Les Chroniques de la Sorcière - Céline Gueguen - E-Book

Les Chroniques de la Sorcière E-Book

Céline Gueguen

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Beschreibung

Des chats vengeurs, des Familiers plus malins que leurs maîtres, des enfants devant sauver un monde de petits êtres, en passant par une pièce de théâtre avec des spectateurs fantômes... La Sorcière Séléna a plongé dans ses grimoires pour vous livrer ses histoires préférées. Venez voyager, chers Humains, à la limite du monde que vous connaissez!

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Seitenzahl: 277

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Pour tous ceux qui voyagent par l’esprit et s’imaginent souvent vivre ailleurs.

Sommaire

PROLOGUE : La sorcière Séléna

La vengeance est un plat qui se mange froid

L’héritage

Conte(s) de Kamishibaï

« Faites entrer le troll ! »

Tout devait finir comme ça !

Jeu interdit

Le coffre derrière le placard du grenier

Un royaume (presque) parfait

Paresse ou not Paresse ?

Extraits du livre fantasy adolescent young adult

Le Miroir des Deux Mondes

PROLOGUE

Chapitre 1 : Journal intime de Mickaël O’Reiley (extrait)

Déjà paru

À paraître

PROLOGUE : La sorcière Séléna.

Je suis la sorcière Séléna, la Créatrice de mondes. Vous, les Humains avaient tendance à m’associer à la Lune, à ce qui est caché. Comme elle, je change et j’évolue. Je peux aussi mentir tant qu’il me plaît, vous présentant la face que je désire. Les étoiles qui sont autant de mondes que j’ai créés m’entourent et virevoltent autour de moi.

Quel plaisir d’avoir ce pouvoir divin ! De mes mains et de mes sorts jaillit la vie. Je peux créer tout ce que je désire et imposer les règles que je veux ! Je peux imaginer un Prince charmant laid comme le dernier des trolls, ou une princesse muette aimée de tous. Mes arbres peuvent être rouges autant que verts ; l’eau des torrents peut avoir l’aspect du chocolat et laisser le goût acide du lait caillé sur la langue ! Je ne crée pas les choses à mon image, je les plie à mes désirs.

D’aucuns me diront qu’il est aisé de créer un monde. Quelle erreur de béotien ! Agir en dieu et insuffler la vie n’est pas donné à tous. Nous ne sommes que quelques élus à pouvoir faire et défaire la vie, tordre la nature, faire voler les oiseaux à l’envers si nous le souhaitons !

Dans mes mondes, j’aime que les Humains et les créatures magiques se rencontrent. Pour le meilleur et pour le pire ! Il est tellement jouissif de provoquer ces moments et de laisser voir ces êtres évoluer comme les personnages d’une gigantesque comédie. Il est rare que le résultat soit celui que j’attendais. Je suis souvent surprise par le tour que prennent les événements. Quand je note ces histoires dans mes grimoires à l’encre indélébile, je ne cherche pas forcément une morale. Peu m’importe qu’il y ait un vainqueur ou un vaincu. Je cherche juste à voir comment évoluent les mélanges que j’ai savamment dosés, les scénarios que j’ai artistiquement composés. Une fois l’axe principal de mon histoire déterminé, je laisse mes personnages vivre, s’amuser, aimer ou souffrir. Jamais ils ne sentent mon pouvoir créateur, mon souffle ou ma simple présence. Tout est leur fait, et uniquement le leur. Ils sont responsables de leurs actes, de leurs choix, des chemins qu’ils empruntent. Et moi, j’observe.

J’ai choisi, dans ces Chroniques, de vous livrer quelques-unes de mes histoires préférées. Le ton n’y est jamais le même et les univers ne se croisent pas. Ce ne sont parfois que des histoires dans un monde magique, ou chez les humains. Mais qu’ils soient des hommes, des femmes ou des animaux, tous n’ont que les mêmes buts : vous distraire et vous séduire.

Vous allez donc voir des chats venger leurs ancêtres, alors qu’un autre félin devra sauver un maître un peu, disons… incompétent. J’ai pu voyager aussi au Japon et assister à une représentation théâtrale des plus étranges, même pour moi. Le cinéma fut aussi pour moi un moment de grande distraction, surtout en période d’Halloween. Et que dire des enquêtes de l’inspecteur elfe Elaskas, un personnage des plus brillants ? L’intérêt, lorsque l’on est une sorcière telle que moi, est que l’on peut aussi voyager à travers le temps ou rencontrer des péchés capitaux. Je n’aurais ma place pour rien au monde lorsque j’ai vécu ces moments…

J’ai donc choisi de les partager avec vous, chers Humains, afin que vous réalisiez la magie du monde qui vous entoure. Peut-être n’êtes-vous d’ailleurs qu’une des marionnettes de la grande comédie que je fais jouer, pour me distraire, dans un des mondes que j’ai créés ? Peut-être que je n’existe pas, que je n’existe plus et que ce que vous lirez n’a jamais eu lieu ?

La vengeance est un plat qui se mange froid.

— Demain est le jour le plus dangereux pour nous, les chats noirs. Demain, c’est… Halloween !

Murmures d’assentiment dans la foule des chats assemblés au pied de la tribune. L’orateur, Grimot, était un grand félin noir arborant une balafre au niveau de l’œil gauche et à qui il manquait un bout d’oreille droite. Il portait les marques d’une bataille épique, mais glorieuse, avec un groupe de trois chiens.

— Demain, à cause des humains qui ont fait de nous des porte-malheur, qui nous ont transformés en compagnons des sorciers, nous allons subir une nouvelle soirée de martyr. Certains d’entre nous vont être attrapés, chassés à coups de pierres, hués, rasés ou pire, tués.

Un frisson parcourut les félins. Les femelles éclataient en sanglots et se rapprochaient des mâles ; les plus âgés serraient les plus jeunes contre eux. Les pleurs et les cris montaient. Grimot abattit sa patte sur la table.

— Cette année, cela n’aura pas lieu. Ressaisissons—nous ! Des membres de notre congrégation ont contacté les autres groupes de chats… Et tous se sont ralliés à notre cause. Demain soir, ces chats vont nous aider à mettre fin à une situation qui n’a que trop duré ! En quelques siècles, nous sommes passés de dieux vénérés par les hommes au statut d’êtres diaboliques. On nous a jetés au bûcher, accablés de tous les maux. Les autres races de chats ont pu échapper à ce sort. Mais pourquoi nous ? Parce que nous sommes noirs comme la nuit ? Parce que cela fait de nous les alliés du Diable ? Demain, tout cela sera fini…

À ces mots, trois chats apparurent à ses côtés. Un chétif chat roux, un agile chat siamois, une belle minette écailles de tortue. Grimot se tourna vers eux, les salua d’un coup de tête et regarda à nouveau la foule des animaux assemblés.

— Mes amis, voilà nos alliés pour débusquer celui qui est à l’origine de tous nos maux…

Une patte timide émergea dans la masse et lui coupa la parole :

— Excuse-moi, Grimot. Loin de moi l’idée de remettre ton action en question. Mais je sais, nous savons tous pertinemment que celui qui est à l’origine des malheurs des chats noirs de Salem est le pasteur Samuel Parris et il est mort il y a des siècles !

Grimot hocha la tête en écoutant le discours de l’effronté qui l’avait interrompu. Après s’être raclé la gorge, il répondit calmement :

— Tu as raison, ami chat ! Notre frère fait preuve d’une grande clairvoyance, ajouta-t-il en parcourant du regard la foule tout en ricanant.

— Évidemment que Samuel Parris est mort ! Mais, mon chaton, précisa-t-il à l’attention de celui qui était intervenu, mes compagnons et moi possédons un élément que vous ignorez tous et qui nous permettra de nous venger.

Nouveau murmure parmi les chats. Ils étaient hypnotisés par le charisme de Grimot. Le siamois passa à l’arrière-plan et il revint accompagné d’un quatrième animal. Ce dernier s’appuyait sur le siamois pour avancer ; il était très faible et boitait. Il hésita un instant. Son camarade le poussa délicatement de la tête, lui donna un coup de langue et l’aida à aller vers l’organisateur de la soirée. Le grand chat noir l’accueillit avec un ronronnement sonore et l’approcha de lui.

— Voilà notre arme secrète. Filou est celui qui va nous permettre de gagner face à Parris.

Les derniers mots de Grimot tombèrent dans un silence de plomb. Ses auditeurs étaient suspendus à ses babines. Il ne lui faudrait que quelques minutes pour les convaincre de le suivre dans cette ultime bataille.

— Ce pauvre et chétif animal est le compagnon de Joey, le dernier descendant masculin du révérend Parris.

— Ooooh, répondit unanimement la foule.

— C’est mon ami siamois, Prince, qui nous l’a amené.

Prince s’inclina délicatement derrière le massif Grimot. L’orateur était puissant, la mise en scène efficace et glaçante.

— Prince, peux-tu montrer ce que l’ignoble gamin a fait à son compagnon ?

Filou se recroquevilla encore plus sur lui-même. Le siamois lui chuchota des mots sans doute apaisants à l’oreille puisqu’il finit par se décontracter. D’un geste parfaitement maîtrisé, Prince lui enleva la couverture qui le dissimulait au regard des spectateurs. Des cris d’horreur traversèrent la congrégation des chats noirs. Il faut dire que la vision était on ne peut plus affligeante et douloureuse. Le petit Filou ne devait pas avoir plus d’un an et demi. Son visage, émacié, portait des traces de brûlure ; ses moustaches avaient été consciencieusement arrachées. Il avait déjà perdu un œil au cours de sa jeune vie. Le frêle persan crème portait des trous dans le pelage. Par endroit, on pouvait voir le rose de sa peau délicate. Sa patte arrière droite avait été teinte en vert et sa patte avant gauche était blessée, entraînant la claudication que les autres chats avaient remarquée.

Prince prit alors la parole ; sa voix douce résonna dans le calme de l’horreur :

— Je vis dans le quartier du jeune Parris depuis 5 ans. Les premières années, nous vécûmes tous un véritable calvaire. Cet humain est, et a toujours été, une plaie pour nous. Mais étrangement, il a cessé de nous courir après il y a un peu plus d’un an. On était tous rassurés de pouvoir sortir à nouveau librement dans la rue. Tout se passait alors bien. Cependant, j’ai remarqué que Parris avait pour habitude d’aller très souvent dans l’abri de jardin de ses parents. Ce n’était pas compliqué pour moi de repérer ses allées et venues, car, pour mon malheur, je suis son voisin. Ce qu’il faisait, je m’en moquais éperdument. Mais mon instinct me disait que quelque chose n’allait pas. J’ai fini par prendre mon courage à deux pattes pour découvrir ce qu’il tramait. Je me suis donc glissé dans cette cabane. Et je suis tombé sur une scène inimaginable : j’ai trouvé ce petit bonhomme attaché par une chaîne à un des piliers de l’appentis. Ce que j’ai vu était absolument insupportable ! Filou n’avait pas de litière ; la nourriture était avariée et les mouches se délectaient de ses croquettes et de sa pâtée. L’eau n’avait pas meilleure mine et la gamelle était couverte de poils. Il m’a fallu une semaine d’observation pour trouver le bon moment pour sortir le petit de cet endroit et surtout de ce calvaire. Je savais qu’il était torturé quotidiennement, mais mon plan devait être infaillible pour qu’il ne soit pas à nouveau capturé. Je devais faire preuve de prudence. J’ai caché mon nouvel ami chez nous, dans la cave… Mes maîtres ont dû être surpris de voir que je ne quittais plus trop la maison. Mais finalement, ce que Filou m’a appris est décisif… Tous les ans, à Halloween, le jeune Parris entre en contact avec le pasteur. Oui, vous m’avez bien entendu. Ce gosse pratique la magie noire et permet le retour sur terre d’un des êtres les plus ignobles qu’ait connu Salem.

Derrière lui, Grimot, les pattes croisées, observait l’assistance. Il la sentait vibrer, plein de compassion à l’égard du petit chat, mais il ressentait aussi la haine qui montait en elle. Les chats étaient maintenant prêts à se défendre. Le jeune Parris et son ancêtre n’avaient qu’à bien se tenir…

Les rues de Salem grouillaient de vampires, sorcières, momies et autres superhéros en vogue. Même les présidents américains anciens et présents se pavanaient sur les trottoirs et allaient de porte en porte. Les sacs se remplissaient de bonbons pour éviter les mauvais sorts. Les « Trick or Treat » se répétaient à chaque coup de sonnette. Tous les petits groupes s’amusaient. Seul un jeune homme cherchait à se faire discret. Il avait revêtu un vieux costume de pèlerin complètement élimé et son chapeau noir et blanc était particulièrement poussiéreux. Le jeune Joey Parris portait un sac susceptible de contenir quelques confiseries. Mais si on avait regardé à l’intérieur, le choc aurait été d’ampleur : le jeune brun transportait de petits sachets de poison qu’il posait méthodiquement dans son quartier. Personne n’aurait pu croire que cet adolescent avait développé une véritable passion pour les brimades de chats, les noirs tout spécialement. Ses parents étaient des piliers de la communauté ; Joey lui-même encadrait de jeunes garçons qui jouaient au base-ball le week-end. Cependant, tous ignoraient à quel point il était fasciné par son aïeul Samuel. D’ailleurs, il lui ressemblait de plus en plus. On ne se vantait pas d’avoir un membre de famille aussi connu que le révérend chez les Parris. Ils avaient préféré oublier les horreurs commises par celui-ci, tout comme la population de Salem n’aimait pas faire remonter à la surface les souvenirs de ces procès. Mais le visage de Joey était le rappel vivant de ce passé obscur et pesant. Le jeune homme en était parfaitement conscient et en jouait régulièrement, avec une malice de plus en plus grande. Du petit chenapan qu’il était, Joey était aujourd’hui devenu un expert de la torture animale. Au début de son adolescence, il avait eu une révélation en trouvant une biographie de son ancêtre sur un marché aux puces. Il avait dévoré ce livre, l’avait lu et relu. Il rêvait désormais de mener une véritable chasse aux sorcières à l’égal de son célèbre aïeul. Il n’y avait plus de vraie sorcière à Salem, signe que son ancêtre avait réussi son œuvre. Néanmoins, les chats noirs avaient pullulé au fil des années. Il ne pouvait pas sortir sans en croiser au moins un. Il ne supportait plus leur vue et avait envisagé de débarrasser Salem de ces créatures du Diable. Puis un « miracle » avait eu lieu. Un soir d’Halloween, alors qu’il ruminait dans sa chambre sur un plan visant à éliminer ces nuisibles, il avait senti une présence. Un souffle puissant avait envahi sa chambre et une ombre gigantesque était sortie du livre dont Joey récitait un passage, comme une incantation. Il était hanté par ce texte, le regard dans le vide. Devant lui, le spectre de Samuel Parris était apparu. Une fois la stupeur disparue, Joey et Samuel avaient échangé leurs expériences. Samuel était très fier de ce descendant qui ne l’avait jamais renié. Cette soirée d’Halloween avait débuté la nouvelle vie de Joey. Ce dernier avait récupéré « innocemment » Filou et il s’était livré à des expériences sur lui. Il prenait des notes et parlait tout haut à son ancêtre, attendant toujours une réponse. Il avait décrété que le présent soir d’Halloween serait l’apothéose de son œuvre. Il éliminerait cette nuit-là un maximum de chats noirs ; il effrayerait tellement les autres que ceux-ci s’enfuiraient au loin. La date de sa grande entreprise était arrivée. Il avait observé tous les chats noirs du secteur pour déterminer les points stratégiques de chaque territoire. Et c’est donc vêtu d’un ancien costume du pasteur qu’il arpentait le quartier, traquant ses proies à l’image de Samuel qui avait parcouru tout Salem pour chasser les sorcières.

Ce qu’il ignorait, c’est que son entreprise était suivie très attentivement par de multiples paires d’yeux. À l’occasion, un chat passait tranquillement à proximité. Un siamois lui avait fait peur en sautant sur le couvercle d’une poubelle. Joey aurait voulu lui jeter une pierre, mais son projet était plus important. Il ne devait pas se laisser distraire par ces sales bêtes. Il réglerait leur compte plus tard, l’an prochain…

Joey jeta un coup d’oeil à son sac : il était aux deux tiers vides. Il avait été d’une efficacité redoutable. Fier de lui, il sortit un chewing-gum de sa poche et le mit à la bouche. Plus que quatre territoires et ce serait bon. Il se rendait d’ailleurs vers celui d’un énorme chat noir, sûrement bagarreur, car aucun chien ne rôdait dans le coin. Pour celui-là, il avait prévu une dose bien supérieure. Peut-être était-ce le chef des chats noirs de Salem ? Le jeune Parris imagina un moment ces mêmes animaux se réunissant pour discuter… Il pouffa de rire et continua son chemin sereinement.

Un chat écailles de tortue, une femelle à coup sûr, traversa à quelques mètres de lui en courant. Elle tenait quelque chose à la gueule. Elle s’arrêta, le regarda, émit un son et repartit à toute vitesse. Elle l’avait appelé ou il avait rêvé ? Un haussement d’épaules et Joey poursuivit sa route. Il voulait poser les sachets près des piliers électriques. Il y avait repéré de l’herbe à chat : c’était l’endroit idéal. Un bruit dans son dos et encore un miaulement : sans doute à nouveau cette chatte folle !

Joey saisit les sachets dans son sac et s’accroupit pour les disperser. Tout à coup, il sursauta. Dans la rue peu éclairée, il avait vu briller une paire d’yeux verts qui le fixait. Voilà qu’il se mettait à avoir peur des chats maintenant ! L’an prochain, il réglerait le problème de tous ces foutus matous. Ces saletés devaient toutes quitter Salem. Son aïeul l’aiderait dans cette action d’éclat. Mais sa tâche ne pouvait pas attendre plus. Il se ressaisit et se pencha à nouveau. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il trouva sous ses yeux les sachets qu’il avait déposés auparavant. Que faisaient-ils tous là ? Joey sortit la lampe de poche qu’il avait prise avec lui par précaution. Mais force était de constater qu’il s’agissait bien de ses propres sachets de poison. Il en souleva un avec soin et remarqua qu’il portait des traces bizarres. Comme de petites perforations… Il fallait réfléchir vite, car la nuit s’écoulait et la protection de son aïeul allait disparaître. Il s’aperçut aussi que ces sachets avaient de la salive au niveau des petites traces. Ces maudits chats avaient ramené ses poches empoisonnées ici ! Joey poussa sa réflexion encore plus loin : si ces sachets étaient là, c’est que les bêtes l’avaient suivi tout au long de son parcours de la mort. Un frisson lui parcourut l’échine. Il tourna la tête et recula face aux multiples regards qui se concentraient sur lui. L’air était rempli de feulements, de bruits de crachats… Dans la nuit, les animaux étaient tous noirs et Joey fut envahi par la panique. Mais au fond de lui-même, une force puissante s’agitait et ne cessait de se rebeller contre la peur du jeune homme. La masse des chats s’avançait vers Joey en grognant. Il y en avait de toutes les sortes : noirs, bien sûr, mais aussi roux, gris, rayés ou unis, chats de gouttière ou de race… Ils étaient plus d’une vingtaine à faire face au jeune homme. Mû par une énergie inattendue, Joey se redressa et alla au-devant des chats…

— Vous pensez que vous nous faites peur, créatures du Diable ? J’en ai brisé des plus coriaces que vous. Vous perpétuez l’âme des sorcières de Salem. Tout comme elles, vous devez mourir.

Grimot se redressa sur ses pattes arrière :

— Je ne me suis pas trompé alors. Tu es bien là, Samuel Parris…

— J’ai attendu si longtemps d’être assez puissant pour revenir finir mon travail, rétorqua Joey d’une voix d’outretombe, tout en continuant à s’avancer vers les animaux.

Les troupes se resserrèrent autour de leur chef. Celui-ci fit un signe de patte et ses compagnons se mirent à courir en direction de Joey. Les premiers arrivés furent chassés par le jeune homme à grands coups de pied ; les corps des pauvres chats volaient. Des touffes de poils tombaient par endroits. Chaque petit félin meurtri se remettait sur ses pattes et repartait au combat. Les assauts étaient répétés et innombrables. Pendant que Joey, doté d’une puissance jusque là inconnue de lui, luttait sur ses côtés et à l’avant, un groupe de chats s’était positionné derrière lui. Mené par le siamois, il attendait le moment opportun. Au signal de Grimot, ils entreprirent une attaque par l’arrière. Le siamois sauta sur la nuque de Joey pendant que la petite minette écaille de tortue se jetait dans ses jambes, le forçant à se plier. Les compagnons de Grimot intensifièrent encore les attaques. Désormais, Joey, à genoux, était pris en tenailles par les tigres miniatures. Les animaux étaient fous furieux ; ils griffaient, mordaient à qui mieux mieux. L’assaut était d’une force incroyable. Il prit fin d’une façon tout autant inattendue que brutale. Un gong retentit dans la tête de Joey lorsque Grimot et le siamois lui écrasèrent celle-ci avec un vieux couvercle.

— Joey Parris — ou bien doit-on s’adresser aussi à Samuel Parris ? —, nous vous accusons de maltraitance sur les chats de notre communauté. Nous vous accusons aussi de tentatives de meurtre sur la congrégation des chats noirs de Salem. Nous accusons Joey Parris de pratiquer la magie noire et Samuel Parris d’avoir volontairement répondu à son appel pour diffuser la haine.

Ligoté fermement à sa chaise, Joey avait du mal à émerger. Face à lui, une des choses les plus incroyables depuis l’apparition de son ancêtre. Des chats siégeaient en tribunal improvisé ; d’autres l’entouraient et murmuraient à chacun des mots prononcés par les intervenants. Sa tête sonnait encore du coup reçu et sa volonté était faible, si faible. Lorsqu’il parla, ce furent les mots de Samuel Parris qui sortirent de sa gorge :

— Seriez-vous assez idiots, stupides animaux, pour vous croire capables de juger un homme de Dieu ? Vous n’êtes que des parodies d’humanité, des copies… Seul Dieu peut rendre un verdict, personne d’autre. À l’image des femmes diaboliques et enragées dont vous êtes les compagnons, vous n’êtes pas dignes d’être parmi nous.

Grimot, qui avait été nommé président des trois juges, écrasa son marteau sur la table devant laquelle les animaux étaient assis.

— Vous vous permettez de nous insulter ?

— Ne vous êtes-vous pas permis de nous agresser ? De quel droit avez-vous osé supposer que vous pouviez égaler l’Homme, création divine ? Mon descendant n’a fait que son devoir ; il a perpétué mon œuvre alors que les autres ont préféré me renier… Seul Joey a été suffisamment courageux pour marcher dans mes pas.

Un mouvement agita la foule.

— Nous appelons notre premier témoin : Filou, jeune chat.

L’assistance avait les yeux braqués sur la silhouette fragile du petit animal. Filou raconta à nouveau son récit glaçant. Malgré les nombreuses fois où il l’avait entendu, Grimot ne cessait de frissonner à l’écoute de ce récit. De son côté, Samuel éclata de rire. Pris dans le corps de Joey, il bombait le torse et regardait fièrement le résultat du travail de son descendant.

— Voilà un dont je peux être fier, enfin ! Il a préparé mon arrivée depuis des années avec diligence et habileté. Il a berné tout le monde et bientôt, je serai entièrement là…

Grimot ne quittait pas le corps de Joey des yeux. Pour l’instant, il ne pouvait pas séparer l’âme de Samuel de l’enveloppe physique de Joey. Le gamin était certainement un jeune maltraitant (son instinct de chat lui provoquait des palpitations dès qu’il y pensait). Mais il était surtout sous l’emprise de Samuel. Il fallait donc aller de plus en plus loin. Prince et d’autres chats avaient envisagé l’utilisation de la torture en dernier recours. Mais Grimot refusait de s’abaisser à ces viles actions. Il avait vu les résultats de la torture sur Filou, mais aussi sur d’autres animaux de toute sorte et cette simple pensée le révulsait.

Il demanda à Filou de s’approcher de Joey. La tactique était délicate, mais il n’avait rien à perdre. Filou fut à nouveau accompagné par Prince.

— Joey, vois ce soir ce que tu as fait à ce pauvre animal. Il n’a plus peur de toi, il n’est plus ta victime. Filou, je t’invite à regarder Joey dans les yeux et à lui dire ce que tu ressens.

Le minet prit son élan et s’assit face à Joey. D’une voix de plus en plus assurée, il prononça les paroles suivantes :

— Je t’en veux pour ce que tu m’as fait. Mais j’ai discuté avec les autres et maintenant, je suis plus fort que toi. Plus personne ne m’attachera ou ne me fera du mal. On va trouver des humains qui vont m’aimer et moi, je vais t’oublier. Mes poils vont repousser, la teinture va partir… Je serai un beau chat, je le sais. Toi, tu seras toujours aussi malheureux et méchant.

Vaillamment, Filou regagna sa place sous les applaudissements des autres chats. Grimot observait l’accusé. Son visage était impassible, mais la main droite de Joey bougeait toute seule.

Prince fut le suivant à témoigner. Son discours était limpide et il se résumait à une liste de faits plus marquants les uns que les autres. Avant de reprendre sa place, Prince passa devant la chaise de Joey et lui aussi s’assit face à celle-ci :

— J’ai eu beaucoup de haine pour toi, Joey. J’ai pris beaucoup de plaisir à te griffer ce soir. Mais finalement, tu n’es qu’un gamin parmi d’autres qui pensent exister en faisant du mal aux plus faibles. Nous sommes donc aujourd’hui plus forts que toi, seuls ou tous ensemble. Après ce soir, tu ne seras plus le même…

Avant de s’éclipser, il se frotta aux mollets dénudés de Joey. À son contact, Joey frissonna. Ses yeux se mirent à cligner violemment comme si le jeune homme essayait de revenir à la réalité. Où était sa conscience en cet instant ?

Les témoins défilèrent et tous s’adressaient à Joey, non à Samuel Parris. Seul Grimot revenait régulièrement vers Samuel, l’interpellait et le forçait à répondre. Les chats assistaient à un véritable duel entre leur chef et une âme venue d’outre-tombe.

— Certains des nôtres ne sont pas parmi nous ce soir à cause de vous. Vous nous avez condamnés sans jugement. Mais nous, nous avons respecté le droit des hommes. Quelques-uns se sont sacrifiés pour récolter les paquets de poison ; d’autres vous ont distraits. Mais désormais, nous allons nous retirer pour rendre notre verdict.

Verdict ? Le mot fit sursauter Joey… Les yeux exorbités, il paraissait se réveiller d’un long cauchemar. Sa voix était moins ferme, moins assurée ; ses yeux papillonnaient et il semblait très énervé.

Quelques minutes plus tard, les jurés revinrent, le museau fermé, le regard froid. Ils jetèrent un simple coup d’œil vers l’accusé.

— Nous déclarons que Joey Parris est coupable de maltraitance animale et de tentatives de destruction de la communauté des chats noirs de Salem. Nous déclarons que Samuel Parris est coupable de haine à l’égard de la même communauté, qu’il est responsable des tentatives de destruction commises par son descendant. Samuel Parris est par conséquent le principal responsable des actes commis par le jeune Joey Parris. Nous les condamnons donc au bûcher, à l’image du sort que le révérend a fait connaître à d’innocentes victimes…

À l’énoncé du verdict, Joey s’évanouit. Le cauchemar de sa nuit d’Halloween ne prenait décidément pas fin. Le traqueur avait été traqué, puis capturé. Condamné, il allait connaître une souffrance à la hauteur de ses fautes…

La foule des chats massée là éclairait le tas de bois qui attendait Joey. Certains hurlaient « Au bûcher ! Au bûcher ! ». Rien ne semblait pouvoir arrêter la rage de ces matous. Joey fut attaché par Prince, les nœuds vérifiés par Grimot. Le jeune homme pleurait toutes les larmes de son corps. Il cherchait du regard Filou et lorsqu’il le trouva, il murmura « Pardon ». Puis ses larmes coulèrent à nouveau. Il avait du mal à reprendre son souffle, épuisé par la force des sanglots qui le submergeaient. Grimot avait gagné, les principaux responsables de leurs malheurs allaient disparaître. Armé d’une torche en résine, l’immense chat noir s’approcha du condamné. Avant de mettre le feu au bûcher, il grimpa à la hauteur de Joey et lui murmura à l’oreille :

— Samuel, souviens-toi de Tituba1 ! La boucle est bouclée, tu ne feras plus de mal !

Un cri infini résonna sur le terrain vague de Laker Street : le révérend Samuel Parris repartit dans les limbes d’où il venait et qu’il n’aurait jamais dû quitter. Grimot jeta sa torche et proclama qu’à partir de cette nuit d’Halloween, les chats noirs de Salem et tous leurs compagnons félins étaient désormais libres.

Fait divers paru en colonne intérieure de lam Gazette de Sale :

Le jeune Joey Parris, disparu lors de la nuit d’Halloween, a été retrouvé ce matin près de la 7e et de Laker Street. Il semble avoir été victime d’une violente agression. La police de Salem n’est pas encore en mesure d’expliquer l’origine des multiples blessures du jeune homme. Amené à l’hôpital de Salem Est, il n’a pas pu expliquer les circonstances de l’attaque dont il a été victime. Son pronostic vital n’est pas engagé, mais une expertise psychiatrique a été demandée par la police. En effet, l’adolescent est en état de choc. Selon les témoins, il ne cesse de répéter qu’il ne recommencera plus et que « Samuel n’est plus là ». Nous adressons notre plus sincère soutien à Mme et M. Parris, membres éminents de notre communauté. Nous souhaitons un prompt rétablissement et un retour à la normale à leur fils.

1 À l’occasion des procès des Sorcières de Salem (février 1692 — mai 1693), le révérend Samuel Parris, influencé par les témoignages plus ou moins obscurs de ses filles, fit arrêter et condamner trois femmes, dont l’esclave — antillaise ou amérindienne — de Samuel Parris lui — même, Tituba.

L’héritage

« À vous qui vous apprêtez à lire ces lignes, où que vous soyez (peut-être au milieu de nulle part, peut-être dans une ville particulièrement étrange, inquiétante et très bruyante, ou alors dans une galaxie très, très lointaine…), permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Hisbas le Magnifique, Douzième du nom. Comme vous pouvez le deviner, je suis le descendant d’une longue lignée de chats qui ont lié leur destin à celle de la famille des Blackmoor, une célèbre famille de sorciers noirs. Ce clan est un des plus célèbres et puissants parmi les magiciens noirs. Le fondateur de cette dynastie est Hashini l’Infernal. Il maîtrisait à la perfection la Lumière Noire et la Force Sombre. Hashini avait toute une série d’exploits à son actif. Mais celui dont il s’enorgueillissait le plus était la destruction totale de la ville de Khorn et l’extermination de l’ensemble de la population. Enfants, femmes, hommes, personnes âgées, personne n’avait survécu. Le souffle de la Mort Obscure avait recouvert toute la ville de son haleine pestilentielle. Les habitants avaient respiré la poudre mortelle et avaient expiré dans la douleur.

Après cet exploit, Hashini l’Ifernal était devenu Hashini le Destructeur de Mondes. C’est à ce moment-là que mon ancêtre fit sa rencontre. Alors que le sorcier parcourait les rues dévastées de la cité, Hashini le Destructeur eut la surprise de découvrir un chaton abandonné. Comment un être aussi minuscule avait-il réussi à survivre ? Ce devait être une créature absolument exceptionnelle. La minuscule de poils miaulait à mort. Le magicien s’en approcha et l’animal l’attaqua. Ses yeux verts étaient remplis de haine et de violence. Lorsque Hashini s’en saisit, l’animal démoniaque le griffa si fort qu’il y laissa une cicatrice que le sorcier conserva toute sa vie, rayant son visage. Hashini baptisa mon ancêtre Lumos (Lumière Brillante). Ce fut le début d’une des plus grandes associations que le monde de la magie connut. Ils étaient autant dissemblables que le Jour et la Nuit. Et pourtant, partout où allait Hashini le Destructeur de Mondes, Lumos était à ses côtés. Les gens pâlissaient à la simple évocation de leurs deux noms. Je vous laisse imaginer la peur et la panique qui saisissaient ceux qui les croisaient. Même les puissants Mages Blancs et les Chamans préféraient s’enfuir. Cette époque fut donc l’apogée de la Magie Noire, et par conséquent, de ma famille. Mais ce genre de choses ne dure jamais.

Les Mages Blancs s’organisèrent en coalition et ils battirent les Sorciers Noirs ou les forcèrent à l’exil. Les guerres furent très, très longues et toujours plus violentes les unes que les autres. Les morts s’accumulaient à l’image des cadavres qui jonchaient les champs de bataille. Des feux titanesques permettaient de faire disparaître les cadavres martyrisés. Bref, les héritiers d’Hashini le Destructeur de Mondes durent se réfugier dans le Château Noir, construit dans une contrée isolée balayée par les vents. En tant que seigneurs absolus, ils recevaient la nourriture et l’eau de leurs paysans. Parmi les descendants d’Hashini, quelques-uns furent de véritables démons tandis que d’autres étaient juste assez cruels pour être respectés par les autres Magiciens de toute catégorie et par les habitants de leurs terres. Ils ne combattaient plus, ils n’étaient d’ailleurs plus supposés le faire. En effet, ils n’en avaient même plus besoin grâce à la réputation de leur ancêtre commun. De temps en temps, il y a avait bien une tête brûlée, un jeune Magicien Noir ou un Mage Blanc complètement fou et à la recherche d’un exploit qui tentaient de s’en prendre à la famille des Blackmoor. Ils étaient certainement à la recherche de plus de pouvoir, de richesses. Ou alors souhaitaient-ils simplement se construire une légende dans le monde magique. Mais il n’est pas besoin de préciser que chaque tentative fut systématiquement un échec.