Les cités d'écorce - Léonie Bird - E-Book

Les cités d'écorce E-Book

Léonie Bird

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Beschreibung

Futur de l'humanité terrestre, six cent ans après un cataclysme responsable de l’extinction massive de la vie. Une forêt dense recouvre alors les continents, où survivent quelques micro-néo sociétés humaines qui se sont adaptées au contact des insectes, des arachnides et des végétaux, tous évolués, qui prédominent.

Au cœur de cette nouvelle jungle vont se jouer les combats pour l’eau, la paix, et la rencontre entre l’hypersensible ManthaO, amnésique, et KyleW le Cimien, bio-implanté. Pour cela, ils vont devoir se retrouver, s’allier à des entités vivantes improbables, se perdre et regagner un fil d’espoir.

Heureusement, ils ne seront pas seuls, encore leur faudra-t-il différencier leurs amis de leurs ennemis…

Ne pas sous-estimer la puissance des arbres.


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Couverture

Page de titre

Léonie BIRD

Les Cités d’Ecorce

Pulception

Mentions légales

2023ISBN : 978-2-38625-015-6Tous droits réservés, y compris droits de reproduction totale ou partielle, sous toutes ses formes les_cites_decorceConception graphique couverture :Delphine Darier / elvina1332

Aux hypersensibles de ma familleavec toute mon affection.

Au dernier chant des grillons bleus :

dialogue

- Salut à vous tous, Frères. J’en appelle à ceux qui veulent protéger la Grande Forêt en s’alliant avec les valeureux anhums et éveillés qui nous entourent, nous soutiennent, nous parlent et nous écoutent ! Ensemble nous pourrions libérer les nôtres de la soumission, comme l’est Bahohobhahab. N’attendons pas qu’il soit trop tard. Les anhums sont peut-être insignifiants, aux enjeux différents des nôtres, mais ils ont des savoirs que nous ignorons, et inversement. Nous sommes leur survie. Notre alliance nous garde des agressions de certains de leur espèce, elle laisse aussi espérer de recouvrer nos origines, je vous le rappelle.

- Céhékoho, je te salue en scellant mon allégeance aux Frères libres, au nom d’un grand nombre d’entre nous.

- Mmm… je te remercie, Shéhénee, et n’en doutais point.

Parle.

- Ceux du nord et de l’est ont attesté récemment qu’ils ne…

- Salut à vous aussi, Frères ! Céhékoho faiblit au contact des anhums, ces indésirables menteurs, irrespectueux et cupides ! Ne vous laissez pas berner par ses paroles de ralliement naïves qui courent à notre perte ! Il a laissé ces ridicules bestioles accéder à notre langage, notre Immensité est ainsi souillée de leurs idées nauséabondes ! Ne…

- Mmm… qui es-tu pour m’insulter et imposer tes intentions ?

- Qui es-tu pour m’interrompre ! Je suis un Frère, puissant, car rien ni personne ne peut m’approcher ! Je me nomme Mhanhcenhelhlhiiéh. Rallie-toi à nous, ou subit notre colère !

- Mmm… que tous perçoivent ma fréquence : je ne me rallierai à tes convictions que lorsque tu seras plus apaisé, et nous pourrons discuter de l’intégration des anhums alliés. En attendant, tant que tu infligeras à tes semblables ce que tu reproches à tes ennemis, je ne pourrai t’accorder ma confiance. Il est vrai que tes engeances, tes essences et ton corps sont d’une rare toxicité, alors réfléchis, Frère, il est encore temps de…

- Ah, tu connais donc mes pouvoirs sur le vivant ! Le combat remplace la réflexion, il est surtout temps d’agir ! Lorsque tous les anhums auront disparu, nous retrouverons la paix.

- Mmm… sois sûr que nous t’en empêcherons, Frère, car nous avons aussi nos armes secrètes.

- Vos armes secrètes ?! La Grande Forêt cache peu de secrets à mes sens. Nous serons donc contre vous !

- Seras-tu ainsi contre tes fils et tes filles, Frère ? Notre nombre aurait raison de vous, tôt ou tard, car tu n’es pas le seul à entretenir ce pouvoir en ton sein. Réfléchis encore, Frère, réfléchis bien.

Première partieGermination

SORENt chapitre 1

J’ai le ventre qui me chatouille tiens… C’est toujours comme ça quand je sens que l’ambiance va tourner au jus de chenille ! Quand je repense au dernier repas qu’on a avalé chez le vieux NilsV avant d’embarquer en catastrophe : de tièdes galettes de farine de châtaignes farcies aux larves de criquets croustillantes suivies d’une compote de fruits des cimes saupoudrée de cannelle… Simple, mais un pur régal ! Je me demande bien, d’ailleurs, comment cet IrwinS a pu en reprendre trois fois, vu sa taille de souche et son état rachitique… Il a beau se dire diplomate de Florida venu à notre secours, il n’en demeure pas moins mystérieux, l’aveugle. Il s’est bien vite rapproché de ShaniB aussi !

3h27 du matin exactement… Et je suis suspendu entre tout et rien aux commandes d’un aérostat somnolent en direction de la ville que j’ai fuie voilà cinq mois : Giantrees, troisième cité d’écorce… maudite depuis notre insurrection contre ces parasites d’exploitants, frelons vérolés, assassins ! Ils distillent l’eau de la Source au compte-goutte à nous, les Pionniers de la Grande Forêt ! Impossible de boire l’eau de ruissellement des arbres, trop impropre à la santé. Alors j’ai foncé tête baissée aux côtés des Insurgés, traversé un « océan » – semblable à une forêt et vaste comme un continent d’eau. Puis nous avons découvert tout un peuple d’humains très différents, plantés sur leurs « gyres », dans une situation aussi épineuse qu’ici ! On les a aidés eux aussi, puis on est revenu en laissant la moitié des nôtres là-bas !

Me voilà maintenant affublé du même uniforme que ces dangereux crétins qui ont enlevé MilaL avant-hier. J’ai les jambes douloureuses parce que j’ai reniflé, à mon insu, les particules chimiques toxiques disséminées par un Noyer vicieux, sans parler de mon estomac, trop creux pour rester silencieux ! Bonne sève, et mon KyleW qui va ramener sa fraise parce que ce scarabée blond de Shan a cru bon de « tester » un bouton du tableau de bord… C’est ça, la curiosité féminine ?! Le pire, c’est que j’aurais peut-être bien fait comme elle !

Je vais tâcher de la jouer diplomate, comme le jour où KyleW a « entendu » mes pensées. J’aurais jamais cru qu’un bio-implanté acquerrait cette faculté ! Ah, pas loupé, le voilà… Pourvu que Shan se taise…

MANTHAo chapitre 2

Je suis bouleversée, et plus encore… Comment s’endormir dans ces conditions ! Tout se bouscule dans ma tête… Zac dit être le père de ma mère Nilam – dont je n’ai aucun souvenir – parachutée à quinze ans à proximité de Bluforest. Est-ce la découverte de mon grand-père sur le gyre, ou de la banque de graines dans l’arrière-bureau d’Artus qui m’a empêchée de m’immuniser contre la drogue amnésique ? Pourquoi pas le cumul des deux ?…

Les yeux grand ouverts, tournés vers les hublots de ma chambre qui laissent filtrer quelques rayons de lune, je me retourne pour la énième fois dans mon lit. Zac a invité notre groupe à dormir sur place pour éviter de retraverser de jour le lendemain, et attirer l’attention trop tôt. Cette immersion au cœur du troisième gyre nous permettra de réaliser l’ampleur de la situation dès demain.

Paul, en tant que représentant gyrien, a assuré à notre hôte qu’il ferait son possible pour émettre des solutions afin d’enrayer les différents processus malsains instaurés par ce tyran d’Artus. Je me demande bien comment… Il devra quand même s’en remettre par la suite aux décisions du nouveau conseil des deux autres complexes. Nous devrions rejoindre le nôtre dès demain soir pour reconstituer une seconde dose de drogue en vue de maintenir dans son amnésie cet enfoiré destitué. L’annulation de « l’écran mirage » n’a pas été abordé.

La douche me fit un effet de pur nectar, mais mes pieds me font encore mal d’avoir tant marché sans leurs bottes habituelles… Et ma gorge aussi. Je me représente mentalement chasser la sensation de la poigne d’Alyo.

Vaincue par la fatigue, mes cils s’abaissent enfin, je peux percevoir ma respiration. Le visage de KyleW apparaît soudain dans mon esprit somnolant : il me susurre « petite liane » en souriant, mais ses yeux sont tristes… « Reviens-moi » sont ses paroles suivantes, presque implorantes… mais elles ne me font ni chaud, ni froid, et me traversent comme une brise légère… Ma raison m’impose de lui répondre par phéror…

Je sombre, mais un autre visage provoque comme un crépitement incontrôlable dans ma poitrine : le regard vert aux cils clairs, posé et taquin, encadré par des mèches rousses… Celui-ci, bien réel dans mes souvenirs, suffit à m’apaiser. Je m’endors enfin.

KYLEw chapitre 3

- Ok, c’est plus sérieux que ce que je pensais. SorenT ?

- KyleW, contrairement à toi, j’arrivais pas à dormir, réagit mon ami à peine désappointé, alors je suis revenu tenir compagnie à la demoiselle. J’en ai profité pour parfaire mon apprentissage de l’aérostat et j’ai… inspecté le menu de l’ordinateur de bord. Tu connaissais celui qui s’intitule « Défense » ?

J’analyse l’expression de mon ami, sans trouver le moindre indice d’humour.

La Cimienne se racle la gorge et retourne se tasser dans son siège. Dans mon champ de vision, je perçois loin au-dehors, devant nous, une lueur enflammée, vive et brève, qui me fait pivoter la tête : une explosion en bas, au cœur de la forêt !

- C’était quoi ça ? je lâche hébétée.

- L’application du sous-menu « Défense ». Un… missile, ou dans le même genre. Cet aérostat est équipé comme un engin de guerre en fait, NedA ne nous en avait rien dit. Ils sont construits où les aérostats de Giantrees ? M’étonnerait pas que les Exploitants aient leurs parts dans les chantiers…

Je le dévisage et son flegme me donne envie de le secouer comme un Prunier !

- Passe en mimétisme, vite ! j’ordonne d’une voix blanche.

- C’est fait.

Fébrilement, je vérifie notre position sur une carte virtuelle. Evaluant notre objectif d’arrimage et le lieu approximatif de l’explosion inopinée, je réalise qu’elle se trouverait à moins de quarante kilomètres des premiers avant-postes connus de Giantrees, selon les espions d’IrwinS !

- Bravo ! Notre approche incognito est optimale on dirait ! On change de cap : remonte au nord, en espérant très fort qu’ils n’ont pas eu le temps de réagir.

- C’est ma faute, KyleW, j’ai voulu tester un bouton, pensant que c’était sans danger, avance ShaniB d’une toute petite voix piteuse.

- Laisse faire, Shan, relève l’autre d’un ton rassurant, au moins on sait ce qu’on a à bord maintenant. KyleW, regarde, c’est là, et c’est une bonne nouvelle.

Il a une drôle de façon de retourner les situations mal parties celui-là ! Je bouts à l’intérieur pendant qu’il pianote sur l’écran tactile. Puis il glisse tout en bas de la liste du menu « Sécurité », resté dissimulé par sa longueur dépassant la hauteur de l’écran… L’onglet « Défense » révèle un schéma d’aérostat où sont positionnées huit formes allongées réparties en symétrie tout autour de l’engin. L’une d’elles, en rouge, se situe vraisemblablement tout près de la cabine que je partage avec deux autres gars et SorenT.

Des armes secrètes, invisibles de l’extérieur en plus ! C’est en effet une nouvelle prometteuse et bienvenue, pourvu qu’elle ne nous fasse pas défaut. Sacré NedA, je lui en dirai deux mots si je le revois. ShaniB s’est rapprochée pour expliquer son geste.

Une demi-heure passe dans un silence pesant. J’ai repris mon poste et ai congédié mes deux amis à leur couchette. Nous devons survoler la zone de l’explosion maintenant. Dehors, la nuit est claire, mais je ne distingue aucune fumée, ni trou béant dans la forêt. Notre bifurcation nous vaudra une heure de retard, j’ai donc entrepris de vérifier toutes les fins de menus.

Des pas derrière moi, suivi d’un « Avance ! » péremptoire. Mais à qui parle-t-on comme ça ? Je me retourne en me levant pour en distinguer l’origine : l’apparition de LuciaW en tenue de Cimienne me laisse sans voix. Elle me dévisage en croisant les bras. Le Cimien derrière elle la tient en joug.

- Qu’est-ce que tu fais là, t’es folle ou quoi ? je lui envoie en niant à qui je m’adresse.

- KyleW, on l’a trouvée planquée dans un propulseur quand on les vérifiait. On en fait quoi ?

- Laisse tomber, c’est… ma mère, merci – le Cimien s’éloigne les yeux au plafond. Alors ?

- J’ai décidé de vous aider.

- Mais tu l’as déjà fait, par les renseignements que…

- C’est insuffisant à mes yeux. J’ai voulu apporter quelque chose que personne n’a.

- Ben voyons ! Et on peut savoir quoi ?

Elle regarde tout autour d’elle avant de répondre tout bas.

- Une arme personnelle.

La femme à qui je parle, au regard buté, n’est plus ma mère, mais une dangereuse inconnue !

- Tu portes une arme maintenant ?

- J’ai toujours aimé les armes, et ce depuis mon passage au centre d’entraînement de Giantrees. Avant ta naissance, j’avais une vie, mon chéri, dont je ne t’ai jamais parlé. Mais ce n’est pas le sujet.

- Je veux la voir.

Une lueur amusée traverse ses pupilles. Elle me montre son gant droit un peu plus volumineux que le gauche. Je le touche et sens comme un mécanisme à l’intérieur. Je la regarde en hochant la tête.

- Ça fait quoi ?

- Ça tue sans blessure. Arrêt cardiaque. C’est un prototype d’arme génique classée.

- Précise.

- Elle ne fonctionne qu’en présence de mes gènes, donc aucun intérêt pour un allié potentiel de s’en servir à ma place. Pas plus qu’un ennemi. Pas rentable quoi. Sauf pour moi. Je ne pourrai même pas te la léguer. Je suis montée pour renforcer ton équipe. Tu n’aurais jamais voulu si je te l’avais demandé. Laisse-moi regagner… ta confiance.

Je suis abasourdi ! C’était donc pour ça ! Ma nuque me démange subitement, je la soulage nerveusement.

- As-tu déjà tué avec ?

- Ça ne te regarde pas, me dit-elle droit dans les yeux.

- Ok. C’est hors de question que tu participes à l’assaut, LuciaW ! Tu restes dans l’aérostat.

- C’est ce qu’on verra !

Soudain, tous les écrans et les voyants lumineux s’éteignent d’un coup. Mon copilote jure entre ses dents et je réfléchis à toute vitesse pour contrer mon affolement qui s’amplifie dans ma poitrine, on est dans le noir complet, mais l’aérostat continue son vol en plein ciel comme si de rien n’était ! Quelqu’un émerge dans l’habitacle en vociférant : le bio-médecin.

- Où est KyleW, bonne sève ! Qu’est-ce qu’il se passe ?

- Il est là ! j’affirme sans détour. J’ignore encore ce qui ne va pas, les commandes ne répondent plus pour l’instant, mais nous ne tombons pas, alors pas de panique DarenK !

Par contre, notre cap se modifie on dirait. Et on perd de l’altitude. C’est pas bon. NilsV m’avait parlé de ces éventuelles pertes de contrôle d’un aérostat il y a un moment déjà… J’y suis, une vieille brouilleuse ! Mais qui ?

Au bout d’un quart d’heure dans la plus complète ignorance de notre situation, notre équipe s’est déjà rassemblée dans l’habitacle, à tâtons, et la tension des échanges est palpable. Seul l’écran tactile se rallume, vide, et une voix masculine peu amène se fait entendre.

- Salut, traîtres à la solde des exploitants de Giantrees. Avec le feu d’artifice qu’on a reçu, vous êtes faits comme des mouches ! On a piraté l’ordinateur de votre appareil, il est réquisitionné, bandes de punaises ! Quand on vous le dira, descendez en laissant vos joujoux à l’intérieur, sans faire d’histoire, et tout ira bien. Nous sommes armés et si vous tentez de fuir, bonne chance ! Ici, c’est la forêt et ses petits habitants qui font la loi. Bon séjour parmi nous !

Mais qui sont ces… pirates pour s’opposer aux exploitants, de façon aussi virulente que nous ? Ils nous prennent pour des gardiens, bien sûr. Le missile ne leur a pas plu, normal. Mais la situation s’avère moins catastrophique que ce que j’imaginais. Il suffira de s’expliquer et notre mission devrait continuer son chemin.

MANTHAo chapitre 4

Un « toc-toc » à la porte me tire du sommeil matinal.

- ManthaO, fait une voix électronique accueillante, le petit déjeuner n’attend plus que toi.

Roy. Ce n’est pas tous les jours que l’on se fait réveiller par une intelligence artificielle ! Lentement, mes paupières se soulèvent. La petite chambre est baignée par une lumière si tiède et si consistante que je ressens l’envie de flotter dedans – chose que je n’ai jamais expérimenté de ma vie ! Tomber, oui, mais flotter… Je ne sais même pas nager… ni où !

- Je viens, je réponds en bougonnant.

En même temps, mon estomac se manifeste. Je repousse le drap et m’assoie sur le bord du lit. J’entends des voix derrière la porte, dont celle de Zac – mon grand-père de deux cent ans – ce qui m’encourage à m’habiller rapidement. J’arrive dans le petit couloir menant à la grande salle commune, la porte de la salle d’eau se met à tanguer ! Je me force à m’adosser au mur quelques instants, les mains sur mes tempes. J’ai dû me lever trop vite. Voilà qu’une nausée me saisit, il ne manquait plus que ça !

Le bruit d’une porte qui s’ouvre. Des pieds nus et bruns, dépassant d’un pantalon souple et de couleur grège, me passent devant sans un mot, sans une respiration. NatanO m’en veut toujours de l’avoir poussé dans le vide fictif. J’avais imaginé que découvrir notre grand-père materne0l vivant, en face de lui, l’aurait décoincé, un peu. Peut-être que j’y suis allée un peu fort avec mon frère.

Je me redresse et fait un pas en direction du lavabo, mais le sol semble se dérober. Deux mains attrapent alors fermement ma taille.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? me souffle mon frère en me retenant, sur un ton agacé, comme s’il avait été contraint de faire ce geste.

- Rien, un vertige… je vais me rafraîchir au lavabo, merci, je bredouille, encore surprise.

Il me quitte et je n’ose pas me regarder dans le miroir. Je m’asperge d’eau fraîche et me redresse de toute ma hauteur en inspirant profondément, si bien que plusieurs gouttes dégoulinent dans mon cou, jusqu’à mon nombril. Je frisonne… et finis par m’essuyer. Lorsque je rouvre les yeux, les vertiges et les nausées se sont estompés.

Je me dirige près de la table basse. Les conversations vont déjà bon train : Paul et ElysP ont un échange animé. NatanO, debout avec une tartine à la main, écoute attentivement les propos entre Zac et Roy campés devant le mur. Intriguée, j’attrape moi aussi une tartine de ce moelleux pain brun et m’apprête à rejoindre ces derniers. J’intercepte le regard de Paul, bien réveillé et pensif, mais c’est ElysP qui m’interpelle :

- Bien dormi ?

- Comme une souche ! Et toi ?

Mais son attention s’est déjà tournée vers Paul. M’approchant du mur à mon tour, je découvre la grande photographie d’un… oiseau ? Immense, ses larges ailes noires, son long bec et ses longues pattes rouges, il semble planer en plein ciel. Je tends l’oreille.

- Autant l’autre ne fait pas de doute, c’est une cigogne noire, explique Roy, autant celui-ci est plus délicat à identifier, vu la distance à laquelle tu l’as photographié, Zac. A sa silhouette, il doit faire partie de la famille des Larinae…

- Oh, alors ce serait une mouette ou un goéland ? tente Zac.

- Voire un albatros, rectifie l’humanoïde.

- Et cheux-chi, tout en blanc ? s’enquiert mon frère la bouche pleine.

- J’ai toujours pensé que c’étaient des oies, non, Roy ? renchérit le photographe amateur.

- En effet, confirme Roy. Le bout noir de leurs ailes est caractéristique. De la famille des Anatidae, on les appelle aussi des oies des neiges…

- Mais… où les as-tu aperçus, tous ces oiseaux mythiques, Zac, à proximité du gyre ? je les interromps, curieuse.

- Bonjour ManthaO, s’exclame mon grand-père avec engouement, une étincelle dans les yeux en croisant les miens.

- Pardon… bonjour !

- Je les ai photographiés en volant, en livrant les bébés sur les différents continents, voilà, précise-t-il. Je suis devenu pilote, je vous expliquerai tout à l’heure.

Pilote de quoi ? Sensiblement, une sorte de passage s’ouvre dans ma tête…

- Puisque vous êtes tous là, maintenant, annonce Zac de sa voix artificielle mais chaleureuse, voici mes suggestions de ce matin. Après entretien avec votre intelligence artificielle, j’ai deux bonnes nouvelles, enfin… Roy, je te laisse la parole.

- Merci Zac. Mes algorithmes ont travaillé toute la nuit, et continuent de le faire. Grâce aux relevés effectués hier en venant, je suis sur le point de trouver le moyen de désactiver l’écran mirage qui maintient ce gyre dans la clandestinité et ses habitants en danger. Pour cela, je dois me connecter à un endroit précis de votre pôle technique pour finir le travail. La seconde bonne nouvelle concerne Oki. J’ai envoyé le même type de message codé que j’ai reçu de Zac aux trois autres androïdes actifs, chose inattendue, elle m’a répondu, ce qui signifie…

- Qu’elle est à nouveau opérationnelle ! s’écrit Paul. Bien joué !

- Ceci va me permettre d’annuler toutes les livraisons d’enfants à compter de ce jour ! s’exclame Zac à son tour, rayonnant. Ils vont grandir auprès de leur mère à présent, ici. De trois mille habitants, nous allons passer à quatre mille d’ici quelques mois, dont un quart de nourrissons !

Nous sommes médusés !

- Zac, je suis d’accord que c’est une situation odieuse pour les Gyriennes, s’inquiète ElysP, mais… et celles qui attendent d’adopter leur bébé, elles vont le vivre comment ?

- On négociera, ou l’enfant leur parviendra, rassure-toi.

- Et pour le troc, renchérit mon frère, je veux dire, par quoi comptes-tu remplacer les bébés pour approvisionner le complexe ?

- Mon petit NatanO, c’est une très bonne question, et j’ai ma petite idée… rétorque mon grand-père en roulant des yeux remplis de mystères.

***

Nous débouchons dans l’épicycle du troisième gyre, à l’air libre empli de ses senteurs nouvelles, et que le soleil commence à inonder de lumière sur la droite. Comme le matin où…

Tiens, ce spectacle me rappelle que je dois parler à KyleW par phérhormones… qu’est-ce que… ?

Levant les yeux vers la coupole du complexe circulaire, je stoppe net mes pas. Le spectacle est irréel, toute une forêt semble dominer de trente mètres au moins le dernier étage. J’attrape le premier bras qui passe à ma portée et le retient – taches de rousseur sous des poils roux.

- Qu’est-ce que tu vois là-haut, qui dépasse du mur sur tout le pourtour droit ?

Suivant mon regard, Paul se campe à côté de moi, les mains sur les hanches, la bouche ouverte. Il passe sa langue sur sa lèvre inférieure. Ses cils papillonnent en scintillant au soleil. Ses yeux étonnés parcourent les frondaisons de différents verts, puis se tournent vers moi.

- Aux odeurs inhabituelles qui flottent ici, une… forêt, non virtuelle !

Lui aussi a remarqué les parfums de l’air ? Je l’observe un instant en me mordant la joue : c’est évident, il n’en a vu qu’à travers l’omnivers, je l’avais oublié. Paul se déplace de quelques pas en avant, s’arrête et croise les bras.

- Et ces sculptures sphériques, là-bas, c’est pas mal non plus, viens voir.

Dans mon champ de vision, les autres se sont rapprochés de nous à leur tour, intrigués par notre retard. Zac s’avance l’air amusé.

- Cette verdure représente notre richesse, et la fin de votre visite aussi. Elle couvre presque la moitié des toits du gyre, hors de la coupole électromagnétique. C’est la seule initiative saine et durable qu’Artus a réalisée au début de son élection.

- Mais… s’interroge une ElysP dubitative, comment fait-elle pour pousser ?

- Les trois derniers étages ont été condamnés pour être remplis de terre propice à la germination et à l’épanouissement de nombreuses variétés de plantes et d’arbres. Nous avons adopté la permaculture, comme à l’ancienne. Certaines zones, comme les jardins potagers, nécessitent un arrosage régulier, mais le reste se développe tout seul et très bien. Nous cultivons aussi des plantes qui soignent. Joon en parlerait mieux que moi.

- Et la pollinisation, elle s’effectue comment, à la main ? ironise la bio-médecin.

Zac la jauge un instant, visiblement surpris par les questions pertinentes de la jeune femme.

- Nous avons nos ruches et leurs abeilles depuis que ce complexe existe, ainsi que quelques autres insectes pollinisateurs : guêpes, bourdons, cétoines dorées et quelques papillons. Nos jardiniers veillent sur eux comme des louves sur leurs petits !

Des quoi ?… Sans un mot, Pionniers et gyriens se regardent rapidement en haussant les épaules ou les sourcils. Seule ElysP affiche un visage émerveillé.

- Bon… Allons-y, termine Zac enthousiaste.

J’observe alors les fameuses sculptures : au nombre de trois, une grosse et deux petites, elles s’alignent sur l’autre partie du toit, en respectant le même écart. D’un gris mat iridescent par endroits, on les croirait posées là pour raison esthétique. Mais, en remarquant à proximité une flèche pointant vers les étoiles…

- Paul, ce ne sont pas des sculptures, je lui confie, ça vole !

Il me détaille dans un demi-sourire, comme s’il ne m’avait pas entendue, et se gratte la barbe.

- C’est dans un des petits engins sphériques que vous apercevez là-bas que Nilam a quitté définitivement ce gyre, intervient l’ancien, avec un minimum d’équipement de survie pour tenter réaliser sa vie, que vous connaissez.

- Ah ! je fais d’une voix triomphante à l’attention de Paul qui dévisage maintenant Zac. Alors une sphère identique se cacherait quelque part dans notre forêt ?

- Eh non ! Il dément. Je n’ai pas pu laisser cette liberté à Nilam, Artus s’en serait rendu compte. Je l’ai programmée pour qu’elle revienne toute seule ici dès que ma fille l’aurait quittée.

- Comment fonctionnent-ils, ces engins formidables ? demande Paul.

- Ils se pilotent de manière intuitive, possèdent un écran mirage et fonctionnent entièrement à l’énergie solaire et à l’eau salée. Ils sont increvables, mais privés de soleil plus de trois jours, et ils restent au sol. Recouvert de cellules bactério-solaires, ils nécessitent vingt-quatre heures d’ensoleillement pour un vol de plusieurs jours de nuit. Venez, je vous emmène à une des maternités.

Je ne peux décrocher mes yeux et mon esprit de ces objets aussi beaux que performants. Une excitation m’envahit alors que je rejoins notre groupe qui s’apprête à monter dans un transporteur.

Parvenu à un carrefour de couloirs, Roy se lève et s’arrête devant moi en me faisant face, le bleu de ses iris artificiels s’intensifie une fraction de seconde.

- A tout à l’heure, émet-il à notre encontre, tout en me fixant moi…

Puis il descend et s’engouffre dans un des couloirs.

Notre terminus s’arrête devant un autre sas, grand ouvert, duquel entrent et sortent des femmes enceintes à différents stades de leur grossesse, enveloppées d’un sohari adapté. Certaines sont jeunes et leur état semble les embellir ; d’autres, en revanche, trahissent leur épuisement à porter et à enfanter. Pincement au cœur. Alors que nous entrons à notre tour, en suivant une porteuse enceinte jusqu’au yeux, qui marche à petits pas lents en dodelinant du bassin, une question franchit alors mes lèvres :

- Zac, qu’est devenue notre grand-mère ?

- Ah, je redoutais cette question, avoue-t-il en me souriant, mais vous avez le droit de savoir. La mère de Nilam était une porteuse comme une autre, si je puis dire, que je n’ai pas connue. Fait rarissime, la petite est née avec une malformation bénigne qui a échappé à l’échographie. Dans le cas contraire, sa génitrice aurait avorté. L’apprenant par hasard, j’ai sauvé l’enfant de l’euthanasie, même si la tâche de l’élever s’avérait ardue. De plus, elle était foncée de peau et typée indienne, comme moi. Ce détail physique m’a ravi, et je l’ai aimée comme ma fille. Artus n’en a jamais rien su.

- Qu’avait-elle, comme malformation ? interroge NatanO, qui n’avait pas perdu une miette de la réponse.

- Les quatrièmes et cinquièmes orteils collés.

- Comme ceux de maman, lâche-t-il d’une voix éteinte.

Là, je remercie mon amnésie… Rien qu’à surprendre les larmes qui montent aux yeux de mon frère… Je voudrais le prendre dans mes bras mais quelque chose me retient. Ecoutant mon corps, je ne m’étais pas rendue compte que mes douleurs de ventre revenaient, lancinantes. J’en ai marre !

Zac fait la moue en avançant dans le dédale de couloirs de la maternité, équivalente à une fourmilière à cette heure.

- Je connais les circonstances de la disparition de vos parents, grâce à toi, ManthaO, nous confie notre grand-père en ralentissant, et j’en suis très attristé. Même si je n’ai pas revu Nilam depuis l’âge de ses quinze ans, je la revois et la redécouvre à travers vous, ça me réconforte. Je suis si fier d’elle.

Sa voix termine dans un chuchotement, son regard se brouille, puis il soupire en posant délicatement sa main sur mon épaule.

- De plus, je pense que ton amnésie est réversible, les souvenirs de ta mère reviendront.

- Oui, nous y avons travaillé avec Paul et ElysP, affirme mon frère d’une voix éraillée. L’antidote est prêt.

Zac hoche la tête, et entre dans un bureau.

- Bien, attendez-moi là.

Me passant une main sur le ventre avec une grimace, je constate que NatanO est dans ses pensées, qu’ElysP ne tient pas en place, contrairement à Paul qui, les bras croisés, observe quelque chose dans une pièce voisine. Le rejoignant, j’aperçois un écran immense, à travers une baie vitrée, couvert de prénoms féminins dont la plupart ne cessent de changer de ligne. A chaque prénom correspond un chiffre. En haut à gauche, la première ligne indique « Mona 22 ». Sous mes yeux, « Taïs 23 » vient de prendre sa place ! Je ne suis pas sûre de comprendre…

- A mon avis, avance Paul en se penchant vers mon épaule – il fait une tête de plus que moi – ladite Taïs vient d’accoucher de son vingt-troisième enfant. Je me demande à quel âge elle a commencé !

Puis il me regarde en tordant sa bouche et en haussant les sourcils. J’avais bien compris, et ça m’horrifie ! Zac revient.

- Voilà, les accoucheuses ont ordre de laisser les nourrissons avec leur mère et… ah ! Vous avez vu le classement des mères universelles… un autre vice d’Artus ! Toutes les porteuses ne peuvent enfanter en même temps, mais elles sont encouragées à faire le plus d’enfants possible… et elles le désirent toutes, même les plus âgées, car elles sont toutes embrigadées. Avec une gestation abaissée à six mois, elles peuvent choisir la fréquence de leurs grossesses, mais elles auront moins accès à des soins pour qu’elles se déroulent le mieux possible.

- C’est ignoble ! s’exclame ElysP.

- Et à quel âge commençaient-elles ? je demande.

- A seize ans, avec un minimum de quinze enfants requis !

C’est inhumain !

- Mais aucune porteuse ne peut élever ses propres enfants avec leur vrai père alors, renchérit ElysP d’une voix outrée.

- Ne pouvait, rectifie Zac. Si, mais les familles restaient rares. Les hommes ne représentent que vingt pour cent des Gyriens à bord environ. Et puis rien ne facilite les rencontres amoureuses ici, car Artus faisait tout tourner au rythme des naissances. La sexualité n’y avait que peu de place en réalité. Artus a entretenu de la non-vie en poussant ces malheureuses à la performance des gestations.

- Quel paradoxe ! réagit Paul.

- Mais alors, d’où proviennent les spermatozoïdes ? Pas uniquement des hommes du gyre quand même ! s’insurge encore ElysP.

- Et pourquoi pas ? répond Zac calmement. Artus n’avait aucun scrupule, aucune éthique non plus !

- Moi, je ne crois pas, intervient soudain Paul, il est trop perfectionniste pour s’arrêter à six cent donneurs dans le but de repeupler la planète. Sur nos deux autres gyres, le système prélève le sperme de tous les jeunes hommes ayant atteint l’âge de seize ans en prétextant un bilan de santé. Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, mais maintenant, c’est évident, il le volait pour le stocker ici !

C’est écœurant !

Plus on s’enfonce dans la maternité, plus je perçois une effervescence se réveiller au-delà des murs. Franchissant un nouveau sas, nous tombons dans un grand hall baigné de lumière naturelle et agrémenté de plantes fleuries. Un véritable plaisir des yeux. Au fond, un flot de femmes avance dans un seul sens, parmi lesquelles certaines courent.

- Peut-être que j’ai des enfants disséminés aux quatre coins de la planète ! continue Paul avec un sourire stupide. D’ailleurs, en débarquant chez nous comme des extraterrestres, vous avez eu droit au bilan de santé vous aussi, n’est-ce pas NatanO ?

Mais celui-ci ne répond rien, l’air gêné. Je ne peux retenir un sourire.

- Ça y est, la consigne a été donnée : celles qui le souhaitent vont récupérer leur bébé à la nurserie, tout simplement, annonce Zac d’un air serein. Et voici Joon.

D’un gris clair et chaud, aux reflets mouvants comme de la brume, un humanoïde féminin s’avance vers nous. Discrètement, ElysP se penche à mon oreille.

- Je me demandais si on aurait la chance de la rencontrer ! D’après ce que j’ai visionné aux archives hier, Joon est la plus développée des androïdes. C’est en elle que ses pères, les chercheurs de l’époque, auraient implanté dans son système central, la plus grande quantité du cerveau de cette docteure en éco-climatologie : Emy Joon Clouds. Pas étonnant qu’elle gère un seul gyre !

- Et un nom qui la prédestinait en plus !

- Ecoute bien, elle était la sœur de la compagne d’un éminent chercheur en éco-botano-biologie, qui a également un bout de son cerveau dans un androïde. Tu devines lequel ?

- Excepté Roy, l’androïde vert, je ne vois pas.

- Roy Martin, bingo ! Allison Oki Clouds, la compagne de Roy donc, était océanographe et éco-philosophe de son vivant.

Je la regarde avec des yeux ronds, et elle opine du menton de son ravissant sourire.

- Les sept androïdes ont tous des portions de leur cerveau d’origine, et correspondent tous à des personnalités émérites dans leurs spécialités. Quel gâchis d’en avoir perdu deux. Ils ont chacun une des couleurs de l’arc-en-ciel. C’est poétique !

Le gris pâle figure-t-il dans le dégradé des couleurs de l’arc-en-ciel ?…

KYLEw chapitre 5

Ce que j’avais espéré ne s’est pas réalisé. Notre équipe est bloquée à terre depuis l’arrimage de l’aérostat. Ne sachant pas à qui l’on avait vraiment à faire, j’avais insisté sur l’importance de rester ensemble, quoi qu’il arrive et le plus longtemps possible, juste avant qu’on nous débarque, avant l’aube.

J’ai bien tenté d’en apprendre auprès de nos geôliers, en nous présentant comme les Insurgés de Liana City et en expliquant qu’on était du même bord. Je n’ai reçu que des insultes et des sarcasmes. Avant que mes yeux ne soient bandés, ils nous ont ligotés les mains dans le dos sans ménagement. DarenK a voulu protester, mais un coup de crosse dans les côtes l’en a vite dissuadé. Cela aurait-il retenu la curiosité de ShaniB si j’étais resté avec eux dans l’habitacle ?

Au vu des bruits de mon estomac, la matinée est avancée. Nous sommes libérés mais cloîtrés dans une cellule s’apparentant à une sorte de grand hangar sombre et miteux. La seule issue reste une porte en bois usée et noircie, précédée d’une grille électrifiée. Aucune vue sur l’extérieur. Personne n’est revenu depuis notre arrivée dans ces lieux à l’odeur très spéciale. Cette interminable attente commence à me faire perdre patience. Veulent-ils nous assoiffer ou attendre qu’on s’entretue ?

Je serre les dents en considérant l’expression déconfite de mes compagnons usés. De rares commentaires se font entendre. Je m’inquiétais pour MilaL, mais maintenant c’est un plan pour améliorer notre malencontreuse situation qui me préoccupe.

Voyant ma mère adossée au mur, la mine renfrognée et sans ses gants, je m’affaisse contre le mur effrité du fond, et me mets à me triturer les phalanges. Ma minerve me démange furieusement, je m’en débarrasse. Puis je remarque que le plafond, assez haut, paraît ajouré aléatoirement, comme si son matériau était filandreux. A ce moment, SorenT s’assoit à côté de moi et pose ses béquilles.

- Je ne sais pas dans quel nid on nous a fourrés, mais nous sommes environnés de bestioles, mon ami, parole d’Eleveur. Tu sens cette forte odeur de soie ? affirme-t-il en pointant le plafond.

Plusieurs têtes ont pivoté dans notre direction.

- Je confirme, émet à voix basse VassiliM, l’autre jeune Eleveur. C’est même de la soie d’arachnide. J’ose pas imaginer la taille de la bête. La toile doit être coriace avec ça, et toutes mes lames sont restées à bord.

Dans un coin, ShaniB a redressé sa tignasse frisée.

- La mienne est toujours à sa place, chuchote-t-elle, tu veux…

- Ne la sors pas ! la coupe TimoteiJ, tout bas, un des gars des Ressources. On est surveillé en trois points.

- Mais j’allais pas le faire ! s’indigne-t-elle.

Des caméras. Je ne les avais même pas remarquées… Quel piètre chef je fais ! Une lueur d’espoir envahit cependant mes pensées, comme la bonne clé qui ouvrirait enfin un cadenas grippé !

- Bien joué ! je les félicite en me relevant. Je crois que nous sommes en train d’être testés. On va les aider à venir à nous plus vite. A votre avis, peut-on atteindre le plafond avec trois personnes ?

Plusieurs se sont rapprochés : certains se regardent, perplexes, tandis que d’autres lèvent le menton. Dans la pénombre, j’évalue rapidement les gabarits les plus adéquats. Puis je m’explique d’une voix posée.

- On va s’appuyer contre cette paroi, face à la caméra, et permettre au plus léger de grimper sur une échelle humaine. Avec la lame, il ou elle taillera la soie. Le but est de tenir le plus longtemps possible. Ça devrait les alerter.

Ou les faire bien rigoler ! Pourvu que notre numéro les attire jusqu’à entrer…

Les deux gars des Ressources s’avancent d’un pas décidé ; avec SorenT, ils sont les plus grands et les plus baraqués de l’équipe. GebrilJ, le brun souriant, s’exprime le premier.

- On propose de faire les piliers, qui monte au-dessus ?

- Moi, je veux bien tailler la soie, déclare ShaniB.

- Merci, mais sans vouloir te contrarier, je pense plutôt que MélineE est moins en muscles que toi, à moins qu’elle n’y tienne pas ? je laisse entendre avec un brin de malice dans la voix.

Mon amie à la tignasse blonde marmonne quelque chose sans renchérir. Depuis l’explosion intempestive du missile, elle contient ses revendications habituelles envers moi.

- Ça devrait être dans mes compétences, déclare notre novice sans hésiter. J’avais hésité entre les cimes et la bio-médecine. Qui fait l’intermédiaire ?

Personne ne réagit, sauf SorenT.

- Vas-y KyleW, t’es peut-être pas le plus léger des candidats au poste numéro deux, mais t’es le plus grand.

- Ouais, mais je préfère être au sol quand ils débarqueront. Et je ne fais pas confiance à mon cou. SamZ, dis-je à un tout jeune et mince Cimien de Liana à l’œil vif et au gabarit svelte et solide, on fait la même taille, tu y vas ?

- Allez MélineE, c’est quand tu veux ! la taquine celui-ci en rejoignant les « piliers » d’un pas enjoué.

Dommage qu’il fasse si sombre. Sous ses airs un peu hautains, je parie qu’elle a rougi !

Pendant que GebrilJ et TimoteiJ assure la mise en place de SamZ sur leurs épaules, ShaniB passe discrètement – et à regrets – son petit couteau à MélineE. Cette dernière le coince dans sa ceinture et inspecte le plafond au-dessus de SamZ. Il doit rester un mètre cinquante à tout casser, elle n’aura même pas besoin de tendre le bras pour taillader la soie.

- A toi de jouer – j’encourage la jeune fille – et en arrivant là-haut, débarrasse-nous de la caméra qui surveille la porte s’il te plaît. On est dessous s’il y a le moindre pépin.

- Il n’y en aura pas, KyleW. Si on peut sortir d’ici par le toit, ça me va, je n’ai pas peur des araignées !

S’appuyant d’un pied sur les mains entrelacées de GebrilJ, en trois mouvements elle escalade SamZ avec une agilité surprenante et assure ses pieds sur les épaules du jeune homme. Inspectant la caméra un instant, elle la décroche brusquement et me fait signe de la réceptionner.

Parfait, je vais pouvoir leur parler en tête à tête maintenant ! Je la fourre dans ma poche pour l’instant.

Puis, tout doucement, la tête courbée et le dos voûté, s’appuyant d’une main au mur, MélineE saisit la lame de l’autre et entame le plafond soyeux avec véhémence. Sa position n’est pas des plus confortables, mais les encouragements des autres semblent lui donner du cœur à l’ouvrage.

M’approchant de ShaniB et de SorenT sans quitter les acrobates des yeux, je leur expose mon idée. La présence de la caméra me dérange. Les grands yeux de la première s’agrandissent tandis qu’un rictus se dessine sur le visage du second. J’interpelle DarenK afin de confirmer ma théorie.

- Si le métal peut supporter le faisceau électrique de la porte et le dévier ? Sans doute, à condition que sa surface soit polie comme un miroir, et peut-être pas longtemps. Je vérifie leur sens de projection.

Je l’accompagne jusqu’à la grille lumineuse. En haut de l’échelle humaine, notre novice s’est assise sur les épaules de SamZ – déjà moins souriant – et persiste dans sa besogne à bout de bras. TimoteiJ et GebrilJ ne paraissent pas trop affectés par leur poids.

- De gauche à droite. Tu comptes t’y prendre avec quoi ?

- Ceci, je chuchote en plongeant ma main dans ma botte et en ressortant un petit couteau noir rétractable.

- Comment t’as fait ? s’exclame le bio-médecin interloqué, ils t’ont passé trois fois au détecteur !

- Mais celui-là est indétectable, grâce aux soins ingénieux de NilsV ! Je me demandais si j’aurai l’occasion de m’en servir. On va tout de suite savoir si son métal résiste aux rayons. Où est cette foutue caméra ?

Repérant le deuxième petit appareil similaire à celui de ma poche, à trois mètres du sol environ, j’avance ma lame vers un faisceau à la hauteur adaptée. C’est une question d’angle et de précision. Sans oublier d’éviter qu’il ne rencontre quelqu’un, ou ça va sentir le cramé.

D’un geste bref, j’interromps un rayon avec ma lame courte, qui le dévie immédiatement vers le mur, à environ cinquante centimètres de la caméra. La lame fume légèrement et le mur crépite en le balafrant de nettes traces brunes. Je n’ai plus qu’à incliner légèrement pour qu’il intercepte le petit appareil… C’est fait, il grésille en un instant. Et de deux ! Quant à la surface de ma lame, de petits cercles noircis sont apparus. Tiendra-t-elle pour annuler tous les faisceaux de la porte ?

Ma main mobilise entièrement ma concentration, j’en suis à six rayons cramés. Plus qu’une dizaine. VassiliM s’accroupit alors à ma hauteur et s’apprête à ouvrir la bouche. Découvrant mon geste, et surtout mon « outil », il reste fasciné. Septième rayon.

- Eh, tu la sors d’où celle-là ? J’en n’ai jamais vue qui encaissait les rayons laser !

- Ben c’est fait ! je lui réponds sur le même ton. Et j’espère qu’elle tiendra jusqu’au dernier ! Tu venais pour quoi ?

- MélineE a ouvert le plafond suffisamment pour passer la tête. Elle dit qu’on ne pourra pas sortir par le toit, le bâtiment est isolé des autres.

- Ça ne devrait pas être nécessaire, s’ils sont intelligents et devant leur vidéo, ils ne devraient plus tarder. Tiens, prends ça et termine mon travail… et sans te blesser, vu l’état de tes mains. Ah, et essaie de dégonder la porte aussi.

- Waouh ! J’allais te le proposer ! se réjouit-il. C’est de l’acide formique qui m’a fait ces cicatrices, rien à voir avec un manque d’habileté, crois-moi.

Ah, ma remarque l’aurait-elle piqué ?

- Ok. Dernière chose : maintiens le rayon du milieu.

Je vais faire mon petit show maintenant. Avec beaucoup de bluff. Tandis que les grésillements reprennent, je sors la petite caméra de ma poche et la positionne à bout de bras. Je ne vois pas ma mère, jusque-là restée dans son coin, s’approcher pour me l’arracher des doigts ! L’instant d’après, avec un grand sourire, elle positionne la caméra face à moi. Je me jette à l’eau.

- Après quelques ajustements depuis ce lieu charmant où vous nous avez jetés ce matin, sourds à mes explications, je renouvelle ma demande. Si j’ai bien compris votre message d’accueil, nous sommes du même bord, même si nos buts diffèrent. Je m’appelle KyleW, représentant des Insurgés de Liana City, en mission contre les exploitants de la Source de Giantrees. Nous pourrions nous entre-aider. Si personne ne répond à mon appel à parlementer, d’ici un quart d’heure, je suis en mesure de faire sauter le bâtiment, sans nous, bien évidemment. Je commencerai par le toit, je trouve que le hangar a besoin d’aération. A bientôt.

C’est pas génial, mais c’est le mieux que je puisse faire. La toile d’araignée, si mes souvenirs sont bons, ça ne résiste pas aux faisceaux lumineux. Je fais un signe de reconnaissance à LuciaW, qui fait disparaître le petit appareil dans son blouson.

- KyleW, j’ai terminé, assure Vas dans mon dos, et j’entends des mouvements au-dehors.

- Oh, déjà ! Je n’ai même pas entamé le plafond ! Va prévenir les autres qu’ils peuvent tous se mettre contre le même mur que l’entrée.

Il s’exécute pendant que je lorgne dehors par un des interstices de la porte : un demi-cercle de gars armés s’est formé. Un homme typé asiatique, habillé tout en kaki, s’avance vers notre porte, puis s’arrête à deux mètres.

- Insurgés de Liana City, je suis KaïtoN, second du chef des Rebelles de Giantrees contre