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Cher lecteur, chère lectrice, Je vous propose un jeu. Imaginez-vous dans votre lit, quand un incendie se déclare en pleine nuit. Après avoir fait apparaître des flammes de vos mains, vous perdez connaissance. À l'hôpital, vous êtes kidnappée. Une fille vous fait sauter d'une tour et vous apprend que vous avez des dons magiques. Bon, un peu banal n'est-ce pas ? Alors que diriez-vous d'apprendre que vous êtes l'élue d'une prophétie qui doit sauver le monde d'un mage noir en quête de pouvoir ? Ça commence à sentir le bourbier non ? Ah et un détail. Vous avez aussi la fâcheuse tendance à tomber dans les pommes dès que les émotions prennent le dessus. Vous voulez tester ? Et bien, venez découvrir ma vie, vous comprendrez. Bises, Ambre (ou June comme vous voulez)
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Seitenzahl: 519
Veröffentlichungsjahr: 2023
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« Notre ombre n’éteint pas le feu. »
Paul Eluard
Prologue – Ambre
Chapitre 1 – Ambre
Chapitre 2 – Isabelle
Chapitre 3 – Ambre
Chapitre 4 – Ambre
Chapitre 5 – Talia
Chapitre 6 – Talia
Chapitre 7 – Diane
Chapitre 8 – Elros
Chapitre 9 – Ambre
Chapitre 10 – Ambre
Chapitre 11 – Elros
Chapitre 12 – Ambre
Chapitre 13 –June
Chapitre 14 – June
Chapitre 15 – Talia
Chapitre 16 – June
Chapitre 17 – June
Chapitre 18 – Elros
Chapitre 19 – Ivy
Chapitre 20 – Elros
Chapitre 21 – Talia
Chapitre 22 – June
Chapitre 23 – June
À PROPOS DE L’AUTEUR
REMERCIEMENTS
Mes yeux parcourent les longues lignes noires de mon livre sans s’arrêter. Au bout de quelques secondes je me rends compte que je n’ai absolument plus aucun souvenir des lignes lues. Je relève la tête pour me masser le cou mais ma vue commence à se brouiller. J’ai la sensation désagréable que la pièce tourne tout autour de moi.
Je me lève pour tenter de repousser cet effet inconfortable. Mauvaise idée, tout mon corps se met à trembler sans que je ne le contrôle et, comme mues par une force invisible, mes mains se tendent vers le mur. Ma sœur apparaît sur le seuil de la porte pour me dire de passer à table. Je ne perçois aucun étonnement dans ses yeux face à ma position et mes tremblements. Elle se retourne et descend dans la salle à manger sans questions. Mes bras se rabattent sur mes cuisses et mes convulsions s’arrêtent d’un seul coup. Je tente de suivre ma sœur mais je vacille sur mes jambes.
Tout à coup, je suis à table, je vois ma mère me parler mais, en colère pour une raison que j’ignore, je tends mes paumes vers elle et du feu s’en découle. Il se déverse dans la pièce à une vitesse phénoménale sans que je ne puisse rien faire. Je sens la panique enfler en moi et je me lève de ma chaise brusquement, la faisant chuter dans un bruit mat. Mon regard cherche celui de ma mère et, quand enfin je le trouve, je la voix crier quelque chose que je ne peux pas comprendre. Ses cheveux volent autour de sa tête, comme électrisés. Je vois mon nom se former sur sa bouche juste avant qu’elle tombe, dans une chute infinie. Mon corps bascule vers l’avant et suit la trajectoire de ma mère pendant de longues secondes d’angoisse, ses lèvres bloquées sur la fin de mon prénom… Ambre.
Je me réveille en sursaut, les yeux toujours fermés. Ce n’était qu’un cauchemar. Je souffle lentement. J’ai chaud, de plus en plus chaud. J’ouvre les yeux et je suis saisie par la lumière rougeoyante présente partout autour de moi.
Ma chambre est en feu.
Ma chambre est en feu…
Je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que des flammes se précipitent déjà vers moi et que la fumée commence à s’insinuer dans mes poumons. Merde ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Je tousse pour aspirer plus d’air, grave erreur. Mue par je ne sais quel réflexe, je saute de mon lit le plus vite possible. Malgré la situation j’arrive à garder la tête froide, enfin si c’est possible de garder la tête froide dans une chambre enflammée, et je me dis que si l’incendie qui se propage est important alors je ne peux pas tout laisser ici, quitte à risquer ma vie. Idée complétement stupide je l’accorde mais je ne peux pas m’en empêcher.
J’ouvre mon placard et en tire un foulard pour me protéger le visage des particules dangereuses, j’attrape un grand sac et fourre quelques affaires au hasard dedans. J’ouvre mon tiroir secret, vide ma tirelire dans la poche intérieure, et je mets mes papiers dans celle extérieure, mon portable, mon carnet de dessin et enfin mon collier porte bonheur.
J’avance les yeux plissés et me précipite vers la porte. Je dévale les escaliers en courant en appelant ma mère et m’arrête en plein milieu lorsque je l’aperçois qui hurle mon nom, entourée de longues flammes orangées. Son visage est baigné de larmes, sans doute causées par la panique de ne pas me voir apparaître. Je me demande pourquoi elle n’est pas venue me réveiller directement. Mais je comprends que l’incendie s’est tellement propagé et que le bas des escaliers est totalement enflammé et menace de s’écrouler si on pose le pied dessus. Ma mère me voit et crie :
— Ambre ! Fais demi-tour, descends par ta fenêtre, c’est trop dangereux ici !
Je me retourne pour suivre son conseil mais c’est trop tard, le feu est juste derrière moi et me mord les chevilles. Je ne peux pas remonter.
— Maman ! lui crié-je pour couvrir le bruit du bois qui brûle, je vais sauter.
— Non ! Tu vas te blesser !
Mais j’ai déjà sauté. La chute est rude et un morceau de bois tombé des escaliers me griffe la jambe. Je grimace en sentant la douleur se propager mais j’avance jusqu’à ma mère qui me prend directement dans ses bras. Le soulagement envahit son visage mêlé aux centaines d’émotions qui nous habitent.
Maman me prend la main et nous nous mettons à courir pour rejoindre la porte, slalomant entre les meubles en proies aux flammes. Mes yeux me piquent et j’ai du mal à voir plus loin. Plus je m’approche de la porte plus je sens l’air chaud s’engouffrer dans la maison, attisant le feu. Il nous encercle comme un prédateur agirait avec sa proie avant de l’engloutir. Je me sens la proie, non pas d’un animal mais de flammes qui ont l’air bien vivantes, léchant les murs, brûlant tout sur leur passage. Malgré la situation, je trouve ce spectacle magnifique. Les couleurs rouge orangé qui dansent, s’entraînant dans une valse mortelle. Non mais qu’est-ce que je raconte, sérieux ? Je secoue la tête et me concentre. Heureusement pour nous, nous sortons de la maison juste avant qu’une poutre s’écrase devant l’entrée, bloquant l’accès à l’extérieur.
Je fais encore quelques pas avant de m’écrouler au sol en toussant, de la fumée plein les poumons. Des mains puissantes me relèvent, doucement, sans me brusquer. On m’allonge sur ce que je suppose être un brancard, une couverture de survie est posée sur mes épaules, un masque est plaqué sur mon visage et je sens ma respiration reprendre peu à peu son allure normale. Je comprends rapidement que les pompiers sont déjà arrivés et ont entrepris d’éteindre le feu. J’hésite à fermer les yeux, comme si tout ceci n’était que la suite de mon cauchemar. Après tout, c’est possible non ?
Je me sens en sécurité et je sais que ma mère l’est aussi, un voisin a dû alerter les secours en voyant les flammes sur la maison. Rassurée je ne pense qu’à fermer les yeux et dormir, oublier, me réveiller. Je ne parviens pas réellement à sombrer mais je tente de me calmer. J’inspire un grand coup et souffle.
Un homme s’approche de moi.
— Bonjour.
Je tente de répondre mais ne parviens qu’à tousser.
— Ne parle pas, ne t’inquiètes pas. Je viens simplement te donner quelques informations.
Je hoche la tête, soulagée.
— Ta mère est en sécurité, et toi aussi. L’incendie vient d’être maitrisé et dans quelques secondes il sera éteint. Une voisine nous a appelé pour nous prévenir de ce qu’il se passait et nous cherchons toujours la source d’où est apparu le feu.
Je ne réponds rien, je ne peux pas et je ne vois pas ce que je pourrais dire.
— Je vais te laisser reprendre tes esprits quelques minutes et aller poser des questions à ta mère. Nous vous transférerons ensuite à l’hôpital de Saint-Jean, à deux kilomètres d’ici. Fais-moi signe si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux dormir ne t’en fais pas.
Je le remercie du regard, du moins j’espère qu’il l’aura compris, et il s’éloigne.
Je reste allongée et tente de rassembler mes pensées, tout s’est enchaîné si vite ! Tout à coup, une voix attire mon attention :
—… feu… source… dernier étage… cheminée ?
Je n’ai pas besoin de plus d’explications pour comprendre. J’arrache mon masque, retire la couverture grise d’un geste brusque et me relève. Je cours vers la maison, maintenant dépourvue de toute couleur automnale, simplement noire et cendrée, pareille à un jour de pluie. Je ne m’attarde pas sur ce spectacle désolant et me précipite vers la porte. Je sens des mains qui tentent de me retenir mais je vais trop vite et elles ne parviennent pas à me retenir. La poutre qui bloquait l’entrée de la maison il y a à peine trois minutes n’est plus qu’un petit amas de poussière, l’incendie a dû être particulièrement violent pour la faire disparaître en si peu de temps. Je saute audessus des débris comme s’ils n’existaient pas en ne pensant qu’à une chose : le dernier étage, c’est ma chambre. Le feu n’a pas pu y prendre sa source, si ?
J’escalade les escaliers à moitié détruits et me rue dans la pièce, enfin ce qu’il en reste. Je referme la porte derrière moi. Tiens, la porte a survécu ?
J’observe les dégâts d’un œil distrait. Mes vêtements sont carbonisés dans mon placard toujours ouvert et des braises s’élèvent dans l’air, portées par un mince filet d’air qui s’engouffre maladroitement par la fenêtre entrouverte. De grandes tâches noires s’étendent sur tous mes meubles, le parquet est brûlé et sombre. La tapisserie se décolle à cause de la chaleur. J’observe ma montre que je garde même la nuit, cinq heure six. Quinze minutes. Tout s’est passé en quinze minutes. J’ai l’impression d’être réveillée depuis deux heures.
Je suis stoppée dans mes réflexions par la vue de mon lit. Il n’a pas une seule trace de suie, pas une braise qui brûle les draps, comme si une aura le protégeait. Ma couverture est d’un blanc immaculé qui contraste avec le reste de la pièce. Je m’en approche doucement, comme absorbée. Je ne sais pas quelle idée me vient à la tête mais je me glisse sous les couvertures afin de trouver un peu de réconfort. Je sens une boule de panique enfler dans ma gorge. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai la conviction que c’est de là qu’est parti le feu, pendant que je dormais. Je n’ai aucune explication rationnelle à donner à part que mon instinct me le crie. Mais plus j’y réfléchis plus je suis convaincue et cela m’apaise, refoulant la panique.
Étrangement rassénérée par ma conviction je laisse mon esprit divaguer, comme si je n’étais pas dans une chambre en cendres qui vient d’essuyer un violent incendie. Je me rappelle mon cauchemar de cette nuit… J’ai rêvé de Chloé. Est-ce que c’est le fait de sentir le feu commencer à se propager autour de moi qui a influencé mon esprit inconsciemment ? Les deux sont étrangement reliés et c’est bizarre mais j’ai l’impression qu’il y avait un rapport entre mon rêve et la réalité. Mais non ! Ce n’est pas possible. Je chasse cette idée de ma tête et me replonge malgré moi sur le drame qui s’est produit il y a six ans.
***
Six ans plus tôt : Je suis au téléphone avec Anna et j’embrasse rapidement Chloé du bout des lèvres, sur le front en lui faisant promettre d’être sage et de ne pas gêner mamie. Elle ne lève pas les yeux, trop occupée à inventer une vie à ses Playmobil, comme toute enfant de huit ans, mais lance tout de même un petit aurevoir.
J’attrape le plateau que je viens de préparer, il est composé d’un verre de jus de fruit ou est dilué le médicament que doit prendre grand-mère, d’une petite part de fondant au chocolat que j’ai préparé ce matin et d’un grand verre d’eau. Je me dirige tranquillement tout en mettant un terme à ma conversation avec mon amie :
— Je dois te laisser Anna, je vais dire au revoir à grandmère et je te rejoins. Entraine-toi bien, je suis sûre que vous allez le remporter ce match ! Je serais là pour le coup d’envoi, à tout à l’heure.
— A tout à l’heure Ambre, ne traîne pas, on commence dans trente minutes.
— Oui, promis, dis-je en raccrochant.
Je frappe doucement à la porte de mamie : — Mamie c’est moi.
— Entre Ambre, dit-elle de sa voix douce abimée par la maladie inconnue qu’elle a attrapée quelques mois plus tôt et qui la force à faire des allers-retours réguliers à l’hôpital.
— Je vais y aller, Anna a son match de foot qui commence dans trente minutes et je lui ai promis d’être là pour le coup d’envoi, c’est le match le plus important de la saison alors elle tient à ce que je sois là. Chloé joue tranquillement dans le salon, elle ne te dérangera pas, annonçai-je tout en posant mon petit plateau sur la table de chevet.
— Merci ma Ambre, file vite voir Anna maintenant au lieu de t’occuper de ta vieille grand-mère, me dit-elle avec un petit geste de la main.
Son sourire est si beau, elle est si rayonnante, avec ses longs cheveux blonds, enfin plutôt blancs maintenant, et ses rides qui creusent son visage aux plus beaux endroits. Elle rayonne.
Je l’embrasse elle aussi et cours à l’arrêt de bus le plus proche. J’enfonce mes écouteurs dans mes oreilles et patiente pour les vingt minutes de trajet.
***
Ce jour-là Anna a remporté son match et nous avons trainé dans les vestiaires, mais ce que je ne savais pas c’est que pendant que je profitais de mes amis, un drame était en cours. Quand je suis rentrée chez ma grand-mère, j’ai d’abord aperçu les sirènes, puis la fumée et enfin ma mère. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Elle devait être au travail, c’est pour ça qu’elle nous avait emmenées chez mamie. Maman portait une magnifique robe rouge et dorée, je m’en souviendrais toujours. Puis je l’ai aperçue à mon tour, debout, qui pleurait à chaudes larmes, tout comme ma mère d’ailleurs, mamie. Je me suis rendu compte au bout de quelques secondes que quelqu’un manquait à ce tableau d’horreur. J’ai couru jusqu’à l’endroit où ma mère et la sienne étaient installées en criant :
— Maman qu’est ce qui s’est passé ? Pourquoi es-tu là ? Pourquoi es-tu debout mamie ?
Mais surtout :
— Où est Chloé ?
Au regard effondré de ma grand-mère j’ai compris. Je ne reverrais plus ma petite sœur. Ce jour-là, mon monde s’est écroulé. Plus rien n’existait autour de moi, je voyais ma mère m’entourer de ses longs bras mais je ne les sentais pas. J’étais comme anesthésiée, mon cœur brisé. Pas ma Chloé. Je ne me souviens même plus de la suite tant j’étais assaillie de tristesse, juste que j’étais dans un état de transe et que les pompiers ont voulu savoir ce qu’il s’était passé. Apparemment, pendant qu’elle jouait, Chloé a joué avec les allumettes que j’avais oublié de ranger et a allumé la gazinière. Le feu s’est propagé très rapidement et ma grand-mère a été évacuée par les pompiers, alertés par les voisins. Ils disent avoir chercher les traces de l’enfant que mamie disait avoir sous sa garde, mais ne pas en avoir trouvé. Sachant qu’elle était malade ils ont cru que c’était un coup de folie, alors ils l’ont évacuée, seule... Juste Mamie, pas Chloé. Son corps n’a pas été retrouvé.
***
Je me rends compte que je pleure, dans mon lit, au milieu d’une chambre calcinée. Je chasse ce souvenir qui me hante pour tenter de reprendre contrôle sur mes émotions tout en essuyant mes larmes. Je souffle un grand coup mais je sens tout de même un coup de panique enfler dans mon corps. Je suis dans une maison qui vient de brûler, et si le feu redémarrait ? Qu’est-ce qui m’a pris de remonter ?
Je repousse mes draps et sors de mon lit, décidée à redescendre et à soutenir ma mère, nous sommes deux dans cette épreuve, nous l’affronterons ensemble. Mais, à peine debout, je sens ma tête tourner et mes jambes s’effondrent sous mon poids. Je tente de me redresser et pose une main sur mon genou avant de la retirer aussi vite. Mes paumes sont brûlantes et j’ai l’impression que ma tête va exploser. Je tente de poser mes mains sur le sol pour les refroidir, ce qui est complétement stupide puisque la maison vient de brûler donc tout est chaud, en vain. Et c’est seulement à ce moment que je comprends que je ne touche pas le sol.
Je lévite.
Panique. Peur. Angoisse. Stress. Surprise. Étonnement. Émerveillement. Émerveillement, oui, c’est exactement ce que je ressens. Mon cœur bat à cent à l’heure et je sens mon estomac faire des tourbillons. Je défie littéralement toutes les lois de la physique actuellement, je lévite, je vole, je ne touche pas le sol ! Mes yeux s’ouvrent comme des soucoupes et mon cerveau tourne à vive allure :
— Je rêve ce n’est pas possible ! Non mais je vole ! C’est une caméra cachée ?
Je suis persuadée que c’est une blague et je me demande si maman est au courant ? Comment font-ils pour me donner l’impression de léviter comme ça ? Les effets spéciaux sont-ils tellement élaborés de nos jours que l’on peut faire croire à quelqu’un qu’il vole réellement ? Ou alors je me suis faite hypnotisée ? Cette hypothèse ne m’enchante pas trop alors je fronce les sourcils.
Tant de questions qui restent sans réponses. Je suis comme dans les films fantastiques que je regarde le soir avec ma mère, comme ces filles dans les manoirs hantés.
Tout à coup, mon corps est secoué de spasmes et se tend à l’horizontale. Je suis maintenant allongée dans les airs, ce qui est tout à fait logique évidemment d’être allongée dans l’air sans support. Ambre, concentre-toi. Je ne contrôle absolument rien, je suis totalement impuissante, sans aucun pouvoir d’action sur moi-même. Une douleur vive éclate dans mon estomac et mon corps s’arc bouc sans un bruit.
Un halo de lumière doré semble se disperser tout autour de moi. C’est magnifique. La lumière est éclatante et m’éblouie d’une manière douce qui ne me brûle pas les yeux comme les flammes, au contraire, c’est agréable. La lumière m’enveloppe comme une couverture, comme pour me protéger des éléments extérieurs et je me réfugie dans cet abri douillet qui me tend les bras. Je ne peux détacher mon regard de cette époustouflante lumière dorée. Mais brusquement, aussi vite qu’elle est apparue, la magie disparaît. Je retombe durement sur le sol en m’écrasant par terre dans un violent bruit qui fait trembler les murs. L’air se refroidit aussitôt et je sens mes membres se mettre à grelotter. Wow, qu’est-ce qu’il vient de se passer ?
L’absence de chaleur commence à m’angoisser et je porte mes mains à mon cœur en signe d’autoprotection. Je tremble et j’ai froid. La peur s’insinue dans mes boyaux et je me rends compte de l’absurdité de la situation et surtout de son irrationalité. Je dois être folle, je ne suis pas normale, je dois me faire soigner. Il faut que je prévienne quelqu’un. Une furieuse envie de me précipiter vers la porte me prend mais je ne parviens pas à agir. J’aimerais prévenir maman. Plus la panique enfle en moi plus je me rends compte que je commence à suer. Mes paumes me démangent et je tente de me relever, j’y arrive avec beaucoup d’efforts mais mes mains ne suivent plus le mouvement. Ma tête tourne et je regarde autour de moi, affolée, comme si quelqu’un venait de me toucher l’épaule. Je deviens paranoïaque ce n’est pas possible ! Il n’y a plus aucune trace du bien être ressenti quelques minutes plus tôt seulement, au fond de moi.
Je me concentre sur ce qu’il se passe autour de moi et je me rends compte que des flammes m’encerclent, se resserrant autour de moi. L’incendie s’est redéclaré ! Je le savais, je le savais. Pourquoi est-ce que je suis remontée ? J’ai si peu d’instinct de survie ? Le feu se rapproche de plus en plus de moi. Au bout de quelques instants je me trouve à nouveau au cœur des couleurs vives. Il n’y a plus rien autour qu’une tempête de rouge, d’orange et d’ocre. Mais la chaleur ne me brûle pas, au contraire, elle m’apaise et se répand en moi. Le brasier me caresse la peau, comme une main réconfortante. Il réchauffe mes muscles glacés et petit à petit, je me détends. Mon esprit est légèrement embrumé et je me sens sur un petit nuage. J’ai retrouvé la merveilleuse sensation de tout à l’heure.
— Ambre !
Cette voix... Je la connais. Mais qui ? Je ne parviens pas à me souvenir, je ne veux pas me souvenir.
— Ambre ! Réponds-moi ! reprend la voix que je reconnais cette fois.
— Maman, je murmure.
La chaleur s’arrête en même temps que le brasier qui crépite autour de moi. J’entends que l’on tambourine à la porte, les pompiers. Ils ont réagi. Je me demande pourquoi ils n’entrent pas tout simplement, puis je comprends que la porte est coincée et qu’ils n’ont aucun moyen d’entrer à part en enfonçant la porte. C’est d’ailleurs ce que j’entends un homme dire :
— Nous allons devoir enfoncer la porte madame, écartez-vous.
S’en suit un long silence durant lequel j’hésite à intervenir pour leur dire que je vais bien, mais je prends finalement ma décision : je ne réponds pas. Je ne sais pas pourquoi j’ai décidé ça, je ne veux pas parler, je ne veux pas qu’ils rentrent, je ne veux voir personne, je veux simplement retrouver l’inconscience de tout à l’heure. Pourtant, il y a trente secondes je ne pensais qu’à une chose, sortir et retrouver maman.
J’entends les hommes et les femmes s’activer derrière la porte, ils vont enfoncer la porte. Je les entends commencer un décompte :
— Allez les gars, à trois !
Je ne veux pas qu’ils rentrent.
— Un, dit une autre voix.
Je ne veux voir personne.
— Deux !
L’inconscience.
— Tr...
Je ne veux pas parler. J’enfonce mes mains sur le sol, suivant mon instinct, et ferme les yeux le plus fort possible.
— ...ois !
Un nouveau halo lumineux semblable à celui de tout à l’heure, mais bleuté, apparaît au bout de mes doigts et s’élance en longs filaments vers la porte. Ils s’étendent, se croisent et s’enroulent pour former une longue barrière autour de la porte. Une énorme détonation retentit, me faisant tressauter. La porte n’a pas bougé. Mais je pleure. Je pleure à chaudes larmes, pour une raison que j’ignore. Je relâche tout effort et je vois la porte s’effondrer tandis que ma barrière bleue s’efface en même temps que mon esprit.
J’ai à peine le temps de voir ma mère se précipiter vers moi, le visage baigné de larmes, que je m’écroule pour ne plus voir que le noir, épuisée par toutes les émotions qui s’agitent dans mon corps.
Je me réveille en sursaut, en sueur, haletante. J’ai fait un cauchemar, Ambre en faisait partie et j’en frissonne rien que d’y repenser, j’espère que ce que j’ai vu n’arrivera pas de sitôt. Je reprends mon souffle doucement. J’ai besoin d’aller aux toilettes. Il fait une chaleur étouffante dans ma grande chambre illuminée par le clair de lune. Je me dirige vers la grande fenêtre qui donne sur le jardin, à l’arrière de notre grande maison. J’ouvre la vitre en grand et inspire l’air frais à pleins poumons. Je regarde l’heure sur mon radio-réveil d’un œil distrait, il est quatre heures cinquante-huit. Je descends aux toilettes qui se trouvent au rez-de-chaussée. Après avoir fini mes affaires je vais à la cuisine pour me servir un verre d’eau fraîche. Le four annonce cinq heures trois, je ne pense pas que j’arriverais à me rendormir avant d’aller au travail, je dois normalement me réveiller dans une heure.
Je me décide donc à lire un livre en attendant qu’Ambre se lève pour aller au lycée. Elle arrivera comme d’habitude, la tête encore endormie, et tant qu’elle n’aura pas bu son jus de fruits impossible de lui faire décrocher plus de deux mots.
Je feuillette distraitement les pages de mon livre et c’est à ce moment que je les aperçois. De longues flammes dévalant les escaliers à toute allure, comme poursuivies. Je me relève brusquement, faisant basculer ma chaise derrière moi, qui s’écrase violemment au sol. Je me précipite dans le salon ou le feu à commencer à se propager, comment ai-je pu ne pas le remarquer plus tôt ? Je n’ai pas le temps de me poser plus de questions que mon cerveau pense aux priorités :
— Ambre ! je crie vers les escaliers.
Je panique. Sa chambre se trouve au dernier étage de la maison, j’espère qu’elle s’est rendue compte de qu’il se passe.
Je me précipite vers les marches dans l’espoir de pouvoir monter mais la fumée s’insinue déjà dans mes poumons, me faisant tousser. Les flammes sont trop hautes, trop brûlantes pour que je puisse avancer. Je cours dans la cuisine afin d’attraper une carafe d’eau, avec le mince espoir de pouvoir éteindre quelques flammes, pour me permettre de monter, mais c’est peine perdue. Je hurle de plus en plus fort pour m’assurer qu’Ambre va bien.
— AMBRE ! je crie à pleins poumons.
Je ne la vois toujours pas apparaître en haut des escaliers. Mais je me rends compte qu’elle ne va pas pouvoir descendre, les flammes sont trop hautes. Non, non, non ! Je me prends la tête dans les mains, affolée. Pas Ambre, pas elle. Au bout de quelques secondes elle déboule, son sac sur l’épaule. Elle est incorrigible. Son sac est vraiment la seule chose à laquelle elle a pensé en voyant un incendie se déclarer ? Comment s’est-il déclaré d’ailleurs ? J’ai ma petite idée mais je ne peux pas y croire.
— Ambre ! Fais demi-tour, descend par ta fenêtre, c'est trop dangereux ici ! Je lui crie, me rendant compte en même temps que je la propose que c’est effectivement la meilleure idée, il faut qu’elle sorte par sa fenêtre.
Je la vois observer les alentours pour évaluer le danger et je comprends son idée au regard vif qu’elle me lance :
— Maman ! Je vais sauter.
— Non ! Tu vas te blesser !
Mais elle a déjà sauté et atterri lourdement au sol, s’égratignant la jambe au passage, mais se relevant tout de même, malgré sa grimace qu’elle tente de cacher. Elle court vers moi et je tends les bras pour l’enlacer, soulagée. Mon cerveau marche à vive allure, j’ai eu si peur pour elle mais je suis tellement heureuse qu’elle aille bien. Je me rends compte que je pleure. Mais ce n’est pas encore fini, il nous faut absolument sortir d’ici tout de suite.
J’attrape la main de ma fille et l’entraine vers la porte. Nous courons à travers les débris de meubles cramés. En voyant brûler toutes ces heures de travail pour décorer tant bien que mal cette maison familiale, je ressens un pincement au cœur. Tout part en fumée. J’ai une impression de déjà-vu… Mais le plus important c’est de sortir d’ici le plus vite possible. La fumée me pique les yeux et des cendres se déposent sur mon pyjama en dentelles.
Nous arrivons enfin à la porte et nous précipitons dehors en même temps qu’une poutre manque nous tomber dessus. Ambre s’écroule au sol et je tente de la relever mais une femme en uniforme s’approche de moi avec une couverture et un homme prend ma fille dans ses bras pour la déposer dans un brancard un peu plus loin, un masque posé sur le nez. Les pompiers. Ils sont là, probablement alertés par les voisins en voyant l’incendie. Tout à coup, la maison qui crame me paraît secondaire, ma fille est en sécurité, saine et sauve. La pression qui me compressait les épaules se relâche doucement et je respire mieux dans le masque que la femme en face de moi vient de me poser sur le nez. Après quelques secondes passées à m’observer, la pompière me demande si elle peut me poser quelques questions :
— Nous avons quelques questions à vous poser madame, acceptez-vous d’y répondre ? Vous n’êtes pas obligée évidemment, nous sommes conscients que ce que vous venez de vivre n’est pas facile mais une enquête va être ouverte et cela nous faciliterais la tâche.
— Ma fille, je…
— Vous pouvez aller la voir tout de suite si vous le souhaitez, mon collègue s’occupe de la rassurer, ou répondre et ensuite y aller. Comme vous le sentez, madame.
Je hoche la tête, je suis prête à répondre, plus vite elle me pose ses questions plus vite ce sera terminé, Ambre est en sécurité. Elle me pose tout d’abord quelques questions pour avoir des renseignements sur ce qu’il s’est passé, me demandant de raconter tout ce que j’ai vu, dans les moindres détails, jusqu’à ce moment précis. S’en suivent des questions sur mon état de santé et celui d’Ambre et des renseignements sur la maison et les personnes que l’on pourrait appeler. Je leur demande de prévenir ma mère, Éléonore saura comment gérer la situation, enfin si elle est ici. J’ai du mal à croire que tout ceci est un accident, mais, bien sûr, je ne fais pas part de cette dernière réflexion aux pompiers.
L’homme qui s’occupait de ma fille s’approche de moi pour me parler :
— Nous pensons savoir d’où est parti le feu. Il semblerait que la source de l’incendie soit le dernier étage. Y’a-t-il une cheminée à cet étage ? Cela expliquerait qu’il se soit propagé à partir de cet endroit.
Je n’ai pas le temps de répondre que non il n’y a pas de cheminée au dernier étage que je vois ma fille sauter du brancard qui la retenait et courir vers la maison, éteinte par les professionnels du feu. Ceux-ci tentent de la retenir mais je sais qu’ils n’y parviendront pas. Je commence à la suivre, non pas pour essayer de la rattraper mais pour m’assurer qu’elle va bien. Mes convictions se renforcent de plus en plus, l’incendie a démarré dans sa chambre, et la raison m’en paraît évidente. Mais tout à coup une main puissante me retient le bras :
— Vous ne pouvez pas entrer madame, dit le pompier d’une voix rauque., celui-là même qui est venu nous dire que la source se trouvait au dernier étage, il y a quelques minutes.
— C’est ma fille, et ma maison, je proteste en essayant de garder mon sang-froid et de ne pas céder à mes impulsions.
— Je sais, je comprends madame mais il faut laisser les professionnels s'en occuper. Nous allons la chercher.
— Monsieur, je pense être en droit de décider de si je dois aller voir ma fille qui est danger ou non. Vous avez des enfants ?
— Je...Oui mais..., commence-t-il.
Mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase :
— Alors, en tant que père vous devriez comprendre que je souhaite être auprès de ma fille après toutes ces épreuves traumatisantes que nous venons de vivre.
Il ne trouve rien à redire. Je savais que mon argument était imparable, il faut dire que j’ai étudié à bonne école et que j’ai l’expérience des cas récalcitrants.
Le pompier me demande tout de même de rester à l’extérieur. Il est têtu celui-là. Au moins, il n’est pas bête, on ne laisse pas rentrer n’importe qui dans une maison qui vient de brûler. J’accepte à contrecœur, sachant pertinemment que je vais les suivre malgré tout. Je veux simplement voir Ambre et m’assurer qu’elle va bien. J’ai peur, mais j’ai confiance en elle, elle ne prendra pas de risques inconsidérés. Enfin comment en être sûre après qu’elle a sauté de l’escalier tout à l’heure ?
Nous nous précipitons donc vers l’intérieur et montons les marches à toute allure, enfin à l’allure la plus rapide qu’il est possible d’aller dans un escalier à moitié détruit. Je dis « nous » puisque j’ai effectivement suivi les pompiers. L’homme de tout à l’heure s’apprête à me faire une remarque en me voyant et ouvre la bouche. Mais ce que je vois ne me laisse pas le temps d’entendre ses représailles. Le feu. L'incendie s’est rallumé à l’étage.
—Ambre ! je crie en me précipitant vers sa chambre, verrouillée.
— Ambre ! Réponds-moi !
Les flammes s’éteignent d’un coup et les pompiers me rattrapent. Personne ne pose de questions sur la rapidité qu’a mis le feu pour s’éteindre. Je tente d’actionner la poignée de la porte mais elle est coincée. Je tambourine à la porte en criant à Ambre de me répondre si elle m’entend. Les pompiers me parlent puis s’adressent à ma fille à travers la porte pour savoir si elle est là, mais je ne parviens pas à les écouter, je comprends ce qu’il se passe de l’autre côté. Les professionnels décident d’enfoncer la porte et l’un commence un décompte :
— Allez les gars, à trois !
— Un !
— Deux !
— Trois !
Ils foncent vers la porte mais une vive lumière bleue apparaît et la porte ne bouge pas d’un millimètre. Puis elle s’écroule dans un grand bruit et je me précipite à l’intérieur juste à temps pour voir ma fille sombrer, de la lumière s’éteignant entre les mains. Merde.
— Non ! je crie.
Les pompiers se déploient tout autour de moi, m’entourant, moi et ma fille, dans une sorte de cocon rassurant. Une femme s’approche pour écouter la respiration d’Ambre et s’assurer qu’elle vit toujours. Je sais que oui, je sens sa poitrine se soulever sur mes genoux, sa tête posée sur mon torse. La pompière tente de me retirer ma fille de mes bras mais je la retiens, je veux la garder pour toujours avec moi, mais je sais que ce ne sera pas possible, je sais ce que je dois faire.
— Madame, il faut que vous nous laissiez nous occupez de votre fille, nous ignorons toujours ce qu’il vient de se passer et si elle a été exposée à un autre danger, quel qu’il soit.
Je dois les laisser faire, pour le moment, je le sais, c’est la meilleure solution. Mais je ne peux m’empêcher, en tant que mère, de vouloir garder ma fille tout contre moi. Une civière a été remontée afin de pouvoir, je le devine, y déposer Ambre. Un homme s’approche de moi et je le laisse l’emporter pour allonger ma fille.
Elle est si jolie, ses joues sont douces comme la mousse de forêt, ses paupières fermées ne tremblent pas, elle semble apaisée, telle une princesse endormie à jamais. Son corps a besoin de repos, ce qu’elle vient d’endurer n’est qu’un début, je le sais, je l’ai vécu. J’observe Ambre. Ses longs cheveux bruns sont déployés autour d’elle, formant une masse sombre autour de son visage qui fait ressortir ses lèvres fines et colorées. Ses joues sont pâles ce qui contraste avec le reste de son corps. Son petit nez, rougi par la chaleur des flammes, posé tel une fleur au milieu de son visage, la rend plus belle encore. Elle ressemble tant à sa sœur. Je sais qu’elles tiennent beaucoup de moi, ma mère me l’a si souvent répéter : « Elles te ressemblent tellement Isa ».
Je suis fière de ce qu’est devenue ma fille : une belle jeune femme. J’ai confiance en elle et sa force, quand le jour sera venu, elle saura affronter ce qui l’attend.
Je détourne mon regard d’Ambre pour me concentrer sur les pompiers qui commencent à se diriger vers la porte pour descendre les escaliers. J’attrape la main de ma fille tout du long de la descente, comme si je craignais qu’elle s’envole sans moi et aussi pour la rattraper au cas où les escaliers calcinés se déroberaient sous nos pieds. Arrivés en bas, Ambre remue mais n’ouvre pas les yeux.
Je tente de ne pas trop observer autour de moi pour ne pas m’infliger la vue de notre foyer complétement détruit et irrécupérable. Mais je ne peux m’empêcher de tout de même jeter un coup d’œil sur l’un des meubles de l’entrée. Il ne lui reste qu’un pied et les deux tiroirs ont fondus, il gît à moitié sur le sol mais la photo qui m’intéresse est restée préservée de toute brûlure. Je la ramasse délicatement, comme si je craignais qu’elle se réduise en poussière à mon contact. Sur l’image, mes deux filles sourient de toutes leurs dents, la plus jeune sur une balançoire pour enfants et la plus grande la poussant, toujours plus haut. « Vers les étoiles Chloé ! » comme elle disait pour que sa sœur s’imagine s’envoler jusque dans les cieux.
Je souris et fourre la photo dans un coin de mon pyjama, au moins, un souvenir ressortira vivant de ce calvaire.
Les deux pompiers qui portent la civière l’emporte à l’intérieur d’un camion rouge. Je le suis à l’intérieur et personne ne me fait de remarques, ils ont compris que je n’abandonnerais pas ma fille. A l’intérieur du camion se trouve une tonne d’appareils différents, tous métalliques ou rouges.
Une secousse manque de me faire basculer, je comprends que l’engin démarre, déjà, en direction de l’hôpital le plus proche, à deux kilomètres d’ici. Une femme s’approche de moi pour me parler :
— Bonjour, je suppose que vous êtes la mère d’Ambre.
Ce n’est pas une question, elle le sait et n’attend pas réellement de réponse de ma part. Je hoche malgré tout la tête.
— Je m’appelle Laure, dit-elle en me tendant une main que je serre rapidement, nous arrivons bientôt à l’hôpital, ils se chargeront d’elle, ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Si cela ne vous dérange pas je vais vous demander de me répéter tout ce qu’il s’est passé chez vous, s’il vous plaît.
Sa voix est claire et douce, elle ne me parle pas d’un ton professionnel comme les autres pompiers, d’ailleurs je remarque que c’est une infirmière, au vu de la blouse blanche qu’elle porte, mais plutôt comme à une amie. Elle a des cheveux blonds, réhaussés par un chignon qui tombe sur sa tête. Ses traits ne sont pas particulièrement fins mais lui apporte une touche de beauté incroyable. Cette femme illumine l’habitacle. Je remarque d’ailleurs les regards admiratifs de ces collègues présents, ils ont l’air de réellement la respecter.
Je reprends donc toute l’histoire improbable qui vient de nous tomber dessus, à Ambre et moi, sans omettre un seul détail, à part peut-être un seul, crucial, que je ne peux me permettre de dévoiler.
— Merci beaucoup pour votre récit. J’ai maintenant une question que j’aimerais vous poser, puis-je ?
Son regard est vif et je comprends qu’elle souhaite me dire quelque chose de plus important. J’imagine qu’elle va me demander si Ambre à des antécédents médicaux ou non. J’acquiesce.
— Savez-vous si quelqu’un pourrait vouloir du mal à votre fille pour quelque raison ? lance-t-elle en appuyant fortement sur le mot « quelque » et en me lançant un regard sans équivoque.
Mon sang se glace, elle sait. Comment ?
— Qui êtes v… ?
Mais je n’ai pas le temps de finir ma phrase que j’aperçois les murs de l’enceinte de l’hôpital et que l’engin se stabilise laissant entrer deux personnes aussi vêtues de blouse blanches. Laure se détourne rapidement et sort du véhicule en me faisant un petit signe de la main. Mais tout à coup j’entends un cri et me retourne vivement. Un homme affolé prend le pouls de ma fille :
— Elle ne respire plus !
Non ! Je me précipite vers Ambre, oubliant Laure l’espace d’un instant, seulement préoccupée par ma fille. Mais pour la deuxième fois en une heure, un bras me retient. Je me débats de toute mes forces, en proie à une colère sourde, tandis qu’un homme s’applique vivement à faire un massage cardiaque à Ambre. Des larmes dévalent mes joues, voyant qu’elle ne respire toujours pas. Je pourrais la sauver, je pourrais agir maintenant, mais je ne peux pas, ce serait trop dangereux. Au bout de quelques secondes je vois enfin sa poitrine se soulever. Je souffle, fatiguée, mais rassurée. Ambre va bien.
Les pompiers se précipitent vers ma fille pour la sortir du camion et je les suis rapidement. En entrant dans l’environnement complétement aseptisé de l’hôpital je suis saisie par le silence environnant qui contraste fortement avec la multitude d’émotions qui grondent en moi en ce moment et qui ne demandent qu’à être évacués. Des hommes et des femmes sont assis un peu partout dans la salle d’attente. Des enfants, des personnes d’âge mûr, une grande mixité générationnelle règne ici. La plupart des plus jeunes gambadent autour de leurs parents, certains ont un bras dans le plâtre, d’autres gardent le silence autour de leurs parents qui se tiennent la tête entre les mains, probablement assaillis par une migraine affreuse ou par je ne sais quelle urgence qui les a amenés ici. Une vieille dame très pâle nous observe d’un œil distrait tout en regardant la télé accrochée au-dessus du bureau d’accueil où un homme décroche le téléphone vibrant.
Nous nous dirigeons vers les portes automatiques des urgences en courant, tous les regards maintenant braqués sur nous. Un homme me retient :
— Si vous voulez entrer vous devez enfiler ceci, annonce-t-il en me tendant une blouse et une charlotte que je m’empresse d’enfiler par-dessus mes cheveux sales, et mes vêtements couverts de suie.
Après avoir enfiler l’uniforme verdâtre, j’entre dans une chambre à la suite des pompiers. La pièce est blanche, complétement blanche. Quatre murs blancs, un lit blanc posé au centre de la pièce, une table blanche avec tout un tas d’ustensiles blancs posés dessus. Ma fille a été allongée sur le grand lit, elle paraît si fragile.
Une femme, s’approche de moi et me demande gentiment de sortir :
— Madame, je vais vous demander de sortir de la pièce, nous avons besoin de calme et de ne pas avoir de présence autour des médecins. C’est pour le bien de votre fille.
Je vais pour protester mais je croise le regard de Laure. Ses yeux me transpercent et m’en dissuadent. Je sais qu’elle sait et elle aussi. Je suis maintenant quasiment certaine de l’avoir déjà vue et j’ai ma petite idée du lieu. C’est une alliée. Elle protégera Ambre. Je sors donc à contrecœur de la chambre immaculée après avoir déposé un dernier baiser sur le front de ma fille.
J’ouvre les yeux et la première chose qui me vient à l’esprit c’est « blanc ». Du blanc partout, tout est blanc, intégralement blanc. Je referme rapidement mes yeux pour les protéger de cette clarté soudaine qui me brûle. Quand je les ouvrent, j’observe la pièce dans laquelle je me trouve et vois une femme habillée d’une blouse blanche s’approcher de moi d’un pas léger.
— Tu es réveillée. Comment vas-tu ?
Je tente de répondre mais ne parviens qu’à émettre un son rauque qui me brûle la gorge.
— Tu es à l’hôpital. Dans la chambre 520 plus précisément, dit-elle comme si elle avait deviné ma question à travers mon râle. Tes poumons sont fragiles Ambre, tu as avalé une grande quantité de fumée, ce qui les a endommagés. Ne t’inquiète pas, d’ici quelques minutes tu pourras de nouveau utiliser ta voix, prends ton temps.
A l’hôpital ? Qu’est-ce que je fais à l’hôpital ? Que s’est-il passé ? De la fumée ? Pourquoi ? Dans quel pétrin me suis-je encore fourrée ? Ne peut-elle pas me communiquer des informations au lieu de me faire attendre comme ça ? Je crois que l’infirmière comprend ma demande à travers mes yeux car elle commence à me répondre :
— Tu ne te rappelles rien ?
Je hoche simplement la tête de droite à gauche pour lui faire comprendre que non, effectivement que je ne me rappelle rien. Mais je pense que ça se voit non ? je pense en me retenant de le dire à voix haute. Mais en croisant le regard dur de Laure, prénom que je lis sur son badge, je me ravise à lâcher une phrase cinglante. Que s’est-il passé de si grave ? Est-ce que maman va bien ?
— Tu as eu…, commence l’infirmière.
La porte s’ouvre en grand et une autre femme vêtue de la même blouse blanche que Laure entre en trombe dans la pièce. Je sursaute et tente de me redresser sur mon lit d’hôpital, mais je suis stoppée dans mon mouvement précipité par un tube qui sort de mon bras, une perfusion. Je n’ai pas le temps de me poser plus de questions que la femme au visage austère, encadré par de petites mèches d’un blond laiteux s’adresse à Laure :
— Tu peux partir, je prends le relais, va te reposer.
Cette phrase aurait pu paraître très gentille d’une collègue pour une autre, attentionnée, si elle n’avait pas été prononcée avec un ton cinglant, sonnant comme un ordre.
— Le docteur Garet m’a explicitement demandé de rester auprès d’Ambre, pendant sa phase de réveil. Afin de lui expliquer calmement la situation et…
Le fait qu’elle me nomme par mon prénom semble si familier, j’ai l’étrange impression de l’avoir déjà rencontrée.
— Il m’a demandé de prendre ton relais. Prends ta pause.
—Tu sais comme moi que c’est important pour une personne en phase de réveil d’avoir une personne à qui parler.
La vieille pie assène comme un couteau :
— Il a changé d’avis.
Son ton est sec et ne laisse pas de place à la discussion. Je ne sais pas s’il y a une hiérarchie chez les infirmières mais celle-ci a visiblement l’air plus haut placée que Laure. Cette dernière se lève, le dos raide et la tête droite. Ce n’est que maintenant que je le remarque mais elle a une longue chevelure d’un bleu nuit profonde. Ses cheveux tombent en cascade dans son dos, encadrant doucement ses hanches fines. Sa démarche est si légère qu’on croirait presque qu’elle glisse sur le sol. Elle est magnifique, semblant entourée d’une douce aura bleutée qui procure un sentiment de bien-être rien qu’en l’observant.
En sortant, Laure me lance un clin d’œil qui signifie très probablement qu’elle déteste l’autre vieille pie et qu’elle me rejoindra ensuite pour terminer notre conversation.
Cela me rassure et me donne un sentiment de sécurité, enfin très maigre ce sentiment puisque je suis dans un hôpital avec une infirmière à la peau blanche comme un cadavre et aux courts cheveux blonds comme du lait caillé et qui vient de rembarrer sa collègue. Son apparence grisâtre contraste fortement avec la beauté époustouflante de l’infirmière qui vient de passer la porte. Avec tout ça, je n’ai même pas ouvert la bouche, j’ai juste assisté à leur petite altercation comme si j’étais au cinéma. Sympa l’accueil. Je redresse les épaules, comme si cela pouvait me donner du courage et tourne ma tête vers l’infirmière, m’apprêtant à lui poser une question, enfin tenter d’utiliser ma voix d’abord.
Je suis surprise de la voir à quelques centimètres seulement de moi.
— Bon, je n’ai pas que ça à faire moi ! Déjà que j’ai eu du mal à faire partir l’autre bleue ! Fais de beaux rêves Ju.
J’aperçois trop tard la seringue qu’elle tient dans la main et qu’elle m’enfonce violemment dans les côtes. Je vois son prénom : Claire. Et puis, le noir, encore une fois.
Pourquoi m’a-t-elle appelé Ju ?
***
J’ai l’impression d’avoir dormi des années et des années. Mon cerveau est comme embué et semble tout droit sorti d’un cauchemar. Ma tête bourdonne et me fait un mal de chien et mon nez me pique, brûlé par une odeur âcre de moisissure. Que se passe-t-il ? Et surtout, que s’est-il passé ?
Je tente de réfléchir mais mon esprit refuse de coopérer, je secoue la tête pour tenter de chasser cette sorte de buée qui m’embrouille, très mauvaise idée. La douleur éclate dans ma tête, comme des milliers d’aiguilles enfoncées toutes au même moment sur toutes les parties de mon visage. Il me faut quelques minutes pour parvenir à reprendre ma respiration, quand la douleur s’amenuise.
Tout à coup, tout me revient en mémoire, un violent flashback envahit mon esprit. Je revoie tout, mon réveil dans ma chambre en proie aux flammes, les pompiers, mon retour dans ma chambre, ma lévitation, ma mère, l’hôpital, Laure, Claire.
Claire ! L’infirmière ! Elle a enfoncé une seringue pleine de liquide bleu dans mes veines, mais quel était ce produit ? Et où suis-je ? Toujours à l’hôpital ? Est-ce qu’elle est ici ? Je frémis rien qu’à penser que cette femme pourrait se trouver dans la même pièce que moi. Peut-être que c’était juste un médicament et qu’on m’a emmené au bloc opératoire ? Non mais tout de même ils sont censés expliquer à leurs patients comment ça va se passer non ?
J’entends le crépitement d’un feu mais je frissonne. Ma vision, trouble à mon réveil, se rétablit peu à peu. Je tente de me relever mais mes membres refusent de m’obéir, ils sont paralysés. Je suis en position allongée, sur ce que je suppose être une table en bois, à en croire la rigidité sous mon crâne, la tête relevée par, probablement, une planche ou un morceau d’une quelconque matière. Je parviens tout de même à bouger les yeux et à balayer la pièce du regard.
Au-dessus de moi je peux voir de vieilles poutres décrépies, rongées par les mites, à moitié décrochées du plafond, pendant telles des cadavres au bout d’une corde. Sur ma droite se trouve un vieux canapé miteux, d’un rouge sale, dont la mousse sort par ses coussins éventrés. Une petite lampe éclaire faiblement la pièce, diffusant un mince filet de lumière qui me permet de mieux voir autour de moi. Les murs sont gris et sales, de la tapisserie se décolle dans les coins de la pièce, abîmés par le temps et l’humidité. A part ces quelques éléments, la pièce est pratiquement vide. Hum, rassurant…
Je ne comprends pas pourquoi je suis là, peut-être estce un canular pour une émission de télé, peut-être que maman est au courant et qu’elle va sortir de la pièce en me criant que tout ceci n’est qu’une géante blague et que nous allons rentrer chez nous. Je suis bien consciente que je rêve mais bon, est-ce qu’un peu d’utopie dans ce monde ne peut-il pas faire que du bien ? Si. J’ai décidé que oui, j’ai le droit de rêver non ?
Je peux maintenant me redresser, la produit perd de son effet, mais je me rends compte que mes poignets sont liés par des petites chaînes, à la grosse table massive sur laquelle je suis allongée. Mes membres sont tout engourdis du fait de l’immobilité forcée. Je tente quelques mouvements, en vain. Dans l’angle droit de la pièce je vois une petite porte grise, entrouverte, qui se fond dans les murs qui l’entoure.
Tout à coup, des voix s’échappent de cette fine ouverture :
— Dès qu’elle sera réveillée tu pourras commencer.
C’est une voix grave, qui, je suppose, appartient à un homme. Son ton est glacé et vide d’émotions.
— As-tu fait amener tout le matériel nécessaire ?
Du matériel ? Mon sang se glace. J’ai un très mauvais pressentiment, cette voix ne m’inspire absolument rien de bon. Du matériel ne peut être utilisé que dans un hôpital et probablement avec un accord du patient ou je n’en sais rien moi ! Mais l’atmosphère de cette pièce étrange m’angoisse et je n’ai pas confiance, est-ce que je me suis fait kidnapper par des trafiquants d’humains ? Toute une série de scénarios tous plus glauques les uns que les autres se dresse dans ma tête et je panique un peu.
Puis je réalise, est-ce que la personne derrière la porte est au courant de ce qu’il s’est passé dans ma chambre ? Non, c’est impossible, il n’y avait que moi dans la pièce. Je veux protéger ce moment, je ne comprends pas ce qu’il s’est passé mais ce que j’ai ressenti n’appartient qu’à moi. Je crois aussi que j’ai peur. Peur pour la suite, peur pour moi-même, peur car je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe et que ça commence aussi à me taper sur le système.
— Oui, tout est posé à l’entrée.
Cette fois-ci c’est une petite voix fluette qui a pris la parole, peut-être une femme.
— Parfait. Plus vite nous en aurons terminé avec elle, plus vite nous pourrons nous occuper de…
Merde je n’entends pas la suite de sa phrase.
— Je vais aller vérifier si les sédatifs que tu lui as administrés font toujours effet.
Des pas lourds se rapprochent et, d’instinct, je ferme les yeux. Si des sédatifs m’ont effectivement été administrés, ils ne font plus effet. Et si je fais semblant de dormir pendant encore quelques minutes, peut-être retarderais-je le moment où ils décideront de me torturer, enfin si c’est ce qu’ils comptent faire. Mais s’ils veulent « en finir » je ne suis pas assez bête pour penser qu’ils veulent juste aller déguster un bol de fraises avec moi. A la pensée des fruits juteux je salive et mon ventre, qui n’a rien avalé depuis des heures, émet un petit gargouillement que je tente de réprimer.
Deux secondes après, la porte s’ouvre doucement et une personne, que je devine être l’homme à la voix grave, entre dans la pièce sombre. Heureusement que je n’ai pas pensé aux fraises tout de suite, je me serais faite démasquée.
Je calme ma respiration et tente d’apaiser les battements de mon cœur, ce qui s’avère difficile. Je régule mes paupières afin qu’elles ne tremblent pas. Je sens une présence au-dessus de ma tête, puis, tout près de ma bouche. Il vérifie ma respiration et je me félicite mentalement de l’avoir calmée. Après les quelques secondes les plus longues de ma bien, l’homme se décale et annonce à ses acolytes que je suis toujours endormie.
— Si elle ne se réveille pas d’ici une heure, nous entamerons la procédure d’extraction, qu’elle soit endormie ou non, dit-il d’une voix forte.
J’entends vaguement la femme restée de l’autre côté qui répond positivement. Quand l’homme ferme enfin la porte je souffle bruyamment, me plaquant automatiquement une main sur ma bouche pour étouffer le bruit. Tiens, je ne suis plus attachée ? Je découvre les chaînes qui me retenaient prisonnière, fondues sur le sol. Je n’ai même pas senti de brûlure sur ma peau.
Il ne faut pas qu’ils m’entendent et je n’ai pas le temps de m’attarder sur ce détail. Je prends tout de même quelques minutes pour me calmer avant de retirer ma main devant mon visage. Je rouvre les yeux prudemment, comme si je m’attendais à ce que l’homme soit resté dans la pièce, ce à quoi je n’avais pas pensé. Mais non, rien. Je suis de nouveau seule. En même temps, il aurait eu le temps d’agir trois fois déjà.
La seule idée qui me vient à l’esprit, c’est fuir. Fuir le plus loin possible. Si finalement je ne me suis fait rien de plus que des films et que personne ne me veut de mal, alors ils comprendront que j’ai eu peur, et dans le pire des cas je me prendrais peut-être une soufflante par quelque médecin. Mais mieux vaut se tromper que de rester une minute de plus ici.
Il m’est maintenant possible de bouger complétement, alors je descends doucement de la table en bois qui me répugne. Je pose un pied à terre, puis l’autre, avant de me redresser entièrement sur mes jambes qui ont du mal à soutenir mon poids. Je garde une main sur la table où j’étais allongée pour éviter de m’étaler par terre.
Je ne l’avais pas remarqué au préalable mais au-dessus du vieux canapé se trouve une vieille lucarne aux carreaux cassés, laissant échapper un mince filet d’air frais dont je gorge mes poumons. Juste en dessous, un petit miroir. Je m’en approche à pas feutrés et me contemple dans la glace sale.
Mon visage émacié fait peur à voir, il est plein de poussière, comme si on m’avait trainée dans la cendre. Mes joues sont creuses, depuis combien de temps n’ai-je pas mangé un morceau ? Comme s’il attendait ce signal pour se manifester, mon ventre émet un nouveau grognement sourd. Il va falloir que je trouve quelque chose à me mettre sous la dent. Mes cheveux sont emmêlés et forment une touffe sombre sur ma tête, accentuant mon regard vert, cerné et fatigué. Ma bouche et ma gorge sont sèches et j’humidifie rapidement mes lèvres en passant ma langue dessus. Je porte une blouse d’hôpital blanche, noircie et déchirée au niveau des épaules. Mes pieds fins sont dénudés, tout comme mes mains aux ongles longs et déformés.
Mon reflet me renvoie une image de moi qui m’effraie et m’apporte encore plus de résolutions quant à la solution qui s’offre à moi, la fuite. Je me détourne, dégoutée par ce que je vois, de la glace et de son reflet, reflet que je ne considère pas réellement comme mien vu la tête que je fais. Oui je suis dans le déni, et alors ?
Un craquement provenant de la fenêtre me fait brusquement sursauter. Je lève la tête mais ne vois rien. Je retiens mon souffle et me précipite derrière l’accoudoir déchiré du canapé pour me cacher. Un corps atterrit gracieusement et sans un bruit sur le sol et se relève tranquillement. C’est une fille qui semble avoir mon âge et elle vient littéralement de passer par la toute petite lucarne.
Elle se tourne vers moi, absolument pas surprise de me voir accroupie derrière un vieux canapé dans une pièce miteuse, avec mon visage de cadavre. Oui, oui je ressemble vraiment à un cadavre là.
Elle me tend une main fine que j’attrape sans me poser de questions. Elle me relève avec une douceur infinie, je ne suis pourtant pas légère. Euh, qu’est-ce que je fais là ? Qu’est ce qui me dit que cette fille n’est pas une complice des personnes de l’autre côté de la pièce.
— Sais-tu escalader ? me demande-t-elle.
Sa voix est claire et douce comme du velours. Ses longs cheveux bruns tombent en cascade sur ses hanches fines. Sa peau est couleur café et elle porte une combinaison intégrale, moulante, mettant son corps parfait en valeur, assortie au bleu profond de ses yeux.
Je me rends compte que je l’observe depuis plusieurs secondes déjà, et que je n’ai pas répondu à sa question.
— Oui.
— Parfait, alors suis moi ! lance-t-elle d’une voix forte.
Mon bon sens se réactive d’un seul coup. Mais qui est-elle ? C’est d’ailleurs la question que je m’empresse de lui poser.
— Je m’appelle Talia.
— Je ne vous connais ni d’Adam ni d’Eve. Vous êtes avec les gens mauvais de l’autre côté ? arguai-je sans parler trop fort.
Talia souffle bruyamment avant de me répondre, exaspérée. Eh oh ce n’est pas ma faute si elle arrive comme ça en me demandant si je sais escalader. Sérieux ? Ce n’est quand même pas la première question qu’on pose à quelqu’un quand on vient d’apparaître par une fenêtre. On peut commencer par se présenter, je ne sais pas ? « Bonjour, je m’appelle Talia et je viens pour blablabla ».
— Je ne te veux aucun mal. Ces gens mauvais comme tu dis, et encore mauvais est un bien faible mot, tu t’en rendras compte bien assez tôt. Enfin bref, ces gens sont prêts à tout pour mener leur projet à bien, même à prendre n’importe quelle vie qui se met en travers de leur chemin. Je t’expliquerais tout quand nous nous serons enfuies d’ici. A moins que tu ne veuilles mourir cette nuit, ce dont je doute, je te conseille donc de me suivre.
Voyant que je ne réagis pas et que je l’observe toujours la bouche ouverte comme si elle me racontait une histoire, elle ajoute.
— Ah oui et aussi, je pourrais répondre à tes questions concernant ce qui s’est passé dans ta chambre.
Attends, pause.
— Comment êtes-vous au courant de ça ? criai-je presque avant de réguler ma voix pour éviter d’attirer l’attention. Vous étiez-là ?
L’idée qu’elle m’est vue me déplaît et je sens une forme de colère incompréhensible monter en moi.
— Je t’expliquerais plus tard ! Ils vont bientôt revenir, sa voix s’adoucit, peux-tu me faire confiance ? S’il te plaît ?