Les cristaux de pouvoir - Tome 2 - Julien & Grégory Delaporte - E-Book

Les cristaux de pouvoir - Tome 2 E-Book

Julien & Grégory Delaporte

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Beschreibung

Dans un monde en plein tumulte, la fracture entre technologie et magie se creuse, entraînant une division des royaumes. Après leur périple épique en Anegex, Éric et Thibault entreprennent une quête audacieuse à la recherche de Mélusine. Leur destin les précipite inexorablement vers le royaume des ténèbres. Déjouant habilement les pièges tendus par les adeptes du Mal et résistant aux forces hostiles à la magie, ils se trouvent confrontés à la nécessité de lier leur destin à celui du monde. Parviendront-ils à protéger ce dernier contre l’armée des damnés ?

À PROPOS DES AUTEURS

Si Julien Delaporte s’invente des histoires depuis sa plus tendre enfance, il a relevé le défi de l’écriture avec le soutien de son père, Grégory, malgré des difficultés liées à une maladie génétique. Adeptes tous les deux des écrits de Tolkien, Robin Hobb, ou Robert Jordan, ils vous proposent de découvrir, dans ce roman écrit à quatre mains, leur univers qui oppose le Bien et le Mal dans une trame captivante où l’irréel de la fantasy résonne avec les enjeux de notre monde.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Julien Delaporte & Grégory Delaporte

Les cristaux de pouvoir

Tome II

Le royaume des ténèbres

Roman

© Lys Bleu Éditions – Julien Delaporte & Grégory Delaporte

ISBN : 979-10-422-8025-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Yvette, au-delà des étoiles…

À Catherine…

Un royaume renaît de ses cendres dans le déchirement de l’Humanité entre technologie et magie. L’ombre gagne peu à peu du terrain sur la lumière. L’équilibre doit être rétabli pour éviter que le monde ne bascule dans les ténèbres.

Prologue

Une nuit d’encre s’était abattue sur la forêt. Seuls quelques arbres dénudés laissaient encore entrevoir leur ombre fantomatique à l’approche des lampes dont la lumière semblait mourante face aux ténèbres.

Gabrielle sentait en elle monter une angoisse oppressante.

Quelques heures plus tôt, elle chantait encore avec ses deux enfants, Corentin et Pauline, suivant gaiement la charrette tirée par deux chevaux de bas menés par son époux, Paulin.

Du plus loin qu’elle pouvait se rappeler, ils avaient toujours vécu dans le petit hameau de Brédor, à la frontière avec l’Altosola. Paulin et elle exploitaient une petite ferme dont ils n’étaient pas propriétaires, et qui leur donnait des revenus suffisants jusqu’à l’arrivée de leur premier enfant. Les charges et les faibles revenus tirés de l’exploitation avaient fini par décider Paulin à accepter une offre sur les chantiers royaux. Le roi Jacques VI avait ordonné, lors de son avènement, de faire bâtir une muraille à la frontière des territoires désolés de l’Est. Ce chantier gigantesque avait débuté il y a deux ans et était vorace en hommes. Des quantités impressionnantes de pierres de taille provenant de toutes les carrières du royaume de Purcell étaient acheminées par voie terrestre et fluviale vers la frontière nord où de nombreux ouvriers les assemblaient en une muraille haute de cinquante pieds, munie de tourelles devant servir à la surveillance de la frontière.

Ce projet pharaonique avait pour but de préserver le royaume des incursions incessantes de Barbaréens venant des territoires au-delà de l’est et des contrebandiers venant des différents royaumes qui profitaient de cet espace frontalier peu surveillé pour passer leurs marchandises sans payer les taxes d’entrée à Purcell.

Paulin avait longtemps réfléchi à cette solution qui ne l’enchantait guère. Quitter son foyer et sa masure baignés de soleil pour un chantier boueux et crasseux au nord-est du royaume, dans une contrée qu’il ne connaissait pas, ne lui faisait pas envie. Cependant, c’était bien payé. Gabrielle n’aurait plus besoin de travailler et le Roi, dans son extrême bonté, logeait gratuitement les familles volontaires dans des maisons construites pour l’occasion, et disposant de toutes les commodités modernes que la technologie apportait.

C’est pourquoi il avait fini par se décider, afin d’apporter un confort de vie à sa famille, même si le travail qui l’attendait était difficile et épuisant.

Les enfants s’étaient endormis dans la charrette et Gabrielle marchait au côté de Paulin, leur lumière éclairant faiblement le chemin.

— Nous devrions nous arrêter, dit-elle à son mari d’une voix inquiète. Nous n’y voyons presque plus rien. Si nous nous sommes égarés, continuer ne servira qu’à nous éloigner encore plus.

— Je crois que j’aurais dû t’écouter tout à l’heure, lui répondit Paulin. Nous aurions dû prendre à gauche après Bac sur Selle.

— Tu ne dois pas t’en vouloir, lui répondit Gabrielle. Les panneaux indiquaient bien le chemin vers la droite.

— Oui, répondit Paulin. Mais on voyait bien qu’ils avaient été détachés. Ils ont dû être repositionnés dans le mauvais sens. Je maudis le petit malin qui s’est amusé à nous jouer ce mauvais tour. Nous voilà perdus au milieu de nulle part. Nous n’avons pas vu de panneaux depuis des lieues et il fait de plus en plus sombre.

— J’ai une drôle d’impression depuis que nous avons dépassé ce lac sombre il y a quelques heures, ajouta Gabrielle.

— Je sais, grommela Paulin. Peut-être devrions-nous faire demi-tour maintenant. J’ai un mauvais pressentiment.

— J’ai peur Paulin, finit par concéder Gabrielle.

Ils s’étaient arrêtés pour discuter et firent bientôt marche arrière, retournant sur leurs pas.

— Après tout, dit Paulin, rompant le silence qui s’était installé depuis leur demi-tour, nous ne sommes pas à une journée près. Mieux vaut retourner jusqu’au panneau et prendre le chemin de gauche.

Le silence s’abattit de nouveau sur le petit convoi, à peine contrarié par le bruit des roues de la charrette s’enfonçant çà et là dans les ornières.

Ils avaient parcouru deux lieues depuis qu’ils avaient décidé de revenir sur leurs pas lorsqu’un bruit étrange et strident les fit sursauter. Déchirant le silence, ce bruit ressemblait à un cri menaçant dont l’effet horrifique était amplifié par le silence de la nuit.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Gabrielle, d’une voix tremblante.

— Un animal, je suppose, répondit Paulin, sur ses gardes.

— Tu as reconnu l’animal ? l’interrogea Gabrielle, de plus en plus inquiète.

— Continuons, poursuivit Paulin pour toute réponse. Il ne faut pas rester ici.

Ils poursuivirent leur chemin et approchèrent bientôt du lac sombre qu’ils avaient contourné peu après le panneau qui leur avait indiqué le mauvais chemin.

— Je n’en peux plus Paulin, se plaignit Gabrielle. Ne peut-on pas s’arrêter un peu ?

— Monte dans la charrette, lui ordonna son mari. Nous ne sommes plus très loin du panneau. Je préfère continuer un peu.

Gabrielle ne se fit pas prier et grimpa dans la charrette, s’allongeant près de ses enfants au flanc des sacs contenant tous leurs effets personnels.

Paulin poursuivit le chemin, menant les chevaux près du lac sombre pour rattraper le panneau par un raccourci.

Alors qu’il longeait les berges du lac, son regard fut attiré par une lumière provenant de la surface de l’eau.

Il pensa tout d’abord à des feux follets, mais ces derniers semblaient mus par une vie propre et se déplaçaient à la surface du lac de manière autonome.

Les chevaux commencèrent à devenir nerveux, piaffant et renâclant. Ils refusèrent bientôt d’avancer.

Le silence s’épaissit soudainement, les lumières du lac disparaissant. Un bruit sourd de pas martelant le sol rompit le calme, se rapprochant peu à peu, inexorablement.

Les chevaux devinrent bientôt incontrôlables, hennissant de peur et piaffant de plus en plus, ce qui réveilla Gabrielle et les enfants.

— Descendez de la charrette ! leur cria Paulin. Je ne peux plus les maîtriser !

Gabrielle et les enfants eurent juste le temps de sauter avant que les chevaux ne partent au galop, entraînant la charrette avec eux.

Paulin et sa famille se regroupèrent, effrayés, écoutant le pas des chevaux qui s’éloignaient.

Un hennissement puissant se fit soudain entendre, accompagné du bruit d’une carriole qui se brise, puis le silence emplit de nouveau l’atmosphère.

Les enfants étaient tétanisés. Gabrielle et Paulin se regardaient, effrayés, se demandant ce qui se passait.

— Nous allons poursuivre le long de la berge, ordonna Paulin à voix basse. Ne faites pas de bruit, ne parlez pas. Nous allons nous en sortir.

Il se tourna vers sa femme et ses enfants pour les embrasser afin de leur redonner courage. C’est alors qu’il émit un son rauque. Gabrielle leva sa lampe, s’apprêtant à lui demander ce qui se passait.

Elle n’en eut pas besoin. Un objet de la forme d’un pieu sortait de son thorax. Un mince filet de sang coulait de sa bouche. Son regard s’éteignit alors qu’il était soulevé dans les airs et projeté dans le lac. Pétrifiés de peur, Gabrielle et ses deux enfants scrutèrent la pénombre, ne voyant pas leur ennemi.

C’est alors qu’un fil blanc et gluant surgit et enveloppa la mère de famille qui n’eut pas le temps d’émettre un son. Elle fut entraînée dans les airs, atterrissant sur deux pattes qui l’enrubannèrent prestement dans ce filet gluant la soustrayant au regard de ses enfants mortifiés.

Corentin prit sa sœur dans ses bras, se recroquevillant au sol, comprenant que son destin était désormais scellé.

Un autre filet vint les attraper tous deux, les réduisant à l’état de cocon après que l’arachnore les eût piqués de son dard.

L’araignée géante rejoignit bientôt le groupe de ses congénères, avec ses proies, laissant les berges du lac sombrer de nouveau dans un calme inquiétant.

Le miroir de l’eau fit apparaître alors une nouvelle ombre, l’âme muette d’un homme hurlant son désespoir.

Chapitre I

L’armée des lémures

L’ambiance était électrique dans le laboratoire du Cube. Le docteur Link attendait avec impatience l’arrivée du premier magistrat suprême. Après des semaines de travail acharné, il avait réussi à trouver la formule permettant de contrôler et stabiliser la transformation d’individus quelconques en mutants disciplinés. Fier de sa découverte, il était sur le point de la présenter au dirigeant de l’Anfraen. Il était convaincu que le résultat de ses recherches permettrait de doter son pays d’une arme qui le rendrait invincible.

Au-delà de cet espoir patriotique, il espérait pouvoir couronner sa carrière d’une réussite à nulle autre pareille afin d’être enfin considéré par la communauté scientifique.

Après des études brillantes au Science Royal College de Noldon, Dwain Link était entré dans les laboratoires scientifiques de Sa Majesté par la grande porte. Accueilli comme la nouvelle génération douée et ambitieuse de scientifiques prêts à révolutionner la génétique et la très controversée science des potentiels humains. Si ses travaux sur le génome et le cerveau humain avaient dans un premier temps beaucoup intéressé ses coreligionnaires, son absence d’éthique avait très vite posé des difficultés. Il avait fini par être mis au ban de la communauté après qu’on eut découvert qu’il rémunérait des individus atteints de maladies incurables en échange de la possibilité d’exercer sur eux tous types d’essais scientifiques, thérapeutiques ou autres.

Pourtant, tous les scientifiques qui avaient réussi avaient toujours louvoyé près de la ligne, manquant souvent de la franchir. Tout le monde devrait le savoir. On n’aurait pas dû lui en tenir rigueur.

Il avait été sauvé in extremis de la prison par un ami qui l’avait averti de son arrestation à venir après la mort d’un jeune homme sur lequel il avait effectué ses premiers essais de transformation en un type d’individu fort et résistant. Le pauvre avait hurlé de douleur après les premières injections et supplié qu’on l’abatte pour arrêter ses souffrances. Il avait cependant mis deux heures avant de mourir.

Dwain Link n’aurait pas dû appeler les secours ce jour-là. Sonextrême bonté l’avait perdu. La mère du jeune homme avait porté plainte et très vite la machine judiciaire s’était emballée. S’il n’avait rien dit, il aurait pu se débarrasser facilement du corps et il n’aurait pas été inquiété. Au lieu de cela, il avait dû embarquer en quatrième vitesse dans un navire marchand dont il avait payé grassement le capitaine pour qu’il le cache en cale et s’était retrouvé un beau matin sur les rives de l’Anfraen, pays qu’il ne connaissait pas et qui allait pourtant lui ouvrir grandes ses portes jusqu’à lui faire rencontrer celui qui allait devenir le magistrat suprême. Aujourd’hui était donc un grand jour. Le jour qui lui permettrait de prendre sa revanche sur la vie.

— Bonjour, docteur Link, lui asséna Ethan Crosswalk en pénétrant d’un pas décidé à l’intérieur du laboratoire. J’espère que vous ne m’avez pas fait venir pour rien aujourd’hui. J’ai dû annuler une conférence téléphonique avec l’empire d’Altosola en apprenant que vous souhaitiez ma venue dans les plus brefs délais.

— Vous ne serez pas déçu, monsieur le Premier Magistrat Suprême, lui répondit d’un ton mielleux le docteur Link.

— Je l’espère pour vous, docteur. Bien, qu’avez-vous à me dire ?

— À vous montrer plutôt. Si vous voulez bien vous asseoir, l’invita le docteur en lui désignant un fauteuil installé au milieu du laboratoire, face à la vitre donnant sur la prison de fortune où étaient réalisées les expériences.

— Très bien, docteur, répondit Ethan, intrigué par l’assurance du professeur.

— Après beaucoup de travail, j’ai réussi à comprendre ce qui ne fonctionnait pas dans les formules utilisées auparavant. Le dosage n’était pas bon. Mais, en plus, il manquait un catalyseur, permettant de stabiliser le comportement animal des mutations. Vous m’avez apporté une solution avec le cristal argenté que vous m’avez confié. En combinant le cristal jaune et ce dernier, puis en dosant de manière efficace le produit de transformation, j’ai réussi à aboutir, après de nombreux essais, à un chef-d’œuvre militaire. Une arme de première catégorie.

— Vous m’intriguez, docteur. Poursuivez !

— Je vais plutôt vous montrer. Faites entrer le spécimen 44 ! ordonna-t-il.

La porte intérieure de la cellule d’expérience s’ouvrit alors sur un jeune homme malingre, dont le visage laissait apparaître des ecchymoses qui faisaient suite aux séances d’interrogatoires auxquelles avait été soumise la victime. Le jeune garçon fut poussé à l’intérieur de la cellule sans ménagement et s’écroula sur le sol. La porte fut refermée et verrouillée derrière lui.

— Qui est ce jeune homme ? demanda Ethan.

— Il s’agit d’un dissident qui faisait partie d’un réseau de journalistes dédiés à la cause royaliste refusant notre régime actuel. Il a été arrêté la semaine dernière lors d’une perquisition d’un bâtiment désaffecté où il s’occupait apparemment de la partie technique d’une radio contestataire.

— Très bien. A-t-il parlé ?

— Il a juste expliqué ses idées et son appartenance à une organisation secrète sans vouloir donner le nom de ses complices. Il a indiqué qu’ils ne se connaissent que sous des noms d’emprunt pour éviter qu’ils ne donnent les leurs sous la contrainte.

— Très bien. Je vois. Il va donc désormais nous servir de cobaye.

— Il ne nous sert plus à grand-chose en effet. Mais vous allez voir. Il va nous être dorénavant utile.

Pendant que les deux spectateurs échangeaient sur la destinée du pauvre prisonnier, ce dernier se releva doucement, affaibli par des jours de privation et de torture. Un drone entra soudain par une ouverture sur le plafond, attirant l’attention du supplicié. Ce dernier essaya par tous les moyens d’éviter l’engin qui s’approchait de lui inexorablement, mais il fut trop faible pour lutter longtemps et le drone finit par l’atteindre par l’arrière et le piqua dans la nuque, provoquant un spasme chez le condamné qui chuta lourdement sur le sol.

Deux ouvertures dans les murs opposés de la cellule s’ouvrirent alors pendant que le drone repartait vers l’orifice du plafond qui se referma derrière lui. Les deux ouvertures laissèrent apparaître les cristaux de pouvoir jaune pour l’un et argenté pour l’autre. Une lumière vive fut envoyée sur le jaune qui se mit à luire de manière intense. Cette lumière envahit la cellule et vint se heurter au cristal argenté qui se mit à scintiller en réponse. Le jeune homme se redressa doucement, effrayé par ce qui se passait autour de lui.

Soudain, il se mit à hurler de douleur, se prenant la tête dans les mains. Il tomba à genoux et cria, implorant qu’on l’épargne ou qu’on abrège ses souffrances. Cependant, l’expérience continua. Après de longues minutes d’agonie, il cessa soudain de crier et laissa tomber ses bras le long du corps. Il se releva et ses yeux se strièrent de rouge en même temps que les muscles de son corps se mettaient à gonfler. Ses vêtements s’arrachèrent et devinrent des lambeaux de tissu. Après encore quelques minutes, les ouvertures laissant apercevoir les cristaux se refermèrent. L’expérience était terminée.

— Bien, dit Ethan. Et maintenant ? Je ne vois rien de nouveau par rapport aux dernières expériences.

— Ce n’est pas encore terminé, monsieur le Premier Magistrat Suprême. Si vous voulez bien me suivre.

Ethan suivit le docteur à l’arrière de la cellule. Ils aboutirent bientôt devant la porte par laquelle le jeune supplicié était entré.

— Ouvrez la porte ! ordonna le docteur.

— Quoi ? Non ! intervint Ethan.

— Ne vous inquiétez pas, monsieur le Premier Magistrat Suprême. Tout est prévu.

La porte s’ouvrit sur la cellule. Le docteur Link entra le premier et rejoignit le mutant fraîchement conçu.

— Qui es-tu ? interrogea-t-il.

— Je suis 44, répondit le mutant.

— À qui es-tu dévoué ?

— Au premier magistrat suprême, répondit le mutant.

Ethan entra à son tour dans la cellule, subjugué par ce qu’il voyait.

— Alors, agenouille-toi devant ton maître, ordonna le docteur.

Le mutant s’agenouilla devant Ethan, dans une attitude de soumission totale.

— À vos ordres, maître, lança-t-il.

— C’est incroyable, s’étonna Ethan. Comment avez-vous fait ?

— Nous réalisons tout d’abord un lavage de cerveau par une technique de persuasion musclée et aidée par des instruments électriques. L’individu n’est pas à proprement parler tout de suite enclin à devenir votre dévoué serviteur, mais son cerveau est préparé pour cela. Nous avons créé un nouveau dosage du produit qui permet la transformation en y incluant également de l’œcubose distillée. Il s’agit d’une plante psychotrope récoltée à Elforest. Elle permet de rendre l’individu particulièrement docile. Associée au travail effectué auparavant sur son cerveau, elle transforme toute personne selon nos souhaits. Enfin, l’action des deux cristaux vient en faire un individu à moitié vivant et mort, insensible à la douleur et doté d’une force surhumaine. Voici, monsieur le Premier Magistrat Suprême, un prototype de votre nouvelle armée.

— C’est impressionnant, docteur Link ! Vous avez réussi. Combien d’individus pouvez-vous transformer de la sorte par jour ?

— Comme vous l’avez vu, la transformation prend un peu de temps. Le matériel doit-être ménagé pour éviter la surchauffe.

C’est la même chose pour les cristaux. Je peux vous confirmer cinq transformations par jour pour le moment. Lorsque j’aurai affiné le processus, j’espère pouvoir tripler le chiffre.

— Très bien. J’ai besoin d’une garde rapprochée et d’une équipe de quelques individus pour réaliser des opérations secrètes. Faites venir des spécimens de nos prisons et prévenez-moi lorsque les transformations auront eu lieu. Je mets à votre disposition les anciennes écuries royales au bout des jardins du palais pour loger cette nouvelle force. Demandez au colonel Van Wettinger de superviser ce bataillon.

— Très bien, monsieur le Premier Magistrat Suprême.

— Comment appelez-vous ces… êtres ?

— Eh bien, si on considère que leur cœur cesse de battre avant la transformation, on peut les considérer comme des morts-vivants.

— Nous les appellerons donc les lémures, comme nos ancêtres appelaient les spectres venant hanter les vivants. Faites-leur créer une tenue adéquate et dotez-les des dernières armes dont nous disposons.

— Bien, monsieur le Premier Magistrat Suprême.

— Docteur, vous serez récompensé pour vos recherches. L’Anfraen va connaître ses heures de gloire et ce sera grâce à vous.

— Merci, répondit le docteur Link en courbant le dos devant son maître et gonflé d’un orgueil et d’une fierté immenses.

Chapitre II

Retour aux sources

Le voyage qui avait conduit Éric et Thibault en Anfraen s’était avéré particulièrement paisible comparativement aux événements qui s’étaient déroulés en Anegex. La traversée de l’océan De Profundaelis s’était effectuée dans un calme reposant. Les deux compères avaient occupé leurs journées à se promener sur le pont du navire pour prendre l’air, ou à s’entraîner à l’épée et leurs soirées étaient vouées à se reposer et à méditer sur le changement survenu dans leurs vies respectives.

Thibault n’avait eu de cesse de se souvenir de son auberge de Valadorel, qu’il pensait ne plus jamais revoir. Cette vie lui semblait si lointaine et si proche en même temps. Les événements s’étaient bousculés depuis lors, ne lui laissant pas le temps de réfléchir un instant à ce qui lui arrivait. Ses questions existentielles le ramenaient sans cesse à ces pouvoirs qui lui étaient apparus soudainement. Les avaient-ils en lui, enfouis, quelque part, ou lui avaient-ils été donnés par on ne sait quel sortilège dont il aurait été frappé ? Se pouvait-il qu’il fût l’élu des légendes désigné par la prophétie ? Il n’osait s’imaginer devoir combattre un jour le Seigneur des Ténèbres. Qu’adviendrait-il de lui ? Pourrait-il un jour réaliser ses rêves et vivre cet amour qu’il souhaitait un jour découvrir ? D’un autre côté, il vivait aujourd’hui une véritable aventure que n’importe quel homme souhaitant découvrir le monde aimerait connaître. Ses découvertes étaient palpitantes et ses rencontres inattendues. Il s’était fait des amis et surtout Éric qui, pourtant, semblait ne pas être disposé à se lier à quiconque. Son ami renfermait encore des mystères qui lui semblaient nécessaires de percer, comme si un destin fabuleux se dessinait pour ce mutant dont les origines étaient incertaines. Pourquoi tous ceux ayant connu la famille royale de Kursell semblaient vouloir relier Éric à celle-ci ? Il y avait là matière à creuser. Thibault était convaincu qu’une partie du puzzle à constituer se cachait dans l’histoire d’Éric, mais il n’osait pas lui en parler, ce dernier étant particulièrement secret et protégeant sa vie privée comme un loup protège sa meute. Pourtant il devrait bien, tôt ou tard, s’ouvrir s’il souhaitait être aidé.

Éric n’était pas plus bavard pendant la traversée. Ses pensées l’assaillaient sans cesse, allant de sa jeunesse à Elforest jusqu’à Mélusine, en passant par ses souvenirs de Zorzar et de Kétébel qu’il avait enfin réussi à terrasser.

Pourquoi Mélusine était-elle apparue devant le lac noir, alors qu’il était en danger ? Était-elle vivante ? Était-ce possible ? Mais dans ce cas, pourquoi n’était-elle pas réapparue lorsqu’il était face à Zorzar, en état de faiblesse et si près de la mort ? Éric ne comprenait pas tout ce que cela voulait dire. Il manquait trop d’éléments pour établir la vérité. Ses questions l’amenèrent aussi à Thibault dont la force l’avait sauvé alors qu’il était à la merci de Zorzar. Cette flamme blanche que Thibault avait fait apparaître était d’une pureté ineffable et d’une force bien plus importante que ce qu’il avait pu développer lui-même jusqu’à maintenant. Tout cela n’était pas le fruit du hasard. Le destin les avait forcément réunis. Mais pourquoi ? Quel était le but ultime de leur rencontre ? Tout cela devait être découvert. Éric ne pouvait supporter d’être porté par les événements. Il devait reprendre le contrôle de son destin. Le directeur Paul Perplay pourrait peut-être lui donner les clés pour comprendre ce qui se passait et les profonds changements qui survenaient un peu partout dans le monde. Peut-être pourrait-il l’aider à retrouver Mélusine, s’il y avait une chance pour qu’elle soit encore en vie quelque part. Il le fallait. Son espoir était trop important pour qu’il soit de nouveau déçu. Il ne supporterait pas de ne plus la revoir maintenant qu’elle était réapparue devant lui.

Le navire s’était approché doucement des côtes de l’Anfraen et accosta bientôt au port de Kitchaho.

— Il va nous falloir être prudents, Thibault, expliqua Éric à son ami avant de descendre du bateau. Les gens comme nous ne sont pas les bienvenus ici.

— Tu connais cette ville ?

— Oui. Si rien n’a changé, elle est infestée de types qui agissent au nom d’un groupe appelé la « Main Verte » et qui ont pour but de chasser et tuer les êtres magiques. Ici, il ne fait pas bon être mutant ou sorcier.

— Entendu. Dans ce cas, nous ne devrions pas y rester longtemps. Et tu devrais peut-être reprendre tes yeux « humains » pour la traverser.

— C’est juste. Mais je ne sais comment, ils réussissent à débusquer les créatures comme nous même en mode furtif.

— Alors, soyons prudents. Je te laisse passer devant. Tu me feras visiter ! répondit Thibault sur le ton badin que connaissait bien Éric désormais.

— La visite sera aussi rapide que si tu explorais un repère de vampires, mon ami. Allons-y !

Le débarquement s’effectua dans une confusion infernale. Les quais, bondés de marins et de pêcheurs, voyaient se croiser des badauds venant à la criée acheter les derniers poissons frais et les citadins venant chercher quelque parent débarquant des divers navires qui accostaient. Le port de Kitchaho était à la fois un port de pêche, un port de plaisance, mais aussi un port industriel. Les quais longeaient toute la ville, allant du nord où étaient implantées les usines, au sud où le port de plaisance avait pris place dans une baie surplombée par des coteaux couverts de pins et de buissons épineux où se dressaient çà et là des villas qui rivalisaient de grandeur et de beauté. Les quartiers populaires étaient situés plus en retrait de la ville et cachés par la beauté des quartiers riches en bord de mer où se côtoyaient les hôtels particuliers et les palaces destinés aux touristes qui se retrouvaient chaque soir dans les discothèques et le casino implantés en bord de plage.

Éric et Thibault se frayèrent difficilement un chemin dans la foule. Approchant d’une échoppe près du port de pêche, ils décidèrent de s’y arrêter pour se désaltérer et prendre un repas avant de se lancer hors de la ville vers Elforest.

La truite volante était une taverne des plus banales dans le style anfraenien. La devanture un peu décrépie, qui n’invitait pas le consommateur aisé à pénétrer dans les lieux, cachait en fait un intérieur moins rustique. Le hall d’entrée s’ouvrait sur une grande salle aux murs couverts de boiseries, au centre de laquelle s’étendait sur toute la longueur un bar en bois d’acajou aux moulures travaillées. Plusieurs billards entouraient cette pièce centrale et des tables étaient disposées tout autour, séparées les unes des autres par des paravents également en acajou, offrant un peu d’intimité aux marins pêcheurs qui venaient s’y détendre après leur dur labeur, parfois au bras d’une prostituée.

Éric et Thibault se dirigèrent vers le bar afin d’y prendre une chope de bière pour se désaltérer avant de sortir de la ville. Contrairement au port, bondé de monde, le bar était particulièrement désert. Les deux amis s’installèrent sur une chaise haute et commandèrent leur boisson. Parlant peu, ils regardaient autour d’eux de manière circulaire, se trouvant au centre du bar. Après quelques instants pour s’habituer à la lumière tamisée des lieux, ils finirent par se détendre et prirent une rasade de la boisson amère bien fraîche qui leur avait été servie.

— Ce lieu est particulièrement apaisant par rapport à la fourmilière extérieure, tu ne trouves pas ? demanda Thibault à Éric, engageant la conversation.

— Ne vous y trompez pas, intervint le barman. C’est temporaire. Bientôt, il sera rempli de soûlards et de joueurs désargentés qui vendront jusqu’à leur chemise pour une dernière partie de billard ou de dés. Viendront ensuite les prostituées qui vendront leurs charmes jusque sur le bar.

— Eh bien, mon ami, répondit Éric, vous me semblez désabusé.

— J’en ai marre de ce quotidien. Tous ces gueux me désespèrent. Moi je rêve d’une vie meilleure, loin de ce bruit, de cette crasse et de cette puanteur.

— Qu’est-ce qui vous empêche de changer de vie ? demanda Thibault.

— J’y songe souvent, mais il faut du courage pour tout laisser derrière soi et prendre un nouveau départ. Et puis, j’ai une famille dont je dois m’occuper. Seul, je l’aurais fait. Mais maintenant…

Sur ces entrefaites, la porte d’entrée s’ouvrit sur un groupe d’individus, portant tous un blouson avec une main verte au revers. La conversation s’interrompit brusquement entre le barman et les deux amis. Thibault scruta les nouveaux arrivants avec une curiosité appuyée. Éric, qui s’était détourné d’eux dès leur entrée, indiqua à son ami, par un regard appuyé, de cesser de dévisager le groupe.

— Je ne fais rien de mal, intervint Thibault.

— Regarde leur blouson, répondit Éric tout bas. Ils ont tous une main verte brodée au revers.

Thibault comprit immédiatement et se détourna à son tour des individus, trop tard cependant. L’un d’entre eux, semblant être l’alfa de l’équipe, avait repéré les regards pénétrants de Thibault et s’avança vers les deux amis.

— Bonjour messieurs. Je ne vous ai jamais vus ici. Vous n’êtes pas du coin ?

— Non, répondit Éric après un court silence. Nous venons de débarquer. Nous rendons visite à un ami.

— Et vous venez d’où comme ça ?

— D’Anegex, pourquoi ?

— Vous n’avez pas l’accent d’Anegex. De quelle ville venez-vous exactement ?

— Vous avez une bonne oreille, monsieur. Nous étions en Anegex, mais arrivons de Rancef. De Purcell exactement.

— Bien, bien, et…

— Il suffit, monsieur. J’ai été aimable avec vous, mais je n’ai pas à répondre à votre interrogatoire. Si vous le voulez bien, nous allons finir notre consommation et partir dans la foulée. Nous ne voulons pas d’histoires et souhaiterions finir paisiblement notre pause dans cet établissement.

— Savez-vous à qui vous parlez de la sorte ? répondit l’alfa, interloqué. Je suis Cooper Kirsten, chef de la Main Verte de Kitchaho. Je dépends directement du ministère de l’Intérieur d’Anfraen. Si je vous pose une question, vous devez y répondre !

— Ne vous emportez pas monsieur. Je ne connais pas vos coutumes, mais je pense que si vous exigez des réponses, vous devez avoir un certificat ou une carte officielle à me présenter vous liant à votre ministère et vous donnant ce pouvoir, comme les gardes républicains, n’est-ce pas ?

Les collègues de Kirsten s’étaient approchés à leur tour, entourant Éric et Thibault, toujours assis au bar.

— Vous entendez ça les gars ? demanda Cooper, hilare, à ses collègues. Monsieur souhaite que je lui prouve mon appartenance à la Main Verte ! Mais dis-moi, mon gars, dit-il en se retournant face à Éric. Si tu ne veux pas répondre à mes questions, c’est peut-être que tu as des choses à cacher ? Ne fais pas semblant de ne pas savoir ce qu’est la Main Verte. Après tout, peut-être es-tu un de ces êtres malfaisants qui répandent leur magie dégoûtante dans nos villes. Tu vas me suivre avec ton ami étrangement muet. Nous allons poursuivre cette conversation dans mes bureaux.

Là-dessus, il attrapa le bras d’Éric pour le tirer de son tabouret. Ce dernier retira son bras violemment et envoya une gifle monumentale à son agresseur, lequel, surpris, recula de trois pas sous la violence du choc.

— Qui que tu sois, abruti, tu ne me touches pas et tu ne m’ordonnes absolument rien ! s’écria le mutant, dont les yeux avaient repris leur couleur vert brillant, sous l’effet de la colère.

— Regardez ses yeux ! indiqua un des types de la Main Verte. C’en est un ! Arrêtez-les tous les deux !

Alors que les individus se jetaient sur les deux amis, ils furent violemment stoppés par un mur invisible, protection créée par Éric. Pendant ce temps, Thibault avait fait apparaître sur chacune de ses mains, la flamme blanche qui virevoltait, menaçante, et se réverbérait dans les yeux de chacun des membres de la Main Verte.

— Maintenant, vous allez nous laisser passer. Vous ne pouvez rien face à mon bouclier et mon ami bizarrement muet est capable de vous griller en un seul jet de flamme. Vous voulez tenter l’expérience ?

Les membres de la Main Verte se scrutèrent et leurs regards convergèrent vers Kirsten, qui finit par reculer pour laisser un passage au mutant et à son ami. Éric et Thibault prirent leur sac et s’avancèrent entre les membres du groupe dont les regards assassins ne faiblissaient pas. Après les avoir dépassés, Éric se retourna pour que son bouclier invisible reste entre lui et ses agresseurs. Reculant face à Cooper Kirsten et ses amis, Éric et Thibault approchèrent de la sortie. Ils ouvrirent doucement la porte, laissant entrer la lumière extérieure dont le reflet fit apparaître le bouclier. Puis, après être sortis, Éric lâcha la porte, qui se referma brutalement. Le groupe de la Main Verte se précipita à l’extérieur. Mais les deux amis ne les avaient pas attendus et s’étaient précipités dans la foule pour s’y fondre.

— Vous les voyez ? demanda un des gars de la Main Verte.

— Non, répondit Cooper Kirsten. Mais je suis certain de savoir où ils vont. C’est un mutant. Il doit sûrement retourner dans son ancienne école, à Elforest. Cela ne me dit rien qui vaille. Je vais prévenir de ce pas le ministre de l’Intérieur. Il nous faut en finir avec ces magiques répugnants.

Chapitre III

Le réveil de Jacques VI

Tous les regards de la Cour se tournèrent vers Fabien qui, depuis quelques semaines, avait pris une certaine assurance et remplaçait son frère, souffrant, pour toutes les activités de représentation. Les courtisans avaient très vite compris que le pouvoir avait quelque peu basculé vers le cadet de la fratrie. Jacques, toujours pris d’une langueur chronique, ne se remettait toujours pas de la mort de sa mère et de l’attaque de la cathédrale de la Blanche Lumière. Ces événements étaient autant d’accrocs à son pouvoir et, malgré la nécessité de prendre les choses en main pour montrer sa puissance et sa détermination à rester un souverain fort et actif, le jeune roi ne réussissait qu’à être spectateur de ce qui lui arrivait, et non pas l’acteur résolu qu’il aurait souhaité.

Après que son frère l’eut informé des événements de Sirpa et de ce que son ami Thomas Delalle avait été blessé, il avait bien cru que seulement quelques jours de plus suffiraient à le remettre sur pied et qu’il reprendrait en main son destin. Pourtant, très vite, il s’était senti de nouveau mal, fatigué, sans force. Son esprit s’était de nouveau perdu dans de tristes pensées et la mélancolie l’avait repris. Pourtant il savait. Il sentait que sous ce poids de la maladie, sa volonté restait intacte. Il ressentait une colère sourde et un profond désir de protéger et défendre la Couronne, le bien le plus précieux que lui avaient confié ses aïeux. Mais ses forces semblaient l’abandonner.

Une servante lui apporta sa tisane quotidienne.

— Où est Champlain ? demanda le roi.

— Il est souffrant Votre Majesté.

— Mais cela fait une semaine que je ne l’ai pas vu. Est-ce si grave ?

— Non, Votre Majesté, mais cela est contagieux. Vous êtes encore faible. Il ne faudrait pas que vous soyez en contact avec quelqu’un de malade.

— Très bien, répondit le roi, lassé de ces réponses toujours identiques et en proie à une fatigue intense.

La servante lui servit son infusion et sortit doucement de la chambre royale.

Jacques se décida à prendre la tasse d’infusion, mais la laissa tomber, maladroitement. Il regarda l’anse se détacher lors de l’impact au sol. Ses yeux se fixèrent sur cette vaisselle cassée, comme une métaphore de sa vie qui partait en lambeaux. Les larmes coulèrent de ses yeux fixes qui regardaient le vide. Qu’allait-il devenir ? Et son royaume ? La vie et la raison semblaient l’abandonner.

Soudain, un crissement le sortit de sa torpeur. Au fond de sa chambre, derrière une tapisserie plus que tricentenaire, se cachait une porte dérobée qui donnait sur un couloir caché que seul le souverain connaissait, ainsi que son fidèle laquais, Champlain.

Jacques se redressa difficilement sur ses coussins et regarda vers la tapisserie représentant le premier roi de sa lignée recevant sa couronne des dieux. Ce n’était pas tant la tapisserie qui l’intéressait que le mouvement qu’elle effectuait sous l’effet d’un courant d’air. Très vite, un individu apparut, comme sortant de nulle part. Il s’agissait bien de Champlain. S’approchant doucement du roi, il passa devant la porte de sa chambre qu’il s’empressa de fermer à clé.

— Champlain ? Mais que faites-vous ? Je vous croyais malade ?

— Chut ! répondit doucement le fidèle serviteur à son maître. Je ne devrais pas être ici, Votre Majesté. Si on me trouve, je serai emprisonné, voire pire.

— Comment ça ? Mais je ne laisserai jamais une telle chose survenir ! Que se passe-t-il donc ici ?

— Je vais vous expliquer Votre Majesté, répondit Champlain, toujours à voix basse, en s’approchant du lit du roi.

Voyant la tasse au sol, il ramassa ce qu’il en restait et reposa le tout sur le plateau. Puis il s’empara de la tisanière, l’approcha de son nez et huma l’odeur qui s’en dégageait.

— Tout d’abord, continua-t-il, vous allez cesser de boire et manger ce que l’on vous apporte.

— Comment ça ?

— Tout cela contient des médicaments précautionneusement pilés qui ont pour but de vous affaiblir, Votre Majesté.

— Mais cela n’est pas possible ! Pas ici ! s’exclama le roi.

— Chut, Votre Majesté. Je n’ai pas beaucoup de temps. Et je ne dois pas être pris. Écoutez-moi bien ! On veut vous pousser vers la sortie. Un complot vise à vous destituer pour donner la Couronne à votre frère. Lorsque cela sera fait, votre vie sera vraiment en danger. Pour le moment, on vous bourre de médicaments pour vous faire passer pour très malade et faible. C’est pour cela que vous devez cesser de manger ce que l’on vous apporte.

— Mais comment faire ? Je vais mourir de faim ? Et mon frère est au courant ?

— Je le crains fort Votre Majesté. C’est lui qui m’a interdit de vous rendre visite. Il a beaucoup changé ces derniers jours et se prend déjà pour le roi.

— Je vais me lever et…

— Non, Votre Majesté ! lui répondit plus sèchement Champlain. Vous aurez tout le loisir de donner libre cours à votre colère plus tard. Il vous faut raisonner au mieux de vos intérêts pour le moment. Beaucoup sont encore loyaux à Votre Majesté, mais nous ne savons pas toujours comment trier le bon grain de l’ivraie. J’ai fait une liste des personnes qui à mes yeux sont vos fidèles serviteurs et ne vous trahiront jamais. Il faut se méfier des autres. Pour le moment, vous devez reprendre des forces. Je vous apporterai en cachette de quoi manger chaque jour en passant par le passage secret. Je prendrai les repas que l’on vous sert pour m’en débarrasser. Ainsi, tous penseront que vous mangez et buvez ce qu’ils vous donnent. Cela laissera le temps à votre corps de se débarrasser des médicaments. Faites toujours semblant d’être fatigué, même lorsque vous vous sentirez un peu mieux. Je sais que le coup d’État est prévu dimanche prochain, lors de la prochaine grande messe en la basilique royale. Le Haut Dignitaire et le Saint Père sont complices. Ils ont réussi à tourner votre frère. Votre déchéance sera proclamée ce jour sous prétexte d’une maladie mentale vous empêchant d’assumer vos fonctions. Dans la foulée, le Saint Père couronnera votre frère. Ainsi, il pense le tenir et en faire ce qu’il veut.

— Et diriger Purcell à travers Fabien, qui ne pourra rien lui refuser ! Bande de traîtres ! Nous leur ferons rendre gorge ! Je vous suis Champlain. Je vais me remettre et je serai au rendez-vous de notre destinée. Qu’est-ce qui est prévu dimanche ?

— J’ai enrôlé le chef de vos gardes, Alfred de Montorlan. Il vous est dévoué et a compris qu’il se tramait quelque chose. Lorsque je lui ai expliqué ce que je savais, il était atterré. Dimanche, lui et quelques hommes investiront vos appartements et vous libéreront. Vous serez déjà vêtu officiellement pour la cérémonie et les gardes vous y conduiront. Vous arriverez au moment où le Saint Père sera en train d’expliquer que vous êtes très malade. Vous ferez irruption dans la basilique avec vos gardes et ferez arrêter les conspirateurs.

— Mais, je ne peux arrêter le Saint Père.

— Bien sûr que non. Mais le Haut dignitaire, le Premier ministre et votre frère, oui. Le Saint Père sera obligé de jouer l’incrédule et c’est lui qui ne pourra rien vous refuser par la suite, d’autant que Thomas Delalle a déjà réuni les preuves de sa culpabilité, après une enquête discrète.

— Thomas Dellale ? Mais je le croyais à l’hôpital ?

— Il n’y est resté qu’une journée, Votre Majesté. À sa sortie, il a souhaité vous voir, mais s’est vu opposer une fin de non-recevoir par votre frère.

— Ainsi donc, je suis vraiment seul. Même mon frère m’a abandonné !

— Si je puis me permettre, Votre Majesté, vous n’êtes pas seul. Beaucoup sont prêts à se sacrifier pour vous. Nous réussirons à mettre fin à cette machination. Je dois y aller, Votre Majesté. Je reviendrai cette nuit pour vous apporter de quoi vous restaurer.

— Merci, Champlain. Vous êtes plus qu’un valet. Vous êtes un ami.

— Merci, Votre Majesté.

Sur ces mots, Champlain repartit après avoir déverrouillé la porte de la chambre du roi.

*****

Le dimanche suivant, toute la Cour était réunie dans la basilique royale.

Le Saint Père s’apprêtait à prononcer la destitution de Jacques VI et à couronner le prince Fabien roi de Purcell.

Tous les gens de la Cour étaient stupéfaits par ce qui se passait et vivaient cet instant comme un moment historique. Jamais un roi n’avait été destitué en Purcell depuis la création du royaume. La messe tirait vers sa fin et le Saint Père se leva pour prononcer son discours.

Pendant ce temps, le roi, qui s’était réveillé de très bonne heure, avait verrouillé la porte de sa chambre et avait entrepris de se préparer en s’habillant du costume apporté par Champlain. Malgré le tambourinement de la servante à sa porte, Jacques ne prononçait aucun mot. Il était encore un peu faible, mais se sentait beaucoup mieux. Il avait surtout retrouvé ses esprits et sa pugnacité.

Soudain, il entendit des bruits sourds derrière la porte de sa chambre, suivis des cris de la servante. La porte s’ouvrit dans un fracas de bois et de serrure cassés.

Entouré de gardes armés, Alfred de Montorlan se présenta et s’agenouilla devant le souverain.

— Votre Majesté, quel soulagement que les dieux vous aient protégé !

— Merci beaucoup de m’avoir libéré. Je saurai m’en souvenir. Maintenant, je dois reprendre mes fonctions, j’ai perdu assez de temps ! répondit le roi drapé dans sa dignité.

— Si vous voulez bien ouvrir la marche, Votre Majesté, nous vous escorterons, lui proposa le chef des gardes.

Jacques VI s’avança dans l’antichambre, suivi de ses gardes, et se dirigea vers la basilique.

Au moment où le Saint Père s’apprêtait à couronner Fabien, après avoir prononcé un discours de destitution du roi, les gardes ouvrirent bruyamment la porte du monument. Jacques apparut et avec lui les rayons du soleil qui pénétrèrent dans le monument religieux, éblouissant les membres de la Cour.

Tous les gens se levèrent brusquement. Fabien se retourna et reconnut son frère dont les traits du visage étaient fermés et faisaient montre d’une réelle détermination.

Arrivés près de l’autel, les gardes s’emparèrent immédiatement du Premier ministre et du haut dignitaire, ainsi que de Fabien.

— Mesdames et Messieurs ! déclara alors le roi. Je viens ici réparer l’erreur commise par ces traîtres qui ont cru pouvoir me soustraire d’un pouvoir qui m’a été légué par mes aïeux et par les dieux. Aujourd’hui est un jour sombre pour ma famille, car parmi ces félons figure mon propre frère. Mais aujourd’hui est aussi un grand jour pour notre royaume, car j’ai su m’extraire des griffes de cette cabale et je reviens déterminé à éradiquer de notre royaume tous ceux qui cherchent à déstabiliser la Couronne.

— Votre Majesté, je vous assure que… tenta d’intervenir le Saint Père.

— Très Saint Père, vous et moi avons été abusés. Je saurai châtier les coupables, déclara avec emphase le roi tout en s’approchant du chef de l’Église pour lui faire une accolade. Désormais, lui murmura-t-il à l’oreille, soyez certain que je vous surveillerai jour et nuit.

Maintenant, mes amis, allez en paix, annonça le roi en se retournant à l’adresse de l’assemblée, reprenant mot pour mot les termes usités par le Saint Père à la fin de ses homélies. Un banquet sera organisé la semaine prochaine en l’honneur de mon retour parmi les vivants, à la tête de mon État.

— Jacques, je vous en supplie, s’écria Fabien, se jetant à genoux devant le roi.

Ce dernier regarda son frère durant des secondes qui paraissaient des minutes, ses yeux exprimant à la fois tristesse et détermination.

— Emmenez mon frère dans les oubliettes du palais, et séparez-le des autres. Je souhaiterais participer à leur interrogatoire avant de les livrer à la justice, ordonna Jacques VI, d’un ton méprisant, destiné à parfaire son image toute en majesté face à l’ensemble des courtisans quittant la basilique.

*****

Les oubliettes du palais s’ouvrirent bientôt sur les trois prisonniers de marque. Froides et humides, elles étaient directement creusées dans la roche, sous le palais royal, dans les vestiges de l’ancienne forteresse des temps jadis. Un long couloir au sol de pierre desservait des cachots aux lourdes portes en fer d’un autre temps. Les murs étaient couverts de torches enflammées, seules sources de lumière dans ces profondeurs. La modernité n’avait jamais atteint les lieux qui contrastaient avec le faste de l’écrin royal en surface.

L’air y était aussi plus rare et les vermines y côtoyaient les quelques prisonniers encore présents. Le lieutenant général du royaume y avait un bureau qu’il n’occupait jamais que quelques heures lorsqu’il était présent pour mener les interrogatoires. Il lui préférait les locaux flambants neufs qui lui avaient été aménagés dans la forteresse de Sirpa, plus confortables et plus proches de ses bataillons de police royale.

Les nouveaux captifs avaient été enfermés tous les trois dans des cachots séparés et diamétralement opposés pour éviter toute communication.

Pour la première fois depuis son accession au trône, le roi pénétra à son tour dans les lieux, accompagné de son fidèle Champlain et de Thomas Delalle, arrivé en urgence de Sirpa.

Le lieutenant général les attendait dans son bureau, assez stressé et agité par cette situation inédite.

— Votre Majesté, c’est pour moi un honneur de vous recevoir, même si les lieux ne se prêtent guère à la venue d’un homme de votre condition.

— Monsieur, sachez qu’un roi doit être là où la vie de son royaume le nécessite. Je ne suis pas un être fragile. Je peux très bien m’accommoder de lieux aussi spartiates que mes propres cachots. Maintenant, je vais participer et mener les premiers interrogatoires. Faites d’abord entrer le Premier ministre. Je tiens à connaître sa version de la conspiration avant celle des autres.

— Bien, Votre Majesté. Comme il vous plaira, répondit le lieutenant général en se dirigeant vers les cellules.

— Vous ne souhaitez pas interroger votre frère d’abord ? demanda Thomas Delalle.

— Non. Son rang devrait lui permettre de passer en premier, bien sûr. Mais je suis convaincu qu’il n’est pas l’instigateur de cette mascarade. Il a été utilisé. Cela n’allège en rien sa responsabilité. Mais, je veux savoir si d’autres personnes sont derrière tout cela. Il me faut donc obtenir des informations du Premier ministre. Il avouera, j’en suis certain.

Le lieutenant général revint rapidement avec le Premier ministre déchu, entouré de deux gardes.

— Asseyez-vous, Rayard, ordonna le roi.

Le prisonnier s’exécuta, sans mot dire. Il semblait comme dans un autre monde.

— Je ne vais pas passer par quatre chemins, Rayard ! commença le roi, péremptoire. Votre complot pour me destituer a été éventé. Quelques-uns de vos sous-fifres ont été arrêtés. D’autres, comme votre secrétaire particulier, se sont enfuis. Mais nous les retrouverons. Je veux savoir tout de votre machination, et surtout qui sont ceux pour qui vous avez travaillé à me trahir !

Gabriel Rayard leva les yeux vers son monarque, le regard toujours aussi perdu.

— À quoi bon vous parler ? Je sais ce qui m’attend. Parmi vos trois prisonniers prestigieux, je suis le seul susceptible d’être exécuté pour l’exemple. Je ne peux rien espérer même si j’avoue tout. Je préfère garder le silence et attendre la mort sereinement.

— Mais pourquoi m’avoir trahi ? Que cherchiez-vous que vous n’aviez déjà ? Je vous faisais confiance. Ma mère vous faisait confiance ! demanda Jacques VI, sur un ton qui ne cachait pas sa colère.

— Je n’ai jamais été qu’un laquais pour vous et votre famille ! Pour une fois j’avais l’impression d’être celui qui déciderait de tout. Je voulais prendre le pouvoir pour enfin libérer de leurs chaînes tous ceux qui dépendent de votre Cour. Je voulais museler vos courtisans qui ne servent qu’à piller les richesses du royaume quand d’autres suent sang et eau tous les jours pour gagner une misère. Je voulais vous voir mordre la poussière et éteindre votre dynastie pour qu’elle ne nuise plus au royaume.

Le roi se leva d’un bond, stupéfait par cette haine qu’il découvrait chez ce ministre qui avait toujours été obséquieux à son égard.

— Mais comment souhaitiez-vous renverser la monarchie sans créer une guerre civile ? Pensiez-vous que tout le monde allait vous suivre sans ciller ?

— Avec le cristal vermeil, j’aurais pu diriger l’armée. Avec l’armée, j’aurais muselé le pays sans faire couler le sang. La république de Purcell verra le jour, ne vous en déplaise. Et ce jour-là sera aussi votre dernier, Jacques !

— Comment osez-vous vous adresser à votre roi de cette manière ? s’exclamèrent en chœur Champlain et Delalle !

— Laissez, répondit le roi. Il nous montre à quel point sa haine est forte et puissante, nourrie d’années à supporter ma personne.

— Pas que votre personne, Jacques. J’ai dû passer par votre frère pour aboutir à votre destitution. Si le retourner contre vous a été pour moi un véritable délice, et une jouissance certaine, le fait de côtoyer cet individu aux mœurs répugnantes a été insupportable pour moi.

— Vous n’aimez donc pas plus mon frère que moi ?

— Je l’ai en horreur. Dès qu’il serait monté sur le trône, et après votre décès suite à une maladie, il aurait malheureusement été victime d’un accident qui aurait laissé l’exécutif vacant.

— Je vois, cette machination avait pour but d’amener la république par la disparition naturelle ou presque, de la monarchie. Quand je pense que mon père m’avait conseillé de vous prendre comme Premier ministre. Lui qui était si proche de votre père !

— Votre père était pire que vous. Un monstre dont il fallait couper la tête en espérant qu’une autre ne repousse pas ! Ce qu’il a fait était…

— Qu’est-ce qu’il a fait ?

— Rien ! se reprit Gabriel Rayard, se muant ensuite dans un silence coupable.

— Vous en avez trop dit ou pas assez ! s’énerva le roi après plusieurs minutes. Parlez !

— Je ne dirai plus rien.

— Dans ce cas, vous ne me laissez pas le choix. Faites entrer les nouveaux prisonniers !

Des gardes amenèrent, mains liées derrière le dos, l’épouse et la fille du Premier ministre.

— Qu’est-ce qu’elles font là ? Elles n’ont rien à voir avec tout cela. Relâchez-les ! s’écria Rayard.

— Vous n’avez pas d’ordre à donner ! Scélérat ! Vous n’êtes plus rien ! C’est vrai que vous serez exécuté. Vous ne pouvez rien y faire. Mais vous pouvez sauver votre famille. À moins que vous ne souhaitiez que votre femme et votre fille vous suivent dans la mort !

— Vous ne pouvez pas faire cela !

— J’ai décrété l’état d’urgence ! Le trône a été menacé. J’ai donc pour le moment tous les pouvoirs. Je peux décréter que votre famille est entièrement mouillée dans ce complot infâme. Ainsi, votre femme, votre fille, mais aussi votre sœur, vos neveux et votre père, encore vivant, il me semble, seront tous exécutés pour trahison. Je ne laisserai rien de votre lignée. Vous disparaîtrez tous !

L’épouse de l’ancien Premier ministre tremblait pendant que sa fille sanglotait.

Gabriel Rayard, effaré par l’apparente dureté du roi, commença à comprendre qu’il n’avait pas le choix. Il devait dire ce qu’il savait pour sauver les siens.

— Parlez ! ordonna le roi. Je ne vous laisse que quelques minutes pour vous décider !

Thomas Delalle et Champlain étaient aussi impressionnés que Rayard. Les secondes qui s’ensuivirent furent d’un silence mortel. Chacun attendait le dénouement de cette situation en espérant que le roi n’en viendrait pas à faire tuer des personnes innocentes.

— Vous souhaitez vraiment vous salir les mains et entacher votre lignée de meurtres ignobles et indignes ? demanda Rayard dans une dernière tentative pour convaincre le roi de ne pas aller au bout de ses promesses.

— Quand mon royaume et ma couronne sont menacés, je me dois d’utiliser tous les moyens à ma disposition pour découvrir et démanteler les complots. Je suis prêt à aller au bout. Gardes ! ordonna-t-il.

À cet instant, les gardes jetèrent les deux femmes à genoux et dégainèrent leurs épées qu’ils placèrent sous le cou de ces dernières.

— Non ! s’écria le Premier ministre déchu, vaincu. Je vais tout vous dire !

— Je vous écoute ! Parlez !

— Votre père n’a pas été le prince si droit et irréprochable que vous pensiez. Il y a de cela trente ans, il s’en est pris à ma tante, madame de la Tour du Plan.

— Comment ça ?

— Il l’a violée.

— Cela est impossible ! Mon père n’aurait jamais fait cela.

— J’ai une preuve.

— Laquelle est-ce ?

— Votre demi-sœur.

— Ma quoi ?

Le roi resta interloqué.

— Une enfant est née de cette union forcée. Ma tante ne s’en est jamais remise et a fini par se suicider. L’enfant a été élevée comme la fille de mon oncle, qui a été forcé de tenir sa langue pour ne pas connaître le déshonneur et la déchéance de sa famille. Les choses pouvaient en rester là et ma cousine passer pour une vraie de la Tour du Plan. Cependant, elle avait un signe de naissance imparable qui la reliait à votre père. Une tâche de naissance.

— Sur l’épaule gauche ? s’enquit le roi.

— Oui, Jacques, sur l’épaule gauche, comme vous et votre frère. Une petite tâche en forme de poisson ou…

— De l’infini… termina le roi. Mais quel rapport avec le complot ?

— C’est elle qui est derrière tout cela ? demanda Dellale.

— Elle abomine votre famille et les droits que vous vous arrogez sur les autres. Elle a juré de vous anéantir et prendre ce qui lui revient de droit. Elle vous en veut pour ce que votre père a fait subir à sa mère. Elle détruira votre pouvoir et mettra un terme à l’alliance du trône et de l’autel !

— Comment compte-t-elle faire ? l’interrogea Delalle.

— Mais elle a déjà commencé ! Vous en avez fait les frais, Delalle, à Sirpa, sur le parvis de la cathédrale de la Blanche Lumière !

— Vous voulez dire qu’elle dirige les masques rouges ?

— Elle a déjà soulevé une armée qui est prête à intervenir pour prendre le pouvoir. Il ne lui reste qu’à s’emparer du cristal pour parfaire ses armes.

— Mais pourquoi tant de haine ? demanda Delalle. Les victimes étaient innocentes, et beaucoup d’enfants comptaient parmi elles.

— On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, répondit Rayard. Vous ne savez pas à quel point la haine et le désir de vengeance peuvent être des moteurs dans une vie.

— Mais pourquoi l’avoir aidée ? Que vous a-t-elle promis ?

— La fin de la magie dans ce pays gangrené par les elfes et les autres créatures qui apparaissent. Le retour de l’ordre par la technologie.

— Oui, mais vous ne dites pas tout.

— Elle m’a promis les rênes du pays !

— Vous ! À la tête de Purcell ?! Mais comment avez-vous pu la croire ? s’offusqua le roi.

— Elle n’est pas seule. Le seigneur de l’Est est avec elle ! Contre lui vous ne pourrez jamais rien !

— Mais que dites-vous ? Vous êtes devenu fou !

— Le seigneur de l’Est viendra nous délivrer de l’oppression ! Nous serons libres et propriétaires de notre destin ! Rancef sera enfin réunifiée après la chute de la famille Leacher et de votre lignée. La technologie éradiquera de la surface de notre monde toute forme de magie et les êtres seront enfin égaux !

— J’en ai assez entendu, déclara soudain le roi. Emmenez-le dans le centre carcéral de Sirpa. Il sera présenté devant la cour de justice royale dès demain pour être inculpé. Nous laisserons s’ouvrir un procès qui se tiendra selon les règles en vigueur et je ne doute pas un instant qu’il sera jugé coupable et châtié.

— Et ma famille ? s’écria Rayard alors qu’il était déjà tiré par les bras pour être emmené par les gardes.

— Je tiens mes promesses. Votre famille ne sera pas inquiétée, répondit le roi tout en se tournant vers l’épouse de Gabriel Rayard. Madame, je ne vous tiens pas pour responsable des méfaits de votre époux. Vous êtes donc libre. Mais vous devrez vous retirer avec votre fille sur les terres de votre famille où je vous assigne à résidence. Si vous deviez réapparaître ici ou à Sirpa, vous seriez appréhendée et accusée de crime de lèse-majesté. Avez-vous compris ?

— Oui, Votre Majesté, répondit la dame dans une révérence avant de quitter les lieux, accompagnée des gardes qui l’avaient amenée.

— Tout ceci doit rester entre nous, asséna le roi, tremblant de colère, à Thomas Delalle et Alexis Champlain. Au-delà du risque encouru par la Couronne, ce scandale ne peut être révélé. À lui seul, il pourrait faire vaciller l’État.

— Très bien, répondit Delalle. Mais nous ne savons toujours pas qui est cette dame rouge.

— C’est pourquoi nous allons interroger le haut dignitaire. En étant assez rusés, nous réussirons à lui faire dire quelle est son identité. Faites venir le prélat ! s’écria-t-il vers un des gardes postés devant la porte.

Peu de temps après, le haut dignitaire fut amené dans le bureau où l’attendaient de pied ferme le roi et ses trois affidés.

— Laissez-nous et allez monter la garde au bout du couloir ! ordonna le roi à ses hommes.

— Bien Votre Majesté, répondirent les gardes, un peu étonnés de l’ordre.

— Veuillez vous asseoir, dit le roi au prélat en lui présentant une chaise devant le bureau.

Jacques VI se tenait debout derrière le bureau avec à sa droite Thomas Delalle et à sa gauche son fidèle Champlain. Le lieutenant général était resté près de la porte, remplaçant ainsi le garde habituel.

Le prélat, un peu chiffonné, et les yeux hagards, regarda les trois interlocuteurs face à lui et s’assit doucement, les yeux toujours rivés vers ses ennemis.

— Vous ne pouvez me garder ici ! Je suis le haut dignitaire ! Je dépends de la justice ecclésiastique ! En me retenant de manière arbitraire, vous vous mettez hors la justice des dieux ! argumenta Gino del Plessibello.

Originaire d’Altosola, Gino del Plessibello n’était pas destiné à entrer dans les ordres. Aîné d’une fratrie de quatre enfants, il se destinait à entrer dans l’armée et à reprendre la suite de son père, Comte de Marasibella. La Guerre civile en Altosola en avait décidé autrement. Alors qu’il combattait brillamment, ses méfaits sur les femmes prisonnières de son bataillon avaient fini par le rattraper, surtout lorsqu’il s’en prit à la duchesse de Barbaglia. Désavoué par ses pairs, il avait dû renoncer à ses fonctions militaires et abandonner son titre à son puîné. La seule voie restante était la voie religieuse. Entré au service du haut dignitaire d’Altosola, il avait montré très vite une véritable compétence à dénouer les fils des intrigues de cour et s’était vite rendu indispensable en tant que véritable éminence grise du prélat. Finalement, repéré par le Saint Père, ce dernier l’avait fait appeler en Purcell pour entrer à son service. Il vivait aujourd’hui une véritable descente aux enfers, perdant tous ses privilèges et l’appui de son maître.

— Comment osez-vous parler de la justice des dieux en ma présence ! s’écria le roi. Je suis le souverain de ce royaume par la grâce des dieux. Vous n’êtes rien !

— Mais le Saint Père…

— Le Saint Père vous a lâché ! Il sait que je le tiens désormais ! Pour conserver sa place, il n’a pas hésité à vous abandonner à votre sort ! En tant que traître et membre d’une organisation terroriste visant à mettre fin à la monarchie, vous êtes et resterez soumis à la justice temporelle ! Vos crimes méritent la mort en place publique après vous avoir humilié devant la population haineuse qui verra en vous le seul et unique responsable des crimes perpétrés sur le parvis de la cathédrale de la Blanche Lumière !

— Mais… que… Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez ! s’écria Gino Del Plessibello !

— Nous avons des preuves matérielles et les aveux circonstanciés de Gabriel Rayard !

— Le traître ! s’écria alors le prélat déchu. Le lâche ! Comment a-t-il osé avouer ?!

— Il n’a pas fallu longtemps pour le confronter à ses responsabilités et aux conséquences de ses actes sur sa famille ! Et vous ferez de même !

— Jamais ! Tuez-moi si vous le voulez, mais je n’avouerai rien !