Les deux cousines - Solène Tavernier - E-Book

Les deux cousines E-Book

Solène Tavernier

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Beschreibung

Alice et Delphine, deux cousines quadragénaires, reviennent sur les lieux de leurs étés d’enfance à l’occasion des funérailles de la grand-mère d’Alice. Dans cette maison empreinte de souvenirs, les confidences surgissent, portées par le poids du passé. Mais, tandis qu’un événement planétaire d’une gravité inédite ébranle le cours du monde, des vérités jusqu’alors tues émergent, bouleversant leurs certitudes et les forçant à confronter l’inéluctable. Dans ce moment suspendu où tout bascule, les liens se resserrent, les masques tombent, et les choix se font cruciaux. Jusqu’où devront-elles aller pour se réconcilier avec elles-mêmes et avec un avenir incertain ?

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Solène Tavernier, passionnée de cinéma, de fictions réalistes et d’intrigues policières, a d’abord exploré le théâtre en tant que comédienne avant que l’écriture ne devienne pour elle une évidence. Après deux recueils de récits à suspense, elle signe sa première nouvelle, où elle explore avec finesse les secrets de ses personnages et des thématiques sociales d’actualité.

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Seitenzahl: 91

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Solène Tavernier

Les deux cousines

Nouvelle

© Lys Bleu Éditions – Solène Tavernier

ISBN : 979-10-422-5979-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Toulouse, dimanche 9 septembre 2001, début d’après-midi

14 h 30. Assise sur sa valise, Delphine patiente devant la gare Matabiau en attendant sa cousine. Son voyage en train depuis Nice lui a semblé interminable.

Dès le départ elle aurait dû se douter que ça ne serait pas un voyage d’agrément. Surprise par un orage bref en se rendant à pied à la gare, elle y était parvenue, trempée comme une tartine dans sa Ricoré du matin. Elle s’était changée tant bien que mal dans les toilettes malodorantes et brinquebalantes du wagon. Il fallait qu’elle évite de s’enrhumer. Ensuite, au moment de sa correspondance à Marseille, le train avait pris plus d’une heure de retard du fait d’un problème technique. Cerise sur le gâteau, il lui avait fallu subir plus de quatre heures, la compagnie de trois petits monstres âgés de cinq à neuf ans sur lesquels les parents ne faisaient preuve d’aucune autorité. Une expérience qu’elle ne souhaitait à personne même pas à son pire ennemi, s’il s’avérait qu’elle en ait un, un jour.

C’est à cause de ce genre d’expériences qu’elle mettait les chemins de fer en dernière priorité comme mode de transport, quand elle pouvait choisir.

À l’idée de faire encore deux bonnes heures de route avant de rejoindre son point de chute dans le Lot, et bien qu’elle soit impatiente d’y être, elle eut subitement l’impression que la fatigue qu’elle ressentait s’accentuait.

Un coup de klaxon la sort de sa réflexion. Une jolie brune aux cheveux bouclés vient de ranger sa Toyota le long du trottoir, juste devant elle. La voyageuse reconnaît sans peine Alice qu’elle n’a pourtant pas vue depuis plus de six ans, celle-ci passant l’essentiel de son activité de journaliste-reporter à l’étranger.

On va en avoir des choses à se raconter, se dit-elle, loin d’imaginer la réalité de ce qui l’attend.

Tout sourire, la conductrice se précipite hors de son véhicule, l’embrasse et l’étreint fortement, exprimant sa joie par de légers gloussements, telle une adolescente.

— Je suis si contente de te revoir, si contente, ne cesse-t-elle de répéter, manquant de l’étouffer à moitié.
— Toi, tu n’as pas changé, rétorque Delphine en se dégageant non sans mal de cette démonstration débordante d’affection. Toujours aussi belle et enthousiaste !

Alice éclate de rire, fait un pas en arrière, détaille sa cousine de la tête aux pieds et lui demande :

— Où est passé le garçon manqué ? C’est la première fois que je te vois en jupe ! Et tu as changé de coupe de cheveux ! Elle te va à ravir ! Oh… je sens qu’il y a anguille sous roche !

Delphine ne répond pas, un sourire énigmatique sur les lèvres. Elle repense à son départ ce matin quand elle a refermé délicatement la porte de son duplex afin de ne pas réveiller Valérie sa compagne. Son visage s’éclaire à l’évocation de leur première rencontre. Elle venait de se séparer de son époux, après douze ans d’un mariage chaotique. Elle allait pouvoir entamer une procédure de divorce. Sa meilleure amie Ines lui avait conseillé une avocate spécialisée. Cette avocate, c’était Valérie.

Ça datait de deux ans en arrière. Personne dans son entourage ne soupçonnait cette relation intime, excepté Ines, l’involontaire Cupidon.

Armée de son indéfectible dynamisme, Alice a déjà empoigné la valise de sa cousine et la glisse à l’intérieur du coffre de la voiture.

Delphine s’installe sur le siège passager, prête à se laisser bercer par la route. C’est sans compter sur Alice qui la mitraille de questions, lui laissant à peine l’opportunité de répondre.

— Comment vont les jumeaux ?
— Ils vont bien, ils…
— Ça leur fait quel âge maintenant ?
— Bientôt treize ans.
— Oh là là ! en plein âge ingrat. Et ton divorce ? Raconte-moi, comment ça s’est passé ? Lors de notre dernière rencontre à Nice qui remonte à cinq ou six ans, tu avais effleuré le sujet et ça ne semblait pas gagné !
— Ç’a été très compliqué en effet, répond-elle, alors que des souvenirs douloureux lui reviennent en mémoire.

Delphine faisait partie d’une famille bourgeoise « bien-pensante » où le qu’en-dira-t-on restait le maître mot. Entourée d’un père haut fonctionnaire, d’une mère au foyer et de deux frères aînés plutôt machos qui lui reprochaient son manque de féminité, elle s’était pliée au modèle imposé par son environnement familial. Cette éducation l’avait rendue timorée. Adolescente, elle n’osait rien entreprendre, trop craintive. À la maison, en qualité de fille et benjamine de la fratrie, on ne lui laissait guère droit à la parole et encore moins le choix de ses loisirs. Ses parents lui imposaient ses activités ; danse classique alors qu’elle aurait préféré les claquettes, solfège et piano quand elle ne rêvait que de théâtre. Elle avait dû se battre pour convaincre son père de faire un BTS alors qu’il l’imaginait déjà juriste.

À sa majorité, en « âge de fréquenter » comme disaient ses parents, ils n’avaient eu de cesse de vouloir la caser. Ses frères la traitaient de « difficile » car malgré leurs efforts pour lui présenter des copains, aucun ne trouvait grâce à ses yeux. La seule bonne raison à cela, qu’elle ignorait à l’époque, c’est qu’elle n’aimait pas les garçons.

Sa rencontre avec Valérie lui avait fait prendre conscience, tardivement, de son attirance envers les filles.

— Ça a pris plus de cinq ans avant que Philippe n’accepte de parler divorce, reprend-elle.
— Oui, je me rappelle, « chez les DUMONTEL, on ne divorce pas », dit Alice sur un ton très mondain. L’essentiel c’est que tu aies réussi à sortir de ce bourbier. Enfin libre ! Je vais être franche, je n’appréciais guère ton ex, même si je reconnais qu’il donnait l’image d’un bon père de famille. Tout me portait à croire que tu vivais sous son emprise… Puis, d’un air mutin, elle ajoute, et maintenant, pas de nouvel élu au sein de ton cœur ? Pas de prince charmant ?
— Et en ce qui te concerne ? enchaîne Delphine, sans répondre à la question. Constamment aux quatre coins de la planète, nullement lassée ?
— Si bien sûr, à quarante-cinq ans, il m’arrive de songer à me poser, mais j’ai peur de m’ennuyer.
— Ça ne m’étonne pas de toi. Tu te souviens comment ta mère nous surnommait quand nous étions jeunes ?
— Oui, sourit Alice, le Yin et le Yang.
— À l’époque, tu étais solaire, déterminée, jouant régulièrement les chefs de bande. Si, si, tu aimais ça… Tu nous envoûtais tous grâce à ton charme naturel. Les plus jeunes buvaient tes paroles, les adolescents s’entichaient tous de toi et les adultes admiraient ta joie de vivre. Moi à l’opposé, je demeurais très réservée, plutôt introvertie, bien trop sage. Je me sentais parfois comme le vilain petit canard.
— Ah bon ! À ce point-là !
— Tu n’imagines pas ! Gamine, cette timidité m’a joué bien des tours. Adolescente c’est devenu un fardeau. Je ne sais pas si je t’ai déjà raconté qu’en primaire j’ai subi le harcèlement de mes camarades de classe qui me surnommaient « la tomate », car je rougissais facilement. Les années suivantes au collège, affublée de ma paire de lunettes épaisses dues à ma forte myopie, mes gentils copains m’appelaient « la binoclarde ».
— Je n’ai pas souvenance de ça, s’étonne Alice.
— Et pourtant ! Quand je pense qu’il m’a fallu attendre mes vingt ans avant d’arriver à vaincre en partie cette souffrance. Je m’étais inscrite secrètement à des cours de théâtre. Ines, ma fidèle complice, me servait de couverture, mes parents ne cautionnant absolument pas ce type d’activité subversive !
— Ça ne m’étonne pas d’eux, tellement réacs à l’époque !
— Ils le sont toujours ! Le théâtre m’a aidé à lever certaines inhibitions, à développer ma confiance en moi sans totalement guérir des séquelles de l’éducation stricte inculquée par mes géniteurs. On ne sort pas indemne de vingt ans de bourrage de crâne quotidien !
— Rassure-moi, quand tu t’es mariée, tu étais amoureuse de ton mari !
— En toute bonne foi ? Non. C’est mon envie de maternité qui m’a fait franchir le pas. Ceci dit, je n’ai pas eu à chercher bien loin le mari « idéal ». Ses parents faisaient partie du cercle privé familial. Lui me tournait autour depuis des mois, jouant le chevalier servant en me faisant une cour assidue conforme aux règles conventionnelles édictées par son monde.
— En résumé il te draguait ouvertement.
— Oui, et Dieu sait qu’il ne correspondait pas à mon type d’homme pourtant ! Et pour cause, pense-t-elle. En revanche il possédait un atout majeur à mes yeux, le sens de l’humour. Il a su me charmer, notamment en me faisant rire. Le Conseil Familial, en l’occurrence mes parents et mes frangins, validèrent ce choix, le qualifiant de beau parti, argument imparable !
— Toutefois, quand je me remémore ton mariage, tu paraissais heureuse.
— Oui, en apparence, toujours les apparences. Quand je repense à cette journée, j’en ai la nausée. À part Ineset deux ou trois copines, je n’avais pas eu mon mot à dire sur les invités. Venus en nombre, près de cent quatre-vingt ! la plupart se présentaient comme d’illustres inconnus, des relations de nos parents. Je m’étais demandée s’il s’agissait bien de mes noces. Je faisais bonne figure devant les amis et la famille.
— C’est vrai que ça ressemblait à ce qu’on peut appeler un mariage en grande pompe !
— Par la suite, j’ai continué à donner le change au quotidien jusqu’à la naissance de mes bébés. Leur arrivée m’a redonné de l’espoir, de l’envie. Je me suis mise à aimer la vie, mon cœur recelait de l’amour à revendre sauf à l’égard de mon mari.
— Comment tu as pu rester douze ans auprès de cet homme ?
— J’ai tenu bon grâce à mes deux lutins. Même si je dois bien reconnaître que Philippe se comportait comme un père attentif, j’ai très vite compris que je ne finirai pas ma vie en sa compagnie. Il se révélait tellement possessif et jaloux, il surveillait tous mes faits et gestes. Notre couple est devenu une parodie de couple, car il fallait « sauver les apparences » selon son leitmotiv. Dans l’intimité on se parlait de moins en moins. En fait, les enfants restaient notre seul sujet de préoccupation.

Delphine marque une pause. Ce qu’elle ne dit pas à Alice c’est que sur le plan sexuel c’était un fiasco.