi bien conçu qu’exécuté. Deux ou trois coquins gagés par le président s’en mêlèrent ; et avant la fin du mois le malheureux portefaix fut enveloppé dans un crime imaginaire que l’on eut l’air de commettre à sa porte et qui le conduisit tout de suite dans les cachots de la Conciergerie. Le président, comme on l’imagine bien, s’empara bientôt de cette affaire, et comme il n’avait pas envie de faire traîner l’affaire, en trois jours, grâce à ses coquineries et à son argent, le malheureux portefaix fut condamné à être roué vif, sans qu’il eût jamais commis d’autres crimes que celui de vouloir garder son honneur et de conserver celui de sa fille. Sur ces entrefaites, les sollicitations recommencèrent. On fut trouver la mère, on lui représenta qu’il ne tenait qu’à elle de sauver son mari, que si elle satisfaisait le président, il était clair qu’il arracherait par là son mari au sort affreux qui l’attendait. Il n’était plus possible de balancer. La femme consulta : on savait bien à qui elle s’adresserait, on avait gagné les conseils, et ils répondirent sans tergiverser qu’elle ne devait pas hésiter un moment. L’infortunée amène elle-même sa fille en pleurant au pied de son juge ; celui-ci promet tout ce qu’on veut, mais il était bien loin d’avoir envie de tenir sa parole. Non seulement il craignait, en la tenant, que le mari sauvé ne vînt à faire de l’éclat en voyant à quel prix on avait mis sa vie, mais le scélérat trouvait même encore un délice bien plus piquant à se faire donner ce qu’il voulait sans être obligé de rien tenir. Il s’était offert sur cela des épisodes de scélératesse à son esprit dont il sentait accroître sa perfide lubricité ; et voici comme il s’y prit pour mettre à la scène toute l’infamie et tout le piquant qu’il put. Son hôtel se trouvait en face d’un endroit où l’on exécute quelquefois des criminels à Paris, et comme le délit s’était commis dans ce quartier-là, il obtint que l’exécution serait faite sur cette place en question. À l’heure indiquée, il fit trouver chez lui la femme et la fille de ce malheureux. Tout était bien fermé du côté de la place de manière qu’on ne voyait, des appartements où il tenait ses victimes, rien du train qui pouvait s’y passer. Le scélérat, qui savait l’heure positive de l’exécution, prit ce moment-là pour dépuceler la petite fille dans les bras de sa mère, et tout fut arrangé avec tant d’adresse et de précision que le scélérat déchargeait dans le cul de la fille au moment où le père expirait. Dès que son affaire fut faite : « Venez voir, dit-il à ses deux princesses en ouvrant une fenêtre sur la place, venez voir comme je vous ai tenu parole. » Et les malheureuses virent, l’une son père, l’autre son mari, expirant sous le fer du bourreau. Toutes deux tombèrent évanouies, mais Curval avait tout prévu : cet évanouissement était leur agonie, elles étaient toutes deux empoisonnées, et elles ne rouvrirent jamais les yeux. Quelque précaution qu’il prît pour envelopper toute cette action des ombres du plus profond mystère, il en transpira néanmoins quelque chose ; on ignora la mort des femmes, mais on le soupçonna vivement de prévarication dans l’affaire du mari. Le motif fut à moitié connu, et de tout cela sa retraite résulta enfin. De ce moment, Curval, n’ayant plus de décorum à garder, se précipita dans un nouvel océan d’erreurs et de crimes. Il se fit chercher des victimes partout, pour les immoler à la perversité de ses goûts. Par un raffinement de cruauté atroce, et pourtant bien aise à comprendre, la classe de l’infortune était celle sur laquelle il aimait le plus à lancer les effets de sa perfide rage. Il avait plusieurs femmes qui lui cherchaient nuit et jour, dans les greniers et dans les galetas, tout ce que la misère pouvait offrir de plus abandonné, et sous le prétexte de leur donner des secours, ou il les empoisonnait, ce qui était un de ses plus délicieux passe-temps, ou il les attirait chez lui et les immolait lui-même à la perversité de ses goûts. Hommes, femmes, enfants, tout était bon à sa perfide rage, et il commettait sur cela des excès qui l’auraient fait porter mille fois sa tête sur un échafaud, sans son crédit et son or qui l’en préservèrent mille fois. On imagine bien qu’un tel être n’avait pas plus de religion que ses deux confrères, il la détestait sans doute aussi souverainement, mais il avait jadis plus fait pour l’extirper dans les cœurs, car, profitant de l’esprit qu’il avait eu pour être comme elle, il était auteur de plusieurs ouvrages dont les effets avaient été prodigieux, et ces succès, qu’il se rappelait sans cesse, étaient encore une de ses plus chères voluptés.

Plus nous multiplions les objets de nos jouissances…

Placez là le portrait de Durcet, comme il est au cahier 18, relié en rose, puis, après avoir terminé ce portrait par ces mots du cahier:… les débiles années de l’enfance, reprenez ainsi :

Durcet est âgé de cinquante-trois ans, il est petit, court, gros, fort épais, une figure agréable et fraîche, la peau très blanche, tout le corps, et principalement les hanches et les fesses, absolument comme une femme ; son cul est frais, gras, ferme et potelé, mais excessivement ouvert par l’habitude de la sodomie ; son vit est extraordinairement petit : à peine a-t-il deux pouces de tour sur quatre de long ; il ne bande absolument plus ; ses décharges sont rares et fort pénibles, peu abondantes et toujours précédées de spasmes qui le jettent dans une espèce de fureur qui le porte au crime ; il a de la gorge comme une femme, une voix douce et agréable, et fort honnête en société, quoique sa tête soit pour le moins aussi dépravée que celle de ses confrères ; camarade d’école du Duc, ils s’amusent encore journellement ensemble, et l’un des grands plaisirs de Durcet est de se faire chatouiller l’anus par le membre énorme du duc.

Tels sont en un mot, cher lecteur, les quatre scélérats avec lesquels je vais te faire passer quelques mois. Je te les ai dépeints de mon mieux pour que tu les connaisses à fond et que rien ne t’étonne dans le récit de leurs différents écarts. Il m’a été impossible d’entrer dans le détail particulier de leurs goûts : j’aurais nui à l’intérêt et au plan principal de cet ouvrage en te les divulguant. Mais à mesure que le récit s’acheminera, on n’aura qu’à les suivre avec attention, et l’on démêlera facilement leurs petits péchés d’habitude et l’espèce de manie voluptueuse qui les flatte le mieux chacun en particulier. Tout ce que l’on peut dire à présent en gros, c’est qu’ils étaient généralement susceptibles du goût de la sodomie, que tous quatre se faisaient enculer régulièrement, et que tous quatre idolâtraient les culs. Le duc cependant, relativement à l’immensité de sa construction et plutôt sans doute par cruauté que par goût, foutait encore des cons avec le plus grand plaisir. Le président quelquefois aussi, mais plus rarement. Quant à l’évêque, il les détestait si souverainement que leur seul aspect l’eût fait débander pour six mois. Il n’en avait jamais foutu qu’un dans sa vie, celui de sa belle-sœur, et dans la vue d’avoir un enfant qui pût lui procurer un jour les plaisirs de l’inceste ; on a vu comment il avait réussi. À l’égard de Durcet, il idolâtrait le cul pour le moins avec autant d’ardeur que l’évêque, mais il en jouissait plus accessoirement ; ses attaques favorites se dirigeaient dans un troisième temple. La suite nous dévoilera ce mystère.

Achevons des portraits essentiels à l’intelligence de cet ouvrage et donnons aux lecteurs maintenant une idée des quatre épouses de ces respectables maris.

Quel contraste ! Constance, femme du duc et fille de Durcet, était une grande femme mince, faite à peindre, et tournée comme si les Grâces eussent pris plaisir à l’embellir. Mais l’élégance de sa taille n’enlevait rien à sa fraîcheur : elle n’en était pas moins grasse et potelée et les formes les plus délicieuses, s’offrant sous une peau plus blanche que les lys, achevaient de faire imaginer souvent que l’Amour même avait pris soin de la former. Son visage était un peu long, ses traits extraordinairement nobles, plus de majesté que de gentillesse et plus de grandeur que de finesse. Ses yeux étaient grands, noirs et pleins de feu, sa bouche extrêmement petite et ornée des plus belles dents qu’on pût soupçonner ; elle avait la langue mince, étroite, du plus bel incarnat, et son haleine était plus douce que l’odeur même de la rose. Elle avait la gorge pleine, fort ronde, de la blancheur et de la fermeté de l’albâtre ; ses reins, extraordinairement cambrés, amenaient, par une chute délicieuse, au cul le plus exactement et le plus artistement coupé que la nature eût produit depuis longtemps. Il était du rond le plus exact, pas très gros, mais ferme, blanc, potelé et ne s’entrouvrant que pour offrir le petit trou le plus propre, le plus mignon et le plus délicat ; une nuance du rose le plus tendre colorait ce cul, charmant asile des plus doux plaisirs de la lubricité. Mais, grand Dieu ! qu’il conserva peu longtemps tant d’attraits ! Quatre ou cinq attaques du duc en flétrirent bientôt toutes les grâces, et Constance, après son mariage, ne fut bientôt plus que l’image d’un beau lys que la tempête vient d’effeuiller. Deux cuisses rondes et parfaitement moulées soutenaient un autre temple, moins délicieux sans doute, mais qui offrait au spectateur tant d’attraits que ma plume entreprendrait en vain de les peindre. Constance était à peu près vierge quand le duc l’épousa, et son père le seul homme qu’elle eût connu, l’avait, comme on l’a dit, laissée bien parfaitement entière de ce côté-là. Les plus beaux cheveux noirs, retombant en boucles naturelles par-dessus les épaules et, quand on le voulait, jusque sur le joli poil de même couleur qui ombrageait ce petit con voluptueux, devenaient une nouvelle parure que j’eusse été coupable d’omettre, et achevaient de prêter à cette créature angélique, âgée d’environ vingt-deux ans, tous les charmes que la nature peut prodiguer à une femme. À tous ces agréments, Constance joignait un esprit juste, agréable, et même plus élevé qu’il n’eût dû être dans la triste situation où l’avait placée le sort, car elle en sentait toute l’horreur, et elle eût été bien plus heureuse sans doute avec des perceptions moins délicates. Durcet, qui l’avait élevée plutôt comme une courtisane que comme sa fille et qui ne s’était occupé qu’à lui donner des talents bien plutôt que des mœurs, n’avait pourtant jamais pu détruire dans son cœur les principes d’honnêteté et de vertu qu’il semblait que la nature y eût gravés à plaisir. Elle n’avait point de religion, on ne lui en avait jamais parlé, on n’avait jamais souffert qu’elle en pratiquât aucun exercice, mais tout cela n’avait point éteint dans elle cette pudeur, cette modestie naturelle, indépendantes des chimères religieuses et qui, dans une âme honnête et sensible, s’effacent bien difficilement. Elle n’avait jamais quitté la maison de son père, et le scélérat, dès l’âge de douze ans, l’avait fait servir à ses crapuleux plaisirs. Elle trouva bien de la différence dans ceux que goûtait le duc avec elle ; son physique s’altéra sensiblement de cette distance énorme, et le lendemain de ce que le duc l’eut dépucelée sodomitement, elle tomba dangereusement malade : on lui crut le rectum absolument percé. Mais sa jeunesse, sa santé, et l’effet de quelques topiques salutaires, rendirent bientôt au duc l’usage de cette voie défendue, et la malheureuse Constance, contrainte à s’accoutumer à ce supplice journalier qui n’était pas le seul, se rétablit entièrement et s’habitua à tout.

Adélaïde, femme de Durcet et fille du président, était une beauté peut-être supérieure à Constance, mais dans un genre absolument tout autre. Elle était âgée de vingt ans, petite, mince, extrêmement fluette et délicate, faite à peindre, les plus beaux cheveux blonds qu’on puisse voir. Un air d’intérêt et de sensibilité, répandu sur toute sa personne et principalement dans ses traits, lui donnait l’air d’une héroïne de roman. Ses yeux, extraordinairement grands, étaient bleus ; ils exprimaient à la fois la tendresse et la décence. Deux grands sourcils minces, mais singulièrement tracés, ornaient un front peu élevé, mais d’une noblesse, d’un tel attrait, qu’on eût dit qu’il était le temple de la pudeur même. Son nez étroit, un peu serré du haut, descendait insensiblement dans une forme demi-aquiline. Ses lèvres étaient minces, bordées de l’incarnat le plus vif, et sa bouche un peu grande, c’était le seul défaut de sa céleste physionomie, ne s’ouvrait que pour faire voir trente-deux perles que la nature avait l’air d’avoir semées parmi des roses. Elle avait le col un peu long, singulièrement attaché, et, par une habitude assez naturelle, la tête toujours un peu penchée sur l’épaule droite, surtout quand elle écoutait ; mais que de grâce lui prêtait cette intéressante attitude ! Sa gorge était petite, fort ronde, très ferme et très soutenue, mais à peine y avait-il de quoi remplir la main ; c’était comme deux petites pommes que l’Amour en se jouant avait apportées là du jardin de sa mère. Sa poitrine était un peu pressée, aussi l’avait-elle fort délicate. Son ventre était uni et comme du satin ; une petite motte blonde peu fournie servait comme de péristyle au temple où Vénus semblait exiger son hommage. Ce temple était étroit, au point de n’y pouvoir même introduire un doigt sans la faire crier, et cependant, grâce au président, depuis près de deux lustres, la pauvre enfant n’était plus vierge, ni par là, ni du côté délicieux qu’il nous reste encore à tracer. Que d’attraits possédait ce second temple, quelle chute de reins, quelle coupe de fesses, que de blancheur et d’incarnat réunis ! mais l’ensemble était un peu petit. Délicate dans toutes ses formes, Adélaïde était plutôt l’esquisse que le modèle de la beauté ; il semblait que la nature n’eût voulu qu’indiquer dans Adélaïde ce qu’elle avait prononcé si majestueusement dans Constance. Entrouvrait-on ce cul délicieux un bouton de rose s’offrait alors à vous et c’était dans toute sa fraîcheur et dans l’incarnat le plus tendre que la nature voulait vous le présenter. Mais quel étroit, quelle petitesse ! ce n’était qu’avec des peines infinies que le président avait pu réussir, et il n’avait jamais pu renouveler que deux ou trois fois ces assauts. Durcet, moins exigeant, la rendait peu malheureuse sur cet objet, mais depuis qu’elle était sa femme, par combien d’autres complaisances cruelles, par quelle quantité d’autres soumissions dangereuses ne lui fallait-il pas acheter ce petit bienfait ! Et d’ailleurs, livrée aux quatre libertins, comme elle le devenait par l’arrangement pris, que de cruels assauts n’avait-elle pas encore à soutenir, et dans le genre dont Durcet lui faisait grâce, et dans tous les autres ! Adélaïde avait l’esprit que lui supposait sa figure, c’est-à-dire extrêmement romanesque ; les lieux solitaires étaient ceux qu’elle recherchait avec le plus de plaisir, et elle y versait souvent des larmes involontaires, larmes que l’on n’étudie pas assez et qu’il semble que le pressentiment arrache à la nature. Elle avait perdu depuis peu une amie qu’elle idolâtrait, et cette perte affreuse se présentait sans cesse à son imagination. Comme elle connaissait son père à merveille et qu’elle savait à quel point il portait l’égarement, elle était persuadée que sa jeune amie était devenue la victime des scélératesses du président, parce qu’il n’avait jamais pu la déterminer à lui accorder de certaines choses, et le fait n’était pas sans vraisemblance : Elle s’imaginait qu’on lui en ferait quelque jour autant, et tout cela n’était pas improbable. Le président n’avait pas pris pour elle la même attention, relativement à la religion, que Durcet avait prise pour Constance, il avait laissé naître et fomenter le préjugé, imaginant que ses discours et ses livres le détruiraient facilement. Il se trompa : la religion est l’aliment d’une âme de la complexion de celle d’Adélaïde. Le président eut beau prêcher, beau faire lire, la jeune personne resta dévote, et tous ces écarts qu’elle ne partageait point, qu’elle haïssait et dont elle était victime, étaient bien loin de la détromper sur des chimères qui faisaient le bonheur de sa vie. Elle se cachait pour prier Dieu, elle se dérobait pour remplir ses devoirs de chrétienne, et ne manquait jamais d’être punie très sévèrement, ou par son père, ou par son mari, dès que l’un ou l’autre s’en apercevait. Adélaïde souffrait tout en patience, bien persuadée que le Ciel la dédommagerait un jour. Son caractère d’ailleurs était aussi doux que son esprit, et sa bienfaisance, l’une des vertus qui la faisaient le plus détester de son père, allait jusqu’à l’excès. Curval, irrité contre cette classe vile de l’indigence, ne cherchait qu’à l’humilier, à l’avilir davantage ou à y trouver des victimes ; sa généreuse fille, au contraire, se serait passée de sa propre subsistance pour procurer celle du pauvre, et on l’avait souvent vue aller lui porter en cachette toutes les sommes destinées à ses plaisirs. Enfin Durcet et le président la tancèrent et la morigénèrent si bien, qu’ils la corrigèrent de cet abus et lui en enlevèrent absolument tous les moyens. Adélaïde, n’ayant plus que ses larmes à offrir à l’infortune, allait encore les répandre sur leurs maux, et son cœur impuissant, mais toujours sensible, ne pouvait cesser d’être vertueux. Elle apprit un jour qu’une malheureuse femme allait venir prostituer sa fille au président, parce que l’extrême besoin l’y contraignait. Déjà le paillard enchanté se préparait à cette jouissance du genre de celle qu’il aimait le mieux ; Adélaïde fit vendre en secret une de ses robes, en fit donner tout de suite l’argent à la mère et la détourna, par ce petit secours et quelque sermon, du crime qu’elle allait commettre. Le président venant à le savoir (sa fille n’était pas encore mariée) se porta contre elle à de telles violences qu’elle en fut quinze jours au lit, et tout cela sans que rien pût arrêter l’effet des tendres mouvements de cette âme sensible.

Julie, femme du président et fille aînée du duc, eût effacé les deux précédentes sans un défaut capital pour beaucoup de gens, et qui peut-être avait décidé seul la passion de Curval pour elle ; tant il est vrai que les effets des passions sont inconcevables et que leur désordre, fruit du dégoût et de la satiété, ne peut se comparer qu’à leurs écarts. Julie était grande, bien faite, quoique très grasse et très potelée, les plus beaux yeux bruns possibles, le nez charmant, les traits saillants et gracieux, les plus beaux cheveux châtains, le corps blanc et dans le plus délicieux embonpoint, un cul qui eût pu servir de modèle à celui que sculpta Praxitèle, le con chaud, étroit et d’une jouissance aussi agréable que peut l’être un tel local, la jambe belle et le pied charmant, mais la bouche la plus mal ornée, les dents les plus infectes, et d’une saleté d’habitude sur tout le reste de son corps, et principalement aux deux temples de la lubricité, que nul autre être, je le répète, nul autre être que le président, sujet aux mêmes défauts et les aimant sans doute, nul autre assurément, malgré tous ses attraits, ne se fût arrangé de Julie. Mais pour Curval, il en était fou : ses plus divins plaisirs se cueillaient sur cette bouche puante, il était dans le délire en la baisant, et quant à sa malpropreté naturelle, bien loin de la lui reprocher, il l’y excitait au contraire et avait enfin obtenu qu’elle ferait un parfait divorce avec l’eau. À ces défauts Julie en joignait quelques autres, mais moins désagréables sans doute : elle était très gourmande, elle avait du penchant à l’ivrognerie, peu de vertu, et je crois que si elle l’eût osé, le putanisme l’eût fort peu effrayée. Élevée par le duc dans un abandon total de principes et de mœurs, elle adoptait assez cette philosophie, et de tout point sans doute il y avait de quoi faire un sujet ; mais, par un effet encore très bizarre du libertinage, il arrive souvent qu’une femme qui a nos défauts nous plaît bien moins dans nos plaisirs qu’une qui n’a que des vertus : l’une nous ressemble, nous ne la scandalisons pas ; l’autre s’effraye, et voilà un attrait bien certain de plus. Le duc, malgré l’énormité de sa construction, avait joui de sa fille, mais il avait été obligé de l’attendre jusqu’à quinze ans, et malgré cela il n’avait pu empêcher qu’elle ne fût très endommagée de l’aventure, et tellement, qu’ayant envie de la marier, il avait été obligé de cesser ses jouissances et de se contenter avec elle de plaisirs moins dangereux, quoique pour le moins aussi fatigants : Julie gagnait peu avec le président, dont on sait que le vit était fort gros, et d’ailleurs quelque malpropre qu’elle fût elle-même par négligence, elle ne s’arrangeait nullement d’une saleté de débauche telle qu’était celle du président, son cher époux.

Aline, sœur cadette de Julie et réellement fille de l’évêque, était bien éloignée et des habitudes et du caractère et des défauts de sa sœur. C’était la plus jeune des quatre : à peine avait-elle dix-huit ans ; c’était une petite physionomie piquante, fraîche et presque mutine, un petit nez retroussé, des yeux bruns pleins de vivacité et d’expression, une bouche délicieuse, une taille très bien prise quoique peu grande, bien en chair, la peau un peu brune, mais douce et belle, le cul un peu gros, mais moulé, l’ensemble des fesses le plus voluptueux qui pût s’offrir à l’œil du libertin, une motte brune et jolie, le con un peu bas, ce qu’on appelle à l’anglaise, mais parfaitement étroit, et, quand on l’offrit à l’assemblée, elle était exactement pucelle. Elle l’était encore, lors de la partie dont nous écrivons l’histoire, et nous verrons comme ces prémices furent anéanties. À l’égard de celles du cul, depuis huit ans l’évêque en jouissait paisiblement tous les jours, mais sans en avoir fait prendre le goût à sa chère fille qui, malgré son air espiègle et émoustillé, ne se prêtait pourtant que par obéissance et n’avait pas encore démontré que le plus léger plaisir lui fît partager les infamies dont on la rendait journellement victime. L’évêque l’avait laissée dans une ignorance profonde ; à peine savait-elle lire et écrire, et elle ignorait absolument ce que c’était que la religion. Son esprit naturel n’était guère que de l’enfantillage, elle répondait drôlement, elle jouait, aimait beaucoup sa sœur, détestait souverainement l’évêque et craignait le duc comme le feu. Le jour des noces, quand elle se vit au milieu de quatre hommes, elle pleura, et fit d’ailleurs tout ce qu’on voulut d’elle, sans plaisir comme sans humeur. Elle était sobre, très propre et n’ayant d’autre défaut que beaucoup de paresse, la nonchalance régnant dans toutes ses actions et dans toute sa personne, malgré l’air de vivacité que ses yeux annonçaient. Elle abhorrait le président presque autant que son oncle, et Durcet, qui ne la ménageait pourtant pas, était néanmoins le seul pour lequel elle eût l’air de n’avoir aucune répugnance.

Tels étaient donc les huit principaux personnages avec lesquels nous allons vous faire vivre, mon cher lecteur. Il est temps de vous dévoiler maintenant l’objet des plaisirs singuliers qu’on se proposait.