Les chroniques de la lune verte - Tome 2 - Jennifer Arduin - E-Book

Les chroniques de la lune verte - Tome 2 E-Book

Jennifer Arduin

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Beschreibung

Alicia ne s’était jamais sentie aussi seule. Amnésique et désemparée, elle commence à devenir folle à rester enfermée chez elle et sous haute surveillance ! En plus de cela, elle se met à faire des rêves éveillés et à avoir de terribles migraines. Rien ne va plus ! Seulement, Caleb, lui, ne l’a pas oubliée. Il réussit à l’approcher et essaye de la persuader de l’aider à sauver Marine qui est restée aux mains d’Hajgar et de ses sbires. Comprenant que ses cauchemars ont un lien avec cette dernière et faisant étrangement confiance à ce bel inconnu, Alicia va tout tenter pour leur venir en aide. À quel prix ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


L’écriture d’un livre est pour Jennifer Arduin la concrétisation de son rêve. Après le premier tome de Les chroniques de la lune verte, elle poursuit, avec La reine Aria, le tome II, une intrigue pleine d’action et de rebondissements toujours axée sur les mêmes valeurs : l’amour et l’amitié.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jennifer Arduin

Les chroniques de la lune verte

Tome II

La reine Aria

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jennifer Arduin

ISBN : 979-10-377-8197-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon fils, ce futur grand lecteur

I

J’errai dans la maison, passant d’une pièce à une autre. Monsieur Grisouille ne me lâchait pas d’une semelle. Depuis mon retour, il me suivait où que j’aille, me donnait des coups de tête réconfortants ou se lovait contre ma poitrine, ronronnant aussi fort que la vibration de son diaphragme le lui permettait. Il voulait sûrement me faire comprendre qu’il était heureux que je sois en vie et de retour auprès de lui et de mes parents. Je pénétrai dans ma chambre. Elle était sobre et plutôt bien rangée, à part une bibliothèque bourrée à craquer de livres en tout genre. Je m’assis sur mon lit et mon gros chat gris sauta immédiatement sur mes genoux.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que j’étais sortie du coma. Aucun souvenir ne m’était malheureusement revenu. Je contemplais tous les jours ce mystérieux bracelet en ambre vert que j’avais découvert dans ma boîte aux lettres le jour de mon anniversaire, mais je n’avais aucune idée de son expéditeur.

Mes parents, inquiets sur mon état de santé, me laissaient une once d’espace pour me concentrer sur ma guérison, tout en limitant mes déplacements et mes sorties. Je pouvais effectivement faire tout ce que je voulais, si cela se cantonnait à rester à la maison. Je pouvais rester scotchée des heures devant un écran sans qu’ils me fassent de réflexion, mais pour ce qui en était des sorties je devais leur dire où j’allais et toujours avoir mon téléphone sur moi. Mais encore fallait-il qu’ils acceptent que je mette le nez dehors. Pour le moment, cela était arrivé une seule fois, et j’avais dû rapidement mettre un terme à ma promenade à cause des appels et des messages incessants de ma mère. Excédée, j’étais rentrée et je n’étais plus sortie de ma chambre de la journée. Ce qui n’avait pas semblé les bouleverser plus que ça.

La rentrée approchait à grands pas, mais la faculté de psychologie m’avait accordé une année sabbatique après que le doyen a eu connaissance de mon accident. Mon professeur, monsieur Head, apparemment le conducteur, avait dit à la police qu’un poids lourd nous avait fait face et que pour l’éviter, il avait mis un violent coup de volant. Après plusieurs tonneaux, nous avions fini notre course folle dans un arbre, pliant la voiture en son centre. Miraculeusement, il s’en était sorti avec seulement une arcade éclatée et quelques légers hématomes. Il avait donc pu appeler les secours, après avoir essayé de me réveiller, sans succès. À leur arrivée, j’étais toujours inconsciente et mon coma dura quasiment deux mois. Je n’avais aucun souvenir de l’accident ni de ma vie avant celui-ci. Je savais au fond de moi qui j’étais, qui étaient mes parents, ce qu’était ma vie et je marchais dans ma ville en sachant très bien où me mènerait tel ou tel chemin. Pourtant, j’avais un énorme trou dans la poitrine, comme s’il me manquait une partie de moi. J’étais une coquille vide à qui l’on avait retiré tout ce qui fait de nous des êtres sensibles. Je n’avais plus goût à rien. Mais, vu que je n’avais aucune visite, donc apparemment aucun ami, je commençais à me dire que même avant mon accident, je devais être seule et dépressive. Je ne devais pas être très appréciée dans ma faculté. Peut-être n’étais-je pas très drôle ou très intéressante ?

Je fis descendre monsieur Grisouille de mes genoux, ce qui lui arracha une plainte. Il vint s’allonger nonchalamment au pied de mon lit tout en me fixant, vexé.

— Excuse-moi, mon beau, mais je dois sortir d’ici !

Je n’avais pas mis les pieds dehors depuis des mois, sans compter, bien sûr, ma promenade tuée dans l’œuf. Tous les habitants de notre petite ville étaient au courant de ce qui m’était arrivé et ils avaient une fâcheuse tendance à venir frapper à la porte pour assouvir leur besoin de ragots ou à regarder dans la direction de notre maison quand ils passaient devant. Je les voyais s’arrêter devant ma fenêtre pour chuchoter les bribes d’informations qu’ils avaient glanées à l’épicerie ou à la pharmacie du centre-ville. Seulement, je n’en pouvais plus de tourner en rond et j’étais prête à faire face à leurs questions si jamais je croisais des voisins un peu trop curieux.

Je pris donc mon sac kaki et le passais en bandoulière après avoir lacé mes Convers. Je descendis les escaliers et fis une halte dans la cuisine pour prévenir ma mère que j’allais m’aérer l’esprit.

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée… commença-t-elle.

— Si ! Je t’assure que c’est nécessaire, là !

— Je sais que je t’ennuie, mais on a cru te perdre et…

— C’est bon maman. Pas la peine de ressasser cette histoire une énième fois. Tu sais, je ne suis plus une enfant et je ne vais pas t’envoyer des messages toutes les heures quand je n’habiterai plus ici !

— Oui, mais pour le moment tu es sous notre toit et tu fais tout ce qu’on te dit ! me répondit-elle durement.

Je poussai un soupir de mécontentement et sortis de la maison en claquant la porte. J’en avais assez que mes parents me prennent pour une gamine. Je ne me souvenais de rien, mais j’avais la sensation qu’avant l’accident ils n’étaient pas autant sur mon dos. Je pouvais comprendre ce qu’ils ressentaient mais, entre la frustration de ne pas recouvrir la mémoire et l’ennui, je commençais à devenir folle.

Je pris instinctivement la direction du parc. Je m’assis en tailleur sur un banc à côté d’un gros chêne. Par chance, je n’avais croisé personne et l’endroit paraissait calme.

Il faisait encore beau, mais le vent s’était levé. Je regrettais de ne pas avoir pris de gilet, mais il était hors de question de faire demi-tour. Je sortis un livre de mon sac et commençai à le parcourir des yeux sans comprendre ce que je lisais. Je n’arrivais pas à me concentrer, mon regard était attiré par le bracelet en pierres d’ambre vert qui encerclait mon poignet. Je sentis comme une présence derrière moi. Je me retournai mais ne vis rien. Pour une fois que j’avais échappé à mes parents, je n’allais tout de même pas virer parano !

Je repris mon livre et tentai de nouveau de lire.

— Kof Kof !

Cette toux me fit sursauter et me sortit brusquement de mes pensées. Je tournai la tête vers la droite. Un homme d’une soixantaine d’années se tenait là, un sachet à la main. Très élégant, dans son costume en tweed couleur grège, il triturait frénétiquement ses lunettes avec sa main libre. La fine cicatrice, encore rosée, en haut de son sourcil m’informa sur son identité.

— Excuse-moi, Alicia. Je ne voulais pas te faire peur. Comment vas-tu ?

— Ne vous excusez pas. Je suis dans la lune en ce moment.

— Cela peut se comprendre. J’étais venu nourrir les canards, m’expliqua-t-il en désignant son sac en papier. Je peux m’asseoir cinq minutes ?

— Bien sûr, lui répondis-je en refermant mon livre.

— Ce n’est pas trop dur pour toi ? Cette situation ne doit pas être simple à gérer.

— Le plus dur à gérer c’est l’inquiétude de mes parents. Ils sont infernaux, lui expliquai-je en riant nerveusement. Puis, les gens qui viennent poser des questions… ils sont tellement… curieux !

— Il faut les comprendre, il ne se passe jamais rien de croustillant dans cette petite ville très calme. Alors, une étudiante qui a un accident de voiture à plusieurs centaines de kilomètres d’ici, et avec son professeur, qui plus est, ça a dû jaser !

— Ah oui, je n’avais pas pensé à ça de cette manière. On ne s’est pas vus depuis que je suis sortie du coma…

— Je suis venu à ton chevet plusieurs fois lorsque tu étais encore inconsciente et, quand j’ai su que tu étais réveillée, je n’ai pas voulu m’imposer.

— Je ne vous reproche rien. Pour tout vous avouer, je ne me souviens pas vraiment de vous, lui avouai-je timidement. Je sais ce que vous avez dit à la police, mais pouvez-vous m’en dire plus ? Ça pourrait peut-être m’aider à recouvrer la mémoire !

— Il n’y a pas grand-chose à dire de plus. Nous nous sommes croisés au festival de la lune verte. Je t’ai proposé d’aller à plusieurs conférences pour prendre de l’avance sur ta troisième année et sur la route nous avons eu un terrible accident, m’expliqua-t-il d’une traite comme s’il avait appris son texte par cœur.

— Le médecin n’explique pas mon coma et ma perte de mémoire.

— Tu sais, on ne peut pas tout expliquer, dit-il tristement.

— Ne faites pas cette tête, vous n’y êtes pour rien. Ne culpabilisez pas ! le rassurai-je en posant une main amicale sur son bras.

Un râle rauque nous fit sursauter. Nous nous levâmes d’un bond et cherchâmes ce qui avait bien pu produire ce son effrayant. Je fis le tour de l’imposant tronc, situé derrière le banc, et cherchai dans les fourrés, mais je ne vis rien.

— Je ne sais pas ce que c’était, mais on ne va pas prendre de risque, je vais te raccompagner chez toi !

— Je n’ai pas besoin que l’on me raccompagne.

— Laisse-moi faire cela pour toi, s’il te plaît.

Son regard était si triste qu’il me fût impossible de refuser. J’acceptai d’un hochement de tête et nous fîmes le chemin inverse.

Nous parcourûmes la petite distance qui séparait le parc de l’entrée de ma maison, dans le silence le plus complet.

— Merci professeur.

— Appelle-moi Henry.

Cette remarque me fit comme une claque en pleine figure. Je fus prise d’une forte migraine à en avoir la nausée. Ma mère choisit ce moment pour débouler dans l’allée.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle affolée.

— J’ai seulement raccompagné votre fille après l’avoir croisée au parc.

Je serrai les dents et me redressai pour que ma mère ne se rende pas compte de mon trouble.

— Oui, ne t’en fais pas, tout va bien !

— D’accord, d’accord, dit-elle tout en retournant machinalement à l’intérieur de la maison, sans un regard pour mon professeur.

— Tu vas bien ? me demanda Henry, soucieux.

— Oui, juste une migraine. Ça m’arrive souvent, ce n’est rien. Merci de m’avoir raccompagnée. À bientôt, lui dis-je en m’éloignant.

— Prends soin de toi, dit-il dans un murmure à peine audible.

Ma migraine ne désemplissait pas. Je restai, ce qui me parut des heures, en position fœtale dans mon lit, mais rien n’y faisait. Ma mère était venue me voir à plusieurs reprises, m’apportant une fois des médicaments qui n’eurent aucun effet, une autre fois un chocolat chaud, que je ne pus avaler.

Ma tête était comme prise dans un étau. Tout mon corps tremblait et j’avais une forte fièvre. Au bout d’un moment, pris de panique, mes parents m’emmenèrent aux urgences, mais les médecins, après de nombreux examens, ne trouvèrent aucune cause à mon mal. Ils ne me prescrivirent que du repos et d’éviter tout stresse. Je passais donc les jours suivants enfermée dans ma chambre, tantôt à lutter contre d’affreuses migraines, tantôt à me distraire comme je le pouvais, car mes parents me refusèrent, une nouvelle fois, systématiquement toutes sorties.

La douleur et l’ennui commençant à me rendre folle, je décidai d’échapper à leur surveillance, entre deux migraines. Il fallait que je prenne l’air, j’étouffais dans cette pièce qui semblait rétrécir à vue d’œil. Je sortis dans le noir, par la fenêtre de ma chambre. Je réussis, tant bien que mal, à me hisser sur le toit du garage. De là, je pus facilement descendre dans le jardin en me tenant à la gouttière. Le bruit que je fis en touchant le sol me parut si fort que je me mis à courir comme si j’avais le diable aux trousses. Le vent froid giflait mes joues et me brouillait les yeux. Mais je continuais ma course folle, fuyant mes parents surprotecteurs. J’avais l’impression d’être redevenue une petite fille. Une petite fille punie pour avoir fait une grosse bêtise. Or, j’étais une femme maintenant, et je ne supportais plus les ordres et interdictions émanant d’eux. Je pouvais comprendre. Mais je n’acceptais plus cette situation. Je n’étais pas une malade en phase terminale ayant besoin d’un environnement stérile. Effectivement, ce terrible accident m’avait plongée dans un long coma, mais rien ne justifiait que mes parents me séquestrent.

Encore une fois, l’appel du parc fut le plus fort. Cet endroit m’attirait étrangement. À bout de souffle, je m’arrêtai, de nouveau, au banc attenant au grand chêne. Celui-là même où j’avais rencontré Henry Head plusieurs jours auparavant. Je m’asseyais, haletante. Ma migraine enfin calmée, je reprenais lentement mon souffle. L’air frais avait sans doute aidé à m’en débarrasser. Je m’obligeais à inspirer et expirer lentement pour retrouver un rythme cardiaque normal. Après quelques minutes dans cette vaste étendue, j’éprouvai un calme intérieur, un apaisement. Je me sentais libre. Je commençais sérieusement à étouffer, enfermée dans ma petite chambre. Le vent rafraîchissant mon visage et ce grand espace verdoyant me faisaient le plus grand bien. Entendre les oiseaux chanter, le clapotis de l’eau et les feuilles bruisser… J’avais l’impression de revivre.

Je restais un long moment dans cette position, à méditer. Tout à coup, un frisson me parcourut l’échine et une migraine encore plus puissante que la précédente me cingla le crâne. J’en tombai à la renverse. Étouffant un cri, je pris ma tête entre les mains. La douleur était telle que j’en venais à souhaiter que quelqu’un m’achève à coup de batte de baseball. Les larmes coulaient toutes seules le long de mes joues. Des images s’insinuèrent brutalement dans mon crâne. Je courrai, perdant l’équilibre à de nombreuses reprises. Je regardai derrière moi, affolée. Quelqu’un me suivait. Non ! Plusieurs personnes. Ils se ressemblaient tous. Filiformes, le crâne chauve et les yeux exorbités, ils semblaient flotter sur le sol. Ils me rattrapaient. Trébuchant sur une branche, je m’affalais de tout mon long. Ils étaient sur moi, ils m’attrapèrent. Je sentais leurs longs doigts osseux se serrer autour de mes bras. Je me débattis en hurlant de toutes mes forces. Mais, ils étaient trop nombreux. Je continuai de lancer mes bras et mes jambes dans tous les sens, mais je n’avais plus d’énergie. J’étais faible. Ils m’emportèrent. C’était fini pour moi.

Les images se dispersèrent, jusqu’à s’évaporer totalement. Je ne comprenais pas ce que je venais de voir. Pouvais-je rêver tout en étant éveillée ?

Je me massai les bras. La douleur semblait si réelle. À la lumière du lampadaire, je soulevai les manches de mon pull. Je vis avec horreur des marques violettes apparaître tout le long de mes bras. On pouvait clairement distinguer des empreintes de doigts longs et fins. Comme ceux des êtres terrifiants que je venais de voir en songe. Était-ce réellement un rêve ? Je commençais sérieusement à en douter. Je décidai de rentrer immédiatement. Ce parc qui avait eu un effet apaisant sur moi me paraissait maintenant terrifiant. Des ombres passaient, des chouettes hululaient, les branches craquaient. Je pris donc une nouvelle fois mes jambes à mon cou, mais cette fois-ci pour rentrer à l’abri dans ma prison.

Je me hissai le long de la gouttière et atterris lourdement dans ma chambre. Je fermai la fenêtre et les rideaux et me cachai sous ma couette. Je tremblai de toute part. L’horreur de ma vision me hantait. Que m’arrivait-il ? Devais-je en parler à mes parents au risque d’être encore plus surveillée ? Je restais ainsi, tétanisée sous ma couverture, jusqu’à ce que la fatigue l’emporte. Je m’endormis pour rejoindre d’autres songes, d’autres cauchemars.

II

Je me réveillai en sursaut. Le froid et l’humidité cinglaient mon corps endolori. La panique m’envahit quand je compris que je n’étais pas dans mon lit. Je tournai la tête dans tous les sens pour essayer de reconnaître un détail de ce paysage. Je baissai la tête et vis que j’étais assise sur un tas de feuilles et de branches. Des liens entravaient mes poignets, me coupant la circulation, et un bâillon m’obstruait la bouche. En me contorsionnant sur place, j’aperçus une petite grotte derrière moi. Le reste du paysage n’était que forêt, un mélange d’arbres gigantesques, de jeunes pousses et de tapis de fougères. Un feu brûlait devant moi, me chauffant les joues. J’étais terrifiée. Qu’est-ce que je faisais là ? Qui me retenait prisonnière ? Et surtout, pourquoi ?

Ma vision se brouilla soudainement et je me retrouvais dans ma chambre, les moustaches de monsieur Grisouille me chatouillant le nez. Les pattes avant posées sur mon torse, il me fixait d’un air étrange. Avais-je crié ou marmonné pendant ce songe ? Était-ce réellement un rêve ? Ou cette seconde crise faisait-elle partie d’un début de démence à la suite de mon accident de voiture ? J’avais dû prendre un bon coup sur la tête pour rester dans le coma si longtemps.

Je me redressai légèrement, faisant fuir la boule de poils.

Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, et je ne savais pas si je devais en parler à mes parents. Ils étaient déjà assez pénibles comme cela. Je décidais d’attendre un peu. Peut-être qu’il me fallait juste un peu de temps et du repos. Ces cauchemars allaient sûrement cesser d’eux-mêmes.

Je descendis dans la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner. La matinée était bien entamée et j’avais sérieusement les crocs.

— Bonjour ma chérie !

Je sursautai. Je ne m’attendais pas à trouver mes parents à la maison.

— Vous m’avez fait peur ! Vous n’êtes pas au travail ?

— On est samedi ma belle, me fit remarquer ma mère. Comment te sens-tu ?

— Très bien ! J’ai passé une très bonne nuit, mentis-je. Ça m’a fait du bien de me reposer.

— Ah ! Je suis contente ! Je sais que tu as l’impression d’être prisonnière. On a discuté avec ton père et…

— … on va essayer de te laisser un peu plus de liberté à quelques conditions, poursuivit ce dernier. Tu devras aller consulter le médecin une fois par mois pour qu’on soit sûrs que tout va bien et nous voulons toujours savoir où tu vas et avec qui, continua-t-il.

— Très bien ! leur dis-je résignée. De toute façon, je ne vois pas très bien avec qui je pourrais sortir. Je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup d’amis, personne n’est venu prendre de mes nouvelles !

— Ils n’ont sûrement pas osé te déranger, mais tu devrais peut-être joindre Marine et les autres ! s’exclama mon père.

Ma mère se racla la gorge.

— Qui ça ? demandai-je, surprise.

— Personne ! intervînt-elle rapidement. Ton père a dû confondre. Tu te feras des amis à la rentrée, ne t’en fais pas. Tu veux bien aller chercher du pain, s’il te plaît ?

— Mais je n’ai pas déjeuné !

— Tu prendras une viennoiserie à la boulangerie, tiens ! me dit-elle en me donnant nerveusement une poignée de pièces qu’elle venait de piocher dans son porte-monnaie.

— OK… Vous êtes vraiment trop bizarres, vous savez ? leur fis-je remarquer en me dirigeant vers l’entrée.

Je sortis doucement de la maison, en essayant d’entendre des bribes de leur conversation, mais leurs chuchotements étaient inintelligibles. Je ne compris qu’un « ne la perturbe pas avec ça », venant de ma mère.

Je marchais lentement jusqu’au centre-ville, profitant de l’air frais sur mes joues encore rosies par mon cauchemar.

Arrivée à la boulangerie, je pris deux baguettes, un croissant et un petit sachet de pain dur pour nourrir les canards sur le retour. Arrivée au parc, je m’assis dans l’herbe face au lac et entamai ma viennoiserie. Les canards, m’ayant aperçue, dodelinaient vers moi tout en cancanant. J’ouvris le sachet et commençai à leur balancer des petits morceaux de pain dur, quand une ombre gigantesque se forma sur le lac juste devant moi, effaçant mon reflet. Sursautant, je me retournai vivement, faisant fuir les volatiles dans une cacophonie d’ailes et de caquètements mécontents.

— Excuse-moi si je t’ai fait peur.

Un homme immense et large d’épaules se tenait là, les bras ballants. Ses yeux d’un vert intense me transpercèrent et mon cœur s’accéléra au point de me faire mal, comme s’il se réveillait après un très long sommeil. Son regard était si triste que la peur me quitta instantanément.

— Ce n’est rien. J’ai été surprise c’est tout, réussis-je à dire.

— Désolé. Est-ce que je peux m’asseoir ?

Prise au dépourvu, je bégayai un « oui » ridicule et plus aigu que je ne l’aurais souhaité.

— Ils ont l’air de t’apprécier ?

— Hein ? Qui ?

— Les canards. Ils ont l’air de t’apprécier.

— Ah ! Oui, enfin ils aiment surtout le pain.

Un silence gêné s’installa. Pendant un long moment, je restai silencieuse, essayant de trouver un sujet de conversation. Mon cerveau turbinait, mais rien ne me venait à l’esprit. Je n’arrivais plus à réfléchir.

— Joli bracelet. Qui est-ce qui te l’a offert ? me demanda-t-il presque dans un murmure.

— Euh… Je ne sais pas, répondis-je surprise par sa question. Il était dans ma boîte aux lettres.

— Tu n’as pas une petite idée ? insista-t-il.

— Non, pas du tout. J’y ai réfléchi longuement, mais je ne vois pas, lui dis-je quelque peu agacée. J’ai des soucis de mémoire depuis quelque temps, lui expliquai-je sans donner trop de détails.

— Oui, je sais pour l’accident.

— Ah ah ! Oui tout le monde sait ! C’est bien ça le problème ! répondis-je sur un ton plus énervé que je ne l’aurais voulu.

Le bel inconnu était donc un habitant en quête de potins. Cette ville était tellement calme qu’il leur fallait leur dose de ragots.

— Désolé, j’aurais dû te laisser tranquille, dit-il en se relevant pour rejoindre le chemin.

— Pas grave. J’ai l’habitude qu’on vienne sonner chez moi pour avoir des détails croustillants. Mais manque de chance, je n’ai pas de détails à donner, puisque je ne me souviens de rien ! m’exclamai-je, dépitée.

— Je ne suis pas venu te voir pour assouvir une curiosité mal placée ! m’avoua-t-il, en se retournant vers moi.

— Pour quoi alors ?

— Pour savoir si tu te souvenais de moi !

— De toi ? On se connaît ? demandai-je, abasourdie.

Si cela avait été le cas, je pense que je me serais souvenue de lui ! Ce beau brun, fort comme un bœuf, au regard de chien battu… Impossible que j’aie pu l’oublier !

— Je suis désolée, continuai-je la tête entre les mains. Je ne me souviens de rien ni personne. On se connaît vraiment ? Je veux dire… vraiment bien ? demandai-je timidement.

— Ça ne fait rien, c’est normal, répondit-il en éludant la question. Mais j’ai besoin de te demander une chose qui va te paraître vraiment très étrange.

— Au point où j’en suis… Je t’écoute !

— Est-ce que tu as des visions ?

III

Choquée par sa question, je me relevai d’un bond et remontai la petite pente herbeuse pour me placer devant lui.

— Comment es-tu au courant pour mes visions ? le questionnai-je, les yeux écarquillés.

— Pour faire court, je suis resté à proximité de toi pour m’assurer de ton état de santé et j’ai vite compris que quelque chose clochait. Je pense qu’elles peuvent nous aider à régler un gros problème, mais je ne peux pas t’en dire plus ici, on ne doit pas surprendre notre conversation. Tu voudrais bien me suivre ?

— Te suivre ? Un inconnu dans un endroit inconnu pour parler d’un sujet plus qu’étrange ? lui demandai-je, les bras croisés, marquant la défensive.

— Je n’étais pas un inconnu il y a peu de temps, dit-il, abattu. Mais je comprends que tu te méfies de moi. Le problème, c’est que si j’ai raison, tu es la seule personne qui va pouvoir nous aider. Et c’est une question de vie ou de mort.

— Vous aider à faire quoi ? Et c’est qui « vous » ?

— Pour le savoir, il va falloir que tu me suives.

— OK. Laisse-moi réfléchir deux minutes.

J’étais tentée de le suivre. J’allais peut-être enfin découvrir l’origine et la cause de mes visions. Cependant, si je disparaissais, mes parents allaient très vite s’en rendre compte. J’étais censée rentrer chez moi pour leur rapporter le pain. S’ils ne me voyaient pas rentrer immédiatement, ma mère serait capable de tout et n’importe quoi, comme d’appeler la police par exemple.

— Je ne peux pas. Pas tout de suite en tout cas.

— Quand alors ?

— Je ne sais pas si c’est raisonnable… Tu es peut-être un tueur en série !

— Vraiment ? Un tueur en série ?

— Avec ta carrure, tu pourrais facilement me kidnapper, me torturer et finir par me briser le cou comme s’il s’agissait d’une simple brindille !

— Il va falloir que tu sortes un peu plus et que tu stoppes les écrans !

— Parles-en à ma mère…

— Qu’est-ce que je peux te dire pour te convaincre que je ne suis pas dangereux ?

— Comment sais-tu pour mes rêves, mes visions ? Qui es-tu ? Est-ce qu’on se connaît réellement ? Parce que c’est vrai que j’ai de gros problèmes de mémoire ! Mais quand même… Et pourquoi est-ce une question de vie ou de mort ?

— OK ! Stop ! s’exclama-t-il en posant ses mains fermement sur mes épaules et en plongeant ses yeux dans les miens.

Ses mains irradiaient, je sentais leur chaleur me traverser la peau. Une vague de bien-être m’envahit et je me sentis tout à coup en sécurité, comme dans un cocon moelleux et tout chaud.

— Je ne peux pas te répondre ici. Il y a un truc qui rôde, il bosse pour un type pas net du tout. On est tous en danger, et je crois bien que tu es la seule à pouvoir nous aider à sauver notre amie. Elle qui a le pouvoir de régler toute cette histoire une bonne fois pour toutes.

— Hum ! dis-je, pensive. J’ai entendu un truc grogner la dernière fois…

— C’était peut-être moi ça, avoua-t-il en rougissant.

— Hein ?

— Je te l’ai dit, j’ai gardé un œil sur toi.

— Donc tu n’es pas un tueur en série, tu es simplement un voyeur ?

— Heu non… bégaya-t-il. Je voulais juste te protéger.

— Hum ! dis-je une nouvelle fois en le scrutant de côté.

Un psychopathe ne rougirait pas ou ne bafouillerait pas. Et puis, je me sentais bizarrement très à l’aise en sa compagnie. J’avais le choix entre pourrir chez moi et devenir folle ou le rejoindre et en apprendre un peu plus sur ce qui m’arrivait.

— D’accord ! Où est-ce que je te rejoins ?

— Tu acceptes ? Vraiment ?

— Oui !

— OK, attends !

Il sortit un vieux ticket de caisse chiffonné de la poche avant de son jean et y nota quelques mots.

— Tiens ! Rejoins-moi à cette adresse dès que tu le peux. Je t’y attendrai.

— OK.